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- 1. 18
Le Soir Mercredi 3 mars 2021
18 culture
ENTRETIEN
FABIENNE BRADFER
I
ls avaient été les premiers à fermer.
L’an dernier, la dixième édition du
Luxembourg City Film Festival
avait été stoppée en pleine célébration,
quelques jours avant la clôture, suite
aux mesures visant à faire face à la pro-
pagation du coronavirus décidées lors
d’un Conseil de gouvernement extraor-
dinaire, le 12 mars. On s’était quittés
précipitamment, sans trop comprendre
ce que voulait dire exactement « co-
vid-19 ». Un an après, le Luxembourg
City Film est le premier festival de ciné-
ma d’envergure à accueillir à nouveau
des spectateurs en vrai, du 4 au 14 mars,
avec 113 films. Une fierté pour son di-
recteur artistique Alexis Juncosa qui
souligne haut et fort la politique du
gouvernement luxembourgeois plaçant
la culture comme essentielle.
Face à l’incertitude qu’induit la pandé-
mie, aviez-vous prévu plusieurs scéna-
rios pour votre festival ?
On a travaillé sur trois scénarios : le re-
tour au présentiel, l’hybride, qu’on re-
trouve aujourd’hui, mais aussi à un re-
tour au confinement, avec un scénario
exclusivement en ligne. C’est une grosse
dépense d’énergie de travailler de front
sur trois scénarios à la fois car on ne met
pas les ressources et les énergies de la
même manière. Ce fut compliqué.
A quel moment vous êtes-vous décidé
à envisager ces trois scénarios ?
Quand on a dû interrompre le festival,
quelques jours avant la fin, il a fallu
mettre en sécurité les personnes et les
biens. Mais tout de suite, on a décidé de
faire des présentations en digital. Moins
de deux semaines après l’interruption,
on était déjà en ligne, sur zoom notam-
ment, avec des Q/R de réalisateurs. Il
faut se rendre compte qu’il y a un an, ce
n’était pas en usage chez le grand pu-
blic. Rapidement, on a imaginé qu’on
pourrait se retrouver l’année suivante
dans la même situation. On voulait être
prêt sur tous les scénarios. Si on a es-
suyé les plâtres, on a aussi examiné
toutes les solutions digitales alors dis-
ponibles. On a choisi dès l’été dernier.
Quel programme proposez-vous ?
Le couvre-feu à 23 heures nous prive de
la deuxième partie de soirée, on a donc
resserré la compétition de dix à huit
films. Les protocoles sanitaires em-
pêchent d’enchaîner les séances comme
avant. Les publics ne peuvent se croiser.
Mais globalement, on a quasiment la
même offre. On a une vraie ouverture,
avec discours officiels. Il y aura des ins-
tallations VR (virtual reality, NDLR)
non intrusives pour une dizaine
d’œuvres avec une formule « VR to go »
qui permet aux gens d’emmener l’expé-
rience chez eux pour 48 heures. On a dû
renoncer à la venue d’invités internatio-
naux mais on s’est assuré de leur
concours par le biais d’enregistrements
des équipes de film (une cinquantaine),
comme celui de William Friedkin, à qui
hommage est rendu. C’est exclusif. On a
enregistré chez lui à Los Angeles, en
plus d’une master class extraordinaire
qui sera diffusée en ligne. Notre slogan,
dès 2011, était « les bons films, c’est ce
qui reste, quand les invités ne peuvent
plus venir. »
Comment faire une programmation
internationale en pleine pandémie ?
Beaucoup de films ont été bloqués par
le chamboulement du calendrier festi-
valier. Nous, on est juste après Berlin,
on aurait donc dû en avoir, après leur
première mondiale là-bas, de manière
assez exclusive. Berlin renonçant au
présentiel, beaucoup de films sont tom-
bés. Ensuite, les plateformes com-
mencent à chercher des contenus et se
dirigent vers les festivals. Les vendeurs
n’ayant pas d’activité financière comme
d’habitude, ils ont négocié avec elles.
On en a perdu là aussi. A l’inverse, pro-
poser un festival en présentiel plaît à
beaucoup d’ayants droit. Il y a aussi ces
films dont la vie a été interrompue l’an
dernier, des films de Berlin 2020 qui
n’ont pas eu d’existence du tout.
Quel pourcentage de films montrés en
salle et en ligne ?
Après leur présentation en salle, les
films, négociés au cas par cas, seront ac-
cessibles, dès le lendemain et pour
quelques jours, sur une plateforme qui
est celle utilisée par Cannes, Venise, To-
ronto. Ce furent de grosses négocia-
tions. 90 % des films sont proposés en
salle puis en ligne. Mais Nomadland,
par exemple, qui fait l’ouverture et est
en lice aux Oscars, est un film Fox
Searchlight, donc Disney. Forcément,
Disney, qui a ses propres plateformes,
ne pouvait le donner pour une diffusion
digitale.
Au niveau fréquentation, qu’espérez-
vous ?
On ne peut pas prétendre aux mêmes
chiffres que les éditions précédentes.
Pour une raison simple : notre festival
attire beaucoup de frontaliers. Les
Belges ne pourront pas venir. Les Alle-
mands et les Français, non plus. L’as-
pect online est géobloqué au Grand-Du-
ché de Luxembourg, les droits étant dé-
tenus de manière différente selon les
pays. Il était impossible de négocier un
accès aux films sur tous les territoires.
Pour le festival de Montréal qui a dû
présenter ses films en ligne, ce fut une
formidable opportunité car en se géolo-
calisant au Canada, cela leur a ouvert
un grand champ de prospection in-
terne. Nous, sur un mini-territoire, c’est
le contraire. On sera à une jauge de 30-
35 %.
Pourquoi malgré tout un festival dans
ces conditions difficiles ?
Et pourquoi ne pas avoir changé de date
aussi ? Parce que chaque fois qu’un fes-
tival se déplace – on le voit avec Berlin,
avec Cannes – ça complexifie la tâche
des autres. Et puis, quelle est, actuelle-
ment, une bonne date de festival ?
Deuxièmement, on est une association
qui œuvre pour une manifestation non
commerciale et pour faire la promotion
des œuvres. Tout le travail autour pour-
ra donc être fait. Maintenir le festival
était important. Et puis, on a une vraie
demande. Maintenant, parlons du
risque : il n’y a pas aujourd’hui, dans le
monde, un seul exemple de cluster dans
un cinéma. Zéro ! Le risque est bien
plus élevé dans un bus ou au travail. On
veut démontrer qu’en faisant quelque
chose de sérieux, on peut aujourd’hui
retourner au cinéma. On se sent une
grande responsabilité. On peut dire aux
gens qu’ils ne prendront pas de risques
démesurés. On veut les rassurer, leur re-
donner confiance. A nous de leur faire
oublier, pendant une parenthèse de
onze jours, les travers actuels. Au
Grand-Duché, les autorités ont pris le
pari de relancer la machine, de ne pas
laisser mourir le monde culturel. Et ce-
la, sans prendre de risques car les condi-
tions sanitaires imposées sont dras-
tiques. Je suis incroyablement recon-
naissant à l’Etat luxembourgeois. Car
coincé entre de grands pays qui ont fait
un autre pari, il défend le fait qu’on ne
peut pas se passer de la culture. Dans le
contexte actuel, c’est incroyable comme
message. On est heureux d’en être le re-
lais.
Le 11e
Luxembourg City
Film Festival
accueillera son
public en vrai
CINÉMA
Au Grand-Duché de
Luxembourg, les salles de
cinéma sont rouvertes depuis le
13 janvier. Ce qui permet au
Luxembourg City Film Festival
de se dérouler du 4 au 14 mars,
selon une formule hybride, en
présentiel et online. Une
première en Europe en 2021.
Alexis Juncosa, directeur artistique du
Festival luxembourgeois, veut mon-
trer qu’« en faisant quelque chose de
sérieux, on peut aujourd’hui retourner
au cinéma ». © D.R.
Lion d’or à la Mostra de Venise en 2020, Golden Globe du meilleur film et de la meilleure
réalisation, en lice pour les Oscars, « Nomadland », de Chloé Zhao, avec Frances McDormand,
est le film dont on parle tant. Il fera l’ouverture du Luxembourg City Film Festival. © D.R.
F.B.
E n rouvrant les salles de cinéma se-
lon des mesures sanitaires très
strictes mi-janvier, l’Etat luxembour-
geois a fait le choix de la culture. Pour
Christophe Eyssartier, directeur des Ki-
nepolis du Luxembourg, ce qui inclut
les salles Utopia, soit au total 22 écrans,
« c’est un premier pas vers une normali-
sation. La crise perdure plus longtemps
qu’espéré. Cette symbolique est impor-
tante malgré les restrictions imposées
comme le port du masque, la distancia-
tion, les places numérotées, malgré l’ab-
sence de blockbusters américains, mal-
gré une offre cinématographique
faible ». Le Luxembourg dépend d’une
distribution Benelux. Les Pays-Bas et la
Belgique étant fermés, les distributeurs
préfèrent attendre d’avoir un plus grand
territoire pour lancer leurs films.
Prêt à accueillir le Luxembourg City
Film Festival, Christophe Eyssartier
avoue que la période est « un challenge
pour trouver des contenus, varier l’offre,
être inventif. Le festival est une célébra-
tion du cinéma. On y participe car on
veut garder le cinéma – comme la
culture en général – vivant dans l’esprit
des gens ». Une différence par rapport
aux autres années : un maximum de
cent personnes par salle et l’attribution
des places. « Cette option-là était désac-
tivée lors du festival. Cette année, il va
bénéficier de nos plateformes de ticke-
ting. Notre système permet de garantir
automatiquement la distanciation de
deux mètres entre vous et le prochain
client ou le prochain ménage. » Il est
confiant : « Vu les mesures qu’on ap-
plique, on peut venir en toute sécurité
au cinéma. Techniquement, notre capa-
cité d’accueil est limitée à 30 %. Or, de-
puis la réouverture, on est à 25-30 %
d’une fréquentation normale. Pour
nous, c’est encourageant et cela nous
rend optimistes pour l’avenir, quand le
contenu habituel sera de retour et les
mesures allégées. » Et d’ajouter : « La
rentabilité est une chose, et le groupe
Kinepolis a les épaules suffisamment
larges pour supporter cette période,
mais le fait de garder le cinéma comme
possibilité de loisirs est capital. Il y a un
réel besoin des gens de respirer à nou-
veau la culture. On voit qu’on interpelle
nos voisins. Des équipes de télé fran-
çaises viennent nous filmer pour mon-
trer que ça fonctionne. On est un sec-
teur qui a les moyens d’accueillir les
gens de manière contrôlée, en faisant
respecter les mesures de sécurité. Je ne
dirais pas que ça rend jaloux mais nos
voisins aimeraient bien être dans la
même situation. »
retour en salles
Un premier pas
vers une
normalisation
D es salles toutes équi-
pées de ventilation
en conformité avec le
cahier des charges actuel.
Pas plus de cent per-
sonnes dans la même
pièce, personnel inclus.
Un couvre-feu à 23
heures. Deux mètres de
distanciation entre les
personnes ou famille, du
gel hydroalcoolique par-
tout, le port du masque
obligatoire durant la
séance et la fréquentation
des lieux, l’interdiction de
manger et boire. C’est la
règle luxembourgeoise.
Mais tout ça, les exploi-
tants belges connaissent
et l’ont appliqué l’été
dernier. Mais depuis fin
octobre, les cinémas sont
redevenus non fréquen-
tables en Belgique. Jus-
qu’à quand ? Mystère. Or,
à New York, en Russie, en
Bulgarie, au Canada et
partiellement en Espagne
notamment, les salles de
cinéma sont à nouveau
accessibles. Et à nos
portes, le Grand-Duché de
Luxembourg, qui avait lui
aussi replongé en confine-
ment de fin novembre à
mi-janvier, a fait le choix
de la culture, toute la
culture, pour une popula-
tion d’un peu plus de
600.000 habitants. Au
Grand-Duché, on ne peut
toujours pas prendre un
verre en terrasse ou aller
au restaurant mais on
peut aller au cinéma, au
théâtre, au concert. Alors
pourquoi pas nous ? ! Car
ici comme là-bas, la
culture est essentielle.
COMMENTAIRE
FABIENNE BRADFER
Pourquoi
pas nous ?!
Coincé entre de grands pays
qui ont fait un autre pari,
l’Etat luxembourgeois défend
le fait qu’on ne peut pas se
passer de la culture. Dans
le contexte actuel, c’est
incroyable comme message.
On est heureux d’en être
le relais
Alexis Jucosa, directeur artistique