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LE KAIROUANIS (DANS LA BYZACÈNE
CENTRALE) À L’ÉPOQUE PUNIQUE
Adel Njim*
C'est une véritable aubaine pour la recherche qu'une région de Tunisie profite d'une constante attention
dans un temps si court. Comme la première synthèse sur la région et la ville de Kairouan1
a suscité
beaucoup d'enthousiasme et de questionnements de la part des scientifiques, la continuation des
investigations s'avère aussi impérieuse que justifiée. Cette communication s'inscrit alors dans ce cadre
qui est celui d'approfondir l'enquête sur cette zone, que nous estimons tous fort prometteuse, de la
Tunisie centrale.
Le mobil de cette communication qui porte sur un aspect du chapitre antique, malheureusement fort peu
connu, de cette région est de tenter d'établir une continuité dans la connaissance de cette zone de la
Tunisie. C'est une réaction contre l'existence d'un réel hiatus dans les recherches, si non d'un grand
déséquilibre de nos connaissances sur cette région, qu'on pourrait à la fois comprendre et expliquer, qui
a fait que le plus on reculé dans le temps le moins nous connaissons sur cette région, chose qui a
largement contribué à créer une attitude fort trompeuse voulant que l'histoire glorieuse de cette région
commence, à peine avant ou juste avec l'arrivée de l'Islam. Or, à la vue du dossier qui se constitue, nul
doute qu'elle est encore plus antérieure même si c'est un réel enjeu de pouvoir la cerner convenablement.
Au cours de cette modeste contribution je compte me pencher sur une phase de l'occupation humaine
antique dans la grande région où se situe la ville de Kairouan que nous commençons à définir
géographiquement, administrativement mais encore moins historiquement et que nous qualifions avec le
terme de "Kairouanais". Comme un terme ne définit que la perception d'une réalité il n'est pas anodin de
se pencher sur ce dernier sous un angle propre aux historiens et non pas simplement emprunté à d'autres
disciplines2
. Mon enquête s'étale chronologiquement de la fondation de Carthage jusqu'à sa chute et la
présence romaine effective sur le sol africain. Il me semble que venir à bout de la totalité de ce dossier
vaste, autant pour l'étendue de la zone qu'il embrasse que pour la chronologie qu'il s'est fixé, dépasse le
cadre de ce colloque. Ainsi, je vais me borner à examiner quelques hypothèses fondamentales qui
serviront de cadre général à une approche globale pour un tel dossier. Concrètement, mes
questionnements concernent l'examen de l'hypothèse des rapports directs des Carthaginois avec cette
région ensuite celui de ce que nous qualifions d'influences phénico-puniques sur les Numides dans ces
contrées de la Tunisie Centrale.
D'abord, je dois souligner une difficulté majeure, sérieusement handicapante, qui concerne la
documentation. Les indices directs dont on dispose sont à la fois menus et très épars empêchant ainsi à
l'heure actuelle une lecture d'ensemble sans périls qu'on ne pourrait pas nous contester. Par ailleurs, le
recours aux indices indirects relatifs à ce dossier, même s'ils sont relativement plus fournis nous
imposent une sorte de lecture en négative dont l'extrapolation devrait être sérieusement maîtrisée.
Connaissant tous les risques du recours facile, et parfois hasardeux, aux approches comparatistes dans
notre domaine je préfère me résigner à la prudence dans l'attente de l'élargissement positif de ce dossier.
Or, cette béance documentaire est due beaucoup plus à une mauvaise stratégie avec laquelle les
recherches étaient menées qu'à la réalité intrinsèque du terrain. D'autre part, bon nombre d'acquis
matériels et culturels attestés dans cette région méritent un sévère examen pour s'assurer de leur
attribution chronologique si non culturelle, assurée, faute de mieux. Je pense par exemple à la technique
1
* Maître Assistant, Département d’Archéologie, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax (Tunisie).
Mail : njim_adel@yahoo.com
A. Al Bahi (Coordinateur), Kairouan et sa région: nouvelles découvertes, nouvelles approches, Deuxième colloque international (6
au 8 mars 2006), Tunis, 2009.
2
H. Sethom, "Le Kaouranais" , dans H. Sethom-A. Kassab, Les régions géographiques de la Tunisie, Tunis, 1981, p. 262.
de construction des bassins d'eau à contreforts arrondis. La fréquence des bassins construits selon cette
technique autour de la ville de Kairouan islamique pourrait faire croire à l'attribution de cette technique
de construction aux Musulmans alors que la frappante ressemblance de fragments de bassins d'époque
phénicienne découverts aux alentours de la ville d'Utique poussent à se poser la question d'une possible,
et en somme fort convaincante, origine préislamique et même préromaine de cette technique de
construction introduite dans cette région soit directement par les Carthaginois soit suite à leur influence,
ensuite pérennisée grâce à son adoption et probablement sa généralisation à l'époque islamique3
. Une
telle preuve de continuité ne pourrait étonner que les néophytes, les spécialistes en ce domaine, toutes
disciplines confondues savent que cet exemple est lion d'être un cas unique4
. Cette confusion dans la
connaissance de la nature de l'héritage de cette région est présente aussi quant à certains aspects de la
culture numide par exemple un lieu de culte contigu à une mosquée est situé non lion de la partie ouest
de la muraille islamique de la ville de Kairouan n'est autre que la survivance d'un lieu sacré
préislamique et du culte de fécondité qui s'y déroule. Cette pratique rituelle d'origine sûrement
préislamique évoque la question de l'attribution culturelle de la culture numide; de ce qui est intrinsèque
ou ce qui le fruit d'une acculturation dans sa composition5
.
De telles confusions nécessitent de réfléchir sur nos connaissances des apports Carthaginois, qu'ils
soient directs ou indirects, à cette région. En premier lieu, cette question permet de réfléchir sur les
limites géographiques de l'étendue de la présence de la civilisation phénicienne en Tunisie centrale. Une
telle question pourtant cruciale est souvent passée sous silence ou simplement effleurée puisque pour la
plupart des chercheurs la présence phénicienne et punique en Tunisie n'était qu'un phénomène
strictement côtier. Bien sûr vouloir fixer les limites de cette "phénicisation" ne consiste pas à faire l'état
d'une sorte de "miracle sémitique" civilisateur dont la région tout juste sortie des ténèbres du
confinement a bénéficiée mais plutôt de définir la nature de cette symbiose africano-carthaginoise et
sans doute de la comparer avec le reste de la Tunisie, et pourquoi pas d'ailleurs où des travaux étaient
déjà menés6
.
Se poser la question sur la présence phénicienne dans cette ville est tout à fait légitime puisque les
vestiges conservées de la cité d'Hadrumète, l'actuelle Sousse, remontent au moins au VIIème siècle
avant J.-C.7
. Mieux encore, cette ville est une fondée directement par Tyr, de connaître une présence
phénicienne antérieure à cette date sans pouvoir la justifier en raison des lacunes de notre
documentation. La chronologie assez ancienne de cette cité permet-t-elle de dire que l'intérêt des
Phéniciens pour l'intérieur des terres, au moins dans cette région, s'est manifesté dès les premiers temps
de leur présence Afrique ou au contraire il est plus postérieur et remonte à une époque où Carthage
commence à perdre du poids en Méditerranée occidentale suite à la pression grecque surtout en
Sardaigne et en Sicile ? C'est une question fondamentale à laquelle il faut répondre. Les indices
archéologiques sont à elles seules capables de nous faire adopter l'une ou l'autre des hypothèses. Cette
ville jouait-elle d'un territoire et donc d'une présence loin de la côte ce qui lui confère un rôle de
diffuseur de la culture phénicienne dans son arrière pays arrivant jusque dans la région du Kairouanais ?
De ce point de vue, un bilan sur le passé préromain de cette cité s'avère judicieux8
. Nous devons avouer
notre méconnaissance.
Une étude récente sur un bilan du Sahel Carthaginois s'est souciée de la délimitation de cette région.
Elle s'est bornée à en fixer les deux limites côtières haute et basse. Ainsi, cette région "débute aux
3
Au sujet de tronçons de citernes antiques à contreforts arrondis découverts dans la région d'Utique voir A. Daux, Recherche sur
l'origine et l'emplacement des emporia phéniciens dans le Zeugis et le Byzacium, Paris, 1869, pp. 245-251, pl. IV et IV bis.
4
Personnellement j'ai eu l'occasion de me rendre compte de la continuité des formes et des usages de deux catégories de vases à
usage cultuel. A. Njim, "Survivance d'un type de vase à feu dit vase étagé trapu", Reppal XIII (2004), pp. 183-200; Id, "Vases
phénico-puniques et méditerranéens liés au culte de la fécondité", À paraître dans le prochain numéro de Reppal.
5
A. Njim, "Un culte préislamique de fécondité à Kairouan", dans Al Bahi 2009, pp.219-224.
6
F. Ben Abed, "Les Phéniciens dans la péninsule ibérique. Une nouvelle lecture des données archéologiques", Actes du IIIeme
congrès international des études phéniciennes et puniques - I, Tunis 1995, pp. 109-122.
7
S. Lancel, "Hadrumète", E. Lipinski (directeur), Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p.
203.
8
M. H. Fantar, "Que savons-nous de Sousse à l'époque punique?", L'Association de Sauvegarde de la Médina de Sousse, Sousse à
travers les âges, Colloque international (5 au 7 mars 2009), À paraître.
2
2
environs de Bir Bou Rekba au Nord pour s'achever au Sud aux environs de la ville de Sfax". La limite
Ouest de cette région quant à elle est d'ordre géographique. Elle est constituée par la ligne des sebkhas
d'El Kelbia, de Sidi El Hani et d'El Jem9
.
Les données dont nous disposons à ce jour au sujet des cités puniques les plus occidentales dans la
région du Sahel concernent la zone de l'actuelle ville de Sidi el Heni où un site correspondant à une cité
punique pourrait avoir existé dont le nom romain peut être confondu avec le toponyme de Vicus Auguti.
Les découvertes, de vestiges et de mobilier d'un lieu sacré, d'époque punique et néopunique10
, sont très
peu suffisantes pour spéculer sur l'éventuel rayonnement de cette cité vers l'hinterland.
Dans le dossier des limites de la présence carthaginoise en Afrique orientale et de leurs rapports directs
avec la Tunisie centrale, voyons ce que nous apporte l'examen de la question de la ligne de démarcation
qui traversait le pays du Nord-Ouest, des environs de Tabarka, au Centre Est, la région de Thaenae,
communément appelée non sans arbitraire, Fossa Regia. Cette ligne de fortification maintenue à
l'époque romaine est selon l'auteur Appien, l'héritière des "phoïnikoi taphoi" (fosses phéniciennes), sans
doute situées en limite du royaume numide, qui avaient marqué l'étendue du territoire de Carthage11
. Le
tracé de ces fosses, encore hypothétique, passe soit à l'Est de la région du Kairouais, aux environs de la
probable ville de Vicus Augusti, l'actuelle Sidi El Hani, soit carrément tout près de la ville de la ville de
Kairouan (figure 1)12
. Même si des tronçons de véritables fossés larges de plusieurs mètres sont
retrouvés dans plusieurs endroits de la Tunisie, il n'est pas sûr qu'ils correspondent à ces limites
phéniciennes13
. Il va sans dire qu'une recherche globale sur ces fossés est d'un intérêt grandiose mais qui
ne peut s'achever vu le coût exorbitant de la tâche ce qui nous laisse tributaire des sources et des
conjectures.
L'hypothèse d'une présence directe des Carthaginois dans la région de Kairouan reste envisageable en
vue de plusieurs indices. Malheureusement, les arguments dont on dispose méritent d'être approfondis
davantage chose que les recherches futures devraient s'atteler à le faire. Il reste à examiner les
possibilités d'une influence carthaginoise indirecte sur cette région.
La contribution des Africains aux grands courants culturels méditerranéens remonte loin dans le temps.
C'est ainsi qu'on trouve dans certains haouanets des indices à la fois décoratifs et architectoniques
fréquents dans les milieux égéens et crétois et remontant à l'époque mycénienne14
. Egalement, cela
explique la présence de la représentation de "chefs libyens" à l'intérieure de la pyramide du pharaon
Sethi 1er
remontant à 1300 avant J.-C.15
.
Il faut, d'abord préciser que, les cités numides ne vivaient pas en autarcie. Bien au contraire, les numides
étaient largement gagnés par l'hellénisme ou "le punicisme" 16
et ce dans plusieurs aspects de leur vie à
commencer par leur élite politique sur qui notre documentation est la plus explicite.
D'abord commençons par une petite précision d'ordre méthodologique. La pénétration de la culture
phénico-punique n'est pas synonyme d'une sorte de "miracle civilisateur" qui avait embrassé les milieux
africains. L'influence carthaginoise en milieu numide ne devrait pas être considérée comme un indice de
l'adhésion d'une entité inférieure; celle des Numides, à un courant de développement qui l'avait sorti des
ténèbres; celui des Carthaginois. Ce phénomène est plutôt un des aspects d'une symbiose à plusieurs
facettes, parfois assez houleuses et même cyniques, qui sont le fruit d'une considération mutuelle
9
H. Ben Younes, "Le Sahel préromain: pays des Libyphéniciens", dans A. Marbet et alii, Du Byzacium au Sahel, Tunis 1999, p. 11.
10
E. Lipinski, "Sidi El-Hani", dans E. Lipinski 1992, p. 413.
11
P.-A. Février, Approches du Maghreb romain - I, Aix-en-Provence, 1989, p. 94.
12
N. Ferchiou, "Fossa Regia", dans Encyclopédie Berbère XIX, Aix-en-Provence, 1997, figure p. 2899.
13
Ferchiou 1997, p. 2909.
14
A. Njim, "Eléments du paysage urbain pré-romain à l’antique cité de Ruspina (l’actuelle Monastir)". p. 8 et 20, figure 17. À
paraître dans la Revue "Mawared" de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sousse,
15
A. Gragueb-A. Mtimet, La préhistoire en Tunisie et au Maghreb, Tunis, 1989, p. 83 (figure du bas).
16
G. Camps, "Modèle hellénistique ou modèle punique? Les destinées culturelles de la Numidie", M. H. Fantar-M. Ghaki
(coordinateurs), Actes du IIIeme colloque international des études phéniciennes et puniques, volume I, Tunis, 1995, pp. 235-248.
3
3
réfléchie et mûrie, souvent imprégnée de pragmatisme, que les recherches commencent à appréhender
correctement.
Par ailleurs, il n'est pas anodin d'envisager d'étudier globalement les apports des Africains à Carthage17
.
A défaut d'une vision binoculaire de ce que les scientifiques se plaisent à qualifier "d'acculturation" on
ne pourrait pas comprendre la nature de la symbiose libyco-carthaginoise. L'interpénétration des
Numides et des puniques était grande. Nous assistons à une fusion des deux mondes18
.
L'interpénétration entre les Carthaginois et les Africains est tellement assurée qu'un terme est inventé
par les spécialistes pour qualifier cette ethnie à double culture, c'est celui de "Libyphéniciens"19
, même
si comme pour bon nombre de termes du jargon scientifique, il faut des années de débat, et une des
études multiples sans doute pour avoir un consensus définitif sur le sens précis à accorder à ce vocable.
D'autre part, plusieurs synthèses sur la civilisation carthaginoise en Afrique du Nord méridionale et plus
particulièrement en Tunisie ont été établies20
.
Pour ce qui de la pénétration de la culture punique en Tunisie centrale, nous avons vu que du côté de
l'Est, la civilisation punique semble s'être arrêtée aux environs de la cité situé actuellement à
l'emplacement du village de Sidi El Hani. Les influences soupçonnées des puniques du côté Nord et
Ouest seront à chercher si non à vérifier. En effet, il est bien établi que l'influence de Carthage est
grande sur une bonne partie du territoire africain numide à partir des côtes septentrionales jusqu'à
l'intérieur du sol africain, même si les limites extrêmes de cette pénétration semblent flous et difficiles à
fixer21
. En Tunisie centrale, au moins trois cités sont profondément punicisées. Il s'agit de la cité de
Maktar22
et d'Althiburos23
à l'Ouest et celle de Sufetula24
plus au Sud. Ces trois cités sont positionnées
presque aux confins de la région du Kairouanais et constituent une arc qui encercle cette zone. Il est tout
à fais plausible de penser que d'autres cités où la culture punique était bien présente aient existé à
l'intérieur de la région que nous définissons comme constituant le Kairouanais. Rien n'empêche de
l'envisager même si des découvertes assurées semblent faire défaut pour étayer cette conjecture.
Par ailleurs, les recherches sur l'occupation antique dans la région du Kairouanais nous a livré bon
nombre de sites antiques. Les chercheurs les tous attribuent tous au début de la période romaine 25
. Il se
pourrait qu'une identification mal aisée de ces vestiges souvent à l'état de bribes encourage cette
opinion. Plusieurs autres sites sont encore à découvrir. Ils sont enfouis sur des alluvions, vestiges des
crues répétées dans cette région26
. Tout compte fait, de telles données battent en brèche l'idée véhiculée
par les chroniqueurs arabes que "la plaine kairouanaise ne pourrait être cet espace de steppes stériles
infecté par les reptiles"27
.
17
J.-P. Morel, "De quelques survivances protohistoriques dans la Carthage punique", dans M. Khanoussi et alii, Actes du VIIIeme
colloque international sur l'histoire et l'archéologie de l'Afrique du Nord, Tunis, 2003, pp. 99-113. Je rejoins l'auteur qui affirme: [il
ne pas inopportun de signaler ces données, et développer par ce biais une composante de l'archéologie carthaginoise trop rarement
prise en compte, celle des "populations locales"] (p. 99).
18
M. Dubuisson-E. Lipinski, "Numidie", dans Lipinski 1992, p. 317.
19
E. Lipinski, "Libyphéniciens", dans Lipinski 1992, p. 260; H. Ben Younes, "Les Libyphéniciens", dans V. Krings (directeur), La
civilisation phénicienne et punique, Manuel de recherche, Lieden-New York-Köln, 1995, pp. 820-824.
20
M. H. Fantar, Carthage approche d'une civilisation - II, Tunis 1994, surtout chapitre VII: présence de Carthage, particulièrement,
présence punique en Tunisie, pp. 22 à 43 et chapitre XI: apports et survivances; H. Ben Younes, La présence punique au Sahel
d'après les données littéraires et archéologiques, Thèse de doctorat, Université de Tunis 1981; Id., Tunisie, et surtout paragraphe A.
Limites géographiques et chronologiques, dans V. Krings 1995, pp. 796-827; A. Krandel-Ben Younès, La présence punique en pays
numide, Tunis, 2002.
21
A. Krandel-Ben Younès 2002, p. 13.
22
S. Lancel-G.Ch. Picard, "Maktar", dans Lipinski 1992, pp. 270-271.
23
S. Lancel-E. Lipinski, "Althiburos", dans Lipinski 1992, p. 23.
24
E. Lipinski, "Sbeitla", dans Lipinski 1992, p. 397.
25
A. Mrabet, "L'occupation du sol dans le Kairouanais: les données de la prospection archéologique (Feuille Kairouan 063)", dans Al
Bahi 2009, p. 11. Ce chiffre s'élève à 120 sites antiques.
26
Ibid., p. 10.
27
Ibid., p. 20.
4
4
Ainsi, nous devons nous munir de la résignation due à l'état très à la fois vague superficiel et
fragmentaire de notre documentation même les présomptions évoquées sont défendables et tout à fait
plausibles. L'avenir des recherches et surtout l'examen sérieux des données à la fois acquises et
nouvelles sont aptes à trancher cette question relative aux rapports des Carthaginois avec la région du
Kairouanais soit à travers une présence directe ou leur influences dans les milieux numides de cette
région.
Figure 1 : les tracés hypothétiques de la Fossa Regia à l’époque romaine
5
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Histoire générale de l'Afrique : Afrique ancienne - II
 

kairouanais

  • 1. LE KAIROUANIS (DANS LA BYZACÈNE CENTRALE) À L’ÉPOQUE PUNIQUE Adel Njim* C'est une véritable aubaine pour la recherche qu'une région de Tunisie profite d'une constante attention dans un temps si court. Comme la première synthèse sur la région et la ville de Kairouan1 a suscité beaucoup d'enthousiasme et de questionnements de la part des scientifiques, la continuation des investigations s'avère aussi impérieuse que justifiée. Cette communication s'inscrit alors dans ce cadre qui est celui d'approfondir l'enquête sur cette zone, que nous estimons tous fort prometteuse, de la Tunisie centrale. Le mobil de cette communication qui porte sur un aspect du chapitre antique, malheureusement fort peu connu, de cette région est de tenter d'établir une continuité dans la connaissance de cette zone de la Tunisie. C'est une réaction contre l'existence d'un réel hiatus dans les recherches, si non d'un grand déséquilibre de nos connaissances sur cette région, qu'on pourrait à la fois comprendre et expliquer, qui a fait que le plus on reculé dans le temps le moins nous connaissons sur cette région, chose qui a largement contribué à créer une attitude fort trompeuse voulant que l'histoire glorieuse de cette région commence, à peine avant ou juste avec l'arrivée de l'Islam. Or, à la vue du dossier qui se constitue, nul doute qu'elle est encore plus antérieure même si c'est un réel enjeu de pouvoir la cerner convenablement. Au cours de cette modeste contribution je compte me pencher sur une phase de l'occupation humaine antique dans la grande région où se situe la ville de Kairouan que nous commençons à définir géographiquement, administrativement mais encore moins historiquement et que nous qualifions avec le terme de "Kairouanais". Comme un terme ne définit que la perception d'une réalité il n'est pas anodin de se pencher sur ce dernier sous un angle propre aux historiens et non pas simplement emprunté à d'autres disciplines2 . Mon enquête s'étale chronologiquement de la fondation de Carthage jusqu'à sa chute et la présence romaine effective sur le sol africain. Il me semble que venir à bout de la totalité de ce dossier vaste, autant pour l'étendue de la zone qu'il embrasse que pour la chronologie qu'il s'est fixé, dépasse le cadre de ce colloque. Ainsi, je vais me borner à examiner quelques hypothèses fondamentales qui serviront de cadre général à une approche globale pour un tel dossier. Concrètement, mes questionnements concernent l'examen de l'hypothèse des rapports directs des Carthaginois avec cette région ensuite celui de ce que nous qualifions d'influences phénico-puniques sur les Numides dans ces contrées de la Tunisie Centrale. D'abord, je dois souligner une difficulté majeure, sérieusement handicapante, qui concerne la documentation. Les indices directs dont on dispose sont à la fois menus et très épars empêchant ainsi à l'heure actuelle une lecture d'ensemble sans périls qu'on ne pourrait pas nous contester. Par ailleurs, le recours aux indices indirects relatifs à ce dossier, même s'ils sont relativement plus fournis nous imposent une sorte de lecture en négative dont l'extrapolation devrait être sérieusement maîtrisée. Connaissant tous les risques du recours facile, et parfois hasardeux, aux approches comparatistes dans notre domaine je préfère me résigner à la prudence dans l'attente de l'élargissement positif de ce dossier. Or, cette béance documentaire est due beaucoup plus à une mauvaise stratégie avec laquelle les recherches étaient menées qu'à la réalité intrinsèque du terrain. D'autre part, bon nombre d'acquis matériels et culturels attestés dans cette région méritent un sévère examen pour s'assurer de leur attribution chronologique si non culturelle, assurée, faute de mieux. Je pense par exemple à la technique 1 * Maître Assistant, Département d’Archéologie, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax (Tunisie). Mail : njim_adel@yahoo.com A. Al Bahi (Coordinateur), Kairouan et sa région: nouvelles découvertes, nouvelles approches, Deuxième colloque international (6 au 8 mars 2006), Tunis, 2009. 2 H. Sethom, "Le Kaouranais" , dans H. Sethom-A. Kassab, Les régions géographiques de la Tunisie, Tunis, 1981, p. 262.
  • 2. de construction des bassins d'eau à contreforts arrondis. La fréquence des bassins construits selon cette technique autour de la ville de Kairouan islamique pourrait faire croire à l'attribution de cette technique de construction aux Musulmans alors que la frappante ressemblance de fragments de bassins d'époque phénicienne découverts aux alentours de la ville d'Utique poussent à se poser la question d'une possible, et en somme fort convaincante, origine préislamique et même préromaine de cette technique de construction introduite dans cette région soit directement par les Carthaginois soit suite à leur influence, ensuite pérennisée grâce à son adoption et probablement sa généralisation à l'époque islamique3 . Une telle preuve de continuité ne pourrait étonner que les néophytes, les spécialistes en ce domaine, toutes disciplines confondues savent que cet exemple est lion d'être un cas unique4 . Cette confusion dans la connaissance de la nature de l'héritage de cette région est présente aussi quant à certains aspects de la culture numide par exemple un lieu de culte contigu à une mosquée est situé non lion de la partie ouest de la muraille islamique de la ville de Kairouan n'est autre que la survivance d'un lieu sacré préislamique et du culte de fécondité qui s'y déroule. Cette pratique rituelle d'origine sûrement préislamique évoque la question de l'attribution culturelle de la culture numide; de ce qui est intrinsèque ou ce qui le fruit d'une acculturation dans sa composition5 . De telles confusions nécessitent de réfléchir sur nos connaissances des apports Carthaginois, qu'ils soient directs ou indirects, à cette région. En premier lieu, cette question permet de réfléchir sur les limites géographiques de l'étendue de la présence de la civilisation phénicienne en Tunisie centrale. Une telle question pourtant cruciale est souvent passée sous silence ou simplement effleurée puisque pour la plupart des chercheurs la présence phénicienne et punique en Tunisie n'était qu'un phénomène strictement côtier. Bien sûr vouloir fixer les limites de cette "phénicisation" ne consiste pas à faire l'état d'une sorte de "miracle sémitique" civilisateur dont la région tout juste sortie des ténèbres du confinement a bénéficiée mais plutôt de définir la nature de cette symbiose africano-carthaginoise et sans doute de la comparer avec le reste de la Tunisie, et pourquoi pas d'ailleurs où des travaux étaient déjà menés6 . Se poser la question sur la présence phénicienne dans cette ville est tout à fait légitime puisque les vestiges conservées de la cité d'Hadrumète, l'actuelle Sousse, remontent au moins au VIIème siècle avant J.-C.7 . Mieux encore, cette ville est une fondée directement par Tyr, de connaître une présence phénicienne antérieure à cette date sans pouvoir la justifier en raison des lacunes de notre documentation. La chronologie assez ancienne de cette cité permet-t-elle de dire que l'intérêt des Phéniciens pour l'intérieur des terres, au moins dans cette région, s'est manifesté dès les premiers temps de leur présence Afrique ou au contraire il est plus postérieur et remonte à une époque où Carthage commence à perdre du poids en Méditerranée occidentale suite à la pression grecque surtout en Sardaigne et en Sicile ? C'est une question fondamentale à laquelle il faut répondre. Les indices archéologiques sont à elles seules capables de nous faire adopter l'une ou l'autre des hypothèses. Cette ville jouait-elle d'un territoire et donc d'une présence loin de la côte ce qui lui confère un rôle de diffuseur de la culture phénicienne dans son arrière pays arrivant jusque dans la région du Kairouanais ? De ce point de vue, un bilan sur le passé préromain de cette cité s'avère judicieux8 . Nous devons avouer notre méconnaissance. Une étude récente sur un bilan du Sahel Carthaginois s'est souciée de la délimitation de cette région. Elle s'est bornée à en fixer les deux limites côtières haute et basse. Ainsi, cette région "débute aux 3 Au sujet de tronçons de citernes antiques à contreforts arrondis découverts dans la région d'Utique voir A. Daux, Recherche sur l'origine et l'emplacement des emporia phéniciens dans le Zeugis et le Byzacium, Paris, 1869, pp. 245-251, pl. IV et IV bis. 4 Personnellement j'ai eu l'occasion de me rendre compte de la continuité des formes et des usages de deux catégories de vases à usage cultuel. A. Njim, "Survivance d'un type de vase à feu dit vase étagé trapu", Reppal XIII (2004), pp. 183-200; Id, "Vases phénico-puniques et méditerranéens liés au culte de la fécondité", À paraître dans le prochain numéro de Reppal. 5 A. Njim, "Un culte préislamique de fécondité à Kairouan", dans Al Bahi 2009, pp.219-224. 6 F. Ben Abed, "Les Phéniciens dans la péninsule ibérique. Une nouvelle lecture des données archéologiques", Actes du IIIeme congrès international des études phéniciennes et puniques - I, Tunis 1995, pp. 109-122. 7 S. Lancel, "Hadrumète", E. Lipinski (directeur), Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 203. 8 M. H. Fantar, "Que savons-nous de Sousse à l'époque punique?", L'Association de Sauvegarde de la Médina de Sousse, Sousse à travers les âges, Colloque international (5 au 7 mars 2009), À paraître. 2 2
  • 3. environs de Bir Bou Rekba au Nord pour s'achever au Sud aux environs de la ville de Sfax". La limite Ouest de cette région quant à elle est d'ordre géographique. Elle est constituée par la ligne des sebkhas d'El Kelbia, de Sidi El Hani et d'El Jem9 . Les données dont nous disposons à ce jour au sujet des cités puniques les plus occidentales dans la région du Sahel concernent la zone de l'actuelle ville de Sidi el Heni où un site correspondant à une cité punique pourrait avoir existé dont le nom romain peut être confondu avec le toponyme de Vicus Auguti. Les découvertes, de vestiges et de mobilier d'un lieu sacré, d'époque punique et néopunique10 , sont très peu suffisantes pour spéculer sur l'éventuel rayonnement de cette cité vers l'hinterland. Dans le dossier des limites de la présence carthaginoise en Afrique orientale et de leurs rapports directs avec la Tunisie centrale, voyons ce que nous apporte l'examen de la question de la ligne de démarcation qui traversait le pays du Nord-Ouest, des environs de Tabarka, au Centre Est, la région de Thaenae, communément appelée non sans arbitraire, Fossa Regia. Cette ligne de fortification maintenue à l'époque romaine est selon l'auteur Appien, l'héritière des "phoïnikoi taphoi" (fosses phéniciennes), sans doute situées en limite du royaume numide, qui avaient marqué l'étendue du territoire de Carthage11 . Le tracé de ces fosses, encore hypothétique, passe soit à l'Est de la région du Kairouais, aux environs de la probable ville de Vicus Augusti, l'actuelle Sidi El Hani, soit carrément tout près de la ville de la ville de Kairouan (figure 1)12 . Même si des tronçons de véritables fossés larges de plusieurs mètres sont retrouvés dans plusieurs endroits de la Tunisie, il n'est pas sûr qu'ils correspondent à ces limites phéniciennes13 . Il va sans dire qu'une recherche globale sur ces fossés est d'un intérêt grandiose mais qui ne peut s'achever vu le coût exorbitant de la tâche ce qui nous laisse tributaire des sources et des conjectures. L'hypothèse d'une présence directe des Carthaginois dans la région de Kairouan reste envisageable en vue de plusieurs indices. Malheureusement, les arguments dont on dispose méritent d'être approfondis davantage chose que les recherches futures devraient s'atteler à le faire. Il reste à examiner les possibilités d'une influence carthaginoise indirecte sur cette région. La contribution des Africains aux grands courants culturels méditerranéens remonte loin dans le temps. C'est ainsi qu'on trouve dans certains haouanets des indices à la fois décoratifs et architectoniques fréquents dans les milieux égéens et crétois et remontant à l'époque mycénienne14 . Egalement, cela explique la présence de la représentation de "chefs libyens" à l'intérieure de la pyramide du pharaon Sethi 1er remontant à 1300 avant J.-C.15 . Il faut, d'abord préciser que, les cités numides ne vivaient pas en autarcie. Bien au contraire, les numides étaient largement gagnés par l'hellénisme ou "le punicisme" 16 et ce dans plusieurs aspects de leur vie à commencer par leur élite politique sur qui notre documentation est la plus explicite. D'abord commençons par une petite précision d'ordre méthodologique. La pénétration de la culture phénico-punique n'est pas synonyme d'une sorte de "miracle civilisateur" qui avait embrassé les milieux africains. L'influence carthaginoise en milieu numide ne devrait pas être considérée comme un indice de l'adhésion d'une entité inférieure; celle des Numides, à un courant de développement qui l'avait sorti des ténèbres; celui des Carthaginois. Ce phénomène est plutôt un des aspects d'une symbiose à plusieurs facettes, parfois assez houleuses et même cyniques, qui sont le fruit d'une considération mutuelle 9 H. Ben Younes, "Le Sahel préromain: pays des Libyphéniciens", dans A. Marbet et alii, Du Byzacium au Sahel, Tunis 1999, p. 11. 10 E. Lipinski, "Sidi El-Hani", dans E. Lipinski 1992, p. 413. 11 P.-A. Février, Approches du Maghreb romain - I, Aix-en-Provence, 1989, p. 94. 12 N. Ferchiou, "Fossa Regia", dans Encyclopédie Berbère XIX, Aix-en-Provence, 1997, figure p. 2899. 13 Ferchiou 1997, p. 2909. 14 A. Njim, "Eléments du paysage urbain pré-romain à l’antique cité de Ruspina (l’actuelle Monastir)". p. 8 et 20, figure 17. À paraître dans la Revue "Mawared" de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sousse, 15 A. Gragueb-A. Mtimet, La préhistoire en Tunisie et au Maghreb, Tunis, 1989, p. 83 (figure du bas). 16 G. Camps, "Modèle hellénistique ou modèle punique? Les destinées culturelles de la Numidie", M. H. Fantar-M. Ghaki (coordinateurs), Actes du IIIeme colloque international des études phéniciennes et puniques, volume I, Tunis, 1995, pp. 235-248. 3 3
  • 4. réfléchie et mûrie, souvent imprégnée de pragmatisme, que les recherches commencent à appréhender correctement. Par ailleurs, il n'est pas anodin d'envisager d'étudier globalement les apports des Africains à Carthage17 . A défaut d'une vision binoculaire de ce que les scientifiques se plaisent à qualifier "d'acculturation" on ne pourrait pas comprendre la nature de la symbiose libyco-carthaginoise. L'interpénétration des Numides et des puniques était grande. Nous assistons à une fusion des deux mondes18 . L'interpénétration entre les Carthaginois et les Africains est tellement assurée qu'un terme est inventé par les spécialistes pour qualifier cette ethnie à double culture, c'est celui de "Libyphéniciens"19 , même si comme pour bon nombre de termes du jargon scientifique, il faut des années de débat, et une des études multiples sans doute pour avoir un consensus définitif sur le sens précis à accorder à ce vocable. D'autre part, plusieurs synthèses sur la civilisation carthaginoise en Afrique du Nord méridionale et plus particulièrement en Tunisie ont été établies20 . Pour ce qui de la pénétration de la culture punique en Tunisie centrale, nous avons vu que du côté de l'Est, la civilisation punique semble s'être arrêtée aux environs de la cité situé actuellement à l'emplacement du village de Sidi El Hani. Les influences soupçonnées des puniques du côté Nord et Ouest seront à chercher si non à vérifier. En effet, il est bien établi que l'influence de Carthage est grande sur une bonne partie du territoire africain numide à partir des côtes septentrionales jusqu'à l'intérieur du sol africain, même si les limites extrêmes de cette pénétration semblent flous et difficiles à fixer21 . En Tunisie centrale, au moins trois cités sont profondément punicisées. Il s'agit de la cité de Maktar22 et d'Althiburos23 à l'Ouest et celle de Sufetula24 plus au Sud. Ces trois cités sont positionnées presque aux confins de la région du Kairouanais et constituent une arc qui encercle cette zone. Il est tout à fais plausible de penser que d'autres cités où la culture punique était bien présente aient existé à l'intérieur de la région que nous définissons comme constituant le Kairouanais. Rien n'empêche de l'envisager même si des découvertes assurées semblent faire défaut pour étayer cette conjecture. Par ailleurs, les recherches sur l'occupation antique dans la région du Kairouanais nous a livré bon nombre de sites antiques. Les chercheurs les tous attribuent tous au début de la période romaine 25 . Il se pourrait qu'une identification mal aisée de ces vestiges souvent à l'état de bribes encourage cette opinion. Plusieurs autres sites sont encore à découvrir. Ils sont enfouis sur des alluvions, vestiges des crues répétées dans cette région26 . Tout compte fait, de telles données battent en brèche l'idée véhiculée par les chroniqueurs arabes que "la plaine kairouanaise ne pourrait être cet espace de steppes stériles infecté par les reptiles"27 . 17 J.-P. Morel, "De quelques survivances protohistoriques dans la Carthage punique", dans M. Khanoussi et alii, Actes du VIIIeme colloque international sur l'histoire et l'archéologie de l'Afrique du Nord, Tunis, 2003, pp. 99-113. Je rejoins l'auteur qui affirme: [il ne pas inopportun de signaler ces données, et développer par ce biais une composante de l'archéologie carthaginoise trop rarement prise en compte, celle des "populations locales"] (p. 99). 18 M. Dubuisson-E. Lipinski, "Numidie", dans Lipinski 1992, p. 317. 19 E. Lipinski, "Libyphéniciens", dans Lipinski 1992, p. 260; H. Ben Younes, "Les Libyphéniciens", dans V. Krings (directeur), La civilisation phénicienne et punique, Manuel de recherche, Lieden-New York-Köln, 1995, pp. 820-824. 20 M. H. Fantar, Carthage approche d'une civilisation - II, Tunis 1994, surtout chapitre VII: présence de Carthage, particulièrement, présence punique en Tunisie, pp. 22 à 43 et chapitre XI: apports et survivances; H. Ben Younes, La présence punique au Sahel d'après les données littéraires et archéologiques, Thèse de doctorat, Université de Tunis 1981; Id., Tunisie, et surtout paragraphe A. Limites géographiques et chronologiques, dans V. Krings 1995, pp. 796-827; A. Krandel-Ben Younès, La présence punique en pays numide, Tunis, 2002. 21 A. Krandel-Ben Younès 2002, p. 13. 22 S. Lancel-G.Ch. Picard, "Maktar", dans Lipinski 1992, pp. 270-271. 23 S. Lancel-E. Lipinski, "Althiburos", dans Lipinski 1992, p. 23. 24 E. Lipinski, "Sbeitla", dans Lipinski 1992, p. 397. 25 A. Mrabet, "L'occupation du sol dans le Kairouanais: les données de la prospection archéologique (Feuille Kairouan 063)", dans Al Bahi 2009, p. 11. Ce chiffre s'élève à 120 sites antiques. 26 Ibid., p. 10. 27 Ibid., p. 20. 4 4
  • 5. Ainsi, nous devons nous munir de la résignation due à l'état très à la fois vague superficiel et fragmentaire de notre documentation même les présomptions évoquées sont défendables et tout à fait plausibles. L'avenir des recherches et surtout l'examen sérieux des données à la fois acquises et nouvelles sont aptes à trancher cette question relative aux rapports des Carthaginois avec la région du Kairouanais soit à travers une présence directe ou leur influences dans les milieux numides de cette région. Figure 1 : les tracés hypothétiques de la Fossa Regia à l’époque romaine 5 5