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Gaziantep_Lecho1
1. 48 L’ECHO SAMEDI 30 JANVIER 2016
Réfugiés
Gaziantep
L’accueillante
voisine d’Alep
A
lep, détruite, s’est vidée des
habitants qui pouvaient
fuir la guerre. De l’autre
côté de la frontière sy-
rienne, face à l’arrivée mas-
sive des nombreux voisins
réfugiés, la population locale de Gazian-
tep, prospère cité turque, tente de faire
bonne figure. L’atmosphère est devenue
pesante. Les réfugiés syriens ont fait grim-
per les loyers. Ils représentent une concur-
rence déloyale face à l’emploi, ils surchar-
gent les services de la ville, comme les hô-
pitaux. Sans compter les camps de réfugiés
à proximité. Et pourtant…
«Tout dépend de la manière dont vous
voyez les choses», nuance posément Halit
Acar, membre de la direction du groupe
Acarsan, fondé par son père, riche entre-
preneur turc de Gaziantep. «Les réfugiés
peuvent déranger les gens qui vivent en ville.
Mais, d’un point de vue économique, ils peu-
vent être bénéfiques», soupèse-t-il. Un avis
que partage Baran Uçaner, de la chambre
de commerce: «Les Syriens peuvent apporter
une contribution à notre économie. Ils ouvrent
des magasins, emploient des Turcs, paient des
impôts, dépensent de l’argent. Par exemple, ils
sont très forts dans la fabrication de chaus-
sures. Ils peuvent nous apporter une valeur
ajoutée et contribuer à la croissance de nos
exportations, car ils ont des liens avec le Liban
et l’Egypte.»
Gaziantep, coupée de ses principaux
marchés, en Irak, mais aussi en Arabie
saoudite, par la violente guerre syrienne,
doit contourner le problème si elle veut
continuer sur sa lancée. Pendant les
années 2000, cette cité industrieuse était
synonyme de réussite économique.
Sixième économie du pays, la ville avait
pris la tête des «tigres» anatoliens, les villes
provinciales de Konya, Hatay, Kayseri,
Adana, qui ont soutenu le «miracle» turc.
Agroalimentaire, tapis industriels, textile,
plastique, tout lui réussissait. Sa zone
industrielle, située à une quinzaine kilo-
mètres du centre-ville, est la plus étendue
de toute la Turquie, avec plus de 900 com-
pagnies sur place. Ses exportations ont
doublé entre 2009 et 2015, pour un total
de 6,3 milliards de dollars (4,7% des expor-
tations nationales) l’année dernière.
Le conflit syrien à sa porte a mis un
frein à son dynamisme. Entre 2014 et 2015,
les exportations vers l’Irak, son plus
important partenaire économique, ont
plongé de 14,2%. Dans le même temps, ces
ventes vers la Syrie ont grimpé de 9,5%,
principalement grâce à l’envoi d’aide
humanitaire. Autre conséquence: Daech a
fait éclater son statut de capitale régionale
avenante, en y installant des cellules, res-
ponsables, selon les autorités turques,
d’une série d’attentats sur son sol. En
décembre, le réalisateur syrien Naji Jerf,
qui dénonçait l’État islamique, a été
abattu en pleine rue et en plein jour à
Gaziantep, par l’État islamique.
La Banque européenne pour la
Reconstruction et le développement
(Berd) a ouvert un bureau à Gaziantep en
septembre 2014. Son but: financer la crois-
sance économique dans cette région du
sud est anatolien. La Berd est active
notamment à travers des partenariats
bancaires visant à favoriser les PME, des
prêts aux municipalités locales et en sou-
tien à l’agrobusiness. Son directeur,
Gökhan Karaçetin, est optimiste sur les
capacités des entrepreneurs locaux à
rebondir face à la crise syrienne. «Ils ont
perdu une grande partie de leur commerce
avec la Syrie, mais, grâce à leur esprit d’entre-
prise, ils se réinventent tous les jours.
Incapable de vendre en Syrie, un fabricant de
chocolat a, par exemple, trouvé un nouveau
marché en Chine. Ils exportent en Afrique du
Sud, et jusqu’en Amérique latine. Ils ne s’arrê-
tent jamais.»
Destin commun
Une chaussée légendaire traverse
Gaziantep: la route de la soie, qui reliait la
Turquie au fin fond de la Chine.
Aujourd’hui artère commerçante, elle per-
met, comme il y a 2000 ans, de rejoindre
la ville voisine syrienne d’Alep, 120 kilomè-
tres au sud. Malgré la frontière qui les
sépare, Gaziantep et Alep ont un destin
commun. Il y a moins de 100 ans, les deux
entités faisaient partie de la même pro-
vince ottomane. Elles en ont gardé des
traits de ressemblance: une ancienne cita-
delle, une cuisine raffinée et un penchant
pour le commerce. C’est donc naturelle-
ment qu’une majorité d’hommes d’af-
faires d’Alep a choisi la capitale du sud-est
anatolien comme foyer d’exil.
C’est le cas de Saeed Nahhas, dont les
usines ont été pillées et détruites pendant
les hostilités entre les forces rebelles et
l’armée syrienne, courant 2012. «Les Syriens
sont des entrepreneurs par nature. Nous
avons des investissements partout dans le
monde. Au début du conflit, nous nous
sommes repliés vers la Turquie, pour des rai-
sons évidentes: sa proximité avec la Syrie et sa
situation géographique. D’ici, nous pouvons
exporter au Moyen-Orient, dans les pays du
Golfe et dans les anciennes républiques sovié-
tiques», explique ce fabricant de machines
de production pour l’industrie agroali-
mentaire.
Porte ouverte
La politique de la «porte ouverte» de l’État
turc face à la vague de migrants a été bien
accueillie par les industriels syriens, même
s’ils se plaignent du manque de clarté de
leur statut. «Nous avons été bien reçus, mais
le gouvernement turc ne nous a pas offert un
traitement spécial. Par exemple, nous avons
de gros problèmes pour transférer notre ar-
gent de Syrie vers la Turquie, et il nous est très
difficile de voyager à l’étranger, car le passe-
port syrien n’est pas bien vu. Ces restrictions
pèsent fortement sur mes affaires», poursuit
Saeed Nahhas, dans son bureau du quar-
tier administratif de Gaziantep. L’adapta-
tion, confie-t-il, ne s’est pas faite en un
jour. «Au début, nous pensions que notre exil
serait temporaire. Mais, après deux ans, nous
avons été obligés de nous rendre à l’évidence.
Nous avons dû nous adapter à une nouvelle
langue, de nouvelles règles. Aujourd’hui, plus
d’une centaine d’entreprises syriennes sont
établies à Gaziantep. De vastes quantités de
biens sont transportés d’ici vers la Syrie: de
l’alimentation, du ciment, du papier…»
En 2012, la chambre de commerce, en
partenariat avec la mairie et l’université
de Gaziantep, a commencé à réfléchir à
une stratégie pour répondre à la crise voi-
sine. À ce jour, 500.000 Syriens, dont une
majorité originaire d’Alep, ont trouvé re-
fuge à Gaziantep, premier arrêt sur le che-
min des migrants. Avec un demi-million
de réfugiés, sur une population 1,8 mil-
lion, soit un boom de plus de 25% en qua-
tre ans, la municipalité fait face à une si-
tuation inédite dans toute la Turquie.
«Cette situation n’est pas un choix pour nous.
C’est quelque chose que nous devons accepter
et résoudre. Nous estimons que 80% des réfu-
giés vont s’établir définitivement ici. Nous de-
vons résoudre le problème de l’emploi, du lo-
gement, de l’enseignement, avant qu’il ne soit
trop tard. Dans dix ans, les enfants de ces ré-
fugiés vont commencer à chercher du travail.
Si nous n’en créons pas, ils pourraient tomber
dans la criminalité, et nous pourrions avoir
encore plus de problèmes», reconnaît Baran
Uçaner, représentant de la chambre de
commerce de Gaziantep, une institution
fondée en 1898 et forte de 14.000 mem-
bres.
Miracle économique avantlaguerre,Gaziantep,
ausuddela Turquie,toute prochedelaSyrie,fait
face à l’affluxdesréfugiés.Parmieux,beaucoup
d’hommesd’affairesd’Alep. Desexilésqui
entendentbienpoursuivreleursactivités.
ParStéphanieFontenoy(texte)etJodi Hilton (photos)àGaziantep
«La vie sous
l’État
islamique,
c’était
encore
possible,
mais avec
les bombes
en plus, ce
n’était plus
tenable.»
UN RÉFUGIÉ
SYRIEN,
PROPRIÉTAIRE D’UN
SUPERMARCHÉ
«Ce garçon est
un don de Dieu»
Une loi vise à protéger l’emploi des
Turcs, en position de faiblesse par
rapport aux migrants qui accep-
tent des salaires bien inférieurs
aux leurs. Elle vise aussi à éviter
que les enfants de réfugiés soient
obligés de travailler, comme le
jeune Qoussaï, âgé de 13 ans, ori-
ginaire de la minorité turkmène
d’Alep. «Ce garçon est un don de
Dieu», se félicite Beki Yildiz, le bar-
bier qui l’a engagé…
SYRIE IRAK
GÉORGIE
Ankara
300 km
GAZIANTEP
SFONTENOY@HOTMAIL.COM - 726349-001