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Le Temps P Date N CMJ 5e
01 03.05
LUNDI 3 MAI 2004 - No 1866 WWW.LETEMPS.CH CHF 2.50, FRANCE: € 2.20
J.A. 1211 Genève 2
KEYSTONE
KEYSTONE
Q U O T I D I E N S U I S S E É D I T É À G E N È V E
TOUR DE ROMANDIE
L’équipe Phonak
s’offre enfin une victoire
prestigieuse P. 30
POLÉMIQUE
Ruth Metzler, un livre
pour régler ses comptes
avec le PDC P. 13
Services/Décès...................................16
Cinéma..........................................................17
Courrier des lecteurs ..................18
Bourses........................................................26
Météo/Radio/TV.................................36
LanouvelleEuropeetnous● Fêtes populaires et
cérémonies officielles
ont marqué ce week-
end l’élargissement de
l’Union européenne à
dix nouveaux pays
● Ce moment
d’histoire est resté sans
influence sur le débat
européen en Suisse,
dominé par les
dernières négociations
des accords bilatéraux
● Dans la pratique,
pourtant, l’influence
de l’UE sur la Suisse ne
cesse de grandir: une
grande partie des lois
suisses est inspirée par
les directives
européennes
● Le débat: Peter
Bodenmann et Beat
Kappeler confrontent
leurs points de vue,
pour et contre
l’adhésion de la Suisse
à l’Europe
● Six personnalités de
l’ancienne et de la
nouvelle Union
européenne écrivent à
la Suisse: «Tôt ou tard,
vous nous rejoindrez»
Pages 2, 3, 4, 5, 6 et 7
9 771423 396001
1 0 0 1 9
EPA
ISRAËL
Sur fond de violences, le
Likoud rejette le plan de
retrait d’Ariel Sharon P. 10
Livres:lePrix
quifaitvendre
■ Isabelle Rüf ■
Hier soir, quand le Salon du
livre de Genève a fermé ses
portes, Michel Layaz a dû pous-
ser un double soupir, de fatigue
et de contentement. Lauréat du
Prix des auditeurs de la Radio
suisse romande, il s’est vu trans-
former en un personnage public
dont la vie quotidienne vaut
d’être racontée,
photographiée.
En cinq jours, il
a déjeuné avec
des journalistes;
assuré sa pro-
motion sur le stand de France
Loisirs qui propose son livre à
ses abonnés suisses; signé des di-
zaines d’exemplaires des Larmes
de ma mère et beaucoup du ro-
man suivant, La Joyeuse Com-
plainte de l’idiot; répondu aux
questions de ses électeurs sur le
podium de la RSR au cours
d’une émission spéciale au Salon
du livre samedi et reçu toutes
sortes d’invitations. «C’est éton-
nant de rencontrer concrète-
ment ceux à qui va le livre», dit le
lauréat.
Pourtant ce récit, paru en
2003 chez Zoé, n’était pas passé
inaperçu. Il avait déjà reçu l’an
dernierlePrixDentan,lepluslit-
téraire, décerné par des profes-
sionnels de la lecture. Mais, dans
la jungle exubérante des prix lit-
téraires romands, le Prix des au-
diteurs est le seul qui octroie une
telle visibilité. «Et qui fasse
vendre», confirme Marlyse Pie-
tri,sonéditrice.C’estqu’ilestdé-
cerné par un jury populaire, re-
présentant l’ensemble de la
population et qu’il inspire donc
confianceaupublic.
Suite en page 34
Quelestl’impactd’une
distinctionlittérairesur
lesventes?AuSalondulivre,
voyagedanslehuisclos
desPrixquifleurissent
enSuisseromande
LE TEMPS SA 3, place de Cornavin, CP 2570, 1211 Genève 2, e-mail: info@letemps.ch • RÉDACTIONS: Genève: Tél. 022/799 58 58, Fax 022/799 58 59 Lausanne: Tél. 021/310 19 50, Fax 021/310 19 59 Neuchâtel: Tél. 032/724 98 16, Fax 032/724 98 24 Sion: Tél. 027/322 68 35, Fax 027/322 68 36
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✶✶✶
AquandlaSuisse?RéponseàBruxelles
A
quand la Suisse? Devant le
continentquis’estréconcilié
ceweek-end,alorsquel’Ode
àlajoiedeBeethovenrépandaitson
frisson de Prague à Dublin, com-
ment poser autrement la question
de l’îlot helvétique, rendu plus mi-
nusculeencoredansl’océanélargi?
Ons’étonneicioulàquel’élargis-
sementdel’Unioneuropéennen’ait
pas provoqué chez nous le réveil du
débat. On s’étonne à tort. L’idéal et
le lyrisme ont déserté depuis long-
temps la discussion européenne.
Chez les nouveaux membres eux-
mêmes, il a d’abord été question de
croissance et d’emplois au moment
d’envisager l’adhésion. Bruxelles a
cessédefairerêver,etseulsleshisto-
riens ou les responsables politiques
mesurentlecauchemardanslequel
le continent aurait pu plonger si
l’Union n’avait pas été là, comme
force pacificatrice et comme pers-
pective d’avenir, au moment où le
blocsoviétiques’estécroulé.
En réalité, deux facteurs décide-
rontdusorteuropéendelaSuisse:le
rapport de force et les évolutions
économiques. L’élargissement, de
toute évidence, va affaiblir notre
voixparticulière.Faceàunemachi-
neeuropéennepluslourde,oùlesin-
térêts nationaux pèseront davanta-
ge, le partenariat à la carte négocié
de manière bilatérale deviendra
plusdifficile,sinonimpossible.
En revanche, la compétitivité de
l’Union devrait se renforcer, à ter-
me, avec l’arrivée de pays certes
pluspauvres,maisaussidéterminés
à faire jouer leurs avantages: la
concurrencefiscaleetsalariale.
Que la volonté politique des
Vingt-Cinq s’infléchisse, que les
courbes de prospérité se rejoignent,
et le choix n’en sera plus un. On a
déjà vu l’inquiétude répandue dans
le pays par les bouchons provoqués
parlezèledesdouaniersallemands.
Ouparlamenaced’unetaxeàlaré-
exportation.Ouparlespressionsal-
lemandessurl’aéroportdeZurich.
La Suisse n’est pas plus forte
qu’une autre, elle ne sacrifiera pas
longtemps ses intérêts à l’image
qu’elle a de sa souveraineté. Le jour
n’estpasvenu.Lejourviendrapeut-
être. Mais c’est à Bruxelles qu’il en
seradécidé,plutôtqu’aufonddenos
cœurs. ■
ÉDITORIAL
Par Jean-Jacques Roth
Prisonniersirakiens:
lesphotosdelahonte
AprèslesEtats-Unis,laGran-
de-Bretagne. Le Daily Mir-
ror a publié ce week-end des
photos montrant
des soldats britan-
niques se livrant à
des traitements dé-
gradants sur des dé-
tenus irakiens. Bien
que l’authenticité de
ces clichés soit
contestée, la publi-
cation de ces images
a déclenché une vague de répro-
bation en Grande-Bretagne et
provoqué l’ouverture d’une en-
quête. Tony Blair s’est déclaré
«consterné et dégoûté». Cette af-
fairesuitlarévélation,auxEtats-
Unis, des tortures et mauvais
traitements infligés aux prison-
niers du contingent américain à
Abou Ghraib, l’une de
prisons les plus sinis-
trementcélèbresduré-
gime de Saddam Hus-
sein.
La divulgation de
ces éléments embar-
rasse l’administration
américaine, qui affir-
me que ces comporte-
ments sont isolés. Mais l’hebdo-
madaire The New Yorker, dans
son édition d’aujourd’hui, pu-
blie les détails d’un rapport ac-
cablantsurlesagissementsamé-
ricains. Page 9
■ Dans le sillage de Google,
l’envol boursier des
sociétés high-tech P. 19
■ Quelles perspectives
pour les actions
américaines? P. 21
■ Chômage et impôts P. 21
■ Fonds de placement: une
cuvée encourageante P. 23
■ Repères: Les trois «T»
de la croissance P. 24
■ Trois questions sur
la reprise des obligations
à haut rendement P. 25
■ Notation de la dette: les
triple A se font rares P. 27
LUNDI FINANCE
DansleParcduCinquantenairedeBruxelles,uneatmosphèredekermesseprintanière.Dans la capitale belge,
des milliers de personnes ont envahi samedi le quartier européen pour y célébrer l’élargissement. BRUXELLES, 1er MAI 2004
Le Temps P Date N CMJ 5e
02 03.05
Faceàl’Unioneuropéenneélargie,D.S. Miéville
L’
élargissement de
l’Union européenne
ne devrait pas laisser
la Suisse indifféren-
te. Qu’elle demeure
volontairement ou non une île, son
insularité ne peut que s’accentuer à
mesure que s’agrandit l’océan eu-
ropéenquil’entoure.Economique-
ment, politiquement, culturelle-
ment, les rapports de force entre la
Suisse et l’UE élargie devraient être
modifiés par l’augmentation de la
masse de l’un des deux partenaires.
Si ces rapports étaient régis par les
loisdelagravitationgéopolitique,la
force d’attraction de l’UE sur la
Suisse devrait augmenter, à moins
au contraire que l’effet répulsif
qu’elle exerce sur certains milieux
ne soit démultiplié. Au moins ces
perspectives pourraient-elles don-
ner lieu à discussions et à contro-
verses.Iln’enestrien.
Il existe bien un discours suisse
standard, succinct et passe-partout
sur l’élargissement de l’UE. Il se
borne presque exclusivement à
évoquer les avantages de l’exten-
sion de la libre circulation des per-
sonnes.L’argumentmajeurestque
l’économie a tout à y gagner et que
l’ouverture du grand marché euro-
péen constituera un facteur de
croissance. On insiste un peu
moins sur l’ouverture d’un nou-
veau réservoir de main-d’œuvre
qualifiée, perspective qui donne
lieu à des discussions très serrées
entre patronat et syndicats sur des
mesures d’accompagnement. La
seuledimensionpolitiquedecedis-
cours réside dans le constat que ce
qui est déjà difficile avec une Eu-
rope à quinze le sera d’autant plus
avec une Europe à vingt-cinq, ce
qui rendra singulièrement étroite à
l’avenirlavoiebilatérale.Pointn’est
besoin d’être un grand visionnaire
pour parvenir à cette conclusion.
Laréflexionetlaprospectives’arrê-
tentpourtantlà.Iln’yaguèred’évé-
nements ayant des conséquences
directespourlaSuissedontonaura
aussi peu parlé, en Suisse, que de
l’élargissementdel’UE.
Lenombrilismeenvertuduquel
nous ne considérons et commen-
tons l’intégration européenne qu’à
traverslalunettedenospropresin-
térêts à court terme y est pour
quelque chose. L’élargissement
concerne une entité, l’Union euro-
péenne, dont nous ne faisons pas
partie, donc ce n’est pas notre af-
faire. Il y a toutefois d’autres rai-
sonsàcedésintérêt.
Même les deux aspects de
l’élargissement qui concernent
concrètement la Suisse, l’exten-
sion de la libre circulation des per-
sonnes aux dix nouveaux Etats
membres et la participation à l’ef-
fort de cohésion n’ont été que très
peu ou pas du tout médiatisés.
Dans le premier cas, la négocia-
tion, peu spectaculaire parce que
portant sur les modalités, quotas
et délais, de l’entrée en vigueur
des accords avec les dix nouveaux
membres de l’UE, est restée dans
l’ombre des bilatérales bis. Ce dé-
faut de médiatisation a du reste
empêché les milieux nationalistes
comme l’ASIN, opposés sur le
fond à la conclusion de tout nou-
vel accord avec l’UE jusqu’à la fin
de la décennie, d’embrayer effica-
cement sur une vaste polémique.
Dans le second cas, la question,
officiellement posée en juillet der-
nier par la Commission euro-
péenne, a été occultée avec beau-
coup de détermination par le
Conseil fédéral, pour ne pas bra-
quer ces mêmes milieux. Il a fallu
que les demandes de Bruxelles se
fassent vraiment pressantes, à un
moment crucial pour l’avenir des
bilatérales, pour que le Conseil fé-
déralaccepte,ilyadixjours,d’en-
trer explicitement en matière sur
leprincipe.
Cette question de la participa-
tion à l’effort de cohésion a fait en
quelquesortel’objetd’unecensure
dans la censure. Si la réflexion sur
l’élargissement ne s’est pratique-
ment pas développée, c’est en pre-
mier lieu parce que le débat
européen reste suspendu, pour
l’instant, à l’aboutissement, ou à
l’échec, des négociations bilaté-
rales. Le monde politique a tiré les
leçons de l’échec de l’EEE comme
de celui de l’Initiative des jeunes.
En 1992, le Conseil fédéral avait
anticipé l’étape suivante, en dépo-
santsademanded’adhésionàl’UE
dans le courant de la campagne,
avec les conséquences que l’on
sait.En2001,ladébâcledel’Initia-
tive des jeunes avait sonné le glas
d’une approche volontariste de
l’adhésion à l’UE. Il en résulte au-
jourd’huiuneformed’interdit,po-
litique, intellectuel et médiatique
sur ce qui se passera, quelle qu’en
soit l’issue, après les négociations
bilatérales. D’abord achever les bi-
latérales et ne préjuger en rien de la
suite, ce mot d’ordre a été tacite-
ment adopté dans tous les milieux,
même les proeuropéens les plus
passionnés. Curieusement, il est
même respecté, a contrario, par les
opposants les plus farouches à la
politique d’intégration du Conseil
fédéral. L’ASIN, par exemple, a
focalisé toute son attention sur son
oppositionàSchengen.
Le frémissement enregistré au
mois de mars dans l’opinion a
Alors que l’Union
européenne compte
désormais vingt-cinq
Etats membres,
dont huit pays
de l’ancien bloc
communiste,
la Suisse continue
imperturbablement
à suivre sa voie
solitaire et
à camper
sur ses positions.
Echaudés
par leurs échecs
successifs,
les partisans
de l’adhésion
jouent eux-mêmes
profil bas,
de peur de susciter
des réactions de rejet
défavorables
à leur cause.
Rien ne devrait
ainsi bouger avant
l’aboutissement
des négociations
bilatérales.
Après, différents
scénarios sont
possibles
✶✶✶
La débâcle de l’Initiative
des jeunes a sonné
le glas d’une approche
volontariste
Bruxelles?
Une«usine
àpapiers»
«Toute perspective
d’adhésion de la
Suisse à l’Union eu-
ropéenne apparaît à
ce stade hors de
propos. En demeu-
rant indépendante,
la Suisse préserve
davantage de marge
de manœuvre pour
négocier avec des tiers», a rappelé lundi
dernier encore Ueli Forster. Président
d’economiesuisse depuis novembre 2001,
Ueli Forster est le premier «patron des pa-
trons» issu de la branche du textile. L’orga-
nisation faîtière a trouvé en lui un parfait
défenseur de la ligne pragmatique. En
2001, inquiet des critiques contre la «pen-
sée unique imposée par l’économie à la po-
litique», il avait plaidé pour «freiner le ryth-
me de la dérégulation». Aujourd’hui, il
demande un programme de réformes basé
sur «une politique de déréglementation et
de débureaucratisation propre à libérer les
entreprises du carcan administratif». Or,
précisément, l’Europe illustre, aux yeux
d’economiesuisse, «l’usine à papiers» dont
elleneveutpas.
Aujourd’hui,aprèsavoirfaitretirerlesec-
teurdesservicesdesnégociationsbilatérales
parce qu’elle voulait préserver certaines ex-
ceptions helvétiques, economiesuisse se
range comme un seul homme derrière le
Conseil fédéral: il faut en priorité conclure
les négociations bilatérales. Pas question
non plus, comme s’y sont risqués les ban-
quiers,derompreavecleparallélisme,c’est-
à-dire la signature en même temps de tous
les accords négociés avec Bruxelles, y com-
pris Schengen et Dublin. Mais gare à ceux
quiveulentvoirplusloin.
«Il importe qu’il y ait une unité de doctri-
ne entre le Conseil fédéral et les principales
forces de notre pays, déclarait la semaine
dernière Ueli Forster. Il est donc incompré-
hensible, pour ne pas dire irresponsable, de
lapartdescantonsqu’ilssemêlentàcestade
délicatdeformulerleurspropresconsidéra-
tionssurlapolitiqueeuropéenne.» Y.P.
UELI FORSTER, ECONOMIESUISSE
POUR L’ADHÉSION, MILITANT
Tropoptimiste,leConseilfédéralavaitdéposéunedemande
d’adhésionàl’UEavantlavotationsurl’EEE. ARCHIVES
L’éprouvantesolitudedesdiplomatessuissesdans
PourleseulLanddeBavière,40diplo-
mates. Pour la Suisse, une quinzaine. A
Bruxelles, la comparaison est écrasante
entre les représentations nationales ou
régionales des pays membres de l’UE et
celle de la Suisse. Or, c’est à Bruxelles
que désormais prend naissance une bon-
ne partie du droit helvétique. Sinon tota-
lement à notre insu, du moins sans que
nousayonsnotremotàdire.
Car face aux 10000 lobbyistes de ré-
gions européennes, d’entreprises ou de
branches industrielles qui flairent, obser-
vent et cherchent à influencer en leur fa-
veur les futures directives européennes,
la Suisse est quasi absente. A peine une
petite trentaine d’observateurs de l’in-
dustrie, de la pharmacie ou de la re-
cherche, et de quelques multinationales.
Des lobbyistes professionnels, comme
l’avocat bruxellois Jean Russotto, qui dé-
fend les intérêts des banques suisses no-
tamment, ou des antennes institution-
nelles, comme l’ancien journaliste
Roland Krimm, qui du cœur de la mis-
sion suisse sert d’alerte avancée à la
Conférence des gouvernements canto-
naux. De toute manière, les «Suisses de
Bruxelles» ne pourraient intervenir
qu’indirectement, par le biais de pays
amis.
IlyaaussidesSuissesplussollicités,ce
sont ceux de Swiss Core, le Bureau de
liaisonpourlarechercheetlascience,qui
emploie trois personnes. Martina Weiss,
qui le dirige depuis deux ans, reconnaît
que la Commission est très contente de
les avoir comme point de contact: «Ils
nous ont souvent posé des questions sur
la manière de faire en Suisse. Comme les
Suisses sont très bons dans les domaines
de la recherche, il n’y a pas de problèmes
dansnoscontactsaveclesEuropéens.»
Ce n’est pas le cas pour tout le monde.
A Bruxelles récemment pour les notaires
suisses, le Valaisan Jean-Michel Cina ex-
pliquait qu’il lui fallait ruser, interroger
ses confrères allemands pour connaître
les intentions de la Chambre européenne
des notaires, puis tenter de faire passer
sessuggestionsparlemêmebiais.Carles
tabellions le savent bien, s’ils veulent
suivre leurs clients dans leurs activités in-
ternationales, il leur faudra avaler aussi
lesnormeseuropéennes.
Si, comme le regrette le secrétaire
d’Etat Franz von Däniken, «la Suisse
pèse de moins en moins politiquement à
Bruxelles», on peut se demander si, de
son côté, elle investit suffisamment.
Certes, diplomates et experts suisses vi-
vent à Bruxelles à un rythme que l’on
soupçonne à peine à Berne ou à Zurich.
«Ilfautêtrepartoutàlafois,ditl’un,repé-
rer les colloques, les papiers de travail, les
projets qui pourraient avoir des consé-
quencespourlescantons…»
Bien sûr, les Suisses de Bruxelles ne
disposent pas des mêmes facilités que les
autres lobbyistes. Ainsi, pour suivre
comme les journalistes les travaux du
Conseil des ministres ou du Conseil
(chefs de gouvernement), les diplomates
suisses ne disposent que d’une seule ac-
créditation, qu’ils se repassent soigneu-
sement.Maischacunsedébrouilleplutôt
bien. «Ça dépend beaucoup de notre tra-
vail, dit un diplomate suisse. Il faut repé-
rerlesexpertsdemêmerangquesoidans
les différentes missions européennes et
puis établir le contact. Mais ce n’est pas
particulièrementdifficile.»
LaConfédérationestsous-
représentéedanslacapitale
del’Unioneuropéenne,qui
nes’intéresseguèreàsonsort.
YvesChristenjoueprofilbas
Quand le conseiller natio-
nal Yves Christen accepte à la
fin de l’année dernière de re-
prendre la présidence du
Nomes, le nouveau mouve-
ment européen suisse, suite à
la non-réélection du Bernois
Marc Suter, sa démarche re-
lève de l’œuvre de charité.
C’est avant tout par amitié
pour son ex-collègue que le radical vau-
doisdécidedereprendreleflambeau.
Alafinde2003,leNomes,quines’est
jamais relevé de l’échec de l’initiative
«Oui à l’Europe», est au fond du trou, le
militantisme européen en panne et l’op-
timisme en berne. En fin de carrière,
l’ancien président du Conseil national
peut se permettre de se consacrer à une
cause où il n’y a aucun laurier à glaner.
Une septantaine de candidats ont bien
accepté de porter une étiquette proeuro-
péenne, mais la soirée préélectorale or-
ganisée par le Nomes est aussi lugubre
que déserte. Au début de 2004, les
choses ne vont pas beaucoup mieux. Le
programme de législature a enterré la
question de l’adhésion jus-
qu’aux prochaines élections
fédérales,avantqu’onn’enre-
gistre dans l’opinion publique
unsursautencoreambigu.
Yves Christen est l’un des
rares parlementaires à entre-
tenir la flamme européenne
en première ligne. Le moral
est remonté depuis le début
de l’année, mais les proeuropéens sont
devenus prudents. Le Nomes compte
plutôt sur des personnalités de la société
civile pour soutenir un manifeste de-
mandant l’ouverture rapide de négocia-
tionsavecl’UE.YvesChristenlui-même
considère le renforcement du Nomes
comme une alternative à la passivité des
partis. Ce manifeste permet également à
de nombreuses personnalités politiques
de manifester leur engagement euro-
péen dans un cadre extrainstitutionnel,
donc de façon moins provocatrice. On
trouve surtout des Romands sur la liste
dessignataires,avanttoutdessocialistes,
plusquelquesradicauxetlibéraux.
D. S. M.
KEYSTONE
POUR L’ADHÉSION, RÉALISTE
PascalCouchepinmisesurladurée
Les frontières sont sans
aucun doute poreuses entre
le camp des militants et
celui des réalistes. Le se-
cond regroupe à peu près
tous les parlementaires ro-
mands, à l’exception des
démocrates du centre, qui
n’appartiennent pas au pre-
mier, plus les socialistes, les
Verts et une frange de bourgeois alé-
maniques.
Ils sont en règle générale convain-
cus que la Suisse finira par adhérer à
l’Union européenne, à la fois par une
sorte de fatalité géopolitique et parce
qu’elle ne pourra pas faire autrement,
mais estiment que le militantisme actif
ne fait pas nécessairement avancer les
choses.
Ils sont nombreux dans cette caté-
gorie à avoir voté contre l’initiative
«Oui à l’Europe». Comme Pascal
Couchepin, par exemple, qui dit de-
puis des années que la Suisse entrera
dans l’Europe lorsqu’une majorité
sera convaincue qu’elle ne peut plus
faire autrement. En atten-
dant que ce jour advienne, il
s’agit de peser soigneuse-
ment ses engagements, au-
tant pour ne pas gaspiller
inutilement ses forces que
pour éviter de donner des
armes à l’adversaire. Ce
courant est donc, par natu-
re, peu expansif, et nul ne
s’en réclame bruyamment. C’est plus
au travers d’échanges d’idées que de
proclamations de foi qu’on identifie
ses partisans.
On peut compter parmi eux les
membres des gouvernements canto-
naux qui sont sortis de l’ombre à fin
mars de façon remarquée. Leurs pro-
positions ont été largement surven-
dues dans un sens favorable à l’adhé-
sion à l’UE. Elles traduisent
néanmoins l’évolution symptoma-
tique de larges milieux, qui admettent
que la voie bilatérale ne sera plus pra-
ticable et qu’il faudra bien en tirer, à
plus ou moins long terme, les consé-
quences. D. S. M.
KEYSTONE
KEYSTONE
DR
Le Temps P Date N CMJ 5e
03 03.05
queldestinpourl’îlotsuisse?
✶✶✶
La Suisse et la nouvelle EuropeLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •3
LamissionsuisseauprèsdelaCommissioneuropéenneàBruxelles.Si les bilatérales devaient échouer, les rapports entre la Confédération et l’Union
devraient être reconsidérés en profondeur. ARCHIVES
ledédalejuridiquecommunautaire
Ainsi Roland Krimm a-t-il mis la main
sur un projet de directives pour la libérali-
sation des services en Europe qui, sous la
pression britannique, prévoit la fin du
monopole des Etats sur les loteries. On
imagine l’embarras des cantons suisses,
accrochés aux gains de Swiss Lotto, lors-
qu’il faudra bien un jour ouvrir des négo-
ciationssurlevolet«services».
Car Bruxelles n’est pas pour la Suisse
une capitale comme les autres. C’est ici
que naissent les normes alimentaires, les
codifications techniques des machines à
laver, les exigences professionnelles im-
posées aux voyagistes ou les règles de
concurrence qui, demain, seront reprises
presque sans sourciller par le Conseil
fédéral et les Chambres. Plus de la moitié
des lois suisses qui relèvent du secteur
économique trouvent leur source dans
les directives européennes, constatait,
dansCash,ThéoZijdenbos,représentant
d’economiesuisse à Bruxelles. En réalité,
il n’y a pas une loi ou une ordonnance qui
ne sorte du Palais fédéral sans avoir passé
son examen d’eurocompatibilité. Depuis
une quinzaine d’années, tous les mes-
sagesduConseilfédéralsurdesprojetsde
loi comportent obligatoirement un cha-
pitreàcesujet.
La Suisse se voit aussi contrainte de re-
prendre les modifications du droit euro-
péenquidécoulentdesaccordsbilatéraux
déjà signés avec l’UE, comme pour la
librecirculationdespersonnes.Lareprise
n’est certes pas automatique, puisqu’un
comité mixte helvético-européen passe
régulièrement les modifications sous la
loupe.«Maisilyadefortespressionspour
que la Suisse se glisse dans le moule de
l’Europe, dit un expert suisse. L’UE veut
un espace de libre circulation le plus ho-
mogène possible et a horreur des cas par-
ticuliers.» Ainsi médecins, hôpitaux et
cantons devront-ils assez rapidement se
donner les moyens d’intégrer la carte eu-
ropéenne d’assurance maladie qui sera
généralisée en Europe l’an prochain. Une
véritable «libre circulation des patients»
qui tranche avec les clauses cantonales
restreignantleshospitalisations.
Franz Däniken annonçait, jeudi soir au
Salon du livre, que désormais l’ère des
grandes négociations bilatérales s’ache-
vait avec l’aboutissement du second
round des bilatérales. Il ne devrait plus y
avoirquedesajustementsaufildel’évolu-
tiondudroiteuropéen,selonlui.Resteun
grand secteur où les pressions ne de-
vraientpasmanquer:lesservices,soit60%
desactivitéséconomiquesdelaSuisse.
A lire entre les lignes les raisons pour
lesquelles le Conseil fédéral a renoncé à
poursuivre les négociations, on voit bien
que l’économie suisse, malgré ses incan-
tations pour une révolution libérale, n’est
pas prête à faire le pas que lui demande
l’Europe. «La Suisse souhaite se limiter à
un accord de libéralisation limitée à des
prestations de services autorisant dans
certains cas des exceptions à l’acquis
communautaire»,écrivaitBerne.Enclair,
certains secteurs économiques auraient
dû pouvoir maintenir les cartels de fait ou
des monopoles bénis par l’Etat. Alors que
Bruxellesdemandaitnonseulementlare-
prise de l’acquis communautaire, mais
aussi la protection des consommateurs,
des comités d’entreprise, le droit de
concurrenceetlaprotectiondesdonnées.
Les entreprises suisses de services ne
pourront pas rester longtemps défavori-
sées sur le marché européen, prédit un
spécialiste. Quand elles voudront renégo-
cier ce secteur, cela risque d’être encore
plusdouloureux. Yves Petignat
Collaboration: Eléonore Sulser,
Bruxelles
CONTRE L’ADHÉSION, PRAGMATIQUE
RolfSchweigerprônelasouplesse
Il faut un porte-parole et
un discours pour structurer
un courant politique. Le
conseiller aux Etats zougois
Rolf Schweiger a sans doute
toujours eu la même attitude
envers l’Europe, mais c’est
depuis qu’il a accédé à la
présidence du Parti radical
suisse qu’il donne l’impres-
sion de pouvoir fédérer un tel courant.
Commechezlesnationalistes,l’oppo-
sition du successeur de Christiane Lan-
genberger à la tête du PRD tient de la
profession de foi, mais pour des raisons
différentes. L’avocat zougois, actif dans
les milieux de la finance, voit l’avenir de
la Suisse sur les marchés américains et
asiatiques, pour autant qu’elle sache
procéder à des réformes internes, beau-
coup plus que dans l’UE. Rester en de-
hors de l’UE constitue pour lui un idéal.
Plus flexible si elle renonce à adhérer, la
Suisse sera à son avis avantagée par rap-
port aux Européens sur les marchés
d’outre-mer.
C’est aussi l’idéal d’economiesuisse,
qui disposait déjà d’impor-
tants relais dans les milieux
politiques, à commencer par
leministredesFinances,lera-
dical Hans-Rudolf Merz.
L’élection de Rolf Schweiger
à la présidence des radicaux
lui offre bien mieux qu’un re-
lais,unporte-paroleenmesu-
re de formuler et de propager
ses thèses avec un écho beaucoup plus
sonoreauniveaupolitique.RolfSchwei-
ger, dès le jour de son élection, a entre-
prisdedessinerlescontoursd’unedroite
bourgeoise moderne, opposée à l’adhé-
sionàl’UEplutôtquefoncièrementanti-
européenne, puisqu’elle est en partie fa-
vorable à l’entrée de la Suisse dans
Schengen.
Une large partie des radicaux aléma-
niques se retrouve sur ces positions, dé-
fendues également par l’éditorialiste
Beat Kappeler. Les démocrates-chré-
tiens alémaniques peuvent s’identifier à
ce courant, de même que la frange de
l’UDC pour laquelle le rejet de l’Europe
n’estpas«tripal». D. S. M.
KEYSTONE
CONTRE L’ADHÉSION, NATIONALISTE
HansFehrtiresurtoutcequibouge
Il y a, au sein de l’UDC
comme dans certains grou-
puscules d’extrême droite,
des adversaires de l’Europe
tout aussi, voire plus encore,
résolus que Hans Fehr. Le di-
recteur de l’ASIN (Action
pour une Suisse indépendan-
te et neutre) est néanmoins le
porte-drapeau emblématique
de l’opposition qui, à chaque occasion,
affiche un message d’erreur dès qu’il est
question de collaborer, de près ou de
loin,avecl’UE.
Ladroitebourgeoiseanti-européenne
refuse l’adhésion parce qu’elle estime
que la Suisse a de meilleures cartes à
jouer, dans la configuration actuelle, en
dehors plutôt qu’en dedans de l’UE. La
droite nationaliste ne se préoccupe au
fond pas tellement des avantages ou des
inconvénients de l’une ou l’autre option.
Pourelle,c’estlaparticipationdelaSuis-
se à toute organisation supranationale –
elle tenait le même langage à propos de
l’ONU - qui est intrinsèquement vi-
cieuse et dommageable. C’est la dé-
marche, avant le résultat, qui
compte. Envisager un rap-
prochement avec l’UE, c’est
démontrer que l’on est «fati-
guédelapatrie».
La droite nationaliste est
tout à fait prévisible. Elle tire
sans discrimination sur tout
ce qui bouge en direction de
Bruxelles. Pour l’instant, elle
menace de s’en prendre à l’extension de
la libre circulation des personnes et au
«contrat colonial de Schengen», qu’elle
condamne à un double titre. Ces rap-
prochements sont dangereux en tant
que tels, mais encore plus dans la mesu-
re où ils fraient la voie à l’adhésion à
l’UE. La droite nationaliste s’incarne,
au parlement, dans la très grande majo-
rité du groupe UDC et a jusqu’ici ins-
trumentalisé l’ASIN, organisation fon-
dée par Christoph Blocher, pour
attaquer la politique européenne du
Conseilfédéral.Leproblèmedel’ASIN
est qu’elle est aujourd’hui orpheline de
son président charismatique, élu au
Conseilfédéral. D. S. M.
KEYSTONE
Resterdehors,
aunomdu«secret
professionnel»
«La question de l’in-
tégrationàl’UEnese
posepaspourlemo-
ment et cette ques-
tion serait plutôt du
domaine de la poli-
tiquequedeceluides
banques», telle est la
réponse officielle de
l’Association suisse des banquiers (ASB)
lorsqu’onl’interrogesurl’avenirdesrelations
de la Suisse. L’ASB limiterait donc ses pers-
pectives à quelques mois. Pourtant, les prin-
cipaux dirigeants de l’association, à l’image
de leur président, Pierre Mirabaud, ne ca-
chent pas leur rejet de toute idée d’adhésion.
Les banquiers privés avaient même réussi à
pousserleslibérauxjusqu’àrenierleurcredo
européen. En jeu, le secret bancaire, ou plu-
tôt«lesecretprofessionneldubanquier»,que
l’UE s’ingénierait à brocarder, selon le rap-
port annuel du président de l’ASB. C’est
pourquoi les banquiers avaient salué les ef-
forts de Kaspar Villiger pour conclure à sa
plus grande satisfaction les négociations sur
lafiscalitédel’épargne.
Associé senior de la banque Mirabaud &
Cie à Genève, président de l’ASB depuis
2003, Pierre Mirabaud, 55 ans, avoue avoir
unpenchantpourlesidéesdel’UDC.Ilsiège
d’ailleurs au conseil d’administration de la
Weltwoche,unhebdomadairequis’estvigou-
reusement engagé pour faire élire Christoph
BlocherauConseilfédéral.
«Personnellement, j’ai toujours défendu
l’idée que la Suisse pouvait très bien vivre
sans entrer dans l’Union européenne. Au-
jourd’hui, cette idée est partagée aussi bien
par une majorité des Romands que des Alé-
maniques», répondait Pierre Mirabaud au
lendemain de la victoire de l’UDC aux élec-
tions fédérales. Au sujet des bilatérales, le
président de l’ASB fut l’un des premiers à
proposerderenoncerauxaccordsdeSchen-
gen/Dublinetàsigner«lesaccordsdéjànégo-
ciésendehorsd’unenégociationglobale».Ce
qui a poussé les critiques à se demander si
«l’ASB ne prenait pas le reste de l’économie
enotage». Y. P.
PIERRE MIRABAUD, ASSOCIATION
SUISSE DES BANQUIERS
KEYSTONE
MICHELVANDENEECKJOUDT/VU
peut-être été prématurément capi-
talisé par le mouvement européen.
Les contrôles renforcés à la fron-
tière allemande et les embarras qui
en ont résulté pour les populations
locales,coïncidantaveclatentative
de l’UE d’imposer les réexporta-
tions suisses, ont attiré l’attention
du public, mieux que tous les dis-
cours, sur les inconvénients qu’il y
a à ne pas être membre de l’UE. A
posteriori, il apparaît que cette pri-
se de conscience aura produit un
élanpropreàrendreSchengenpo-
litiquement acceptable, mais sans
effet réel, à ce stade, sur la problé-
matiquedel’adhésion.
Silesnégociationsbilatéralesbis
sont un succès, il faut être
conscientqu’onneparlerapasplus
après qu’avant l’élargissement.
L’interdit posé par l’expérience de
l’EEE sur l’évocation de l’étape
suivante demeurera tant que les
accordsbilatérauxbisn’aurontpas
été ratifiés par le parlement et ac-
ceptés par le peuple. Si par contre
les négociations devaient échouer,
les rapports entre la Suisse et l’Eu-
rope devraient évidemment être
reconsidérés. Loin de pousser à
l’adhésion,l’échecdelavoiebilaté-
rale devrait au contraire débou-
cher, au moins dans un premier
temps, sur la recherche de solu-
tions alternatives, dans le genre
union douanière ou accord d’asso-
ciation. Qu’il faille envisager ces
solutions avec une Europe à vingt-
cinq plutôt qu’avec une Europe à
quinze, avec une Europe fédérale
plutôt qu’avec une Europe centra-
lisée ne change pas grand-chose à
l’affaire. Dans l’intensité du rejet et
de la méfiance que suscite en Suis-
se la construction européenne, ni
son étendue ni son architecture ne
jouentungrandrôle. ■
Le Temps P Date N CMJ 5e
04 03.05
4 •LE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004
✶✶✶
Al’heuredel’élargissement,l’ancienprésidentduPartisocialistePeterBodenmannlanceunplaidoyerpourl’adhésionetréclameunprojet
offrantdesréponsesclairesauxquestionsconcrètes,souslaformed’unprogrammede«NewDeal»entrelaConfédérationetl’Europe
«LaSuisseestimpotenteparsafaute»
Peter Bodenmann
L
ongtemps, on n’a plus parlé
d’Union européenne. La question
de l’Europe a été soigneusement
évitée lors des dernières votations. Même
les jeunes et la gauche sont devenus muets.
Pourtant des tabous sont parfois brisés.
Pour le patron de Migros, Anton Scherrer,
la Suisse est menacée d’appauvrissement si
nousn’entronspasbientôtdansl’UE.Pour
l’ancien secrétaire d’Etat Franz Blankart,
les citoyens qui ont voté contre l’Espace
économique européen ne sont pas en droit
deseplaindredubruitdesavionsdanslaré-
gion zurichoise. Et pour le banquier Hans
J.Bär,lesecretbancairen’apasdejustifica-
tion éthique et n’a plus pour effet que de
rendrenotreéconomieobèseetimpuissan-
te.Parcequecesvoixsontinattendues,per-
sonne n’y prête attention. L’Europe ne
s’impose dans l’actualité que lorsque sur-
gissent des problèmes concrets: l’aéroport
de Zurich, les embouteillages à la frontière,
la taxation des biens réexportés. Et tous
pressententquecen’estlàqu’undébut.
Nous sommes constamment importu-
nés et irrités par de nouvelles surprises que
personnen’avaitprévues.LaSuissesetient
en permanence sur la défensive. Ni nos
courbettes empressées ni nos voyages à
Berlin ne font avancer les problèmes. Le
processus d’intégration européenne s’ac-
célèreetrendlasituationtoujoursplusobs-
curepourlesHelvètes.
En 1992, les Suisses ont voté sur l’EEE.
Juridiquement, la majorité des cantons
n’était pas requise; la majorité du peuple
n’apasétéatteinteparcequelesVertsetdes
militantsduPartisocialisteontdéposédans
l’urne un non constructif. On attend tou-
jourslespropositionsconstructivesdesop-
posants à l’Europe. L’économie suisse
stagnedepuis1992–est-ceunhasard?Au-
cun autre pays de l’OCDE n’affiche un
taux de croissance aussi bas. Les anciens
pays membres de l’Association européen-
ne de libre échange (AELE) enregistrent
une croissance deux à trois fois plus vigou-
reuse, malgré des quotes-parts de l’Etat
plusélevées.
Même sur le plan de l’écologie, la Suisse
aperdusonavance.EnAllemagne,lesmai-
sons doivent être mieux isolées que dans
plusieurs cantons suisses. Dans le Steier-
mark autrichien, les éoliennes produisent à
2000 mètres d’altitude 40 millions de kWh
d’électricitéparannée,tandisquesurl’alpe
de Gütsch (Uri), ABB démantèle la seule
exploitation éolienne de haute montagne
enSuisse.Ellenefonctionnaitpas…
Ces dix années maigres, ces années de
croissance anémique en comparaison in-
ternationaleontdeuxcausesprincipales.
Les revenus en Suisse sont répartis de
manière trop inégale. Le fossé entre les dé-
tenteurs du capital et les salariés se creuse.
Le taux d’épargne continue d’augmenter;
les Suisses ne consomment pas. Les inves-
tissementspublicssontrégulièrementredi-
mensionnéspardenouveauxprogrammes
d’économies. Personne ne l’a mieux dé-
montré que l’économiste et journaliste
WernerVontobel.
Parallèlement, la Suisse est prisonnière
desstructuresdésuètesdesonmarchéinté-
rieur. Alors que notre industrie d’exporta-
tion est parfaitement concurrentielle à
l’échelle internationale, notre économie in-
térieureestàlatraîne,claudicante.C’estun
refrain connu, entonné par le chœur des
professeursd’économiebourgeois.
La Suisse souffre sans doute d’une
consommationinsuffisanteetdestructures
restéesrigides.
Faut-il croire à la relance? Résoudra-t-
elle nos problèmes? La revue de gauche
Prokla consacre son dernier numéro à la
déflation mondiale qui menace. En Alle-
magne,lemagazineWirtschaftswochesede-
mande«silarepriseestdéjàdernièrenous».
En raison de la morosité de son marché in-
térieur et de la vétusté de ses structures, la
Suisse serait doublement pénalisée par une
stagnationenEurope.
D’après les calculs de Werner Vontobel,
les banques suisses gagnent 30 milliards de
francs de trop par année. Dix milliards de
trop, parce qu’elles gèrent une grande par-
tie des capitaux internationaux «offshore».
De l’argent placé discrètement en Suisse
pour échapper au fisc du pays d’origine. Et
encore 20 milliards de trop, parce qu’elles
prélèvent des intérêts et des commissions
beaucoup trop élevés pour leurs services.
La revue syndicale Work a calculé que les
intérêts réels pour des hypothèques blo-
quées à cinq ans sont plus élevés en Suisse
qu’enAllemagne.Etcecibienquelecapital
coûte moins cher en Suisse. Même les
banques Raiffeisen ont pu augmenter leur
marged’intérêtde1,6%.
La facture agricole, elle, est 4 milliards
trop cher. Les paysans suisses reçoivent
deux fois plus de subventions par année et
par hectare que les paysans autrichiens. Et
ils sont payés deux fois plus que les exploi-
tants du Vorarlberg. Un agriculteur du
Bade-Wurtemberg doit exploiter 100hec-
tares pour nourrir sa famille; en Suisse, 20
suffisent. Voilà pourquoi les paysans de
Schaffhouse peuvent payer davantage que
les Allemands pour louer des terres sur sol
germanique.
Cela fait-il sens d’entretenir ainsi nos
pauvres paysans? Mais oui, car ils sont la
force politique dominante de l’UDC!
L’UDC qui constitue la garde prétorienne
des banques en défendant inconditionnel-
lementlesecretbancaire.
En Suisse, tout est plus cher. Les loyers
sont en moyenne deux fois plus élevés
qu’en Europe. Mais les voitures, les vête-
ments,lesvélos,lesPampersetleslamesde
rasoir sont encore de 30 à 40% plus chers,
TVA déduite. Dès que nous serons dans
l’UE, les grandes chaînes commerciales
comme Aldi ou Lidl s’implanteront chez
nous – comme elles l’ont fait en Autriche.
Très vite, les prix des biens de consomma-
tion quotidienne s’adapteront au niveau
européen.
La construction serait également
meilleur marché. Du lavabo au sac de ci-
ment. Mais nous devrons résoudre le pro-
blème de la rente foncière. Aujourd’hui, le
même appartement de quatre pièces coûte
à Zurich deux fois plus qu’à Neuchâtel.
Uniquementàcauseduprixduterrain.Les
prix du terrain peuvent et doivent baisser.
C’est possible en densifiant l’occupation
dusoletencréantdenouvelleszonesàbâtir
demanièreciblée.
En Allemagne, les usines Holcim de
Thomas Schmidheiny paient des amendes
cartellaires salées pour leur ciment trop
cher. Or, ce même ciment est vendu bien
30%pluscherenSuisse!Acausedumono-
pole sur les prix, la facture des Nouvelles
lignes ferroviaires alpines (NLFA) renché-
rit de 200 millions de francs. C’est Peter
Teuscher, chef du chantier des tunnels de
base, qui l’affirme. Et qu’observe-t-on? Ce
scandale manifeste ne provoque pas le
moindre remous. On note au passage que
le nouveau chef des Finances fédérales,
Hans-Rudolf Merz, fut pendant des dé-
cennies un commis de l’industrie suisse du
ciment…
La politique est une alchimie entre plu-
sieurs intérêts. Pour imposer son point de
vue, il faut conclure des alliances afin de
conquérir durablement une certaine hégé-
monie dans les domaines économique, so-
cial et politique. Sans alliés, les banques et
les assurances ne sont pas assez fortes.
C’est pourquoi elles défendent (encore)
une politique agricole et territoriale obsolè-
te, ainsi qu’une Suisse insulaire aux prix
exorbitants. Voilà pourquoi on ne discute
pasduprixduciment.
Les opposants à l’Europe répètent – au
moins sont-ils cohérents – toujours les
mêmesarguments:1.Quiadhèreàl’UEen
devientprisonnier.Iln’estpaspossibled’en
sortir.Ladémocratiedirecteestsacrifiée,la
Suisseperdsonindépendanceetsaneutra-
lité. Et nous devrions financer substantiel-
lement la reconstruction des anciens pays
du bloc de l’Est. 2.L’abandon du secret
bancaireaffaiblitlaplaceéconomiquesuis-
se. La Banque nationale perd sa marge de
manœuvremonétaireenralliantl’euro.Les
taux d’intérêt et les loyers renchérissent.
Une TVA de 16% conduit à plus d’Etat et
mène les petites et moyennes entreprises à
la ruine. 3. L’adhésion augmente la pres-
sion salariale et aggrave le chômage. La
main-d’œuvreétrangèrebonmarchéenva-
hitlemarchédutravailhelvétique.
Seule une alliance dégagera des majori-
tés politiques pour l’adhésion à l’UE. Pour
convaincreunemajoritépopulaire,cetteal-
liance doit apporter des réponses claires à
toutescesquestions.Elledevraitprendrela
forme d’un «New Deal» entre la Suisse et
l’UE, à l’image du programme appliqué
pour sortir les Etats-Unis de la crise écono-
mique dans les années 30. Ce contrat de-
vrait satisfaire autant que possible et de fa-
çon équilibrée les intérêts de tous les
partisansdel’adhésion.
Qui profitera de l’intégration européen-
ne de la Suisse? Tous les acteurs écono-
miques actifs dans les branches tournées
versl’exportation;lessalariés;lesretraités.
L’UE n’est pas une prison. Un Etat
membre peut renoncer à son statut de
membre. La Cour constitutionnelle fédé-
rale allemande a statué dans ce sens. Cette
clause de liberté figurera dans la Constitu-
tion européenne. Cet argument n’est donc
plusvalable.
Beaucoup de décisions sont prises à
Bruxelles. Qu’on le veuille ou non. De l’in-
térieur, on peut au moins les influencer un
peu. De l’extérieur, on ne peut qu’en
prendre acte. Et c’est éprouvant, comme le
montrent les exemples des accords de
Schengen ou de la taxation des biens réex-
portés.
Ces arguments sont insuffisants. Pour
faire accepter l’adhésion à l’UE, il faut
étendre la démocratie directe. L’outil le
plusimportantestleréférendumconstruc-
tif. Le peuple doit pouvoir décider de
l’orientation des lignes directrices. La ma-
jorité des Suisses est pour la neutralité mili-
taire.Laneutralitédoitdoncêtrerespectée.
Aucun motif, tactique ou idéologique, ne
justifiederemettreencausecetteévidence.
Reste la solidarité. La Suisse devra de
toute façon participer aux coûts de la re-
construction de l’Est dans le cadre de ses
relationsbilatéralesavecl’Union.
LesexemplesdelaSuèdeetdelaGrande-
Bretagnemontrentqu’ilpeutêtrepréférable
degardersamonnaienationale.Danscecas,
la marge de manœuvre d’un Etat pour agir
surlaconjonctureresteplusgrande.
Les gros bénéfices des banques tiennent
au secret bancaire. Les banques rétribuent
les épargnants modestement, mais elles ré-
clament des intérêts élevés quand elles al-
louentdescrédits.Quandleursmargesd’in-
térêt seront sous pression, on peut prévoir
quelesintérêtsréelsnegrimperontpas.
En revanche, les prix de la construction
peuvent et doivent diminuer. Et si la coali-
tion des partisans de l’UE défend, comme
mesure d’accompagnement, des terrains à
bâtir moins chers, alors les prix du sol ainsi
quelesprixdeventeetdelocationdesloge-
ments baisseront. C’est dans l’intérêt de
l’économied’exportationmaisaussidessa-
lariés.
RestelaTVAà16%.Ungisementdere-
cettestrèsconvoitées.Lagauchevoudraity
puiser pour casser le système antisocial de
la prime individuelle unique pour l’assu-
rance maladie. La droite, elle, songe plutôt
àenprofiterpourbaisserl’impositionfédé-
raledirecte.Uncompromisestpossible.
Empoignons la question centrale des sa-
laires et des places de travail. Sans conven-
tionscollectivesdetravailquiontforceobli-
gatoire, la libre circulation des personnes
fait pression sur les salaires. Mais les CCT
ne créeront pas des emplois. Or il manque
aujourd’hui en Suisse 300000 places à
temps complet. Quand les prix en Suisse
baisseront, tous les secteurs d’exportation
seront davantage concurrentiels. Ils ten-
dront donc à créer de nouveaux postes de
travail.Bien,maiscelanesuffirapas.
En revanche, il faut admettre que des
placesdetravaildisparaîtront,spécialement
danslabanqueetl’agriculture.Cessecteurs
serontlesvictimesduchangementdestruc-
tures. C’est le sacrifice nécessaire pour ob-
tenir une réduction générale des prix et des
coûts.CommelaSuisseaprisdixansdere-
tardsurlesautrespaysdel’AELEpourmo-
derniser les structures de son marché inté-
rieur,ledémantèlementdesplacesdetravail
semblerarelativementbrutal.
Seull’Etatpeutsusciterunevéritablede-
mande économique. Il doit absolument in-
vestir, substantiellement et dans les plus
brefs délais, dans ses infrastructures trop
longtemps négligées. L’enjeu est de taille:
de 150000 à 200000 places de travail peu-
vent être créées dans les cinq prochaines
années. Les Etats-Unis dopent leur écono-
mie en pratiquant un keynésianisme de
guerre. C’est antisocial, mais cela leur réus-
sitplutôtbien:ledollarbaisse;lesimpôtsdi-
minuent;laguerrefaitrageenIrak.Dansce
système, l’Etat s’endette pour stimuler la
demande, laquelle suscite la croissance, qui
renfloue les caisses de l’Etat. Le système
fonctionne toujours, bien que les Etats-
Unisimportentducapital.Ilfonctionneraà
plus forte raison en Suisse, vers laquelle
s’exportechaqueannéetoujoursplusdeca-
pital.
Pourfaireavancerunediscussion,ilfaut
proposer un projet avec des réponses
claires à des questions concrètes. C’est
pourquoi il est nécessaire d’élaborer un
programme pour un «New Deal» avec
l’UE. Dans la mesure où le peuple a le der-
nier mot, et puisque les opposants exagè-
rent la moindre faille, un programme pour
une adhésion à l’UE doit apporter du pro-
grès économique, social et démocratique
pourlamajoritédescitoyenssuisses.
Au moment où la concordance politique
s’épuise, le Parti socialiste demande à ses
conseillersfédérauxd’afficherunprofilplus
marqué. Le Palais fédéral est tout à fait ou-
tillé pour formuler un programme d’adhé-
sion concret. En posant à l’appareil admi-
nistratiflesbonnesquestions,onestdéjàsur
la piste des réponses correctes. Micheline
Calmy-Rey devrait exploiter les nouvelles
marges de liberté laissées aux conseillers fé-
déraux. C’est à elle de présenter un projet
charpentéde«NewDeal»avecl’UE.
Déjà les Suisses ne racontent plus de
blagues sur les Autrichiens. La question
européenne s’imposera dans l’agenda poli-
tique quand l’économie autrichienne aura
rattrapé celle de la Suisse et que les Autri-
chiens feront des blagues à nos dépens.
Sans doute serons-nous alors tous d’avis
quelavoiesolitaireestuneplaisanteriequia
assezduré. ■
Cetexteaparudansla«WochenZeitung».
Traduction:AnnedeVargas
PeterBodenmann:«Beaucoup de décisions sont prises à Bruxelles. De l’intérieur, on peut au moins
les influencer un peu. De l’extérieur, on ne peut qu’en prendre acte. Et c’est éprouvant.» BRIGUE, 13 NOVEMBRE 2003
GAETANBALLY/KEYSTONE
“Notre pays devra de toute
façon participer aux coûts
de la reconstruction de l’Est
dans le cadre de ses relations
bilatérales avec l’Union
”
“La question européenne
s’imposera dans l’agenda
politique quand
les Autrichiens feront
des blagues à nos dépens,
et plus le contraire
”
Beat Kappeler
I
l n’a fallu que quelques escar-
mouches aux frontières et lors
des négociations avec l’Union
européenne pour ébranler cer-
tains politiciens cantonaux et fé-
déraux. On n’ose pas imaginer ce
que ces cœurs faibles auraient fait
comme politique pendant la Pre-
mière ou la Deuxième Guerre
mondiale! Aujourd’hui, leur for
intérieur est meublé de deux
convictions: la Suisse est dans les
abîmes, pauvre et en disgrâce, et
l’Europe est le modèle de société
et d’organisation étatique naturel,
normal, vers lequel tout régime
converge inexorablement. C’est
un peu simple, simpliste même
comme fil conducteur pour la
gestiond’unpays.
Ce pays est économiquement
riche,illeresteparl’accumulation
d’un excédent extérieur de
40 milliards de francs par an, ce
que les chiffres du produit inté-
rieur ne montrent pas. Ce pays
reste riche par son marché du tra-
vail flexible, qui a battu le record
du plein emploi lors du dernier
cycle conjoncturel – et qui dès
maintenant y tend à nouveau. La
croissance de cette richesse avait
été faible pendant les années 90,
mais déjà en 1999-2001 la crois-
sance était de retour, à des taux
comparables à ceux de beaucoup
de pays européens. Il est donc
faux de dire que la croissance est
absente; le tournant date déjà de
cinq ans, et pendant le nouveau
cycle, la croissance suisse devrait
dépasser celle de l’Allemagne. La
Suisse a intégré une proportion
d’étrangers très supérieure à tous
les autres pays d’Europe, et elle l’a
fait dans de meilleures conditions.
Il n’y a pas de problème de voile,
de ghettos, de délinquance juvé-
nile couvrant des pans entiers des
villes.
La Suisse a ses problèmes
propres, et je ne les tais jamais. Le
système politique fédéral n’a au-
cune coordination. Les parle-
mentaires ne suivent ni leur
propre parti, ni leur groupe, ni
leur gouvernement, et le gouver-
nement ne démissionne pas,
mêmes’ilreçoitdesclaquesreten-
tissantes de la part de son électo-
rat parlementaire ou populaire.
Cette manière de gouverner pose
problème,quelaSuissesoitàl’ex-
térieur de l’Union ou à l’intérieur,
le cas échéant. Il n’y a donc pas
lieu de vouloir entrer dans
l’Union pour avoir voix au cha-
pitre. La Suisse ne pourra pas éle-
ver sa voix, car elle n’en a pas une,
maisquatreoucinq.Al’imagedes
Etats-Unis, sa république-sœur,
les différents pouvoirs de la
Confédération se neutralisent ou-
trageusement les uns les autres.
Le politique n’a que peu de prise
sur la société, sur les arts, sur
l’économie.
Une adhésion demanderait de
changer cet ordre des choses,
d’avoir un système de gouverne-
ment plus constant, mais aussi
d‘enrayerlerôledelasociétécivile
par rapport au politique, vu
l’étroite régulation européenne.
Mais qu’y gagnerait-on? Les do-
maines qui font problème en
Suisse ne sont pas régis par
l’Union, sauf la libéralisation des
réseaux publics. Ce gouverne-
ment peu courageux maintien-
drait la surveillance des prix com-
me aujourd’hui, il ne trouverait
pas de solution aux caisses mala-
die comme depuis quatre ans, il
opérerait les mêmes extensions
ou restrictions dans les transferts
sociaux, comme les forces in-
ternes le lui imposeront. La preu-
ve de ce manque d’orientation et
de réformes est administrée par
les tribulations des gouverne-
ments allemand, français et ita-
lien, qui n’arrivent pas à prendre
la moindre mesure qui s’impose
pour les marchés du travail, pour
les assurances sociales, pour la
croissance économique, pour
l’assainissement des déficits. Leur
appartenanceàl’Unionnefaitpas
pleuvoirdesréformessureux.
Ensuite, les couacs, les
contraintes, les coups tordus ne
manquent pas dans la politique
courante de l’Union. Rappelons
l’hystérie de tous les gouverne-
ments frères européens contre la
formation de la coalition en Au-
triche il y a cinq ans, rappelons les
diatribes de Chirac contre la Po-
logne qui osait avoir une autre
opinion sur l’Irak et sur les droits
de vote en Europe, ou encore la
campagne actuelle du ministre al-
lemand des Finances, Eichel,
contre les impôts moins élevés de
la Pologne et de l’Irlande. En ad-
hérant, la Suisse ne pourrait pas
faire l’économie de rixes de ce
genre – par exemple à propos de
ses impôts sur les sociétés si bas,
de ses traversées alpines, de son
secret bancaire, des fusions envi-
sagées entre nos florissantes mul-
tinationales et des sociétés proté-
gées par la France. Les pays
membres de l’Union dépendent
des autres en de multiples occa-
sions, ils doivent donc souvent cé-
der quand tous les autres font la
fronde contre eux, tandis que la
Suisse, à l’extérieur, peut faire la
sourde oreille – si ses gouvernants
enontlecourage.
Les domaines d’harmonisation
de l’Union n’augmenteront plus,
et la pression sur la Suisse non
plus. Car ce qui peut être harmo-
nisé l’est déjà. Après l’élargisse-
ment, les pays sceptiques sur le
tout-politique seront majoritaires
dans l’Union. La position de
contrepoids contre les Etats-Unis
si chère à certains Français et Al-
lemands n’est jamais majoritaire
et ne fera pas bouger l’Union. Les
neutres augmentent parmi les
Etatsmembres,lesatlantistessont
nombreuxetdéterminés.
L’Union, elle, est-elle le modè-
le d’organisation vers lequel le
sens de l’histoire converge tout
naturellement? On peut en dou-
ter. L’Union est un projet des an-
nées 50, époque où le principe de
la non-discrimination entre les
Etats faisait défaut. Depuis, la
non-discrimination s’est imposée
de plein droit avec les accords de
l’Organisation mondiale du com-
merce. Tout pays entre avec tous
ses droits en relations avec tous
les autres, et un arbitrage contrai-
gnant lui préserve ces droits. On
le voit encore avec la décision de
l’OMC contre les subventions
agricoles et les soutiens à l’acier
américains. Imperceptiblement
d’abord, clairement fonctionnel
aujourd’hui, un type nouveau
d’ordre international a vu le jour.
C’est la société internationale,
libre, ouverte d’avant 1914 qui
est ressuscitée. Les nationa-
lismes, mais aussi les unions ré-
gionales seront un incident de
l’histoire tourmentée du malheu-
reux XXe siècle. La Suisse, lente
et faisant du surplace en poli-
tique, a brûlé les étapes, à travers
les deux guerres, et avec son abs-
tention à l’union régionale. Elle
est déjà là où les autres arriveront
plustard. ■
Le Temps P Date N CMJ 5e
05 03.05
La Suisse et la nouvelle EuropeLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •5
✶✶✶
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Pourl’éditorialisteBeatKappeler,entrerdansl’Unioneuropéennenerésoudraitenrienlesproblèmesposésparlafaçondontnotrepaysestgouverné,
etnenouspermettraitpasd’yfaireentendrenotrevoix,puisquenousn’enavonspasune,maisquatreoucinq
«Noussommeslàoùlesautresarriveront»
BeatKappeler:«Uneadhésiondemanderaitd’avoirunsystèmedegouvernementplusconstant
etd’enrayerlerôledelasociétécivileauseindupolitique.Or,qu’ygagnerait-on?» BERNE, 7 NOVEMBRE 2001
ALESSANDRODELLAVALLE/KEYSTONE
“Pendant
le nouveau cycle,
la croissance
suisse devrait
dépasser
celle de l’Allemagne
”
Endépitd’unétonnementoccasion-
nel, le rôle de la Suisse comme île
dans la mer européenne n’est pas vrai-
ment ressenti comme quelque chose
d’irritant. Je m’intéresserai moins à l’as-
pect politique qu’à la perception psy-
chologique de cette situation spéciale et
aux conséquences qui peuvent s’en-
suivre.
Sil’onestpersuadé,commejelesuis,quel’Europeest
un processus irréversible, on peut difficilement s’imagi-
ner qu’on puisse maintenir longtemps une politique qui
revientàavoirlebeurreetl’argentdubeurre.
L’Europe, aujourd’hui, «s’in-
dividualise», justement parce
qu’elle s’élargit. Cela veut dire
que chacun des 25 pays se sou-
vient de l’histoire spécifique qui
l’afaitnation.Maisqu’ainsi,dans
l’ensemble,unenouvelleentitése
crée, dans l’effort et la lutte.
L’Europe sera plus qu’une zone
de libre échange; plus, aussi, qu’une «grande Suisse».
Ellevitunenouvellefondation.
Cette nouveauté est difficile à définir. Mais, dans un
monde où les Etats nationaux classiques perdent beau-
coup de leur rôle, où un système de gouvernance par ré-
seaux nationaux et internationaux remplace peu à peu
les gouvernements traditionnels, l’Europe apparaît sou-
dainement comme un précurseur. Elle anticipe même
dans son hétérogénéité une «identité» moderne dans la-
quelleconfluentdenombreusesculturesetbeaucoupde
passé. Finalement, qu’elle ait un seul numéro de télé-
phoneou25,l’EuropedoitfairefaceaudéfidesBalkans,
de l’islam, du terrorisme, ou du fossé entre
leNordetleSud,etelledoitlefaireavecdes
politiquescommunes.
Sitoutcelaestvrai,etn’estpasseulement
le résultat d’une hypothèse naïve, on peut
difficilement imaginer qu’un pays puisse se
soustraire à l’aspiration enclenchée. Déjà
maintenant, la situation est curieusement
contradictoire. La Bulgarie et la Roumanie
représentent le «prolétariat» européen en disant d’elles-
mêmes que, si elles ne pouvaient pas s’intégrer à l’Euro-
pe, elles s’effondreraient. A l’autre bout de l’éventail, il y
al’«îledebien-êtreetdebonheur»européenne,laSuisse,
qui dit d’elle-même que, si elle s’in-
tégrait, elle s’effondrerait. Les uns
ont un besoin existentiel d’une Eu-
ropequipartageetquiconsidèreson
extension vers l’Est comme un gain.
Les autres ont besoin d’une Europe
résolue à ne pas partager, ne voyant
l’avantage de leur participation au
projet que comme point de passage
pour les transports et comme dépôt d’argent monta-
gneux. Cela peut conduire à une perception très rapide
delaSuissenonseulementcommeparadisséduisant,île
des bienheureux, mais aussi comme vieillotte, un peu
égoïste,horsdelaréalitéet,quoiqueaimable,éventuelle-
ment parasitaire. Ce serait d’autant plus paradoxal que
la Suisse représente le symbole non seulement de l’«abs-
tention» commode mais aussi de ce que l’Europe pour-
rait être, l’assemblage de plusieurs langues, cultures et
histoires. Que cette absence suisse n’apparaisse cepen-
dant pas comme un malheur, l’Europe a appris à vivre
avecsesparadoxes. G.H.
Le Temps P Date N CMJ 5e
06 03.05
6 •LE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004
✶✶✶
DesEuropéensécriventauxSuisses:
L’officialité. Première réunion des chefs d’Etat et de
gouvernement des Vingt-Cinq, samedi à Dublin. «Bienvenue
à la maison», lance le président du Parlement européen, Pat Cox.
PAULFAITH/EPA
L’avenir. Un jeune couple tchèque s’embrasse vendredi à minuit
au centre de la vieille ville de Prague en liesse.
Pour eux, l’Europe est synonyme d’espoir.
RENEVOLFIK/EPA
Latradition.Lesévêqueseuropéensprientpour«l’Europe
del’esprit»lorsd’unemessedimanche.Ilssontréunisdevant
uneégliseenconstructiondanslequartierdeWilanow,àVarsovie.
CZAREKSOKOLOWSKI/AP
“Quecetteabsencesuisse
n’apparaissepascommeun
malheur,l’Europeaappris
àvivreavecsesparadoxes
”
GunterHofmann
estlecorrespondant
politiqueàBerlin
del’hebdomadaire
hambourgeois
«DieZeit»
Partageroupas,telleestlaquestiondel’Europe
Dansquelgenred’Unionvoulez-vousvivre?
Alors nous y voilà enfin, «de retour en
Europe», comme le demandait le
slogan de notre Révolution de velours en
1989. Il y a quinze ans, à la chute du
Mur, l’Europe était différente. Lorsque
nous avons frappé à sa porte, de nom-
breuses questions se sont posées, qui ont
entraîné de nombreux changements, à
l’est et à l’ouest.
Pourquoi la Suisse ne fait-elle pas par-
tie de cette histoire? Elle ne figure pas sur
l’échelle de Richter des problèmes euro-
péens. Tant mieux pour elle! Cet élargis-
sement n’est pas comme les précédents.
Il s’agit cette fois de se décharger d’un
énorme paquet de questions et de pro-
blèmes d’un demi-siècle européen, où
les Suisses n’ont pas de place. La spécifi-
cité de cet élargissement est la coïnci-
dence d’une profonde transformation de
l’UE elle-même avec un courant de
changements et de réformes dans tous
les pays européens, anciens et nouveaux.
Pour les nouveaux membres d’Eu-
rope centrale et orientale, l’adhésion n’a
jamais été une question de simple appar-
tenance institutionnelle. Pour nous,
Tchèques, c’est une affaire de dimen-
sion existentielle. Nous avons cherché à
échapper à notre longue exclusion de
l’Europe, qui a commencé il y a soixante-
cinq ans à Munich. Notre chemin de re-
tour vers l’Europe n’a pas commencé et
ne s’arrête pas à Bruxelles. Pour nous,
l’Europe est une notion plus large qui in-
clut aussi l’OTAN et des pays comme la
Suisse et la Norvège.
Mais tandis que la Suisse et la Norvège
pouvaient se payer le luxe de choisir à
quelles institutions appartenir, y compris
le choix excentrique des Suisses de ne
pas être membres de l’ONU, des pays
comme le nôtre n’avaient pas cette liber-
té. Ayant vécu le côté sombre de l’histoi-
re du XXe siècle, nous voyions l’Europe
comme la promesse d’un avenir plus
heureux. Bien que depuis 1989 nous
connaissions mieux les réalités de l’Eu-
rope, que nous ayons perdu quelques
illusions et découvert quelques mythes,
nous avons gardé le sentiment qu’en ac-
ceptant les règles et les normes de l’UE
nous acceptions les normes et les règles
du monde occidental auquel nous étions
déterminés à appartenir. Les négocia-
tions ont parfois été dures, et l’adapta-
tion davantage encore. Il y a des choses
que nous n’aimions pas, mais nous sa-
vions que nous devions y arriver.
La Suisse n’est pas dans ce tableau.
Bien qu’elle ne soit pas membre de l’UE,
elle est européenne. Elle n’a pas l’obliga-
tion de combler son retard et par consé-
quent elle n’est pas directement
contrainte de participer au processus
d’unification de l’Europe. Elle est riche
aussi. Elle n’a pas été soumise aux pires
horreurs du XXe siècle. Son identité
s’est construite sur sa différence par rap-
port aux autres pays européens. Mieux
vaut retourner la question et demander
ce que l’Europe signifie pour les Suisses.
Dans quel genre d’Europe les Suisses
veulent-ils vivre?
Je peux envisager une convergence des
Suisses avec les autres Européens sur des
sujets pratiques comme la sécurité, la cri-
minalité, l’immigration, le commerce,
l’environnement, l’information et autres.
Enfait,iln’yaurapeut-êtrepasd’alterna-
tive. Le problème pour la Suisse sera de
savoir jusqu’à quel point elle veut partici-
per directement aux prises de décision.
L’appartenance et la participation aident
énormément. Le pays serait un atout
pour l’UE. Mais seuls les Suisses peuvent
en décider. En attendant, parmi tous les
problèmes que les Européens doivent af-
fronter dans les mois et les années à venir,
celui de l’adhésion de la Suisse à l’UE
n’est certainement pas une priorité. Pré-
cisément parce que la Suisse ne pose pas
deproblèmeauxautres. P.S.
PavelSeifterestambassadeur.
IlareprésentélaRépublique
tchèqueàLondresde1997à2003
LamajoritédesHongrois
nerêventplusdelaSuisse
On peut dire sans exa-
gération que la majo-
rité des Hongrois saluent
avec une satisfaction pro-
fonde le fait que leur pays
soit devenu membre de
plein droit de l’Union eu-
ropéenne. Samedi
1ermai,leshabitantsdela
capitale ont envahi les
quais du Danube pour
célébrer ce jour histo-
rique. Seule une minorité
aressentiunecertainejalousieenversles
Suisses, neutres depuis l’éternité, jamais
membres d’aucune alliance militaire ou
économique.
Cette ambiance
spéciale s’explique
par l’histoire. En oc-
tobre 1956, à
l’époque de la révo-
lution démocratique
hongroise, l’exemple
helvétique a joué un
rôle considérable.
Imre Nagy, alors
premier ministre, a
déclaré plusieurs fois son intention de
copier fidèlement l’exemple helvétique:
neutralité militaire, retrait de la Hongrie
du Pacte de Varsovie et du bloc écono-
mique du Comecon. Les chars russes
ayant malheureusement écrasé le soulè-
vement démocratique, cette intention
est restée un rêve et, pour
la majorité des Hongrois,
la Suisse est devenue un
payslointainetenvié.
Après le changement
de régime, en 1990, les
circonstances ont profon-
dément changé. Grâce à
une démocratisation rapi-
de, la Hongrie s’est pro-
gressivement rapprochée
des grands pays occiden-
taux. Elle est devenue
membre d’abord de l’OTAN et, depuis
quarante-huit heures, de l’Union euro-
péenne. On ne peut nier qu’une assez
grande partie de la
population est restée
sceptique et n’accep-
te pas cette situation
nouvelle avec en-
thousiasme. Son rêve
reste l’exemple de la
neutralité suisse, de
l’énorme richesse de
la Suisse. Elle ne
considère ni la Suisse
ni les Suisses comme
égoïstes mais constate seulement qu’en-
vers cette partie de l’Europe l’histoire a
étéplusgénéreuse.
Malgré cela, pour nous, Hongrois,
c’est une occasion extraordinaire et favo-
rabled’apparteniràuneUnioneuropéen-
nequiestcondamnéeausuccès. T. V.
TiborVárkonyi
estéditorialistedu
quotidien«Magyar
Hírlap»(dugroupe
RingierenHongrie)
etancienconseiller
àl’ambassade
deHongrieàParis,
entre1990et1992
Poursefaireentendre,ilfautêtrededans
En Suisse, vous vous deman-
dez peut-être ce qui s’est
passé pour qu’un pays à l’esprit
libre comme la Lituanie accepte
aujourd’hui de rejoindre une or-
ganisation supranationale, délé-
guant une partie de sa souverai-
neté à l’autorité de Bruxelles,
alors que beaucoup pensent en-
core aux vestiges de l’ancien système centralisé?
D’abord, les Lituaniens ont décidé eux-mêmes de
rejoindre l’Union, contrairement à l’occupation
forcée de l’Empire soviétique. Ensuite, ils consta-
tent que l’intégration (éco-
nomique) européenne est
une réussite. Enfin, ils ont le
sentiment d’appartenir psy-
chologiquement, historique-
ment et culturellement à
l’Europe[…]
Nous rejoignons l’UE
alors qu’elle connaît d’im-
portants changements. La
nouvelle Constitution sera
bientôt finalisée, dotant l’UE
élargie de nouvelles disposi-
tions. Les anciens et les nouveaux membres sont
bien conscients que l’UE a besoin de s’adapter
pour fonctionner correctement. Sur le Vieux
Continent et ailleurs, beaucoup reprochent à
l’Union européenne d’être devenue une institution
lente, bureaucratique et moins efficace. Ses mau-
vaises performances économiques, en comparai-
son avec d’autres régions du monde, en sont la
preuve et elle a urgemment besoin de ré-
formes. La coopération économique, au-
trefois efficace, produisait des résultats
brillants pour les Etats membres et leurs
populations. L’Union européenne a
contribué à créer prospérité et sécurité,
mais ce dynamisme s’est ralenti […].
L’Europe a besoin d’organes de décision
efficaces, d’un marché unique fonction-
nant rapidement, de traités simplifiés, de flexibilité
etdedérégulationdansledomainedesaffaires.Les
nouveaux membres vont apporter du sang neuf et,
je l’espère, contribuer à rendre l’Europe plus ou-
verte,efficaceetcompétitive.
Les Lituaniens, comme les
Suisses, sont très attachés à
leur souveraineté. Même en
rejoignant l’Europe avec opti-
misme, nous savons que nos
intérêts nationaux doivent
être défendus. Même si notre
taille, notre poids et notre in-
fluence ne sont pas compa-
rables à ceux des grands ac-
teurs européens, je crois que
notre voix en Europe peut et
doit être entendue. Il faut simplement qu’elle soit
claireetforte.Nousnousréjouissonsdeformerdes
coalitions et de faire valoir notre point de vue
contre une plus grande centralisation, une exten-
sion des domaines de compétence de l’UE et une
harmonisation des systèmes fiscaux. Le meilleur
moyendedéfendresesintérêtsestd’êtredansl’ins-
titution. G.S.
Gintaras
Steponavicius
estdéputélibéral
etvice-président
duparlement
deLituanie,àVilnius
“L’adhésiondelaSuisse
n’estpasunepriorité
pourlesEuropéens,
parcequelaSuisse
neposepasdeproblème
auxautres
”
“EnSuisse,vousvous
demandezpeut-êtrecequis’est
passépourqu’unpays
àl’espritlibrecomme
laLituanieaccepte
aujourd’hui
derejoindrel’UE?
”
“Enoctobre1956,
àl’époquedelarévolution
démocratiquehongroise,
l’exemplehelvétique
ajoué
unrôleconsidérable
”
I M A G E S D ’ U N W E E K - E N D H I S T O R I Q U E , E N T R E P R O T O C O L E , L I E S S E E T V I O L E N C E
• Alors que leur pays entre dans l’Europe élargie, quatre personnalités de Hongrie, de Lituanie, de Slovénie et de la République tchèque s’expriment sur l’absence
delaSuissedanscemomenthistorique,toutcommedeuxgrandesvoixdelapressefrançaiseetallemande
Le Temps P Date N CMJ 5e
07 03.05
La Suisse et la nouvelle EuropeLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •7
✶✶✶
L’ouverture. Les douaniers allemand et polonais se serrent
la main sur une plage de la Baltique. Entre Swinoujscie
et Ahlbeck, la frontière a été ouverte à tous les piétons.
STEFANSAUER/EPA
Lajoie.L’anged’unpontsurlaVltavailluminéparlesfeux
d’artificetirésvendrediàminuitàPrague.Partoutàl’Est,
laferveurpopulaireaétéplusintensequedansla«vieille»Europe.
MARTINSTERBA/EPA
Laprotestation.Quelque700manifestantsaltermondialistes
protestentàDublinpendantlesommetdePhoenixPark.
Pourlapremièrefois,la«Garda»irlandaiseutilisedescanonsàeau.
JOHNGILES-PA/KEYSTONE
«Tôtoutard,vousnousrejoindrez»
• Elles expriment plus de compréhension et de curiosité que de blâme, d’autant que «la Suisse ne figure pas sur l’échelle de Richter des problèmes européens»,
maisellescomptentbienqu’unjouroul’autrenotrepaysvienneapportersacontributionàl’essorducontinent
PourlesFrançaispeufarouchespartisansdel’élargissement,
laparticularitéhelvétiqueestunbonargument
On dit qu’un parti politique, les radicaux paraît-
il, préparait l’adresse Internet suivante: y en
a.com (lire: y en a point comme…), qui reprenait
une vieille expression soulignant la spécificité
suisse, voire romande. Il avait raison. Depuis le
1er mai, c’est encore plus vrai que par le passé. «Y
en a point comme nous.» En tout cas, de moins en
moins. La Confédération est cernée par 450 mil-
lions d’Européens, et ce n’est pas le Liechtenstein,
qui rêve d’adopter l’euro à la place du franc, qui la
sauvera de l’isolement.
Les Suisses doivent-ils s’en plaindre ou s’en ré-
jouir? Toute la question est là. Pour leur ego national,
l’élargissement de l’Union européenne, dans la mesu-
re où il les épargne, est plutôt une bonne nouvelle. Le
risque de banalisation est écarté. Comme celui d’être
soumis à une bureaucratie bruxelloise qui n’a cure de
la démocratie directe, des votations sur initiative po-
pulaire et autres Landsgemeinden. Sans doute le
franc suisse n’a-t-il pas été à la hauteur de sa réputa-
tion en devenant la devise refuge des spéculateurs eu-
ropéens en quête de stabilité face à un euro condamné
à être pâlichon puisque des «sudistes» irresponsables
(Français, Italiens, Grecs, etc.) avaient été introduits
dans la monnaie unique. En fait, il n’en a rien été.
L’euro est fort, trop fort parfois pour les exportateurs
européens, et le franc suisse n’a rien gagné à l’intro-
duction de la monnaie unique dans l’Union; il aurait
mêmeplutôtperdudesasuperbe.
C’est là que le bât blesse. S’il est bien qu’il n’y en
ait point comme nous, il est plus irritant de devenir
comme les autres. Or, les Suisses, qu’ils le veuillent
ou non, tendent à s’européaniser. Ils sont confron-
tés aux mêmes problèmes que leurs voisins. Pis,
nombre de ces problèmes ne peuvent être efficace-
ment réglés qu’en coopération avec eux. Avec le re-
fus de l’intégration, il ne reste qu’une alternative:
soit chercher des solutions solitaires à des difficul-
tés «globalisées», soit trouver des arrangements bi-
latéraux avec une Union européenne peu encline à
consentir des cadeaux. A terme, la Confédération
sera de plus en plus contrainte de suivre des direc-
tives sur la définition desquelles elle n’aura eu au-
cune influence. C’est le paradoxe du splendide iso-
lement. Les souverainistes bornés, qui, il est vrai,
ne sont pas l’apanage de la Suisse, ne pourront s’en
prendre qu’à eux-mêmes. En voulant affirmer leur
indépendance, ils auront réduit leur liberté de déci-
sion.
Toutefois, du point de vue des Français qui
n’ont jamais été de farouches partisans de l’élargis-
sement de l’Union, la particularité helvétique est fi-
nalement une bonne chose. Elle permet d’affirmer
haut et fort aux candidats dont ils ne veulent pas
entendre parler: «Il n’est pas nécessaire de faire par-
tie de l’Union pour être européen. Voyez la Suisse!»
D. V.
DanielVernetestéditorialiste
etdirecteurdesrelationsinternationales
duquotidien«LeMonde»
Votrerefusd’adhérerne
peutêtretaxéd’égoïste
«Vous, les Suisses, pouvez vous permettre
de rester encore en dehors de l’Europe,
et nous sommes habitués à vos particularismes
et à votre rythme, comme pour l’entrée à
l’ONU, mais je ne crois pas que cela durera.
J’espère et je pense qu’un jour nous serons
dans la même Europe, comme nous l’avons
déjà été par le passé d’ailleurs: Suisses et Slo-
vènes ont été intégrés dans la même entité eu-
ropéenne pendant très longtemps, dans le
cadre du Saint Empire romain germanique,
puis, plus brièvement, sous la domination de
l’Empire de Napoléon. Aujourd’hui, pour
mon pays, pour toute l’Europe, mais aussi
pour la Suisse, cet événement est historique,
car il est un pas capital vers l’accomplissement
d’un idéal pacifique, démocratique et respec-
tueux des droits de l’homme à l’échelle de tout
un continent.
»Je ne pense pas que l’on peut taxer les
Suisses d’être égoïstes en raison de leur refus
d’entrer dans l’Union: toutes les nations le
sont, et l’adhésion n’est pour aucune nation un
acte de bienfaisance. Chacun a ses bonnes rai-
sons, calcule ses avantages, et notre calcul a été
différent du vôtre, mais je ne vais pas vous le
reprocher. D’autant que la Suisse contribue
tout de même largement au financement et à
l’aide humanitaire internationale. Bien sûr,
l’entrée de la Suisse à l’UE aura un intérêt pour
le financement de l’Europe, puisque vous se-
rez un pays contributeur net. La Slovénie le
deviendra aussi rapidement, probablement
d’ici à trois ans, d’où les questions qui se posent
pour nous sur la vitesse d’adhésion de pays
plus pauvres, à l’est et au sud, comme la Croa-
tie, la Roumanie et la Bulgarie. Mais, d’un
autre côté, nous pourrions aussi y trouver
avantage, car la Slovénie va être exposée aux
rigueurs et aux pressions de la frontière de l’Es-
pace Schengen, sur les 300 kilomètres de sa
frontière sud. Quand la Croatie entrera dans
l’Europe, c’est elle qui prendra la relève.
»L’exemple anti-européen de la Suisse n’a
pas été utilisé en Slovénie, où il y a eu très peu
de résistance à l’adhésion, avec 80% de soutien
au référendum. Nous avons aussi nos isola-
tionnistes, et des paysans pessimistes sur les
conséquences de l’entrée dans l’Europe, mais
leur poids est relativement faible. L’exemple
de la Suisse et des autres pays neutres, l’Au-
triche et la Suède, a en revanche été largement
utilisé lors des débats sur l’entrée dans
l’OTAN, qui a finalement été acceptée par ré-
férendum avec 66% des voix en mars dernier.»
Propos recueillis par Ariel Herbez
AntonBeblerestprofesseuràlaFaculté
desscienceséconomiquesetsociales
del’UniversitédeLjubljanaetancien
ambassadeurausiègedesNationsunies
àGenève
“Noussommeshabitués
àvosparticularismes
etàvotrerythme,maisjenecroispas
queceladurera
”
“Ilestirritantdedevenircomme
lesautres,maislesSuisses,
qu’ilsleveuillentounon,
tendentàs’européaniser
”
I M A G E S D ’ U N W E E K - E N D H I S T O R I Q U E , E N T R E P R O T O C O L E , L I E S S E E T V I O L E N C E
Alain Campiotti, New York
D
ans l’abomination des tor-
turesd’AbouGhraib,iln’ya
pour les Etats-Unis qu’un
rai de lumière: la dénonciation de la
gangrène vient du pays lui-même.
Les photos de détenus irakiens hu-
miliésdanslagrandeprisondeBag-
dad ont été montrées d’abord par la
chaîne CBS. Ces documents répu-
gnants font partie d’un matériel
d’enquêtedontlecontenuestrévélé
ce lundi par The New Yorker, un
hebdomadaire.Maistoutleresteest
noir. Les Américains sont confron-
tés à cette honteuse réalité: dans la
prison centrale de Saddam Hus-
sein, où le dictateur maltraitait et
tuait ses détenus, des soldats améri-
cains ont, de la même manière, tor-
turéettué.
L’armée a ouvert deux enquêtes
successivessurlesrumeursquicou-
raient à Bagdad dès l’automne der-
nier. Plus que des rumeurs, à vrai
dire, et plus qu’un communiqué
d’Amnesty International. En no-
vembre, un vieux chef tribal et un
journaliste d’Al-Jazira brièvement
détenusàAbouGhraibavaientdéjà
décrit comment ils avaient été hu-
miliés,nus,latêtecouverted’unsac.
La première enquête de l’armée
étaitévasive.Laseconde,menéepar
le général Antonio Taguba au mi-
lieudel’hiver,estdévastatrice.Pour
le moment, elle a conduit à sept in-
culpationsenmars,etàunepremiè-
re comparution – jusqu’alors secrè-
te – devant un Grand Jury militaire,
le 9 avril. Dix autres soldats sont
aussi entendus. Ils appartiennent
presque tous à la 372e compagnie
de police militaire, une unité de ré-
servevenantduMaryland.
Lors de l’audience d’avril, un té-
moin à charge a déposé devant le
Grand Jury. Le soldat Matthew
Wisdom a raconté ce qu’il a simple-
ment entrevu quand il a participé à
la livraison de sept hommes à Abou
Ghraib. «Le sergent Snider a em-
poigné mon prisonnier et l’a jeté sur
unepile.J’aivulesergentFrederick,
lesergentDavisetlecaporalGraner
marchant autour de la pile et frap-
pant les prisonniers. Je me souviens
que Frederick frappait un prison-
nier sur la cage thoracique.» Wis-
dom est sorti, puis revenu: «J’ai vu
deux détenus nus, l’un se mastur-
bant devant un autre, à genoux, la
bouche ouverte. Frederick s’est
avancéversmoietm’adit:«Regarde
ce que ces animaux font quand on
leslaisseseulspourdeuxsecondes.»
J’ai entendu le soldat England [une
femme]crier:«Ildevientdur.»
Le rapport d’enquête du général
Taguba contient, au-delà de ces
traitements dégradants, une longue
énumération de tortures: les gar-
diensversaientunproduitchimique
oudel’eauglacéesurlecorpsnudes
détenus; des chiens étaient utilisés
pour effrayer les prisonniers, et au
moins une fois, jusqu’à la morsure;
d’autres ont été sodomisés au
moyen d’une lampe ou d’un
manche de balai; une autre fois, un
policier militaire a entrepris de
coudre une blessure infligée à un
détenu qui avait été précipité contre
un mur. Frederick a un jour frappé
sifortquesavictimeétaitaubordde
l’arrêt cardiaque. Et le sergent a ra-
conté lui-même, dans une lettre à sa
famille, qu’un prisonnier avait suc-
combé un jour sous les coups de ses
tourmenteurs. Ils l’ont placé dans
unsacetdansdelaglace,pourl’éva-
cuer discrètement deux jours plus
tard.
Lesinculpésontprisdesavocats,
etilssedéfendent,accusantdesoffi-
ciers du renseignement militaire, de
la CIA, et des «contractants privés»
de les avoir contraints à mettre ainsi
les détenus dans des «conditions fa-
vorables» avant les interrogatoires.
Ils mettent en cause aussi la hiérar-
chie. La générale Janis Karpinski,
une femme d’affaires incorporée
danslaréserve,quicommandaitde-
puisjuinlesunitésenchargedespri-
sons en Irak, a été rappelée aux
Etats-Unis, et «réprimandée». Elle
aussisedéfend.Ellenesavaitriende
ce qui se passait dans le bloc 1A de
Abou Ghraib où se déroulaient les
tortures. La générale regrette tout
juste de ne pas s’être montrée assez
curieuse dans la grande prison,
après avoir constaté que les
hommes du renseignement militai-
re cherchaient à détourner par tous
les moyens les délégués du CICR
descellulesdubloc1A.
La hiérarchie militaire adopte la
même attitude que George Bush
après la diffusion des images d’hu-
miliation par CBS. Elle condamne
ces comportements, en affirmant
qu’ils sont isolés. Le général Ri-
chard Myers, chef de l’état-major
général,aprétenduhierqu’iln’avait
même pas pris connaissance du
rapport Taguba, rédigé en janvier.
Qui peut le croire? Il devrait se mé-
fier. Le journaliste qui a mis la main
pour The New Yorker sur ce docu-
ment explosif est Seymour Hersh,
l’homme qui avait fait éclater le
scandaledumassacredeMyLai,au
Vietnam,ilyaplusdetrenteans. ■
IRAK • L’armée a mené une enquête sur les mauvais traitements dans la prison proche
deBagdad:explosive.Premièresauditionsavantlacourmartialepourseptinculpés
• Les soldats se défendent en disant qu’ils obéissaient aux directives du renseignement
militaire:ilfallaitmettrelesdétenusen«conditionfavorable»avantlesinterrogatoires
Lestortionnairesaméricainsdelaprisond’Abou
Ghraibmettentencauselahiérarchiemilitaire
Le Temps P Date N CMJ 5e
09 03.05
InternationalLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •9
✶✶✶
P U B L I C I T É
Pourquoi quelqu’un
menerait-il une
campagne d’opinion
contre le terrorisme ?
Il n’y a pas d’avenir dans le terrorisme.
Depuis plusieurs mois,
vous lisez dans ces pages
nos messages sur
l’horreur et la gratuité
du terrorisme.
Pourquoi menons-nous cette
campagne ?
Parce qu’il faut bien que
quelqu’un s’en charge.
Quand on a un minimum de
conscience, a-t-on le droit de
rester passif et muet face aux
terroristes qui ensanglantent la
société civilisée ?
Nous devons faire quelque
chose. Ce problème ne concerne
pas l’autre bout du monde. C’est le
nôtre.
Aujourd’hui, les sauvages
attentats de Madrid sont la preuve
que le terrorisme est une menace
de plus en plus présente chez
nous.
Le fait est que, lors de la
dernière décennie, près d’un tiers
des attentats - 31% - a été perpétré
ici, en Europe.(1)
Evidemment, chaque attentat
apporte son lot de souffrance.
Pourtant, il est bon de se
rappeler que d’autres attentats se
seraient produits s’ils n’avaient été
déjoués à temps par les forces de
police et de sécurité d’une
douzaine de pays.(2)
Voilà pourquoi nous cherchons
à attirer l’attention sur le
terrorisme.
Parce qu’il est vital de dénoncer
ses dangers et ses contradictions
et surtout, pour ouvrir le débat.
Ne rien faire, c’est laisser faire
le désastre.
(1) Ministère américain des Affaires Etrangères, "Modèle de Terrorisme Global" (21 mai 2002) • (2) La plupart des attentats déjoués
n’est pas ébruité pour des raisons de sécurité. Mais par exemple, voir “Des arrestations ont peut être déjoué des attentats au
Yémen, en Bosnie,” Deutsche Presse-Agentur, 24 janvier 2002 et “Des troupes repoussent l’attentat ‘yougoslave’”, BBC News,
19 septembre 2000.
EUROPEAN SECURITY ADVOCACY GROUP
www.esag.info
u’u
Desclichéshumiliantspour
lecontingentbritannique
Dimanche soir, le débat faisait
encore rage en Grande-Bretagne
autour des photos très choquantes
publiéeslaveilleparleDailyMirror,
montrant notamment un soldat,
supposé appartenir au régiment du
Lancashire (QLR, Queen’s Lanca-
shireRegiment),urinantsurunpri-
sonnier ligoté et la tête couverte
d’un sac de jute. L’opposition
conservatrice attaquait le quotidien
populaire de gauche pour la publi-
cation de documents dont l’authen-
ticité est sujette à caution. Mais,
vraies ou pas, ces images ont déjà
causé un tort immense et bien réel à
unearméequi,jusqu’ici,avaitfaitde
samaîtrisesurleterrainunemarque
defabrique.
Londres ne s’y est pas trompé.
Avantmêmed’avoircherchéàvéri-
fier l’origine et la qualité des photos,
le Ministère de la défense a produit
sonplushautgradé,legénéralMike
Jackson,hérosduKosovo,quiafer-
mement condamné les actes d’hu-
miliation et de lynchage «indignes
de l’armée britannique». Si l’affaire
s’avère réelle, les soldats incriminés
risquent la cour martiale et l’expul-
sion de l’armée. Samedi, Tony
Blair, «consterné et dégoûté», a dé-
noncéaveclamêmevéhémencedes
actions qui, attribuées à des élé-
ments incontrôlés du QLR, pour-
raientêtrelerésultatd’unevengean-
ce,suiteaumeurtred’uncamarade.
La police militaire britannique
enquêtait déjà sur des allégations
d’incidents de maltraitance envers
des prisonniers irakiens remontant
aux mois d’août et de sep-
tembre 2003, durant lesquels un
jeuneIrakienavaitperdulavie.
Lesimagespubliéessamedisont-
elles véridiques? Certains indices
mettent en doute la thèse de l’arres-
tation d’un voleur tournant à une
débauchesauvageetsadiquedevio-
lence, huit heures durant, à l’arrière
d’un camion militaire. L’habille-
ment des soldats, l’absence de
marquesdecoupssurl’hommebat-
tu, sa relative passivité lorsqu’il re-
çoit un coup du canon d’une arme
automatique sur les parties géni-
tales, son T-shirt immaculé, le type
d’arme porté par les soldats britan-
niques, et même le type de camion
(les deux n’auraient pas été dé-
ployésenIrak),paraissentlouchesà
denombreuxexperts.
Dimanche soir, le tabloïd défen-
dait la véracité de son scoop, pro-
mettant même pour lundi de nou-
velles révélations émanant des deux
soldats qui ont fourni les photos au
journal. A Londres, on est absolu-
mentcatastrophédelatournureque
prennent les événements. Malgré
l’accroissement de la tension en
Irak, les Britanniques ont jusqu’ici
plus ou moins réussi à conserver la
tolérance, sinon l’appui, de la majo-
rité de la population. Ces images
vont singulièrement leur compli-
quer la tâche. Non seulement en-
verslesIrakiens,maisaussienversla
communauté internationale, qui re-
connaissait jusqu’ici à mots cou-
verts la qualité supérieure du travail
des soldats britanniques. «Nous
sommes furieux qu’une poignée de
voyous ait souillé notre nom», a lâ-
ché, dépité, le lieutenant-colonel
John Downham, secrétaire général
durégiment.
Thierry Meyer, Londres
L’authenticitédesimages
publiéessamediestmise
endoute.Londresalancé
uneenquêtesansattendre.
LeCICR
doitparler
LeComitéin-
ternationaldela
Croix-Rouge
croittoujours
queladiscré-
tionestfertile.
Maispeut-ilen-
coresetaire?
Sesdéléguésvisitentlagrande
prisondeAbouGhraib.Maisde
l’aveumêmedelagénéralequi
commandaitlesunitésdema-
tonsmilitaires,lesdétenusdu
bloc1A,oùontétépratiquéesles
tortures,n’étaientpasprésentés
auxreprésentantsduCICR.A
Genève,unetelletromperiepeut
rappelerdemauvaissouvenirs:
Therezienstadt…
Lesdéléguésvisitentaussilespri-
sonniersdétenussurlabasede
Guantanamo,àCuba.Maislà,le
refuspersistantdesEtats-Unisde
respecterleProtocoledeGenève
surlesprisonniersdeguerrea
conduitleCICRàdonnerunpeu
delavoix.Désormais,ledéfiqui
luiestlancéestbienpluslarge.La
presseaméricaineelle-mêmedé-
crit,autantqu’ellelepeut,l’ar-
chipelaméricaindedétentions
secrètesquisemetenplaceau-
tourdumonde,del’AsieduSud-
Estàl’Amériquecentrale,en
passantparl’Afghanistan(Bagh-
ram)etl’Irak.Enautomneder-
nier,unedélégationdesgardiens
deGuantanamoétaitvenueà
AbouGhraibpourprodiguerses
conseils.Etlenouveaurespon-
sabledel’ensembledescentresde
détentionenIrakvientaussidela
basedeCuba.
LeCICRestfaceàunsystèmecar-
céraldontonveutluidissimuler
lespièceslesplussombres.Ladis-
crétionn’estplustenable. A. C.
COMMENTAIRE
EPA
UNE FORCE
MULTINATIONALE dirigée par
l’ONU participera au maintien de
la sécurité en Irak après le
transfert de la souveraineté aux
autorités irakiennes le 30 juin, a
affirmé dimanche le secrétaire
général des Nations unies, Kofi
Annan.
UN CIVIL AMÉRICAIN, Thomas
Hamill, enlevé le 9 avril à l’ouest
de Bagdad, est libre et semble
avoir échappé dimanche à ses
ravisseurs. Récupéré près de
Tikrit, ce conducteur de poids
lourds américain de 43 ans était
porté disparu depuis le 9 avril.
Le général Kimmitt n’a rien dit
sur le sort des autres otages
américains, civils ou militaires.
Le 13 avril, la coalition avait
indiqué qu’une quarantaine de
personnes d’au moins 12
nationalités avaient été prises en
otage en Irak en avril. Depuis,
les forces d’occupation ne
fournissent plus de chiffres.
DEUX GÉNÉRAUX IRAKIENS,
Mohammed Latif et Jassem
Saleh, dirigeront la brigade de
Falloujah chargée de ramener
l’ordre dans la ville après le
retrait des troupes américaines.
Elle sera composée d’un millier
d’hommes. LT
S U R L E F I L
Ils ont placé le
prisonnier dans un sac
et dans de la glace, pour
l’évacuer discrètement
Laparutiondecettephotoenunedutabloïdanglais
aengendréunepolémique.Elle pourrait avoir été truquée.
Le Temps P Date N CMJ 5e
10 03.05
International10•LE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004
✶✶✶
ARABIESAOUDITE•Lafirmehelvético-suédoise
ABBaétésamedilacibled’uneattaquemeurtrière
Desterroristesmassacrent
desexpatriésaunorddeRiyad
S
elon les autorités saou-
diennes, deux Américains,
deux Britanniques et un
Australien ont été tués et trois
personnes blessées samedi dans
l’attaque menée par quatre
hommes armés, qui ont ensuite
été abattus au terme d’une cour-
se poursuite et d’échanges de
tirs avec les forces de sécurité,
dont ils ont tué un membre et
blessé18autres.
Le corps d’au moins un des
cinq Occidentaux tués a été mu-
tilé puis traîné derrière un véhi-
cule dans les rues de Yanbu, une
villeportuaire.
Les hommes armés avaient
auparavant fait irruption dans
les locaux d’une filiale du grou-
pe helvético-suédois Asea
Brown Boveri Ltd (ABB – lire
ci-dessous) à Yanbu, à 350 km
au nord-ouest de Riyad, où ils
ont ouvert le feu, la première at-
taque dans le royaume saoudien
visant des Occidentaux depuis
le début de l’année. L’un des as-
saillants serait «Abdallah Saoud
Abou Nayan al-Soubayi, qui fi-
gure sur la liste des 26 terroristes
les plus recherchés dans le
royaume». Cette liste nominati-
ve a été publiée en dé-
cembre 2003 par les autorités
après deux séries d’attentats
contre des complexes résiden-
tiels à Riyad qui ont tué 52 per-
sonnesenmaietnovembre.
Cette attaque intervient neuf
jours après un attentat-suicide à
la voiture piégée contre le quar-
tier général des services de sécu-
rité à Riyad qui a tué cinq per-
sonnes,outresonauteur.
LT/ AFP
ISRAËL • Le parti du premier ministre a voté dimanche contre le projet d’évacuation unilatérale de la bande
de Gaza présenté par ce dernier.Ariel Sharon devrait toutefois saisir le gouvernement et la Knesset
LabaseduLikoudditnonauplanSharon
Serge Dumont, Tel-Aviv
L
es sondages ne s’étaient pas
trompés. Selon les estima-
tions effectuées à la sortie des
urnes, Ariel Sharon a perdu le réfé-
rendum sur son «plan de séparation
unilatérale» organisé dimanche au
sein des deux cent mille militants du
Likoud (son parti). Selon les pre-
mières estimations, 56% ont voté
contre et 44% ont soutenu cette ini-
tiative prévoyant le démantèlement
des colonies de la bande de Gaza
moyennant le renforcement de cinq
grands blocs d’implantations de
Cisjordanie.
Dimanche matin, les enquêtes
d’opinion publiées par les grands
quotidiens populaires avaient pour-
tant décelé une remontée des «légiti-
mistes» soutenant l’initiative du pre-
mier ministre et un affaiblissement
du camp des opposants au plan
composédefauconsduLikoudain-
si que du «Yecha», le lobby des co-
lonsdeCisjordanieetdelabandede
Gaza. Cependant, au moment où
les opérations de vote débutaient
dans les 460 bureaux de vote établis
parlacommissionélectoraleduparti
nationaliste, le Hamas et les «Comi-
tés de résistance populaire» ont re-
vendiquélemitraillaged’unvéhicule
civil israélien se rendant vers le bloc
de colonies de Gouch Katif (l’une
des colonies de la bande de Gaza
susceptible d’être démantelée). Tali
Hatuel,unemèredefamilleenceinte
de huit mois, et ses quatre enfants
ont été tués par ses tirs. Quatre sol-
dats de Tsahal venus a leur secours
ontégalementétéblessésetdeuxdes
membresducommandopalestinien
ontétéabattus.
La mort de cette mère de famille
etdesesquatreenfantsasonnéladé-
faitedéfinitivedespartisansdu«plan
de séparation» puisque selon l’ex-
pression de la chroniqueuse poli-
tiqueAyalaHasson,«lesmilitantsdu
Likoudontbeaucoupplustendance
àvoteravecleurventrequ’àseservir
deleurcerveau».Certes,Tsahalara-
pidement réagi à l’attentat en tuant
quatreactivistespalestiniensdesBri-
gades des martyrs d’Al-Aqsa, dont
deux chefs, lors d’un raid aérien à
Naplouse en Cisjordanie, et en
bombardant un bâtiment de Radio
Al-Quds,unestationislamistesituée
en plein centre de Gaza-City (sept
blessés palestiniens). De plus, Ariel
Sharon a affirmé que son «plan aura
pour résultat d’empêcher de nou-
velles tueries de ce type». Mais tout
celan’apasconvainculamajoritédu
Likouddesoutenirsoninitiative.
Ces derniers jours, sentant venir
la défaite, le premier ministre avait
laissé entendre que le rejet de son
plan pourrait «mener à de nouvelles
élections législatives». Le chef de
l’opposition, le travailliste Shimon
Peres,ad’ailleursréclamédimanche
desélectionsanticipées.
Pour l’heure, ce n’est pas encore
lecas.Eneffet,selonsonentourage,
Ariel Sharon «tentera quoi qu’il ar-
rive» de faire approuver le retrait de
la bande de Gaza par son gouver-
nement et par la Knesset (parle-
ment) en passant au-dessus de
l’opiniondesonparti.S’iln’yarrive
pas,ildemanderalesoutiendel’op-
position afin de faire voter une loi
organisant un référendum national
sur le sujet. Un scrutin qui risque
cette fois de lui être favorable
puisque 65% des Israéliens se dé-
clarent en faveur de l’évacuation de
la bande de Gaza. En supposant
que cette loi ne puisse être votée,
Sharon pourrait alors songer à
mettre sa démission dans la balan-
ce. Mais ce n’est sans doute pas
pourtoutdesuite. ■
Après la mort de cinq de ses
employés lors de l’attentat qui a
eu lieu samedi à Yanbu, ABB a
annoncé dimanche le retrait de
son personnel expatrié de cette
région. Ce départ, qui concerne
en tout près de 120 personnes,
aura lieu rapidement, a indiqué
Bjorn Edlund, porte-parole du
groupe basé à Zurich. «Ce retrait
n’est que temporaire et ne remet
pas en cause notre engagement
dans la région, mais nous n’y
retournerons pas avant que la
sécurité ne soit rétablie», a-t-il
précisé. Pour ABB, les
terroristes ont visé des
Occidentaux et non le personnel
du groupe. «Nous n’avions
qu’un bureau et
vraisemblablement pas
d’enseigne sur place, estime
Bjorn Edlund. Nos
collaborateurs étudiaient le
développement de la raffinerie
gérée par l’américain Exxon
Mobil et le saoudien Sabic,
parce qu’ABB l’a construite il y a
cinq ans.» Cette raffinerie
constitue un projet important
pour ABB, qui refuse néanmoins
d’en dévoiler le montant. F. L.
ABB décide un retrait «temporaire»
Versunnouvelembrasementpalestinien?
Deux groupes armés palesti-
niens, le Djihad islamique et les Co-
mités de la résistance populaire, ont
revendiqué la responsabilité de l’at-
taque dimanche dans la bande de
Gaza, au cours de laquelle une fem-
me colon et ses quatre enfants ont
été tués. Cette attaque, qualifiée de
massacre par Israël, souligne le
risque d’embrasement sur ce terri-
toire clef du plan de Sharon. Ces
dernières semaines, le premier mi-
nistre palestinien, Ahmed Qoreï, a
passé la plus grande partie de son
temps à tenter de convaincre ses
hôtesétrangersquele«plandesépa-
ration» présenté par Ariel Sharon et
soutenu par l’administration améri-
caine «ne mènerait à rien». Si les Pa-
lestiniensseréjouissentdevoiréven-
tuellement démantelées les vingt et
une colonies juives de la bande de
Gaza, la plupart d’entre eux ne
croient pas que cette initiative chan-
gera leur vie, puisque le ministre is-
raélien de la Défense, Chaoul Mof-
haz, (partisan du plan de Sharon),
prédit que ce territoire se transfor-
meraenunesortedegrandeprisonà
ciel ouvert contrôlée de manière en-
coreplussévèrequ’aujourd’hui.
Pour l’heure, l’Autorité palesti-
nienne (AP) promet de ne pas assu-
mer ses responsabilités dans les
«zoneslibérées»delabandedeGaza
si Israël ne négocie pas l’application
du plan avec elle. Mais la réalité est
différente, puisque l’ex-patron du
Service palestinien de sécurité pré-
ventive Mohamed Dahlan prépare
d’ores et déjà le terrain. Le 14 avril,
apprenant que George Bush se ran-
geaitducôtédeSharon,Arafatavait
estimé pour sa part que «les chances
d’aboutir un jour à la paix sont dé-
sormaisfoutues».Renforcédansson
pessimismeparsesconditionsdevie
difficilesdanslaMuqataa(sonquar-
tier général de Ramallah), il semble
persuadé qu’une nouvelle flambée
de violence est en cours de prépara-
tion et met tout en œuvre pour ne
pas laisser les milices autonomes
supplanter les services de sécurité
quiluisontrestésfidèles.
S. D., Tel-Aviv
Avantlevotededimanche,
lesleaderspalestiniens
sesontlesunsetlesautres
positionnésparrapport
auplanSharon.
P U B L I C I T É
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  • 1. Le Temps P Date N CMJ 5e 01 03.05 LUNDI 3 MAI 2004 - No 1866 WWW.LETEMPS.CH CHF 2.50, FRANCE: € 2.20 J.A. 1211 Genève 2 KEYSTONE KEYSTONE Q U O T I D I E N S U I S S E É D I T É À G E N È V E TOUR DE ROMANDIE L’équipe Phonak s’offre enfin une victoire prestigieuse P. 30 POLÉMIQUE Ruth Metzler, un livre pour régler ses comptes avec le PDC P. 13 Services/Décès...................................16 Cinéma..........................................................17 Courrier des lecteurs ..................18 Bourses........................................................26 Météo/Radio/TV.................................36 LanouvelleEuropeetnous● Fêtes populaires et cérémonies officielles ont marqué ce week- end l’élargissement de l’Union européenne à dix nouveaux pays ● Ce moment d’histoire est resté sans influence sur le débat européen en Suisse, dominé par les dernières négociations des accords bilatéraux ● Dans la pratique, pourtant, l’influence de l’UE sur la Suisse ne cesse de grandir: une grande partie des lois suisses est inspirée par les directives européennes ● Le débat: Peter Bodenmann et Beat Kappeler confrontent leurs points de vue, pour et contre l’adhésion de la Suisse à l’Europe ● Six personnalités de l’ancienne et de la nouvelle Union européenne écrivent à la Suisse: «Tôt ou tard, vous nous rejoindrez» Pages 2, 3, 4, 5, 6 et 7 9 771423 396001 1 0 0 1 9 EPA ISRAËL Sur fond de violences, le Likoud rejette le plan de retrait d’Ariel Sharon P. 10 Livres:lePrix quifaitvendre ■ Isabelle Rüf ■ Hier soir, quand le Salon du livre de Genève a fermé ses portes, Michel Layaz a dû pous- ser un double soupir, de fatigue et de contentement. Lauréat du Prix des auditeurs de la Radio suisse romande, il s’est vu trans- former en un personnage public dont la vie quotidienne vaut d’être racontée, photographiée. En cinq jours, il a déjeuné avec des journalistes; assuré sa pro- motion sur le stand de France Loisirs qui propose son livre à ses abonnés suisses; signé des di- zaines d’exemplaires des Larmes de ma mère et beaucoup du ro- man suivant, La Joyeuse Com- plainte de l’idiot; répondu aux questions de ses électeurs sur le podium de la RSR au cours d’une émission spéciale au Salon du livre samedi et reçu toutes sortes d’invitations. «C’est éton- nant de rencontrer concrète- ment ceux à qui va le livre», dit le lauréat. Pourtant ce récit, paru en 2003 chez Zoé, n’était pas passé inaperçu. Il avait déjà reçu l’an dernierlePrixDentan,lepluslit- téraire, décerné par des profes- sionnels de la lecture. Mais, dans la jungle exubérante des prix lit- téraires romands, le Prix des au- diteurs est le seul qui octroie une telle visibilité. «Et qui fasse vendre», confirme Marlyse Pie- tri,sonéditrice.C’estqu’ilestdé- cerné par un jury populaire, re- présentant l’ensemble de la population et qu’il inspire donc confianceaupublic. Suite en page 34 Quelestl’impactd’une distinctionlittérairesur lesventes?AuSalondulivre, voyagedanslehuisclos desPrixquifleurissent enSuisseromande LE TEMPS SA 3, place de Cornavin, CP 2570, 1211 Genève 2, e-mail: info@letemps.ch • RÉDACTIONS: Genève: Tél. 022/799 58 58, Fax 022/799 58 59 Lausanne: Tél. 021/310 19 50, Fax 021/310 19 59 Neuchâtel: Tél. 032/724 98 16, Fax 032/724 98 24 Sion: Tél. 027/322 68 35, Fax 027/322 68 36 Berne: Tél. 031/326 75 75, Fax 031/326 75 76 Zurich: Tél. 044/213 17 77, Fax 044/213 17 78 • ABONNEMENTS: Tél. gratuit 00 800 0 155 91 92, Fax 022/799 58 12, e-mail: abos@letemps.ch • PUBLICITÉ: Espace Pub/Publicitas Genève: Tél. 022/799 59 00, Fax 022/799 59 01 Zurich: Tél. 044/213 17 88 ✶✶✶ AquandlaSuisse?RéponseàBruxelles A quand la Suisse? Devant le continentquis’estréconcilié ceweek-end,alorsquel’Ode àlajoiedeBeethovenrépandaitson frisson de Prague à Dublin, com- ment poser autrement la question de l’îlot helvétique, rendu plus mi- nusculeencoredansl’océanélargi? Ons’étonneicioulàquel’élargis- sementdel’Unioneuropéennen’ait pas provoqué chez nous le réveil du débat. On s’étonne à tort. L’idéal et le lyrisme ont déserté depuis long- temps la discussion européenne. Chez les nouveaux membres eux- mêmes, il a d’abord été question de croissance et d’emplois au moment d’envisager l’adhésion. Bruxelles a cessédefairerêver,etseulsleshisto- riens ou les responsables politiques mesurentlecauchemardanslequel le continent aurait pu plonger si l’Union n’avait pas été là, comme force pacificatrice et comme pers- pective d’avenir, au moment où le blocsoviétiques’estécroulé. En réalité, deux facteurs décide- rontdusorteuropéendelaSuisse:le rapport de force et les évolutions économiques. L’élargissement, de toute évidence, va affaiblir notre voixparticulière.Faceàunemachi- neeuropéennepluslourde,oùlesin- térêts nationaux pèseront davanta- ge, le partenariat à la carte négocié de manière bilatérale deviendra plusdifficile,sinonimpossible. En revanche, la compétitivité de l’Union devrait se renforcer, à ter- me, avec l’arrivée de pays certes pluspauvres,maisaussidéterminés à faire jouer leurs avantages: la concurrencefiscaleetsalariale. Que la volonté politique des Vingt-Cinq s’infléchisse, que les courbes de prospérité se rejoignent, et le choix n’en sera plus un. On a déjà vu l’inquiétude répandue dans le pays par les bouchons provoqués parlezèledesdouaniersallemands. Ouparlamenaced’unetaxeàlaré- exportation.Ouparlespressionsal- lemandessurl’aéroportdeZurich. La Suisse n’est pas plus forte qu’une autre, elle ne sacrifiera pas longtemps ses intérêts à l’image qu’elle a de sa souveraineté. Le jour n’estpasvenu.Lejourviendrapeut- être. Mais c’est à Bruxelles qu’il en seradécidé,plutôtqu’aufonddenos cœurs. ■ ÉDITORIAL Par Jean-Jacques Roth Prisonniersirakiens: lesphotosdelahonte AprèslesEtats-Unis,laGran- de-Bretagne. Le Daily Mir- ror a publié ce week-end des photos montrant des soldats britan- niques se livrant à des traitements dé- gradants sur des dé- tenus irakiens. Bien que l’authenticité de ces clichés soit contestée, la publi- cation de ces images a déclenché une vague de répro- bation en Grande-Bretagne et provoqué l’ouverture d’une en- quête. Tony Blair s’est déclaré «consterné et dégoûté». Cette af- fairesuitlarévélation,auxEtats- Unis, des tortures et mauvais traitements infligés aux prison- niers du contingent américain à Abou Ghraib, l’une de prisons les plus sinis- trementcélèbresduré- gime de Saddam Hus- sein. La divulgation de ces éléments embar- rasse l’administration américaine, qui affir- me que ces comporte- ments sont isolés. Mais l’hebdo- madaire The New Yorker, dans son édition d’aujourd’hui, pu- blie les détails d’un rapport ac- cablantsurlesagissementsamé- ricains. Page 9 ■ Dans le sillage de Google, l’envol boursier des sociétés high-tech P. 19 ■ Quelles perspectives pour les actions américaines? P. 21 ■ Chômage et impôts P. 21 ■ Fonds de placement: une cuvée encourageante P. 23 ■ Repères: Les trois «T» de la croissance P. 24 ■ Trois questions sur la reprise des obligations à haut rendement P. 25 ■ Notation de la dette: les triple A se font rares P. 27 LUNDI FINANCE DansleParcduCinquantenairedeBruxelles,uneatmosphèredekermesseprintanière.Dans la capitale belge, des milliers de personnes ont envahi samedi le quartier européen pour y célébrer l’élargissement. BRUXELLES, 1er MAI 2004
  • 2. Le Temps P Date N CMJ 5e 02 03.05 Faceàl’Unioneuropéenneélargie,D.S. Miéville L’ élargissement de l’Union européenne ne devrait pas laisser la Suisse indifféren- te. Qu’elle demeure volontairement ou non une île, son insularité ne peut que s’accentuer à mesure que s’agrandit l’océan eu- ropéenquil’entoure.Economique- ment, politiquement, culturelle- ment, les rapports de force entre la Suisse et l’UE élargie devraient être modifiés par l’augmentation de la masse de l’un des deux partenaires. Si ces rapports étaient régis par les loisdelagravitationgéopolitique,la force d’attraction de l’UE sur la Suisse devrait augmenter, à moins au contraire que l’effet répulsif qu’elle exerce sur certains milieux ne soit démultiplié. Au moins ces perspectives pourraient-elles don- ner lieu à discussions et à contro- verses.Iln’enestrien. Il existe bien un discours suisse standard, succinct et passe-partout sur l’élargissement de l’UE. Il se borne presque exclusivement à évoquer les avantages de l’exten- sion de la libre circulation des per- sonnes.L’argumentmajeurestque l’économie a tout à y gagner et que l’ouverture du grand marché euro- péen constituera un facteur de croissance. On insiste un peu moins sur l’ouverture d’un nou- veau réservoir de main-d’œuvre qualifiée, perspective qui donne lieu à des discussions très serrées entre patronat et syndicats sur des mesures d’accompagnement. La seuledimensionpolitiquedecedis- cours réside dans le constat que ce qui est déjà difficile avec une Eu- rope à quinze le sera d’autant plus avec une Europe à vingt-cinq, ce qui rendra singulièrement étroite à l’avenirlavoiebilatérale.Pointn’est besoin d’être un grand visionnaire pour parvenir à cette conclusion. Laréflexionetlaprospectives’arrê- tentpourtantlà.Iln’yaguèred’évé- nements ayant des conséquences directespourlaSuissedontonaura aussi peu parlé, en Suisse, que de l’élargissementdel’UE. Lenombrilismeenvertuduquel nous ne considérons et commen- tons l’intégration européenne qu’à traverslalunettedenospropresin- térêts à court terme y est pour quelque chose. L’élargissement concerne une entité, l’Union euro- péenne, dont nous ne faisons pas partie, donc ce n’est pas notre af- faire. Il y a toutefois d’autres rai- sonsàcedésintérêt. Même les deux aspects de l’élargissement qui concernent concrètement la Suisse, l’exten- sion de la libre circulation des per- sonnes aux dix nouveaux Etats membres et la participation à l’ef- fort de cohésion n’ont été que très peu ou pas du tout médiatisés. Dans le premier cas, la négocia- tion, peu spectaculaire parce que portant sur les modalités, quotas et délais, de l’entrée en vigueur des accords avec les dix nouveaux membres de l’UE, est restée dans l’ombre des bilatérales bis. Ce dé- faut de médiatisation a du reste empêché les milieux nationalistes comme l’ASIN, opposés sur le fond à la conclusion de tout nou- vel accord avec l’UE jusqu’à la fin de la décennie, d’embrayer effica- cement sur une vaste polémique. Dans le second cas, la question, officiellement posée en juillet der- nier par la Commission euro- péenne, a été occultée avec beau- coup de détermination par le Conseil fédéral, pour ne pas bra- quer ces mêmes milieux. Il a fallu que les demandes de Bruxelles se fassent vraiment pressantes, à un moment crucial pour l’avenir des bilatérales, pour que le Conseil fé- déralaccepte,ilyadixjours,d’en- trer explicitement en matière sur leprincipe. Cette question de la participa- tion à l’effort de cohésion a fait en quelquesortel’objetd’unecensure dans la censure. Si la réflexion sur l’élargissement ne s’est pratique- ment pas développée, c’est en pre- mier lieu parce que le débat européen reste suspendu, pour l’instant, à l’aboutissement, ou à l’échec, des négociations bilaté- rales. Le monde politique a tiré les leçons de l’échec de l’EEE comme de celui de l’Initiative des jeunes. En 1992, le Conseil fédéral avait anticipé l’étape suivante, en dépo- santsademanded’adhésionàl’UE dans le courant de la campagne, avec les conséquences que l’on sait.En2001,ladébâcledel’Initia- tive des jeunes avait sonné le glas d’une approche volontariste de l’adhésion à l’UE. Il en résulte au- jourd’huiuneformed’interdit,po- litique, intellectuel et médiatique sur ce qui se passera, quelle qu’en soit l’issue, après les négociations bilatérales. D’abord achever les bi- latérales et ne préjuger en rien de la suite, ce mot d’ordre a été tacite- ment adopté dans tous les milieux, même les proeuropéens les plus passionnés. Curieusement, il est même respecté, a contrario, par les opposants les plus farouches à la politique d’intégration du Conseil fédéral. L’ASIN, par exemple, a focalisé toute son attention sur son oppositionàSchengen. Le frémissement enregistré au mois de mars dans l’opinion a Alors que l’Union européenne compte désormais vingt-cinq Etats membres, dont huit pays de l’ancien bloc communiste, la Suisse continue imperturbablement à suivre sa voie solitaire et à camper sur ses positions. Echaudés par leurs échecs successifs, les partisans de l’adhésion jouent eux-mêmes profil bas, de peur de susciter des réactions de rejet défavorables à leur cause. Rien ne devrait ainsi bouger avant l’aboutissement des négociations bilatérales. Après, différents scénarios sont possibles ✶✶✶ La débâcle de l’Initiative des jeunes a sonné le glas d’une approche volontariste Bruxelles? Une«usine àpapiers» «Toute perspective d’adhésion de la Suisse à l’Union eu- ropéenne apparaît à ce stade hors de propos. En demeu- rant indépendante, la Suisse préserve davantage de marge de manœuvre pour négocier avec des tiers», a rappelé lundi dernier encore Ueli Forster. Président d’economiesuisse depuis novembre 2001, Ueli Forster est le premier «patron des pa- trons» issu de la branche du textile. L’orga- nisation faîtière a trouvé en lui un parfait défenseur de la ligne pragmatique. En 2001, inquiet des critiques contre la «pen- sée unique imposée par l’économie à la po- litique», il avait plaidé pour «freiner le ryth- me de la dérégulation». Aujourd’hui, il demande un programme de réformes basé sur «une politique de déréglementation et de débureaucratisation propre à libérer les entreprises du carcan administratif». Or, précisément, l’Europe illustre, aux yeux d’economiesuisse, «l’usine à papiers» dont elleneveutpas. Aujourd’hui,aprèsavoirfaitretirerlesec- teurdesservicesdesnégociationsbilatérales parce qu’elle voulait préserver certaines ex- ceptions helvétiques, economiesuisse se range comme un seul homme derrière le Conseil fédéral: il faut en priorité conclure les négociations bilatérales. Pas question non plus, comme s’y sont risqués les ban- quiers,derompreavecleparallélisme,c’est- à-dire la signature en même temps de tous les accords négociés avec Bruxelles, y com- pris Schengen et Dublin. Mais gare à ceux quiveulentvoirplusloin. «Il importe qu’il y ait une unité de doctri- ne entre le Conseil fédéral et les principales forces de notre pays, déclarait la semaine dernière Ueli Forster. Il est donc incompré- hensible, pour ne pas dire irresponsable, de lapartdescantonsqu’ilssemêlentàcestade délicatdeformulerleurspropresconsidéra- tionssurlapolitiqueeuropéenne.» Y.P. UELI FORSTER, ECONOMIESUISSE POUR L’ADHÉSION, MILITANT Tropoptimiste,leConseilfédéralavaitdéposéunedemande d’adhésionàl’UEavantlavotationsurl’EEE. ARCHIVES L’éprouvantesolitudedesdiplomatessuissesdans PourleseulLanddeBavière,40diplo- mates. Pour la Suisse, une quinzaine. A Bruxelles, la comparaison est écrasante entre les représentations nationales ou régionales des pays membres de l’UE et celle de la Suisse. Or, c’est à Bruxelles que désormais prend naissance une bon- ne partie du droit helvétique. Sinon tota- lement à notre insu, du moins sans que nousayonsnotremotàdire. Car face aux 10000 lobbyistes de ré- gions européennes, d’entreprises ou de branches industrielles qui flairent, obser- vent et cherchent à influencer en leur fa- veur les futures directives européennes, la Suisse est quasi absente. A peine une petite trentaine d’observateurs de l’in- dustrie, de la pharmacie ou de la re- cherche, et de quelques multinationales. Des lobbyistes professionnels, comme l’avocat bruxellois Jean Russotto, qui dé- fend les intérêts des banques suisses no- tamment, ou des antennes institution- nelles, comme l’ancien journaliste Roland Krimm, qui du cœur de la mis- sion suisse sert d’alerte avancée à la Conférence des gouvernements canto- naux. De toute manière, les «Suisses de Bruxelles» ne pourraient intervenir qu’indirectement, par le biais de pays amis. IlyaaussidesSuissesplussollicités,ce sont ceux de Swiss Core, le Bureau de liaisonpourlarechercheetlascience,qui emploie trois personnes. Martina Weiss, qui le dirige depuis deux ans, reconnaît que la Commission est très contente de les avoir comme point de contact: «Ils nous ont souvent posé des questions sur la manière de faire en Suisse. Comme les Suisses sont très bons dans les domaines de la recherche, il n’y a pas de problèmes dansnoscontactsaveclesEuropéens.» Ce n’est pas le cas pour tout le monde. A Bruxelles récemment pour les notaires suisses, le Valaisan Jean-Michel Cina ex- pliquait qu’il lui fallait ruser, interroger ses confrères allemands pour connaître les intentions de la Chambre européenne des notaires, puis tenter de faire passer sessuggestionsparlemêmebiais.Carles tabellions le savent bien, s’ils veulent suivre leurs clients dans leurs activités in- ternationales, il leur faudra avaler aussi lesnormeseuropéennes. Si, comme le regrette le secrétaire d’Etat Franz von Däniken, «la Suisse pèse de moins en moins politiquement à Bruxelles», on peut se demander si, de son côté, elle investit suffisamment. Certes, diplomates et experts suisses vi- vent à Bruxelles à un rythme que l’on soupçonne à peine à Berne ou à Zurich. «Ilfautêtrepartoutàlafois,ditl’un,repé- rer les colloques, les papiers de travail, les projets qui pourraient avoir des consé- quencespourlescantons…» Bien sûr, les Suisses de Bruxelles ne disposent pas des mêmes facilités que les autres lobbyistes. Ainsi, pour suivre comme les journalistes les travaux du Conseil des ministres ou du Conseil (chefs de gouvernement), les diplomates suisses ne disposent que d’une seule ac- créditation, qu’ils se repassent soigneu- sement.Maischacunsedébrouilleplutôt bien. «Ça dépend beaucoup de notre tra- vail, dit un diplomate suisse. Il faut repé- rerlesexpertsdemêmerangquesoidans les différentes missions européennes et puis établir le contact. Mais ce n’est pas particulièrementdifficile.» LaConfédérationestsous- représentéedanslacapitale del’Unioneuropéenne,qui nes’intéresseguèreàsonsort. YvesChristenjoueprofilbas Quand le conseiller natio- nal Yves Christen accepte à la fin de l’année dernière de re- prendre la présidence du Nomes, le nouveau mouve- ment européen suisse, suite à la non-réélection du Bernois Marc Suter, sa démarche re- lève de l’œuvre de charité. C’est avant tout par amitié pour son ex-collègue que le radical vau- doisdécidedereprendreleflambeau. Alafinde2003,leNomes,quines’est jamais relevé de l’échec de l’initiative «Oui à l’Europe», est au fond du trou, le militantisme européen en panne et l’op- timisme en berne. En fin de carrière, l’ancien président du Conseil national peut se permettre de se consacrer à une cause où il n’y a aucun laurier à glaner. Une septantaine de candidats ont bien accepté de porter une étiquette proeuro- péenne, mais la soirée préélectorale or- ganisée par le Nomes est aussi lugubre que déserte. Au début de 2004, les choses ne vont pas beaucoup mieux. Le programme de législature a enterré la question de l’adhésion jus- qu’aux prochaines élections fédérales,avantqu’onn’enre- gistre dans l’opinion publique unsursautencoreambigu. Yves Christen est l’un des rares parlementaires à entre- tenir la flamme européenne en première ligne. Le moral est remonté depuis le début de l’année, mais les proeuropéens sont devenus prudents. Le Nomes compte plutôt sur des personnalités de la société civile pour soutenir un manifeste de- mandant l’ouverture rapide de négocia- tionsavecl’UE.YvesChristenlui-même considère le renforcement du Nomes comme une alternative à la passivité des partis. Ce manifeste permet également à de nombreuses personnalités politiques de manifester leur engagement euro- péen dans un cadre extrainstitutionnel, donc de façon moins provocatrice. On trouve surtout des Romands sur la liste dessignataires,avanttoutdessocialistes, plusquelquesradicauxetlibéraux. D. S. M. KEYSTONE POUR L’ADHÉSION, RÉALISTE PascalCouchepinmisesurladurée Les frontières sont sans aucun doute poreuses entre le camp des militants et celui des réalistes. Le se- cond regroupe à peu près tous les parlementaires ro- mands, à l’exception des démocrates du centre, qui n’appartiennent pas au pre- mier, plus les socialistes, les Verts et une frange de bourgeois alé- maniques. Ils sont en règle générale convain- cus que la Suisse finira par adhérer à l’Union européenne, à la fois par une sorte de fatalité géopolitique et parce qu’elle ne pourra pas faire autrement, mais estiment que le militantisme actif ne fait pas nécessairement avancer les choses. Ils sont nombreux dans cette caté- gorie à avoir voté contre l’initiative «Oui à l’Europe». Comme Pascal Couchepin, par exemple, qui dit de- puis des années que la Suisse entrera dans l’Europe lorsqu’une majorité sera convaincue qu’elle ne peut plus faire autrement. En atten- dant que ce jour advienne, il s’agit de peser soigneuse- ment ses engagements, au- tant pour ne pas gaspiller inutilement ses forces que pour éviter de donner des armes à l’adversaire. Ce courant est donc, par natu- re, peu expansif, et nul ne s’en réclame bruyamment. C’est plus au travers d’échanges d’idées que de proclamations de foi qu’on identifie ses partisans. On peut compter parmi eux les membres des gouvernements canto- naux qui sont sortis de l’ombre à fin mars de façon remarquée. Leurs pro- positions ont été largement surven- dues dans un sens favorable à l’adhé- sion à l’UE. Elles traduisent néanmoins l’évolution symptoma- tique de larges milieux, qui admettent que la voie bilatérale ne sera plus pra- ticable et qu’il faudra bien en tirer, à plus ou moins long terme, les consé- quences. D. S. M. KEYSTONE KEYSTONE DR
  • 3. Le Temps P Date N CMJ 5e 03 03.05 queldestinpourl’îlotsuisse? ✶✶✶ La Suisse et la nouvelle EuropeLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •3 LamissionsuisseauprèsdelaCommissioneuropéenneàBruxelles.Si les bilatérales devaient échouer, les rapports entre la Confédération et l’Union devraient être reconsidérés en profondeur. ARCHIVES ledédalejuridiquecommunautaire Ainsi Roland Krimm a-t-il mis la main sur un projet de directives pour la libérali- sation des services en Europe qui, sous la pression britannique, prévoit la fin du monopole des Etats sur les loteries. On imagine l’embarras des cantons suisses, accrochés aux gains de Swiss Lotto, lors- qu’il faudra bien un jour ouvrir des négo- ciationssurlevolet«services». Car Bruxelles n’est pas pour la Suisse une capitale comme les autres. C’est ici que naissent les normes alimentaires, les codifications techniques des machines à laver, les exigences professionnelles im- posées aux voyagistes ou les règles de concurrence qui, demain, seront reprises presque sans sourciller par le Conseil fédéral et les Chambres. Plus de la moitié des lois suisses qui relèvent du secteur économique trouvent leur source dans les directives européennes, constatait, dansCash,ThéoZijdenbos,représentant d’economiesuisse à Bruxelles. En réalité, il n’y a pas une loi ou une ordonnance qui ne sorte du Palais fédéral sans avoir passé son examen d’eurocompatibilité. Depuis une quinzaine d’années, tous les mes- sagesduConseilfédéralsurdesprojetsde loi comportent obligatoirement un cha- pitreàcesujet. La Suisse se voit aussi contrainte de re- prendre les modifications du droit euro- péenquidécoulentdesaccordsbilatéraux déjà signés avec l’UE, comme pour la librecirculationdespersonnes.Lareprise n’est certes pas automatique, puisqu’un comité mixte helvético-européen passe régulièrement les modifications sous la loupe.«Maisilyadefortespressionspour que la Suisse se glisse dans le moule de l’Europe, dit un expert suisse. L’UE veut un espace de libre circulation le plus ho- mogène possible et a horreur des cas par- ticuliers.» Ainsi médecins, hôpitaux et cantons devront-ils assez rapidement se donner les moyens d’intégrer la carte eu- ropéenne d’assurance maladie qui sera généralisée en Europe l’an prochain. Une véritable «libre circulation des patients» qui tranche avec les clauses cantonales restreignantleshospitalisations. Franz Däniken annonçait, jeudi soir au Salon du livre, que désormais l’ère des grandes négociations bilatérales s’ache- vait avec l’aboutissement du second round des bilatérales. Il ne devrait plus y avoirquedesajustementsaufildel’évolu- tiondudroiteuropéen,selonlui.Resteun grand secteur où les pressions ne de- vraientpasmanquer:lesservices,soit60% desactivitéséconomiquesdelaSuisse. A lire entre les lignes les raisons pour lesquelles le Conseil fédéral a renoncé à poursuivre les négociations, on voit bien que l’économie suisse, malgré ses incan- tations pour une révolution libérale, n’est pas prête à faire le pas que lui demande l’Europe. «La Suisse souhaite se limiter à un accord de libéralisation limitée à des prestations de services autorisant dans certains cas des exceptions à l’acquis communautaire»,écrivaitBerne.Enclair, certains secteurs économiques auraient dû pouvoir maintenir les cartels de fait ou des monopoles bénis par l’Etat. Alors que Bruxellesdemandaitnonseulementlare- prise de l’acquis communautaire, mais aussi la protection des consommateurs, des comités d’entreprise, le droit de concurrenceetlaprotectiondesdonnées. Les entreprises suisses de services ne pourront pas rester longtemps défavori- sées sur le marché européen, prédit un spécialiste. Quand elles voudront renégo- cier ce secteur, cela risque d’être encore plusdouloureux. Yves Petignat Collaboration: Eléonore Sulser, Bruxelles CONTRE L’ADHÉSION, PRAGMATIQUE RolfSchweigerprônelasouplesse Il faut un porte-parole et un discours pour structurer un courant politique. Le conseiller aux Etats zougois Rolf Schweiger a sans doute toujours eu la même attitude envers l’Europe, mais c’est depuis qu’il a accédé à la présidence du Parti radical suisse qu’il donne l’impres- sion de pouvoir fédérer un tel courant. Commechezlesnationalistes,l’oppo- sition du successeur de Christiane Lan- genberger à la tête du PRD tient de la profession de foi, mais pour des raisons différentes. L’avocat zougois, actif dans les milieux de la finance, voit l’avenir de la Suisse sur les marchés américains et asiatiques, pour autant qu’elle sache procéder à des réformes internes, beau- coup plus que dans l’UE. Rester en de- hors de l’UE constitue pour lui un idéal. Plus flexible si elle renonce à adhérer, la Suisse sera à son avis avantagée par rap- port aux Européens sur les marchés d’outre-mer. C’est aussi l’idéal d’economiesuisse, qui disposait déjà d’impor- tants relais dans les milieux politiques, à commencer par leministredesFinances,lera- dical Hans-Rudolf Merz. L’élection de Rolf Schweiger à la présidence des radicaux lui offre bien mieux qu’un re- lais,unporte-paroleenmesu- re de formuler et de propager ses thèses avec un écho beaucoup plus sonoreauniveaupolitique.RolfSchwei- ger, dès le jour de son élection, a entre- prisdedessinerlescontoursd’unedroite bourgeoise moderne, opposée à l’adhé- sionàl’UEplutôtquefoncièrementanti- européenne, puisqu’elle est en partie fa- vorable à l’entrée de la Suisse dans Schengen. Une large partie des radicaux aléma- niques se retrouve sur ces positions, dé- fendues également par l’éditorialiste Beat Kappeler. Les démocrates-chré- tiens alémaniques peuvent s’identifier à ce courant, de même que la frange de l’UDC pour laquelle le rejet de l’Europe n’estpas«tripal». D. S. M. KEYSTONE CONTRE L’ADHÉSION, NATIONALISTE HansFehrtiresurtoutcequibouge Il y a, au sein de l’UDC comme dans certains grou- puscules d’extrême droite, des adversaires de l’Europe tout aussi, voire plus encore, résolus que Hans Fehr. Le di- recteur de l’ASIN (Action pour une Suisse indépendan- te et neutre) est néanmoins le porte-drapeau emblématique de l’opposition qui, à chaque occasion, affiche un message d’erreur dès qu’il est question de collaborer, de près ou de loin,avecl’UE. Ladroitebourgeoiseanti-européenne refuse l’adhésion parce qu’elle estime que la Suisse a de meilleures cartes à jouer, dans la configuration actuelle, en dehors plutôt qu’en dedans de l’UE. La droite nationaliste ne se préoccupe au fond pas tellement des avantages ou des inconvénients de l’une ou l’autre option. Pourelle,c’estlaparticipationdelaSuis- se à toute organisation supranationale – elle tenait le même langage à propos de l’ONU - qui est intrinsèquement vi- cieuse et dommageable. C’est la dé- marche, avant le résultat, qui compte. Envisager un rap- prochement avec l’UE, c’est démontrer que l’on est «fati- guédelapatrie». La droite nationaliste est tout à fait prévisible. Elle tire sans discrimination sur tout ce qui bouge en direction de Bruxelles. Pour l’instant, elle menace de s’en prendre à l’extension de la libre circulation des personnes et au «contrat colonial de Schengen», qu’elle condamne à un double titre. Ces rap- prochements sont dangereux en tant que tels, mais encore plus dans la mesu- re où ils fraient la voie à l’adhésion à l’UE. La droite nationaliste s’incarne, au parlement, dans la très grande majo- rité du groupe UDC et a jusqu’ici ins- trumentalisé l’ASIN, organisation fon- dée par Christoph Blocher, pour attaquer la politique européenne du Conseilfédéral.Leproblèmedel’ASIN est qu’elle est aujourd’hui orpheline de son président charismatique, élu au Conseilfédéral. D. S. M. KEYSTONE Resterdehors, aunomdu«secret professionnel» «La question de l’in- tégrationàl’UEnese posepaspourlemo- ment et cette ques- tion serait plutôt du domaine de la poli- tiquequedeceluides banques», telle est la réponse officielle de l’Association suisse des banquiers (ASB) lorsqu’onl’interrogesurl’avenirdesrelations de la Suisse. L’ASB limiterait donc ses pers- pectives à quelques mois. Pourtant, les prin- cipaux dirigeants de l’association, à l’image de leur président, Pierre Mirabaud, ne ca- chent pas leur rejet de toute idée d’adhésion. Les banquiers privés avaient même réussi à pousserleslibérauxjusqu’àrenierleurcredo européen. En jeu, le secret bancaire, ou plu- tôt«lesecretprofessionneldubanquier»,que l’UE s’ingénierait à brocarder, selon le rap- port annuel du président de l’ASB. C’est pourquoi les banquiers avaient salué les ef- forts de Kaspar Villiger pour conclure à sa plus grande satisfaction les négociations sur lafiscalitédel’épargne. Associé senior de la banque Mirabaud & Cie à Genève, président de l’ASB depuis 2003, Pierre Mirabaud, 55 ans, avoue avoir unpenchantpourlesidéesdel’UDC.Ilsiège d’ailleurs au conseil d’administration de la Weltwoche,unhebdomadairequis’estvigou- reusement engagé pour faire élire Christoph BlocherauConseilfédéral. «Personnellement, j’ai toujours défendu l’idée que la Suisse pouvait très bien vivre sans entrer dans l’Union européenne. Au- jourd’hui, cette idée est partagée aussi bien par une majorité des Romands que des Alé- maniques», répondait Pierre Mirabaud au lendemain de la victoire de l’UDC aux élec- tions fédérales. Au sujet des bilatérales, le président de l’ASB fut l’un des premiers à proposerderenoncerauxaccordsdeSchen- gen/Dublinetàsigner«lesaccordsdéjànégo- ciésendehorsd’unenégociationglobale».Ce qui a poussé les critiques à se demander si «l’ASB ne prenait pas le reste de l’économie enotage». Y. P. PIERRE MIRABAUD, ASSOCIATION SUISSE DES BANQUIERS KEYSTONE MICHELVANDENEECKJOUDT/VU peut-être été prématurément capi- talisé par le mouvement européen. Les contrôles renforcés à la fron- tière allemande et les embarras qui en ont résulté pour les populations locales,coïncidantaveclatentative de l’UE d’imposer les réexporta- tions suisses, ont attiré l’attention du public, mieux que tous les dis- cours, sur les inconvénients qu’il y a à ne pas être membre de l’UE. A posteriori, il apparaît que cette pri- se de conscience aura produit un élanpropreàrendreSchengenpo- litiquement acceptable, mais sans effet réel, à ce stade, sur la problé- matiquedel’adhésion. Silesnégociationsbilatéralesbis sont un succès, il faut être conscientqu’onneparlerapasplus après qu’avant l’élargissement. L’interdit posé par l’expérience de l’EEE sur l’évocation de l’étape suivante demeurera tant que les accordsbilatérauxbisn’aurontpas été ratifiés par le parlement et ac- ceptés par le peuple. Si par contre les négociations devaient échouer, les rapports entre la Suisse et l’Eu- rope devraient évidemment être reconsidérés. Loin de pousser à l’adhésion,l’échecdelavoiebilaté- rale devrait au contraire débou- cher, au moins dans un premier temps, sur la recherche de solu- tions alternatives, dans le genre union douanière ou accord d’asso- ciation. Qu’il faille envisager ces solutions avec une Europe à vingt- cinq plutôt qu’avec une Europe à quinze, avec une Europe fédérale plutôt qu’avec une Europe centra- lisée ne change pas grand-chose à l’affaire. Dans l’intensité du rejet et de la méfiance que suscite en Suis- se la construction européenne, ni son étendue ni son architecture ne jouentungrandrôle. ■
  • 4. Le Temps P Date N CMJ 5e 04 03.05 4 •LE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 ✶✶✶ Al’heuredel’élargissement,l’ancienprésidentduPartisocialistePeterBodenmannlanceunplaidoyerpourl’adhésionetréclameunprojet offrantdesréponsesclairesauxquestionsconcrètes,souslaformed’unprogrammede«NewDeal»entrelaConfédérationetl’Europe «LaSuisseestimpotenteparsafaute» Peter Bodenmann L ongtemps, on n’a plus parlé d’Union européenne. La question de l’Europe a été soigneusement évitée lors des dernières votations. Même les jeunes et la gauche sont devenus muets. Pourtant des tabous sont parfois brisés. Pour le patron de Migros, Anton Scherrer, la Suisse est menacée d’appauvrissement si nousn’entronspasbientôtdansl’UE.Pour l’ancien secrétaire d’Etat Franz Blankart, les citoyens qui ont voté contre l’Espace économique européen ne sont pas en droit deseplaindredubruitdesavionsdanslaré- gion zurichoise. Et pour le banquier Hans J.Bär,lesecretbancairen’apasdejustifica- tion éthique et n’a plus pour effet que de rendrenotreéconomieobèseetimpuissan- te.Parcequecesvoixsontinattendues,per- sonne n’y prête attention. L’Europe ne s’impose dans l’actualité que lorsque sur- gissent des problèmes concrets: l’aéroport de Zurich, les embouteillages à la frontière, la taxation des biens réexportés. Et tous pressententquecen’estlàqu’undébut. Nous sommes constamment importu- nés et irrités par de nouvelles surprises que personnen’avaitprévues.LaSuissesetient en permanence sur la défensive. Ni nos courbettes empressées ni nos voyages à Berlin ne font avancer les problèmes. Le processus d’intégration européenne s’ac- célèreetrendlasituationtoujoursplusobs- curepourlesHelvètes. En 1992, les Suisses ont voté sur l’EEE. Juridiquement, la majorité des cantons n’était pas requise; la majorité du peuple n’apasétéatteinteparcequelesVertsetdes militantsduPartisocialisteontdéposédans l’urne un non constructif. On attend tou- jourslespropositionsconstructivesdesop- posants à l’Europe. L’économie suisse stagnedepuis1992–est-ceunhasard?Au- cun autre pays de l’OCDE n’affiche un taux de croissance aussi bas. Les anciens pays membres de l’Association européen- ne de libre échange (AELE) enregistrent une croissance deux à trois fois plus vigou- reuse, malgré des quotes-parts de l’Etat plusélevées. Même sur le plan de l’écologie, la Suisse aperdusonavance.EnAllemagne,lesmai- sons doivent être mieux isolées que dans plusieurs cantons suisses. Dans le Steier- mark autrichien, les éoliennes produisent à 2000 mètres d’altitude 40 millions de kWh d’électricitéparannée,tandisquesurl’alpe de Gütsch (Uri), ABB démantèle la seule exploitation éolienne de haute montagne enSuisse.Ellenefonctionnaitpas… Ces dix années maigres, ces années de croissance anémique en comparaison in- ternationaleontdeuxcausesprincipales. Les revenus en Suisse sont répartis de manière trop inégale. Le fossé entre les dé- tenteurs du capital et les salariés se creuse. Le taux d’épargne continue d’augmenter; les Suisses ne consomment pas. Les inves- tissementspublicssontrégulièrementredi- mensionnéspardenouveauxprogrammes d’économies. Personne ne l’a mieux dé- montré que l’économiste et journaliste WernerVontobel. Parallèlement, la Suisse est prisonnière desstructuresdésuètesdesonmarchéinté- rieur. Alors que notre industrie d’exporta- tion est parfaitement concurrentielle à l’échelle internationale, notre économie in- térieureestàlatraîne,claudicante.C’estun refrain connu, entonné par le chœur des professeursd’économiebourgeois. La Suisse souffre sans doute d’une consommationinsuffisanteetdestructures restéesrigides. Faut-il croire à la relance? Résoudra-t- elle nos problèmes? La revue de gauche Prokla consacre son dernier numéro à la déflation mondiale qui menace. En Alle- magne,lemagazineWirtschaftswochesede- mande«silarepriseestdéjàdernièrenous». En raison de la morosité de son marché in- térieur et de la vétusté de ses structures, la Suisse serait doublement pénalisée par une stagnationenEurope. D’après les calculs de Werner Vontobel, les banques suisses gagnent 30 milliards de francs de trop par année. Dix milliards de trop, parce qu’elles gèrent une grande par- tie des capitaux internationaux «offshore». De l’argent placé discrètement en Suisse pour échapper au fisc du pays d’origine. Et encore 20 milliards de trop, parce qu’elles prélèvent des intérêts et des commissions beaucoup trop élevés pour leurs services. La revue syndicale Work a calculé que les intérêts réels pour des hypothèques blo- quées à cinq ans sont plus élevés en Suisse qu’enAllemagne.Etcecibienquelecapital coûte moins cher en Suisse. Même les banques Raiffeisen ont pu augmenter leur marged’intérêtde1,6%. La facture agricole, elle, est 4 milliards trop cher. Les paysans suisses reçoivent deux fois plus de subventions par année et par hectare que les paysans autrichiens. Et ils sont payés deux fois plus que les exploi- tants du Vorarlberg. Un agriculteur du Bade-Wurtemberg doit exploiter 100hec- tares pour nourrir sa famille; en Suisse, 20 suffisent. Voilà pourquoi les paysans de Schaffhouse peuvent payer davantage que les Allemands pour louer des terres sur sol germanique. Cela fait-il sens d’entretenir ainsi nos pauvres paysans? Mais oui, car ils sont la force politique dominante de l’UDC! L’UDC qui constitue la garde prétorienne des banques en défendant inconditionnel- lementlesecretbancaire. En Suisse, tout est plus cher. Les loyers sont en moyenne deux fois plus élevés qu’en Europe. Mais les voitures, les vête- ments,lesvélos,lesPampersetleslamesde rasoir sont encore de 30 à 40% plus chers, TVA déduite. Dès que nous serons dans l’UE, les grandes chaînes commerciales comme Aldi ou Lidl s’implanteront chez nous – comme elles l’ont fait en Autriche. Très vite, les prix des biens de consomma- tion quotidienne s’adapteront au niveau européen. La construction serait également meilleur marché. Du lavabo au sac de ci- ment. Mais nous devrons résoudre le pro- blème de la rente foncière. Aujourd’hui, le même appartement de quatre pièces coûte à Zurich deux fois plus qu’à Neuchâtel. Uniquementàcauseduprixduterrain.Les prix du terrain peuvent et doivent baisser. C’est possible en densifiant l’occupation dusoletencréantdenouvelleszonesàbâtir demanièreciblée. En Allemagne, les usines Holcim de Thomas Schmidheiny paient des amendes cartellaires salées pour leur ciment trop cher. Or, ce même ciment est vendu bien 30%pluscherenSuisse!Acausedumono- pole sur les prix, la facture des Nouvelles lignes ferroviaires alpines (NLFA) renché- rit de 200 millions de francs. C’est Peter Teuscher, chef du chantier des tunnels de base, qui l’affirme. Et qu’observe-t-on? Ce scandale manifeste ne provoque pas le moindre remous. On note au passage que le nouveau chef des Finances fédérales, Hans-Rudolf Merz, fut pendant des dé- cennies un commis de l’industrie suisse du ciment… La politique est une alchimie entre plu- sieurs intérêts. Pour imposer son point de vue, il faut conclure des alliances afin de conquérir durablement une certaine hégé- monie dans les domaines économique, so- cial et politique. Sans alliés, les banques et les assurances ne sont pas assez fortes. C’est pourquoi elles défendent (encore) une politique agricole et territoriale obsolè- te, ainsi qu’une Suisse insulaire aux prix exorbitants. Voilà pourquoi on ne discute pasduprixduciment. Les opposants à l’Europe répètent – au moins sont-ils cohérents – toujours les mêmesarguments:1.Quiadhèreàl’UEen devientprisonnier.Iln’estpaspossibled’en sortir.Ladémocratiedirecteestsacrifiée,la Suisseperdsonindépendanceetsaneutra- lité. Et nous devrions financer substantiel- lement la reconstruction des anciens pays du bloc de l’Est. 2.L’abandon du secret bancaireaffaiblitlaplaceéconomiquesuis- se. La Banque nationale perd sa marge de manœuvremonétaireenralliantl’euro.Les taux d’intérêt et les loyers renchérissent. Une TVA de 16% conduit à plus d’Etat et mène les petites et moyennes entreprises à la ruine. 3. L’adhésion augmente la pres- sion salariale et aggrave le chômage. La main-d’œuvreétrangèrebonmarchéenva- hitlemarchédutravailhelvétique. Seule une alliance dégagera des majori- tés politiques pour l’adhésion à l’UE. Pour convaincreunemajoritépopulaire,cetteal- liance doit apporter des réponses claires à toutescesquestions.Elledevraitprendrela forme d’un «New Deal» entre la Suisse et l’UE, à l’image du programme appliqué pour sortir les Etats-Unis de la crise écono- mique dans les années 30. Ce contrat de- vrait satisfaire autant que possible et de fa- çon équilibrée les intérêts de tous les partisansdel’adhésion. Qui profitera de l’intégration européen- ne de la Suisse? Tous les acteurs écono- miques actifs dans les branches tournées versl’exportation;lessalariés;lesretraités. L’UE n’est pas une prison. Un Etat membre peut renoncer à son statut de membre. La Cour constitutionnelle fédé- rale allemande a statué dans ce sens. Cette clause de liberté figurera dans la Constitu- tion européenne. Cet argument n’est donc plusvalable. Beaucoup de décisions sont prises à Bruxelles. Qu’on le veuille ou non. De l’in- térieur, on peut au moins les influencer un peu. De l’extérieur, on ne peut qu’en prendre acte. Et c’est éprouvant, comme le montrent les exemples des accords de Schengen ou de la taxation des biens réex- portés. Ces arguments sont insuffisants. Pour faire accepter l’adhésion à l’UE, il faut étendre la démocratie directe. L’outil le plusimportantestleréférendumconstruc- tif. Le peuple doit pouvoir décider de l’orientation des lignes directrices. La ma- jorité des Suisses est pour la neutralité mili- taire.Laneutralitédoitdoncêtrerespectée. Aucun motif, tactique ou idéologique, ne justifiederemettreencausecetteévidence. Reste la solidarité. La Suisse devra de toute façon participer aux coûts de la re- construction de l’Est dans le cadre de ses relationsbilatéralesavecl’Union. LesexemplesdelaSuèdeetdelaGrande- Bretagnemontrentqu’ilpeutêtrepréférable degardersamonnaienationale.Danscecas, la marge de manœuvre d’un Etat pour agir surlaconjonctureresteplusgrande. Les gros bénéfices des banques tiennent au secret bancaire. Les banques rétribuent les épargnants modestement, mais elles ré- clament des intérêts élevés quand elles al- louentdescrédits.Quandleursmargesd’in- térêt seront sous pression, on peut prévoir quelesintérêtsréelsnegrimperontpas. En revanche, les prix de la construction peuvent et doivent diminuer. Et si la coali- tion des partisans de l’UE défend, comme mesure d’accompagnement, des terrains à bâtir moins chers, alors les prix du sol ainsi quelesprixdeventeetdelocationdesloge- ments baisseront. C’est dans l’intérêt de l’économied’exportationmaisaussidessa- lariés. RestelaTVAà16%.Ungisementdere- cettestrèsconvoitées.Lagauchevoudraity puiser pour casser le système antisocial de la prime individuelle unique pour l’assu- rance maladie. La droite, elle, songe plutôt àenprofiterpourbaisserl’impositionfédé- raledirecte.Uncompromisestpossible. Empoignons la question centrale des sa- laires et des places de travail. Sans conven- tionscollectivesdetravailquiontforceobli- gatoire, la libre circulation des personnes fait pression sur les salaires. Mais les CCT ne créeront pas des emplois. Or il manque aujourd’hui en Suisse 300000 places à temps complet. Quand les prix en Suisse baisseront, tous les secteurs d’exportation seront davantage concurrentiels. Ils ten- dront donc à créer de nouveaux postes de travail.Bien,maiscelanesuffirapas. En revanche, il faut admettre que des placesdetravaildisparaîtront,spécialement danslabanqueetl’agriculture.Cessecteurs serontlesvictimesduchangementdestruc- tures. C’est le sacrifice nécessaire pour ob- tenir une réduction générale des prix et des coûts.CommelaSuisseaprisdixansdere- tardsurlesautrespaysdel’AELEpourmo- derniser les structures de son marché inté- rieur,ledémantèlementdesplacesdetravail semblerarelativementbrutal. Seull’Etatpeutsusciterunevéritablede- mande économique. Il doit absolument in- vestir, substantiellement et dans les plus brefs délais, dans ses infrastructures trop longtemps négligées. L’enjeu est de taille: de 150000 à 200000 places de travail peu- vent être créées dans les cinq prochaines années. Les Etats-Unis dopent leur écono- mie en pratiquant un keynésianisme de guerre. C’est antisocial, mais cela leur réus- sitplutôtbien:ledollarbaisse;lesimpôtsdi- minuent;laguerrefaitrageenIrak.Dansce système, l’Etat s’endette pour stimuler la demande, laquelle suscite la croissance, qui renfloue les caisses de l’Etat. Le système fonctionne toujours, bien que les Etats- Unisimportentducapital.Ilfonctionneraà plus forte raison en Suisse, vers laquelle s’exportechaqueannéetoujoursplusdeca- pital. Pourfaireavancerunediscussion,ilfaut proposer un projet avec des réponses claires à des questions concrètes. C’est pourquoi il est nécessaire d’élaborer un programme pour un «New Deal» avec l’UE. Dans la mesure où le peuple a le der- nier mot, et puisque les opposants exagè- rent la moindre faille, un programme pour une adhésion à l’UE doit apporter du pro- grès économique, social et démocratique pourlamajoritédescitoyenssuisses. Au moment où la concordance politique s’épuise, le Parti socialiste demande à ses conseillersfédérauxd’afficherunprofilplus marqué. Le Palais fédéral est tout à fait ou- tillé pour formuler un programme d’adhé- sion concret. En posant à l’appareil admi- nistratiflesbonnesquestions,onestdéjàsur la piste des réponses correctes. Micheline Calmy-Rey devrait exploiter les nouvelles marges de liberté laissées aux conseillers fé- déraux. C’est à elle de présenter un projet charpentéde«NewDeal»avecl’UE. Déjà les Suisses ne racontent plus de blagues sur les Autrichiens. La question européenne s’imposera dans l’agenda poli- tique quand l’économie autrichienne aura rattrapé celle de la Suisse et que les Autri- chiens feront des blagues à nos dépens. Sans doute serons-nous alors tous d’avis quelavoiesolitaireestuneplaisanteriequia assezduré. ■ Cetexteaparudansla«WochenZeitung». Traduction:AnnedeVargas PeterBodenmann:«Beaucoup de décisions sont prises à Bruxelles. De l’intérieur, on peut au moins les influencer un peu. De l’extérieur, on ne peut qu’en prendre acte. Et c’est éprouvant.» BRIGUE, 13 NOVEMBRE 2003 GAETANBALLY/KEYSTONE “Notre pays devra de toute façon participer aux coûts de la reconstruction de l’Est dans le cadre de ses relations bilatérales avec l’Union ” “La question européenne s’imposera dans l’agenda politique quand les Autrichiens feront des blagues à nos dépens, et plus le contraire ”
  • 5. Beat Kappeler I l n’a fallu que quelques escar- mouches aux frontières et lors des négociations avec l’Union européenne pour ébranler cer- tains politiciens cantonaux et fé- déraux. On n’ose pas imaginer ce que ces cœurs faibles auraient fait comme politique pendant la Pre- mière ou la Deuxième Guerre mondiale! Aujourd’hui, leur for intérieur est meublé de deux convictions: la Suisse est dans les abîmes, pauvre et en disgrâce, et l’Europe est le modèle de société et d’organisation étatique naturel, normal, vers lequel tout régime converge inexorablement. C’est un peu simple, simpliste même comme fil conducteur pour la gestiond’unpays. Ce pays est économiquement riche,illeresteparl’accumulation d’un excédent extérieur de 40 milliards de francs par an, ce que les chiffres du produit inté- rieur ne montrent pas. Ce pays reste riche par son marché du tra- vail flexible, qui a battu le record du plein emploi lors du dernier cycle conjoncturel – et qui dès maintenant y tend à nouveau. La croissance de cette richesse avait été faible pendant les années 90, mais déjà en 1999-2001 la crois- sance était de retour, à des taux comparables à ceux de beaucoup de pays européens. Il est donc faux de dire que la croissance est absente; le tournant date déjà de cinq ans, et pendant le nouveau cycle, la croissance suisse devrait dépasser celle de l’Allemagne. La Suisse a intégré une proportion d’étrangers très supérieure à tous les autres pays d’Europe, et elle l’a fait dans de meilleures conditions. Il n’y a pas de problème de voile, de ghettos, de délinquance juvé- nile couvrant des pans entiers des villes. La Suisse a ses problèmes propres, et je ne les tais jamais. Le système politique fédéral n’a au- cune coordination. Les parle- mentaires ne suivent ni leur propre parti, ni leur groupe, ni leur gouvernement, et le gouver- nement ne démissionne pas, mêmes’ilreçoitdesclaquesreten- tissantes de la part de son électo- rat parlementaire ou populaire. Cette manière de gouverner pose problème,quelaSuissesoitàl’ex- térieur de l’Union ou à l’intérieur, le cas échéant. Il n’y a donc pas lieu de vouloir entrer dans l’Union pour avoir voix au cha- pitre. La Suisse ne pourra pas éle- ver sa voix, car elle n’en a pas une, maisquatreoucinq.Al’imagedes Etats-Unis, sa république-sœur, les différents pouvoirs de la Confédération se neutralisent ou- trageusement les uns les autres. Le politique n’a que peu de prise sur la société, sur les arts, sur l’économie. Une adhésion demanderait de changer cet ordre des choses, d’avoir un système de gouverne- ment plus constant, mais aussi d‘enrayerlerôledelasociétécivile par rapport au politique, vu l’étroite régulation européenne. Mais qu’y gagnerait-on? Les do- maines qui font problème en Suisse ne sont pas régis par l’Union, sauf la libéralisation des réseaux publics. Ce gouverne- ment peu courageux maintien- drait la surveillance des prix com- me aujourd’hui, il ne trouverait pas de solution aux caisses mala- die comme depuis quatre ans, il opérerait les mêmes extensions ou restrictions dans les transferts sociaux, comme les forces in- ternes le lui imposeront. La preu- ve de ce manque d’orientation et de réformes est administrée par les tribulations des gouverne- ments allemand, français et ita- lien, qui n’arrivent pas à prendre la moindre mesure qui s’impose pour les marchés du travail, pour les assurances sociales, pour la croissance économique, pour l’assainissement des déficits. Leur appartenanceàl’Unionnefaitpas pleuvoirdesréformessureux. Ensuite, les couacs, les contraintes, les coups tordus ne manquent pas dans la politique courante de l’Union. Rappelons l’hystérie de tous les gouverne- ments frères européens contre la formation de la coalition en Au- triche il y a cinq ans, rappelons les diatribes de Chirac contre la Po- logne qui osait avoir une autre opinion sur l’Irak et sur les droits de vote en Europe, ou encore la campagne actuelle du ministre al- lemand des Finances, Eichel, contre les impôts moins élevés de la Pologne et de l’Irlande. En ad- hérant, la Suisse ne pourrait pas faire l’économie de rixes de ce genre – par exemple à propos de ses impôts sur les sociétés si bas, de ses traversées alpines, de son secret bancaire, des fusions envi- sagées entre nos florissantes mul- tinationales et des sociétés proté- gées par la France. Les pays membres de l’Union dépendent des autres en de multiples occa- sions, ils doivent donc souvent cé- der quand tous les autres font la fronde contre eux, tandis que la Suisse, à l’extérieur, peut faire la sourde oreille – si ses gouvernants enontlecourage. Les domaines d’harmonisation de l’Union n’augmenteront plus, et la pression sur la Suisse non plus. Car ce qui peut être harmo- nisé l’est déjà. Après l’élargisse- ment, les pays sceptiques sur le tout-politique seront majoritaires dans l’Union. La position de contrepoids contre les Etats-Unis si chère à certains Français et Al- lemands n’est jamais majoritaire et ne fera pas bouger l’Union. Les neutres augmentent parmi les Etatsmembres,lesatlantistessont nombreuxetdéterminés. L’Union, elle, est-elle le modè- le d’organisation vers lequel le sens de l’histoire converge tout naturellement? On peut en dou- ter. L’Union est un projet des an- nées 50, époque où le principe de la non-discrimination entre les Etats faisait défaut. Depuis, la non-discrimination s’est imposée de plein droit avec les accords de l’Organisation mondiale du com- merce. Tout pays entre avec tous ses droits en relations avec tous les autres, et un arbitrage contrai- gnant lui préserve ces droits. On le voit encore avec la décision de l’OMC contre les subventions agricoles et les soutiens à l’acier américains. Imperceptiblement d’abord, clairement fonctionnel aujourd’hui, un type nouveau d’ordre international a vu le jour. C’est la société internationale, libre, ouverte d’avant 1914 qui est ressuscitée. Les nationa- lismes, mais aussi les unions ré- gionales seront un incident de l’histoire tourmentée du malheu- reux XXe siècle. La Suisse, lente et faisant du surplace en poli- tique, a brûlé les étapes, à travers les deux guerres, et avec son abs- tention à l’union régionale. Elle est déjà là où les autres arriveront plustard. ■ Le Temps P Date N CMJ 5e 05 03.05 La Suisse et la nouvelle EuropeLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •5 ✶✶✶ P U B L I C I T É Citroën C2 Prix gelé dès Fr. 13’990.- (C2 1.1i, X, 61 ch, 3 portes) ou Prime HDi de Fr. 2’555.-* *Offres valables du 1er au 31 mai 2004. Exemple: Xsara Picasso 1.6 HDi, Exclusive, 110 ch, 5 portes, Fr. 36’790.-, prime HDi de Fr. 8’155.-. 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Citroën C3 Prix gelé dès Fr. 15’490.- (C3 1.1i, X, 61 ch, 3 portes) ou Prime HDi de Fr. 2’555.-* Citroën C3 Pluriel Prix gelé dès Fr. 20’990.- (C3 Pluriel 1.4i, 75 ch, 3 portes) ou Prime HDi de Fr. 2’555.-* Citroën C5 break Prix gelé dès Fr. 30’990.- (C5 break 2.0i-16V, SX, 138 ch, 5 portes ) ou Prime HDi jusqu’à Fr. 10’255.-* Citroën C8 Prix gelé dès Fr. 29’990.- (C8 2.0i-16V, X, 138 ch, 5 portes) ou Prime HDi jusqu’à Fr. 9’155.-* Citroën Xsara Picasso Prix gelé dès Fr. 19’990.- (Xsara Picasso 1.6i, X, 95 ch, 5 portes) ou Prime HDi jusqu’à Fr. 8’155.-* Découvrez la technologie Citroën HDi, simplement économique! Pourl’éditorialisteBeatKappeler,entrerdansl’Unioneuropéennenerésoudraitenrienlesproblèmesposésparlafaçondontnotrepaysestgouverné, etnenouspermettraitpasd’yfaireentendrenotrevoix,puisquenousn’enavonspasune,maisquatreoucinq «Noussommeslàoùlesautresarriveront» BeatKappeler:«Uneadhésiondemanderaitd’avoirunsystèmedegouvernementplusconstant etd’enrayerlerôledelasociétécivileauseindupolitique.Or,qu’ygagnerait-on?» BERNE, 7 NOVEMBRE 2001 ALESSANDRODELLAVALLE/KEYSTONE “Pendant le nouveau cycle, la croissance suisse devrait dépasser celle de l’Allemagne ”
  • 6. Endépitd’unétonnementoccasion- nel, le rôle de la Suisse comme île dans la mer européenne n’est pas vrai- ment ressenti comme quelque chose d’irritant. Je m’intéresserai moins à l’as- pect politique qu’à la perception psy- chologique de cette situation spéciale et aux conséquences qui peuvent s’en- suivre. Sil’onestpersuadé,commejelesuis,quel’Europeest un processus irréversible, on peut difficilement s’imagi- ner qu’on puisse maintenir longtemps une politique qui revientàavoirlebeurreetl’argentdubeurre. L’Europe, aujourd’hui, «s’in- dividualise», justement parce qu’elle s’élargit. Cela veut dire que chacun des 25 pays se sou- vient de l’histoire spécifique qui l’afaitnation.Maisqu’ainsi,dans l’ensemble,unenouvelleentitése crée, dans l’effort et la lutte. L’Europe sera plus qu’une zone de libre échange; plus, aussi, qu’une «grande Suisse». Ellevitunenouvellefondation. Cette nouveauté est difficile à définir. Mais, dans un monde où les Etats nationaux classiques perdent beau- coup de leur rôle, où un système de gouvernance par ré- seaux nationaux et internationaux remplace peu à peu les gouvernements traditionnels, l’Europe apparaît sou- dainement comme un précurseur. Elle anticipe même dans son hétérogénéité une «identité» moderne dans la- quelleconfluentdenombreusesculturesetbeaucoupde passé. Finalement, qu’elle ait un seul numéro de télé- phoneou25,l’EuropedoitfairefaceaudéfidesBalkans, de l’islam, du terrorisme, ou du fossé entre leNordetleSud,etelledoitlefaireavecdes politiquescommunes. Sitoutcelaestvrai,etn’estpasseulement le résultat d’une hypothèse naïve, on peut difficilement imaginer qu’un pays puisse se soustraire à l’aspiration enclenchée. Déjà maintenant, la situation est curieusement contradictoire. La Bulgarie et la Roumanie représentent le «prolétariat» européen en disant d’elles- mêmes que, si elles ne pouvaient pas s’intégrer à l’Euro- pe, elles s’effondreraient. A l’autre bout de l’éventail, il y al’«îledebien-êtreetdebonheur»européenne,laSuisse, qui dit d’elle-même que, si elle s’in- tégrait, elle s’effondrerait. Les uns ont un besoin existentiel d’une Eu- ropequipartageetquiconsidèreson extension vers l’Est comme un gain. Les autres ont besoin d’une Europe résolue à ne pas partager, ne voyant l’avantage de leur participation au projet que comme point de passage pour les transports et comme dépôt d’argent monta- gneux. Cela peut conduire à une perception très rapide delaSuissenonseulementcommeparadisséduisant,île des bienheureux, mais aussi comme vieillotte, un peu égoïste,horsdelaréalitéet,quoiqueaimable,éventuelle- ment parasitaire. Ce serait d’autant plus paradoxal que la Suisse représente le symbole non seulement de l’«abs- tention» commode mais aussi de ce que l’Europe pour- rait être, l’assemblage de plusieurs langues, cultures et histoires. Que cette absence suisse n’apparaisse cepen- dant pas comme un malheur, l’Europe a appris à vivre avecsesparadoxes. G.H. Le Temps P Date N CMJ 5e 06 03.05 6 •LE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 ✶✶✶ DesEuropéensécriventauxSuisses: L’officialité. Première réunion des chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Cinq, samedi à Dublin. «Bienvenue à la maison», lance le président du Parlement européen, Pat Cox. PAULFAITH/EPA L’avenir. Un jeune couple tchèque s’embrasse vendredi à minuit au centre de la vieille ville de Prague en liesse. Pour eux, l’Europe est synonyme d’espoir. RENEVOLFIK/EPA Latradition.Lesévêqueseuropéensprientpour«l’Europe del’esprit»lorsd’unemessedimanche.Ilssontréunisdevant uneégliseenconstructiondanslequartierdeWilanow,àVarsovie. CZAREKSOKOLOWSKI/AP “Quecetteabsencesuisse n’apparaissepascommeun malheur,l’Europeaappris àvivreavecsesparadoxes ” GunterHofmann estlecorrespondant politiqueàBerlin del’hebdomadaire hambourgeois «DieZeit» Partageroupas,telleestlaquestiondel’Europe Dansquelgenred’Unionvoulez-vousvivre? Alors nous y voilà enfin, «de retour en Europe», comme le demandait le slogan de notre Révolution de velours en 1989. Il y a quinze ans, à la chute du Mur, l’Europe était différente. Lorsque nous avons frappé à sa porte, de nom- breuses questions se sont posées, qui ont entraîné de nombreux changements, à l’est et à l’ouest. Pourquoi la Suisse ne fait-elle pas par- tie de cette histoire? Elle ne figure pas sur l’échelle de Richter des problèmes euro- péens. Tant mieux pour elle! Cet élargis- sement n’est pas comme les précédents. Il s’agit cette fois de se décharger d’un énorme paquet de questions et de pro- blèmes d’un demi-siècle européen, où les Suisses n’ont pas de place. La spécifi- cité de cet élargissement est la coïnci- dence d’une profonde transformation de l’UE elle-même avec un courant de changements et de réformes dans tous les pays européens, anciens et nouveaux. Pour les nouveaux membres d’Eu- rope centrale et orientale, l’adhésion n’a jamais été une question de simple appar- tenance institutionnelle. Pour nous, Tchèques, c’est une affaire de dimen- sion existentielle. Nous avons cherché à échapper à notre longue exclusion de l’Europe, qui a commencé il y a soixante- cinq ans à Munich. Notre chemin de re- tour vers l’Europe n’a pas commencé et ne s’arrête pas à Bruxelles. Pour nous, l’Europe est une notion plus large qui in- clut aussi l’OTAN et des pays comme la Suisse et la Norvège. Mais tandis que la Suisse et la Norvège pouvaient se payer le luxe de choisir à quelles institutions appartenir, y compris le choix excentrique des Suisses de ne pas être membres de l’ONU, des pays comme le nôtre n’avaient pas cette liber- té. Ayant vécu le côté sombre de l’histoi- re du XXe siècle, nous voyions l’Europe comme la promesse d’un avenir plus heureux. Bien que depuis 1989 nous connaissions mieux les réalités de l’Eu- rope, que nous ayons perdu quelques illusions et découvert quelques mythes, nous avons gardé le sentiment qu’en ac- ceptant les règles et les normes de l’UE nous acceptions les normes et les règles du monde occidental auquel nous étions déterminés à appartenir. Les négocia- tions ont parfois été dures, et l’adapta- tion davantage encore. Il y a des choses que nous n’aimions pas, mais nous sa- vions que nous devions y arriver. La Suisse n’est pas dans ce tableau. Bien qu’elle ne soit pas membre de l’UE, elle est européenne. Elle n’a pas l’obliga- tion de combler son retard et par consé- quent elle n’est pas directement contrainte de participer au processus d’unification de l’Europe. Elle est riche aussi. Elle n’a pas été soumise aux pires horreurs du XXe siècle. Son identité s’est construite sur sa différence par rap- port aux autres pays européens. Mieux vaut retourner la question et demander ce que l’Europe signifie pour les Suisses. Dans quel genre d’Europe les Suisses veulent-ils vivre? Je peux envisager une convergence des Suisses avec les autres Européens sur des sujets pratiques comme la sécurité, la cri- minalité, l’immigration, le commerce, l’environnement, l’information et autres. Enfait,iln’yaurapeut-êtrepasd’alterna- tive. Le problème pour la Suisse sera de savoir jusqu’à quel point elle veut partici- per directement aux prises de décision. L’appartenance et la participation aident énormément. Le pays serait un atout pour l’UE. Mais seuls les Suisses peuvent en décider. En attendant, parmi tous les problèmes que les Européens doivent af- fronter dans les mois et les années à venir, celui de l’adhésion de la Suisse à l’UE n’est certainement pas une priorité. Pré- cisément parce que la Suisse ne pose pas deproblèmeauxautres. P.S. PavelSeifterestambassadeur. IlareprésentélaRépublique tchèqueàLondresde1997à2003 LamajoritédesHongrois nerêventplusdelaSuisse On peut dire sans exa- gération que la majo- rité des Hongrois saluent avec une satisfaction pro- fonde le fait que leur pays soit devenu membre de plein droit de l’Union eu- ropéenne. Samedi 1ermai,leshabitantsdela capitale ont envahi les quais du Danube pour célébrer ce jour histo- rique. Seule une minorité aressentiunecertainejalousieenversles Suisses, neutres depuis l’éternité, jamais membres d’aucune alliance militaire ou économique. Cette ambiance spéciale s’explique par l’histoire. En oc- tobre 1956, à l’époque de la révo- lution démocratique hongroise, l’exemple helvétique a joué un rôle considérable. Imre Nagy, alors premier ministre, a déclaré plusieurs fois son intention de copier fidèlement l’exemple helvétique: neutralité militaire, retrait de la Hongrie du Pacte de Varsovie et du bloc écono- mique du Comecon. Les chars russes ayant malheureusement écrasé le soulè- vement démocratique, cette intention est restée un rêve et, pour la majorité des Hongrois, la Suisse est devenue un payslointainetenvié. Après le changement de régime, en 1990, les circonstances ont profon- dément changé. Grâce à une démocratisation rapi- de, la Hongrie s’est pro- gressivement rapprochée des grands pays occiden- taux. Elle est devenue membre d’abord de l’OTAN et, depuis quarante-huit heures, de l’Union euro- péenne. On ne peut nier qu’une assez grande partie de la population est restée sceptique et n’accep- te pas cette situation nouvelle avec en- thousiasme. Son rêve reste l’exemple de la neutralité suisse, de l’énorme richesse de la Suisse. Elle ne considère ni la Suisse ni les Suisses comme égoïstes mais constate seulement qu’en- vers cette partie de l’Europe l’histoire a étéplusgénéreuse. Malgré cela, pour nous, Hongrois, c’est une occasion extraordinaire et favo- rabled’apparteniràuneUnioneuropéen- nequiestcondamnéeausuccès. T. V. TiborVárkonyi estéditorialistedu quotidien«Magyar Hírlap»(dugroupe RingierenHongrie) etancienconseiller àl’ambassade deHongrieàParis, entre1990et1992 Poursefaireentendre,ilfautêtrededans En Suisse, vous vous deman- dez peut-être ce qui s’est passé pour qu’un pays à l’esprit libre comme la Lituanie accepte aujourd’hui de rejoindre une or- ganisation supranationale, délé- guant une partie de sa souverai- neté à l’autorité de Bruxelles, alors que beaucoup pensent en- core aux vestiges de l’ancien système centralisé? D’abord, les Lituaniens ont décidé eux-mêmes de rejoindre l’Union, contrairement à l’occupation forcée de l’Empire soviétique. Ensuite, ils consta- tent que l’intégration (éco- nomique) européenne est une réussite. Enfin, ils ont le sentiment d’appartenir psy- chologiquement, historique- ment et culturellement à l’Europe[…] Nous rejoignons l’UE alors qu’elle connaît d’im- portants changements. La nouvelle Constitution sera bientôt finalisée, dotant l’UE élargie de nouvelles disposi- tions. Les anciens et les nouveaux membres sont bien conscients que l’UE a besoin de s’adapter pour fonctionner correctement. Sur le Vieux Continent et ailleurs, beaucoup reprochent à l’Union européenne d’être devenue une institution lente, bureaucratique et moins efficace. Ses mau- vaises performances économiques, en comparai- son avec d’autres régions du monde, en sont la preuve et elle a urgemment besoin de ré- formes. La coopération économique, au- trefois efficace, produisait des résultats brillants pour les Etats membres et leurs populations. L’Union européenne a contribué à créer prospérité et sécurité, mais ce dynamisme s’est ralenti […]. L’Europe a besoin d’organes de décision efficaces, d’un marché unique fonction- nant rapidement, de traités simplifiés, de flexibilité etdedérégulationdansledomainedesaffaires.Les nouveaux membres vont apporter du sang neuf et, je l’espère, contribuer à rendre l’Europe plus ou- verte,efficaceetcompétitive. Les Lituaniens, comme les Suisses, sont très attachés à leur souveraineté. Même en rejoignant l’Europe avec opti- misme, nous savons que nos intérêts nationaux doivent être défendus. Même si notre taille, notre poids et notre in- fluence ne sont pas compa- rables à ceux des grands ac- teurs européens, je crois que notre voix en Europe peut et doit être entendue. Il faut simplement qu’elle soit claireetforte.Nousnousréjouissonsdeformerdes coalitions et de faire valoir notre point de vue contre une plus grande centralisation, une exten- sion des domaines de compétence de l’UE et une harmonisation des systèmes fiscaux. Le meilleur moyendedéfendresesintérêtsestd’êtredansl’ins- titution. G.S. Gintaras Steponavicius estdéputélibéral etvice-président duparlement deLituanie,àVilnius “L’adhésiondelaSuisse n’estpasunepriorité pourlesEuropéens, parcequelaSuisse neposepasdeproblème auxautres ” “EnSuisse,vousvous demandezpeut-êtrecequis’est passépourqu’unpays àl’espritlibrecomme laLituanieaccepte aujourd’hui derejoindrel’UE? ” “Enoctobre1956, àl’époquedelarévolution démocratiquehongroise, l’exemplehelvétique ajoué unrôleconsidérable ” I M A G E S D ’ U N W E E K - E N D H I S T O R I Q U E , E N T R E P R O T O C O L E , L I E S S E E T V I O L E N C E • Alors que leur pays entre dans l’Europe élargie, quatre personnalités de Hongrie, de Lituanie, de Slovénie et de la République tchèque s’expriment sur l’absence delaSuissedanscemomenthistorique,toutcommedeuxgrandesvoixdelapressefrançaiseetallemande
  • 7. Le Temps P Date N CMJ 5e 07 03.05 La Suisse et la nouvelle EuropeLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •7 ✶✶✶ L’ouverture. Les douaniers allemand et polonais se serrent la main sur une plage de la Baltique. Entre Swinoujscie et Ahlbeck, la frontière a été ouverte à tous les piétons. STEFANSAUER/EPA Lajoie.L’anged’unpontsurlaVltavailluminéparlesfeux d’artificetirésvendrediàminuitàPrague.Partoutàl’Est, laferveurpopulaireaétéplusintensequedansla«vieille»Europe. MARTINSTERBA/EPA Laprotestation.Quelque700manifestantsaltermondialistes protestentàDublinpendantlesommetdePhoenixPark. Pourlapremièrefois,la«Garda»irlandaiseutilisedescanonsàeau. JOHNGILES-PA/KEYSTONE «Tôtoutard,vousnousrejoindrez» • Elles expriment plus de compréhension et de curiosité que de blâme, d’autant que «la Suisse ne figure pas sur l’échelle de Richter des problèmes européens», maisellescomptentbienqu’unjouroul’autrenotrepaysvienneapportersacontributionàl’essorducontinent PourlesFrançaispeufarouchespartisansdel’élargissement, laparticularitéhelvétiqueestunbonargument On dit qu’un parti politique, les radicaux paraît- il, préparait l’adresse Internet suivante: y en a.com (lire: y en a point comme…), qui reprenait une vieille expression soulignant la spécificité suisse, voire romande. Il avait raison. Depuis le 1er mai, c’est encore plus vrai que par le passé. «Y en a point comme nous.» En tout cas, de moins en moins. La Confédération est cernée par 450 mil- lions d’Européens, et ce n’est pas le Liechtenstein, qui rêve d’adopter l’euro à la place du franc, qui la sauvera de l’isolement. Les Suisses doivent-ils s’en plaindre ou s’en ré- jouir? Toute la question est là. Pour leur ego national, l’élargissement de l’Union européenne, dans la mesu- re où il les épargne, est plutôt une bonne nouvelle. Le risque de banalisation est écarté. Comme celui d’être soumis à une bureaucratie bruxelloise qui n’a cure de la démocratie directe, des votations sur initiative po- pulaire et autres Landsgemeinden. Sans doute le franc suisse n’a-t-il pas été à la hauteur de sa réputa- tion en devenant la devise refuge des spéculateurs eu- ropéens en quête de stabilité face à un euro condamné à être pâlichon puisque des «sudistes» irresponsables (Français, Italiens, Grecs, etc.) avaient été introduits dans la monnaie unique. En fait, il n’en a rien été. L’euro est fort, trop fort parfois pour les exportateurs européens, et le franc suisse n’a rien gagné à l’intro- duction de la monnaie unique dans l’Union; il aurait mêmeplutôtperdudesasuperbe. C’est là que le bât blesse. S’il est bien qu’il n’y en ait point comme nous, il est plus irritant de devenir comme les autres. Or, les Suisses, qu’ils le veuillent ou non, tendent à s’européaniser. Ils sont confron- tés aux mêmes problèmes que leurs voisins. Pis, nombre de ces problèmes ne peuvent être efficace- ment réglés qu’en coopération avec eux. Avec le re- fus de l’intégration, il ne reste qu’une alternative: soit chercher des solutions solitaires à des difficul- tés «globalisées», soit trouver des arrangements bi- latéraux avec une Union européenne peu encline à consentir des cadeaux. A terme, la Confédération sera de plus en plus contrainte de suivre des direc- tives sur la définition desquelles elle n’aura eu au- cune influence. C’est le paradoxe du splendide iso- lement. Les souverainistes bornés, qui, il est vrai, ne sont pas l’apanage de la Suisse, ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes. En voulant affirmer leur indépendance, ils auront réduit leur liberté de déci- sion. Toutefois, du point de vue des Français qui n’ont jamais été de farouches partisans de l’élargis- sement de l’Union, la particularité helvétique est fi- nalement une bonne chose. Elle permet d’affirmer haut et fort aux candidats dont ils ne veulent pas entendre parler: «Il n’est pas nécessaire de faire par- tie de l’Union pour être européen. Voyez la Suisse!» D. V. DanielVernetestéditorialiste etdirecteurdesrelationsinternationales duquotidien«LeMonde» Votrerefusd’adhérerne peutêtretaxéd’égoïste «Vous, les Suisses, pouvez vous permettre de rester encore en dehors de l’Europe, et nous sommes habitués à vos particularismes et à votre rythme, comme pour l’entrée à l’ONU, mais je ne crois pas que cela durera. J’espère et je pense qu’un jour nous serons dans la même Europe, comme nous l’avons déjà été par le passé d’ailleurs: Suisses et Slo- vènes ont été intégrés dans la même entité eu- ropéenne pendant très longtemps, dans le cadre du Saint Empire romain germanique, puis, plus brièvement, sous la domination de l’Empire de Napoléon. Aujourd’hui, pour mon pays, pour toute l’Europe, mais aussi pour la Suisse, cet événement est historique, car il est un pas capital vers l’accomplissement d’un idéal pacifique, démocratique et respec- tueux des droits de l’homme à l’échelle de tout un continent. »Je ne pense pas que l’on peut taxer les Suisses d’être égoïstes en raison de leur refus d’entrer dans l’Union: toutes les nations le sont, et l’adhésion n’est pour aucune nation un acte de bienfaisance. Chacun a ses bonnes rai- sons, calcule ses avantages, et notre calcul a été différent du vôtre, mais je ne vais pas vous le reprocher. D’autant que la Suisse contribue tout de même largement au financement et à l’aide humanitaire internationale. Bien sûr, l’entrée de la Suisse à l’UE aura un intérêt pour le financement de l’Europe, puisque vous se- rez un pays contributeur net. La Slovénie le deviendra aussi rapidement, probablement d’ici à trois ans, d’où les questions qui se posent pour nous sur la vitesse d’adhésion de pays plus pauvres, à l’est et au sud, comme la Croa- tie, la Roumanie et la Bulgarie. Mais, d’un autre côté, nous pourrions aussi y trouver avantage, car la Slovénie va être exposée aux rigueurs et aux pressions de la frontière de l’Es- pace Schengen, sur les 300 kilomètres de sa frontière sud. Quand la Croatie entrera dans l’Europe, c’est elle qui prendra la relève. »L’exemple anti-européen de la Suisse n’a pas été utilisé en Slovénie, où il y a eu très peu de résistance à l’adhésion, avec 80% de soutien au référendum. Nous avons aussi nos isola- tionnistes, et des paysans pessimistes sur les conséquences de l’entrée dans l’Europe, mais leur poids est relativement faible. L’exemple de la Suisse et des autres pays neutres, l’Au- triche et la Suède, a en revanche été largement utilisé lors des débats sur l’entrée dans l’OTAN, qui a finalement été acceptée par ré- férendum avec 66% des voix en mars dernier.» Propos recueillis par Ariel Herbez AntonBeblerestprofesseuràlaFaculté desscienceséconomiquesetsociales del’UniversitédeLjubljanaetancien ambassadeurausiègedesNationsunies àGenève “Noussommeshabitués àvosparticularismes etàvotrerythme,maisjenecroispas queceladurera ” “Ilestirritantdedevenircomme lesautres,maislesSuisses, qu’ilsleveuillentounon, tendentàs’européaniser ” I M A G E S D ’ U N W E E K - E N D H I S T O R I Q U E , E N T R E P R O T O C O L E , L I E S S E E T V I O L E N C E
  • 8. Alain Campiotti, New York D ans l’abomination des tor- turesd’AbouGhraib,iln’ya pour les Etats-Unis qu’un rai de lumière: la dénonciation de la gangrène vient du pays lui-même. Les photos de détenus irakiens hu- miliésdanslagrandeprisondeBag- dad ont été montrées d’abord par la chaîne CBS. Ces documents répu- gnants font partie d’un matériel d’enquêtedontlecontenuestrévélé ce lundi par The New Yorker, un hebdomadaire.Maistoutleresteest noir. Les Américains sont confron- tés à cette honteuse réalité: dans la prison centrale de Saddam Hus- sein, où le dictateur maltraitait et tuait ses détenus, des soldats améri- cains ont, de la même manière, tor- turéettué. L’armée a ouvert deux enquêtes successivessurlesrumeursquicou- raient à Bagdad dès l’automne der- nier. Plus que des rumeurs, à vrai dire, et plus qu’un communiqué d’Amnesty International. En no- vembre, un vieux chef tribal et un journaliste d’Al-Jazira brièvement détenusàAbouGhraibavaientdéjà décrit comment ils avaient été hu- miliés,nus,latêtecouverted’unsac. La première enquête de l’armée étaitévasive.Laseconde,menéepar le général Antonio Taguba au mi- lieudel’hiver,estdévastatrice.Pour le moment, elle a conduit à sept in- culpationsenmars,etàunepremiè- re comparution – jusqu’alors secrè- te – devant un Grand Jury militaire, le 9 avril. Dix autres soldats sont aussi entendus. Ils appartiennent presque tous à la 372e compagnie de police militaire, une unité de ré- servevenantduMaryland. Lors de l’audience d’avril, un té- moin à charge a déposé devant le Grand Jury. Le soldat Matthew Wisdom a raconté ce qu’il a simple- ment entrevu quand il a participé à la livraison de sept hommes à Abou Ghraib. «Le sergent Snider a em- poigné mon prisonnier et l’a jeté sur unepile.J’aivulesergentFrederick, lesergentDavisetlecaporalGraner marchant autour de la pile et frap- pant les prisonniers. Je me souviens que Frederick frappait un prison- nier sur la cage thoracique.» Wis- dom est sorti, puis revenu: «J’ai vu deux détenus nus, l’un se mastur- bant devant un autre, à genoux, la bouche ouverte. Frederick s’est avancéversmoietm’adit:«Regarde ce que ces animaux font quand on leslaisseseulspourdeuxsecondes.» J’ai entendu le soldat England [une femme]crier:«Ildevientdur.» Le rapport d’enquête du général Taguba contient, au-delà de ces traitements dégradants, une longue énumération de tortures: les gar- diensversaientunproduitchimique oudel’eauglacéesurlecorpsnudes détenus; des chiens étaient utilisés pour effrayer les prisonniers, et au moins une fois, jusqu’à la morsure; d’autres ont été sodomisés au moyen d’une lampe ou d’un manche de balai; une autre fois, un policier militaire a entrepris de coudre une blessure infligée à un détenu qui avait été précipité contre un mur. Frederick a un jour frappé sifortquesavictimeétaitaubordde l’arrêt cardiaque. Et le sergent a ra- conté lui-même, dans une lettre à sa famille, qu’un prisonnier avait suc- combé un jour sous les coups de ses tourmenteurs. Ils l’ont placé dans unsacetdansdelaglace,pourl’éva- cuer discrètement deux jours plus tard. Lesinculpésontprisdesavocats, etilssedéfendent,accusantdesoffi- ciers du renseignement militaire, de la CIA, et des «contractants privés» de les avoir contraints à mettre ainsi les détenus dans des «conditions fa- vorables» avant les interrogatoires. Ils mettent en cause aussi la hiérar- chie. La générale Janis Karpinski, une femme d’affaires incorporée danslaréserve,quicommandaitde- puisjuinlesunitésenchargedespri- sons en Irak, a été rappelée aux Etats-Unis, et «réprimandée». Elle aussisedéfend.Ellenesavaitriende ce qui se passait dans le bloc 1A de Abou Ghraib où se déroulaient les tortures. La générale regrette tout juste de ne pas s’être montrée assez curieuse dans la grande prison, après avoir constaté que les hommes du renseignement militai- re cherchaient à détourner par tous les moyens les délégués du CICR descellulesdubloc1A. La hiérarchie militaire adopte la même attitude que George Bush après la diffusion des images d’hu- miliation par CBS. Elle condamne ces comportements, en affirmant qu’ils sont isolés. Le général Ri- chard Myers, chef de l’état-major général,aprétenduhierqu’iln’avait même pas pris connaissance du rapport Taguba, rédigé en janvier. Qui peut le croire? Il devrait se mé- fier. Le journaliste qui a mis la main pour The New Yorker sur ce docu- ment explosif est Seymour Hersh, l’homme qui avait fait éclater le scandaledumassacredeMyLai,au Vietnam,ilyaplusdetrenteans. ■ IRAK • L’armée a mené une enquête sur les mauvais traitements dans la prison proche deBagdad:explosive.Premièresauditionsavantlacourmartialepourseptinculpés • Les soldats se défendent en disant qu’ils obéissaient aux directives du renseignement militaire:ilfallaitmettrelesdétenusen«conditionfavorable»avantlesinterrogatoires Lestortionnairesaméricainsdelaprisond’Abou Ghraibmettentencauselahiérarchiemilitaire Le Temps P Date N CMJ 5e 09 03.05 InternationalLE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 •9 ✶✶✶ P U B L I C I T É Pourquoi quelqu’un menerait-il une campagne d’opinion contre le terrorisme ? Il n’y a pas d’avenir dans le terrorisme. Depuis plusieurs mois, vous lisez dans ces pages nos messages sur l’horreur et la gratuité du terrorisme. Pourquoi menons-nous cette campagne ? Parce qu’il faut bien que quelqu’un s’en charge. Quand on a un minimum de conscience, a-t-on le droit de rester passif et muet face aux terroristes qui ensanglantent la société civilisée ? Nous devons faire quelque chose. Ce problème ne concerne pas l’autre bout du monde. C’est le nôtre. Aujourd’hui, les sauvages attentats de Madrid sont la preuve que le terrorisme est une menace de plus en plus présente chez nous. Le fait est que, lors de la dernière décennie, près d’un tiers des attentats - 31% - a été perpétré ici, en Europe.(1) Evidemment, chaque attentat apporte son lot de souffrance. Pourtant, il est bon de se rappeler que d’autres attentats se seraient produits s’ils n’avaient été déjoués à temps par les forces de police et de sécurité d’une douzaine de pays.(2) Voilà pourquoi nous cherchons à attirer l’attention sur le terrorisme. Parce qu’il est vital de dénoncer ses dangers et ses contradictions et surtout, pour ouvrir le débat. Ne rien faire, c’est laisser faire le désastre. (1) Ministère américain des Affaires Etrangères, "Modèle de Terrorisme Global" (21 mai 2002) • (2) La plupart des attentats déjoués n’est pas ébruité pour des raisons de sécurité. Mais par exemple, voir “Des arrestations ont peut être déjoué des attentats au Yémen, en Bosnie,” Deutsche Presse-Agentur, 24 janvier 2002 et “Des troupes repoussent l’attentat ‘yougoslave’”, BBC News, 19 septembre 2000. EUROPEAN SECURITY ADVOCACY GROUP www.esag.info u’u Desclichéshumiliantspour lecontingentbritannique Dimanche soir, le débat faisait encore rage en Grande-Bretagne autour des photos très choquantes publiéeslaveilleparleDailyMirror, montrant notamment un soldat, supposé appartenir au régiment du Lancashire (QLR, Queen’s Lanca- shireRegiment),urinantsurunpri- sonnier ligoté et la tête couverte d’un sac de jute. L’opposition conservatrice attaquait le quotidien populaire de gauche pour la publi- cation de documents dont l’authen- ticité est sujette à caution. Mais, vraies ou pas, ces images ont déjà causé un tort immense et bien réel à unearméequi,jusqu’ici,avaitfaitde samaîtrisesurleterrainunemarque defabrique. Londres ne s’y est pas trompé. Avantmêmed’avoircherchéàvéri- fier l’origine et la qualité des photos, le Ministère de la défense a produit sonplushautgradé,legénéralMike Jackson,hérosduKosovo,quiafer- mement condamné les actes d’hu- miliation et de lynchage «indignes de l’armée britannique». Si l’affaire s’avère réelle, les soldats incriminés risquent la cour martiale et l’expul- sion de l’armée. Samedi, Tony Blair, «consterné et dégoûté», a dé- noncéaveclamêmevéhémencedes actions qui, attribuées à des élé- ments incontrôlés du QLR, pour- raientêtrelerésultatd’unevengean- ce,suiteaumeurtred’uncamarade. La police militaire britannique enquêtait déjà sur des allégations d’incidents de maltraitance envers des prisonniers irakiens remontant aux mois d’août et de sep- tembre 2003, durant lesquels un jeuneIrakienavaitperdulavie. Lesimagespubliéessamedisont- elles véridiques? Certains indices mettent en doute la thèse de l’arres- tation d’un voleur tournant à une débauchesauvageetsadiquedevio- lence, huit heures durant, à l’arrière d’un camion militaire. L’habille- ment des soldats, l’absence de marquesdecoupssurl’hommebat- tu, sa relative passivité lorsqu’il re- çoit un coup du canon d’une arme automatique sur les parties géni- tales, son T-shirt immaculé, le type d’arme porté par les soldats britan- niques, et même le type de camion (les deux n’auraient pas été dé- ployésenIrak),paraissentlouchesà denombreuxexperts. Dimanche soir, le tabloïd défen- dait la véracité de son scoop, pro- mettant même pour lundi de nou- velles révélations émanant des deux soldats qui ont fourni les photos au journal. A Londres, on est absolu- mentcatastrophédelatournureque prennent les événements. Malgré l’accroissement de la tension en Irak, les Britanniques ont jusqu’ici plus ou moins réussi à conserver la tolérance, sinon l’appui, de la majo- rité de la population. Ces images vont singulièrement leur compli- quer la tâche. Non seulement en- verslesIrakiens,maisaussienversla communauté internationale, qui re- connaissait jusqu’ici à mots cou- verts la qualité supérieure du travail des soldats britanniques. «Nous sommes furieux qu’une poignée de voyous ait souillé notre nom», a lâ- ché, dépité, le lieutenant-colonel John Downham, secrétaire général durégiment. Thierry Meyer, Londres L’authenticitédesimages publiéessamediestmise endoute.Londresalancé uneenquêtesansattendre. LeCICR doitparler LeComitéin- ternationaldela Croix-Rouge croittoujours queladiscré- tionestfertile. Maispeut-ilen- coresetaire? Sesdéléguésvisitentlagrande prisondeAbouGhraib.Maisde l’aveumêmedelagénéralequi commandaitlesunitésdema- tonsmilitaires,lesdétenusdu bloc1A,oùontétépratiquéesles tortures,n’étaientpasprésentés auxreprésentantsduCICR.A Genève,unetelletromperiepeut rappelerdemauvaissouvenirs: Therezienstadt… Lesdéléguésvisitentaussilespri- sonniersdétenussurlabasede Guantanamo,àCuba.Maislà,le refuspersistantdesEtats-Unisde respecterleProtocoledeGenève surlesprisonniersdeguerrea conduitleCICRàdonnerunpeu delavoix.Désormais,ledéfiqui luiestlancéestbienpluslarge.La presseaméricaineelle-mêmedé- crit,autantqu’ellelepeut,l’ar- chipelaméricaindedétentions secrètesquisemetenplaceau- tourdumonde,del’AsieduSud- Estàl’Amériquecentrale,en passantparl’Afghanistan(Bagh- ram)etl’Irak.Enautomneder- nier,unedélégationdesgardiens deGuantanamoétaitvenueà AbouGhraibpourprodiguerses conseils.Etlenouveaurespon- sabledel’ensembledescentresde détentionenIrakvientaussidela basedeCuba. LeCICRestfaceàunsystèmecar- céraldontonveutluidissimuler lespièceslesplussombres.Ladis- crétionn’estplustenable. A. C. COMMENTAIRE EPA UNE FORCE MULTINATIONALE dirigée par l’ONU participera au maintien de la sécurité en Irak après le transfert de la souveraineté aux autorités irakiennes le 30 juin, a affirmé dimanche le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. UN CIVIL AMÉRICAIN, Thomas Hamill, enlevé le 9 avril à l’ouest de Bagdad, est libre et semble avoir échappé dimanche à ses ravisseurs. Récupéré près de Tikrit, ce conducteur de poids lourds américain de 43 ans était porté disparu depuis le 9 avril. Le général Kimmitt n’a rien dit sur le sort des autres otages américains, civils ou militaires. Le 13 avril, la coalition avait indiqué qu’une quarantaine de personnes d’au moins 12 nationalités avaient été prises en otage en Irak en avril. Depuis, les forces d’occupation ne fournissent plus de chiffres. DEUX GÉNÉRAUX IRAKIENS, Mohammed Latif et Jassem Saleh, dirigeront la brigade de Falloujah chargée de ramener l’ordre dans la ville après le retrait des troupes américaines. Elle sera composée d’un millier d’hommes. LT S U R L E F I L Ils ont placé le prisonnier dans un sac et dans de la glace, pour l’évacuer discrètement Laparutiondecettephotoenunedutabloïdanglais aengendréunepolémique.Elle pourrait avoir été truquée.
  • 9. Le Temps P Date N CMJ 5e 10 03.05 International10•LE TEMPS •LUNDI 3 MAI 2004 ✶✶✶ ARABIESAOUDITE•Lafirmehelvético-suédoise ABBaétésamedilacibled’uneattaquemeurtrière Desterroristesmassacrent desexpatriésaunorddeRiyad S elon les autorités saou- diennes, deux Américains, deux Britanniques et un Australien ont été tués et trois personnes blessées samedi dans l’attaque menée par quatre hommes armés, qui ont ensuite été abattus au terme d’une cour- se poursuite et d’échanges de tirs avec les forces de sécurité, dont ils ont tué un membre et blessé18autres. Le corps d’au moins un des cinq Occidentaux tués a été mu- tilé puis traîné derrière un véhi- cule dans les rues de Yanbu, une villeportuaire. Les hommes armés avaient auparavant fait irruption dans les locaux d’une filiale du grou- pe helvético-suédois Asea Brown Boveri Ltd (ABB – lire ci-dessous) à Yanbu, à 350 km au nord-ouest de Riyad, où ils ont ouvert le feu, la première at- taque dans le royaume saoudien visant des Occidentaux depuis le début de l’année. L’un des as- saillants serait «Abdallah Saoud Abou Nayan al-Soubayi, qui fi- gure sur la liste des 26 terroristes les plus recherchés dans le royaume». Cette liste nominati- ve a été publiée en dé- cembre 2003 par les autorités après deux séries d’attentats contre des complexes résiden- tiels à Riyad qui ont tué 52 per- sonnesenmaietnovembre. Cette attaque intervient neuf jours après un attentat-suicide à la voiture piégée contre le quar- tier général des services de sécu- rité à Riyad qui a tué cinq per- sonnes,outresonauteur. LT/ AFP ISRAËL • Le parti du premier ministre a voté dimanche contre le projet d’évacuation unilatérale de la bande de Gaza présenté par ce dernier.Ariel Sharon devrait toutefois saisir le gouvernement et la Knesset LabaseduLikoudditnonauplanSharon Serge Dumont, Tel-Aviv L es sondages ne s’étaient pas trompés. Selon les estima- tions effectuées à la sortie des urnes, Ariel Sharon a perdu le réfé- rendum sur son «plan de séparation unilatérale» organisé dimanche au sein des deux cent mille militants du Likoud (son parti). Selon les pre- mières estimations, 56% ont voté contre et 44% ont soutenu cette ini- tiative prévoyant le démantèlement des colonies de la bande de Gaza moyennant le renforcement de cinq grands blocs d’implantations de Cisjordanie. Dimanche matin, les enquêtes d’opinion publiées par les grands quotidiens populaires avaient pour- tant décelé une remontée des «légiti- mistes» soutenant l’initiative du pre- mier ministre et un affaiblissement du camp des opposants au plan composédefauconsduLikoudain- si que du «Yecha», le lobby des co- lonsdeCisjordanieetdelabandede Gaza. Cependant, au moment où les opérations de vote débutaient dans les 460 bureaux de vote établis parlacommissionélectoraleduparti nationaliste, le Hamas et les «Comi- tés de résistance populaire» ont re- vendiquélemitraillaged’unvéhicule civil israélien se rendant vers le bloc de colonies de Gouch Katif (l’une des colonies de la bande de Gaza susceptible d’être démantelée). Tali Hatuel,unemèredefamilleenceinte de huit mois, et ses quatre enfants ont été tués par ses tirs. Quatre sol- dats de Tsahal venus a leur secours ontégalementétéblessésetdeuxdes membresducommandopalestinien ontétéabattus. La mort de cette mère de famille etdesesquatreenfantsasonnéladé- faitedéfinitivedespartisansdu«plan de séparation» puisque selon l’ex- pression de la chroniqueuse poli- tiqueAyalaHasson,«lesmilitantsdu Likoudontbeaucoupplustendance àvoteravecleurventrequ’àseservir deleurcerveau».Certes,Tsahalara- pidement réagi à l’attentat en tuant quatreactivistespalestiniensdesBri- gades des martyrs d’Al-Aqsa, dont deux chefs, lors d’un raid aérien à Naplouse en Cisjordanie, et en bombardant un bâtiment de Radio Al-Quds,unestationislamistesituée en plein centre de Gaza-City (sept blessés palestiniens). De plus, Ariel Sharon a affirmé que son «plan aura pour résultat d’empêcher de nou- velles tueries de ce type». Mais tout celan’apasconvainculamajoritédu Likouddesoutenirsoninitiative. Ces derniers jours, sentant venir la défaite, le premier ministre avait laissé entendre que le rejet de son plan pourrait «mener à de nouvelles élections législatives». Le chef de l’opposition, le travailliste Shimon Peres,ad’ailleursréclamédimanche desélectionsanticipées. Pour l’heure, ce n’est pas encore lecas.Eneffet,selonsonentourage, Ariel Sharon «tentera quoi qu’il ar- rive» de faire approuver le retrait de la bande de Gaza par son gouver- nement et par la Knesset (parle- ment) en passant au-dessus de l’opiniondesonparti.S’iln’yarrive pas,ildemanderalesoutiendel’op- position afin de faire voter une loi organisant un référendum national sur le sujet. Un scrutin qui risque cette fois de lui être favorable puisque 65% des Israéliens se dé- clarent en faveur de l’évacuation de la bande de Gaza. En supposant que cette loi ne puisse être votée, Sharon pourrait alors songer à mettre sa démission dans la balan- ce. Mais ce n’est sans doute pas pourtoutdesuite. ■ Après la mort de cinq de ses employés lors de l’attentat qui a eu lieu samedi à Yanbu, ABB a annoncé dimanche le retrait de son personnel expatrié de cette région. Ce départ, qui concerne en tout près de 120 personnes, aura lieu rapidement, a indiqué Bjorn Edlund, porte-parole du groupe basé à Zurich. «Ce retrait n’est que temporaire et ne remet pas en cause notre engagement dans la région, mais nous n’y retournerons pas avant que la sécurité ne soit rétablie», a-t-il précisé. Pour ABB, les terroristes ont visé des Occidentaux et non le personnel du groupe. «Nous n’avions qu’un bureau et vraisemblablement pas d’enseigne sur place, estime Bjorn Edlund. Nos collaborateurs étudiaient le développement de la raffinerie gérée par l’américain Exxon Mobil et le saoudien Sabic, parce qu’ABB l’a construite il y a cinq ans.» Cette raffinerie constitue un projet important pour ABB, qui refuse néanmoins d’en dévoiler le montant. F. L. ABB décide un retrait «temporaire» Versunnouvelembrasementpalestinien? Deux groupes armés palesti- niens, le Djihad islamique et les Co- mités de la résistance populaire, ont revendiqué la responsabilité de l’at- taque dimanche dans la bande de Gaza, au cours de laquelle une fem- me colon et ses quatre enfants ont été tués. Cette attaque, qualifiée de massacre par Israël, souligne le risque d’embrasement sur ce terri- toire clef du plan de Sharon. Ces dernières semaines, le premier mi- nistre palestinien, Ahmed Qoreï, a passé la plus grande partie de son temps à tenter de convaincre ses hôtesétrangersquele«plandesépa- ration» présenté par Ariel Sharon et soutenu par l’administration améri- caine «ne mènerait à rien». Si les Pa- lestiniensseréjouissentdevoiréven- tuellement démantelées les vingt et une colonies juives de la bande de Gaza, la plupart d’entre eux ne croient pas que cette initiative chan- gera leur vie, puisque le ministre is- raélien de la Défense, Chaoul Mof- haz, (partisan du plan de Sharon), prédit que ce territoire se transfor- meraenunesortedegrandeprisonà ciel ouvert contrôlée de manière en- coreplussévèrequ’aujourd’hui. Pour l’heure, l’Autorité palesti- nienne (AP) promet de ne pas assu- mer ses responsabilités dans les «zoneslibérées»delabandedeGaza si Israël ne négocie pas l’application du plan avec elle. Mais la réalité est différente, puisque l’ex-patron du Service palestinien de sécurité pré- ventive Mohamed Dahlan prépare d’ores et déjà le terrain. Le 14 avril, apprenant que George Bush se ran- geaitducôtédeSharon,Arafatavait estimé pour sa part que «les chances d’aboutir un jour à la paix sont dé- sormaisfoutues».Renforcédansson pessimismeparsesconditionsdevie difficilesdanslaMuqataa(sonquar- tier général de Ramallah), il semble persuadé qu’une nouvelle flambée de violence est en cours de prépara- tion et met tout en œuvre pour ne pas laisser les milices autonomes supplanter les services de sécurité quiluisontrestésfidèles. S. D., Tel-Aviv Avantlevotededimanche, lesleaderspalestiniens sesontlesunsetlesautres positionnésparrapport auplanSharon. P U B L I C I T É