1. Le Panorama du
Clocher deSaint-Hilaire
Proseminar «Bild und Bilderwelten bei M. Proust»,
Karin Schulz, UNI KONSTANZ, SS16
Caroline Demeulemeester, 30 mai 2016
2. Qu’est-ce un
panorama?
• Vaste étendue de pays qu'on découvre d'une
hauteur
• Vue d'ensemble d'une question, d'une époque,
d'une activité
• Peinture développée circulairement sur le mur
intérieur d'une rotonde et donnant l'illusion de la
réalité par des effets de perspective et de
trompe-l'œil
(www.larousse.fr)
5. Défintion de
l’horizon :
Ligne imaginaire circulaire dont l'observateur est le
centre et où le ciel et la terre (ou la mer) semblent se
confondre.
Partie de la terre, de la mer ou du ciel qui borne cette
ligne : Apercevoir une voile à l'horizon.
Étendue de terre et de ciel qu'un observateur peut
apercevoir autour de lui.
Lieu où l'on vit et qui borne l'existence : Il faut changer
d'horizon.
Domaine qui s'ouvre à l'esprit et à l'activité de
quelqu'un : Élargir son horizon.
Perspectives d'avenir dans un
domaine : L'horizon politique s'éclaircit.
7. Le panorama
littéraire
« Combray, de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de
fer quand nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques,
ce n’était qu’une église résumant la ville, la représentant,
parlant d’elle et pour elle aux lointains, et, quand on
s’approchait, tenant serrés autour de sa haute mante
sombre, en plein champ, contre le vent, comme une
pastoure ses brebis, les dos laineux et gris des maisons
rassemblées qu’un reste de remparts du MoyenÂge cernait
ça et là d’un trait aussi parfaitement circulaire qu’une
petite ville dans un tableau primitif. »
Proust, Marcel (1987) : Du coté de chez Swann, éd. Antoine Compagnon, Paris :
Gallimard (folio classique), Bd. 1924, p. 105
8. (Texte lignes 0-14 )
On reconnaissait le clocher de Saint-Hilaire de bien loin, inscrivant sa figure inoubliable à
l'horizon où Combray n'apparaissait pas encore; quand du train qui, la semaine de
Pâques, nous amenait de Paris, mon père l'apercevait qui filait tour à tour sur tous les
sillons du ciel, faisant courir en tous sens son petit coq de fer, il nous disait: «Allons,
prenez les couvertures, on est arrivé.» Et dans une des plus grandes promenades que nous
faisions de Combray, il y avait un endroit où la route resserrée débouchait tout à coup
sur un immense plateau fermé à l'horizon par des forêts déchiquetées que dépassait seul
la fine pointe du clocher de Saint-Hilaire, mais si mince, si rose, qu'elle semblait seulement
rayée sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à ce paysage, à ce tableau rien que de
nature, cette petite marque d'art, cette unique indication humaine. Quand on se
rapprochait et qu'on pouvait apercevoir le reste de la tour carrée et à demi détruite qui,
moins haute, subsistait à côté de lui, on était frappé surtout de ton rougeâtre et sombre
des pierres; et, par un matin brumeux d'automne, on aurait dit, s'élevant au-dessus du
violet orageux des vignobles, une ruine de pourpre presque de la couleur de la vigne
vierge.
10. La spatialité
dans «à la
recherche du
temps perdu»
«Mais ce qui est incontestablement le plus curieux dans notre église, c'est le
point de vue qu'on a du clocher et qui est grandiose.Certainement, pour vous
qui n'êtes pas très forte, je ne vous conseillerais pas de monter nos quatre-vingt-
dix-sept marches, juste la moitié du célèbre dôme de Milan. Il y a de quoi fatiguer
une personne bien portante, d'autant plus qu'on monte plié en deux si on ne veut
pas se casser la tête, et on ramasse avec ses effets toutes les toiles d'araignées
de l'escalier. En tous cas il faudrait bien vous couvrir, ajoutait-il (sans apercevoir
l'indignation que causait à ma tante l'idée qu'elle fût capable de monter dans le
clocher), car il fait un de ces courants d'air une fois arrivé là-haut! Certaines
personnes affirment y avoir ressenti le froid de la mort. N’importe, le dimanche il
y a toujours des sociétés qui viennent même de très loin pour admirer la beauté
du panorama et qui s'en retournent enchantées.Tenez, dimanche prochain, si le
temps se maintient, vous trouveriez certainement du monde, comme ce sont les
Rogations. Il faut avouer du reste qu'on jouit de là d'un coup d'œil féerique,
avec des sortes d'échappées sur la plaine qui ont un cachet tout particulier.
Quand le temps est clair on peut distinguer jusqu'àVerneuil.Surtout on
embrasse à la fois des choses qu'on ne peut voir habituellement que l'une sans
l'autre, comme le cours de laVivonne et les fossés de Saint-Assise-lès-
Combray, dont elle est séparée par un rideau de grands arbres, ou encore comme
les différents canaux deJouyle-Vicomte (Gaudiacus vice comitis comme vous
savez).Chaque fois que je suis allé àJouy-le-Vicomte, j'ai bien vu un bout du
canal, puis quand j'avais tourné une rue j'en voyais un autre, mais alors je ne
voyais plus le précédent.J'avais beau les mettre ensemble par la pensée,
cela ne me faisait pas grand effet. Du clocher de Saint-Hilaire c'est autre
chose, c'est tout un réseau où la localité est prise. Seulement on ne distingue
pas d'eau, on dirait de grandes fentes qui coupent si bien la ville en quartiers,
qu'elle est comme une brioche dont les morceaux tiennent ensemble mais sont
déjà découpés. Il faudrait pour bien faire être à la fois dans le clocher de
Saint-Hilaire et à Jouy-le-Vicomte.» (p.176)
11. Conclusion
Clocher comme repère temporel et spatiale
Symbole d’une identité communautaire et
De la mémoire visuelle et temporelle de Combray,
(vu par Proust)
Notes de l'éditeur
Vaste étendue de pays qu'on découvre d'une hauteur : (Apercevoir le magnifique panorama des Alpes.)
Vue d'ensemble d'une question, d'une époque, d'une activité (Le panorama de la poésie française au XVIIIe s.)
Peinture développée circulairement sur le mur intérieur d'une rotonde et donnant l'illusion de la réalité par des effets de perspective et de trompe-l'œil ; la rotonde, le bâtiment lui-même. (Le spectateur a l'impression de découvrir un vaste horizon à partir d'une hauteur. Le premier panorama semble avoir été celui de Londres, installé dans la capitale anglaise, en 1796, par Robert Baker. On en fit beaucoup, en France et en Europe, au XIXe s. ; le Panorama Mesdag [1880] subsiste à La Haye.) (http://www.larousse.fr/)
Vision monoculaire de max. 190-210 degrés
Définition de l’horizon :
. Ligne imaginaire circulaire dont l'observateur est le centre et où le ciel et la terre (ou la mer) semblent se confondre.
· Partie de la terre, de la mer ou du ciel qui borne cette ligne : Apercevoir une voile à l'horizon.
· Étendue de terre et de ciel qu'un observateur peut apercevoir autour de lui.
· Lieu où l'on vit et qui borne l'existence : Il faut changer d'horizon.
· Domaine qui s'ouvre à l'esprit et à l'activité de quelqu'un : Élargir son horizon.
· Perspectives d'avenir dans un domaine : L'horizon politique s'éclaircit.
Sense figuratif du mot horizon comme d’ailleur aussi du mot panorama.
« C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. […] Même dans les courses qu’on avait à faire derrière l’église, là où on ne la voyait pas, tout semblait ordonné par rapport au clocher surgi ici ou là entre les maisons, peut-être encore plus émouvant encore quand il apparaissait ainsi sans l’église. » (Lignes 44 – 70)
J’ai choisi un texte qui se trouve à la page 105 pour souligner l’importance persistante du clocher dans le paysage et à mentionner également son importance dans les pays de culture chrétienne.
La tour de l’église n’est pas seulement un indicateur topographique, elle est également grâce à ses cloches qui sonnent de manière régulière, un repère temporel.
Plus encore, le clocher est aussi un symbole de l’identité partagée par une communauté d’habitants.
A noter: Son texte lui permet de garder intact, et même d’accroître, le plaisir que procure la réactivation de certains souvenirs par la mémoire.
LIRE lignes 0-14, lecteur volontaire.
Ici nous voyons très bien la description d’un horizon, ainsi que de l’effet zoom. On peut déjà observer ici que la description de l’apparition du clocher à travers la fenêtre du train nous mène à déboucher sur l’immense plateau pour arriver à se rapprocher et finalement entrevoir la tour de l’église, l’unique témoin, le vestige d’une présence humaine antérieure, présence que le temps et les conditions ont déplacée. On peut toujours situer l’emplacement de l’église désormais détruite, grâce à ce clocher dont l’extrémité parvient à dépasser la cime des arbres environnants.
La caméra comme l’extension de l’œil : la prise de vue panoramique peut devenir par un effet de zoom, une perspective macro où en détail.
LIRE (Lignes 44 – 70)
« C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. […] Même dans les courses qu’on avait à faire derrière l’église, là où on ne la voyait pas, tout semblait ordonné par rapport au clocher surgi ici ou là entre les maisons, peut-être encore plus émouvant encore quand il apparaissait ainsi sans l’église. »
Même si Proust est le plus souvent considéré le romancier du temps perdu, on retrouve dans la partie du livre de Combray à plusieurs endroits le thème de la spatialité mise en scène de façon incidente. Comme on peut le lire dans le passage où le narrateur, qui rend visite à sa tante et se retrouve avec le curé qui se lance dans un éloge exubérant de la vue panoramique sur le pays qu’on peut apercevoir depuis le clocher de son église. Et puis finalement son propos soulève des nombreuses interrogations de fond : « …… Seulement on ne distingue pas d'eau, on dirait de grandes fentes qui coupent si bien la ville en quartiers, qu'elle est comme une brioche dont les morceaux tiennent ensemble mais sont déjà découpés. Il faudrait pour bien faire être à la fois dans le clocher de Saint-Hilaire et à Jouy-le-Vicomte. »
La tour de l’église n’est pas seulement un indicateur topographique, elle est également grâce à ses cloches qui sonnent de manière régulière, un repère temporel. Plus encore, le clocher est aussi un symbole de l’identité partagée par une communauté d’habitants.
Atteindre l’horizon où son horizon comporte souvent un élément temporel. Le panorama ainsi que décrit par Proust décrypte aussi des connotations historiques et donc de mémoire dans le temps. Exclure le facteur temporel de la notion spatiale proustienne paraîtrait invraisemblable. L’église de Saint-Hilaire et son clocher figurent comme éléments essentiels, non seulement du paysage, mais aussi de la mémoire visuelle et temporelle.