#SANTE #MENTALE #MINEURS
Incertitude sur l’avenir, perte de repères, isolement, scolarité perturbée..., le nombre d'urgences pour motif #pédopsychiatre explose depuis le reconfinement.
Une situation mondiale car, par exemple aux Etats-Unis, depuis septembre, la proportion de visites aux #urgences liées à la santé mentale des #enfants âgés de 5 à 11 ans et de 12 à 17 ans a augmenté respectivement de 24 % et 31 %.
♨️ Une augmentation en nombre ainsi qu'en sévérité, particulièrement pour les enfants avec un #handicap.
⚠️ Sans oublier l'augmentation du #harcèlement en ligne et les #violences intrafamiliales 119. grand juli
Des dérèglements qui troublent les comportements alimentaires, aggravent l'addiction aux jeux vidéos, influent sur le sommeil...
️ Face à cette dégradation de la santé mentale, un suivi #psychologique spécifique sera indispensable, selon Santé publique France cf. enquête #CoviPrev.
1. 8|
PLANÈTE VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020
0123
A RobertDebré,
« l’explosion » des
troubles psychiques
chez les enfants
Lessoignantsdel’hôpitalpédiatrique,situé
danslenordestdeParis,observentundoublement
destentativesdesuicidechezlesmineurs
demoinsde15ansparrapportà2019
REPORTAGE
E
n ce lundi de novembre, il y a af
fluenceàlaconsultationd’orien
tation psychiatrique de l’hôpital
pour enfants RobertDebré, si
tuédanslenordestdeParis,l’un
des plus gros d’IledeFrance.
Marco (les prénoms ont été changés), 15 ans,
quisouffredetroubledudéficitdel’attention
avec ou sans hyperactivité (TDAH), a très mal
vécu le premier confinement. Il s’est mis à
jouer aux jeux vidéo, a décalé son sommeil.
L’idéed’unnouveauconfinement,deneplus
pouvoirallerauskatepark,deneplusvoirses
amis,l’apaniqué.Iln’estpasretournéaulycée
aprèslesvacancesdelaToussaint,etaétéhos
pitalisé en raison d’idées suicidaires.
A quelques couloirs de là, aux urgences
pédiatriques, un garçon de 14 ans attend de
voir un pédopsychiatre. Il s’est jeté sur les
rails d’un train qui, heureusement, est passé
de l’autre côté. Quelques jours auparavant,
il avait fui l’école et erré, en IledeFrance.
Depuis septembre, un enfant de moins de
15 ans arrive ainsi presque chaque jour aux
urgences de RobertDebré pour une tenta
tive de suicide, contre environ un tous les
trois jours un an avant. Selon un tableau de
bord de l’Assistance publiqueHôpitaux de
Paris (APHP) du 19 novembre recensant l’ac
tivité horsCovid des 39 hôpitaux – majori
tairement franciliens – du groupe, les hospi
talisationsenpédiatriepourraisonspsychia
triques ne cessent d’augmenter depuis août.
Elles se situaient fin octobre à 3600, contre
2400 un an plus tôt, soit une hausse de 50 %.
Crise économique, attentats, incertitude
sur l’avenir, scolarité perturbée, etc., les en
fants et adolescents sont en première ligne
de cette deuxième vague. Le professeur
Richard Delorme, qui dirige le service de
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de
RobertDebré, a adressé un message d’alerte
à l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ilede
France et aux autorités sanitaires. Les tentati
ves de suicide (TS) chez les mineurs de moins
de 15 ans enregistrées dans son établisse
ment en septembreoctobre ont doublé par
rapport à la même période de 2019, passant
de 20 à 40. Les relevés d’idées suicidaires ont
augmenté de plus de 100 %. Et cette tendance
se poursuit en novembre.
DES DÉLAIS DE RENDEZ-VOUS D’UN AN
Ces situations complexes surviennent alors
que son service est déjà en tension. Le nom
bre d’urgences pour motif pédopsychiatri
que a doublé en dix ans, à environ 2000 par
an. «Depuis début septembre, à chaque fois
que je suis appelée aux urgences, c’est pour
l’explosiondesTSetidéessuicidaires,destrou
bles anxieux», constate le docteur Alicia Co
henFreoua, de garde ce lundi. «La vague,
nous la voyons depuis la rentrée. Nous gérons
des situations de crise, avec des enfants à hos
pitaliser, et pour qui il faut organiser un suivi,
nous manquons de lits», constatent Marion
Priam et Cathy Gaudin, infirmières.
Al’instard’autresétablissements,ceservice
de 207 personnes, dont 140 tempspleins,
souffre d’un manque de personnels, surtout
d’infirmiers, et cela depuis plusieurs années,
même s’il y a peu d’absentéisme. Une cin
quantainedepatientsysonthospitalisésetle
nombre de consultations devrait frôler les
10000cetteannée.Lesdélaispourobtenirun
rendezvous peuvent aller jusqu’à un an.
Inquiet des chiffres de tentatives de suicide,
Richard Delorme a voulu en savoir plus.
L’équipe s’est plongée dans les registres des
urgences. En 2013, il y avait eu 8 TS entre sep
tembre et octobre. Il déplore le manque de
données à l’échelon national, alors que plu
sieurs études menées en Chine, à Taïwan ou
en Europe rapportent une augmentation des
idées suicidaires et des tentatives de suicide
chez l’enfant depuis la pandémie. Aux Etats
Unis, la proportion de visites aux urgences
liéesàlasantémentaledesenfantsâgésde5à
11 ans et de 12 à 17 ans a augmenté respective
ment d’environ 24 % et 31 %, selon des don
néesdesCentrespourlecontrôleetlapréven
tion des maladies (CDC), l’autorité sanitaire
fédérale, publiées vendredi 13 novembre.
Richard Delorme est conscient que ces chif
fres sont à prendre avec des pincettes, au re
gard de la situation géographique de l’hôpital
et de la période, plus propice aux dépressions
saisonnières. «Notre hôpital se situe près des
arrondissements et zones les plus touchés par
le Covid, plus précaires», constatetil. Il a pris
son téléphone, a interpellé ses collègues.
Beaucoup partagent cette inquiétude.
Dans la cour du service d’hospitalisation,
Sandra, 14 ans, déambule avec son éduca
trice, en mâchant les lanières de son sweat
shirt. Elle est arrivée ici trois jours plus tôt
pour une TS et des troubles anxieux impor
tants liés au confinement. Trois autres en
fants sont là en hôpital de jour afin de rééva
luer la prise en charge ou le diagnostic.
Depuis la rentrée, après une baisse de fré
quentation de mimars à mimai, comme
dans tous les hôpitaux, «nous voyons des
patients avec des troubles plus sévères. C’est
comme si on ne voyait plus les petites urgen
ces»–lestroublesducomportement,lesagi
tations –, explique le docteur Alicia Cohen
Freoua. «Le confinement de mars a eu un re
tentissement particulier sur les enfants avec
un handicap, perturbant l’accès aux soins et
le quotidien des familles d’enfant présentant
un trouble du neurodéveloppement», dé
taille Valérie Vantalon, médecin au sein de
l’équipe des troubles du spectre autistique.
«NOUS N’AVONS PLUS DE FORMES LIGHT»
Outre l’école fermée, la prise en charge (or
thophonie, psychomotricité…) s’est quasi
ment arrêtée pour les enfants présentant un
trouble. Certains établissements (instituts
médicoéducatifs…) ont fermé, obligeant les
enfants à revenir à la maison. «C’était dur,
mon fils de 10 ans, autiste, était réfractaire
à touteslesactivitésavecmoi,lesparcsétaient
fermés, il ne comprenait pas la marche sans
but, j’allais parfois faire des tours de périphéri
que en voiture», se souvient Asma, venue
pour une consultation.
«Je ne suis pas une assistante de vie scolaire,
jenesuisquemaman»,ditlamèredeNathan,
8 ans, venu voir le Dr Vincent Trebossen,
pour un déficit de l’attention avec hyperacti
vité,ettouchéparunemaladierare.«Nathan
aperdutoussesrepères,ilabesoindesavoirce
qu’il va se passer le lendemain, le fait d’être vu
envisionelerassuraitpas»,ditsamère.«Sans
lamobilisationdel’équipesoignante,çaaurait
été la catastrophe, le confinement se serait
mal terminé pour toute la famille», raconte
Alexandra,mèredeThéo,7ans,quisouffrede
TSA et de trouble attentionnel.
Tandis que certaines familles ont plutôt
bien géré cette période, d’autres enfants l’ont
très mal vécue, faisant face à une augmenta
tion du harcèlement en ligne; mais aussi à
des violences intrafamiliales, dont témoigne
la hausse des appels au 119. Afin de venir en
aide à ces parents qui devaient prendre en
charge seuls leurs enfants, le service s’est
réorganiséetapubliédesconseilssousforme
de fiches ou vidéos et ne faisant venir que les
patientslespluscritiques.Depuismars,lesite
a enregistré près de 700000 connexions.
Un peu plus loin, l’unité des troubles du
comportement alimentaire (TCA), qui ac
cueille des enfants de 7 à 12 ans, avec neuf lits
d’hospitalisation, fait face à une augmenta
tion des demandes depuis ce printemps,
alors que la situation est déjà habituellement
tendue. «Depuis maijuin, nous avons l’im
pression que nous avons plus d’enfants avec
des TCA restrictifs sévères», explique le doc
PARMI LES
CONSÉQUENCES
DES DEUX
CONFINEMENTS : UNE
AGGRAVATION DES
COMPORTEMENTS
ADDICTIFS LIÉS AUX
JEUX VIDÉO, MAIS
AUSSI À TOUS LES
TYPES D’ÉCRANS
CRISE SANITAIRE
l’alerte a été lancée début no
vembre par le professeur Richard
Delorme, pédopsychiatre à l’hôpital
parisien RobertDebré, qui s’inquié
tait d’une nette hausse des tentati
ves de suicide (TS) chez les mineurs
de moins de 15 ans depuis la rentrée.
Ce phénomène touchaitil tout le
pays, ou étaitil localisé au nordest
parisien? D’un bout à l’autre du
pays, les psychiatres ont consulté
leurs registres d’entrées aux urgen
ces. Tous ne font pas aujourd’hui
part du même degré d’inquiétude.
A l’hôpital Necker (APHP), dans le
centre de Paris, on observe en no
vembre, et donc depuis le début du
deuxième confinement, une nette
augmentation de la fréquentation
des urgences pédiatriques pour ten
tatives de suicide ou idées suicidai
res par rapport à septembre et octo
bre. «Cinq patients de moins de
15 ans étaient hospitalisés début no
vembre à la suite d’une défenestra
tion, alors que cela concerne habi
tuellement un adolescent par mois»,
indique le professeur Pauline
Chaste, chef du service de pédopsy
chiatrie de l’hôpital Necker.
Au 20 novembre, il y a eu 9 TS de
puis le début du mois, contre en gé
néral 5 par mois. «Il est difficile de
comparerauxchiffres2019,alorsque
ce serait nécessaire pour tirer des
conclusions solides, regrette la pro
fesseure Chaste. Les TS ne sont pas
bien tracées, et peuvent disparaître
derrière les troubles associés, comme
des épisodes dépressifs majeurs.»
La professeure Sylvie Tordjman,
chef du pôle hospitalouniversi
taire de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent de Rennes, est très in
quiète. «Si les crises suicidaires [TS
et idées suicidaires] sont restées
stables en septembreoctobre pour
les moins de 16 ans, elles ont plus
que doublé du 1er au 15 novembre,
par rapport à la même période de
2019, avec 10 TS et 22 idées suicidai
res, contre 3 TS et 10 idées suicidai
res en 2019.» Elle relève un nombre
de pendaisons et de défenestra
tions «anormalement élevé». Son
service accueille trois fois plus de
patients pour les troubles anxieux
avec somatisation (comme des
douleurs abdominales) et pour
anorexie. «Le constat est identique
à Redon, Rouen, Limoges, Nice…»,
poursuit la pédopsychiatre.
A Nantes, les TS des moins de
15anssontenbaisse.«Probablement
en raison de sa région moins touchée
et peu urbanisée», estime Olivier
Bonnot, chef du service universi
taire de pédopsychiatrie du CHU de
Nantes, qui se dit «préoccupé» par
les augmentations de demandes de
consultations de 30 % à 70 % avec
des cas plus lourds. «Une tendance
au niveau de la région», selon lui.
«Effets positifs et négatifs»
Même constat pour le Dr Charles
Edouard Notredame, du service de
psychiatriedel’enfantetdel’adoles
cent du CHU de Lille, plus prudent.
Il constate pour sa part «une légère
augmentation des TS et idées suici
daires en septembreoctobre 2020
par rapport à 2019, mais ce n’est pas
majeur». De même, selon le profes
seur Pierre Fourneret, pédopsychia
tre et chef de service adjoint à l’hô
pital FemmeMèreEnfant (HFME)
au CHU de Lyon, «il y a aujourd’hui
une ambiance alarmiste, mais on n’a
pas le sentiment que les tentatives de
suicide augmentent en RhôneAlpes,
nous sommes plus prudents».
«Attention aux discours généralis
tes, car tous les enfants n’ont pas
réagi de la même façon, et d’après
une étude que nous avons menée sur
7300 enfants de l’académie de Lyon
lorsdupremierconfinement,certains
ont plutôt vu baisser leur niveau de
stress», tempère le docteur Pauline
Espi, pédopsychiatre à l’HFME. «Il y
a eu des effets positifs et négatifs.
Le premier confinement a dans cer
tains cas généré de l’apaisement,
avec une forte capacité d’adaptation
des enfants et adolescents, ajoute
Pierre Canouï, pédopsychiatre libé
ral. Le deuxième confinement provo
que plus de détresse psychologique.»
S’ils divergent sur le degré de gra
vitédelasituation,lesmédecinsspé
cialistes lancent tous un plaidoyer
pour une vraie épidémiologie en pé
dopsychiatrie. Par ailleurs, notent
ils, il faut être vigilant aux signaux
d’alerte, comme un enfant qui dort
moins bien, est irritable, triste, ou
mouille ses draps. Un enfant ne ver
balise pas forcément ses maux.
p.sa
Dans les hôpitaux, des pédopsychiatres inquiets mais prudents
2. 0123
VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020 planète | 9
teur Coline Stordeur, chef du pôle des TCA,
qui voit aussi, en plus de l’anorexie mentale,
davantage d’autres troubles tels que l’éméto
phobie (phobie des vomissements), et de
plus en plus d’enfants très anxieux, avec un
troubleobsessionnelcompulsif(peurd’attra
per le Covid19 et d’autres maladies) et avec
une restriction majeure de l’alimentation.
Une enfant de 10 ans a par exemple rap
porté qu’«un voisin est mort du Covid». «J’ai
peur d’être à la rue», a fait valoir un garçon
de 9 ans, dont l’un des deux parents venait
de perdre son emploi. Pour beaucoup, les
capacités d’adaptation au stress sont dépas
sées, la courbe de poids s’est effondrée au
printemps. Un patient de 10 ans a com
mencé à se restreindre en mars, il a perdu
11 kg. Agée de 10 ans et demi, Malika a été ad
mise quatre jours plus tôt, après un séjour
dans un service de pédiatrie générale en Ile
deFrance. Déshydratée, elle pèse 22 kg pour
1,40 m, contre 33 kg il y a six mois. «Il faut
donner plus de moyens à l’hôpital, ce n’est
pas normal d’attendre une place trois semai
nes», dit sa mère, en consultation en visio
conférence avec le docteur Anaël Ayrolles.
Autre conséquence des deux confine
ments:uneaggravationdescomportements
addictifs liés aux jeux vidéo, mais aussi à
tous types d’écrans. «Cela a un impact ma
jeur sur les relations familiales, la scolarité,
le sommeil», indique le docteur Benjamin Pi
trat. L’addiction aux écrans, qui représentait
10%desesconsultationsilyaseptans,enre
présente 90 % aujourd’hui. Dans certains
cas, «lorsque les parents arrêtent l’écran, cela
amène l’enfant à des crises qui peuvent être
impressionnantes: insultes, portes brisées à
coups de pied, menaces de suicide…», ditil.
Le docteur Alexandre Hubert, responsable
du centre médico psychologique (CMP) du
20e arrondissement, affilié à RobertDebré,
s’inquiète de l’aggravation de la crise: «Nous
n’avonsplusdeformeslight,nousn’avonsque
dulourdtoutdesuite»:unemèrequiaperdu
son travail a demandé à son fils sa cagnotte
pour payer les courses. Ils en sont venus aux
mains. La précarisation des familles s’est
accentuée dans le 20e. «Si les parents ne sa
vent pas comment ils vont manger, stimuler
leur enfant autiste en lui lisant une histoire
ne peut être leur priorité», regrette le docteur
Hubert, qui projette de repérer de façon pré
coce les troubles psychiatriques avec une
équipe mobile, dans les crèches.
L’histoire d’Amir, 17 ans, condense celle de
beaucoup de mineurs isolés. Arrivé aux ur
gences pour overdose (cannabis et alcool) et
scarifications dans la nuit du jeudi 12 au ven
dredi 13 novembre, il souffre alors de trou
bles anxieux majeurs. «Depuis la levée du
confinement, on est débordés de mineurs iso
lés qui arrivent aux urgences en overdose de
stupéfiants. Certains sont enrôlés dans des
réseaux de délinquance, dit Emmanuelle Pey
ret, addictologue à Debré. Du jamaisvu.»
pascale santi
Amir (le prénom
a été changé),
a été admis
aux urgences
de l’hôpital
RobertDebré,
à Paris, après
une overdose
dans la nuit
du 12 au
13novembre.
NICOLAS KRIEF
POUR «LE MONDE»
Anxiété,stress,dépression…lapandémie
aunfortimpactsurlasantémentale
Denombreusesétudesdocumententlesconséquencesdel’épidémieetduconfinement
Anxiété, dépression, trou
bles du sommeil, mais
aussi tentatives de sui
cide, stress posttraumatique…
En France comme ailleurs, les in
dices des effets sur la santé men
taledelapandémiedeCovid19et
du confinement s’accumulent.
«Nous voulons éviter une troi
sième vague, qui serait une vague
delasantémentalepourlesjeunes
et les moins jeunes», a prévenu
le ministre de la santé, Olivier
Véran, le 18 novembre, lors d’une
visite dans les locaux d’une plate
forme d’écoute, à Paris. La veille,
s’appuyant sur des données de
Santé publique France, le direc
teur général de la santé, Jérôme
Salomon, soulignait que «la crise
sanitaire du Covid19 a révélé la
vulnérabilité psychique de nom
breux Français», et donnait des
conseils pour «prendre soin de
soi». Le monde médical tire lui
aussi la sonnette d’alarme.
Enmatièredesantépublique,les
enjeuxsontcolossaux.«Endehors
du suicide, on meurt rarement di
rectement d’un problème de santé
mentale, mais c’est une cause de
mortalité prématurée, du fait de
la dégradation des habitudes de
vie et de l’état de santé», souligne
EnguerrandduRoscoät,responsa
bledel’unitésantémentaleàladi
rection de la prévention de Santé
publique France. Les troubles
mentaux représentent le premier
poste de dépenses du régime gé
néral de l’Assurancemaladie par
pathologie(19,3milliardsd’euros),
devant les cancers et les maladies
cardiovasculaires. Au total, leur
coûtéconomiqueetsocialestéva
lué à 109 milliards d’euros par an.
Pourl’heure,c’estlafortehausse
des états dépressifs qui est aude
vant de la scène. Au 12 novembre,
le taux est de 21 % en population
générale, soit deux fois plus que
fin septembre, selon CoviPrev,
une enquête nationale de Santé
publique France qui interroge en
ligne, à intervalles rapprochés,
deséchantillonsindépendantsde
2000personnesdeplusde18ans.
A titre de comparaison avec la
période antérieure à l’apparition
du Covid, 10 % de la population a
vécu un épisode dépressif dans
l’année précédente (selon la der
nière enquête menée en 2017).
Si un adulte sur cinq serait dé
pressif, d’après CoviPrev qui uti
lise une échelle reconnue, la pro
portion est plus élevée encore
chez les personnes déclarant une
situation financière très difficile
(35 %), celles avec des antécédents
de troubles psychologiques
(30%),lesinactifsetCSP−(respec
tivement 29 % et 25 %), et les jeu
nes (29 % chez les 1824 ans, 25 %
chez les 2534 ans).
«Quand l’enquête a démarré en
mars, pendant le premier confine
ment, c’était les états anxieux qui
dominaient, présents chez 27%
des personnes. Le taux de dépres
sion était, lui, aux alentours de
20 %. Le niveau d’anxiété a rapide
ment baissé pendant le confine
ment,toutcommelesétatsdépres
sifs à la sortie de celuici», précise
Enguerrand du Roscoät. Dans le
bilan du 12 novembre, le taux
d’anxiété est de 20,8 %, il repart
à la hausse depuis septembre
mais en moindre proportion que
les états dépressifs.
«La surveillance épidémiologi
que de la santé mentale fait appel
à deux approches: d’une part
des enquêtes populationnelles, de
l’autre l’analyse de données sur
les recours aux soins», explique
Imane KhireddineMedouni, mé
decin coordinatrice du pro
gramme santé mentale à la direc
tion des maladies non transmis
sibles de Santé publique France.
C’est ainsi que, début octobre, un
rapport de l’Assurancemaladie et
de l’Agence du médicament révé
lait une hausse notable de pres
criptions de médicaments psy
chotropes (anxiolytiques et hyp
notiques) pendant la période de
mars à septembre.
Outre CoviPrev, Santé publique
France participe à plusieurs en
quêtes épidémiologiques autour
de la santé mentale, sur des popu
lations d’enfants, d’adolescents et
d’adultes. Parallèlement, l’agence
sanitaire étudie l’évolution entre
2019et2020d’indicateurscomme
lenombred’hospitalisationsdans
les services de psychiatrie, mais
aussi les passages en service d’ur
gencesetleshospitalisationspour
tentative de suicide.
Dans ce contexte de crise sani
taire,socialeetéconomique,lesu
jet des risques suicidaires est par
ticulièrement scruté, d’autant
qu’il y a quelques signaux dans la
population pédiatrique. Le ser
vice de pédopsychiatrie de l’hôpi
tal parisien RobertDebré a lancé
une alerte après avoir enregistré
récemment une nette hausse
des tentatives de suicide et idées
suicidaires chez les moins de
15 ans, un constat retrouvé dans
d’autres endroits.
Chez les adultes, il n’y a pas jus
qu’à présent de données en fa
veurd’uneaugmentationdesten
tatives de suicide en France de
puis le confinement. Les résultats
de recherches évaluant l’évolu
tion de cet indicateur en 2020 par
rapport aux années précédentes
sont attendus au premier tri
mestre 2021. Un sondage IFOP
mené en septembre auprès de
2000 personnes pour la Fonda
tion Jean Jaurès estime toutefois
que, parmi les 20 % qui ont envi
sagé «sérieusement» de se suici
der dans leur vie, 11 % l’ont fait
pendant le premier confinement
et 17 % depuis la fin de celuici. Si
ce pourcentage global de 20 % est
comparable à celui de l’enquête
précédente de 2016, trois caté
gories socioprofessionnelles ont
des taux d’intention plus élevés:
les dirigeants d’entreprise et les
chômeurs (27%), et les artisans
commerçants (25 %).
Evénement traumatisant
La vague de suicides pourrait être
devant nous, estime le psychiatre
Michel Debout sur le site Internet
de la Fondation Jean Jaurès, dont
il est membre fondateur. Il rap
pellequelelienentrecrisessocio
économiques et risque suicidaire
est connu depuis 1929, les effets
suicidaires des crises se faisant en
général sentir avec un délai de
plusieurs mois ou années.
Desenquêtessontaussiencours
au niveau international, telle
COHFIT qui vise à évaluer l’im
pact de la pandémie sur la santé
physiqueetmentale.Elleadéjàin
clus plus de 100000 personnes,
dans une quarantaine de pays.
Selon les résultats préliminaires,
communiqués le 10 novembre, la
crise a augmenté le niveau de
stress, la sensation de solitude ou
de colère, en particulier chez les
femmes et les jeunes: 27 % des
femmes ressentent un stress
accru (contre 14% des hommes).
Un jeune sur quatre indique res
sentir une plus grande solitude.
Une vaste enquête menée par le
Centre national de ressources et
de résilience auprès des universi
tés françaises, à laquelle ont ré
pondu près de 70000 étudiants,
confirme leur souffrance psycho
logique pendant le confinement:
27,5 % déclarent un haut niveau
d’anxiété, 24,7 % un stress intense,
22,4 % une détresse importante,
16,1 % une dépression sévère, et
11,4 % des idées suicidaires. Des
facteurs de risque, comme la pré
carité et les antécédents psychia
triques, ont été identifiés, précise
l’articlepubliédansJAMANetwork
Openenoctobre.Pointinquiétant,
seulement12,4%desétudiantsdé
clarant un trouble ont consulté.
Quid des conséquences psychi
ques du Covid19 pour les indivi
dus directement touchés par le
virus? Dans les trois mois suivant
l’infection, près d’un patient sur
cinq (18%) développerait des
symptômes de type anxiété et dé
pression, estime une étude à par
tir des données de santé de près
de 70 millions d’Américains (The
Lancet Psychiatry, 9 novembre).
Les malades du Covid, et notam
mentceuxpassésenréanimation,
sont aussi guettés par un trouble
de stress posttraumatique. En
core sousdiagnostiqué en France,
ce syndrome se caractérise par de
nombreux signes (cauchemars et
flashback, évitement des situa
tions et personnes évoquant le
traumatisme, état d’alerte perma
nent, émotions négatives…) per
sistant plus d’un mois après
l’événement traumatisant. «Hors
Covid, une revue de la littérature
a établi qu’un patient sur quatre
développeuntroubledestresspost
traumatique après un séjour en
réanimation. Ce contexte réunit
tous les facteurs de risque, à com
mencer par la peur de mourir, qui
estàlabasedutrauma»,résumela
psychiatre Coraline Hingray (CHU
de Nancy), coautrice avec Wissam
ElHage de Le trauma, comment
s’en sortir? (De Boeck Supérieur,
192 pages, 19,95 euros).
Pour l’heure, les données épidé
miologiques spécifiques chez des
malades atteints du Covid19
sont encore peu nombreuses,
mais si les proportions sont du
même ordre, ce sont potentielle
mentdesmilliersdepatientspas
sés en réanimation qui pour
raient être concernés en France.
Face à ces risques, des profession
nels plaident pour une proposi
tion systématique de suivi psy
chologique à la sortie de réani
mation ou de soins intensifs, un
dépistage des traumas, et des en
quêtes épidémiologiques.
sandrine cabut
MINOVEMBRE, LE TAUX
D’ÉTATS DÉPRESSIFS EST
DE 21 %, SOIT DEUX FOIS
PLUS QUE FIN SEPTEMBRE,
SELON UNE ENQUÊTE
NATIONALE DE SANTÉ
PUBLIQUE FRANCE
▶▶▶
3. 10| planète VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020
0123
«Cettecriseestplacéesouslesignedel’émotion»
LepsychiatreMichelLejoyeuxdécritl’éventaildestroublespsychiquesliésàlapandémiedeCovid19
ENTRETIEN
L
e professeur Michel Le
joyeux est chef du service
de psychiatrie et addicto
logie de l’hôpital Bichat
(APHP). Il est l’auteur de
l’ouvrage Les Quatre Temps de la
renaissance (JC Lattès, 198 pages,
19,90 euros), publié en octobre.
Selon le psychiatre, les méthodes
destinées à préserver son esprit
sont devenues nécessaires.
Qu’estce qui vous frappe
le plus dans cette épidémie?
C’est une crise avant tout infec
tieuse et médicale, mais qui a été
d’emblée placée sous le signe de
l’émotion, posant la question de
comment s’adapter et résister
psychologiquement à cette situa
tion inédite. A l’hôpital, la psy
chiatrie est apparue comme un
élément essentiel du dispositif,
pour soutenir les équipes, ce que
nous avons fait à l’Assistance pu
blique, grâce à une hotline, mais
plus largement pour participer à
une réflexion sur la résistance
émotionnelle. Cela me paraît as
sez nouveau. Lors des épidémies
de grippe, il n’y a probablement
jamais eu de questionnement sur
ces sujets. Jusqu’ici, les méthodes
pourprotégersonespritapparais
saient comme des approches de
confort, elles sont devenues
aujourd’hui une nécessité.
Cette nouvelle maladie estelle
une source de psychotrauma
tisme, comme une catastrophe
naturelle ou un attentat?
D’authentiques troubles de
stress posttraumatique, qui se
caractérisent par un état d’alerte
permanent, des cauchemars à ré
pétition et l’évitement des situa
tions rappelant le traumatisme
ont effectivement été décrits dans
cettepandémie.Ilyaeudescaspar
exemple chez des soignants con
frontés à une situation particuliè
rement douloureuse, et chez des
«patients Covid», notamment
après de longues semaines de réa
nimation. Il y a aussi des risques
accrus chez des personnes qui ont
étéendeuilléesdefaçonbrutaleou
traumatisante, et qui n’ont pu as
sisterauxderniersinstantsdeleur
proche ou à ses obsèques.
Mais, pour la majorité des gens,
cette crise et le confinement ont
surtoutentraînédessituationsde
stress aigu et pour certains chro
nique.Ilfautbiendistinguerdeux
populations. Tous ceux qui jus
quelà allaient bien au plan psy
chologique, social, affectif… peu
vent mobiliser des capacités de
résilience. On est ici davantage
dans le champ de la santé et de la
prévention que du traitement. La
situation est bien différente pour
les individus qui avaient déjà des
problèmes psychologiques ou
psychiatriques et que la crise a en
core plus fragilisés. Ceuxlà doi
vent être repérés et accompagnés
par des professionnels.
Je constate deux phénomènes
particuliers: d’abord, un taux
élevé de dépressions postinfec
tieuses chez les malades du Co
vid19. Et, par ailleurs, une aug
mentation des conduites addicti
ves, avec un raisonnement du
type «on est en confinement,
donc il faut boire». L’alcool est ici
consommé comme anxiolytique,
mais il y a d’autres moyens de
gérer des émotions négatives.
Vous invitez à s’appuyer
sur le passé pour mieux gérer
les situations de stress…
Face à des situations angoissan
tes comme celles que nous vivons
avec ce virus, certains essaient
d’oublier en se taisant tandis que
d’autres necessentd’enparler.Ces
deux attitudes ne sont pas patho
logiques en soi, l’important est de
parvenir à être relativement en
paix avec son passé pour aborder
le présent et le futur. Pour aider à
digérerlesstressanciensetaffron
ter ceux à venir, je propose des
techniques de thérapies compor
tementales et cognitives, qui ont
étévalidéesdanslesétatsdestress
posttraumatique, et que j’ai adap
tées pour qu’elles soient utilisa
bles par tout un chacun, de façon
simple,dansunbutdeprévention.
Ainsi de l’écriture expressive, dont
le principe est de noter chaque
jour, pendant une quinzaine de
minutes,dessouvenirsetlesémo
tions qui sont associées. Recom
mencer plusieurs jours de suite
l’exercice permet de mettre pro
gressivement à distance des évé
nements difficiles du passé.
Ecrire n’est pas naturel pour
tout le monde. Comment
faciliter le processus?
D’abord, il faut s’aménager un
vrai espace de tranquillité pour
cette rencontre avec soimême,
en définissant les conditions qui
nous sont les plus favorables en
termes de moment de la journée,
de cadre… Pour faciliter l’écriture,
je conseille d’avoir recours à des
mots «gâchette», qui inspirent.
Dans le même esprit que l’écri
ture expressive, on peut chaque
jour sélectionner trois souvenirs
«chauds», c’estàdire associés à
une émotion – qu’elle soit posi
tive ou négative –; et mettre en
face trois souvenirs «froids», qui
correspondent à des moments
que l’on a traversés avec une sorte
de neutralité émotionnelle. S’en
traîner à repérer ces différents ty
pes de souvenirs aide à mieux to
lérer des émotions désagréables.
Vous faites aussi l’éloge de la
nostalgie, qui serait un facteur
de protection contre le stress…
Des études psychologiques me
nées récemment en France ont
montré que les personnes nostal
giques, c’estàdire qui ressentent
avec un peu de regret le temps
passé, sont dans certaines épreu
ves les plus résilientes. Se recon
necter à une part ancienne de soi
aide à se protéger psychologique
ment quand on traverse une pé
riode difficile. C’est donc une di
mension de comportement qui
peut être cultivée. En tout cas, cela
incite à être vigilant et à garder des
tracesdesonpassé.Cettecrisen’est
probablement pas un bon mo
ment pour faire un grand ménage
et se débarrasser de vieux objets.
La pandémie nous oblige à com
poser avec de grandes incertitu
des pour le futur. Comment
développer cette capacité?
En situation normale, les per
sonnes qui sont constamment en
recherche de nouveauté, d’aven
ture,desensationssontplutôtdé
savantagées, car elles sont sou
vent instables sur le plan affectif,
professionnel… Sur le plan neuro
biologique, c’est en rapport avec
un taux élevé de dopamine dans
certaines zones du cerveau, au ni
veau du circuit de la récompense.
En tant qu’addictologue, j’ai
longtemps conseillé à mes pa
tients d’être plutôt dans le con
trôle des risques, et je ne vais
évidemment pas les inciter à
l’ivresse. Mais paradoxalement, il
apparaît que certaines personna
lités en recherche de sensations
sont moins vulnérables en pé
riode de crise. Quand on a un dé
sir d’aventure, ce que l’actualité
nous impose d’incertitudes pa
raît moins insupportable. On
peutdonc,enrestantraisonnable,
multiplier les petites expériences
de nouveauté. C’est, par exemple,
essayer quelque chose dont on
se dit que «ce n’est pas mon
genre», dans le domaine de l’ali
mentation,delalecture,delamu
sique… Intérioriser la nouveauté
permet qu’elle devienne moins
menaçante.
De même, pour s’habituer à l’in
certitude, et devenir plus rési
lient, on peut procéder à des sor
tes de désensibilisation, en fai
sant des expériences bénignes
d’incertitude. En pratique, cela
consiste à se mettre dans des si
tuations que l’on maîtrise un peu
moins, comme accepter de délé
guer une tâche, etc.
Vous évoquez trois facteurs
majeurs pour se faire du bien
en période de crise, quel est
ce kit de survie?
Il s’agit d’idées et d’activités
simples qui ont été identifiées par
des chercheurs du King’s College
deLondres,enfaisantunerevuede
lalittératuresurl’impactpsycholo
giquedesquarantaines.Lepremier
facteur protecteur est l’amuse
mentetlaluttecontrel’ennui:tout
ce qui nous distrait contribue à la
résilience. Le deuxième a trait à
l’information,c’estlebonéquilibre
entre le refus de savoir – qui dans
une maladie infectieuse comme le
Covidpeutêtredangereux–etune
consommation permanente d’in
formations, trop anxiogène. Enfin,
le troisième élément du kit de
survie est l’altruisme: en prenant
soin des autres, on prend aussi
soin de soi.
propos recueillis par
sandrine cabut
« LE PREMIER FACTEUR
PROTECTEUR EST
L’AMUSEMENT ET LA LUTTE
CONTRE L’ENNUI :
TOUT CE QUI NOUS
DISTRAIT CONTRIBUE
À LA RÉSILIENCE »