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Astronomie & Cycles Economiques, deux mondes corrélés ?
Yann ARNAUD ∗
, Université Clermont-Auvergne & CERDI, France
Février 2019
Existe-t-il une corrélation entre le monde astronomique et la sphère économique ? Les objets célestes
qui nous entourent ont-ils des répercussions sur notre activité productive ? Les récessions, les crises,
les reprises sont-elles le résultat du comportement des astres avoisinant la Terre ? Bien que saugrenues
aux premiers abords, ces questions ont tout de même fait l’objet de plusieurs analyses dans le passé,
malgré des moyens et des connaissances sidérales insuffisantes. Mais de nos jours, le progrès continuel des
technologies de pointe peut permettre de repousser les contraintes d’autrefois.
Les cycles économiques illustrent les déséquilibres de court terme que l’on peut identifier au sein
des économies capitalistes actuelles. Ils sont composés de six phases récurrentes mais non périodiques
(Expansion, Crise, Récession, Dépression, Creux, Reprise). Depuis leurs observations au XIXe siècle, de
nombreuses explications ont été apportées aux cycles. Les premières recherches ont donné naissance aux
théories exogènes faisant référence à des évènements purement naturels (Météorologie, comportements
des astres, etc.) ou humains (Taux de natalité, taux de mortalité, l’effet du progrès technique, etc.).
Les différents travaux de William Stanley Jevons [1] (1835-1882) entre 1875 et 1879 donnent un premier
aperçu de l’origine astronomique des fluctuations économiques. Pour l’anglo-saxon, les taches solaires qui
proviennent de l’activité du soleil auraient une forte influence sur les cycles économiques et la production.
Ces zones d’ombre situées sur la photosphère sont moins chaudes (4000◦
C) que les autres parties de la
surface du soleil (6000◦
C) et ont pour origine le champ magnétique intense du soleil. Tout comme l’activité
économique, les taches solaires connaissent des évolutions quantitatives dans le temps que l’on qualifie de
« cycles solaires ». La durée de ces cycles avoisinerait les 10,45 ans selon les approximations scientifiques
de l’époque. Jevons s’est intéressé à la période 1721 à 1878 durant laquelle il comptabilise quinze cycles
économiques d’une durée moyenne de 10,44 ans. Pour lui, cette coïncidence périodique ne fait aucun
doute, les taches solaires sont un facteur exogène ayant un impact sur le rythme de la production, de
l’agriculture et des variations économiques :
"Judging this close coincidence of this result [. . . ] it becomes highly probable that two periodic pheno-
mena, varying so nearly in the same mean period, are connected as cause and effect."
Cette théorie va être reprise par son fils, Herbert Stanley Jevons [2] (1875-1955), où ce dernier prouve
que les récoltes fluctuent fortement d’une année à l’autre sur une période de 3 ans et demi aux États-Unis.
Il cherchait à montrer que l’existence de ces cycles courts pourrait avoir un lien direct avec la reproduction
des taches solaires ou les protubérances solaires. La conséquence de ces fluctuations mineures aurait un
impact sur les cycles longs d’une durée moyenne de 10,5 ans.
A la suite des travaux des Jevons, l’américain Henri Ludwell Moore [3] (1869-1958) va proposer une
nouvelle théorie en s’appuyant sur la planète Vénus. En 1914, il montre que les cycles économiques sont
causés par les variations de la production qui sont elles-mêmes influencées par l’effet du changement
climatique. À l’aide de calculs économétriques, il estime que la durée des cycles météorologiques est de 8
ans en Angleterre, en France et aux États-Unis. Parmi les nombreuses variables de sa régression, Moore
inclut les mouvements et la brillance de Vénus qui pourraient avoir un impact sur les prix et les cultures
agricoles. Il s’agit tout particulièrement du transit de Vénus entre la Terre et le Soleil où cette dernière
∗yann.arnaud63@gmail.com
1
masque une faible partie du disque solaire tous les 8 ans. Ces déplacements périodiques pourraient ainsi
avoir une influence assez significative pour expliquer la corrélation entre les cycles de production et les
cycles météorologiques :
"Is it not probable that the storm-racked planet creates a disturbance in the interplanetary medium
which affects the Sun’s radiation on its way to the Earth ? If that is the case, then the cause of the eight-
year generating cycle is the planet Venus in its eight-yearly periodic motion with respect to the Earth and
the Sun."
Bien que l’ensemble de ces travaux ont été mis à mal par les théories de la croissance endogène, ils
ont néanmoins ouvert un vaste champ d’étude pour les économistes et les astronomes. À l’aide de la
performance des technologies modernes, ces scientifiques pourront bénéficier d’une précision de pointe
pour étudier les phénomènes spatiaux sur la planète bleue. Les différentes missions sur la Lune ont déjà
permis de connaitre certains phénomènes terrestres : l’existence des saisons, la durée des journées, le
mouvement des marées, etc.
Ces facteurs exogènes ont eu un impact sur les fluctuations économiques puisque les saisons influencent
les récoltes et la durée des journées rythme la production. Dans ce sens, la découverte de nouvelles
corrélations entre les objets célestes et la Terre permettrait de mieux comprendre les origines des cycles
économiques. De plus, elle pourrait améliorer la précision du processus de datation des cycles dont la
pratique est primordiale pour la prévision économique et l’anticipation des points de retournements
(Crises, Reprises).
Les travaux entamés dans le passé ont permis d’établir un premier lien entre ces deux sciences mais
les outils de l’époque n’ont pas suffisamment permis aux scientifiques de répondre aux problématiques
soulevées. Mais à l’heure où la conquête spatiale tire parti des nombreuses découvertes technologiques
et que les économistes souhaitent constamment approfondir leur connaissance des cycles, la recherche
de potentielles corrélations entre les fluctuations économiques et l’activité des corps célestes pourrait de
nouveau connaitre un fort intérêt lors des prochaines décennies.
Références
[1] JEVONS, W. S. The solar period and the price of corn. Bristol Meeting. British Associa-
tion,–1875.–194–205 , 1875.
JEVONS, W. S. The Periodicity of Commercial Crises and its Physical Explanation. London : Trans.
British Association, 1878.
JEVONS, William Stanley. Commercial Crises and Sunspots Part II”. Investigations in Currency and
Finance, 1879, p. 235-243.
[2] JEVONS, W. S. Trade fluctuations and solar activity. Contemporary Review, August, 1909, p. 165-
189.
[3] MOORE, Henry Ludwell. Generating economic cycles. Macmillan, 1923.
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  • 2. masque une faible partie du disque solaire tous les 8 ans. Ces déplacements périodiques pourraient ainsi avoir une influence assez significative pour expliquer la corrélation entre les cycles de production et les cycles météorologiques : "Is it not probable that the storm-racked planet creates a disturbance in the interplanetary medium which affects the Sun’s radiation on its way to the Earth ? If that is the case, then the cause of the eight- year generating cycle is the planet Venus in its eight-yearly periodic motion with respect to the Earth and the Sun." Bien que l’ensemble de ces travaux ont été mis à mal par les théories de la croissance endogène, ils ont néanmoins ouvert un vaste champ d’étude pour les économistes et les astronomes. À l’aide de la performance des technologies modernes, ces scientifiques pourront bénéficier d’une précision de pointe pour étudier les phénomènes spatiaux sur la planète bleue. Les différentes missions sur la Lune ont déjà permis de connaitre certains phénomènes terrestres : l’existence des saisons, la durée des journées, le mouvement des marées, etc. Ces facteurs exogènes ont eu un impact sur les fluctuations économiques puisque les saisons influencent les récoltes et la durée des journées rythme la production. Dans ce sens, la découverte de nouvelles corrélations entre les objets célestes et la Terre permettrait de mieux comprendre les origines des cycles économiques. De plus, elle pourrait améliorer la précision du processus de datation des cycles dont la pratique est primordiale pour la prévision économique et l’anticipation des points de retournements (Crises, Reprises). Les travaux entamés dans le passé ont permis d’établir un premier lien entre ces deux sciences mais les outils de l’époque n’ont pas suffisamment permis aux scientifiques de répondre aux problématiques soulevées. Mais à l’heure où la conquête spatiale tire parti des nombreuses découvertes technologiques et que les économistes souhaitent constamment approfondir leur connaissance des cycles, la recherche de potentielles corrélations entre les fluctuations économiques et l’activité des corps célestes pourrait de nouveau connaitre un fort intérêt lors des prochaines décennies. Références [1] JEVONS, W. S. The solar period and the price of corn. Bristol Meeting. British Associa- tion,–1875.–194–205 , 1875. JEVONS, W. S. The Periodicity of Commercial Crises and its Physical Explanation. London : Trans. British Association, 1878. JEVONS, William Stanley. Commercial Crises and Sunspots Part II”. Investigations in Currency and Finance, 1879, p. 235-243. [2] JEVONS, W. S. Trade fluctuations and solar activity. Contemporary Review, August, 1909, p. 165- 189. [3] MOORE, Henry Ludwell. Generating economic cycles. Macmillan, 1923. 2