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SAMEDI 6 AOÛT 2016 LE PROGRÈS
Accompagner les détenus dans leur
recherche d’emploi, vérifier qu’ils
se soignent ou paient leurs indemni-
tés,mettreenplacedesgroupesdepa-
role, repérer ceux qui basculent dans
l’islam radical, gérer la paperasse ad-
ministrative… Les vingt-sept con-
seillerspénitentiairesd’insertionetde
probation (CPIP) stéphanois gèrent
chacuncenttrentedossiers,quandles
normes pénitentiaires européennes
enpréconisentsoixante.
« C’estdel’abattage,on
gèredesmassesdegens »
Danslesterritoiresruraux,leratioest
aussiplusélevé,avecunemoyennede
centdossiers par personne, comme,
parexemple,auPuy-en-Velay.
Conscient du rapport déséquilibré
(conseillers/personnes prises en
charge),leministèredelaJusticeaan-
noncéunrecrutementdemilleagents
en 2014. Avec les départs à la retraite
et changements de profession, les
quatre embauches au Service péni-
tentiaire d’insertion et de probation
delaLoiren’ontpaschangéladonne.
Le 10 juin, quinze agents se sont dé-
placésdurantleurpausedéjeuner–ils
n’ont pas le droit de grève – devant le
Palais de justice de Saint-Étienne.
Lassés, ils sont venus réclamer de
meilleuresconditionsdetravail.
Une petite blonde, en poste à la mai-
son d’arrêt de La Talaudière, fulmi-
nait. « On fait de la quantité au détri-
ment de la qualité. Le premier
entretien individuel (sorte d’analyse
complète du détenu : situation per-
sonnelle, familiale, but dans la vie, et
base du projet d’accompagnement,
NDLR),estpasséd’uneheureàtrente
minutes. Les rendez-vous mensuels,
supposéscréerunliendeconfianceet
assurer une continuité dans le suivi,
n’ont lieu que tous les deux ou trois
mois, et se résument par un bonjour,
contrôledesobligations,aurevoir ».
À côté, un collègue annonçait vingt-
cinq rendez-vous dans son planning
du jour. « C’est de l’abattage. On gère
desmassesdegens.Onsecontentede
les renvoyer vers la CAF ou les assis-
tantessociales. »
« Ilarrivequ’ilsnouslaissentdesmes-
sages suicidaires sur le répondeur
quand ils vivent une période difficile.
Maisavectoutleboulotqu’ona,onne
prend pas forcément la peine de les
écouter… », ajoute un autre con-
seiller.
À l’association du Grep de la Loire
(Groupe réinsertion emploi proba-
tionnaires), les détenus ne s’y trom-
pent pas. « Les CPIP, c’est des fonc-
tionnaires de l’État, ils rendent des
comptes. Si t’as envie de parler de tes
problèmes, ils te disent qu’il y a des
psychologues pour ça », résume
Maydhine, 27 ans, les yeux cernés,
condamné à 36 mois de détention
pour violences, en régime de semi-li-
berté.Samir,34ans,voixposéeetbra-
celet électronique au pied, dénonce
une hypocrisie. « Tant que tu passes
pas devant le JAP (juge d’application
despeines),t’espasleurpriorité. »
MarionSaive
NOTEContactée,ladirectionduService
pénitentiaired’insertionetdeprobationde
laLoiren’apasdonnésuiteànos
sollicitations.
LOIRE ENQUÊTE
LaLoire,territoireàcomposante
rurale,n’estpaslaprioritédel’Admi-
nistrationpénitentiaire,quirenforce
d’abordlesrégionsditesàrisques.À
Saint-Étiennedonc,lesdossiers
s’entassent.Ensous-effectif,les
27conseillerspénitentiairescroulent
sousletravail.Lesuividesdétenus
etlaréinsertionsontmisàmal.Etle
contexteterroristerebatlescartes
desservicespénitentiaires.
nPourlemilieufermé,lamaisond’arrêtdeLaTalaudièrecomptait329personnesdétenuesau1
publieplusaucunchiffredepuislepremiertrimestre2015.Au1er janvier2015,leServicepénite
« Soit on fait un service minimum pour tout le monde, soit on fait
des choix », tranche Philippe Pottier, ex-directeur de l’École
nationale de l’Administration pénitentiaire, retraité depuis janvier.
Les condamnés en assises et les agresseurs sexuels sont prioritai-
res sur les auteurs de vols ou braquages. « C’est humain, on va
d’abord vers les dossiers pour lesquels on craint le plus la
récidive », commente Olivier Caquineau, secrétaire général Sne-
pap-FSU. Même si les études démontrent que le violeur récidive
deux fois moins (19 % sur mineur, 39 % sur adulte) que le petit
délinquant (74 % pour un vol simple, 76 % pour violences) (1)
. Ces
derniers n’ont parfois qu’un seul rendez-vous sur toute la durée de
leur détention. « C’est pourtant avec ces jeunes en manque de
repères qu’on peut agir. Pour beaucoup, il suffirait de leur
redonner une place dans la société », commente une travailleuse
sociale d’un foyer d’hébergement pour sortants de prison.
Alors, ce manque d’accompagnement se traduit en « sorties
sèches » : 80 % des détenus français quittent la prison sans même
que leur pièce d’identité n’ait été renouvelée ou qu’une procédure
pour l’accès aux droits sociaux n’ait été lancée. Or, sans suivi,
63 % des sortants de détention y retournent dans les cinq ans.
Avec un taux de récidive global à 59 %, en hausse de sept points
depuis la fin des années 90, la France est loin de ses voisins
nordiques : 20 % environ pour la Finlande et la Norvège, qui ont
préféré la réhabilitation à la prison.
(1) Étude de 2011 d’Annie Kensey (chercheuse et démographe de
l’Administration pénitentiaire) menée sur un échantillon national de
7 000 sortants de prison, entre le 1er juin et le 31 décembre 2002.
59 % de taux de récidive en France,
20 % en Scandinavie
Lasituationpréoccupantedes
130Le nombre de dossiers
suivi par chacun des vingt-sept con-
seillers pénitentiaires de Saint-
Étienne. En France, un CPIP suit en
moyenne 70 dossiers, mais suivant
les régions et les problématiques de
terrain, le ratio n’est pas le même.
À Marseille, « capitale de la criminali-
té », les services ont été renforcés et
chaque CPIP suit environ 60 dossiers.
L’urgence des conseillers, c’est
d’être à jour dans les dossiers.
Aides à la décision judiciaires
depuis 2014, ils transmettent les
comptes-rendus d’entretiens aux
magistrats qui jaugent, sur le
papier, le profil des détenus pour
leur accorder ou non leur aména-
gement de peine. Bilan, les agents
tapent rapport sur rapport. Le
plus souvent assis devant leurs
ordinateurs, les conseillers sor-
tent peu rencontrer les familles
ou participer aux formations de
l’École nationale de l’Administra-
tion pénitentiaire, à Agen. « Je
m’interdis de les faire, sinon je
rame pendant des semaines pour
rattraper le retard dans mes dos-
siers », dit une CPIP.
ZOOM
« Je m’interdis de faire des formations,
sinon je rame pour rattraper le retard »
11
LOI - 1
ACTU LOIRE ET RÉGION
1er juillet,pour7conseillersd’insertionetdeprobation.Pourlemilieuouvert,l’Administrationpénitentiairene
entiaired’insertionetdeprobationdelaLoiresuivait1 931personnespourunevingtainedeCPIP.PhotoLEPROGRÈS
conseillerspénitentiaires
Avec les attentats terroristes qui se-
couentlaFrancedepuisunanetdemi,
les fichés S retiennent toute l’atten-
tiondesconseillerspénitentiaires.Dé-
jàsousl’eau,lesconseillersd’insertion
doiventrepérerlescomportementsis-
lamistes radicaux des détenus. Mais
avecunesensibilisationexpressd’une
demi-journée pour la majorité d’entre
eux, qui se résume à différencier sala-
fisme et terrorisme ou visionner un
filmscénarisésurlaradicalisation,les
outilssontmaigrespouragirsurleter-
rain. Barbes trop longues ou soudain
rasées,proposanti-françaisetconver-
sions à l’islam sont parfois signalés à
tortetàtravers.
« Alorsest-cequ’onouvre
leparapluie ? »
« Aprèsle13novembre,onaentendu
des “Vous l’avez bien cherché, vu
comme vous nous traitez, faut vous
attendre à ce que ça recommence”.
Pourtant, ces mêmes personnes trai-
tentDaeshdesalauds…C’estcomple-
xe,expliqueuneCPIP.Sionneditrien
et qu’il se passe quelque chose, ça re-
tombe sur nous. Alors est-ce qu’on
ouvre le parapluie et on signale tout
comportement suspicieux ? Ou on
prend le risque de trier et de passer à
côtéd’individusradicalisés ? »
« Ondoitrenseigner ?Ouprendreen
charge les personnes qu’on soupçon-
ne d’être radicalisées ? », questionne
unautre.Pourrépondreàl’urgenceet
renforcer les équipes, le Plat (Plan de
lutte antiterroriste), ordonné à la va-
vite en février 2015, a été lancé. Il a
permis de créer 483 postes d’éduca-
teurs et dégager un budget de 80M€.
Après une formation éclair d’un an,
les psychologues tout juste sortis de
l’Enap ont été engagés pour travailler
enbinômeaveclesconseillersd’inser-
tion.
Censée soulager les services péniten-
tiaires, cette cohabitation vire au
fiasco. Faute de consignes claires, les
deux corps de métiers naviguent à
vue. « Ils ont zéro expérience en mi-
lieu pénitentiaire, lâche un CPIP. Ils
assistent aux entretiens individuels,
ont accès à nos dossiers… On se mar-
che dessus. Quand t’as un collègue
clairementétiqueté“luttecontrelara-
dicalisation” à côté de toi, ça facilite
pas le boulot ! Ils ont créé une usine à
gaz. »
Et l’actualité maintient la pression
danslesservices.Aprèsl’assassinatdu
prêtre de Saint-Étienne-de-Rouvray,
le26juillet,pardeuxjeuneshommes–
l’unsousbraceletélectronique,l’autre
fiché S – les services pénitentiaires
sont pointés du doigt. Lorsqu’un dra-
medecetypeseproduit,l’opinionpu-
blique, mobilisée via les médias,
s’échauffe,désignedescoupables.
Sous pression, l’Administration péni-
tentiaire demande des comptes aux
services, relit rapports et évaluations
desCPIP,tentedecomprendrecequi
a pêché dans le suivi du détenu…
Quitte à donner de nouvelles directi-
ves aux agents, et à rendre leurs mis-
sionsencoreunpeuplusconfuses.
Radicalisation,terrorisme :« Ilsontcrééuneusineàgaz »
nL’assassinatduprêtredeSt-Étienne-du-Rouvray(Seine-Maritime)aétécommis
pardeuxhommes,l’unsousbraceletélectronique,l’autrefichéS.PhotoMaxPPP
« Les actions sont très variables d’un territoire à
l’autre. Il ne se passe pas la même chose à Saint-
Étienne et Roanne, ou à Corbas et Villefranche.
Pourtant, Corbas et Villefranche dépendent du même
service pénitentiaire d’insertion et de probation
(SPIP), Saint-Étienne et Roanne du même également.
Tout dépend aussi des relations qui sont entretenues
entre le directeur d’un SPIP et ses agents. À ce que
j’entends, elles ne sont pas mauvaises dans la Loire. Ce
n’est pas le même cas à Villefranche et Corbas.
Suite à la loi pénitentiaire du 15 août 2014, beaucoup
de choses positives ont été faites pour la réinsertion,
notamment les alternatives à la prison et les aménage-
ments de peine. Mais derrière, ce n’est pas appliqué :
cela demande plus de suivis pour les juges, les Institu-
tions et les SPIP ne sont pas préparés… Sans compter
que ces mesures alternatives dépendent des juges et du
parquet, qui craignent de les mettre en place.
Mais la frilosité n’est pas uniquement du côté des juges
d’application des peines (JAP). Les conseillers doivent
monter un dossier et convaincre le juge de mettre en
place l’aménagement de peine. Un JAP volontaire avec
un CPIP convaincu du bien-fondé de la loi de 2014, ça
fonctionnera, mais c’est très variable suivant les per-
sonnes qui dialoguent ensemble. Sans compter que les
CPIP suivent trop de personnes pour connaître les
dossiers… Leurs missions ont changé : ils sont passés
de la prise en charge des détenus à leur évaluation, ils
ne sont plus dans l’action. »
« La loi pénitentiaire de 2014
n’est pas appliquée »
Bernard Lecogne, délégué régional de la Farapej (Fédération
des associations réflexion-action, prison et justice)
LOCAL
17
42D - 1
ACTU GIER
JEUDI 12 MAI 2016 LE PROGRÈS
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Ils ont perdu leurs cheveux longs et
blonds.Lestroiscompèresdelaban-
dedesquatre,André,DenisetJoël(Hu-
bertestdécédéenmai2008),amisd’en-
fance, collègues à l’usine de
robinetterie et fans des Verts, se remé-
morent leur périple jusqu’à Glasgow
(Écosse), quarante ans plus tôt, pour
assisteràlafinaledelaCoupedesclubs
champions européens contre le
BayernMunich.
« 70 000spectateurs
assistentàlafinale
duPetitPoucetcontre
lagrossecylindrée »
Samedi8mai1976.Lesquatreamis,la
vingtaine, embarquent dans la Simca
1501 d’Hubert. « On s’était dit que si
Saint-Étienne allait en finale, on mon-
taitpourvoirlematch.C’estuntrucqui
sevitunefois.C’étaitl’occasion :onvi-
vait chez nos parents, on travaillait.
L’argent qu’on gagnait, c’était pour les
fêtes et le foot. Alors on a posé notre
semainedecongé. »Aprèsuneétapeà
Calais, ils prennent « le bac», le ferry,
qui les amène à Douvres, en Angleter-
re. « On avait du temps devant nous,
alorsonavouluprendrelespetitesrou-
tes. Déjà que rouler à gauche, c’était
pas simple. Il a fallu demander notre
chemin en anglais… Bref, on s’est per-
du un tas de fois, mais on est arrivés le
mardi,laveilledelafinale »,serappelle
Joël. Les supporters sont accueillis
commedesprincesdanslavilleouvriè-
re, qui arbore les mêmes couleurs que
les Stéphanois : le vert et le blanc du
Celtic,undesdeuxclubsdefootlocal.
«On était bien vus, le public était ac-
quis à notre cause. On jouait quasi-
ment à domicile », ajoute André, le sé-
rieux du groupe. Le stade d’Hampden
Parkestcomplet.« 70 000spectateurs
assistentàlafinaleduPetitPoucetcon-
tre la grosse cylindrée ». Rocheteau,
Santini, les frères Revelli, Lopez, Lar-
qué,Curkovic,Janvion,Bathenay,Sar-
ramagna,Piazza…« Unebandedepo-
tes qui jouaient ensemble depuis plus
de cinq ans. On n’avait pas de joueurs
starscommeauBayern,toutlemonde
étaitaumêmeniveau. »
Le trio feuillette le magazine de l’épo-
que, Le Miroir du foot, titré «L’épopée
de Saint-Étienne, 100 photos choc »,
minutieusementconservéparDenis.Il
montredudoigtAndré,grimpéenhaut
d’un poteau dans les rues de Glasgow,
surunephotoennoiretblanc.L’après-
match. « On se serait cru à Sainté, on
était chez nous, du vert partout, c’était
l’euphorie. Les Allemands, on les
voyait pas, on les entendait pas… »
Pourtant, la finale se solde par une dé-
faite.1-0pourleBayern.Lestroisamis
sesouviennentdesjoueursstéphanois,
enpleursàlafindumatch.« Onyacru
jusqu’aubout,ditDenis,encoreabattu.
Ilsétaientloind’êtredominés.Lafaute
à pas de chance, les fameux poteaux
carrés…»« Unefinale,onal’habitude
dedirequeçasegagne,commenteJoël.
MaisenFrance,onaimebienlesPouli-
dor. S’ils avaient gagné, ça n’aurait
peut-êtrepaseulemêmeimpact. »
Restés quelques jours en Écosse après
la finale, André, Denis, Joël et Hubert
arriventàParisdeuxjoursaprèslepas-
sage des Stéphanois, acclamés en hé-
ros sur les Champs-Élysées. « Gagné
ouperdu,l’événementétaitécrit.»
MarionSaive
n Noël Reat, président du club de supporters des Verts de la Vallée du Gier, André Peyraverney, Denis Pavel et
Joël Degraix se replongent dans les photos et les souvenirs de Glasgow. Photo Marion SAIVE
«ÀGlasgowonétaitbienvus,
onjouaitpresqueàdomicile»
SAINT-CHAMOND FINALE 1976
Ilsétaientquatre.Quatrepotesde
20ansàrêvergrâceauxmatches
épiquesdesVerts,en1976.Alors
quandSaint-Étiennes’estqualifié
pourlafinaledelaCoupedesclubs
championseuropéens,ilsontsauté
dansleurvoiture,directionGlasgow.
Le club de supporters des Verts
de la Vallée du Gier vend les
casquettes de l’époque, produi-
tes au Puy-en-Velay en 1976,
lors de l’épopée des Verts (Denis
en porte une sur la photo).
CONTACT Noël Reat, président du
club de supporters de la Vallée du
Gier. Tél.06.83.12.95.83.
Prix : 12euros adhérents, 15euros
extérieurs.
Descasquettes
collectoràlavente
} Unefinale,çasegagne.
MaisenFrance,onaime
bienlesPoulidor. ~
Document:/BJP/01-Q15/Parutions/Frigo/Pages/Actualité/Locales/42D/Annonay-région/fait div Marion.pgl BJP_Q15_Print ...
Auteur:saivema Date:18/11/2016 23:31:41
Dans le quartier des Sept
Mares d’Élancourt,
« 7-8 », ils l’appellent « la
p’tite dame ». 1m55, Portu-
gaise, la soixantaine, che-
veux bruns attachés en
queue-de-cheval bien tirée
en arrière. « Insignifiante
mais gracieuse », « c’est pas
Claudia Schiffer ». La « ma-
mie classique qui se noie
dans la masse » a volé le ta-
bac presse où elle travaillait
comme femme de ménage.
Sur l’esplanade, le Carre-
four Market monopolise
l’espace, au milieu des HLM
crépit beige. Au balcon, une
femme noire fume sa ciga-
rette. Sous les terrasses en
escaliers, les balustrades se
découpent en vaguelettes.
La pierre blanche a noirci.
Ce mauvais Gaudi fait écho
aux villes nouvelles cons-
truites dans les années 1970.
Les commerces se sont mul-
tipliés au pied des tours.
Boulangerie, école de con-
duite, cinéma, salle de spec-
tacle, bar brasserie, librairie.
Et, un tabac presse. Le store
est relevé aux trois quarts et
l’allée piétonne déserte. Il
suffit de pousser la porte
pour rencontrer les Elan-
courtois. La masse de
clients s’agite, fait la queue
aux caisses, réclame des
gains.
1 133 jeux à gratter,
chipés par la femme
de ménage
Dans le coin à gauche, c’est
l’espace PMU. Olivier, yeux
très clairs limite vitreux,
dents jaunies, encourage
son cheval devant le poste
télé. « Et merde, le 2 est déjà
arrêté ». Ex-manager chez
Carrefour Market, il vendait
« des belles gambas 70heu-
res par semaine ». Burn
Out. Alors, il se tourne vers
les paris. Devient addict.
« Addictus, en latin, c’est
mettre son corps en gage. Ça
vient d’un Romain qu’était
criblé de dettes. D’ailleurs,
c’est fini pour aujourd’hui, je
m’en vais. »
Upside down de Diana Ross
résonne dans l’établisse-
ment. Le patron débarque.
Trapu, lunettes ébréchées,
crâne chauve parsemé de tâ-
ches brunes. Diamant à
l’oreille gauche, un Mon-
sieur Propre version minia-
ture. À 54 ans, divorcé et
père d’un fils unique de 24
ans, Eric Lopeze a repris le
Mag Presse d’Elancourt il y
a 7 ans, « parce que c’était
une bonne affaire ». Mais il
p e r d d e s s o u s .
170 000 euros. Soit les
1 133jeux à gratter, chipés
par la femme de ménage.
Une situation qui durait de-
puis un an et demi. Un an et
demi de « surveillance rap-
prochée du personnel, d’in-
terrogatoires, de fouilles des
comptes bancaires des em-
ployés ». Une « sale am-
biance » qui provoque le dé-
pa r t de Del phi ne , en
juillet 2015, suivi de Xavier,
en janvier. Les vols conti-
nuent malgré les cinq camé-
ras de surveillance. Avec
l’aide de la Française des
jeux et du commissariat de
police de Trappes, Eric
monte un stratagème. « On
a mis des tickets invalidés
dans le stock de jeux à grat-
ter prêts à la vente. Elle a
voulu retirer son gain, mais
le ticket était piégé, on l’a
repérée comme ça.»
Le mardi 23 février au soir,
la police l’arrête. « Les flics
ont débarqué au tabac, elle
est partie avec les bracelets.
Au départ, elle a nié. 5 minu-
tes après, elle avouait. » Elle
est condamnée à 12 mois de
prison avec sursis. Sa fille de
28 ans, avec qui elle parta-
geait les tickets volés, prend
6 mois avec sursis pour com-
plicité. « Je suis déçu, elle
bossait là depuis 2012, je
connaissais toute sa famille,
je les voyais tout le temps.
C’était des grands sourires,
et ils me l’ont fait à l’en-
vers », s’emporte le patron.
En colère, mais compatis-
sant : « Elle vient pas d’un
milieu aisé, elle vit avec ma-
ri, fils, fille et petit fils… Elle
essaye de s’en sortir. Elle a
eu un mauvais délire. »
Pour la boulangère d’en fa-
ce, c’est l’incompréhension.
« Ça me scie », lâche Deni-
se, épais trait d’eye-liner
grossièrement tracé sous les
yeux. Cheveux blonds plati-
ne rasés, son pendentif Har-
ley Davidson dépasse de son
col roulé. « Tous les soirs,
elle prenait ses deux baguet-
tes. Elle n’avait pas l’air dans
le besoin, elle ne se refusait
pas un petit gâteau de temps
en temps. » Elle réfléchit.
« C’est vrai que ça fait un
moment que je ne l’ai pas
vue. » Fanny, la coiffeuse à
la crinière peroxydée et la
voix de pompier, achète ses
clopes quotidiennes chez
Eric. Elle est plus incisive :
« Heureusement qu’il avait
déclaré sa femme de ména-
ge. D’après ce qu’on dit, le
mari était même pas au cou-
rant qu’elle volait. Du jour
au lendemain, ta femme qui
roule pas sur l’or achète des
écrans télés, plein d’électro-
ménager, et en plus, s’en
vante à tout le monde. Il de-
vait bien savoir… ».
« Ça m’apporte rien
qu’une femme soit
en prison, j’veux
récupérer mon
argent »
Les on-dit circulent dans le
quartier. « À ce qu’il paraît,
les policiers ont perquisiti-
onné leur domicile d’Elan-
court, mais aussi celui du
Portugal. »
Eric veut renvoyer l’affaire
en appel. « Ça m’apporte
rien qu’une femme soit en
prison, j’veux récupérer
mon argent. Pour l’instant,
la banque me suit, sinon je
fermais boutique. » Il a les
yeux rougis de fatigue. « Ça
fait 14 mois que j’ai pas pris
de vacances à cause de cette
histoire. » Six jours sur sept
levé à 5 h 30, il rentre le soir
à Houdan, à 30 km d’ici. « À
21heures, j’avais pas envie
de me rajouter une corvée. »
Alors, Eric a repris une fem-
me de ménage, qu’il « con-
naît bien ». Malgré cette
proximité avec sa nouvelle
employée, les règles ont
changé. Passées 19 heures,
impossible pour Sylvie d’ac-
céder aux jeux à gratter,bou-
clés dans la réserve. La con-
fiance a ses limites.
Elisa Vallon
et Marion Saive
ÉLANCOURT FAIT DIVERS
Lap’titedamequivole,gratte,gagne
Danslabanlieued’Élan-
court(78),ontombedes
nues.Lafemmedeménage
dutabacpresseduquartier
desSeptMares,invisible
jusque-là,avolésonpatron.
Préjudice:170000euros.
! Les commerces se sont multipliés au pied des tours du quartier des Sept Mares d’Élancourt. Photo Marion SAIVE
!Au fond à droite, l’espace PMU du tabac-presse attire les parieurs. Photo Marion SAIVE
!4h55
Alexandre et Coralie Cotte,
29ans,sepenchentàlafenêtre
de la cuisine. La silhouette du
paysage vallonné de la vallée
duGiersedessinedanslanuit.
Lethermomètreextérieuraffi-
che 3°C. En cinq minutes, ils
avalent leur café, se brossent
les dents et enfilent polaires et
pantalons. Fin prêts pour tra-
vailler. Equipés de lampes tor-
ches, ils marchent jusqu’à la
fromagerie, à quelques mètres
de leur maison en bois. Ele-
veurs de vaches laitières à
Saint-Paul-en-Jarez, dans la
Loire, les Cotte vivent à cent à
l’heure, essayant de concilier
viesfamiliale,syndicaleetpro-
fessionnelle.
L’airestchaudàlafromagerie.
Les deux agriculteurs enfilent
leurstabliersetbottesenplasti-
que blanc. L’attrape-mouches
quipendouilleauplafondena
capté plus d’une au vol. Une
odeur de vanille se dégage du
laitcailléqueCoralieremue.A
plein volume, la station locale
Radioscoop donne l’horosco-
pe du jour et les fait chanton-
ner sur du Daft Punk, tandis
qu’ilsmettentenpotlesfroma-
ges blancs. Courte pause-café
pourAlexandre,pressécema-
tin-là. Il est convoqué à 14h30
au commissariat de Saint-
Etiennepouravoirdéversédu
fumierdevantleGéantCasino
de Monthieu, le 15 août. Le
coupleestmilitant.Lui,estad-
ministrateur départemental
des Jeunes Agriculteurs de la
Loire. Elle, ancienne secrétai-
re cantonale du même syndi-
cat. Tous deux déplorent l’em-
prise qu’exercent les groupes
laitiersfrançaissurlesproduc-
teurs«quinesaventpassedé-
fendre ou qui n’ont plus la for-
ce de le faire ». « En 60 ans,
Lactalis, Sodiaal et Danone
sont devenus tellement gigan-
tesques qu’ils peuvent se pas-
serdenous,ilsamassentdupo-
gnonetnousregardentcouler
les uns après les autres », assè-
ne Alexandre. Sa femme et lui
s’en sortent avec un revenu
mensuelinférieurauSmic.«Je
nedemandepasàtoucherdes
milleetdescents,justevivrede
mon métier. On en vient à
compter le moindre centime,
c’est triste », poursuit Coralie.
Son mari embraye : « Quand
onvoitquel’onn’obtientaucu-
ne de nos revendications, on
réalisequ’onnepèsepaslourd
dans la balance socio-écono-
mique. Mais je continue d’y
croire, parce que si on suscite
autant d’intérêt, c’est qu’on a
notreplace.»
LesCotteontracheté25%des
parts sociales d’un Gaec
(Groupement agricole d’ex-
ploitation en commun) que
trois frères et deux de leurs
conjointes ont créé, auquel ils
se sont greffés en 2009. Huit
personnes au total, dont Loïc,
un salarié de 22 ans, payé au
Smic pour ses 42 heures heb-
domadaires. Un investisse-
ment à 280 000 euros pour
Alexandre et Coralie, terrain,
maison et parts sociales com-
pris. Au sein du Gaec, ils diri-
gent l’atelier de transforma-
tion du lait. Tommes, bleus,
beurre, crème, yaourts et bou-
teillesdelaitensortentchaque
semaine, distribués dans trois
magasins de producteurs du
coin et fromageries renom-
méesdeSaint-Etienne.
!7h30
Coralie retourne à la maison
manger un bout et « lever les
deux p’tiotes », Lily, cinq ans,
et Anaëlle, un an. Bref instant
enfamille,sicheràl’agricultri-
ce. Sur la route pour déposer
sesfillesàl’écoleetchezlanou-
nou, elle croise le camion-ci-
terne de Sodiaal, de passage
pour relever les 6000 litres de
lait du tank. Avec seulement
10%delaproductionenvente
directe,illeurestimpossiblede
se passer de la coopérative lai-
tière.
Lesjeunesparentssesontren-
contrés en BTS agricole. Un
choix d’étude que la mère de
Coralie, une institutrice ayant
vu « ses frères et sœurs trimer
toute leur vie à la ferme », a
longtemps rejeté. Les parents
d’Alexandre, un retraité « mé-
canopoidslourds»etuneem-
ployée France Télécom, n’ont
pas plus de lien avec l’agricul-
ture.Cesdeux-làont«chopéle
virus » au contact de leurs on-
cles et tantes agriculteurs, aux
côtésdesquelsilsontgrandi.
Lecoupleafficheuntauxd’en-
dettement de 40 %. Des chif-
fres qui font bondir leurs pa-
rents, même s’ils restent
infimes face aux 80 % que
d’autres supportent. Ces em-
prunts, Coralie y pense à cha-
que fois qu’elle monte sur une
échelle. « Surtout ne pas tom-
ber». La peur de faire reposer
lesdettessurlesépaulesdeses
filles.Grâceauxélevagesdela-
pins, volailles, et de la ferme
aubergeduGaec,lemanqueà
gagner de la production laitiè-
reestcompensé.Depuisledé-
butdelacriselaitière,leurssa-
laires n’ont pas baissé. Un
revenumince,maisd’énormes
avantagesennature.
!12heures
Au menu, bœuf et gratin de
chou-fleur – des produits de
leurferme-,queCoralieaeule
temps de préparer la veille,
jour de congé hebdomadaire.
«Laseulechosequel’onachè-
teencore,c’estdudentifriceou
dushampoing»,sourit-elle.
A grands coups de fourchette,
Alexandre engloutit son dé-
jeuner et saute sur sa moto
pour se rendre au commissa-
riat.Lesjouetsdesenfantsjon-
chent le sol du salon. Pas le
temps de ranger, il faut finir
d’empaqueter les yaourts à la
fromagerie.Deretour,Alexan-
dre prend le relais pour « per-
cerlesbleus»,Coraliepartpré-
cipitammentchercherlesfilles
àl’école.
SAINT-PAUL-EN-JAREZ REPORTAGE
«L’agriculture est un éternel recommencement»
! Lâcher des génisses dans le pré. Photo Marion SAIVE
!16 heures
Avec Loïc, Alexandre fait
monter les génisses de trois
mois dans la bétaillère. Pre-
mier lâcher dans le pré.
Craintives, « les bouïous »
(gros veaux en patois sté-
phanois) font le tour de l’en-
clos, prennent un coup de
jus en touchant du museau
le fil électrique, puis brou-
tent enfin. Dans la cour de
la ferme, les voitures
s’amassent. Une vingtaine
d’agriculteurs endimanchés
sont venus assister à l’essai
d’une ensileuse à 150 000
euros. Si celui-ci s’avère
concluant, le Gaec achètera
la machine avec six agricul-
teurs des environs, par le
biais de la Cuma (Coopéra-
tive d’utilisation de matériel
agricole). Vient l’heure de
la traite. Alexandre revêt sa
combinaison de travail gris
foncé et regroupe ses va-
ches. Hippie, Uderzo, Frou-
frou, Cocaïne, Girardot… Il
les connaît par cœur. « C’est
surtout à leurs mamelles
que je les identifie. Je les
vois défiler matin et soir de-
vant moi, c’est la partie que
je connais le mieux », plai-
sante-t-il. Pendant plus
d’une heure, s’ensuit une
musique rythmée et méca-
nique des trayeurs pompant
le lait des Montbéliardes et
Prim’Holstein. Pam Pam
Tchhh. Ambiance beat-box.
Cachou et Yago, les deux
chiens « bâtards pure race »
du couple, lèchent le lait qui
s’écoule d’un pot percé, à
même le sol. Loïc peste, une
vache vient de lui déféquer
dessus. « Les joies de la
traite ». Parti pour se mettre
à son compte, le jeune hom-
me a finalement abandonné
l’idée. « C’est trop de res-
ponsabilités, beaucoup d’in-
vestissements, et le lait n’est
pas bien payé. Je suis jeune,
j’ai envie de profiter de ma
jeunesse, avoir mes week-
ends... ». Il est coupé par la
voisine, une des privilégiés
à venir chercher son lait à la
ferme. Un côté relationnel
qu’Alexandre tient à entre-
tenir : « Un agriculteur, c’est
comme un facteur, tout le
monde le connaît, il rend
service. »
Pour les Cotte, être agricul-
teurs ne signifie pas se cou-
per du monde. Malgré un
rythme effréné, Coralie
trouve le temps d’aller chez
le coiffeur, prend soin de
quitter ses « habits de
pouilleuse » quand elle va
chercher sa fille à l’école et
s’apprête pour tenir la per-
manence du magasin de
producteurs. Avec un ami,
agriculteur lui aussi,
Alexandre pratique l’escala-
de en salle, les vendredis
soirs. Le couple prétend
«mener une vie normale »,
aime « faire la bringue avec
les potes », passe des soirées
en amoureux en centre-vil-
le. Mais Coralie et Alexan-
dre doivent se contenter
d’une à deux semaines de
congés par an, arrivent en
retard au restaurant parce
qu’une vache a avalé une
pomme de terre de travers,
passent le réveillon en salle
de traite, et ont fait une
croix sur les escapades en
moto le dimanche, le ski à
haut niveau pour Alexan-
dre et le basket pour Cora-
lie.
Avant de terminer sa jour-
née de travail, Alexandre
monte au Crêt du Pendu
avec sa « Ferrari tout ter-
rain», une vieille Citroën
AX toute crottée dotée de
pneus neige. Du haut de la
colline, il contemple ses
150hectares de terrain. Les
vertes prairies, les génisses
qui broutent au loin, le bar-
rage en pierres du Dorlay.
«Quand je reviens de mes
réunions syndicales sur Pa-
ris, que je quitte la grisaille
et la foule incessante du mé-
tro, je viens là et je me dis
que j’ai vraiment de la chan-
ce. »
!19 heures.
Le jeune père ironise, un
brin de foin dans la bouche :
« Le luxe, c’est de rentrer
chez soi à pied. » A peine
ouvre-t-il la porte que Lily
lui saute dessus et réclame
son bisou du soir. Les en-
fants couchés, le couple sa-
voure une bière bien méri-
tée. Ils travaillent chacun 80
heures par semaine. Ils
aimeraient lâcher prise, par
moments. « Le problème,
c’est que je veux tout le
temps savoir où sont mes
vaches et comment elles
vont... », soupire Alexandre.
« Et le jour où j’arrive à ne
pas me prendre la tête, je
reçois un coup de fil de la
gendarmerie pour me pré-
venir qu’une de mes vaches
se promène sur la route. »
Se déconnecter, c’est tout le
programme de la soirée. La
petite famille se prépare, el-
le est invitée à 20 heures
pour partager une raclette
chez des amis. « On va sûre-
ment rentrer vers 1 heure
du matin, ça piquera un peu
plus demain matin, mais on
se lèvera. » Coralie esquisse
un sourire : « L’agriculture
est un éternel recommence-
ment ».
Marion Saive
! Instant de dépaysement face au barrage du Dorlay. Photo Marion SAIVE
! Découpe et emballage des fromages. Photo Marion SAIVE
LecoupleCottevitàcentà
l’heure.Producteurslaitiers
àSaint-Paul-en-Jarezdans
laLoire(42),Coralieet
Alexandretententdeconci-
lierviesprofessionnelleet
familiale,avecunrevenu
inférieurauSmic.
!4h55
Alexandre et Coralie Cotte,
29ans,sepenchentàlafenêtre
de la cuisine. La silhouette du
paysage vallonné de la vallée
duGiersedessinedanslanuit.
Lethermomètreextérieuraffi-
che 3°C. En cinq minutes, ils
avalent leur café, se brossent
les dents et enfilent polaires et
pantalons. Fin prêts pour tra-
vailler. Equipés de lampes tor-
ches, ils marchent jusqu’à la
fromagerie, à quelques mètres
de leur maison en bois. Ele-
veurs de vaches laitières à
Saint-Paul-en-Jarez, dans la
Loire, les Cotte vivent à cent à
l’heure, essayant de concilier
viesfamiliale,syndicaleetpro-
fessionnelle.
L’airestchaudàlafromagerie.
Les deux agriculteurs enfilent
leurstabliersetbottesenplasti-
que blanc. L’attrape-mouches
quipendouilleauplafondena
capté plus d’une au vol. Une
odeur de vanille se dégage du
laitcailléqueCoralieremue.A
plein volume, la station locale
Radioscoop donne l’horosco-
pe du jour et les fait chanton-
ner sur du Daft Punk, tandis
qu’ilsmettentenpotlesfroma-
ges blancs. Courte pause-café
pourAlexandre,pressécema-
tin-là. Il est convoqué à 14h30
au commissariat de Saint-
Etiennepouravoirdéversédu
fumierdevantleGéantCasino
de Monthieu, le 15 août. Le
coupleestmilitant.Lui,estad-
ministrateur départemental
des Jeunes Agriculteurs de la
Loire. Elle, ancienne secrétai-
re cantonale du même syndi-
cat. Tous deux déplorent l’em-
prise qu’exercent les groupes
laitiersfrançaissurlesproduc-
teurs«quinesaventpassedé-
fendre ou qui n’ont plus la for-
ce de le faire ». « En 60 ans,
Lactalis, Sodiaal et Danone
sont devenus tellement gigan-
tesques qu’ils peuvent se pas-
serdenous,ilsamassentdupo-
gnonetnousregardentcouler
les uns après les autres », assè-
ne Alexandre. Sa femme et lui
s’en sortent avec un revenu
mensuelinférieurauSmic.«Je
nedemandepasàtoucherdes
milleetdescents,justevivrede
mon métier. On en vient à
compter le moindre centime,
c’est triste », poursuit Coralie.
Son mari embraye : « Quand
onvoitquel’onn’obtientaucu-
ne de nos revendications, on
réalisequ’onnepèsepaslourd
dans la balance socio-écono-
mique. Mais je continue d’y
croire, parce que si on suscite
autant d’intérêt, c’est qu’on a
notreplace.»
LesCotteontracheté25%des
parts sociales d’un Gaec
(Groupement agricole d’ex-
ploitation en commun) que
trois frères et deux de leurs
conjointes ont créé, auquel ils
se sont greffés en 2009. Huit
personnes au total, dont Loïc,
un salarié de 22 ans, payé au
Smic pour ses 42 heures heb-
domadaires. Un investisse-
ment à 280 000 euros pour
Alexandre et Coralie, terrain,
maison et parts sociales com-
pris. Au sein du Gaec, ils diri-
gent l’atelier de transforma-
tion du lait. Tommes, bleus,
beurre, crème, yaourts et bou-
teillesdelaitensortentchaque
semaine, distribués dans trois
magasins de producteurs du
coin et fromageries renom-
méesdeSaint-Etienne.
!7h30
Coralie retourne à la maison
manger un bout et « lever les
deux p’tiotes », Lily, cinq ans,
et Anaëlle, un an. Bref instant
enfamille,sicheràl’agricultri-
ce. Sur la route pour déposer
sesfillesàl’écoleetchezlanou-
nou, elle croise le camion-ci-
terne de Sodiaal, de passage
pour relever les 6000 litres de
lait du tank. Avec seulement
10%delaproductionenvente
directe,illeurestimpossiblede
se passer de la coopérative lai-
tière.
Lesjeunesparentssesontren-
contrés en BTS agricole. Un
choix d’étude que la mère de
Coralie, une institutrice ayant
vu « ses frères et sœurs trimer
toute leur vie à la ferme », a
longtemps rejeté. Les parents
d’Alexandre, un retraité « mé-
canopoidslourds»etuneem-
ployée France Télécom, n’ont
pas plus de lien avec l’agricul-
ture.Cesdeux-làont«chopéle
virus » au contact de leurs on-
cles et tantes agriculteurs, aux
côtésdesquelsilsontgrandi.
Lecoupleafficheuntauxd’en-
dettement de 40 %. Des chif-
fres qui font bondir leurs pa-
rents, même s’ils restent
infimes face aux 80 % que
d’autres supportent. Ces em-
prunts, Coralie y pense à cha-
que fois qu’elle monte sur une
échelle. « Surtout ne pas tom-
ber». La peur de faire reposer
lesdettessurlesépaulesdeses
filles.Grâceauxélevagesdela-
pins, volailles, et de la ferme
aubergeduGaec,lemanqueà
gagner de la production laitiè-
reestcompensé.Depuisledé-
butdelacriselaitière,leurssa-
laires n’ont pas baissé. Un
revenumince,maisd’énormes
avantagesennature.
!12heures
Au menu, bœuf et gratin de
chou-fleur – des produits de
leurferme-,queCoralieaeule
temps de préparer la veille,
jour de congé hebdomadaire.
«Laseulechosequel’onachè-
teencore,c’estdudentifriceou
dushampoing»,sourit-elle.
A grands coups de fourchette,
Alexandre engloutit son dé-
jeuner et saute sur sa moto
pour se rendre au commissa-
riat.Lesjouetsdesenfantsjon-
chent le sol du salon. Pas le
temps de ranger, il faut finir
d’empaqueter les yaourts à la
fromagerie.Deretour,Alexan-
dre prend le relais pour « per-
cerlesbleus»,Coraliepartpré-
cipitammentchercherlesfilles
àl’école.
SAINT-PAUL-EN-JAREZ REPORTAGE
«L’agriculture est un éternel recommencement»
! Lâcher des génisses dans le pré. Photo Marion SAIVE
!16 heures
Avec Loïc, Alexandre fait
monter les génisses de trois
mois dans la bétaillère. Pre-
mier lâcher dans le pré.
Craintives, « les bouïous »
(gros veaux en patois sté-
phanois) font le tour de l’en-
clos, prennent un coup de
jus en touchant du museau
le fil électrique, puis brou-
tent enfin. Dans la cour de
la ferme, les voitures
s’amassent. Une vingtaine
d’agriculteurs endimanchés
sont venus assister à l’essai
d’une ensileuse à 150 000
euros. Si celui-ci s’avère
concluant, le Gaec achètera
la machine avec six agricul-
teurs des environs, par le
biais de la Cuma (Coopéra-
tive d’utilisation de matériel
agricole). Vient l’heure de
la traite. Alexandre revêt sa
combinaison de travail gris
foncé et regroupe ses va-
ches. Hippie, Uderzo, Frou-
frou, Cocaïne, Girardot… Il
les connaît par cœur. « C’est
surtout à leurs mamelles
que je les identifie. Je les
vois défiler matin et soir de-
vant moi, c’est la partie que
je connais le mieux », plai-
sante-t-il. Pendant plus
d’une heure, s’ensuit une
musique rythmée et méca-
nique des trayeurs pompant
le lait des Montbéliardes et
Prim’Holstein. Pam Pam
Tchhh. Ambiance beat-box.
Cachou et Yago, les deux
chiens « bâtards pure race »
du couple, lèchent le lait qui
s’écoule d’un pot percé, à
même le sol. Loïc peste, une
vache vient de lui déféquer
dessus. « Les joies de la
traite ». Parti pour se mettre
à son compte, le jeune hom-
me a finalement abandonné
l’idée. « C’est trop de res-
ponsabilités, beaucoup d’in-
vestissements, et le lait n’est
pas bien payé. Je suis jeune,
j’ai envie de profiter de ma
jeunesse, avoir mes week-
ends... ». Il est coupé par la
voisine, une des privilégiés
à venir chercher son lait à la
ferme. Un côté relationnel
qu’Alexandre tient à entre-
tenir : « Un agriculteur, c’est
comme un facteur, tout le
monde le connaît, il rend
service. »
Pour les Cotte, être agricul-
teurs ne signifie pas se cou-
per du monde. Malgré un
rythme effréné, Coralie
trouve le temps d’aller chez
le coiffeur, prend soin de
quitter ses « habits de
pouilleuse » quand elle va
chercher sa fille à l’école et
s’apprête pour tenir la per-
manence du magasin de
producteurs. Avec un ami,
agriculteur lui aussi,
Alexandre pratique l’escala-
de en salle, les vendredis
soirs. Le couple prétend
«mener une vie normale »,
aime « faire la bringue avec
les potes », passe des soirées
en amoureux en centre-vil-
le. Mais Coralie et Alexan-
dre doivent se contenter
d’une à deux semaines de
congés par an, arrivent en
retard au restaurant parce
qu’une vache a avalé une
pomme de terre de travers,
passent le réveillon en salle
de traite, et ont fait une
croix sur les escapades en
moto le dimanche, le ski à
haut niveau pour Alexan-
dre et le basket pour Cora-
lie.
Avant de terminer sa jour-
née de travail, Alexandre
monte au Crêt du Pendu
avec sa « Ferrari tout ter-
rain», une vieille Citroën
AX toute crottée dotée de
pneus neige. Du haut de la
colline, il contemple ses
150hectares de terrain. Les
vertes prairies, les génisses
qui broutent au loin, le bar-
rage en pierres du Dorlay.
«Quand je reviens de mes
réunions syndicales sur Pa-
ris, que je quitte la grisaille
et la foule incessante du mé-
tro, je viens là et je me dis
que j’ai vraiment de la chan-
ce. »
!19 heures.
Le jeune père ironise, un
brin de foin dans la bouche :
« Le luxe, c’est de rentrer
chez soi à pied. » A peine
ouvre-t-il la porte que Lily
lui saute dessus et réclame
son bisou du soir. Les en-
fants couchés, le couple sa-
voure une bière bien méri-
tée. Ils travaillent chacun 80
heures par semaine. Ils
aimeraient lâcher prise, par
moments. « Le problème,
c’est que je veux tout le
temps savoir où sont mes
vaches et comment elles
vont... », soupire Alexandre.
« Et le jour où j’arrive à ne
pas me prendre la tête, je
reçois un coup de fil de la
gendarmerie pour me pré-
venir qu’une de mes vaches
se promène sur la route. »
Se déconnecter, c’est tout le
programme de la soirée. La
petite famille se prépare, el-
le est invitée à 20 heures
pour partager une raclette
chez des amis. « On va sûre-
ment rentrer vers 1 heure
du matin, ça piquera un peu
plus demain matin, mais on
se lèvera. » Coralie esquisse
un sourire : « L’agriculture
est un éternel recommence-
ment ».
Marion Saive
! Instant de dépaysement face au barrage du Dorlay. Photo Marion SAIVE
! Découpe et emballage des fromages. Photo Marion SAIVE
LecoupleCottevitàcentà
l’heure.Producteurslaitiers
àSaint-Paul-en-Jarezdans
laLoire(42),Coralieet
Alexandretententdeconci-
lierviesprofessionnelleet
familiale,avecunrevenu
inférieurauSmic.
«Si vous permettez, je travaille
en même temps, je suis à la
bourre. J’aimerais avancer sur ce cor-
netGaillardetLoiselet,avantdepartir
envacancescesoir,avecmafemme ».
Ilpassesamainsurlecornetàpistons
pour repérer les irrégularités de sa
courbe.Saisitunetigeenlaitonmunie
d’une olive, l’introduit, et tapote sur
l’instrument, avec un petit marteau,
pour le débosseler. Fabrice Wamber-
gue,44ans,luthier-ventsdansunpetit
atelierde11m²,perdudansunimmeu-
ble qu’il partage avec des artistes, à
Montreuil,faitpartiedes30%deFran-
çaisquisesontreconvertisprofession-
nellement.Luthier2.0,sacartedevisi-
te, c’est son site, sur lequel il poste des
articles sur les tubas, cornets et trom-
pettesqu’ilrépare.C’estcommeçaque
le saxophoniste Jacques Schwarz-
Bart, « une grosse bête du jazz under-
ground »,luiaconfiésonSelmerMark
VI, début juillet, et que le bouche-à-
oreilleestentraindelefairedécoller.
« J’aibaignédansun
environnementmusical
dequalité,monpèreest
ungrandmélomane
fandejazz»
Fabricen’apaslatêtedel’emploi.Che-
valièreenargentàl’annulaire,montre
desportimposanteaupoignet,poloau
col remonté, jean délavé et Converses
blanches. Seul son tablier bleu, tâché
parlelaiton« trèssalissant »,letrahit.
Requiem pour un con résonne depuis
sonposteradio,placésoussonplande
travail.« Y’apasàdire,FIP,c’estpeut-
être une radio de vieux, mais c’est la
plus éclectique. » Fabrice aurait aimé
vivredanslesannées1960.Tutoyerles
artistesetmusiciensqu’iladmire.
Quelque chose le démange. « Je suis
impatient de travailler sur le basson,
mais il faut d’abord que j’en termine
avec ce cornet », soupire-t-il. Il sourit :
« Celui-là, je serai content de le voir
partir,j’enchie. »Pourleplaisir,Fabri-
ce se rend dans des clubs de jazz pari-
siens,auSunsetSunsideouauDucdes
Lombards. Erre dans des expositions
avecsonfils,néd’unpremiermariage,
« grand dadais d’1m90 qui joue de la
guitare,unvraiWambergue. »
Il enfile des gants de plastique bleu,
avant de souder une pièce sur le cor-
net. « J’ai baigné dans un environne-
ment musical de qualité, mon père est
ungrandmélomanefandejazz. »Son
premier émoi musical, en 1986, c’est
durap.« J’ai15ans,jesuisenvoyageà
New-York, j’entends le groupe de hip-
hopRun-DMCàlaradio.Ilsepasseun
truc. » Adolescent, la musique est sa
religion, John Coltrane son dieu. Sa
voie semble tracée, mais pour faire
« comme les potes », il se lance dans
des études de droit. Licence à Nanter-
re, sans conviction. « Rien que de fou-
tre les pieds là-bas, j’avais la gerbe. » Il
monte une société d’import de guita-
res acoustiques, « des Breedlove à
11 000 francs ». Craque son PEL. Se
« plante lamentablement » au bout
d’un an. « J’étais un branlos’à l’épo-
que ». Alors, il entame une carrière
dans le textile, « un truc purement ali-
mentaire ».
De simple vendeur de jean, il passe di-
recteur adjoint de WMK, une marque
de textile parisienne « à 300 millions
d’euroslechiffred’affaires ».« Onavu
un fort potentiel en lui, il a gravi les
échelons et on a fini dans le même bu-
reau », s’extasie Gautier, l’ex-patron
devenu le meilleur ami. Sauf qu’après
17ansdanslaboîte,lepostelui« tape
surlasanté ».« J’étaisprocheduburn-
out, je me suis sauvé à temps. » Parti
avec un gros chèque, il rêve de retour-
ner à ses loisirs d’ado, et « bricoler sur
des binious ». Il achète les outils, le lo-
cal,seformetroisjoursàl’Instituttech-
nologique européen des métiers de la
musique, sous les yeux inquiets de sa
femme,professeuredesécolesàSaint-
Denis.
Iltireuneboufféedesaclopeélectroni-
que : « J’ai eu la chance de rencontrer
un maître suisse qui m’a pris sous son
aile. » Le reste, il l’a appris tout seul.
« Onesttrèsmanuelsdanslafamille »,
confie son père Alain, concepteur de
pipelinesàlaretraite.« Jelesoutiensà
100 % dans sa démarche. Son ancien
jobluiassuraitdesrevenusmaisnelui
apportait rien, il a gagné en qualité de
vie. »
« Jenesuispasunassisté,
jemesuisconstruittout
seul.Lesmecsquifont
grève,çamesaoule »
Un avis que ne partage pas la mère,
aveclaquelleFabricenedésirepasgar-
der contact. « Une promotrice immo-
bilière » dont il est « diamétralement
l’opposé. » Son fils de 16 ans, lui, ne
mesure pas l’impact de la reconver-
siondesonpère-ilfautdirequeFabri-
ce ne s’étendait pas sur son « métier
d’avant » - mais s’intéresse, pose des
questions,etluirendvisiteàl’atelier.
Et le reste ? La politique ? Il fait cla-
quer son gant en plastique : « Je m’en
fous.Droite,gauche,c’estkifkif.Y’ale
FN et y’a les autres ». Il ajoute : « Par
mon éducation, je suis peut-être un
peuplusàgauche ».Maisultra-libéral.
« Je ne suis pas un assisté, je me suis
construit tout seul. Moi, les mecs qui
fontgrève,çamesaoule. »
L’actualité ? Pareil : « ça m’emmerde
profondément. »Ilpréfèreparlerlitté-
ratureaméricaine,grandfandeJames
Ellroy et John Fante, et de séries télés,
avec « le casting plastique de malade
des gonzesses de Mad Men » et « l’es-
thétiquesublimedeBreakingBad ».
Fabrice est maniaque. « C’est ce qui
fait qu’il commence à être reconnu »,
se réjouit son père. « Il va au bout des
choses et au bout de ses idées, il a
l’amourdutravailbienfaitetchercheà
satisfaire ses clients. La musique, c’est
son moteur», confesse l’ancien boss.
Fabriceestconscientdesescompéten-
ces,mêmes’ilreconnaîtavoirencoreà
apprendre. « Il a un don naturel. C’est
monmeilleurélève.Ilestcurieux,tou-
jours l’esprit en alerte », raconte Vin-
cent Liaudet, son maître luthier qui
l’appelle affectueusement « Mon
Toyet »(mondouximbécileensuisse).
Lesdeuxhommessonttrèscomplices.
« C’est un deuxième frère pour moi »,
ditleprofesseur.
Fabrice jette un œil vers une caisse en
plastique. « Bon, vous savez quoi, je
vaislâchercecornetetjevaisattaquer
le basson, j’ai envie de tester un truc
là. »
Il colle son œil sur l’instrument, com-
me un marin scrutant l’horizon avec
salonguevue.« Merde,ilvientd’oùce
trou ? »
MarionSaive
MONTREUIL PORTRAIT
Fabrice, maniaco-musicien
À 41 ans, Fabrice Wambergue a
divisé son salaire par trois pour
se reconvertir en luthier-vents. Ce
fanatique de musique s’épanouit
dans son nouveau travail.
! Fabrice Wambergue, 41 ans, luthier 2.0. Photo DR
Mésentente entre voisins assortie
d’une bonne dose d’alcool. C’est
cequisembleavoirmotivéPaulKoffi,
35ans,pèredetroisenfants,Français
d’originelibérienne.Lajusticel’accu-
se de « violences ayant entraîné six
joursd’incapacitédetravail »surson
voisindepalierd’unimmeublesocial,
Cédric Kazmeirzack, trentenaire, pè-
rededeuxenfants…etflic.
Après48heuresengardeàvue,lepré-
venucomparaitcemardimididevant
la XXIIIe
chambre du tribunal cor-
rectionnel de Paris. C’est la troisième
fois qu’il fait face aux juges, après vio-
lencessursonépouseen2009etcon-
duiteenétatd’ivresseen2014.
Grand trapu, mono sourcil épais
enV, cheveux rasés et barbe en col-
lier, Koffi se tient bras croisés dans le
box. Il prend soin de ne pas plisser
sonensembledesurvêtementAdidas
bleu électrique, floqué au logo du
clubdefootChelsea.
Troisadultes,troisenfants
ettroistrottinettesdans
unecaged’ascenseur
À l’énoncé des faits, il gesticule, sur-
joue avec ses mains, s’offusque. Paris
XXe
. Ce samedi 12 mars, M. Koffi a
bu. Il revient des courses avec sa fille
de 11 ans. Se gare à l’arrache sur une
place de livraison. Galère à trouver
son badge d’ascenseur. M. Kazmeir-
zack rentre de promenade avec sa
femme et leurs deux filles, de 12 et
4ans. Les voisins du 4e
ne s’aiment
pas. Cinq ans que la situation s’enve-
nimeentrelesdeuxfamillesetqueles
menaces de Koffi s’intensifient à
l’égard du flic. S’ensuit un huis clos
oppressant : trois adultes, trois en-
fants et trois trottinettes dans une ca-
ge.
Àl’audience,leprésidentThouvenot,
mâchoire large, raie plaquée côté
droit et petites lunettes, condense la
suite des faits : « Langage discour-
tois, intimidations, menaces. Vous
frappez à deux reprises votre voisin,
devant femme et enfants. » « Carot-
tes, champignons, tomates, les cour-
ses volent dans la cage d’ascenseur,
les enfants sont en pleurs », ajoute la
victime.
Depuis 2008, Paul Koffi est manager
chezOfficedépôt,unmagasindemo-
bilier de bureau à Villepinte. Il gagne
1 500 euros par mois et paye 500 de
loyer.Sonavocate,MaîtreAlaoui,pe-
tite quinqua iranienne, cheveux aca-
jou et grosses lunettes, abat sa pre-
mière carte. Tremblante, elle tend
unefeuilleauprésident.« Partout,on
dit de lui qu’il est impeccable et res-
ponsable dans son travail. Voyez
vous-même. » Le président se tourne
vers l’une des deux assesseurs, plai-
sante, joue avec un élastique. L’avo-
cate poursuit : « Peut-être que M. Ka-
zmeirzackseprendpourlegendarme
del’immeuble,imposesaloi…çaaga-
ce.»
«Onnepeutpasdireque
voussoyezlevoisinidéal»
Face à l’enquête de voisinage, l’argu-
ment est léger. Thouvenot prend une
inspiration : « Trouble la résidence,
régulièrement alcoolisé, ne sait pas
communiquercalmement,cachedes
canettes derrière le compteur électri-
que du 4e
, peu loquace, comporte-
ment à problèmes… Vous n’avez pas
l’air agréable à rencontrer dans les
couloirs,onnepeutpasdirequevous
soyez le voisin idéal. » L’avocate ten-
te une nouvelle approche : « On ne
peut pas priver M. Koffi de son tra-
vail. Il a trois enfants à nourrir, son
nourrisson est un grand prématuré
qui a besoin de soins. » Dans le box
des prévenus, Koffi pleure, essuie
grossièrement ses larmes, comme un
enfantgrondé.
Viennent les réquisitions. Une voix
puissante s’élève. « Quelle sera la
prochaine étape ? Un préjudice plus
important ? Je m’inquiète énormé-
ment pour l’avenir de ces deux fa-
milles. Je suis d’autant plus inquiète
queM.Koffin’aeuaucunmotpourla
victime. » La procureure requiert dix
mois d’emprisonnement, dont cinq
avec sursis, mandat de dépôt et régi-
me de semi-liberté pendant cinq
mois.
« Un dernier mot, M. Koffi ? ». Son
visage se tend, il joint les mains, im-
plore son voisin. Il est devant le mur
des lamentations. « Je suis désolé de
ce qui est arrivé. Tout ça m’a servi de
leçon, venir ici, pas voir mon fils pen-
dant trois jours… » Cédric Kazmeir-
zacknedaignemêmepasleregarder.
C’est l’heure du jugement. Koffi s’agi-
tesurlebanc.Frénétique,ilenchaîne
lessignesdecroix,embrassepouceet
index. L’ensemble collégial a suivi les
réquisitionsdelaprocureure,etajou-
te 1 300 euros pour préjudices physi-
que et moral. La prestation théâtrale
n’aurapassuffi.
MarionSaive
PARIS (PALAIS DE JUSTICE) COMPARUTIONS IMMÉDIATES
Lessignesdecroixn’aurontpassuffi
Alcool et querelle de palier.
Un mélange explosif pour ce père
de famille, qui se présente aux
juges pour la troisième fois.
! Palais de justice de Paris, mardi 15 mars 2016. Photo Marion SAIVE
GIER - PILAT
Rédaction : 21 rue Gambetta, 42400 Saint-Chamond - 04 77 22 42 86 - lprstchamond@leprogres.fr ; Publicité : 04 77 91 48 69 - lprpublicite42@leprogres.fr
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DIMANCHE 25 OCTOBRE
A 14H30
BIJOUX, TABLEAUX,
OBJETS D’ART
et MOBILIER
Expositions publiques :
vendredi 23 octobre de 14h à 18h
samedi 24 octobre
de 10h à 12h et de 14h à 18h
dimanche 25 octobre de 10h à 12h
TEMOIN
D’UNÉVÉNEMENT
VOUS AVEZ
UNE INFO
FILROUGE
À
la paroisse arménienne
catholique de Saint-
Chamond, Hovig (1),
grand gaillard de 21ans, et sa
mère Gayané(1), enseignante
en littérature de 45 ans, pren-
nent place autour de la table.
Fin juin, ils ont quitté leur vil-
lage d’Al-Fourat (à 300 km
d’Alep, à l’est de la Syrie) pour
la France.
« On ne
comprenait plus
qui était allié
avec qui
et qui se battait
contre qui »
Gayané, réfugiée syrienne,
45 ans
Après être passés par Bey-
routh (Liban) et Istanbul
(Turquie), Gayané, son mari,
Hovig et sa sœur de 16 ans,
ont été hébergés dans un petit
appartement, au premier
étage de la paroisse.
Ils habitent depuis peu un
logement à Saint-Chamond et
suivent des cours de français
à l’Ifra (Institut de formation
Rhône-Alpes) de Saint-
Étienne.
Avant que la guerre civile
n’éclate en Syrie, Gayané et
son fils se souviennent qu’ils
vivaient « en parfaite harmo-
nie » avec leurs voisins, « que
chacun respectait les tradi-
tions de l’autre » et qu’ils
« célébraient même les fêtes
religieuses chez leurs amis
musulmans. » Mais « ces deux
dernières années, c’était
devenu très difficile, on ne
comprenait plus qui était allié
avec qui, qui se battait contre
qui », confie Gayané, le visage
fermé. Coupures d’eau et
d’électricité à répétition, vols
de voitures, tirs d’obus en
pleine nuit, « on n’était plus
en sécurité », poursuit-elle,
mains jointes sur la table. « Je
continuais d’étudier mes
cours d’économie à la bougie,
chez moi, le soir, jusqu’au
jour où des tirs de mortiers
sont partis dans toutes les
directions à l’université », se
rappelle Hovig, emmitouflé
dans sa doudoune bleu
marine. Se nourrir devenait
compliqué, les terroristes
coupant les routes pour
empêcher le ravitaillement
des villages. « À la boulange-
rie, 500 personnes faisaient la
queue pour acheter un pain
qui coûtait trois fois plus
c h e r » , r e l a t e l e j e u n e
homme. Sans compter la vio-
lence des terroristes.
« Un jour, ils ont arrêté un ami
au volant de sa voiture et ils
l’ont menacé : “Renie ta reli-
gion et tes origines, sinon on
te coupe la tête” », rapporte-t-
il, faisant mime de se trancher
la gorge. « Ils kidnappent les
chrétiens et demandent des
rançons en retour », renchérit
sa mère, qui précise : « Mais
les musulmans qui refusent
de se plier aux terroristes sont
autant menacés. »
La famille, qui bénéficie du
statut de réfugié politique, n’a
pas eu à payer de visa. Seuls
les billets d’avion étaient à
leur charge.
Une somme conséquente, que
quelques amis d’Hovig, restés
en Syrie, n’avaient pas les
moyens d’avancer.
Les papiers définitifs en
cours, l’intégration de la
famille « à l’occidentale » se
poursuit, même si Gayané
avoue que le café et le brin de
causette, le matin chez ses
voisines syriennes, lui man-
quent un peu. Désormais, elle
dit vouloir « faire (ma) vie en
France. » Hovig, qui ne lâche
pas son téléphone portable
des mains, lève soudaine-
ment les yeux : « Mon avenir
était compromis en Syrie, en
cours, l’apprentissage est pri-
mitif. En France, il y a plus de
possibilités, on évolue vite. »
« On retournera peut-être un
jour en Syrie, quand la guerre
sera finie, mais uniquement
pour vendre notre maison. »
Elle marque une pause.
« Encore faut-il qu’elle n’ait
pas disparu sous les bombes,
ou que les prix de l’immobi-
lier n’aient pas trop baissé »,
ajoute-t-elle, esquissant un
sourire. ■
(1) Les noms ont été modifiés
afin d’éviter tous risques
pour eux et leur famille.
Marion Saive
SAINT-CHAMONDSAINT-CHAMOND Réfugiés syriens : « D’abordRéfugiés syriens : « D’abord
on vit, après on philosophe »on vit, après on philosophe »
Témoignage. Arrivés fin juin en France, Gayané et son fils
Hovig, réfugiés syriens arméniens et chrétiens, nous livrent
leur témoignage.
35 000
C’est l’estimation qui est faite du nombre d’Arméniens catholi-
ques, en Syrie, en 2015.
« Cent ans après le génocide arménien, l’histoire recommence et
les Arméniens chrétiens fuient leur pays d’accueil », déplore Annik
Boyadjian, présidente de la paroisse. Les membres de la famille
de Gayané ont essaimé un peu partout en Europe, pour des rai-
sons de sécurité. Une sœur est à Stockholm (Suède), une autre à
Vienne (Autriche).
D’une vie prospère à précaire
Par manque de nourriture, la famille tente de faire parvenir de la
marchandise d’Irak, passe par les lignes téléphoniques turques
pour communiquer, achète un petit générateur pour subvenir à
ses besoins en électricité.
Les séjours à Alep, pour rendre visite à la famille, aller chez le
coiffeur et faire les magasins, se font rares. Désormais hors de
danger, ils gardent un esprit pragmatique : «D’abord on vit, après
on philosophe. La priorité, c’est les papiers, apprendre le français
et les études. Les amis, les activités, ça passe après », résume
Hovig.
■ Hovig et Gayané (de dos pour ne pas être reconnus), accompagnés du père Antranik Atamian, prêtre
de la paroisse arménienne de Saint-Chamond, qui a bien voulu traduire de l’arabe au français. Photo Marion Saive
19
42D - 1
ACTU GIER
JEUDI 5 JANVIER 2017 LE PROGRÈS
www.leprogres.fr
Il faut passer plusieurs sas
avant de pénétrer dans le
« showroom »delabijouterie
septuagénaire Dorey, à Loret-
te. Sol en jonc de mer, vitrines
de bois clair, quelques fau-
teuils molletonnés. Dans les
vitrines éclairées, des bagues,
colliers et bracelets sertis de
pierres précieuses sont soi-
gneusement disposés. Le lieu
épuréforceausilence.
Danssonbureaujouxtantl’ac-
cueil, Romain Pangaud, veste
noire brodée à son nom, gros-
se montre au poignet et mo-
cassins auxpieds,travaillesur
des boucles d’oreilles serties
depierresprécieusesviaunlo-
giciel CAO (conception assis-
tée par ordinateur). Un post-it
indiquelenumérodelapolice
sursonPC,sécuritéoblige.
Unartisanémerveillé
L’artisan joaillier de 35 ans a
racheté la bijouterie aux fils
Dorey en 2010 et allie depuis
tradition et modernité. À
l’écouter parler du rubis qu’il
vient de dénicher (« un rouge
chatoyant, pas trop foncé,
avec une belle vivacité »), on
sent que le petit-fils de viticul-
teur, près de 20 ans de métier,
est resté un gamin émerveillé.
Ce diplômé « expert en dia-
mants taillés » de l’Institut in-
ternational de gemmologie
d’Anvers, labellisé joaillier de
France en 2012 (ils sont 50 à
pouvoir s’en targuer dans
l’Hexagone) et maître artisan
joaillieren2015,sedit« àcon-
tre-courant du luxe industriel
parisien ».
« Eux, c’est les bijoux en série,
lasous-traitanceàl’étrangeret
un marketing abusif. Nous
n’avons pas à rougir », dit-il.
Luimisesurlesur-mesureetla
qualité. « Production contrô-
lée », « développement mesu-
ré », « forte sélection sur les
pierres », « traçabilité », « cri-
tèresd’exigence »…
Romaincalibresesmotscom-
me il travaille. Avec minutie.
Quand on lui demande com-
mentseportel’entreprise,ilré-
pond à demi-mot : « L’activité
nous va bien. » Chez lui, les
gensviennentparrecomman-
dation. Pas de « style mar-
qué », une palette d’offres très
large et des demandes atypi-
ques(àNoël,unclientluiade-
mandé de créer un pendentif
en forme de serre d’aigle te-
nantunegrossepièceenor).
« Lebijou,c’estun
objetdebonheur »
Lasociétédehuitsalariésallie
traditionnel (travail à la main
du métal forgé, croquis réali-
sés au crayon de bois) et mo-
derne (CAO, découpe laser et
impression 3D). Deux mois
peuvents’écoulerentrelemo-
ment où Romain choisit une
pierreprécieuse(lesdiamants
viennent du Japon, des États-
Unis ou d’Anvers, les émerau-
desetsaphirsduSriLanka,les
rubis de Birmanie) et le début
dutravaildeconception.
« Le bijou, c’est un objet de
bonheur, il est là pour faire
plaisir à quelqu’un. En tant
qu’artisan joaillier, on entre
dans l’intimité du cadeau, du
geste, c’est gratifiant. On
s’amuse à créer selon la per-
sonnalitédesclients. »
Il doit justement recevoir un
Suisse qui souhaite imaginer
avecluisabaguedefiançailles.
Deuxheuresetdemiederoute
aller, autant au retour, et les
mêmestrajetslejouroùilvien-
dra chercher le produit fini à
l’atelier.Laqualitéaunprix.
MarionSaive
LORETTE ARTISANAT D’ART
Bijouterie-joaillerie Dorey : 70 ans
au service des pierres précieuses
Ilyaseptans,RomainPan-
gaudetsafemmeSandrine
ontrachetéleuratelier-bouti-
queàlafamilleDorey.Ici,on
travaillelesmétauxetles
pierresprécieusesdepuis
70ans.Danslatraditionet
avecdesoutilsmodernes.
n Un bijoutier à l’œuvre. Photo Yves FLAMMIN
3C’est le nombre de maîtres
artisans joailliers dans la
Loire : Audouard (Saint-
Étienne), Taillandier (Mont-
brison), Dorey (Lorette).
Historique :
Pierre Dorey a créé
sa bijouterie en 1946.
Ses deux fils, Jean-Pier-
re et Noël, ont pris la
suite. Il y a sept ans,
Romain Pangaud et sa
femme, Sandrine (qui
s’occupe de la gestion,
comptabilité et partie
commerciale), ont ra-
cheté la société, repre-
nant la totalité de l’ef-
fectif. Depuis,
le couple Pangaud a
renforcé l’artisanat,
investi dans des locaux
et nouvelles machines
dernière génération,
formé deux apprentis,
étoffé
les collections
Quelques dates :
2010 : 1er
prix de la
reprise d’entreprise
de la Loire
2012 : label joaillerie
de France
2015 : titre de maître
artisan joaillier
2013 et 2016 : investis-
sements dans
de l’outillage moderne
et « showroom »
totalement rénové.
n Photo Yves FLAMMIN
REPÈRE
Autre ambiance côté atelier. Sur fond de
musique pop rock, Damien, dix ans de
métier, et Régis, plus du double, assis face
à l’établi en chêne, bustes penchés en
avant, travaillent minutieusement. Sous le
puits de lumière (le plafond est vitré), l’un
agrandit une alliance trop petite, l’autre,
fraise du chirurgien en main, s’applique à
sertir un saphir rose sur une monture de
boucle d’oreille. « Il essaye d’utiliser le
minimum de métal pour mettre en valeur
la pierre », explique Romain Pangaud, ac-
coudé à un laminoir vieux de deux siècles.
Plus que la création, l’activité de répara-
tion occupe la majeure partie du temps de
Damien. « Avant, les femmes gardaient
les bijoux dans leurs couffins et ne les
sortaient que pour les grandes occasions.
Aujourd’hui, elles veulent les porter, d’où
l’usure », détaille Romain. Sous les postes
de travail des artisans, une peau de cuir
récupère la limaille d’or, formée après
limage des bijoux. Le précieux métal, ve-
nu se loger sous les ongles de Régis et
Damien, est lui aussi mis de côté. On ne
badine pas avec l’or.
Utiliser le minimum de métal pour mettre
en valeur la pierre précieuse
Même s’il n’est pas
adepte du « merchandi-
sing », Romain sait valo-
riser son entreprise :
« C’est la seule bijoute-
rie de la Loire à être
tenue par des joailliers
de métier depuis trois
générations. » Il s’ap-
puie sur ses points
forts : une fabrication
française exclusive, au
cœur de l’atelier, à un
prix juste. Quitte à flir-
ter, parfois, avec ce
marketing qu’il exècre.
« La beauté, la pureté,
la perfection est pour
Romain Pangaud une
devise de tous les ins-
tants », peut-on lire sur
la page Facebook de la
bijouterie Dorey.
PRATIQUE Bijouterie joaillerie
Dorey, 27, rue Jean-Jaurès,
Lorette. Tél. 04.77.73.33.60.
ZOOM
«LaseulebijouteriedelaLoiretenuepardes
joailliersdemétierdepuistroisgénérations»

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Portfolio Marion Saive

  • 1. 10 www.leprogres.fr SAMEDI 6 AOÛT 2016 LE PROGRÈS Accompagner les détenus dans leur recherche d’emploi, vérifier qu’ils se soignent ou paient leurs indemni- tés,mettreenplacedesgroupesdepa- role, repérer ceux qui basculent dans l’islam radical, gérer la paperasse ad- ministrative… Les vingt-sept con- seillerspénitentiairesd’insertionetde probation (CPIP) stéphanois gèrent chacuncenttrentedossiers,quandles normes pénitentiaires européennes enpréconisentsoixante. « C’estdel’abattage,on gèredesmassesdegens » Danslesterritoiresruraux,leratioest aussiplusélevé,avecunemoyennede centdossiers par personne, comme, parexemple,auPuy-en-Velay. Conscient du rapport déséquilibré (conseillers/personnes prises en charge),leministèredelaJusticeaan- noncéunrecrutementdemilleagents en 2014. Avec les départs à la retraite et changements de profession, les quatre embauches au Service péni- tentiaire d’insertion et de probation delaLoiren’ontpaschangéladonne. Le 10 juin, quinze agents se sont dé- placésdurantleurpausedéjeuner–ils n’ont pas le droit de grève – devant le Palais de justice de Saint-Étienne. Lassés, ils sont venus réclamer de meilleuresconditionsdetravail. Une petite blonde, en poste à la mai- son d’arrêt de La Talaudière, fulmi- nait. « On fait de la quantité au détri- ment de la qualité. Le premier entretien individuel (sorte d’analyse complète du détenu : situation per- sonnelle, familiale, but dans la vie, et base du projet d’accompagnement, NDLR),estpasséd’uneheureàtrente minutes. Les rendez-vous mensuels, supposéscréerunliendeconfianceet assurer une continuité dans le suivi, n’ont lieu que tous les deux ou trois mois, et se résument par un bonjour, contrôledesobligations,aurevoir ». À côté, un collègue annonçait vingt- cinq rendez-vous dans son planning du jour. « C’est de l’abattage. On gère desmassesdegens.Onsecontentede les renvoyer vers la CAF ou les assis- tantessociales. » « Ilarrivequ’ilsnouslaissentdesmes- sages suicidaires sur le répondeur quand ils vivent une période difficile. Maisavectoutleboulotqu’ona,onne prend pas forcément la peine de les écouter… », ajoute un autre con- seiller. À l’association du Grep de la Loire (Groupe réinsertion emploi proba- tionnaires), les détenus ne s’y trom- pent pas. « Les CPIP, c’est des fonc- tionnaires de l’État, ils rendent des comptes. Si t’as envie de parler de tes problèmes, ils te disent qu’il y a des psychologues pour ça », résume Maydhine, 27 ans, les yeux cernés, condamné à 36 mois de détention pour violences, en régime de semi-li- berté.Samir,34ans,voixposéeetbra- celet électronique au pied, dénonce une hypocrisie. « Tant que tu passes pas devant le JAP (juge d’application despeines),t’espasleurpriorité. » MarionSaive NOTEContactée,ladirectionduService pénitentiaired’insertionetdeprobationde laLoiren’apasdonnésuiteànos sollicitations. LOIRE ENQUÊTE LaLoire,territoireàcomposante rurale,n’estpaslaprioritédel’Admi- nistrationpénitentiaire,quirenforce d’abordlesrégionsditesàrisques.À Saint-Étiennedonc,lesdossiers s’entassent.Ensous-effectif,les 27conseillerspénitentiairescroulent sousletravail.Lesuividesdétenus etlaréinsertionsontmisàmal.Etle contexteterroristerebatlescartes desservicespénitentiaires. nPourlemilieufermé,lamaisond’arrêtdeLaTalaudièrecomptait329personnesdétenuesau1 publieplusaucunchiffredepuislepremiertrimestre2015.Au1er janvier2015,leServicepénite « Soit on fait un service minimum pour tout le monde, soit on fait des choix », tranche Philippe Pottier, ex-directeur de l’École nationale de l’Administration pénitentiaire, retraité depuis janvier. Les condamnés en assises et les agresseurs sexuels sont prioritai- res sur les auteurs de vols ou braquages. « C’est humain, on va d’abord vers les dossiers pour lesquels on craint le plus la récidive », commente Olivier Caquineau, secrétaire général Sne- pap-FSU. Même si les études démontrent que le violeur récidive deux fois moins (19 % sur mineur, 39 % sur adulte) que le petit délinquant (74 % pour un vol simple, 76 % pour violences) (1) . Ces derniers n’ont parfois qu’un seul rendez-vous sur toute la durée de leur détention. « C’est pourtant avec ces jeunes en manque de repères qu’on peut agir. Pour beaucoup, il suffirait de leur redonner une place dans la société », commente une travailleuse sociale d’un foyer d’hébergement pour sortants de prison. Alors, ce manque d’accompagnement se traduit en « sorties sèches » : 80 % des détenus français quittent la prison sans même que leur pièce d’identité n’ait été renouvelée ou qu’une procédure pour l’accès aux droits sociaux n’ait été lancée. Or, sans suivi, 63 % des sortants de détention y retournent dans les cinq ans. Avec un taux de récidive global à 59 %, en hausse de sept points depuis la fin des années 90, la France est loin de ses voisins nordiques : 20 % environ pour la Finlande et la Norvège, qui ont préféré la réhabilitation à la prison. (1) Étude de 2011 d’Annie Kensey (chercheuse et démographe de l’Administration pénitentiaire) menée sur un échantillon national de 7 000 sortants de prison, entre le 1er juin et le 31 décembre 2002. 59 % de taux de récidive en France, 20 % en Scandinavie Lasituationpréoccupantedes 130Le nombre de dossiers suivi par chacun des vingt-sept con- seillers pénitentiaires de Saint- Étienne. En France, un CPIP suit en moyenne 70 dossiers, mais suivant les régions et les problématiques de terrain, le ratio n’est pas le même. À Marseille, « capitale de la criminali- té », les services ont été renforcés et chaque CPIP suit environ 60 dossiers. L’urgence des conseillers, c’est d’être à jour dans les dossiers. Aides à la décision judiciaires depuis 2014, ils transmettent les comptes-rendus d’entretiens aux magistrats qui jaugent, sur le papier, le profil des détenus pour leur accorder ou non leur aména- gement de peine. Bilan, les agents tapent rapport sur rapport. Le plus souvent assis devant leurs ordinateurs, les conseillers sor- tent peu rencontrer les familles ou participer aux formations de l’École nationale de l’Administra- tion pénitentiaire, à Agen. « Je m’interdis de les faire, sinon je rame pendant des semaines pour rattraper le retard dans mes dos- siers », dit une CPIP. ZOOM « Je m’interdis de faire des formations, sinon je rame pour rattraper le retard »
  • 2. 11 LOI - 1 ACTU LOIRE ET RÉGION 1er juillet,pour7conseillersd’insertionetdeprobation.Pourlemilieuouvert,l’Administrationpénitentiairene entiaired’insertionetdeprobationdelaLoiresuivait1 931personnespourunevingtainedeCPIP.PhotoLEPROGRÈS conseillerspénitentiaires Avec les attentats terroristes qui se- couentlaFrancedepuisunanetdemi, les fichés S retiennent toute l’atten- tiondesconseillerspénitentiaires.Dé- jàsousl’eau,lesconseillersd’insertion doiventrepérerlescomportementsis- lamistes radicaux des détenus. Mais avecunesensibilisationexpressd’une demi-journée pour la majorité d’entre eux, qui se résume à différencier sala- fisme et terrorisme ou visionner un filmscénarisésurlaradicalisation,les outilssontmaigrespouragirsurleter- rain. Barbes trop longues ou soudain rasées,proposanti-françaisetconver- sions à l’islam sont parfois signalés à tortetàtravers. « Alorsest-cequ’onouvre leparapluie ? » « Aprèsle13novembre,onaentendu des “Vous l’avez bien cherché, vu comme vous nous traitez, faut vous attendre à ce que ça recommence”. Pourtant, ces mêmes personnes trai- tentDaeshdesalauds…C’estcomple- xe,expliqueuneCPIP.Sionneditrien et qu’il se passe quelque chose, ça re- tombe sur nous. Alors est-ce qu’on ouvre le parapluie et on signale tout comportement suspicieux ? Ou on prend le risque de trier et de passer à côtéd’individusradicalisés ? » « Ondoitrenseigner ?Ouprendreen charge les personnes qu’on soupçon- ne d’être radicalisées ? », questionne unautre.Pourrépondreàl’urgenceet renforcer les équipes, le Plat (Plan de lutte antiterroriste), ordonné à la va- vite en février 2015, a été lancé. Il a permis de créer 483 postes d’éduca- teurs et dégager un budget de 80M€. Après une formation éclair d’un an, les psychologues tout juste sortis de l’Enap ont été engagés pour travailler enbinômeaveclesconseillersd’inser- tion. Censée soulager les services péniten- tiaires, cette cohabitation vire au fiasco. Faute de consignes claires, les deux corps de métiers naviguent à vue. « Ils ont zéro expérience en mi- lieu pénitentiaire, lâche un CPIP. Ils assistent aux entretiens individuels, ont accès à nos dossiers… On se mar- che dessus. Quand t’as un collègue clairementétiqueté“luttecontrelara- dicalisation” à côté de toi, ça facilite pas le boulot ! Ils ont créé une usine à gaz. » Et l’actualité maintient la pression danslesservices.Aprèsl’assassinatdu prêtre de Saint-Étienne-de-Rouvray, le26juillet,pardeuxjeuneshommes– l’unsousbraceletélectronique,l’autre fiché S – les services pénitentiaires sont pointés du doigt. Lorsqu’un dra- medecetypeseproduit,l’opinionpu- blique, mobilisée via les médias, s’échauffe,désignedescoupables. Sous pression, l’Administration péni- tentiaire demande des comptes aux services, relit rapports et évaluations desCPIP,tentedecomprendrecequi a pêché dans le suivi du détenu… Quitte à donner de nouvelles directi- ves aux agents, et à rendre leurs mis- sionsencoreunpeuplusconfuses. Radicalisation,terrorisme :« Ilsontcrééuneusineàgaz » nL’assassinatduprêtredeSt-Étienne-du-Rouvray(Seine-Maritime)aétécommis pardeuxhommes,l’unsousbraceletélectronique,l’autrefichéS.PhotoMaxPPP « Les actions sont très variables d’un territoire à l’autre. Il ne se passe pas la même chose à Saint- Étienne et Roanne, ou à Corbas et Villefranche. Pourtant, Corbas et Villefranche dépendent du même service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), Saint-Étienne et Roanne du même également. Tout dépend aussi des relations qui sont entretenues entre le directeur d’un SPIP et ses agents. À ce que j’entends, elles ne sont pas mauvaises dans la Loire. Ce n’est pas le même cas à Villefranche et Corbas. Suite à la loi pénitentiaire du 15 août 2014, beaucoup de choses positives ont été faites pour la réinsertion, notamment les alternatives à la prison et les aménage- ments de peine. Mais derrière, ce n’est pas appliqué : cela demande plus de suivis pour les juges, les Institu- tions et les SPIP ne sont pas préparés… Sans compter que ces mesures alternatives dépendent des juges et du parquet, qui craignent de les mettre en place. Mais la frilosité n’est pas uniquement du côté des juges d’application des peines (JAP). Les conseillers doivent monter un dossier et convaincre le juge de mettre en place l’aménagement de peine. Un JAP volontaire avec un CPIP convaincu du bien-fondé de la loi de 2014, ça fonctionnera, mais c’est très variable suivant les per- sonnes qui dialoguent ensemble. Sans compter que les CPIP suivent trop de personnes pour connaître les dossiers… Leurs missions ont changé : ils sont passés de la prise en charge des détenus à leur évaluation, ils ne sont plus dans l’action. » « La loi pénitentiaire de 2014 n’est pas appliquée » Bernard Lecogne, délégué régional de la Farapej (Fédération des associations réflexion-action, prison et justice)
  • 3. LOCAL 17 42D - 1 ACTU GIER JEUDI 12 MAI 2016 LE PROGRÈS www.leprogres.fr Agence de LyonAgence de Saint-Chamond 21 rue Gambetta, 42400 Saint-Chamond Téléphone Rédaction : 04.77.22.42.86 Pub : 04.77.91.48.69 Mail Mail lprstchamond@leprogres.fr lprpublicite42@leprogres.fr Web www.leprogres.fr/loire/ saint-chamond Facebook www.facebook.com/ leprogres.gier.pilat Twitter https://twitter.com/Gier_Pilat Vous avez une info ? LPRFILROUGE@leprogres.fr 0 800 07 68 43 Ils ont perdu leurs cheveux longs et blonds.Lestroiscompèresdelaban- dedesquatre,André,DenisetJoël(Hu- bertestdécédéenmai2008),amisd’en- fance, collègues à l’usine de robinetterie et fans des Verts, se remé- morent leur périple jusqu’à Glasgow (Écosse), quarante ans plus tôt, pour assisteràlafinaledelaCoupedesclubs champions européens contre le BayernMunich. « 70 000spectateurs assistentàlafinale duPetitPoucetcontre lagrossecylindrée » Samedi8mai1976.Lesquatreamis,la vingtaine, embarquent dans la Simca 1501 d’Hubert. « On s’était dit que si Saint-Étienne allait en finale, on mon- taitpourvoirlematch.C’estuntrucqui sevitunefois.C’étaitl’occasion :onvi- vait chez nos parents, on travaillait. L’argent qu’on gagnait, c’était pour les fêtes et le foot. Alors on a posé notre semainedecongé. »Aprèsuneétapeà Calais, ils prennent « le bac», le ferry, qui les amène à Douvres, en Angleter- re. « On avait du temps devant nous, alorsonavouluprendrelespetitesrou- tes. Déjà que rouler à gauche, c’était pas simple. Il a fallu demander notre chemin en anglais… Bref, on s’est per- du un tas de fois, mais on est arrivés le mardi,laveilledelafinale »,serappelle Joël. Les supporters sont accueillis commedesprincesdanslavilleouvriè- re, qui arbore les mêmes couleurs que les Stéphanois : le vert et le blanc du Celtic,undesdeuxclubsdefootlocal. «On était bien vus, le public était ac- quis à notre cause. On jouait quasi- ment à domicile », ajoute André, le sé- rieux du groupe. Le stade d’Hampden Parkestcomplet.« 70 000spectateurs assistentàlafinaleduPetitPoucetcon- tre la grosse cylindrée ». Rocheteau, Santini, les frères Revelli, Lopez, Lar- qué,Curkovic,Janvion,Bathenay,Sar- ramagna,Piazza…« Unebandedepo- tes qui jouaient ensemble depuis plus de cinq ans. On n’avait pas de joueurs starscommeauBayern,toutlemonde étaitaumêmeniveau. » Le trio feuillette le magazine de l’épo- que, Le Miroir du foot, titré «L’épopée de Saint-Étienne, 100 photos choc », minutieusementconservéparDenis.Il montredudoigtAndré,grimpéenhaut d’un poteau dans les rues de Glasgow, surunephotoennoiretblanc.L’après- match. « On se serait cru à Sainté, on était chez nous, du vert partout, c’était l’euphorie. Les Allemands, on les voyait pas, on les entendait pas… » Pourtant, la finale se solde par une dé- faite.1-0pourleBayern.Lestroisamis sesouviennentdesjoueursstéphanois, enpleursàlafindumatch.« Onyacru jusqu’aubout,ditDenis,encoreabattu. Ilsétaientloind’êtredominés.Lafaute à pas de chance, les fameux poteaux carrés…»« Unefinale,onal’habitude dedirequeçasegagne,commenteJoël. MaisenFrance,onaimebienlesPouli- dor. S’ils avaient gagné, ça n’aurait peut-êtrepaseulemêmeimpact. » Restés quelques jours en Écosse après la finale, André, Denis, Joël et Hubert arriventàParisdeuxjoursaprèslepas- sage des Stéphanois, acclamés en hé- ros sur les Champs-Élysées. « Gagné ouperdu,l’événementétaitécrit.» MarionSaive n Noël Reat, président du club de supporters des Verts de la Vallée du Gier, André Peyraverney, Denis Pavel et Joël Degraix se replongent dans les photos et les souvenirs de Glasgow. Photo Marion SAIVE «ÀGlasgowonétaitbienvus, onjouaitpresqueàdomicile» SAINT-CHAMOND FINALE 1976 Ilsétaientquatre.Quatrepotesde 20ansàrêvergrâceauxmatches épiquesdesVerts,en1976.Alors quandSaint-Étiennes’estqualifié pourlafinaledelaCoupedesclubs championseuropéens,ilsontsauté dansleurvoiture,directionGlasgow. Le club de supporters des Verts de la Vallée du Gier vend les casquettes de l’époque, produi- tes au Puy-en-Velay en 1976, lors de l’épopée des Verts (Denis en porte une sur la photo). CONTACT Noël Reat, président du club de supporters de la Vallée du Gier. Tél.06.83.12.95.83. Prix : 12euros adhérents, 15euros extérieurs. Descasquettes collectoràlavente } Unefinale,çasegagne. MaisenFrance,onaime bienlesPoulidor. ~
  • 4. Document:/BJP/01-Q15/Parutions/Frigo/Pages/Actualité/Locales/42D/Annonay-région/fait div Marion.pgl BJP_Q15_Print ... Auteur:saivema Date:18/11/2016 23:31:41 Dans le quartier des Sept Mares d’Élancourt, « 7-8 », ils l’appellent « la p’tite dame ». 1m55, Portu- gaise, la soixantaine, che- veux bruns attachés en queue-de-cheval bien tirée en arrière. « Insignifiante mais gracieuse », « c’est pas Claudia Schiffer ». La « ma- mie classique qui se noie dans la masse » a volé le ta- bac presse où elle travaillait comme femme de ménage. Sur l’esplanade, le Carre- four Market monopolise l’espace, au milieu des HLM crépit beige. Au balcon, une femme noire fume sa ciga- rette. Sous les terrasses en escaliers, les balustrades se découpent en vaguelettes. La pierre blanche a noirci. Ce mauvais Gaudi fait écho aux villes nouvelles cons- truites dans les années 1970. Les commerces se sont mul- tipliés au pied des tours. Boulangerie, école de con- duite, cinéma, salle de spec- tacle, bar brasserie, librairie. Et, un tabac presse. Le store est relevé aux trois quarts et l’allée piétonne déserte. Il suffit de pousser la porte pour rencontrer les Elan- courtois. La masse de clients s’agite, fait la queue aux caisses, réclame des gains. 1 133 jeux à gratter, chipés par la femme de ménage Dans le coin à gauche, c’est l’espace PMU. Olivier, yeux très clairs limite vitreux, dents jaunies, encourage son cheval devant le poste télé. « Et merde, le 2 est déjà arrêté ». Ex-manager chez Carrefour Market, il vendait « des belles gambas 70heu- res par semaine ». Burn Out. Alors, il se tourne vers les paris. Devient addict. « Addictus, en latin, c’est mettre son corps en gage. Ça vient d’un Romain qu’était criblé de dettes. D’ailleurs, c’est fini pour aujourd’hui, je m’en vais. » Upside down de Diana Ross résonne dans l’établisse- ment. Le patron débarque. Trapu, lunettes ébréchées, crâne chauve parsemé de tâ- ches brunes. Diamant à l’oreille gauche, un Mon- sieur Propre version minia- ture. À 54 ans, divorcé et père d’un fils unique de 24 ans, Eric Lopeze a repris le Mag Presse d’Elancourt il y a 7 ans, « parce que c’était une bonne affaire ». Mais il p e r d d e s s o u s . 170 000 euros. Soit les 1 133jeux à gratter, chipés par la femme de ménage. Une situation qui durait de- puis un an et demi. Un an et demi de « surveillance rap- prochée du personnel, d’in- terrogatoires, de fouilles des comptes bancaires des em- ployés ». Une « sale am- biance » qui provoque le dé- pa r t de Del phi ne , en juillet 2015, suivi de Xavier, en janvier. Les vols conti- nuent malgré les cinq camé- ras de surveillance. Avec l’aide de la Française des jeux et du commissariat de police de Trappes, Eric monte un stratagème. « On a mis des tickets invalidés dans le stock de jeux à grat- ter prêts à la vente. Elle a voulu retirer son gain, mais le ticket était piégé, on l’a repérée comme ça.» Le mardi 23 février au soir, la police l’arrête. « Les flics ont débarqué au tabac, elle est partie avec les bracelets. Au départ, elle a nié. 5 minu- tes après, elle avouait. » Elle est condamnée à 12 mois de prison avec sursis. Sa fille de 28 ans, avec qui elle parta- geait les tickets volés, prend 6 mois avec sursis pour com- plicité. « Je suis déçu, elle bossait là depuis 2012, je connaissais toute sa famille, je les voyais tout le temps. C’était des grands sourires, et ils me l’ont fait à l’en- vers », s’emporte le patron. En colère, mais compatis- sant : « Elle vient pas d’un milieu aisé, elle vit avec ma- ri, fils, fille et petit fils… Elle essaye de s’en sortir. Elle a eu un mauvais délire. » Pour la boulangère d’en fa- ce, c’est l’incompréhension. « Ça me scie », lâche Deni- se, épais trait d’eye-liner grossièrement tracé sous les yeux. Cheveux blonds plati- ne rasés, son pendentif Har- ley Davidson dépasse de son col roulé. « Tous les soirs, elle prenait ses deux baguet- tes. Elle n’avait pas l’air dans le besoin, elle ne se refusait pas un petit gâteau de temps en temps. » Elle réfléchit. « C’est vrai que ça fait un moment que je ne l’ai pas vue. » Fanny, la coiffeuse à la crinière peroxydée et la voix de pompier, achète ses clopes quotidiennes chez Eric. Elle est plus incisive : « Heureusement qu’il avait déclaré sa femme de ména- ge. D’après ce qu’on dit, le mari était même pas au cou- rant qu’elle volait. Du jour au lendemain, ta femme qui roule pas sur l’or achète des écrans télés, plein d’électro- ménager, et en plus, s’en vante à tout le monde. Il de- vait bien savoir… ». « Ça m’apporte rien qu’une femme soit en prison, j’veux récupérer mon argent » Les on-dit circulent dans le quartier. « À ce qu’il paraît, les policiers ont perquisiti- onné leur domicile d’Elan- court, mais aussi celui du Portugal. » Eric veut renvoyer l’affaire en appel. « Ça m’apporte rien qu’une femme soit en prison, j’veux récupérer mon argent. Pour l’instant, la banque me suit, sinon je fermais boutique. » Il a les yeux rougis de fatigue. « Ça fait 14 mois que j’ai pas pris de vacances à cause de cette histoire. » Six jours sur sept levé à 5 h 30, il rentre le soir à Houdan, à 30 km d’ici. « À 21heures, j’avais pas envie de me rajouter une corvée. » Alors, Eric a repris une fem- me de ménage, qu’il « con- naît bien ». Malgré cette proximité avec sa nouvelle employée, les règles ont changé. Passées 19 heures, impossible pour Sylvie d’ac- céder aux jeux à gratter,bou- clés dans la réserve. La con- fiance a ses limites. Elisa Vallon et Marion Saive ÉLANCOURT FAIT DIVERS Lap’titedamequivole,gratte,gagne Danslabanlieued’Élan- court(78),ontombedes nues.Lafemmedeménage dutabacpresseduquartier desSeptMares,invisible jusque-là,avolésonpatron. Préjudice:170000euros. ! Les commerces se sont multipliés au pied des tours du quartier des Sept Mares d’Élancourt. Photo Marion SAIVE !Au fond à droite, l’espace PMU du tabac-presse attire les parieurs. Photo Marion SAIVE
  • 5. !4h55 Alexandre et Coralie Cotte, 29ans,sepenchentàlafenêtre de la cuisine. La silhouette du paysage vallonné de la vallée duGiersedessinedanslanuit. Lethermomètreextérieuraffi- che 3°C. En cinq minutes, ils avalent leur café, se brossent les dents et enfilent polaires et pantalons. Fin prêts pour tra- vailler. Equipés de lampes tor- ches, ils marchent jusqu’à la fromagerie, à quelques mètres de leur maison en bois. Ele- veurs de vaches laitières à Saint-Paul-en-Jarez, dans la Loire, les Cotte vivent à cent à l’heure, essayant de concilier viesfamiliale,syndicaleetpro- fessionnelle. L’airestchaudàlafromagerie. Les deux agriculteurs enfilent leurstabliersetbottesenplasti- que blanc. L’attrape-mouches quipendouilleauplafondena capté plus d’une au vol. Une odeur de vanille se dégage du laitcailléqueCoralieremue.A plein volume, la station locale Radioscoop donne l’horosco- pe du jour et les fait chanton- ner sur du Daft Punk, tandis qu’ilsmettentenpotlesfroma- ges blancs. Courte pause-café pourAlexandre,pressécema- tin-là. Il est convoqué à 14h30 au commissariat de Saint- Etiennepouravoirdéversédu fumierdevantleGéantCasino de Monthieu, le 15 août. Le coupleestmilitant.Lui,estad- ministrateur départemental des Jeunes Agriculteurs de la Loire. Elle, ancienne secrétai- re cantonale du même syndi- cat. Tous deux déplorent l’em- prise qu’exercent les groupes laitiersfrançaissurlesproduc- teurs«quinesaventpassedé- fendre ou qui n’ont plus la for- ce de le faire ». « En 60 ans, Lactalis, Sodiaal et Danone sont devenus tellement gigan- tesques qu’ils peuvent se pas- serdenous,ilsamassentdupo- gnonetnousregardentcouler les uns après les autres », assè- ne Alexandre. Sa femme et lui s’en sortent avec un revenu mensuelinférieurauSmic.«Je nedemandepasàtoucherdes milleetdescents,justevivrede mon métier. On en vient à compter le moindre centime, c’est triste », poursuit Coralie. Son mari embraye : « Quand onvoitquel’onn’obtientaucu- ne de nos revendications, on réalisequ’onnepèsepaslourd dans la balance socio-écono- mique. Mais je continue d’y croire, parce que si on suscite autant d’intérêt, c’est qu’on a notreplace.» LesCotteontracheté25%des parts sociales d’un Gaec (Groupement agricole d’ex- ploitation en commun) que trois frères et deux de leurs conjointes ont créé, auquel ils se sont greffés en 2009. Huit personnes au total, dont Loïc, un salarié de 22 ans, payé au Smic pour ses 42 heures heb- domadaires. Un investisse- ment à 280 000 euros pour Alexandre et Coralie, terrain, maison et parts sociales com- pris. Au sein du Gaec, ils diri- gent l’atelier de transforma- tion du lait. Tommes, bleus, beurre, crème, yaourts et bou- teillesdelaitensortentchaque semaine, distribués dans trois magasins de producteurs du coin et fromageries renom- méesdeSaint-Etienne. !7h30 Coralie retourne à la maison manger un bout et « lever les deux p’tiotes », Lily, cinq ans, et Anaëlle, un an. Bref instant enfamille,sicheràl’agricultri- ce. Sur la route pour déposer sesfillesàl’écoleetchezlanou- nou, elle croise le camion-ci- terne de Sodiaal, de passage pour relever les 6000 litres de lait du tank. Avec seulement 10%delaproductionenvente directe,illeurestimpossiblede se passer de la coopérative lai- tière. Lesjeunesparentssesontren- contrés en BTS agricole. Un choix d’étude que la mère de Coralie, une institutrice ayant vu « ses frères et sœurs trimer toute leur vie à la ferme », a longtemps rejeté. Les parents d’Alexandre, un retraité « mé- canopoidslourds»etuneem- ployée France Télécom, n’ont pas plus de lien avec l’agricul- ture.Cesdeux-làont«chopéle virus » au contact de leurs on- cles et tantes agriculteurs, aux côtésdesquelsilsontgrandi. Lecoupleafficheuntauxd’en- dettement de 40 %. Des chif- fres qui font bondir leurs pa- rents, même s’ils restent infimes face aux 80 % que d’autres supportent. Ces em- prunts, Coralie y pense à cha- que fois qu’elle monte sur une échelle. « Surtout ne pas tom- ber». La peur de faire reposer lesdettessurlesépaulesdeses filles.Grâceauxélevagesdela- pins, volailles, et de la ferme aubergeduGaec,lemanqueà gagner de la production laitiè- reestcompensé.Depuisledé- butdelacriselaitière,leurssa- laires n’ont pas baissé. Un revenumince,maisd’énormes avantagesennature. !12heures Au menu, bœuf et gratin de chou-fleur – des produits de leurferme-,queCoralieaeule temps de préparer la veille, jour de congé hebdomadaire. «Laseulechosequel’onachè- teencore,c’estdudentifriceou dushampoing»,sourit-elle. A grands coups de fourchette, Alexandre engloutit son dé- jeuner et saute sur sa moto pour se rendre au commissa- riat.Lesjouetsdesenfantsjon- chent le sol du salon. Pas le temps de ranger, il faut finir d’empaqueter les yaourts à la fromagerie.Deretour,Alexan- dre prend le relais pour « per- cerlesbleus»,Coraliepartpré- cipitammentchercherlesfilles àl’école. SAINT-PAUL-EN-JAREZ REPORTAGE «L’agriculture est un éternel recommencement» ! Lâcher des génisses dans le pré. Photo Marion SAIVE !16 heures Avec Loïc, Alexandre fait monter les génisses de trois mois dans la bétaillère. Pre- mier lâcher dans le pré. Craintives, « les bouïous » (gros veaux en patois sté- phanois) font le tour de l’en- clos, prennent un coup de jus en touchant du museau le fil électrique, puis brou- tent enfin. Dans la cour de la ferme, les voitures s’amassent. Une vingtaine d’agriculteurs endimanchés sont venus assister à l’essai d’une ensileuse à 150 000 euros. Si celui-ci s’avère concluant, le Gaec achètera la machine avec six agricul- teurs des environs, par le biais de la Cuma (Coopéra- tive d’utilisation de matériel agricole). Vient l’heure de la traite. Alexandre revêt sa combinaison de travail gris foncé et regroupe ses va- ches. Hippie, Uderzo, Frou- frou, Cocaïne, Girardot… Il les connaît par cœur. « C’est surtout à leurs mamelles que je les identifie. Je les vois défiler matin et soir de- vant moi, c’est la partie que je connais le mieux », plai- sante-t-il. Pendant plus d’une heure, s’ensuit une musique rythmée et méca- nique des trayeurs pompant le lait des Montbéliardes et Prim’Holstein. Pam Pam Tchhh. Ambiance beat-box. Cachou et Yago, les deux chiens « bâtards pure race » du couple, lèchent le lait qui s’écoule d’un pot percé, à même le sol. Loïc peste, une vache vient de lui déféquer dessus. « Les joies de la traite ». Parti pour se mettre à son compte, le jeune hom- me a finalement abandonné l’idée. « C’est trop de res- ponsabilités, beaucoup d’in- vestissements, et le lait n’est pas bien payé. Je suis jeune, j’ai envie de profiter de ma jeunesse, avoir mes week- ends... ». Il est coupé par la voisine, une des privilégiés à venir chercher son lait à la ferme. Un côté relationnel qu’Alexandre tient à entre- tenir : « Un agriculteur, c’est comme un facteur, tout le monde le connaît, il rend service. » Pour les Cotte, être agricul- teurs ne signifie pas se cou- per du monde. Malgré un rythme effréné, Coralie trouve le temps d’aller chez le coiffeur, prend soin de quitter ses « habits de pouilleuse » quand elle va chercher sa fille à l’école et s’apprête pour tenir la per- manence du magasin de producteurs. Avec un ami, agriculteur lui aussi, Alexandre pratique l’escala- de en salle, les vendredis soirs. Le couple prétend «mener une vie normale », aime « faire la bringue avec les potes », passe des soirées en amoureux en centre-vil- le. Mais Coralie et Alexan- dre doivent se contenter d’une à deux semaines de congés par an, arrivent en retard au restaurant parce qu’une vache a avalé une pomme de terre de travers, passent le réveillon en salle de traite, et ont fait une croix sur les escapades en moto le dimanche, le ski à haut niveau pour Alexan- dre et le basket pour Cora- lie. Avant de terminer sa jour- née de travail, Alexandre monte au Crêt du Pendu avec sa « Ferrari tout ter- rain», une vieille Citroën AX toute crottée dotée de pneus neige. Du haut de la colline, il contemple ses 150hectares de terrain. Les vertes prairies, les génisses qui broutent au loin, le bar- rage en pierres du Dorlay. «Quand je reviens de mes réunions syndicales sur Pa- ris, que je quitte la grisaille et la foule incessante du mé- tro, je viens là et je me dis que j’ai vraiment de la chan- ce. » !19 heures. Le jeune père ironise, un brin de foin dans la bouche : « Le luxe, c’est de rentrer chez soi à pied. » A peine ouvre-t-il la porte que Lily lui saute dessus et réclame son bisou du soir. Les en- fants couchés, le couple sa- voure une bière bien méri- tée. Ils travaillent chacun 80 heures par semaine. Ils aimeraient lâcher prise, par moments. « Le problème, c’est que je veux tout le temps savoir où sont mes vaches et comment elles vont... », soupire Alexandre. « Et le jour où j’arrive à ne pas me prendre la tête, je reçois un coup de fil de la gendarmerie pour me pré- venir qu’une de mes vaches se promène sur la route. » Se déconnecter, c’est tout le programme de la soirée. La petite famille se prépare, el- le est invitée à 20 heures pour partager une raclette chez des amis. « On va sûre- ment rentrer vers 1 heure du matin, ça piquera un peu plus demain matin, mais on se lèvera. » Coralie esquisse un sourire : « L’agriculture est un éternel recommence- ment ». Marion Saive ! Instant de dépaysement face au barrage du Dorlay. Photo Marion SAIVE ! Découpe et emballage des fromages. Photo Marion SAIVE LecoupleCottevitàcentà l’heure.Producteurslaitiers àSaint-Paul-en-Jarezdans laLoire(42),Coralieet Alexandretententdeconci- lierviesprofessionnelleet familiale,avecunrevenu inférieurauSmic.
  • 6. !4h55 Alexandre et Coralie Cotte, 29ans,sepenchentàlafenêtre de la cuisine. La silhouette du paysage vallonné de la vallée duGiersedessinedanslanuit. Lethermomètreextérieuraffi- che 3°C. En cinq minutes, ils avalent leur café, se brossent les dents et enfilent polaires et pantalons. Fin prêts pour tra- vailler. Equipés de lampes tor- ches, ils marchent jusqu’à la fromagerie, à quelques mètres de leur maison en bois. Ele- veurs de vaches laitières à Saint-Paul-en-Jarez, dans la Loire, les Cotte vivent à cent à l’heure, essayant de concilier viesfamiliale,syndicaleetpro- fessionnelle. L’airestchaudàlafromagerie. Les deux agriculteurs enfilent leurstabliersetbottesenplasti- que blanc. L’attrape-mouches quipendouilleauplafondena capté plus d’une au vol. Une odeur de vanille se dégage du laitcailléqueCoralieremue.A plein volume, la station locale Radioscoop donne l’horosco- pe du jour et les fait chanton- ner sur du Daft Punk, tandis qu’ilsmettentenpotlesfroma- ges blancs. Courte pause-café pourAlexandre,pressécema- tin-là. Il est convoqué à 14h30 au commissariat de Saint- Etiennepouravoirdéversédu fumierdevantleGéantCasino de Monthieu, le 15 août. Le coupleestmilitant.Lui,estad- ministrateur départemental des Jeunes Agriculteurs de la Loire. Elle, ancienne secrétai- re cantonale du même syndi- cat. Tous deux déplorent l’em- prise qu’exercent les groupes laitiersfrançaissurlesproduc- teurs«quinesaventpassedé- fendre ou qui n’ont plus la for- ce de le faire ». « En 60 ans, Lactalis, Sodiaal et Danone sont devenus tellement gigan- tesques qu’ils peuvent se pas- serdenous,ilsamassentdupo- gnonetnousregardentcouler les uns après les autres », assè- ne Alexandre. Sa femme et lui s’en sortent avec un revenu mensuelinférieurauSmic.«Je nedemandepasàtoucherdes milleetdescents,justevivrede mon métier. On en vient à compter le moindre centime, c’est triste », poursuit Coralie. Son mari embraye : « Quand onvoitquel’onn’obtientaucu- ne de nos revendications, on réalisequ’onnepèsepaslourd dans la balance socio-écono- mique. Mais je continue d’y croire, parce que si on suscite autant d’intérêt, c’est qu’on a notreplace.» LesCotteontracheté25%des parts sociales d’un Gaec (Groupement agricole d’ex- ploitation en commun) que trois frères et deux de leurs conjointes ont créé, auquel ils se sont greffés en 2009. Huit personnes au total, dont Loïc, un salarié de 22 ans, payé au Smic pour ses 42 heures heb- domadaires. Un investisse- ment à 280 000 euros pour Alexandre et Coralie, terrain, maison et parts sociales com- pris. Au sein du Gaec, ils diri- gent l’atelier de transforma- tion du lait. Tommes, bleus, beurre, crème, yaourts et bou- teillesdelaitensortentchaque semaine, distribués dans trois magasins de producteurs du coin et fromageries renom- méesdeSaint-Etienne. !7h30 Coralie retourne à la maison manger un bout et « lever les deux p’tiotes », Lily, cinq ans, et Anaëlle, un an. Bref instant enfamille,sicheràl’agricultri- ce. Sur la route pour déposer sesfillesàl’écoleetchezlanou- nou, elle croise le camion-ci- terne de Sodiaal, de passage pour relever les 6000 litres de lait du tank. Avec seulement 10%delaproductionenvente directe,illeurestimpossiblede se passer de la coopérative lai- tière. Lesjeunesparentssesontren- contrés en BTS agricole. Un choix d’étude que la mère de Coralie, une institutrice ayant vu « ses frères et sœurs trimer toute leur vie à la ferme », a longtemps rejeté. Les parents d’Alexandre, un retraité « mé- canopoidslourds»etuneem- ployée France Télécom, n’ont pas plus de lien avec l’agricul- ture.Cesdeux-làont«chopéle virus » au contact de leurs on- cles et tantes agriculteurs, aux côtésdesquelsilsontgrandi. Lecoupleafficheuntauxd’en- dettement de 40 %. Des chif- fres qui font bondir leurs pa- rents, même s’ils restent infimes face aux 80 % que d’autres supportent. Ces em- prunts, Coralie y pense à cha- que fois qu’elle monte sur une échelle. « Surtout ne pas tom- ber». La peur de faire reposer lesdettessurlesépaulesdeses filles.Grâceauxélevagesdela- pins, volailles, et de la ferme aubergeduGaec,lemanqueà gagner de la production laitiè- reestcompensé.Depuisledé- butdelacriselaitière,leurssa- laires n’ont pas baissé. Un revenumince,maisd’énormes avantagesennature. !12heures Au menu, bœuf et gratin de chou-fleur – des produits de leurferme-,queCoralieaeule temps de préparer la veille, jour de congé hebdomadaire. «Laseulechosequel’onachè- teencore,c’estdudentifriceou dushampoing»,sourit-elle. A grands coups de fourchette, Alexandre engloutit son dé- jeuner et saute sur sa moto pour se rendre au commissa- riat.Lesjouetsdesenfantsjon- chent le sol du salon. Pas le temps de ranger, il faut finir d’empaqueter les yaourts à la fromagerie.Deretour,Alexan- dre prend le relais pour « per- cerlesbleus»,Coraliepartpré- cipitammentchercherlesfilles àl’école. SAINT-PAUL-EN-JAREZ REPORTAGE «L’agriculture est un éternel recommencement» ! Lâcher des génisses dans le pré. Photo Marion SAIVE !16 heures Avec Loïc, Alexandre fait monter les génisses de trois mois dans la bétaillère. Pre- mier lâcher dans le pré. Craintives, « les bouïous » (gros veaux en patois sté- phanois) font le tour de l’en- clos, prennent un coup de jus en touchant du museau le fil électrique, puis brou- tent enfin. Dans la cour de la ferme, les voitures s’amassent. Une vingtaine d’agriculteurs endimanchés sont venus assister à l’essai d’une ensileuse à 150 000 euros. Si celui-ci s’avère concluant, le Gaec achètera la machine avec six agricul- teurs des environs, par le biais de la Cuma (Coopéra- tive d’utilisation de matériel agricole). Vient l’heure de la traite. Alexandre revêt sa combinaison de travail gris foncé et regroupe ses va- ches. Hippie, Uderzo, Frou- frou, Cocaïne, Girardot… Il les connaît par cœur. « C’est surtout à leurs mamelles que je les identifie. Je les vois défiler matin et soir de- vant moi, c’est la partie que je connais le mieux », plai- sante-t-il. Pendant plus d’une heure, s’ensuit une musique rythmée et méca- nique des trayeurs pompant le lait des Montbéliardes et Prim’Holstein. Pam Pam Tchhh. Ambiance beat-box. Cachou et Yago, les deux chiens « bâtards pure race » du couple, lèchent le lait qui s’écoule d’un pot percé, à même le sol. Loïc peste, une vache vient de lui déféquer dessus. « Les joies de la traite ». Parti pour se mettre à son compte, le jeune hom- me a finalement abandonné l’idée. « C’est trop de res- ponsabilités, beaucoup d’in- vestissements, et le lait n’est pas bien payé. Je suis jeune, j’ai envie de profiter de ma jeunesse, avoir mes week- ends... ». Il est coupé par la voisine, une des privilégiés à venir chercher son lait à la ferme. Un côté relationnel qu’Alexandre tient à entre- tenir : « Un agriculteur, c’est comme un facteur, tout le monde le connaît, il rend service. » Pour les Cotte, être agricul- teurs ne signifie pas se cou- per du monde. Malgré un rythme effréné, Coralie trouve le temps d’aller chez le coiffeur, prend soin de quitter ses « habits de pouilleuse » quand elle va chercher sa fille à l’école et s’apprête pour tenir la per- manence du magasin de producteurs. Avec un ami, agriculteur lui aussi, Alexandre pratique l’escala- de en salle, les vendredis soirs. Le couple prétend «mener une vie normale », aime « faire la bringue avec les potes », passe des soirées en amoureux en centre-vil- le. Mais Coralie et Alexan- dre doivent se contenter d’une à deux semaines de congés par an, arrivent en retard au restaurant parce qu’une vache a avalé une pomme de terre de travers, passent le réveillon en salle de traite, et ont fait une croix sur les escapades en moto le dimanche, le ski à haut niveau pour Alexan- dre et le basket pour Cora- lie. Avant de terminer sa jour- née de travail, Alexandre monte au Crêt du Pendu avec sa « Ferrari tout ter- rain», une vieille Citroën AX toute crottée dotée de pneus neige. Du haut de la colline, il contemple ses 150hectares de terrain. Les vertes prairies, les génisses qui broutent au loin, le bar- rage en pierres du Dorlay. «Quand je reviens de mes réunions syndicales sur Pa- ris, que je quitte la grisaille et la foule incessante du mé- tro, je viens là et je me dis que j’ai vraiment de la chan- ce. » !19 heures. Le jeune père ironise, un brin de foin dans la bouche : « Le luxe, c’est de rentrer chez soi à pied. » A peine ouvre-t-il la porte que Lily lui saute dessus et réclame son bisou du soir. Les en- fants couchés, le couple sa- voure une bière bien méri- tée. Ils travaillent chacun 80 heures par semaine. Ils aimeraient lâcher prise, par moments. « Le problème, c’est que je veux tout le temps savoir où sont mes vaches et comment elles vont... », soupire Alexandre. « Et le jour où j’arrive à ne pas me prendre la tête, je reçois un coup de fil de la gendarmerie pour me pré- venir qu’une de mes vaches se promène sur la route. » Se déconnecter, c’est tout le programme de la soirée. La petite famille se prépare, el- le est invitée à 20 heures pour partager une raclette chez des amis. « On va sûre- ment rentrer vers 1 heure du matin, ça piquera un peu plus demain matin, mais on se lèvera. » Coralie esquisse un sourire : « L’agriculture est un éternel recommence- ment ». Marion Saive ! Instant de dépaysement face au barrage du Dorlay. Photo Marion SAIVE ! Découpe et emballage des fromages. Photo Marion SAIVE LecoupleCottevitàcentà l’heure.Producteurslaitiers àSaint-Paul-en-Jarezdans laLoire(42),Coralieet Alexandretententdeconci- lierviesprofessionnelleet familiale,avecunrevenu inférieurauSmic.
  • 7. «Si vous permettez, je travaille en même temps, je suis à la bourre. J’aimerais avancer sur ce cor- netGaillardetLoiselet,avantdepartir envacancescesoir,avecmafemme ». Ilpassesamainsurlecornetàpistons pour repérer les irrégularités de sa courbe.Saisitunetigeenlaitonmunie d’une olive, l’introduit, et tapote sur l’instrument, avec un petit marteau, pour le débosseler. Fabrice Wamber- gue,44ans,luthier-ventsdansunpetit atelierde11m²,perdudansunimmeu- ble qu’il partage avec des artistes, à Montreuil,faitpartiedes30%deFran- çaisquisesontreconvertisprofession- nellement.Luthier2.0,sacartedevisi- te, c’est son site, sur lequel il poste des articles sur les tubas, cornets et trom- pettesqu’ilrépare.C’estcommeçaque le saxophoniste Jacques Schwarz- Bart, « une grosse bête du jazz under- ground »,luiaconfiésonSelmerMark VI, début juillet, et que le bouche-à- oreilleestentraindelefairedécoller. « J’aibaignédansun environnementmusical dequalité,monpèreest ungrandmélomane fandejazz» Fabricen’apaslatêtedel’emploi.Che- valièreenargentàl’annulaire,montre desportimposanteaupoignet,poloau col remonté, jean délavé et Converses blanches. Seul son tablier bleu, tâché parlelaiton« trèssalissant »,letrahit. Requiem pour un con résonne depuis sonposteradio,placésoussonplande travail.« Y’apasàdire,FIP,c’estpeut- être une radio de vieux, mais c’est la plus éclectique. » Fabrice aurait aimé vivredanslesannées1960.Tutoyerles artistesetmusiciensqu’iladmire. Quelque chose le démange. « Je suis impatient de travailler sur le basson, mais il faut d’abord que j’en termine avec ce cornet », soupire-t-il. Il sourit : « Celui-là, je serai content de le voir partir,j’enchie. »Pourleplaisir,Fabri- ce se rend dans des clubs de jazz pari- siens,auSunsetSunsideouauDucdes Lombards. Erre dans des expositions avecsonfils,néd’unpremiermariage, « grand dadais d’1m90 qui joue de la guitare,unvraiWambergue. » Il enfile des gants de plastique bleu, avant de souder une pièce sur le cor- net. « J’ai baigné dans un environne- ment musical de qualité, mon père est ungrandmélomanefandejazz. »Son premier émoi musical, en 1986, c’est durap.« J’ai15ans,jesuisenvoyageà New-York, j’entends le groupe de hip- hopRun-DMCàlaradio.Ilsepasseun truc. » Adolescent, la musique est sa religion, John Coltrane son dieu. Sa voie semble tracée, mais pour faire « comme les potes », il se lance dans des études de droit. Licence à Nanter- re, sans conviction. « Rien que de fou- tre les pieds là-bas, j’avais la gerbe. » Il monte une société d’import de guita- res acoustiques, « des Breedlove à 11 000 francs ». Craque son PEL. Se « plante lamentablement » au bout d’un an. « J’étais un branlos’à l’épo- que ». Alors, il entame une carrière dans le textile, « un truc purement ali- mentaire ». De simple vendeur de jean, il passe di- recteur adjoint de WMK, une marque de textile parisienne « à 300 millions d’euroslechiffred’affaires ».« Onavu un fort potentiel en lui, il a gravi les échelons et on a fini dans le même bu- reau », s’extasie Gautier, l’ex-patron devenu le meilleur ami. Sauf qu’après 17ansdanslaboîte,lepostelui« tape surlasanté ».« J’étaisprocheduburn- out, je me suis sauvé à temps. » Parti avec un gros chèque, il rêve de retour- ner à ses loisirs d’ado, et « bricoler sur des binious ». Il achète les outils, le lo- cal,seformetroisjoursàl’Instituttech- nologique européen des métiers de la musique, sous les yeux inquiets de sa femme,professeuredesécolesàSaint- Denis. Iltireuneboufféedesaclopeélectroni- que : « J’ai eu la chance de rencontrer un maître suisse qui m’a pris sous son aile. » Le reste, il l’a appris tout seul. « Onesttrèsmanuelsdanslafamille », confie son père Alain, concepteur de pipelinesàlaretraite.« Jelesoutiensà 100 % dans sa démarche. Son ancien jobluiassuraitdesrevenusmaisnelui apportait rien, il a gagné en qualité de vie. » « Jenesuispasunassisté, jemesuisconstruittout seul.Lesmecsquifont grève,çamesaoule » Un avis que ne partage pas la mère, aveclaquelleFabricenedésirepasgar- der contact. « Une promotrice immo- bilière » dont il est « diamétralement l’opposé. » Son fils de 16 ans, lui, ne mesure pas l’impact de la reconver- siondesonpère-ilfautdirequeFabri- ce ne s’étendait pas sur son « métier d’avant » - mais s’intéresse, pose des questions,etluirendvisiteàl’atelier. Et le reste ? La politique ? Il fait cla- quer son gant en plastique : « Je m’en fous.Droite,gauche,c’estkifkif.Y’ale FN et y’a les autres ». Il ajoute : « Par mon éducation, je suis peut-être un peuplusàgauche ».Maisultra-libéral. « Je ne suis pas un assisté, je me suis construit tout seul. Moi, les mecs qui fontgrève,çamesaoule. » L’actualité ? Pareil : « ça m’emmerde profondément. »Ilpréfèreparlerlitté- ratureaméricaine,grandfandeJames Ellroy et John Fante, et de séries télés, avec « le casting plastique de malade des gonzesses de Mad Men » et « l’es- thétiquesublimedeBreakingBad ». Fabrice est maniaque. « C’est ce qui fait qu’il commence à être reconnu », se réjouit son père. « Il va au bout des choses et au bout de ses idées, il a l’amourdutravailbienfaitetchercheà satisfaire ses clients. La musique, c’est son moteur», confesse l’ancien boss. Fabriceestconscientdesescompéten- ces,mêmes’ilreconnaîtavoirencoreà apprendre. « Il a un don naturel. C’est monmeilleurélève.Ilestcurieux,tou- jours l’esprit en alerte », raconte Vin- cent Liaudet, son maître luthier qui l’appelle affectueusement « Mon Toyet »(mondouximbécileensuisse). Lesdeuxhommessonttrèscomplices. « C’est un deuxième frère pour moi », ditleprofesseur. Fabrice jette un œil vers une caisse en plastique. « Bon, vous savez quoi, je vaislâchercecornetetjevaisattaquer le basson, j’ai envie de tester un truc là. » Il colle son œil sur l’instrument, com- me un marin scrutant l’horizon avec salonguevue.« Merde,ilvientd’oùce trou ? » MarionSaive MONTREUIL PORTRAIT Fabrice, maniaco-musicien À 41 ans, Fabrice Wambergue a divisé son salaire par trois pour se reconvertir en luthier-vents. Ce fanatique de musique s’épanouit dans son nouveau travail. ! Fabrice Wambergue, 41 ans, luthier 2.0. Photo DR
  • 8. Mésentente entre voisins assortie d’une bonne dose d’alcool. C’est cequisembleavoirmotivéPaulKoffi, 35ans,pèredetroisenfants,Français d’originelibérienne.Lajusticel’accu- se de « violences ayant entraîné six joursd’incapacitédetravail »surson voisindepalierd’unimmeublesocial, Cédric Kazmeirzack, trentenaire, pè- rededeuxenfants…etflic. Après48heuresengardeàvue,lepré- venucomparaitcemardimididevant la XXIIIe chambre du tribunal cor- rectionnel de Paris. C’est la troisième fois qu’il fait face aux juges, après vio- lencessursonépouseen2009etcon- duiteenétatd’ivresseen2014. Grand trapu, mono sourcil épais enV, cheveux rasés et barbe en col- lier, Koffi se tient bras croisés dans le box. Il prend soin de ne pas plisser sonensembledesurvêtementAdidas bleu électrique, floqué au logo du clubdefootChelsea. Troisadultes,troisenfants ettroistrottinettesdans unecaged’ascenseur À l’énoncé des faits, il gesticule, sur- joue avec ses mains, s’offusque. Paris XXe . Ce samedi 12 mars, M. Koffi a bu. Il revient des courses avec sa fille de 11 ans. Se gare à l’arrache sur une place de livraison. Galère à trouver son badge d’ascenseur. M. Kazmeir- zack rentre de promenade avec sa femme et leurs deux filles, de 12 et 4ans. Les voisins du 4e ne s’aiment pas. Cinq ans que la situation s’enve- nimeentrelesdeuxfamillesetqueles menaces de Koffi s’intensifient à l’égard du flic. S’ensuit un huis clos oppressant : trois adultes, trois en- fants et trois trottinettes dans une ca- ge. Àl’audience,leprésidentThouvenot, mâchoire large, raie plaquée côté droit et petites lunettes, condense la suite des faits : « Langage discour- tois, intimidations, menaces. Vous frappez à deux reprises votre voisin, devant femme et enfants. » « Carot- tes, champignons, tomates, les cour- ses volent dans la cage d’ascenseur, les enfants sont en pleurs », ajoute la victime. Depuis 2008, Paul Koffi est manager chezOfficedépôt,unmagasindemo- bilier de bureau à Villepinte. Il gagne 1 500 euros par mois et paye 500 de loyer.Sonavocate,MaîtreAlaoui,pe- tite quinqua iranienne, cheveux aca- jou et grosses lunettes, abat sa pre- mière carte. Tremblante, elle tend unefeuilleauprésident.« Partout,on dit de lui qu’il est impeccable et res- ponsable dans son travail. Voyez vous-même. » Le président se tourne vers l’une des deux assesseurs, plai- sante, joue avec un élastique. L’avo- cate poursuit : « Peut-être que M. Ka- zmeirzackseprendpourlegendarme del’immeuble,imposesaloi…çaaga- ce.» «Onnepeutpasdireque voussoyezlevoisinidéal» Face à l’enquête de voisinage, l’argu- ment est léger. Thouvenot prend une inspiration : « Trouble la résidence, régulièrement alcoolisé, ne sait pas communiquercalmement,cachedes canettes derrière le compteur électri- que du 4e , peu loquace, comporte- ment à problèmes… Vous n’avez pas l’air agréable à rencontrer dans les couloirs,onnepeutpasdirequevous soyez le voisin idéal. » L’avocate ten- te une nouvelle approche : « On ne peut pas priver M. Koffi de son tra- vail. Il a trois enfants à nourrir, son nourrisson est un grand prématuré qui a besoin de soins. » Dans le box des prévenus, Koffi pleure, essuie grossièrement ses larmes, comme un enfantgrondé. Viennent les réquisitions. Une voix puissante s’élève. « Quelle sera la prochaine étape ? Un préjudice plus important ? Je m’inquiète énormé- ment pour l’avenir de ces deux fa- milles. Je suis d’autant plus inquiète queM.Koffin’aeuaucunmotpourla victime. » La procureure requiert dix mois d’emprisonnement, dont cinq avec sursis, mandat de dépôt et régi- me de semi-liberté pendant cinq mois. « Un dernier mot, M. Koffi ? ». Son visage se tend, il joint les mains, im- plore son voisin. Il est devant le mur des lamentations. « Je suis désolé de ce qui est arrivé. Tout ça m’a servi de leçon, venir ici, pas voir mon fils pen- dant trois jours… » Cédric Kazmeir- zacknedaignemêmepasleregarder. C’est l’heure du jugement. Koffi s’agi- tesurlebanc.Frénétique,ilenchaîne lessignesdecroix,embrassepouceet index. L’ensemble collégial a suivi les réquisitionsdelaprocureure,etajou- te 1 300 euros pour préjudices physi- que et moral. La prestation théâtrale n’aurapassuffi. MarionSaive PARIS (PALAIS DE JUSTICE) COMPARUTIONS IMMÉDIATES Lessignesdecroixn’aurontpassuffi Alcool et querelle de palier. Un mélange explosif pour ce père de famille, qui se présente aux juges pour la troisième fois. ! Palais de justice de Paris, mardi 15 mars 2016. Photo Marion SAIVE
  • 9. GIER - PILAT Rédaction : 21 rue Gambetta, 42400 Saint-Chamond - 04 77 22 42 86 - lprstchamond@leprogres.fr ; Publicité : 04 77 91 48 69 - lprpublicite42@leprogres.fr 18 ■ LE PROGRES - DIMANCHE 18 OCTOBRE 2015 42D ENTREPRISE FAMILIALE 1976 ZI du coin - rue du Crêt de la Perdrix 42400 SAINT-CHAMOND 04 77 22 59 88BOIS - PVC - ALU L’hiver approche Pensez à faire changer vos menuiseries DEVIS GRATUIT Lots visibles sur www.palais-svv.fr Frais 20% TTC - SVV agrément n° 028-2012 HOTEL DES VENTES 17, rue Pétrus Maussier 42000 Saint-Etienne - 04 77 21 68 12 VENTE AUX ENCHÈRES PUBLIQUES DIMANCHE 25 OCTOBRE A 14H30 BIJOUX, TABLEAUX, OBJETS D’ART et MOBILIER Expositions publiques : vendredi 23 octobre de 14h à 18h samedi 24 octobre de 10h à 12h et de 14h à 18h dimanche 25 octobre de 10h à 12h TEMOIN D’UNÉVÉNEMENT VOUS AVEZ UNE INFO FILROUGE À la paroisse arménienne catholique de Saint- Chamond, Hovig (1), grand gaillard de 21ans, et sa mère Gayané(1), enseignante en littérature de 45 ans, pren- nent place autour de la table. Fin juin, ils ont quitté leur vil- lage d’Al-Fourat (à 300 km d’Alep, à l’est de la Syrie) pour la France. « On ne comprenait plus qui était allié avec qui et qui se battait contre qui » Gayané, réfugiée syrienne, 45 ans Après être passés par Bey- routh (Liban) et Istanbul (Turquie), Gayané, son mari, Hovig et sa sœur de 16 ans, ont été hébergés dans un petit appartement, au premier étage de la paroisse. Ils habitent depuis peu un logement à Saint-Chamond et suivent des cours de français à l’Ifra (Institut de formation Rhône-Alpes) de Saint- Étienne. Avant que la guerre civile n’éclate en Syrie, Gayané et son fils se souviennent qu’ils vivaient « en parfaite harmo- nie » avec leurs voisins, « que chacun respectait les tradi- tions de l’autre » et qu’ils « célébraient même les fêtes religieuses chez leurs amis musulmans. » Mais « ces deux dernières années, c’était devenu très difficile, on ne comprenait plus qui était allié avec qui, qui se battait contre qui », confie Gayané, le visage fermé. Coupures d’eau et d’électricité à répétition, vols de voitures, tirs d’obus en pleine nuit, « on n’était plus en sécurité », poursuit-elle, mains jointes sur la table. « Je continuais d’étudier mes cours d’économie à la bougie, chez moi, le soir, jusqu’au jour où des tirs de mortiers sont partis dans toutes les directions à l’université », se rappelle Hovig, emmitouflé dans sa doudoune bleu marine. Se nourrir devenait compliqué, les terroristes coupant les routes pour empêcher le ravitaillement des villages. « À la boulange- rie, 500 personnes faisaient la queue pour acheter un pain qui coûtait trois fois plus c h e r » , r e l a t e l e j e u n e homme. Sans compter la vio- lence des terroristes. « Un jour, ils ont arrêté un ami au volant de sa voiture et ils l’ont menacé : “Renie ta reli- gion et tes origines, sinon on te coupe la tête” », rapporte-t- il, faisant mime de se trancher la gorge. « Ils kidnappent les chrétiens et demandent des rançons en retour », renchérit sa mère, qui précise : « Mais les musulmans qui refusent de se plier aux terroristes sont autant menacés. » La famille, qui bénéficie du statut de réfugié politique, n’a pas eu à payer de visa. Seuls les billets d’avion étaient à leur charge. Une somme conséquente, que quelques amis d’Hovig, restés en Syrie, n’avaient pas les moyens d’avancer. Les papiers définitifs en cours, l’intégration de la famille « à l’occidentale » se poursuit, même si Gayané avoue que le café et le brin de causette, le matin chez ses voisines syriennes, lui man- quent un peu. Désormais, elle dit vouloir « faire (ma) vie en France. » Hovig, qui ne lâche pas son téléphone portable des mains, lève soudaine- ment les yeux : « Mon avenir était compromis en Syrie, en cours, l’apprentissage est pri- mitif. En France, il y a plus de possibilités, on évolue vite. » « On retournera peut-être un jour en Syrie, quand la guerre sera finie, mais uniquement pour vendre notre maison. » Elle marque une pause. « Encore faut-il qu’elle n’ait pas disparu sous les bombes, ou que les prix de l’immobi- lier n’aient pas trop baissé », ajoute-t-elle, esquissant un sourire. ■ (1) Les noms ont été modifiés afin d’éviter tous risques pour eux et leur famille. Marion Saive SAINT-CHAMONDSAINT-CHAMOND Réfugiés syriens : « D’abordRéfugiés syriens : « D’abord on vit, après on philosophe »on vit, après on philosophe » Témoignage. Arrivés fin juin en France, Gayané et son fils Hovig, réfugiés syriens arméniens et chrétiens, nous livrent leur témoignage. 35 000 C’est l’estimation qui est faite du nombre d’Arméniens catholi- ques, en Syrie, en 2015. « Cent ans après le génocide arménien, l’histoire recommence et les Arméniens chrétiens fuient leur pays d’accueil », déplore Annik Boyadjian, présidente de la paroisse. Les membres de la famille de Gayané ont essaimé un peu partout en Europe, pour des rai- sons de sécurité. Une sœur est à Stockholm (Suède), une autre à Vienne (Autriche). D’une vie prospère à précaire Par manque de nourriture, la famille tente de faire parvenir de la marchandise d’Irak, passe par les lignes téléphoniques turques pour communiquer, achète un petit générateur pour subvenir à ses besoins en électricité. Les séjours à Alep, pour rendre visite à la famille, aller chez le coiffeur et faire les magasins, se font rares. Désormais hors de danger, ils gardent un esprit pragmatique : «D’abord on vit, après on philosophe. La priorité, c’est les papiers, apprendre le français et les études. Les amis, les activités, ça passe après », résume Hovig. ■ Hovig et Gayané (de dos pour ne pas être reconnus), accompagnés du père Antranik Atamian, prêtre de la paroisse arménienne de Saint-Chamond, qui a bien voulu traduire de l’arabe au français. Photo Marion Saive
  • 10. 19 42D - 1 ACTU GIER JEUDI 5 JANVIER 2017 LE PROGRÈS www.leprogres.fr Il faut passer plusieurs sas avant de pénétrer dans le « showroom »delabijouterie septuagénaire Dorey, à Loret- te. Sol en jonc de mer, vitrines de bois clair, quelques fau- teuils molletonnés. Dans les vitrines éclairées, des bagues, colliers et bracelets sertis de pierres précieuses sont soi- gneusement disposés. Le lieu épuréforceausilence. Danssonbureaujouxtantl’ac- cueil, Romain Pangaud, veste noire brodée à son nom, gros- se montre au poignet et mo- cassins auxpieds,travaillesur des boucles d’oreilles serties depierresprécieusesviaunlo- giciel CAO (conception assis- tée par ordinateur). Un post-it indiquelenumérodelapolice sursonPC,sécuritéoblige. Unartisanémerveillé L’artisan joaillier de 35 ans a racheté la bijouterie aux fils Dorey en 2010 et allie depuis tradition et modernité. À l’écouter parler du rubis qu’il vient de dénicher (« un rouge chatoyant, pas trop foncé, avec une belle vivacité »), on sent que le petit-fils de viticul- teur, près de 20 ans de métier, est resté un gamin émerveillé. Ce diplômé « expert en dia- mants taillés » de l’Institut in- ternational de gemmologie d’Anvers, labellisé joaillier de France en 2012 (ils sont 50 à pouvoir s’en targuer dans l’Hexagone) et maître artisan joaillieren2015,sedit« àcon- tre-courant du luxe industriel parisien ». « Eux, c’est les bijoux en série, lasous-traitanceàl’étrangeret un marketing abusif. Nous n’avons pas à rougir », dit-il. Luimisesurlesur-mesureetla qualité. « Production contrô- lée », « développement mesu- ré », « forte sélection sur les pierres », « traçabilité », « cri- tèresd’exigence »… Romaincalibresesmotscom- me il travaille. Avec minutie. Quand on lui demande com- mentseportel’entreprise,ilré- pond à demi-mot : « L’activité nous va bien. » Chez lui, les gensviennentparrecomman- dation. Pas de « style mar- qué », une palette d’offres très large et des demandes atypi- ques(àNoël,unclientluiade- mandé de créer un pendentif en forme de serre d’aigle te- nantunegrossepièceenor). « Lebijou,c’estun objetdebonheur » Lasociétédehuitsalariésallie traditionnel (travail à la main du métal forgé, croquis réali- sés au crayon de bois) et mo- derne (CAO, découpe laser et impression 3D). Deux mois peuvents’écoulerentrelemo- ment où Romain choisit une pierreprécieuse(lesdiamants viennent du Japon, des États- Unis ou d’Anvers, les émerau- desetsaphirsduSriLanka,les rubis de Birmanie) et le début dutravaildeconception. « Le bijou, c’est un objet de bonheur, il est là pour faire plaisir à quelqu’un. En tant qu’artisan joaillier, on entre dans l’intimité du cadeau, du geste, c’est gratifiant. On s’amuse à créer selon la per- sonnalitédesclients. » Il doit justement recevoir un Suisse qui souhaite imaginer avecluisabaguedefiançailles. Deuxheuresetdemiederoute aller, autant au retour, et les mêmestrajetslejouroùilvien- dra chercher le produit fini à l’atelier.Laqualitéaunprix. MarionSaive LORETTE ARTISANAT D’ART Bijouterie-joaillerie Dorey : 70 ans au service des pierres précieuses Ilyaseptans,RomainPan- gaudetsafemmeSandrine ontrachetéleuratelier-bouti- queàlafamilleDorey.Ici,on travaillelesmétauxetles pierresprécieusesdepuis 70ans.Danslatraditionet avecdesoutilsmodernes. n Un bijoutier à l’œuvre. Photo Yves FLAMMIN 3C’est le nombre de maîtres artisans joailliers dans la Loire : Audouard (Saint- Étienne), Taillandier (Mont- brison), Dorey (Lorette). Historique : Pierre Dorey a créé sa bijouterie en 1946. Ses deux fils, Jean-Pier- re et Noël, ont pris la suite. Il y a sept ans, Romain Pangaud et sa femme, Sandrine (qui s’occupe de la gestion, comptabilité et partie commerciale), ont ra- cheté la société, repre- nant la totalité de l’ef- fectif. Depuis, le couple Pangaud a renforcé l’artisanat, investi dans des locaux et nouvelles machines dernière génération, formé deux apprentis, étoffé les collections Quelques dates : 2010 : 1er prix de la reprise d’entreprise de la Loire 2012 : label joaillerie de France 2015 : titre de maître artisan joaillier 2013 et 2016 : investis- sements dans de l’outillage moderne et « showroom » totalement rénové. n Photo Yves FLAMMIN REPÈRE Autre ambiance côté atelier. Sur fond de musique pop rock, Damien, dix ans de métier, et Régis, plus du double, assis face à l’établi en chêne, bustes penchés en avant, travaillent minutieusement. Sous le puits de lumière (le plafond est vitré), l’un agrandit une alliance trop petite, l’autre, fraise du chirurgien en main, s’applique à sertir un saphir rose sur une monture de boucle d’oreille. « Il essaye d’utiliser le minimum de métal pour mettre en valeur la pierre », explique Romain Pangaud, ac- coudé à un laminoir vieux de deux siècles. Plus que la création, l’activité de répara- tion occupe la majeure partie du temps de Damien. « Avant, les femmes gardaient les bijoux dans leurs couffins et ne les sortaient que pour les grandes occasions. Aujourd’hui, elles veulent les porter, d’où l’usure », détaille Romain. Sous les postes de travail des artisans, une peau de cuir récupère la limaille d’or, formée après limage des bijoux. Le précieux métal, ve- nu se loger sous les ongles de Régis et Damien, est lui aussi mis de côté. On ne badine pas avec l’or. Utiliser le minimum de métal pour mettre en valeur la pierre précieuse Même s’il n’est pas adepte du « merchandi- sing », Romain sait valo- riser son entreprise : « C’est la seule bijoute- rie de la Loire à être tenue par des joailliers de métier depuis trois générations. » Il s’ap- puie sur ses points forts : une fabrication française exclusive, au cœur de l’atelier, à un prix juste. Quitte à flir- ter, parfois, avec ce marketing qu’il exècre. « La beauté, la pureté, la perfection est pour Romain Pangaud une devise de tous les ins- tants », peut-on lire sur la page Facebook de la bijouterie Dorey. PRATIQUE Bijouterie joaillerie Dorey, 27, rue Jean-Jaurès, Lorette. Tél. 04.77.73.33.60. ZOOM «LaseulebijouteriedelaLoiretenuepardes joailliersdemétierdepuistroisgénérations»