1. Der
Le Temps
Jeudi 12 février 2015
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TIMOTHYFADEK
> Cofondateur de
la start-up zkipster,
le Zurichois
David Becker, 35 ans,
a révolutionné
l’organisation
d’événements
outre-Atlantique
> Après des débuts
difficiles,
il est aujourd’hui
conquérant
Stéphane Bussard NEW YORK
Quelques chaises et bureaux, un
téléphone et un ordinateur porta-
ble. On n’est pas à une exposition
sur le minimalisme, mais au 23e
étage d’un édifice de SoHo. L’espace
occupé est rudimentaire, mais la
vuesurManhattanestébouriffante.
C’est là que David Becker, Zurichois
de 35 ans, est venu s’installer. Avec
Daniel Dessauges, 29 ans, il a co-
fondé zkipster – il insiste sur la mi-
nuscule –, une start-up en pleine
croissance. Pour cet ancien journa-
liste de la Schweizer Illustrierte et de
laradioalémaniqueDRS3,diplômé
de la Haute Ecole spécialisée de Zu-
rich en business communication,
les débuts new-yorkais furent aven-
tureux et incertains. L’inconfort
d’un Starbucks pour commencer,
puis un petit espace chez un ven-
deur suisse de meubles design dans
lequartierdeMeatpackingetunlo-
cal bruyant de Midtown. Bien
qu’exigu, le bureau de SoHo est en
soiunepremièrevictoire.Dansl’im-
meuble sont logés d’autres start-up
ainsi que des avocats pour immi-
grantschinois.
Ces jours-ci, David Becker et Da-
nielDessaugestravaillentàpleinré-
gime. Durant la New York Fashion
Week qui commence ce jeudi, plu-
sieurs centaines d’événements or-
ganisés par des marques aussi pres-
tigieuses que Hugo Boss et Armani
vont recourir à zkipster, «l’applica-
tion de gestion de listes d’invités la
plus rapide et la plus fiable de l’in-
dustrie de l’événementiel». Son uti-
lisateur peut avoir en temps réel un
aperçu des invités présents et ab-
sents. Une application complémen-
taire, zFace, permet d’aller chercher
sur le Web la photo correspondant
à l’invité afin de s’assurer qu’il s’agit
bien de la bonne personne. Autre
ajout à la gamme zkipster: zSocial,
qui donne l’impression aux invités
de faire partie d’une vraie commu-
nauté. Une fois à l’événement, les
hôtes reçoivent un tweet qui leur
souhaite la bienvenue. Après la ma-
nifestation, les organisateurs peu-
vent établir des statistiques sur le
nombre de tweets, de messages Ins-
tagram, etc. D’autres produits sont
en phase d’élaboration afin d’ex-
ploiter un marché de niche visible-
mentporteur.
Les applications zkipster, expli-
que David Becker, ont fait le bon-
heur d’organisateurs de side-events
lors des Grammy Awards et servent
à mettre sur pied des événements
VIPlorsduFestivaldufilmdeBerlin.
Elles ont aussi été utilisées au Festi-
val de Cannes pour l’une des plus
importantes collectes de fonds ja-
mais organisées. Que ce soit la ver-
sion de Miami, Bâle ou Hongkong,
ArtBaselestungrosclient.AMiami,
zkipster aide à l’organisation de
quelque 350 événements. Même les
agences gouvernementales de neuf
pays, dont l’Allemagne et la Suisse,
recourent à cet outil. «Notre activité
est très globale, souligne David Bec-
ker. Nous avons créé des antennes à
Londres, Prague, Amsterdam,
Honkgong.Noussommesdixauto-
tal.» Au siège de la société à New
York, les deux cofondateurs vien-
nent de renforcer leur puissance de
feu en engageant le Genevois Julien
Jaeger, qui s’est longtemps chargé
des partenariats à la Clinton Global
Initiative, et qui arrive avec un car-
netd’adressesbienfourni.
David Becker incarne un type de
Millennials, de jeunes de la généra-
tionY:moinsdépendantsdesstruc-
tures traditionnelles et animés par
une insouciance assumée de l’ave-
nir. Sa vie new-yorkaise, c’est main-
tenant,larésultanteduhasardetde
la chance provoquée. Avec son ami
DanielDessauges, ilavaitbiententé
de proposer son produit initial en
Suisseaprèsl’avoirutilisélorsdesoi-
réesd’anciensétudiantsdel’Univer-
sité de Zurich. Ça n’a pas pris. L’arri-
vée de l’iPad en 2010 fut toutefois le
coup de pouce du destin. L’applica-
tion devenait soudain très convi-
viale.«Onpensaitquenotreproduit
n’aurait aucune chance aux Etats-
Unis, que les Américains avaient
déjà tout en termes d’événemen-
tiels. Ce n’était pas le cas, explique
David Becker. Mon cousin, qui avait
unvasteréseauàNewYork,m’aaidé
et convaincu qu’il fallait tenter le
coup.»
Aujourd’hui, le discours a
changé. Disparu, le complexe du
Suisse qui aurait peur de se vendre
face à des Américains réputés impi-
toyables en affaires. Fini la crainte
de ne pas avoir assez d’argent sur
son compte bancaire à la fin du
mois.Lecofondateurdezkipsterré-
sume les raisons de la réussite:
«Nous ne survendons pas nos pro-
duits, mais ce que nous livrons est
de grande qualité. Nos applications
sontmeilleuresquecellesdelacon-
currence.»
Zkipster a beau avoir son siège à
New York, David Becker voit sa
start-upcommeunecréationhelvé-
tique. La société a démarré avec un
prêt de la Banque Cantonale de Zu-
rich (ZKB), préférant l’établisse-
ment zurichois à des investisseurs
américains. «Nous nous considé-
rons comme une entreprise suisse.
Les contrats sont de droit suisse.» Le
jeuneentrepreneurseprésentetou-
jours dans l’habit d’un Helvète: «Les
valeurs suisses de sécurité et de fia-
bilitésontimportantes.»
Dansunemégapolede8millions
d’habitants comme New York, où
l’événementiel est presque inscrit
dans l’ADN, la vie ne s’arrête jamais
pour zkipster. Le moulin à idées
tourne en permanence. «Dans le
monde,ilyatellementdeprocessus
inefficaces à améliorer», souligne
Daniel Dessauges. David Becker ne
cache pas sa fierté d’être à l’avant-
garde en matière d’organisation du
travail: équipement minimal,
aucune utilisation de papier et un
bureau qu’il quitte rarement avant
22 h. «Ce mode de travail est plus
facile ici. En Suisse, c’est encore un
peulavieilleécole.Ondoityrespec-
ter certains modes de fonctionne-
ment. A New York, le contact avec
des clients potentiels n’est pourtant
pas toujours facile. On nous dit par-
fois oui, mais cela veut dire non»,
analyse David Becker. Son collègue
Daniel l’admet lui aussi: «Les choses
bougenttrèsrapidementici.Quand
onveutvendrenotreproduit,lesdix
premières minutes sont essentiel-
les. La fenêtre de tir est très étroite
pourconvaincre.»
Enfant du millénaire, David Bec-
ker l’est aussi quand il est question
d’alimentation. «Je crois que je
mange de plus en plus sain», préci-
se-t-il. Il fait systématiquement ses
emplettesàWholeFoods,lagrande
chaîne américaine de produits bio
très prisée par une classe moyenne
soucieuse de manger sainement. Sa
compagne est Américaine, «mais
pastrop»etsesamissontavanttout
Européens. Il se fait un honneur
d’aller à pied de son appartement
deLittleItalyàsonlieudetravail.
Avec le recul, le Zurichois re-
grette qu’en Suisse on soit habité
par la peur d’échouer. «C’est dom-
mage de voir qu’il y a autant de ta-
lents et de gens bien formés en
Suisse, mais qu’ils n’osent pas tenter
des choses folles. A 20 ou 30 ans,
tout est possible.» En regardant par
la fenêtre, avec l’Empire State Buil-
ding en ligne de mire, il se dit qu’il
n’y a aucune raison d’avoir peur du
futur. L’avenir est en soi. L’Amérique
estàsespieds.
«C’est dommage de voir qu’il y a autant
de talents et de gens bien formés en Suisse,
mais qu’ils n’osent pas tenter des choses folles»
L’Amérique sanscomplexe
Tout ce qui
touche à la
guerre est une gifle
au bon sens
Qui a dit?Un jour, une idée
Visitez«MonumentValley»avecunedrôle de princesse
Eléonore Sulser
Vous êtes Ida, une petite princesse sans
couronne mais au chapeau pointu qui cher-
che sa voie dans des châteaux multiples et
singuliers, aux airs de palais des vents et de
Taj Mahal, architectures aériennes, arach-
néennes, labyrinthiques. Alors que vous
cheminez sur un pont de pierre, arc-boutant
vertigineux habillé de rose poudré qui
s’ouvre sur d’interminables escaliers, une
corneille autiste, qui avance en dodelinant
de la tête, vous coupe la voie. Elle coasse
dans votre direction et fait s’envoler votre
chapeau pointu.
Et soudain, l’arche du pont tourne sur elle-
même et vous voilà à l’envers! Vous échap-
pez du coup à la corneille et, miracle, décou-
vrez que vous êtes capable de marcher tête
en bas. Mais voilà que l’arche pivote de
nouveau… et s’effondre. Heureusement,
vous avisez une petite porte noire, et vous
voilà ailleurs…
Est-ce un rêve, est-ce un cauchemar? Rien
de tout cela. C’est un jeu pour plateformes
mobiles (iOS/Android), conçu par les stu-
dios Ustwo, et plus précisément par une
petite équipe de huit personnes chargée des
jeux au sein des studios. Monument Valley a
remporté plusieurs prix, notamment un
Apple Design Award et deux Unity Awards.
Le jeu est accessible, logique, ingénieux,
enchanteur et beau. Monument Valley Origi-
nal, fort de dix niveaux originaux – et donc
autant d’univers architecturaux –, est paru
en avril dernier, et s’est étoffé en novembre
dernier de huit nouveaux niveaux baptisés
«Forgotten shores».
Ken Wong, un artiste australien qui est l’un
des designers à l’origine des décors de
Monument Valley, s’est directement inspiré
des dessins de Maurits Cornelis Escher, de
ses escaliers impossibles et paradoxaux, de
ses murailles folles, de ses parcours dérou-
tants. Résultat, un univers à la Escher mais
passé au pastel, noyé de jaunes orangés, de
roses, de briques, de verts aquatiques, de
gris, de bleus violacés. La musique, elle, a
des accents à la Brian Eno.
«Monument Valley est fait pour des gens qui
ne jouent pas forcément aux jeux vidéo, dit
Ken Wong dans une interview accordée au
site Maker. Le jeu regorge de références
artistiques et musicales. C’est l’histoire
d’une princesse silencieuse en quête de
pardon, qui effectue un voyage architectural
et traverse des univers géométriques para-
doxaux.»
A la mi-janvier, Ustwo annonçait avoir vendu
près de 2,5 millions de fois Monument Valley.
Et la petite équipe de Ustwo, dédiée aux
jeux, planche actuellement sur un nouvel
opus, baptisé Lands’end.
La phrase parue dans le journal de
mercredi, «Qui domine les autres
est fort. Qui se domine est
puissant», est de Lao-Tseu.
Réponse dans la prochaine édition
du «Temps»
DR