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PLANÈTE VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020
0123
A Robert­Debré, 
« l’explosion » des 
troubles psychiques 
chez les enfants
Lessoignantsdel’hôpitalpédiatrique,situé
danslenord­estdeParis,observentundoublement
destentativesdesuicidechezlesmineurs
demoinsde15ansparrapportà2019
REPORTAGE
E
n ce lundi de novembre, il y a af­
fluenceàlaconsultationd’orien­
tation psychiatrique de l’hôpital
pour enfants Robert­Debré, si­
tuédanslenord­estdeParis,l’un
des plus gros d’Ile­de­France.
Marco (les prénoms ont été changés), 15 ans,
quisouffredetroubledudéficitdel’attention
avec ou sans hyperactivité (TDAH), a très mal
vécu le premier confinement. Il s’est mis à
jouer aux jeux vidéo, a décalé son sommeil.
L’idéed’unnouveauconfinement,deneplus
pouvoirallerauskatepark,deneplusvoirses
amis,l’apaniqué.Iln’estpasretournéaulycée
aprèslesvacancesdelaToussaint,etaétéhos­
pitalisé en raison d’idées suicidaires.
A quelques couloirs de là, aux urgences
pédiatriques, un garçon de 14 ans attend de
voir un pédopsychiatre. Il s’est jeté sur les
rails d’un train qui, heureusement, est passé
de l’autre côté. Quelques jours auparavant,
il avait fui l’école et erré, en Ile­de­France.
Depuis septembre, un enfant de moins de
15 ans arrive ainsi presque chaque jour aux
urgences de Robert­Debré pour une tenta­
tive de suicide, contre environ un tous les
trois jours un an avant. Selon un tableau de
bord de l’Assistance publique­Hôpitaux de
Paris (AP­HP) du 19 novembre recensant l’ac­
tivité hors­Covid des 39 hôpitaux – majori­
tairement franciliens – du groupe, les hospi­
talisationsenpédiatriepourraisonspsychia­
triques ne cessent d’augmenter depuis août.
Elles se situaient fin octobre à 3600, contre
2400 un an plus tôt, soit une hausse de 50 %.
Crise économique, attentats, incertitude
sur l’avenir, scolarité perturbée, etc., les en­
fants et adolescents sont en première ligne
de cette deuxième vague. Le professeur
Richard Delorme, qui dirige le service de
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de
Robert­Debré, a adressé un message d’alerte
à l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile­de­
France et aux autorités sanitaires. Les tentati­
ves de suicide (TS) chez les mineurs de moins
de 15 ans enregistrées dans son établisse­
ment en septembre­octobre ont doublé par
rapport à la même période de 2019, passant
de 20 à 40. Les relevés d’idées suicidaires ont
augmenté de plus de 100 %. Et cette tendance
se poursuit en novembre.
DES DÉLAIS DE RENDEZ-VOUS D’UN AN
Ces situations complexes surviennent alors
que son service est déjà en tension. Le nom­
bre d’urgences pour motif pédopsychiatri­
que a doublé en dix ans, à environ 2000 par
an. «Depuis début septembre, à chaque fois
que je suis appelée aux urgences, c’est pour
l’explosiondesTSetidéessuicidaires,destrou­
bles anxieux», constate le docteur Alicia Co­
hen­Freoua, de garde ce lundi. «La vague,
nous la voyons depuis la rentrée. Nous gérons
des situations de crise, avec des enfants à hos­
pitaliser, et pour qui il faut organiser un suivi,
nous manquons de lits», constatent Marion
Priam et Cathy Gaudin, infirmières.
Al’instard’autresétablissements,ceservice
de 207 personnes, dont 140 temps­pleins,
souffre d’un manque de personnels, surtout
d’infirmiers, et cela depuis plusieurs années,
même s’il y a peu d’absentéisme. Une cin­
quantainedepatientsysonthospitalisésetle
nombre de consultations devrait frôler les
10000cetteannée.Lesdélaispourobtenirun
rendez­vous peuvent aller jusqu’à un an.
Inquiet des chiffres de tentatives de suicide,
Richard Delorme a voulu en savoir plus.
L’équipe s’est plongée dans les registres des
urgences. En 2013, il y avait eu 8 TS entre sep­
tembre et octobre. Il déplore le manque de
données à l’échelon national, alors que plu­
sieurs études menées en Chine, à Taïwan ou
en Europe rapportent une augmentation des
idées suicidaires et des tentatives de suicide
chez l’enfant depuis la pandémie. Aux Etats­
Unis, la proportion de visites aux urgences
liéesàlasantémentaledesenfantsâgésde5à
11 ans et de 12 à 17 ans a augmenté respective­
ment d’environ 24 % et 31 %, selon des don­
néesdesCentrespourlecontrôleetlapréven­
tion des maladies (CDC), l’autorité sanitaire
fédérale, publiées vendredi 13 novembre.
Richard Delorme est conscient que ces chif­
fres sont à prendre avec des pincettes, au re­
gard de la situation géographique de l’hôpital
et de la période, plus propice aux dépressions
saisonnières. «Notre hôpital se situe près des
arrondissements et zones les plus touchés par
le Covid, plus précaires», constate­t­il. Il a pris
son téléphone, a interpellé ses collègues.
Beaucoup partagent cette inquiétude.
Dans la cour du service d’hospitalisation,
Sandra, 14 ans, déambule avec son éduca­
trice, en mâchant les lanières de son sweat­
shirt. Elle est arrivée ici trois jours plus tôt
pour une TS et des troubles anxieux impor­
tants liés au confinement. Trois autres en­
fants sont là en hôpital de jour afin de rééva­
luer la prise en charge ou le diagnostic.
Depuis la rentrée, après une baisse de fré­
quentation de mi­mars à mi­mai, comme
dans tous les hôpitaux, «nous voyons des
patients avec des troubles plus sévères. C’est
comme si on ne voyait plus les petites urgen­
ces»–lestroublesducomportement,lesagi­
tations –, explique le docteur Alicia Cohen­
Freoua. «Le confinement de mars a eu un re­
tentissement particulier sur les enfants avec
un handicap, perturbant l’accès aux soins et
le quotidien des familles d’enfant présentant
un trouble du neurodéveloppement», dé­
taille Valérie Vantalon, médecin au sein de
l’équipe des troubles du spectre autistique.
«NOUS N’AVONS PLUS DE FORMES LIGHT»
Outre l’école fermée, la prise en charge (or­
thophonie, psychomotricité…) s’est quasi­
ment arrêtée pour les enfants présentant un
trouble. Certains établissements (instituts
médico­éducatifs…) ont fermé, obligeant les
enfants à revenir à la maison. «C’était dur,
mon fils de 10 ans, autiste, était réfractaire
à touteslesactivitésavecmoi,lesparcsétaient
fermés, il ne comprenait pas la marche sans
but, j’allais parfois faire des tours de périphéri­
que en voiture», se souvient Asma, venue
pour une consultation.
«Je ne suis pas une assistante de vie scolaire,
jenesuisquemaman»,ditlamèredeNathan,
8 ans, venu voir le Dr Vincent Trebossen,
pour un déficit de l’attention avec hyperacti­
vité,ettouchéparunemaladierare.«Nathan
aperdutoussesrepères,ilabesoindesavoirce
qu’il va se passer le lendemain, le fait d’être vu
envisionelerassuraitpas»,ditsamère.«Sans
lamobilisationdel’équipesoignante,çaaurait
été la catastrophe, le confinement se serait
mal terminé pour toute la famille», raconte
Alexandra,mèredeThéo,7ans,quisouffrede
TSA et de trouble attentionnel.
Tandis que certaines familles ont plutôt
bien géré cette période, d’autres enfants l’ont
très mal vécue, faisant face à une augmenta­
tion du harcèlement en ligne; mais aussi à
des violences intrafamiliales, dont témoigne
la hausse des appels au 119. Afin de venir en
aide à ces parents qui devaient prendre en
charge seuls leurs enfants, le service s’est
réorganiséetapubliédesconseilssousforme
de fiches ou vidéos et ne faisant venir que les
patientslespluscritiques.Depuismars,lesite
a enregistré près de 700000 connexions.
Un peu plus loin, l’unité des troubles du
comportement alimentaire (TCA), qui ac­
cueille des enfants de 7 à 12 ans, avec neuf lits
d’hospitalisation, fait face à une augmenta­
tion des demandes depuis ce printemps,
alors que la situation est déjà habituellement
tendue. «Depuis mai­juin, nous avons l’im­
pression que nous avons plus d’enfants avec
des TCA restrictifs sévères», explique le doc­
PARMI LES 
CONSÉQUENCES
DES DEUX 
CONFINEMENTS : UNE 
AGGRAVATION DES 
COMPORTEMENTS 
ADDICTIFS LIÉS AUX 
JEUX VIDÉO, MAIS 
AUSSI À TOUS LES 
TYPES D’ÉCRANS
CRISE  SANITAIRE
l’alerte a été lancée début no­
vembre par le professeur Richard
Delorme, pédopsychiatre à l’hôpital
parisien Robert­Debré, qui s’inquié­
tait d’une nette hausse des tentati­
ves de suicide (TS) chez les mineurs
de moins de 15 ans depuis la rentrée.
Ce phénomène touchait­il tout le
pays, ou était­il localisé au nord­est
parisien? D’un bout à l’autre du
pays, les psychiatres ont consulté
leurs registres d’entrées aux urgen­
ces. Tous ne font pas aujourd’hui
part du même degré d’inquiétude.
A l’hôpital Necker (AP­HP), dans le
centre de Paris, on observe en no­
vembre, et donc depuis le début du
deuxième confinement, une nette
augmentation de la fréquentation
des urgences pédiatriques pour ten­
tatives de suicide ou idées suicidai­
res par rapport à septembre et octo­
bre. «Cinq patients de moins de
15 ans étaient hospitalisés début no­
vembre à la suite d’une défenestra­
tion, alors que cela concerne habi­
tuellement un adolescent par mois»,
indique le professeur Pauline
Chaste, chef du service de pédopsy­
chiatrie de l’hôpital Necker.
Au 20 novembre, il y a eu 9 TS de­
puis le début du mois, contre en gé­
néral 5 par mois. «Il est difficile de
comparerauxchiffres2019,alorsque
ce serait nécessaire pour tirer des
conclusions solides, regrette la pro­
fesseure Chaste. Les TS ne sont pas
bien tracées, et peuvent disparaître
derrière les troubles associés, comme
des épisodes dépressifs majeurs.»
La professeure Sylvie Tordjman,
chef du pôle hospitalo­universi­
taire de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent de Rennes, est très in­
quiète. «Si les crises suicidaires [TS
et idées suicidaires] sont restées
stables en septembre­octobre pour
les moins de 16 ans, elles ont plus
que doublé du 1er au 15 novembre,
par rapport à la même période de
2019, avec 10 TS et 22 idées suicidai­
res, contre 3 TS et 10 idées suicidai­
res en 2019.» Elle relève un nombre
de pendaisons et de défenestra­
tions «anormalement élevé». Son
service accueille trois fois plus de
patients pour les troubles anxieux
avec somatisation (comme des
douleurs abdominales) et pour
anorexie. «Le constat est identique
à Redon, Rouen, Limoges, Nice…»,
poursuit la pédopsychiatre.
A Nantes, les TS des moins de
15anssontenbaisse.«Probablement
en raison de sa région moins touchée
et peu urbanisée», estime Olivier
Bonnot, chef du service universi­
taire de pédopsychiatrie du CHU de
Nantes, qui se dit «préoccupé» par
les augmentations de demandes de
consultations de 30 % à 70 % avec
des cas plus lourds. «Une tendance
au niveau de la région», selon lui.
«Effets positifs et négatifs»
Même constat pour le Dr Charles­
Edouard Notredame, du service de
psychiatriedel’enfantetdel’adoles­
cent du CHU de Lille, plus prudent.
Il constate pour sa part «une légère
augmentation des TS et idées suici­
daires en septembre­octobre 2020
par rapport à 2019, mais ce n’est pas
majeur». De même, selon le profes­
seur Pierre Fourneret, pédopsychia­
tre et chef de service adjoint à l’hô­
pital Femme­Mère­Enfant (HFME)
au CHU de Lyon, «il y a aujourd’hui
une ambiance alarmiste, mais on n’a
pas le sentiment que les tentatives de
suicide augmentent en Rhône­Alpes,
nous sommes plus prudents».
«Attention aux discours généralis­
tes, car tous les enfants n’ont pas
réagi de la même façon, et d’après
une étude que nous avons menée sur
7300 enfants de l’académie de Lyon
lorsdupremierconfinement,certains
ont plutôt vu baisser leur niveau de
stress», tempère le docteur Pauline
Espi, pédopsychiatre à l’HFME. «Il y
a eu des effets positifs et négatifs.
Le premier confinement a dans cer­
tains cas généré de l’apaisement,
avec une forte capacité d’adaptation
des enfants et adolescents, ajoute
Pierre Canouï, pédopsychiatre libé­
ral. Le deuxième confinement provo­
que plus de détresse psychologique.»
S’ils divergent sur le degré de gra­
vitédelasituation,lesmédecinsspé­
cialistes lancent tous un plaidoyer
pour une vraie épidémiologie en pé­
dopsychiatrie. Par ailleurs, notent­
ils, il faut être vigilant aux signaux
d’alerte, comme un enfant qui dort
moins bien, est irritable, triste, ou
mouille ses draps. Un enfant ne ver­
balise pas forcément ses maux. 
p.sa
Dans les hôpitaux, des pédopsychiatres inquiets mais prudents
0123
VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020 planète | 9
teur Coline Stordeur, chef du pôle des TCA,
qui voit aussi, en plus de l’anorexie mentale,
davantage d’autres troubles tels que l’éméto­
phobie (phobie des vomissements), et de
plus en plus d’enfants très anxieux, avec un
troubleobsessionnelcompulsif(peurd’attra­
per le Covid­19 et d’autres maladies) et avec
une restriction majeure de l’alimentation.
Une enfant de 10 ans a par exemple rap­
porté qu’«un voisin est mort du Covid». «J’ai
peur d’être à la rue», a fait valoir un garçon
de 9 ans, dont l’un des deux parents venait
de perdre son emploi. Pour beaucoup, les
capacités d’adaptation au stress sont dépas­
sées, la courbe de poids s’est effondrée au
printemps. Un patient de 10 ans a com­
mencé à se restreindre en mars, il a perdu
11 kg. Agée de 10 ans et demi, Malika a été ad­
mise quatre jours plus tôt, après un séjour
dans un service de pédiatrie générale en Ile­
de­France. Déshydratée, elle pèse 22 kg pour
1,40 m, contre 33 kg il y a six mois. «Il faut
donner plus de moyens à l’hôpital, ce n’est
pas normal d’attendre une place trois semai­
nes», dit sa mère, en consultation en visio­
conférence avec le docteur Anaël Ayrolles.
Autre conséquence des deux confine­
ments:uneaggravationdescomportements
addictifs liés aux jeux vidéo, mais aussi à
tous types d’écrans. «Cela a un impact ma­
jeur sur les relations familiales, la scolarité,
le sommeil», indique le docteur Benjamin Pi­
trat. L’addiction aux écrans, qui représentait
10%desesconsultationsilyaseptans,enre­
présente 90 % aujourd’hui. Dans certains
cas, «lorsque les parents arrêtent l’écran, cela
amène l’enfant à des crises qui peuvent être
impressionnantes: insultes, portes brisées à
coups de pied, menaces de suicide…», dit­il.
Le docteur Alexandre Hubert, responsable
du centre médico­ psychologique (CMP) du
20e arrondissement, affilié à Robert­Debré,
s’inquiète de l’aggravation de la crise: «Nous
n’avonsplusdeformeslight,nousn’avonsque
dulourdtoutdesuite»:unemèrequiaperdu
son travail a demandé à son fils sa cagnotte
pour payer les courses. Ils en sont venus aux
mains. La précarisation des familles s’est
accentuée dans le 20e. «Si les parents ne sa­
vent pas comment ils vont manger, stimuler
leur enfant autiste en lui lisant une histoire
ne peut être leur priorité», regrette le docteur
Hubert, qui projette de repérer de façon pré­
coce les troubles psychiatriques avec une
équipe mobile, dans les crèches.
L’histoire d’Amir, 17 ans, condense celle de
beaucoup de mineurs isolés. Arrivé aux ur­
gences pour overdose (cannabis et alcool) et
scarifications dans la nuit du jeudi 12 au ven­
dredi 13 novembre, il souffre alors de trou­
bles anxieux majeurs. «Depuis la levée du
confinement, on est débordés de mineurs iso­
lés qui arrivent aux urgences en overdose de
stupéfiants. Certains sont enrôlés dans des
réseaux de délinquance, dit Emmanuelle Pey­
ret, addictologue à Debré. Du jamais­vu.» 
pascale santi
Amir (le prénom
a été changé),
a été admis
aux urgences
de l’hôpital
Robert­Debré,
à Paris, après
une overdose
dans la nuit
du 12 au
13novembre.
NICOLAS KRIEF
POUR «LE MONDE»
Anxiété,stress,dépression…lapandémie
aunfortimpactsurlasantémentale
Denombreusesétudesdocumententlesconséquencesdel’épidémieetduconfinement
Anxiété, dépression, trou­
bles du sommeil, mais
aussi tentatives de sui­
cide, stress post­traumatique…
En France comme ailleurs, les in­
dices des effets sur la santé men­
taledelapandémiedeCovid­19et
du confinement s’accumulent.
«Nous voulons éviter une troi­
sième vague, qui serait une vague
delasantémentalepourlesjeunes
et les moins jeunes», a prévenu
le ministre de la santé, Olivier
Véran, le 18 novembre, lors d’une
visite dans les locaux d’une plate­
forme d’écoute, à Paris. La veille,
s’appuyant sur des données de
Santé publique France, le direc­
teur général de la santé, Jérôme
Salomon, soulignait que «la crise
sanitaire du Covid­19 a révélé la
vulnérabilité psychique de nom­
breux Français», et donnait des
conseils pour «prendre soin de
soi». Le monde médical tire lui
aussi la sonnette d’alarme.
Enmatièredesantépublique,les
enjeuxsontcolossaux.«Endehors
du suicide, on meurt rarement di­
rectement d’un problème de santé
mentale, mais c’est une cause de
mortalité prématurée, du fait de
la dégradation des habitudes de
vie et de l’état de santé», souligne
EnguerrandduRoscoät,responsa­
bledel’unitésantémentaleàladi­
rection de la prévention de Santé
publique France. Les troubles
mentaux représentent le premier
poste de dépenses du régime gé­
néral de l’Assurance­maladie par
pathologie(19,3milliardsd’euros),
devant les cancers et les maladies
cardio­vasculaires. Au total, leur
coûtéconomiqueetsocialestéva­
lué à 109 milliards d’euros par an.
Pourl’heure,c’estlafortehausse
des états dépressifs qui est au­de­
vant de la scène. Au 12 novembre,
le taux est de 21 % en population
générale, soit deux fois plus que
fin septembre, selon CoviPrev,
une enquête nationale de Santé
publique France qui interroge en
ligne, à intervalles rapprochés,
deséchantillonsindépendantsde
2000personnesdeplusde18ans.
A titre de comparaison avec la
période antérieure à l’apparition
du Covid, 10 % de la population a
vécu un épisode dépressif dans
l’année précédente (selon la der­
nière enquête menée en 2017).
Si un adulte sur cinq serait dé­
pressif, d’après CoviPrev qui uti­
lise une échelle reconnue, la pro­
portion est plus élevée encore
chez les personnes déclarant une
situation financière très difficile
(35 %), celles avec des antécédents
de troubles psychologiques
(30%),lesinactifsetCSP−(respec­
tivement 29 % et 25 %), et les jeu­
nes (29 % chez les 18­24 ans, 25 %
chez les 25­34 ans).
«Quand l’enquête a démarré en
mars, pendant le premier confine­
ment, c’était les états anxieux qui
dominaient, présents chez 27%
des personnes. Le taux de dépres­
sion était, lui, aux alentours de
20 %. Le niveau d’anxiété a rapide­
ment baissé pendant le confine­
ment,toutcommelesétatsdépres­
sifs à la sortie de celui­ci», précise
Enguerrand du Roscoät. Dans le
bilan du 12 novembre, le taux
d’anxiété est de 20,8 %, il repart
à la hausse depuis septembre
mais en moindre proportion que
les états dépressifs.
«La surveillance épidémiologi­
que de la santé mentale fait appel
à deux approches: d’une part
des enquêtes populationnelles, de
l’autre l’analyse de données sur
les recours aux soins», explique
Imane Khireddine­Medouni, mé­
decin coordinatrice du pro­
gramme santé mentale à la direc­
tion des maladies non transmis­
sibles de Santé publique France.
C’est ainsi que, début octobre, un
rapport de l’Assurance­maladie et
de l’Agence du médicament révé­
lait une hausse notable de pres­
criptions de médicaments psy­
chotropes (anxiolytiques et hyp­
notiques) pendant la période de
mars à septembre.
Outre CoviPrev, Santé publique
France participe à plusieurs en­
quêtes épidémiologiques autour
de la santé mentale, sur des popu­
lations d’enfants, d’adolescents et
d’adultes. Parallèlement, l’agence
sanitaire étudie l’évolution entre
2019et2020d’indicateurscomme
lenombred’hospitalisationsdans
les services de psychiatrie, mais
aussi les passages en service d’ur­
gencesetleshospitalisationspour
tentative de suicide.
Dans ce contexte de crise sani­
taire,socialeetéconomique,lesu­
jet des risques suicidaires est par­
ticulièrement scruté, d’autant
qu’il y a quelques signaux dans la
population pédiatrique. Le ser­
vice de pédopsychiatrie de l’hôpi­
tal parisien Robert­Debré a lancé
une alerte après avoir enregistré
récemment une nette hausse
des tentatives de suicide et idées
suicidaires chez les moins de
15 ans, un constat retrouvé dans
d’autres endroits.
Chez les adultes, il n’y a pas jus­
qu’à présent de données en fa­
veurd’uneaugmentationdesten­
tatives de suicide en France de­
puis le confinement. Les résultats
de recherches évaluant l’évolu­
tion de cet indicateur en 2020 par
rapport aux années précédentes
sont attendus au premier tri­
mestre 2021. Un sondage IFOP
mené en septembre auprès de
2000 personnes pour la Fonda­
tion Jean Jaurès estime toutefois
que, parmi les 20 % qui ont envi­
sagé «sérieusement» de se suici­
der dans leur vie, 11 % l’ont fait
pendant le premier confinement
et 17 % depuis la fin de celui­ci. Si
ce pourcentage global de 20 % est
comparable à celui de l’enquête
précédente de 2016, trois caté­
gories socioprofessionnelles ont
des taux d’intention plus élevés:
les dirigeants d’entreprise et les
chômeurs (27%), et les artisans­
commerçants (25 %).
Evénement traumatisant
La vague de suicides pourrait être
devant nous, estime le psychiatre
Michel Debout sur le site Internet
de la Fondation Jean Jaurès, dont
il est membre fondateur. Il rap­
pellequelelienentrecrisessocio­
économiques et risque suicidaire
est connu depuis 1929, les effets
suicidaires des crises se faisant en
général sentir avec un délai de
plusieurs mois ou années.
Desenquêtessontaussiencours
au niveau international, telle
COH­FIT qui vise à évaluer l’im­
pact de la pandémie sur la santé
physiqueetmentale.Elleadéjàin­
clus plus de 100000 personnes,
dans une quarantaine de pays.
Selon les résultats préliminaires,
communiqués le 10 novembre, la
crise a augmenté le niveau de
stress, la sensation de solitude ou
de colère, en particulier chez les
femmes et les jeunes: 27 % des
femmes ressentent un stress
accru (contre 14% des hommes).
Un jeune sur quatre indique res­
sentir une plus grande solitude.
Une vaste enquête menée par le
Centre national de ressources et
de résilience auprès des universi­
tés françaises, à laquelle ont ré­
pondu près de 70000 étudiants,
confirme leur souffrance psycho­
logique pendant le confinement:
27,5 % déclarent un haut niveau
d’anxiété, 24,7 % un stress intense,
22,4 % une détresse importante,
16,1 % une dépression sévère, et
11,4 % des idées suicidaires. Des
facteurs de risque, comme la pré­
carité et les antécédents psychia­
triques, ont été identifiés, précise
l’articlepubliédansJAMANetwork
Openenoctobre.Pointinquiétant,
seulement12,4%desétudiantsdé­
clarant un trouble ont consulté.
Quid des conséquences psychi­
ques du Covid­19 pour les indivi­
dus directement touchés par le
virus? Dans les trois mois suivant
l’infection, près d’un patient sur
cinq (18%) développerait des
symptômes de type anxiété et dé­
pression, estime une étude à par­
tir des données de santé de près
de 70 millions d’Américains (The
Lancet Psychiatry, 9 novembre).
Les malades du Covid, et notam­
mentceuxpassésenréanimation,
sont aussi guettés par un trouble
de stress post­traumatique. En­
core sous­diagnostiqué en France,
ce syndrome se caractérise par de
nombreux signes (cauchemars et
flash­back, évitement des situa­
tions et personnes évoquant le
traumatisme, état d’alerte perma­
nent, émotions négatives…) per­
sistant plus d’un mois après
l’événement traumatisant. «Hors
Covid, une revue de la littérature
a établi qu’un patient sur quatre
développeuntroubledestresspost­
traumatique après un séjour en
réanimation. Ce contexte réunit
tous les facteurs de risque, à com­
mencer par la peur de mourir, qui
estàlabasedutrauma»,résumela
psychiatre Coraline Hingray (CHU
de Nancy), coautrice avec Wissam
El­Hage de Le trauma, comment
s’en sortir? (De Boeck Supérieur,
192 pages, 19,95 euros).
Pour l’heure, les données épidé­
miologiques spécifiques chez des
malades atteints du Covid­19
sont encore peu nombreuses,
mais si les proportions sont du
même ordre, ce sont potentielle­
mentdesmilliersdepatientspas­
sés en réanimation qui pour­
raient être concernés en France.
Face à ces risques, des profession­
nels plaident pour une proposi­
tion systématique de suivi psy­
chologique à la sortie de réani­
mation ou de soins intensifs, un
dépistage des traumas, et des en­
quêtes épidémiologiques. 
sandrine cabut
MI­NOVEMBRE, LE TAUX 
D’ÉTATS DÉPRESSIFS EST 
DE 21 %, SOIT DEUX FOIS 
PLUS QUE FIN SEPTEMBRE, 
SELON UNE ENQUÊTE 
NATIONALE DE SANTÉ 
PUBLIQUE FRANCE
▶▶▶
10| planète VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020
0123
«Cettecriseestplacéesouslesignedel’émotion»
LepsychiatreMichelLejoyeuxdécritl’éventaildestroublespsychiquesliésàlapandémiedeCovid­19
ENTRETIEN
L
e professeur Michel Le­
joyeux est chef du service
de psychiatrie et addicto­
logie de l’hôpital Bichat
(AP­HP). Il est l’auteur de
l’ouvrage Les Quatre Temps de la
renaissance (JC Lattès, 198 pages,
19,90 euros), publié en octobre.
Selon le psychiatre, les méthodes
destinées à préserver son esprit
sont devenues nécessaires.
Qu’est­ce qui vous frappe
le plus dans cette épidémie?
C’est une crise avant tout infec­
tieuse et médicale, mais qui a été
d’emblée placée sous le signe de
l’émotion, posant la question de
comment s’adapter et résister
psychologiquement à cette situa­
tion inédite. A l’hôpital, la psy­
chiatrie est apparue comme un
élément essentiel du dispositif,
pour soutenir les équipes, ce que
nous avons fait à l’Assistance pu­
blique, grâce à une hotline, mais
plus largement pour participer à
une réflexion sur la résistance
émotionnelle. Cela me paraît as­
sez nouveau. Lors des épidémies
de grippe, il n’y a probablement
jamais eu de questionnement sur
ces sujets. Jusqu’ici, les méthodes
pourprotégersonespritapparais­
saient comme des approches de
confort, elles sont devenues
aujourd’hui une nécessité.
Cette nouvelle maladie est­elle
une source de psychotrauma­
tisme, comme une catastrophe
naturelle ou un attentat?
D’authentiques troubles de
stress post­traumatique, qui se
caractérisent par un état d’alerte
permanent, des cauchemars à ré­
pétition et l’évitement des situa­
tions rappelant le traumatisme
ont effectivement été décrits dans
cettepandémie.Ilyaeudescaspar
exemple chez des soignants con­
frontés à une situation particuliè­
rement douloureuse, et chez des
«patients Covid», notamment
après de longues semaines de réa­
nimation. Il y a aussi des risques
accrus chez des personnes qui ont
étéendeuilléesdefaçonbrutaleou
traumatisante, et qui n’ont pu as­
sisterauxderniersinstantsdeleur
proche ou à ses obsèques.
Mais, pour la majorité des gens,
cette crise et le confinement ont
surtoutentraînédessituationsde
stress aigu et pour certains chro­
nique.Ilfautbiendistinguerdeux
populations. Tous ceux qui jus­
que­là allaient bien au plan psy­
chologique, social, affectif… peu­
vent mobiliser des capacités de
résilience. On est ici davantage
dans le champ de la santé et de la
prévention que du traitement. La
situation est bien différente pour
les individus qui avaient déjà des
problèmes psychologiques ou
psychiatriques et que la crise a en­
core plus fragilisés. Ceux­là doi­
vent être repérés et accompagnés
par des professionnels.
Je constate deux phénomènes
particuliers: d’abord, un taux
élevé de dépressions post­infec­
tieuses chez les malades du Co­
vid­19. Et, par ailleurs, une aug­
mentation des conduites addicti­
ves, avec un raisonnement du
type «on est en confinement,
donc il faut boire». L’alcool est ici
consommé comme anxiolytique,
mais il y a d’autres moyens de
gérer des émotions négatives.
Vous invitez à s’appuyer
sur le passé pour mieux gérer
les situations de stress…
Face à des situations angoissan­
tes comme celles que nous vivons
avec ce virus, certains essaient
d’oublier en se taisant tandis que
d’autres necessentd’enparler.Ces
deux attitudes ne sont pas patho­
logiques en soi, l’important est de
parvenir à être relativement en
paix avec son passé pour aborder
le présent et le futur. Pour aider à
digérerlesstressanciensetaffron­
ter ceux à venir, je propose des
techniques de thérapies compor­
tementales et cognitives, qui ont
étévalidéesdanslesétatsdestress
post­traumatique, et que j’ai adap­
tées pour qu’elles soient utilisa­
bles par tout un chacun, de façon
simple,dansunbutdeprévention.
Ainsi de l’écriture expressive, dont
le principe est de noter chaque
jour, pendant une quinzaine de
minutes,dessouvenirsetlesémo­
tions qui sont associées. Recom­
mencer plusieurs jours de suite
l’exercice permet de mettre pro­
gressivement à distance des évé­
nements difficiles du passé.
Ecrire n’est pas naturel pour
tout le monde. Comment
faciliter le processus?
D’abord, il faut s’aménager un
vrai espace de tranquillité pour
cette rencontre avec soi­même,
en définissant les conditions qui
nous sont les plus favorables en
termes de moment de la journée,
de cadre… Pour faciliter l’écriture,
je conseille d’avoir recours à des
mots «gâchette», qui inspirent.
Dans le même esprit que l’écri­
ture expressive, on peut chaque
jour sélectionner trois souvenirs
«chauds», c’est­à­dire associés à
une émotion – qu’elle soit posi­
tive ou négative –; et mettre en
face trois souvenirs «froids», qui
correspondent à des moments
que l’on a traversés avec une sorte
de neutralité émotionnelle. S’en­
traîner à repérer ces différents ty­
pes de souvenirs aide à mieux to­
lérer des émotions désagréables.
Vous faites aussi l’éloge de la
nostalgie, qui serait un facteur
de protection contre le stress…
Des études psychologiques me­
nées récemment en France ont
montré que les personnes nostal­
giques, c’est­à­dire qui ressentent
avec un peu de regret le temps
passé, sont dans certaines épreu­
ves les plus résilientes. Se recon­
necter à une part ancienne de soi
aide à se protéger psychologique­
ment quand on traverse une pé­
riode difficile. C’est donc une di­
mension de comportement qui
peut être cultivée. En tout cas, cela
incite à être vigilant et à garder des
tracesdesonpassé.Cettecrisen’est
probablement pas un bon mo­
ment pour faire un grand ménage
et se débarrasser de vieux objets.
La pandémie nous oblige à com­
poser avec de grandes incertitu­
des pour le futur. Comment
développer cette capacité?
En situation normale, les per­
sonnes qui sont constamment en
recherche de nouveauté, d’aven­
ture,desensationssontplutôtdé­
savantagées, car elles sont sou­
vent instables sur le plan affectif,
professionnel… Sur le plan neuro­
biologique, c’est en rapport avec
un taux élevé de dopamine dans
certaines zones du cerveau, au ni­
veau du circuit de la récompense.
En tant qu’addictologue, j’ai
longtemps conseillé à mes pa­
tients d’être plutôt dans le con­
trôle des risques, et je ne vais
évidemment pas les inciter à
l’ivresse. Mais paradoxalement, il
apparaît que certaines personna­
lités en recherche de sensations
sont moins vulnérables en pé­
riode de crise. Quand on a un dé­
sir d’aventure, ce que l’actualité
nous impose d’incertitudes pa­
raît moins insupportable. On
peutdonc,enrestantraisonnable,
multiplier les petites expériences
de nouveauté. C’est, par exemple,
essayer quelque chose dont on
se dit que «ce n’est pas mon
genre», dans le domaine de l’ali­
mentation,delalecture,delamu­
sique… Intérioriser la nouveauté
permet qu’elle devienne moins
menaçante.
De même, pour s’habituer à l’in­
certitude, et devenir plus rési­
lient, on peut procéder à des sor­
tes de désensibilisation, en fai­
sant des expériences bénignes
d’incertitude. En pratique, cela
consiste à se mettre dans des si­
tuations que l’on maîtrise un peu
moins, comme accepter de délé­
guer une tâche, etc.
Vous évoquez trois facteurs
majeurs pour se faire du bien
en période de crise, quel est
ce kit de survie?
Il s’agit d’idées et d’activités
simples qui ont été identifiées par
des chercheurs du King’s College
deLondres,enfaisantunerevuede
lalittératuresurl’impactpsycholo­
giquedesquarantaines.Lepremier
facteur protecteur est l’amuse­
mentetlaluttecontrel’ennui:tout
ce qui nous distrait contribue à la
résilience. Le deuxième a trait à
l’information,c’estlebonéquilibre
entre le refus de savoir – qui dans
une maladie infectieuse comme le
Covidpeutêtredangereux–etune
consommation permanente d’in­
formations, trop anxiogène. Enfin,
le troisième élément du kit de
survie est l’altruisme: en prenant
soin des autres, on prend aussi
soin de soi. 
propos recueillis par
sandrine cabut
« LE PREMIER FACTEUR 
PROTECTEUR EST 
L’AMUSEMENT ET LA LUTTE 
CONTRE L’ENNUI : 
TOUT CE QUI NOUS 
DISTRAIT CONTRIBUE 
À LA RÉSILIENCE »

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  • 1. 8| PLANÈTE VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020 0123 A Robert­Debré,  « l’explosion » des  troubles psychiques  chez les enfants Lessoignantsdel’hôpitalpédiatrique,situé danslenord­estdeParis,observentundoublement destentativesdesuicidechezlesmineurs demoinsde15ansparrapportà2019 REPORTAGE E n ce lundi de novembre, il y a af­ fluenceàlaconsultationd’orien­ tation psychiatrique de l’hôpital pour enfants Robert­Debré, si­ tuédanslenord­estdeParis,l’un des plus gros d’Ile­de­France. Marco (les prénoms ont été changés), 15 ans, quisouffredetroubledudéficitdel’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), a très mal vécu le premier confinement. Il s’est mis à jouer aux jeux vidéo, a décalé son sommeil. L’idéed’unnouveauconfinement,deneplus pouvoirallerauskatepark,deneplusvoirses amis,l’apaniqué.Iln’estpasretournéaulycée aprèslesvacancesdelaToussaint,etaétéhos­ pitalisé en raison d’idées suicidaires. A quelques couloirs de là, aux urgences pédiatriques, un garçon de 14 ans attend de voir un pédopsychiatre. Il s’est jeté sur les rails d’un train qui, heureusement, est passé de l’autre côté. Quelques jours auparavant, il avait fui l’école et erré, en Ile­de­France. Depuis septembre, un enfant de moins de 15 ans arrive ainsi presque chaque jour aux urgences de Robert­Debré pour une tenta­ tive de suicide, contre environ un tous les trois jours un an avant. Selon un tableau de bord de l’Assistance publique­Hôpitaux de Paris (AP­HP) du 19 novembre recensant l’ac­ tivité hors­Covid des 39 hôpitaux – majori­ tairement franciliens – du groupe, les hospi­ talisationsenpédiatriepourraisonspsychia­ triques ne cessent d’augmenter depuis août. Elles se situaient fin octobre à 3600, contre 2400 un an plus tôt, soit une hausse de 50 %. Crise économique, attentats, incertitude sur l’avenir, scolarité perturbée, etc., les en­ fants et adolescents sont en première ligne de cette deuxième vague. Le professeur Richard Delorme, qui dirige le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Robert­Debré, a adressé un message d’alerte à l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile­de­ France et aux autorités sanitaires. Les tentati­ ves de suicide (TS) chez les mineurs de moins de 15 ans enregistrées dans son établisse­ ment en septembre­octobre ont doublé par rapport à la même période de 2019, passant de 20 à 40. Les relevés d’idées suicidaires ont augmenté de plus de 100 %. Et cette tendance se poursuit en novembre. DES DÉLAIS DE RENDEZ-VOUS D’UN AN Ces situations complexes surviennent alors que son service est déjà en tension. Le nom­ bre d’urgences pour motif pédopsychiatri­ que a doublé en dix ans, à environ 2000 par an. «Depuis début septembre, à chaque fois que je suis appelée aux urgences, c’est pour l’explosiondesTSetidéessuicidaires,destrou­ bles anxieux», constate le docteur Alicia Co­ hen­Freoua, de garde ce lundi. «La vague, nous la voyons depuis la rentrée. Nous gérons des situations de crise, avec des enfants à hos­ pitaliser, et pour qui il faut organiser un suivi, nous manquons de lits», constatent Marion Priam et Cathy Gaudin, infirmières. Al’instard’autresétablissements,ceservice de 207 personnes, dont 140 temps­pleins, souffre d’un manque de personnels, surtout d’infirmiers, et cela depuis plusieurs années, même s’il y a peu d’absentéisme. Une cin­ quantainedepatientsysonthospitalisésetle nombre de consultations devrait frôler les 10000cetteannée.Lesdélaispourobtenirun rendez­vous peuvent aller jusqu’à un an. Inquiet des chiffres de tentatives de suicide, Richard Delorme a voulu en savoir plus. L’équipe s’est plongée dans les registres des urgences. En 2013, il y avait eu 8 TS entre sep­ tembre et octobre. Il déplore le manque de données à l’échelon national, alors que plu­ sieurs études menées en Chine, à Taïwan ou en Europe rapportent une augmentation des idées suicidaires et des tentatives de suicide chez l’enfant depuis la pandémie. Aux Etats­ Unis, la proportion de visites aux urgences liéesàlasantémentaledesenfantsâgésde5à 11 ans et de 12 à 17 ans a augmenté respective­ ment d’environ 24 % et 31 %, selon des don­ néesdesCentrespourlecontrôleetlapréven­ tion des maladies (CDC), l’autorité sanitaire fédérale, publiées vendredi 13 novembre. Richard Delorme est conscient que ces chif­ fres sont à prendre avec des pincettes, au re­ gard de la situation géographique de l’hôpital et de la période, plus propice aux dépressions saisonnières. «Notre hôpital se situe près des arrondissements et zones les plus touchés par le Covid, plus précaires», constate­t­il. Il a pris son téléphone, a interpellé ses collègues. Beaucoup partagent cette inquiétude. Dans la cour du service d’hospitalisation, Sandra, 14 ans, déambule avec son éduca­ trice, en mâchant les lanières de son sweat­ shirt. Elle est arrivée ici trois jours plus tôt pour une TS et des troubles anxieux impor­ tants liés au confinement. Trois autres en­ fants sont là en hôpital de jour afin de rééva­ luer la prise en charge ou le diagnostic. Depuis la rentrée, après une baisse de fré­ quentation de mi­mars à mi­mai, comme dans tous les hôpitaux, «nous voyons des patients avec des troubles plus sévères. C’est comme si on ne voyait plus les petites urgen­ ces»–lestroublesducomportement,lesagi­ tations –, explique le docteur Alicia Cohen­ Freoua. «Le confinement de mars a eu un re­ tentissement particulier sur les enfants avec un handicap, perturbant l’accès aux soins et le quotidien des familles d’enfant présentant un trouble du neurodéveloppement», dé­ taille Valérie Vantalon, médecin au sein de l’équipe des troubles du spectre autistique. «NOUS N’AVONS PLUS DE FORMES LIGHT» Outre l’école fermée, la prise en charge (or­ thophonie, psychomotricité…) s’est quasi­ ment arrêtée pour les enfants présentant un trouble. Certains établissements (instituts médico­éducatifs…) ont fermé, obligeant les enfants à revenir à la maison. «C’était dur, mon fils de 10 ans, autiste, était réfractaire à touteslesactivitésavecmoi,lesparcsétaient fermés, il ne comprenait pas la marche sans but, j’allais parfois faire des tours de périphéri­ que en voiture», se souvient Asma, venue pour une consultation. «Je ne suis pas une assistante de vie scolaire, jenesuisquemaman»,ditlamèredeNathan, 8 ans, venu voir le Dr Vincent Trebossen, pour un déficit de l’attention avec hyperacti­ vité,ettouchéparunemaladierare.«Nathan aperdutoussesrepères,ilabesoindesavoirce qu’il va se passer le lendemain, le fait d’être vu envisionelerassuraitpas»,ditsamère.«Sans lamobilisationdel’équipesoignante,çaaurait été la catastrophe, le confinement se serait mal terminé pour toute la famille», raconte Alexandra,mèredeThéo,7ans,quisouffrede TSA et de trouble attentionnel. Tandis que certaines familles ont plutôt bien géré cette période, d’autres enfants l’ont très mal vécue, faisant face à une augmenta­ tion du harcèlement en ligne; mais aussi à des violences intrafamiliales, dont témoigne la hausse des appels au 119. Afin de venir en aide à ces parents qui devaient prendre en charge seuls leurs enfants, le service s’est réorganiséetapubliédesconseilssousforme de fiches ou vidéos et ne faisant venir que les patientslespluscritiques.Depuismars,lesite a enregistré près de 700000 connexions. Un peu plus loin, l’unité des troubles du comportement alimentaire (TCA), qui ac­ cueille des enfants de 7 à 12 ans, avec neuf lits d’hospitalisation, fait face à une augmenta­ tion des demandes depuis ce printemps, alors que la situation est déjà habituellement tendue. «Depuis mai­juin, nous avons l’im­ pression que nous avons plus d’enfants avec des TCA restrictifs sévères», explique le doc­ PARMI LES  CONSÉQUENCES DES DEUX  CONFINEMENTS : UNE  AGGRAVATION DES  COMPORTEMENTS  ADDICTIFS LIÉS AUX  JEUX VIDÉO, MAIS  AUSSI À TOUS LES  TYPES D’ÉCRANS CRISE  SANITAIRE l’alerte a été lancée début no­ vembre par le professeur Richard Delorme, pédopsychiatre à l’hôpital parisien Robert­Debré, qui s’inquié­ tait d’une nette hausse des tentati­ ves de suicide (TS) chez les mineurs de moins de 15 ans depuis la rentrée. Ce phénomène touchait­il tout le pays, ou était­il localisé au nord­est parisien? D’un bout à l’autre du pays, les psychiatres ont consulté leurs registres d’entrées aux urgen­ ces. Tous ne font pas aujourd’hui part du même degré d’inquiétude. A l’hôpital Necker (AP­HP), dans le centre de Paris, on observe en no­ vembre, et donc depuis le début du deuxième confinement, une nette augmentation de la fréquentation des urgences pédiatriques pour ten­ tatives de suicide ou idées suicidai­ res par rapport à septembre et octo­ bre. «Cinq patients de moins de 15 ans étaient hospitalisés début no­ vembre à la suite d’une défenestra­ tion, alors que cela concerne habi­ tuellement un adolescent par mois», indique le professeur Pauline Chaste, chef du service de pédopsy­ chiatrie de l’hôpital Necker. Au 20 novembre, il y a eu 9 TS de­ puis le début du mois, contre en gé­ néral 5 par mois. «Il est difficile de comparerauxchiffres2019,alorsque ce serait nécessaire pour tirer des conclusions solides, regrette la pro­ fesseure Chaste. Les TS ne sont pas bien tracées, et peuvent disparaître derrière les troubles associés, comme des épisodes dépressifs majeurs.» La professeure Sylvie Tordjman, chef du pôle hospitalo­universi­ taire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Rennes, est très in­ quiète. «Si les crises suicidaires [TS et idées suicidaires] sont restées stables en septembre­octobre pour les moins de 16 ans, elles ont plus que doublé du 1er au 15 novembre, par rapport à la même période de 2019, avec 10 TS et 22 idées suicidai­ res, contre 3 TS et 10 idées suicidai­ res en 2019.» Elle relève un nombre de pendaisons et de défenestra­ tions «anormalement élevé». Son service accueille trois fois plus de patients pour les troubles anxieux avec somatisation (comme des douleurs abdominales) et pour anorexie. «Le constat est identique à Redon, Rouen, Limoges, Nice…», poursuit la pédopsychiatre. A Nantes, les TS des moins de 15anssontenbaisse.«Probablement en raison de sa région moins touchée et peu urbanisée», estime Olivier Bonnot, chef du service universi­ taire de pédopsychiatrie du CHU de Nantes, qui se dit «préoccupé» par les augmentations de demandes de consultations de 30 % à 70 % avec des cas plus lourds. «Une tendance au niveau de la région», selon lui. «Effets positifs et négatifs» Même constat pour le Dr Charles­ Edouard Notredame, du service de psychiatriedel’enfantetdel’adoles­ cent du CHU de Lille, plus prudent. Il constate pour sa part «une légère augmentation des TS et idées suici­ daires en septembre­octobre 2020 par rapport à 2019, mais ce n’est pas majeur». De même, selon le profes­ seur Pierre Fourneret, pédopsychia­ tre et chef de service adjoint à l’hô­ pital Femme­Mère­Enfant (HFME) au CHU de Lyon, «il y a aujourd’hui une ambiance alarmiste, mais on n’a pas le sentiment que les tentatives de suicide augmentent en Rhône­Alpes, nous sommes plus prudents». «Attention aux discours généralis­ tes, car tous les enfants n’ont pas réagi de la même façon, et d’après une étude que nous avons menée sur 7300 enfants de l’académie de Lyon lorsdupremierconfinement,certains ont plutôt vu baisser leur niveau de stress», tempère le docteur Pauline Espi, pédopsychiatre à l’HFME. «Il y a eu des effets positifs et négatifs. Le premier confinement a dans cer­ tains cas généré de l’apaisement, avec une forte capacité d’adaptation des enfants et adolescents, ajoute Pierre Canouï, pédopsychiatre libé­ ral. Le deuxième confinement provo­ que plus de détresse psychologique.» S’ils divergent sur le degré de gra­ vitédelasituation,lesmédecinsspé­ cialistes lancent tous un plaidoyer pour une vraie épidémiologie en pé­ dopsychiatrie. Par ailleurs, notent­ ils, il faut être vigilant aux signaux d’alerte, comme un enfant qui dort moins bien, est irritable, triste, ou mouille ses draps. Un enfant ne ver­ balise pas forcément ses maux.  p.sa Dans les hôpitaux, des pédopsychiatres inquiets mais prudents
  • 2. 0123 VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020 planète | 9 teur Coline Stordeur, chef du pôle des TCA, qui voit aussi, en plus de l’anorexie mentale, davantage d’autres troubles tels que l’éméto­ phobie (phobie des vomissements), et de plus en plus d’enfants très anxieux, avec un troubleobsessionnelcompulsif(peurd’attra­ per le Covid­19 et d’autres maladies) et avec une restriction majeure de l’alimentation. Une enfant de 10 ans a par exemple rap­ porté qu’«un voisin est mort du Covid». «J’ai peur d’être à la rue», a fait valoir un garçon de 9 ans, dont l’un des deux parents venait de perdre son emploi. Pour beaucoup, les capacités d’adaptation au stress sont dépas­ sées, la courbe de poids s’est effondrée au printemps. Un patient de 10 ans a com­ mencé à se restreindre en mars, il a perdu 11 kg. Agée de 10 ans et demi, Malika a été ad­ mise quatre jours plus tôt, après un séjour dans un service de pédiatrie générale en Ile­ de­France. Déshydratée, elle pèse 22 kg pour 1,40 m, contre 33 kg il y a six mois. «Il faut donner plus de moyens à l’hôpital, ce n’est pas normal d’attendre une place trois semai­ nes», dit sa mère, en consultation en visio­ conférence avec le docteur Anaël Ayrolles. Autre conséquence des deux confine­ ments:uneaggravationdescomportements addictifs liés aux jeux vidéo, mais aussi à tous types d’écrans. «Cela a un impact ma­ jeur sur les relations familiales, la scolarité, le sommeil», indique le docteur Benjamin Pi­ trat. L’addiction aux écrans, qui représentait 10%desesconsultationsilyaseptans,enre­ présente 90 % aujourd’hui. Dans certains cas, «lorsque les parents arrêtent l’écran, cela amène l’enfant à des crises qui peuvent être impressionnantes: insultes, portes brisées à coups de pied, menaces de suicide…», dit­il. Le docteur Alexandre Hubert, responsable du centre médico­ psychologique (CMP) du 20e arrondissement, affilié à Robert­Debré, s’inquiète de l’aggravation de la crise: «Nous n’avonsplusdeformeslight,nousn’avonsque dulourdtoutdesuite»:unemèrequiaperdu son travail a demandé à son fils sa cagnotte pour payer les courses. Ils en sont venus aux mains. La précarisation des familles s’est accentuée dans le 20e. «Si les parents ne sa­ vent pas comment ils vont manger, stimuler leur enfant autiste en lui lisant une histoire ne peut être leur priorité», regrette le docteur Hubert, qui projette de repérer de façon pré­ coce les troubles psychiatriques avec une équipe mobile, dans les crèches. L’histoire d’Amir, 17 ans, condense celle de beaucoup de mineurs isolés. Arrivé aux ur­ gences pour overdose (cannabis et alcool) et scarifications dans la nuit du jeudi 12 au ven­ dredi 13 novembre, il souffre alors de trou­ bles anxieux majeurs. «Depuis la levée du confinement, on est débordés de mineurs iso­ lés qui arrivent aux urgences en overdose de stupéfiants. Certains sont enrôlés dans des réseaux de délinquance, dit Emmanuelle Pey­ ret, addictologue à Debré. Du jamais­vu.»  pascale santi Amir (le prénom a été changé), a été admis aux urgences de l’hôpital Robert­Debré, à Paris, après une overdose dans la nuit du 12 au 13novembre. NICOLAS KRIEF POUR «LE MONDE» Anxiété,stress,dépression…lapandémie aunfortimpactsurlasantémentale Denombreusesétudesdocumententlesconséquencesdel’épidémieetduconfinement Anxiété, dépression, trou­ bles du sommeil, mais aussi tentatives de sui­ cide, stress post­traumatique… En France comme ailleurs, les in­ dices des effets sur la santé men­ taledelapandémiedeCovid­19et du confinement s’accumulent. «Nous voulons éviter une troi­ sième vague, qui serait une vague delasantémentalepourlesjeunes et les moins jeunes», a prévenu le ministre de la santé, Olivier Véran, le 18 novembre, lors d’une visite dans les locaux d’une plate­ forme d’écoute, à Paris. La veille, s’appuyant sur des données de Santé publique France, le direc­ teur général de la santé, Jérôme Salomon, soulignait que «la crise sanitaire du Covid­19 a révélé la vulnérabilité psychique de nom­ breux Français», et donnait des conseils pour «prendre soin de soi». Le monde médical tire lui aussi la sonnette d’alarme. Enmatièredesantépublique,les enjeuxsontcolossaux.«Endehors du suicide, on meurt rarement di­ rectement d’un problème de santé mentale, mais c’est une cause de mortalité prématurée, du fait de la dégradation des habitudes de vie et de l’état de santé», souligne EnguerrandduRoscoät,responsa­ bledel’unitésantémentaleàladi­ rection de la prévention de Santé publique France. Les troubles mentaux représentent le premier poste de dépenses du régime gé­ néral de l’Assurance­maladie par pathologie(19,3milliardsd’euros), devant les cancers et les maladies cardio­vasculaires. Au total, leur coûtéconomiqueetsocialestéva­ lué à 109 milliards d’euros par an. Pourl’heure,c’estlafortehausse des états dépressifs qui est au­de­ vant de la scène. Au 12 novembre, le taux est de 21 % en population générale, soit deux fois plus que fin septembre, selon CoviPrev, une enquête nationale de Santé publique France qui interroge en ligne, à intervalles rapprochés, deséchantillonsindépendantsde 2000personnesdeplusde18ans. A titre de comparaison avec la période antérieure à l’apparition du Covid, 10 % de la population a vécu un épisode dépressif dans l’année précédente (selon la der­ nière enquête menée en 2017). Si un adulte sur cinq serait dé­ pressif, d’après CoviPrev qui uti­ lise une échelle reconnue, la pro­ portion est plus élevée encore chez les personnes déclarant une situation financière très difficile (35 %), celles avec des antécédents de troubles psychologiques (30%),lesinactifsetCSP−(respec­ tivement 29 % et 25 %), et les jeu­ nes (29 % chez les 18­24 ans, 25 % chez les 25­34 ans). «Quand l’enquête a démarré en mars, pendant le premier confine­ ment, c’était les états anxieux qui dominaient, présents chez 27% des personnes. Le taux de dépres­ sion était, lui, aux alentours de 20 %. Le niveau d’anxiété a rapide­ ment baissé pendant le confine­ ment,toutcommelesétatsdépres­ sifs à la sortie de celui­ci», précise Enguerrand du Roscoät. Dans le bilan du 12 novembre, le taux d’anxiété est de 20,8 %, il repart à la hausse depuis septembre mais en moindre proportion que les états dépressifs. «La surveillance épidémiologi­ que de la santé mentale fait appel à deux approches: d’une part des enquêtes populationnelles, de l’autre l’analyse de données sur les recours aux soins», explique Imane Khireddine­Medouni, mé­ decin coordinatrice du pro­ gramme santé mentale à la direc­ tion des maladies non transmis­ sibles de Santé publique France. C’est ainsi que, début octobre, un rapport de l’Assurance­maladie et de l’Agence du médicament révé­ lait une hausse notable de pres­ criptions de médicaments psy­ chotropes (anxiolytiques et hyp­ notiques) pendant la période de mars à septembre. Outre CoviPrev, Santé publique France participe à plusieurs en­ quêtes épidémiologiques autour de la santé mentale, sur des popu­ lations d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Parallèlement, l’agence sanitaire étudie l’évolution entre 2019et2020d’indicateurscomme lenombred’hospitalisationsdans les services de psychiatrie, mais aussi les passages en service d’ur­ gencesetleshospitalisationspour tentative de suicide. Dans ce contexte de crise sani­ taire,socialeetéconomique,lesu­ jet des risques suicidaires est par­ ticulièrement scruté, d’autant qu’il y a quelques signaux dans la population pédiatrique. Le ser­ vice de pédopsychiatrie de l’hôpi­ tal parisien Robert­Debré a lancé une alerte après avoir enregistré récemment une nette hausse des tentatives de suicide et idées suicidaires chez les moins de 15 ans, un constat retrouvé dans d’autres endroits. Chez les adultes, il n’y a pas jus­ qu’à présent de données en fa­ veurd’uneaugmentationdesten­ tatives de suicide en France de­ puis le confinement. Les résultats de recherches évaluant l’évolu­ tion de cet indicateur en 2020 par rapport aux années précédentes sont attendus au premier tri­ mestre 2021. Un sondage IFOP mené en septembre auprès de 2000 personnes pour la Fonda­ tion Jean Jaurès estime toutefois que, parmi les 20 % qui ont envi­ sagé «sérieusement» de se suici­ der dans leur vie, 11 % l’ont fait pendant le premier confinement et 17 % depuis la fin de celui­ci. Si ce pourcentage global de 20 % est comparable à celui de l’enquête précédente de 2016, trois caté­ gories socioprofessionnelles ont des taux d’intention plus élevés: les dirigeants d’entreprise et les chômeurs (27%), et les artisans­ commerçants (25 %). Evénement traumatisant La vague de suicides pourrait être devant nous, estime le psychiatre Michel Debout sur le site Internet de la Fondation Jean Jaurès, dont il est membre fondateur. Il rap­ pellequelelienentrecrisessocio­ économiques et risque suicidaire est connu depuis 1929, les effets suicidaires des crises se faisant en général sentir avec un délai de plusieurs mois ou années. Desenquêtessontaussiencours au niveau international, telle COH­FIT qui vise à évaluer l’im­ pact de la pandémie sur la santé physiqueetmentale.Elleadéjàin­ clus plus de 100000 personnes, dans une quarantaine de pays. Selon les résultats préliminaires, communiqués le 10 novembre, la crise a augmenté le niveau de stress, la sensation de solitude ou de colère, en particulier chez les femmes et les jeunes: 27 % des femmes ressentent un stress accru (contre 14% des hommes). Un jeune sur quatre indique res­ sentir une plus grande solitude. Une vaste enquête menée par le Centre national de ressources et de résilience auprès des universi­ tés françaises, à laquelle ont ré­ pondu près de 70000 étudiants, confirme leur souffrance psycho­ logique pendant le confinement: 27,5 % déclarent un haut niveau d’anxiété, 24,7 % un stress intense, 22,4 % une détresse importante, 16,1 % une dépression sévère, et 11,4 % des idées suicidaires. Des facteurs de risque, comme la pré­ carité et les antécédents psychia­ triques, ont été identifiés, précise l’articlepubliédansJAMANetwork Openenoctobre.Pointinquiétant, seulement12,4%desétudiantsdé­ clarant un trouble ont consulté. Quid des conséquences psychi­ ques du Covid­19 pour les indivi­ dus directement touchés par le virus? Dans les trois mois suivant l’infection, près d’un patient sur cinq (18%) développerait des symptômes de type anxiété et dé­ pression, estime une étude à par­ tir des données de santé de près de 70 millions d’Américains (The Lancet Psychiatry, 9 novembre). Les malades du Covid, et notam­ mentceuxpassésenréanimation, sont aussi guettés par un trouble de stress post­traumatique. En­ core sous­diagnostiqué en France, ce syndrome se caractérise par de nombreux signes (cauchemars et flash­back, évitement des situa­ tions et personnes évoquant le traumatisme, état d’alerte perma­ nent, émotions négatives…) per­ sistant plus d’un mois après l’événement traumatisant. «Hors Covid, une revue de la littérature a établi qu’un patient sur quatre développeuntroubledestresspost­ traumatique après un séjour en réanimation. Ce contexte réunit tous les facteurs de risque, à com­ mencer par la peur de mourir, qui estàlabasedutrauma»,résumela psychiatre Coraline Hingray (CHU de Nancy), coautrice avec Wissam El­Hage de Le trauma, comment s’en sortir? (De Boeck Supérieur, 192 pages, 19,95 euros). Pour l’heure, les données épidé­ miologiques spécifiques chez des malades atteints du Covid­19 sont encore peu nombreuses, mais si les proportions sont du même ordre, ce sont potentielle­ mentdesmilliersdepatientspas­ sés en réanimation qui pour­ raient être concernés en France. Face à ces risques, des profession­ nels plaident pour une proposi­ tion systématique de suivi psy­ chologique à la sortie de réani­ mation ou de soins intensifs, un dépistage des traumas, et des en­ quêtes épidémiologiques.  sandrine cabut MI­NOVEMBRE, LE TAUX  D’ÉTATS DÉPRESSIFS EST  DE 21 %, SOIT DEUX FOIS  PLUS QUE FIN SEPTEMBRE,  SELON UNE ENQUÊTE  NATIONALE DE SANTÉ  PUBLIQUE FRANCE ▶▶▶
  • 3. 10| planète VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020 0123 «Cettecriseestplacéesouslesignedel’émotion» LepsychiatreMichelLejoyeuxdécritl’éventaildestroublespsychiquesliésàlapandémiedeCovid­19 ENTRETIEN L e professeur Michel Le­ joyeux est chef du service de psychiatrie et addicto­ logie de l’hôpital Bichat (AP­HP). Il est l’auteur de l’ouvrage Les Quatre Temps de la renaissance (JC Lattès, 198 pages, 19,90 euros), publié en octobre. Selon le psychiatre, les méthodes destinées à préserver son esprit sont devenues nécessaires. Qu’est­ce qui vous frappe le plus dans cette épidémie? C’est une crise avant tout infec­ tieuse et médicale, mais qui a été d’emblée placée sous le signe de l’émotion, posant la question de comment s’adapter et résister psychologiquement à cette situa­ tion inédite. A l’hôpital, la psy­ chiatrie est apparue comme un élément essentiel du dispositif, pour soutenir les équipes, ce que nous avons fait à l’Assistance pu­ blique, grâce à une hotline, mais plus largement pour participer à une réflexion sur la résistance émotionnelle. Cela me paraît as­ sez nouveau. Lors des épidémies de grippe, il n’y a probablement jamais eu de questionnement sur ces sujets. Jusqu’ici, les méthodes pourprotégersonespritapparais­ saient comme des approches de confort, elles sont devenues aujourd’hui une nécessité. Cette nouvelle maladie est­elle une source de psychotrauma­ tisme, comme une catastrophe naturelle ou un attentat? D’authentiques troubles de stress post­traumatique, qui se caractérisent par un état d’alerte permanent, des cauchemars à ré­ pétition et l’évitement des situa­ tions rappelant le traumatisme ont effectivement été décrits dans cettepandémie.Ilyaeudescaspar exemple chez des soignants con­ frontés à une situation particuliè­ rement douloureuse, et chez des «patients Covid», notamment après de longues semaines de réa­ nimation. Il y a aussi des risques accrus chez des personnes qui ont étéendeuilléesdefaçonbrutaleou traumatisante, et qui n’ont pu as­ sisterauxderniersinstantsdeleur proche ou à ses obsèques. Mais, pour la majorité des gens, cette crise et le confinement ont surtoutentraînédessituationsde stress aigu et pour certains chro­ nique.Ilfautbiendistinguerdeux populations. Tous ceux qui jus­ que­là allaient bien au plan psy­ chologique, social, affectif… peu­ vent mobiliser des capacités de résilience. On est ici davantage dans le champ de la santé et de la prévention que du traitement. La situation est bien différente pour les individus qui avaient déjà des problèmes psychologiques ou psychiatriques et que la crise a en­ core plus fragilisés. Ceux­là doi­ vent être repérés et accompagnés par des professionnels. Je constate deux phénomènes particuliers: d’abord, un taux élevé de dépressions post­infec­ tieuses chez les malades du Co­ vid­19. Et, par ailleurs, une aug­ mentation des conduites addicti­ ves, avec un raisonnement du type «on est en confinement, donc il faut boire». L’alcool est ici consommé comme anxiolytique, mais il y a d’autres moyens de gérer des émotions négatives. Vous invitez à s’appuyer sur le passé pour mieux gérer les situations de stress… Face à des situations angoissan­ tes comme celles que nous vivons avec ce virus, certains essaient d’oublier en se taisant tandis que d’autres necessentd’enparler.Ces deux attitudes ne sont pas patho­ logiques en soi, l’important est de parvenir à être relativement en paix avec son passé pour aborder le présent et le futur. Pour aider à digérerlesstressanciensetaffron­ ter ceux à venir, je propose des techniques de thérapies compor­ tementales et cognitives, qui ont étévalidéesdanslesétatsdestress post­traumatique, et que j’ai adap­ tées pour qu’elles soient utilisa­ bles par tout un chacun, de façon simple,dansunbutdeprévention. Ainsi de l’écriture expressive, dont le principe est de noter chaque jour, pendant une quinzaine de minutes,dessouvenirsetlesémo­ tions qui sont associées. Recom­ mencer plusieurs jours de suite l’exercice permet de mettre pro­ gressivement à distance des évé­ nements difficiles du passé. Ecrire n’est pas naturel pour tout le monde. Comment faciliter le processus? D’abord, il faut s’aménager un vrai espace de tranquillité pour cette rencontre avec soi­même, en définissant les conditions qui nous sont les plus favorables en termes de moment de la journée, de cadre… Pour faciliter l’écriture, je conseille d’avoir recours à des mots «gâchette», qui inspirent. Dans le même esprit que l’écri­ ture expressive, on peut chaque jour sélectionner trois souvenirs «chauds», c’est­à­dire associés à une émotion – qu’elle soit posi­ tive ou négative –; et mettre en face trois souvenirs «froids», qui correspondent à des moments que l’on a traversés avec une sorte de neutralité émotionnelle. S’en­ traîner à repérer ces différents ty­ pes de souvenirs aide à mieux to­ lérer des émotions désagréables. Vous faites aussi l’éloge de la nostalgie, qui serait un facteur de protection contre le stress… Des études psychologiques me­ nées récemment en France ont montré que les personnes nostal­ giques, c’est­à­dire qui ressentent avec un peu de regret le temps passé, sont dans certaines épreu­ ves les plus résilientes. Se recon­ necter à une part ancienne de soi aide à se protéger psychologique­ ment quand on traverse une pé­ riode difficile. C’est donc une di­ mension de comportement qui peut être cultivée. En tout cas, cela incite à être vigilant et à garder des tracesdesonpassé.Cettecrisen’est probablement pas un bon mo­ ment pour faire un grand ménage et se débarrasser de vieux objets. La pandémie nous oblige à com­ poser avec de grandes incertitu­ des pour le futur. Comment développer cette capacité? En situation normale, les per­ sonnes qui sont constamment en recherche de nouveauté, d’aven­ ture,desensationssontplutôtdé­ savantagées, car elles sont sou­ vent instables sur le plan affectif, professionnel… Sur le plan neuro­ biologique, c’est en rapport avec un taux élevé de dopamine dans certaines zones du cerveau, au ni­ veau du circuit de la récompense. En tant qu’addictologue, j’ai longtemps conseillé à mes pa­ tients d’être plutôt dans le con­ trôle des risques, et je ne vais évidemment pas les inciter à l’ivresse. Mais paradoxalement, il apparaît que certaines personna­ lités en recherche de sensations sont moins vulnérables en pé­ riode de crise. Quand on a un dé­ sir d’aventure, ce que l’actualité nous impose d’incertitudes pa­ raît moins insupportable. On peutdonc,enrestantraisonnable, multiplier les petites expériences de nouveauté. C’est, par exemple, essayer quelque chose dont on se dit que «ce n’est pas mon genre», dans le domaine de l’ali­ mentation,delalecture,delamu­ sique… Intérioriser la nouveauté permet qu’elle devienne moins menaçante. De même, pour s’habituer à l’in­ certitude, et devenir plus rési­ lient, on peut procéder à des sor­ tes de désensibilisation, en fai­ sant des expériences bénignes d’incertitude. En pratique, cela consiste à se mettre dans des si­ tuations que l’on maîtrise un peu moins, comme accepter de délé­ guer une tâche, etc. Vous évoquez trois facteurs majeurs pour se faire du bien en période de crise, quel est ce kit de survie? Il s’agit d’idées et d’activités simples qui ont été identifiées par des chercheurs du King’s College deLondres,enfaisantunerevuede lalittératuresurl’impactpsycholo­ giquedesquarantaines.Lepremier facteur protecteur est l’amuse­ mentetlaluttecontrel’ennui:tout ce qui nous distrait contribue à la résilience. Le deuxième a trait à l’information,c’estlebonéquilibre entre le refus de savoir – qui dans une maladie infectieuse comme le Covidpeutêtredangereux–etune consommation permanente d’in­ formations, trop anxiogène. Enfin, le troisième élément du kit de survie est l’altruisme: en prenant soin des autres, on prend aussi soin de soi.  propos recueillis par sandrine cabut « LE PREMIER FACTEUR  PROTECTEUR EST  L’AMUSEMENT ET LA LUTTE  CONTRE L’ENNUI :  TOUT CE QUI NOUS  DISTRAIT CONTRIBUE  À LA RÉSILIENCE »