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JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016
72EANNÉE– NO 22292
2,40 €– FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
«L’IDENTITÉ HEUREUSE»,
LA MARQUE DE FABRIQUE DE JUPPÉ
A Strasbourg, le 13septembre.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS
POUR «LE MONDE»
▶ Le candidat à la
primaire de droite
défend le concept
«anti-déclinologues»
▶ Le maire de Bordeaux
prend le contre-pied
de Sarkozy sur
l’immigration et l’islam
PAGE 8
LE REGARD DE PLANTU
LES ILLUSIONS
PERDUES
DU POMPIDOLISME
PAGE 22
1É D I T O R I A L
NSA
Après trois ans
d’exil, Snowden
demande à Obama
de le gracier
PAGE 5
Etats-Unis
Hausse des
revenus en2015,
pour la première
fois depuis 2007
CAHIER ÉCO – PAGE 6
Livre
Christophe Guilluy
en guerre contre
la bourgeoisie
des cadres
PAGE 21
Une équipe anglo-alle-
mande a obtenu des sou-
riceaux sans avoir recours
à des ovocytes, ces cellules
sexuelles d’origine mater-
nelle. Une première.
PAGE 7
Science
Unenouvelle
techniquepour
créerlevivant
L’épopée du Cavalier bleu
n’a duré que trois ans,
mais le livre de Vassily
Kandinsky et Franz Marc
incarne un moment-clé
du XXe siècle. Exposition à
Riehen, en Suisse.
PAGE 14
Arts
LeCavalierbleu,
légendaire
livre-almanach
L’Europeenpleindouteexistentiel
▶ Les chefs d’Etat des
27 pays européens se
retrouvent à Bratislava,
vendredi, sans les Britan-
niques, pour la première
fois depuis le Brexit
▶ La perspective d’une
sortie du Royaume-Uni
est venue s’ajouter aux
crises qui ébranlaient
déjà l’Union: réfugiés,
terrorisme, économie
▶ «Notre Union traverse
une crise existentielle»,
a déclaré Jean-Claude Junc-
ker, président de la Com-
mission, dans un discours
mercredi à Strasbourg
▶ Face aux divisions entre
les Etats membres, la
Commission veut endi-
guer la fragmentation
du continent en relançant
des projets concrets
▶ Le moteur franco-alle-
mand semble, lui, grippé,
en raison d’échéances
électorales très incertaines
PAGES 2-3 ET L’ANALYSE
DE JACQUES DELORS PAGE 20
LegouvernementetAlstom
cherchentunesortiedecrise
Le gouvernement et Alstom
se sont donné dix jours
pour tenter de sauver le site
de Belfort, sur lequel l’industriel
veut arrêterla production de loco-
motives. Après plusieurs jours de
fortes tensions entre le groupe et
l’Etat, qui en détient 20%, l’heure
semble être à l’apaisement. Cette
crise a mis les projecteurs sur
Henri Poupart-Lafarge, le PDG du
groupe, qui a largement sous-es-
timé les conséquences politiques
de sa décision et multiplié les er-
reurs de communication.
CAHIER ÉCO – PAGES 2-3
DéradicalisationOuvertured’un
premiercentretoutentâtonnements
Le premier «centre de déra-
dicalisation» va ouvrir
dans les prochains jours à
Pontourny, en Indre-et-Loire, à
quelques kilomètres de Chinon,
dans une vaste propriété de l’As-
sistance publique-Hôpitaux de
Paris et dans une relative impro-
visation.
Ce premier centre de préven-
tion, d’insertion et de citoyen-
neté accueillera d’abord en inter-
nat une dizaine de jeunes ma-
jeurs, hommes et femmes,
volontaires, «en voie de radicali-
sation mais qui ont la volonté de
s’en sortir», a indiqué le préfet.
L’Etat entend ouvrir un centre de
ce type dans chacune des treize
régions françaises, mais tous
n’ont pas vocation à accueillir le
même type de public.
Pontourny ne devrait abriter
que des adultes «qui se sont éga-
rés sur des sites djihadistes et sont
en rupture avec leur famille» dans
un lieu semi-ouvert, avec un «ac-
compagnement bienveillant».
Aujourd’hui 2375 individus et
950 familles font déjà l’objet d’un
suivi en milieu ouvert.
PAGE 10
‘Un récit magistral.‘
Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche
‘LE CHOC
IVAN JABLONKA’
2|
INTERNATIONAL JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016
0123
bruxelles - bureau européen
L
enumérodeuxdelaCom-
missiondeBruxellesécrit,
dans son livre Fraternité:
«C’est la première fois,
dansmonexpérienceconscientede
la coopération européenne, que je
pense que le projet pourrait réelle-
ment échouer.» En Italie, où il
participait, début septembre, au
Forum Ambrosetti de réflexion
sur l’Europe, le social-démocrate
néerlandaisFransTimmermansa,
certes, nuancé son propos, mais le
qui espère donc davantage d’ac-
tions en commun, alors même
que des «poisons mortels» pour
l’unité semblent à l’œuvre: les
«petits clubs particuliers» que
sont,selonlui,le«groupedeVise-
grad»pourlespaysdel’Est–Polo-
gne, Hongrie, République tchè-
que,Slovaquie–,celuidesEtatsdu
Sud, celui des dirigeants sociaux-
démocratesouleprojetdegroupe
de la mer du Nord…
«A Bratislava, on risque, selon
moi, d’éviter tous les sujets d’une
possible controverse pour produire
des conclusions consensuelles,
alorsqu’aucontrairelemomentest
venu de prendre des risques et de
s’adresser directement aux ci-
toyens», explique Enrico Letta.
Ceux-ci ont besoin de réalisations
concrètes, poursuit l’ancien lea-
der du Parti démocrate italien:
«Un projet Erasmus Pro pour un
million de jeunes apprentis euro-
péens, des gardes-frontières euro-
péens – cessons les déclarations,
faisons! –, une vraie coopération
antiterroriste, la fin rapide de l’am-
biguïté au sujet du Brexit avec un
veto sur des éléments qui pour-
raient être contraires à nos inté-
rêts.» M. Letta réclame aussi une
politiqueoffensivepourrétablirla
croissance et réduire le chômage,
avec un effort supplémentaire
pour l’investissement.
Shimon Peres, âgé de 93ans – et
hospitalisé mardi 13septembre
après un accident vasculaire céré-
bral –, qui participait au Forum
Ambrosetti,avaittentédenuancer
le verdict de nombreux responsa-
bleseuropéens.L’ancienprésident
israélien qui, en 2013, décrivait
l’Europe comme «un rêve qui s’est
terminé par un miracle», a lancé:
«Ne soyez pas si pessimistes.»
Il a apparemment convaincu
l’ancien chancelier fédéral autri-
chien Wolfgang Schüssel. «Je
m’étonne de voir autant de gens
pris dans une spirale négative. On
surutiliseletermedecrise»,décla-
re-t-il au Monde. Pour l’ex-leader
du Parti populaire autrichien
(conservateur), la «polycrise»
évoquée par M. Juncker masque,
en réalité, le fait que «l’Europe va
mieux qu’il y a cinq ans». «La
moitié des grands dirigeants
d’entreprise mise sur une hausse
des investissements dans les an-
nées à venir, l’innovation pro-
gresse. On peut convaincre l’opi-
nion que l’on peut retrouver la
confiance. Entre les Etats, entre les
dirigeants et les citoyens, entre les
institutions», ajoute-t-il.
Changement de cap
Un constat partagé, avec des
nuances, par Jeroen Dijsselbloem,
le président de l’Eurogroupe et
ministre des finances néerlan-
dais, heureux d’avoir évité que la
zone euro – l’une des vraies réali-
sations tangibles de l’UE – éclate à
cause de la crise grecque. Il s’in-
quiète cependant de la montée
des populismes. Dans son pays,
Geert Wilders et son Parti pour la
liberté veulent détruire l’Europe
afin, disent-ils, de restaurer l’Etat-
providence. Pour les contrer, il
convient, souligne M. Dijssel-
bloem, de se soucier des inégali-
tés, «qui sont parmi les principaux
facteurs d’inquiétude», de la jus-
ticeetdel’équité.Entrelesgénéra-
tions, entre gagnants et perdants
de la mondialisation, entre les ex-
clusetceuxquisontbienintégrés.
«Les inégalités ne sont pas une
fatalité, expliquait récemment le
ministre devant le groupe de ré-
flexion Bruegel, à Bruxelles. Parce
que le vieillissement de la popula-
tion et les migrations ne nous im-
posent pas de démanteler le mo-
dèle social européen. Et parce que
lamiseenœuvrederéformesnesi-
gnifie pas que nous devons détri-
coter l’Etat-providence.»
Ce propos paraît ébaucher le
changementdecapprônéparcer-
tains, qui font le constat que,
même si la situation de la zone
euro reste assez préoccupante, il
est temps de sortir du cadre strict
de la rigueur budgétaire, surtout
quand le pacte de stabilité et de
croissance semble avoir perdu
toute crédibilité – il est vrai qu’il
était politiquement impossible
de sanctionner un pays sans gou-
vernement comme l’Espagne. Ils
réclament donc plus de flexibilité
pour l’investissement public et la
réconciliation du marché et du
social pour rendre à l’Europe un
visage plus humain.
«L’une des raisons du rejet, par
les opinions, d’une intégration
plus poussée est due au fait que
l’onn’avaitpassongéàcetterécon-
ciliation», souligne Mario Monti,
ancien commissaire européen à
la concurrence, ex-chef du gou-
vernement italien et dirigeant du
«Groupe de haut niveau» qui ré-
fléchit aux moyens de finance-
ment de l’UE. «En France notam-
ment, poursuit-il, la conviction
que le marché progresse d’autant
plus que les droits sociaux reculent
est bien ancrée.»
Ce grand spécialiste de la politi-
que européenne croit-il que l’UE
François Hollande,
Matteo Renzi
et Angela Merkel
(de gauche
à droite) sur le
porte-aéronefs
italien
«Garibaldi», en
mer Tyrrhénienne,
le 22août.
GUIDO BERGMANN/AFP
«Les crises
ne me paraissent
plus générer
d’énergies
politiques
nouvelles»
MARIO MONTI
ex-premier ministre italien
peut encore sortir de l’ornière?
«J’ai toujours considéré que c’est
par les crises que l’Europe a pro-
gressé. Mais, pour la première fois,
j’ai exprimé [en 2015] des doutes
sur le fait qu’elles pourraient en-
core nous être bénéfiques. Ce qui a
changé, c’est que le mécanisme est
brisé. Les crises ne me paraissent
plus générer d’énergies politiques
nouvelles, capables de nous faire
aller de l’avant.»
Protéger les citoyens
La préservation des modèles so-
ciaux pourrait bien être, en tout
cas,l’undesgrandsenjeuxdesan-
nées à venir. «L’histoire du siècle
précédentmontrequenepaspren-
dre au sérieux ces exigences et ces
aspirations, c’est prendre le risque
qu’elles le soient par des forces po-
litiques radicales», soulignent
Thierry Chopin et Jean-François
Jamet, dans leur article «L’avenir
duprojeteuropéen»,publiélundi
12 septembre par la Fondation Ro-
bert Schuman. Et si le projet euro-
péen doit être refondé, c’est en vi-
sant à protéger les citoyens «con-
tre les excès ou les insuffisances
des systèmes politiques et écono-
miques», soulignent ces experts.
L’ambition de l’Europe doit tou-
tefois aussi être stratégique, in-
siste Enrico Letta. Face aux dé-
fis de la migration, du terrorisme,
de la déstabilisation de son voisi-
nage, elle ne peut plus se conten-
ter de condamner ou de limiter
les dégâts. «C’est le fait que l’UE
n’ait pas voulu régler la question
syriennequiaplacélaGrande-Bre-
tagne hors de l’Union, souligne-
t-il. Ce qui a déterminé le compor-
tement des électeurs, ce n’est pas la
question de l’immigration d’Eu-
rope de l’Est, mais bien les images
quotidiennes du chaos en Grèce, à
Lampedusa ou à Calais.» p
jean-pierre stroobants
L’Europesaisieparlapeurdel’implosion
Lesvingt-septEtatsdel’UEseretrouventvendrediàBratislavapourunpremiersommetsanslesBritanniques
LES CRISES EUROPÉENNES
Relancer l’Union. Après le
discours sur l’état de l’Union
du président de la Commission,
Jean-Claude Juncker, le 14 sep-
tembre à Strasbourg, le sommet
informel des chefs d’Etat et de
gouvernement tentera, vendredi
à Bratislava, d’endiguer l’onde de
choc provoquée par le vote en fa-
veur du Brexit le 23juin.
Morosité. Mise à mal par des cri-
ses multiples (Brexit, terrorisme,
réfugiés, montée des populis-
mes, etc.), l’Union européenne
est-elle capable de se refonder?
Les pronostics sont générale-
ment peu optimistes, d’autant
que plusieurs élections, dont la
présidentielle française, risquent
de paralyser le processus.
Hésitations. Menacée par la
fragmentation, l’UE hésite entre
la réalisation de projets concrets,
compréhensibles par les citoyens
et un statu quo qui, de l’avis de
beaucoup, pourrait déboucher
sur sa paralysie définitive.
CE QU’IL
FAUT SAVOIR
constat est là, implacable: l’Union
européenne (UE) affronte tant de
crisessimultanéesqu’ellepourrait
ne pas s’en relever.
«L’Europe menacée? Oui, ou pire
encore… Avec la crise économique
qui persiste, celle des réfugiés, le
terrorisme, le Brexit, ce désastre
qui a mis à mal l’idée même du
projet, la situation est sans précé-
dent», appuie Enrico Letta, l’an-
cien président du Conseil italien,
devenu doyen de l’Ecole des affai-
res internationales de Sciences Po
Paris et président de l’Institut Jac-
ques-Delors. Interrogé par Le
Monde, il dresse un constat plus
noir encore: «Ma grande crainte
est que l’on reste dans le statu quo,
qu’onattendelesrésultatsdesélec-
tions qui auront lieu en Allemagne
et en France notamment, et qu’à la
fin on ne retrouve plus l’Europe…»
«Ne soyez pas si pessimistes»
Le sommet informel des chefs
d’Etat à Bratislava, vendredi
16 septembre – le premier sans les
Britanniques après le référendum
en faveur du Brexit du 23 juin –
pourrait-il malgré tout, après le
discours sur «l’état de l’Union»
que le président de la Commis-
sion, Jean-Claude Juncker, pro-
nonce à Strasbourg mercredi, re-
lancer une mécanique grippée et
pousser les Européens à davan-
tage de solidarité pour affronter
lesdéfisdelasécurité,delamigra-
tion, du chômage, des populis-
mes? «Ce sera un premier pas»,
espère M. Timmermans.
«A force de se concentrer sur les
procédures plutôt que sur les ob-
jectifs, nos grands chefs, chez eux
comme à Bruxelles, donnent
l’image de l’impuissance, au mo-
ment où l’Europe a besoin de mon-
trer sa puissance», analyse Jean-
Dominique Giuliani, le président
de la Fondation Robert Schuman,
0123
JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 international | 3
bruxelles - bureau européen
L
e contraste avec son «dis-
cours de l’Union» de 2015
est frappant. A l’époque,
Jean-Claude Juncker, le
président de la Commission,
s’étaitmontrélyriqueetvindicatif,
tançant les Etats membres, récla-
mant qu’ils adoptent au plus tôt
sonprojetderépartitionéquitable
des réfugiés partout en Europe. La
crise migratoire battait son plein,
la chancelière allemande, Angela
Merkel, venait juste d’ouvrir les
portes de son pays aux Syriens
fuyant la guerre, et ils affluaient
par dizaines de milliers sur la
«route des Balkans».
Mercredi 14 septembre, pour sa
rentrée politique devant le Parle-
ment de Strasbourg, plus ques-
tion pour M. Juncker de pointer
dudoigttropouvertementlesres-
ponsabilités des gouvernements,
d’insister sur les sujets suscepti-
bles de diviser encore davantage
des pays membres évoluant dé-
sormais en ordre très dispersé.
Même s’il la mentionne encore, la
«Commission politique» pro-
mise par M. Juncker il y a à peine
deux ans plastronne beaucoup
moins.Lemotd’ordre,désormais,
c’est cet «agenda positif» que le
président et ses équipes enten-
dent dérouler dans les prochains
mois. Pas d’annonces mirobolan-
tes, mercredi, mais un pro-
gramme de travail réaliste, «pro-
che des préoccupations des gens»,
explique-t-onàBruxelles.Aprèsle
Brexit, la Commission doit prou-
ver qu’elle compte encore.
M. Juncker a annoncé un quasi-
doublement de son plan d’inves-
tissement (porté de 315 à plus de
500 milliards d’euros, prolongé
jusqu’en 2020), dévoilé une ré-
forme du droit d’auteur, décrété
que les sujets sécurité et défense
sont prioritaires, proposé de ren-
forcer l’agence Europol et de met-
treenœuvrelasurveillance«intel-
ligente» des frontières, en s’en te-
nant aux récentes propositions
franco-allemandes en la matière.
M. Juncker a aussi promis le dé-
ploiement, «dès le mois d’octo-
bre», d’au moins 200 gardes-fron-
tièresàlafrontièreextérieuredela
Bulgarie.Ungestetrèsattendudes
Etats membres, qui veulent que se
matérialise au plus vite le renfor-
cement de Frontex, l’agence euro-
péenne des gardes-frontières.
La Commission veut aussi créer
«un corps européen de solida-
rité», opérationnel avant la fin de
cette année: l’idée est de faciliter
lamobilisationdesjeunessouhai-
tant proposer leur aide là où elle
sera la plus utile, «pour répondre
aux situations de crise, comme la
crise des réfugiés ou les récents
tremblements de terre en Italie».
Objectif:100000premiersjeunes
volontaires à l’œuvre d’ici à 2020.
La crise migratoire? La réforme
réclamée par la Grèce et l’Italie des
règlesdeDublinrégissantl’accueil
desréfugiés?Letraitétransatlanti-
que de libre-échange? Trop polé-
mique: M. Juncker a certes beau-
coup parlé de solidarité, mercredi,
mais «en disant qu’elle est au cœur
du projet européen. Il ne veut pas
forcer les Etats membres, mais les
convaincre qu’il s’agit d’une valeur
centraledel’Union»,explique-t-on
à la Commission.
Affaibli par les crises
Le président est certes «comba-
tif», assure-t-on dans son entou-
rage, et il n’hésite pas, dans son
discours, à rappeler les uns et les
autres à leurs responsabilités:
«Nous devons en finir avec cette
vieille rengaine selon laquelle le
succès est national et l’échec euro-
péen. Sans quoi notre projet com-
mun ne survivra pas.»
Maislescrisesdesderniersmois
(migration, terrorisme) et, sur-
tout, le référendum du 23 juin sur
la sortie du Royaume-Uni de l’UE
l’ontaffaibli,luietsoninstitution.
Les critiques se sont mises à pleu-
voir, notamment des dirigeants
de l’Est, qui n’avaient pas digéré
les «quotas» de réfugiés propo-
sés par Bruxelles, et qui ont pris le
prétexte du Brexit pour réclamer
«moinsd’Europe».Danslapresse
se sont multipliés les articles dé-
crivant un président isolé, men-
tionnant des soucis de santé.
La gestion de l’«affaire» José
Manuel Barroso n’a rien arrangé.
M. Juncker a mis deux mois à réa-
gir au «pantouflage» de son pré-
décesseur à la banque Goldman
Sachs, malgré l’émotion qu’elle a
suscitée, y compris en interne – la
pétition contre ce recrutement,
qui a déjà recueilli près de
140000 signatures sur la plate-
forme Change. org, a été lancée
pardesfonctionnaireseuropéens.
Dimanche 11 septembre, pour
tenter d’éteindre l’incendie,
M. Juncker a fini par exiger des
précisions sur le contrat de travail
de M. Barroso. Ce dernier a réagi,
mardi, en rejetant les critiques
quant à son manque d’«inté-
grité»,qu’ilestime«infondées»et
«discriminatoires à son égard».
Durant l’été, M. Juncker a reçu
quelques soutiens de poids, dont
celui du président François Hol-
lande.AveclanominationduFran-
çais Michel Barnier en tant que
«M. Brexit» de la Commission, il a
obtenu que son institution puisse
participer aux négociations, qui
tardent à venir, pour organiser le
divorce avec Londres. Et en con-
damnant Apple, la première capi-
talisation boursière au monde, à
rembourserlasommecolossalede
13 milliards d’euros à l’Irlande, la
commissaire à la concurrence,
Margrethe Vestager, a redoré d’un
coup le blason de Bruxelles.
Désormais, la Commission dis-
pose d’un sujet tout trouvé pour
regagner le cœur des Européens:
laluttecontrelafraudeetl’évasion
fiscale. Un comble pour son prési-
dent, ex-premier ministre du
Luxembourg,unpaysconnupour
avoirattirépendantdesannéesles
multinationales avec des accords
fiscaux ultra-avantageux. Mais,
pour se «relancer», M. Juncker et
ses équipes savent qu’ils ont peu
de marge de manœuvre, notam-
mentàcausedesfuturesélections
en France et en Allemagne. p
cécile ducourtieux
Pas d’annonces
mirobolantes,
mercredi
14 septembre,
mais un
programme
de travail réaliste
Jean-ClaudeJunckerfaitprofilbas
Surladéfensive,leprésidentdelaCommissioneuropéenneveutcontrerlescritiquesvenuesd’Europecentrale
L’absencedeleadershipetlesfractures
régionalesminentl’Unioneuropéenne
Lesuccèsdespopulistesaffaiblitlacapacitéd’initiativedesVingt-Sept
vienne - correspondant
Depuis le Brexit, les res-
ponsables européens
multiplient les mises en
garde sur la mort de l’Europe,
pour mieux en appeler à l’unité.
Le sommet de Bratislava, ven-
dredi 16 septembre, est censé ré-
fléchir à la future marche de l’Eu-
ropeàvingt-sept,aprèsleréféren-
dum en faveur d’une sortie du
Royaume-Uni en juin. Mais, en
prélude, ce sont surtout les divi-
sions qui se sont fait entendre,
d’Athènes à Budapest, en passant
par Berlin ou Bruxelles.
La polémique déclenchée par le
ministre des affaires étrangères
luxembourgeois, Jean Asselborn,
qui a demandé, mardi 13 septem-
bre, la sortie au moins temporaire
de la Hongrie de l’Union euro-
péenne(UE),enraisondesapoliti-
quedureenverslesréfugiés,estré-
vélatricedestensionsdumoment.
Jeudi, Angela Merkel et François
Hollande devaient se retrouver
pourundéjeunerdetravailafinde
mettre,unenouvellefois,enscène
ce moteur franco-allemand à bout
de souffle. Ils se sont entendus
pendantl’été–avecMatteoRenzi–
sur ce qui ressemble aux plus pe-
titsdénominateurscommuns:sé-
curité,croissanceetjeunesse.L’ob-
session des responsables avant
Bratislava semble être d’éviter les
sujets qui fâchent, comme le
Brexit ou l’immigration.
Une Espagne sans gouvernement
Mais le moteur franco-allemand
ne peut repartir au moment où
les deux dirigeants sont confron-
tésàdeséchéancesélectoralesdif-
ficiles. M. Hollande est contesté
depuis longtemps au sein de sa
majorité. Mme Merkel est aussi dé-
sormais critiquée dans son pro-
pre pays, un an avant les élections
législatives, en raison de sa ges-
tion jugée trop généreuse de la
crise des réfugiés. Un parti d’ex-
trême droite, Alternative pour
l’Allemagne, est en train de s’ins-
taller avec la chancelière pour ci-
ble, tandis qu’en France, la prési-
dente du Front national, Marine
Le Pen, est bien placée pour at-
teindre le second tour de l’élec-
tion présidentielle en mai 2017.
En Italie, Matteo Renzi joue sa
survie à l’occasion du référen-
dum, à l’automne, sur la réforme
constitutionnelle, transformée
par Beppe Grillo et le reste de l’op-
position en scrutin anti-Renzi. Les
Pays-Bas organisent des élections
législatives en mars 2017, sous la
menace d’une poussée du parti
d’extrêmedroitedeGeertWilders,
qui promet un référendum à haut
risque sur l’appartenance à l’UE.
La situation n’est pas meilleure
en Espagne, sans gouvernement
depuis dix mois, ou en Autriche,
sous la menace d’une victoire de
l’extrême droite à une élection
présidentielle qui n’en finit pas
d’être ajournée.
Cette absence de leadership fa-
vorise l’expression des discordes
européennes. Vendredi 9 septem-
bre, la cacophonie européenne
était à son comble, réactivant une
opposition Nord-Sud qui s’était
pourtant largement atténuée de-
puis la crise grecque. A Athènes, le
premier ministre grec, Alexis Tsi-
pras, avait réuni les pays méditer-
L’obsession
des responsables
avant Bratislava
semble être
d’éviter les sujets
qui fâchent
ranéens de l’UE, tout en tonnant
contre «l’Europe allemande». Cer-
tains ministres des finances de la
zone euro ironisaient sur cette
rencontre, comme l’Allemand
Wolfgang Schäuble ou le Néerlan-
dais Jeroen Dijsselbloem: «L’été
est terminé. Il faut ranger le maté-
riel de camping.»
Nouveau front
Terrorisme, migration, Brexit. Les
crises se sont déplacées en Eu-
rope. Un nouveau front a surgi
avec les pays d’Europe centrale,
qui ont pris le leadership du camp
des souverainistes. Viktor Orban
symbolise l’opposition de Buda-
pest, mais aussi de la Pologne, de
la Slovaquie et de la République
tchèque à Bruxelles, sommée de
regarder un peu plus vers l’Est.
Ces quatre Etats veulent présen-
ter à Bratislava une position com-
mune, qui risque de se transfor-
mer en une opposition ferme aux
projetsdeParis,deBerlinetdusud
de l’Europe pour relancer l’Union.
Ilssouhaitentunrenforcementdu
rôle des Etats au détriment des
pouvoirs de la Commission, qu’ils
critiquent sévèrement.
En s’élevant contre les quotas de
répartition des migrants, le chef
du gouvernement hongrois se
sent assez solide pour braver les
responsables européens. Ce diri-
geant, au pouvoir depuis 2010, est
mis en cause pour sa dérive auto-
ritaire.Ilsaitjouerdesonapparte-
nance au Parti populaire euro-
péen. Il a élargi sa zone d’in-
fluence au moment de la ferme-
ture de la route des Balkans en
mars,ens’alliantavecl’Autricheet
les pays des Balkans. Et compte
sur Bratislava pour apparaître
comme une alternative à l’Europe
affaiblie d’Angela Merkel. p
blaise gauquelin
et alain salles (à paris)
VERBATIM
“
Soyons tous très honnêtes
dans notre diagnostic. Notre
Union européenne traverse, du
moins en partie, une crise exis-
tentielle (…). Nous ne sommes
pas les Etats-Unis d’Europe. No-
tre Union européenne est beau-
coup plus complexe (…). Ignorer
cette complexité serait une er-
reur et nous conduirait à adopter
les mauvaises solutions (…). Les
Européens veulent des solutions
concrètes aux problèmes très
pertinents auxquels notre Union
fait face. Et ils attendent mieux
que des promesses, des résolu-
tions et des conclusions de som-
mets. Ils en ont trop vu et trop
entendu (…). L’Europe ne peut
fonctionner que si les discours
défendant notre projet commun
sont tenus, non seulement de-
vant cette honorable assemblée,
mais aussi devant les Parlements
de tous nos Etats membres.»
Jean-Claude Juncker, président
de la Commission européenne,
à l’occasion du discours sur l’état
de l’Union au Parlement
de Strasbourg, le 14septembre.
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LUMIÈRE
DU SAMEDI 8
AU DIMANCHE
16 OCTOBRE
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4| international JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016
0123
TheresaMayrelancelaguerredes«classesd’élite»
Aunomdelaméritocratie,lapremièreministrebritanniqueveutrétablirles«grammarschools»
londres - correspondant
P
aralysée sur le dossier
explosif du Brexit – la
sortie du Royaume-Uni
de l’Union européenne
(UE) –, Theresa May, relance un
vieux serpent de mer de la politi-
que britannique: la sélection à
l’entrée des études secondaires.
Lundi 12 septembre, sa ministre
de l’éducation, Justine Greening, a
rendupubliquelaréformescolaire
inattendue que la nouvelle pre-
mière ministre britannique veut
mettre en œuvre, afin, dit-elle,
d’offrir «de meilleures chances aux
gens ordinaires, issus de la classe
ouvrière». «Je veux que la Grande-
Bretagne soit la plus grande méri-
tocratie du monde, avait-elle dé-
claré, le 9 septembre à Londres, un
pays où le succès repose sur le mé-
rite et non sur les privilèges.»
Il s’agit d’abroger la loi de 1998
qui avait bloqué la création de
nouvelles grammar schools, ces
établissements secondaires pu-
blics ouverts seulement aux lau-
réats d’un examen ultra-sélectif
passé par les élèves de 11 ans. De
nouvelles grammars pourraient
êtrefondéesetdesétablissements
non sélectifs existant seraient en-
couragés à se transformer en
grammars grâce à des finance-
ments publics. Des groupes de pa-
rents ou des entités privées pour-
raient aussi en créer. Aujourd’hui
marginales mais très prisées dans
les milieux aisés, les grammar
schools ne sont plus que 163 sur
3000établissementssecondaires.
Méritocratie ou égalité? Le dé-
bat, longtemps vif au Royaume-
Uni, semblait clos: le système à
deux vitesses mis en place
en 1944 – grammar schools et se-
condary modern schools –, qui ne
laissait guère de chance d’accès à
l’université aux enfants issus de
milieux populaires, a été de fait
aboli dans les années 1970 par les
travaillistes avec la montée des
comprehensive schools (l’équiva-
lent du collège unique). Margaret
Thatcher a accéléré le mouve-
ment de fermeture des grammar
schoolset,toutrécemment,David
Cameron les a présentées comme
de vieilles lunes, des crispations
idéologiques symptomatiques
d’une «guerre de classes idiote» et
d’un conservatisme révolu. Les
parents «ne veulent pas que leurs
enfants soient classés “bons” ou
“mauvais” à l’âge de 11 ans», avait
ainsi remarqué l’ancien premier
ministre.
Le choix de M. Cameron, qui a
quitté le pouvoir le 24 juin, au len-
demain du référendum perdu sur
le Brexit, de démissionner de son
poste de député, lundi, à l’heure
même de l’annonce du retour des
grammar schools est «une pure
coïncidence»,a-t-ilcrubondepré-
ciser. Beaucoup de commenta-
teurs y voient un désaveu.
Hostilité des travaillistes
Nicky Morgan, ministre de l’édu-
cation sous M. Cameron de 2014 à
2016, considère le retour de la «sé-
grégation» comme «une diversion
par rapport aux réformes cruciales
pour améliorer le niveau [sco-
laire]». Les détracteurs des gram-
mars soulignent que leur relance
risque de «siphonner» les autres
établissements de leurs meilleurs
élèves et de compromettre les ré-
sultats de ces derniers. Et souli-
gnent que les parents aisés finan-
cent le soutien scolaire nécessaire
au passage de l’examen d’entrée.
TheresaMay,quiaffirmevouloir
gouverner «non pour quelques
privilégiés» mais pour tous, af-
firme que la réforme vise à amé-
liorer la mobilité sociale.
Aujourd’hui, argue-t-elle, la
hausse des prix de l’immobilier
dans les secteurs correspondant
aux meilleurs établissements
rend l’égalité d’accès illusoire.
Alors que les actuelles gram-
mars n’accueillent que 2,5 % des
élèves éligibles à la gratuité de la
cantinecontre31,5%enmoyenne,
les futurs établissements sélectifs
seraient obligés d’inscrire un cer-
tain quota d’élèves défavorisés.
Le retour des grammars a été ac-
cueilli avec hostilité par les tra-
vaillistes,qui craignent un creuse-
ment des inégalités sociales.
«Nous mettrons en échec» la ré-
forme, a promis leur chef, Jeremy
Corbyn. Mais il divise aussi les
conservateurs. Alors que Mme May
nedisposequededix-septvoixde
majorité,douzedéputéstoriesont
manifesté leur désaccord à l’égard
d’orientations qui ne figurent pas
dans le programme du parti et
tournent le dos aux réformes en-
gagées sous David Cameron.
Chiffon rouge
Depuis 2010, la transformation
des établissements d’enseigne-
ment public en academies était la
priorité. Ce nouveau statut fait des
établissements scolaires des enti-
tés privées financées non plus par
les collectivités territoriales mais
par l’Etat. Autonomes, les acade-
mies sont gérées par un chef d’éta-
blissement épaulé par des spon-
sors locaux (université, associa-
tion caritative). La réforme a per-
mis d’améliorer les performances
des établissements défavorisés.
Plus de 60 % des établissements
du secondaire et 15 % des écoles
élémentaires sont devenus des
academies.MaisleprojetdeM.Ca-
meron d’imposer la généralisa-
tion de ce statut a dû être aban-
donné devant les protestations.
Tous les conservateurs ne voient
pas non plus d’un bon œil l’autre
disposition prévue par Mme May,
qui consiste à supprimer l’obliga-
tionpourlesécolesprivéesconfes-
sionnelles d’accueillir 50 % d’élè-
ves sur des bases non religieuses.
Controversé,ledossierdesgram-
mar schools va occuper l’agenda
politique pendant plusieurs mois,
alors que le gouvernement May
peine à définir une stratégie pour
mettreenœuvreleBrexit.Enchoi-
sissant d’agiter ce chiffon rouge, la
première ministre proclame
qu’elle a les mains libres face à une
opposition affaiblie. Mais elle ré-
vèle ce que ses premiers discours
éclairés avaient masqué: la loca-
taire de Downing Street est une
conservatricetrèstraditionnelle. p
philippe bernard
Troisterroristessoupçonnésd’allégeanceàl’EIarrêtésenAllemagne
VraisemblablementarrivésparlaroutedesBalkans,lesindividuspourraientêtreliésauxattentatsdu13novembre2015enFrance
berlin - correspondant
Trois hommes soupçonnés
d’avoir prêté allégeance à
l’organisation Etat islami-
que (EI) et d’appartenir à la même
filière que les auteurs des atten-
tatsperpétrésàParisetàSaint-De-
nis le 13 novembre2015 ont été ar-
rêtés, mardi 13 septembre, dans le
cadre d’une opération antiterro-
riste dans le nord de l’Allemagne.
Selon le ministre allemand de
l’intérieur, Thomas de Maizière,
ils seraient arrivés en Europe de-
puis la Syrie et auraient eu re-
cours à «la même organisation de
passeurs que les auteurs des atten-
tats de Paris». Par ailleurs, ils se-
raient détenteurs de «documents
de voyage fabriqués dans le même
atelier» de fabrication de faux pa-
piers que les deux kamikazes ira-
kiensduStadedeFranceetqueles
deux suspects, l’un algérien,
l’autre pakistanais, interpellés en
décembre 2015 en Autriche.
Sur les activités actuelles des
trois hommes arrêtés mardi ma-
tin dans des foyers de deman-
deurs d’asile près des villes de
Hambourg et de Lübeck, dans le
nord de l’Allemagne, M. de Mai-
zière s’est voulu rassurant. «Jus-
qu’àprésent,iln’yaaucuneindica-
tion qu’une planification concrète
en vue d’un attentat était en cours.
Il pourrait dès lors s’agir d’une cel-
lule dormante», a-t-il déclaré,
mardimidi,lorsd’uneconférence
de presse à Berlin.
Selon un communiqué du par-
quet, qui a décidé de les poursui-
vre pour appartenance à une «or-
ganisation terroriste étrangère»,
les trois hommes «sont soupçon-
nés d’être venus en Allemagne sur
ordredel’EI,soitpourexécuterune
mission, soit pour se tenir prêts en
vue d’instructions».
Les trois hommes, semble-t-il,
sont arrivés ensemble en Allema-
gne, en novembre 2015. Le plus
jeune, Mahir Al-H. (17ans) est
soupçonné d’avoir rejoint l’EI en
septembre 2015 et d’avoir bénéfi-
ciéd’unecourteformationauma-
niement d’armes et d’explosifs à
Rakka, dans le nord de la Syrie.
Avec ses deux complices, Ibrahim
M. (18 ans) et Mohamed A.
(26ans), il se serait ensuite rendu
en Turquie puis aurait suivi la
route des Balkans pour gagner
l’Allemagne.
Messages cryptés
Avant de partir pour l’Europe, les
trois hommes auraient rencontré
un haut responsable de l’EI qui
leur aurait fourni leur passeport,
quelques milliers de dollars amé-
ricainsenargentliquide,ainsique
des téléphones portables équipés
d’applications permettant de
communiquer par messages
cryptés.
L’identification de ce person-
nage sera l’un des points clés de
l’enquête. Il pourrait s’agir d’un
certain Abou Ahmad, celui qui
avaitaussiorganisélepériplevers
l’Europe des hommes arrêtés en
décembre 2015 en Autriche. Son
numéro de téléphone avait été re-
trouvé,griffonné,surunmorceau
depapierprèsducadavred’undes
kamikazes du Stade de France, le
13 novembre2015.
Potentiellementtrèsintéressan-
tes pour les enquêteurs qui tra-
vaillent sur les attentats de Paris,
les trois arrestations de mardi le
sont aussi d’un point de vue plus
strictementpolitiquepourlegou-
vernement allemand.
Quelques semaines après les
deux attentats – l’un au couteau,
l’autre à la bombe – que l’EI a re-
vendiqués en juillet en Allema-
gne, il était important que Berlin
apporte la preuve de sa capacité à
déjouer des attentats en amont.
En cela, ce n’est sans doute pas un
hasard si, mardi, la communica-
tion officielle autour de ces arres-
tations a d’abord insisté sur les
importants moyens déployés –
soit200policiersautotal–dansle
cadre de ce qui constitue la plus
vaste opération antiterroriste de
ces derniers mois.
Pour le gouvernement, la partie
est cependant délicate pour une
raison qui tient à l’origine des in-
dividus arrêtés. Le fait qu’ils aient
des passeports syriens et aient
emprunté la route des Balkans à
l’automne 2015 risque de donner
des arguments à ceux qui consi-
dèrent que la chancelière Angela
Merkel a mis l’Allemagne en dan-
ger en ouvrant les portes du pays
aux réfugiés à l’été 2015.
Mardi, Thomas de Maizière a
appeléàéviterlesamalgames,ré-
pétant une nouvelle fois ce que la
chancelière elle-même a dit à
plusieurs occasions, à savoir que
si des terroristes avaient pu se
glisser dans le flot des réfugiés de
ces derniers mois, rien ne serait
plus «faux» que de soupçonner
l’ensemble des réfugiés.
Compte tenu du climat de la
rentrée politique en Allemagne,
dominé par les offensives de la
droite conservatrice et de l’ex-
trême droite contre la politique
d’Angela Merkel à l’égard des ré-
fugiés, il n’est pas sûr qu’un tel
discours soit entendu. p
soren seelow (à paris)
et thomas wieder
Theresa May,
au sommet
du G20,
à Hangzhou
(Chine),
le 5 septembre.
D. SAGOLJ/REUTERS
Controversé,
le dossier
va occuper
l’agenda
politique
pendant
plusieurs mois
0123
JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 international | 5
Etats-Unis-Israël:
l’alliancemilitaire
renforcée
Washingtons’estengagéàaccorder
àsonalliéuneaidede38milliards
dedollarsentre2019et2028
jérusalem - correspondant
L
a somme est colossale. Au
coursdeladécennie2019-
2028, les Etats-Unis s’en-
gagent à fournir à Israël
une aide militaire de 38 milliards
de dollars (près de 34milliards
d’euros). Selon le département
d’Etat, il s’agit du «plus grand en-
gagement d’aide militaire bilaté-
raledansl’histoiredesEtats-Unis».
Ce protocole d’accord devait être
officiellement signé à Washing-
ton, mercredi 14 septembre, par
YaakovNagel,conseillerpourlasé-
curité nationale auprès du pre-
mier ministre israélien Benyamin
Nétanyahou, et Thomas A. Shan-
non Jr., le sous-secrétaire d’Etat
pourlesaffairespolitiques.Ilscelle
une nouvelle fois l’alliance straté-
gique entre les deux pays, malgré
les relations personnelles exécra-
bles entre leurs dirigeants, Barack
Obama et Benyamin Nétanyahou,
et le développement des colonies
en Cisjordanie, que la diplomatie
américaine condamne régulière-
ment, sans conséquences.
L’accord en vigueur à ce jour, et
qui expire en 2018, alloue à Israël
environ 3,1 milliards de dollars
d’aide annuelle. A cela s’ajoutent
des efforts exceptionnels, votés
chaque année par le Congrès, es-
sentiellement pour des projets de
défense antimissiles comme les
batteries du système «Dôme de
fer». «Israël aurait pu assumer ces
programmes seuls, mais cela
aurait pris beaucoup plus de
temps à cause du processus de dé-
cision lourd et de la charge budgé-
taire», explique Uzi Rubin, qui di-
rigea le développement du sys-
tème Arrow contre les missiles
longue portée entre 1991 et 1999.
Dans le cadre du nouveau mé-
morandum, la Maison Blanche a
imposé des concessions à l’Etat
hébreu. Celui-ci ne pourra plus
s’engager directement dans des
marchandages avec le Congrès
pour obtenir des rallonges, à
moins de circonstances particu-
lières, en temps de guerre.
«Ça nous donne moins de flexibi-
lité, mais ça nous permet de mieux
planifier nos besoins à l’avance, ex-
pliqueReuvenBenShalom,ancien
chef du département nord-améri-
cain au planning des forces ar-
mées,àl’époqueoùfutconclul’ac-
cord précédent, en 2007. Je suis
soulagé et reconnaissant vis-à-vis
du peuple américain. L’héritage
d’Obamaseralerenforcementdela
sécurité d’Israël, avec un niveau
sansprécédentdecoopérationmili-
taire et en matière de renseigne-
ment.» Le motif d’inquiétude nu-
méro un de l’état-major israélien
est l’arsenal sans précédent accu-
mulé par le Hezbollah, la milice
chiite libanaise parrainée par
l’Iran, qui dispose de 100000 ro-
quettes à la précision accrue.
«Régime unique»
Une réserve de taille figure dans le
nouveau mémorandum. A partir
de la sixième année, Israël ne
pourraplusutilisercesfondspour
passerdescommandesàsapropre
industrie de défense, ce qui était le
cas pour plus du quart de la
somme allouée. L’aide de
Washington est donc, au-delà du
lien conforté entre les deux pays,
à la course aux armements
ouverte dans la région.
A compter de novembre 2015, les
négociations furent ardues entre
Israéliens et Américains. Le
25 avril, 83 sénateurs américains
sur 100 ont signé une lettre appe-
lant l’administration Obama à ac-
croîtreseseffortspourconclureun
nouvel accord avec Israël. Le gou-
vernement Nétanyahou espérait
uneffortfinancierconsidérablede
lapartdeWashington,del’ordrede
4 à 5 milliards de dollars par an. La
Maison Blanche a opposé une fin
de non-recevoir. M. Nétanyahou a
ensuite joué un bluff risqué, en
semblant prêt à remettre les dis-
cussions à plus tard, lorsque M.
Obamaauraquittélascène.
Mêmelesconseillersdupremier
ministre et ses alliés estimaient
pourtant qu’il valait mieux con-
clure dès que possible. Le 4 juillet,
lors de la fête nationale à l’ambas-
sade américaine, M. Nétanyahou
confia son «espoir» d’une conclu-
sion heureuse. Il passa aussi publi-
quement commande. «Nous ap-
précions les derniers avions, les F35.
Nous parlerons des autres versions
que nous voulons. Le décollage ver-
tical, c’est un indice.»
Maintenant que l’accord est
conclu, les observateurs israé-
liens s’interrogent déjà sur le sens
que Barack Obama voudra don-
ner à ses derniers mois de prési-
dence vis-à-vis d’Israël. Compte-
t-ilprofiterdesdeuxmoisetdemi
entre l’élection du 8 novembre et
l’investiture de son successeur
pour prendre une initiative?
Depuis longtemps, les experts
spéculent sur sa volonté de laisser
un héritage sur le conflit israélo-
palestinien. Il pourrait s’agir soit
d’un soutien à une résolution au
Conseil de sécurité, défavorable à
Israël, soit d’un discours cadre,
rappelantlesparamètresd’uneso-
lution à deux Etats. Mais d’autres
commentateurs soulignent la las-
situde qui se serait emparée de Ba-
rack Obama sur ce dossier.
Sous sa présidence, conformé-
ment à la tradition, les questions
politiques et militaires ont été dé-
couplées. Les communiqués répé-
tés du département d’Etat con-
damnant le développement des
colonies en Cisjordanie se sont
succédé, sans effet. Le 9 septem-
bre, Nétanyahou s’est permis, à
quelques jours de la signature du
mémorandum, d’enregistrer une
vidéo en anglais, dans laquelle il
accuselespourfendeursdelacolo-
nisation d’être complices du «net-
toyage ethnique» des juifs dans les
territoires palestiniens. Cette vi-
déo a été mal reçue au départe-
ment d’Etat. Sans conséquences. p
piotr smolar
Des soldats
israéliens,
dans le Golan,
le 13 septembre.
ARIEL SCHALIT/AP
Snowdensollicitelepardond’Obama
Cettenouvelledemandeesttransmiseenpleinesortiemondialedufilmd’OliverStone
surlelanceurd’alertepoursuivipourespionnageetenexildepuistroisansàMoscou
Hollywood, lors de la sor-
tie prochaine du film
d’Oliver Stone sur Ed-
ward Snowden – le 1er novembre
en France –, permettra-t-elle d’ob-
tenirunpardonpourl’ex-contrac-
tueldel’Agencenationaledesécu-
rité (NSA), que Washington lui a
jusqu’alors toujours refusé pour
avoir révélé, en 2013, l’existence
d’un système de surveillance
mondiale? Cet espoir a sans
doute motivé la déclaration,
mardi 13 septembre, du principal
intéressé, dans un entretien avec
le Guardian, sollicitant la grâce
présidentielle pour retourner
dans son pays après trois ans
d’exil à Moscou. Poursuivi pour
espionnage, il risque jusqu’à
trente ans de prison.
Cette demande devait être réité-
rée, mercredi, par son avocat Ben
Wizner, entouré de représentants
d’Amnesty International et de Hu-
manRightsWatch,àNewYork,lors
du lancement d’une pétition pour
obtenir le pardon de Barack
Obama avant que celui-ci quitte
ses fonctions. «Je pense qu’Oliver
[Stone] fera plus pour Snowden en
deux heures que ses avocats n’ont
étécapablesdefaireentroisans»,a
résumé, modeste, Ben Wizner.
«Ilyadesloisquidisentcertaines
choses, mais c’est peut-être pour-
quoi le pouvoir de donner son par-
don existe – pour les exceptions,
pourleschosesquisemblentilléga-
lesàlalecture,maisqui,sionlesre-
garded’unpointdevuemoral,éthi-
que,quandonregardelesrésultats,
apparaissent comme nécessaires,
vitales», assure Edward Snowden,
ajoutant: «Lorsque les gens regar-
dentlesbénéfices,ilestclairquede-
puis 2013 les lois de notre pays ont
changé. Le Congrès, les tribunaux
et le président, tout le monde a
changé sa politique après ces révé-
lations. Dans le même temps, il n’y
a jamais eu de preuve publique que
quelqu’un en ait souffert.»
Enjuillet2015,laMaisonBlanche
a rejeté une première pétition
pour un «pardon sans condition»
qui avait récolté 167954 signatu-
res.EdwardSnowden«devraitren-
trer aux Etats-Unis pour y être jugé
par ses pairs, et non pas se cacher
derrièreunrégimeautoritaire.Pour
l’heure, il fuit les conséquences de
ses actes», avait déclaré Lisa Mo-
naco, la conseillère de M. Obama
en matière de sécurité intérieure
et de lutte contre le terrorisme.
Sens des responsabilités
AprèslesattentatsdeParis,enno-
vembre 2015, le directeur de la
CIA, John Brennan, avait encore
prisàpartiel’ex-consultantenfai-
sant un lien entre ces attaques et
«toute révélation non autorisée»
de personnels d’agence de rensei-
gnement. Hillary Clinton, la can-
didate démocrate à l’élection pré-
sidentielle, avait précisé, en octo-
bre 2015, que le plus célèbre des
lanceursd’alerte«avolédesinfor-
mationstrèsimportantesqui,mal-
heureusement,sonttombéesentre
beaucoup de mauvaises mains».
Cette nouvelle initiative n’est
pas liée au seul film d’Oliver
Stone. Elle s’inscrit dans une stra-
tégie arrêtée dès l’installation
d’Edward Snowden en Russie, en
juillet 2013. La grande cohérence
entre ses engagements et ses ac-
tes,cestroisdernièresannées,mi-
lite pour attester son sens des res-
ponsabilités. Il affirme avoir agi
parpatriotismeetidéalisme.Atta-
chéauxlibertésfondamentales,il
n’a cessé de vanter Internet
comme un espace de liberté gra-
tuit. Sa vie à Moscou a montré
qu’il n’était pas dans la promo-
tion personnelle, mais dans la dé-
fense de principes. Sans contact
avec le gouvernement russe et
ayant abandonné une vie très
confortable, il s’est surtout atta-
ché à convaincre l’opinion publi-
que américaine de sa bonne foi.
En 2015, grâce à Internet, il est
intervenu dans des débats à Hon-
gkong ou avec des philosophes de
l’universitédeStanford.Iladonné
une conférence avec Lawrence
Lessig, un professeur de droit à
Harvard, ou avec Barton Gellman,
de l’université de Princeton. Re-
joignant, à sa manière, une an-
tienne de la filmographie d’Oliver
Stone, il assénait qu’un patriote
n’est pas un nationaliste. Le pa-
triotisme, pour lui, c’est protéger
le pays de son gouvernement.
«Il a une grande envie de revenir
et nous faisons tout notre possible
pour que cela se réalise», a con-
firmé dès 2014 son avocat russe,
Anatoli Koutcherena. Plus récem-
ment, il s’est démarqué de Wiki-
Leaks et de son fondateur, Julian
Assange,considérantquelapubli-
cation de documents ne pouvait
se faire sans une forme de «cura-
tion» – traitement. Propos lui va-
lant en retour l’accusation «d’op-
portunisme» de la part du site.
Le temps d’Edward Snowden est
aujourd’hui compté. Son permis
de résidence de trois ans, accordé
par Moscou, expire fin 2017 sans
que l’on sache s’il serait prolongé
au regard de ses prises de posi-
tions critiques contre la multipli-
cation des atteintes aux libertés
recensées en Russie. p
jacques follorou
«Il n’y a jamais
eu de preuve
publique
que quelqu’un
ait souffert de
ces révélations»
EDWARD SNOWDEN
une subvention indirecte au com-
plexemilitaro-industrieldesEtats-
Unis. «Nous avions bénéficié d’un
régime unique, explique Reuven
Ben Shalom. Les fonds américains
étaient de l’oxygène pour notre sec-
teur militaro-industriel. Nous al-
lons devoir gagner en maturité et
nous préparer à l’indépendance.»
Les négociations en vue d’un
nouvel accord avaient vraiment
débuté en novembre 2015. Quatre
moisplustôt,unaccordhistorique
avait été conclu par les pays du «P
5+1» (Etats-Unis, Russie, Chine,
France, Royaume-Uni et Allema-
gne) avec l’Iran, au sujet de son
programme nucléaire. Un accord
jugé dangereux par Benyamin Né-
tanyahou,quiadèslorsencouragé
les élus au Congrès américain à ne
pas le ratifier, quitte à se mêler de
la politique intérieure d’un autre
Etat. Jusqu’à la ratification finale,
le premier ministre israélien avait
refusé d’entamer des discussions
sur la compensation militaire
dont pourrait bénéficier son pays
en réponse à l’accord avec l’Iran et
L’Etat hébreu
ne pourra plus
s’engager
directement
dans des
marchandages
avec le Congrès
13personnes interpellées à Wukan, en Chine
Ces interpellations interviennent quelques jours après la condamnation
du maire, l’un des rares à avoir été élus dans le pays à la faveur d’un pro-
cessus démocratique. Le village de Wukan (13000 habitants), dans la
province méridionale du Guangdong en Chine, était devenu célèbre fin
2011 lorsque ses habitants s’étaient soulevés pour chasser les caciques
locaux du Parti communiste chinois accusés de corruption. L’agence
Chine nouvelle avait annoncé, jeudi, la condamnation à trois ans de pri-
son pour corruption du maire, Lin Zulian. Son arrestation, en juin, avait
déjà donné lieu à des manifestations dans le village.
ROYAUME-UNI
Rapport accablant
pour David Cameron,
sur l’intervention
en Libye en2011
«La politique britannique en
Libye avant et depuis l’inter-
vention de mars 2011 a été ba-
sée sur des suppositions erro-
nées et une compréhension
incomplète du pays et de la si-
tuation», dénonce la com-
mission des affaires étrangè-
res du Parlement
britannique, qui a publié,
mardi 13 septembre, un rap-
port accablant pour l’ex-pre-
mier ministre David Came-
ron. La commission affirme
que M. Cameron a joué un
rôle «décisif» dans la déci-
sion d’intervenir militaire-
ment et qu’il doit en porter
la «responsabilité ultime».
Selon elle, son gouverne-
ment n’est pas parvenu à
voir, dans les rapports des
services de renseignement,
que la menace contre les ci-
vils était exagérée et que la
rébellion comprenait une
importante composante isla-
miste. Il manquait aussi un
plan pour l’après-interven-
tion, jugent-ils. – (Reuters.)
ÉTATS-UNIS
Hillary Clinton annonce
reprendre sa campagne
Contrainte au repos après un
malaise, dimanche 11 septem-
bre, qui a inquiété le camp dé-
mocrate, Hillary Clinton doit
reprendre sa campagne jeudi,
a annoncé son équipe, mardi.
Lors d’un meeting à Philadel-
phie, Barack Obama est venu
au secours de la candidate,
très critiquée à treize jours du
premier débat face à Donald
Trump: «Elle a été caricaturée
par la droite et parfois par la
gauche, a-t-il déclaré. Elle a été
accusée de tout ce que vous
pouvez imaginer et a fait l’ob-
jet de plus de critiques injustes
que qui que ce soit.» Selon lui,
«Donald Trump dit tous les
jours des choses qui, pendant
longtemps, auraient disqualifié
quiconque pour la prési-
dence.» – (AFP.)
6| international JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016
0123
EnArgentine,lafamilleKirchnerenaccusation
Denouvellesenquêtespourcorruptionontétélancéescontrel’ex-présidenteCristinaKirchner
buenos aires - correspondante
L
a saga judiciaire impli-
quant l’ancienne prési-
dente péroniste Cristina
Fernandez de Kirchner
dans plusieurs affaires de corrup-
tion a connu de nouveaux rebon-
dissements. L’organisme officiel
chargé de détecter des mouve-
ments de blanchiment d’argent,
l’Unité d’information financière
(UIF), a réclamé, vendredi 9 sep-
tembre,àlajusticefédéraledepla-
cer sous séquestre tous les biens
figurantdanslasuccessiondel’ex-
président Nestor Kirchner (2003-
2007), mort en octobre 2010, et
auquel sa femme, Cristina, a suc-
cédé de 2007 à 2015. Et cela, pen-
dant toute la durée de l’instruc-
tion engagée contre Mme Kirchner
pour enrichissement illicite et
blanchiment d’argent.
Sur Twitter, Cristina Kirchner a
répondu en accusant le gouverne-
ment de centre droit de Mauricio
Macri «de persécuter et d’attaquer
ceux qui ne sont plus là et ne peu-
vent pas se défendre». «Le désastre
économique provoqué par ce gou-
vernement est chaque jour telle-
mentplusgrandque,pourtenterde
le dissimuler, il ne lui est plus suffi-
santdem’attaquer»,a-t-elleajouté.
Depuis l’arrivée au pouvoir de
M. Macri, le 10 décembre2015,
l’étau judiciaire ne cesse de se res-
serrer sur la famille Kirchner. Les
comptes bancaires de l’ex-prési-
denteontégalementétégelés.Les
biens des enfants de l’ancien cou-
ple présidentiel, Maximo, député,
et sa sœur cadette Florencia pour-
raient bientôt être concernés.
Deux procureurs ont demandé
et obtenu l’ouverture d’enquêtes
visant à démontrer l’existence
d’un«schémadecorruption»des-
tiné à vider les caisses de l’Etat
moyennant des projets fictifs de
travaux publics. Julio de Vido, an-
cien ministre des travaux publics,
est lui-même accusé d’enrichisse-
mentillicite.L’ex-présidenteetlui
devront témoigner devant la jus-
tice le 20 octobre.
«J’accuse»
ABuenosAires,ladéputéedegau-
cheMargaritaStolbizer,àl’origine
des dénonciations les plus reten-
tissantes contre Mme Kirchner, est
devenue la star de la lutte contre
lacorruption.Aprèsavoirsouffert
unecuisantedéfaitelorsdelapré-
sidentielle d’octobre 2015, où elle
était arrivée en 5e position avec à
peine 2,5 % des voix, elle occupe
désormais le devant de la scène.
Elle vient de publier un livre au
titre révélateur, Yo acuso («J’ac-
cuse», non traduit). Sur 430 pages
nourries de documents et de té-
moignages, elle épluche «la struc-
turedecorruption»desgouverne-
ments Kirchner. Mmes Kirchner et
Stolbizer se sont côtoyées,
en 2000, à l’époque où elles
étaient toutes les deux députées
et intégraient une commission
parlementaire chargée d’enquê-
ter,justement,surleblanchiment
d’argent.
L’enquête de Mme Stolbizer, ex-
pliqueladéputéeauMonde,estis-
sue d’un travail «personnel» et
non pas de fuites judiciaires. C’est
presque «par hasard», dit-elle,
qu’en examinant la déclaration
d’impôts de Mme Kirchner son at-
tention «a été attirée par une par-
ticipation actionnaire dans la
compagnie Hotesur SA», proprié-
tairedeluxueuxhôtelsenPatago-
nie, fief des Kirchner. Constatant
des «irrégularités», elle a décou-
vert une relation «suspecte» en-
tre des entrepreneurs ayant des
contrats avec l’Etat et «un com-
plexe hôtelier présentant des con-
trats et des revenus d’origine dou-
teuse». Elle a trouvé par la suite
des irrégularités semblables au
sein d’une autre société qui gère
de nombreuses propriétés appar-
tenant à la famille Kirchner.
Mme Kirchner a engagé un pro-
cès pour diffamation contre elle.
Traitée «d’âne» sur les réseaux
sociaux par l’ex-présidente,
Margarita Stolbizer s’est transfor-
mée en une figure médiatique
que se disputent le président
Macri et le péroniste dissident
Sergio Massa, lui aussi candidat
malchanceuxàlaprésidentielle,à
la tête du Front rénovateur, anti-
kirchnériste. Ils rêvent tous deux
de la convaincre d’être candidate
au Sénat en 2017. Dans un pays où
la corruption est perçue comme
un des plus graves fléaux,
Mme Stolbizer bénéficie d’une
image de probité et de tra-
vailleuse acharnée qui l’a rendue
populaire.
Margarita Stolbitzer est
confiante.CristinaKirchner«peut
être condamnée, car les délits sont
avérés et les preuves aussi». «La
sociétéleréclame»,ajouteladépu-
tée, qui qualifie la gestion des
Kirchner comme «la plus corrom-
pue de l’histoire démocratique ar-
gentine». Affirmant «n’envisager
aucune alliance électorale pour le
moment», elle est reconnaissante
au président Macri d’avoir
«changéleclimatpolitique,depro-
mouvoir la coexistence et de res-
pecter toutes les opinions».
Elle signale toutefois des er-
reurs, «un manque de politique»,
estimant malgré tout qu’on «ne
peut demander au gouvernement
de résoudre en neuf mois le désas-
tre laissé par les gouvernements
des douze dernières années».
Margarita Stolbizer considère
toutefois que «le gouvernement
devrait expliciter un plan et une
stratégieéconomiquespourrésou-
dre les trois principaux problèmes
reçus en héritage: récession, infla-
tion et pauvreté». p
christine legrand
IsabelAllendecandidateàlaprésidentielle
LafilleduprésidentSalvadorAllendelancelacoursepourl’électiondefin2017auChili
buenos aires -
correspondante régionale
Quarante-trois ans après la
mort de Salvador Al-
lende, Isabel Allende
Bussi, la fille de l’ancien
président socialiste chilien ren-
versé par le coup d’Etat du général
Augusto Pinochet, a annoncé, sa-
medi 10 septembre, sa candida-
ture à l’élection présidentielle de
novembre 2017. Sénatrice et prési-
dente du Parti socialiste, Mme Al-
lende, 71ans, a choisi la veille du
11septembre,jouranniversairedu
putsch de 1973 qui déboucha sur
dix-sept ans de dictature militaire
(1973-1990), pour faire connaître
sonintention.Ellesouhaitelacon-
vocation d’élections primaires au
sein de la coalition de centre-gau-
che de la Nouvelle Majorité (au
pouvoir),àlaquelleelleappartient
et qui regroupe la démocratie
chrétienne, le Parti socialiste, des
radicaux et le Parti communiste.
La course à la présidence est
donc lancée au Chili, et les candi-
datures se multiplient à gauche.
Le duel devrait se jouer entre un
ou une candidate de la Nouvelle
Majorité et, à droite, Sebastian
Piñera, qui a gouverné le Chili en-
tre 2010 et 2014. L’homme d’affai-
res millionnaire n’a pas annoncé
officiellement qu’il était en lice,
mais les premiers sondages le
donnent d’ores et déjà comme fa-
vori face au centre-gauche.
Mécontentement généralisé
L’ex-président socialiste Ricardo
Lagos, 78ans, a annoncé qu’il bri-
guerait un nouveau mandat. Il a
gouverné le Chili de 2000 à 2006.
Il a précisé qu’il souhaitait pour-
suivre les réformes mises en
œuvre par la Nouvelle Majorité
avec la présidente socialiste Mi-
chelle Bachelet, au pouvoir depuis
2014,aprèsunpremiermandaten-
tre2006et2010.Egalementsurles
rangs: l’ancien secrétaire général
de l’Organisation des Etats améri-
cains José Miguel Insulza et le sé-
nateur indépendant proche du
Parti radical Alejandro Guillier.
Mme Bachelet a lancé des réfor-
mes polémiques dans de nom-
breux domaines, comme celui de
l’éducation, des impôts ou du sys-
tème électoral. Mais elles ont été
freinées, notamment, par la
baissedesrecettesfiscalesliéesau
ralentissement de l’économie.
Plusieurs scandales touchant au
financement des campagnes élec-
torales et des allégations de mal-
versations visant sa belle-fille ont
entamésapopularité,quiesttom-
béeà15%–letauxleplusbaspour
unprésidentdepuisleretourdela
démocratieen1990,selonunson-
dage du Centre d’études publi-
ques, publié en août. La coalition
de la Nouvelle Majorité dans son
ensemble ne recueille que 8 %
d’opinions favorables. L’opposi-
tion de droite n’est guère mieux
placée avec seulement 10 %.
Un climat de pessimisme et de
mécontentement généralisé rè-
gneàSantiago,avecdefréquentes
et massives manifestations con-
tre le gouvernement. La récession
a conduit la banque centrale du
Chili à abaisser, en août, les prévi-
sions annuelles de croissance de
1,2 % à 0,5 %. Le chômage est
grimpé à 7,1 %, soit le taux le plus
élevé depuis cinq ans. Les élec-
tions municipales de novembre
seront le premier test pour les dif-
férents partis. p
ch. le.
Banderoles
à l’effigie
de Cristina
Kirchner
lors d’une
manifestation
contre le
gouvernement
de Mauricio
Macri,
le 2septembre,
à Buenos Aires.
AGUSTIN MARCARIAN/AP
«Les délits sont
avérés et les
preuves aussi»
MARGARITA STOLBIZER
députée
Une «croûte» déclarée trésor
national restera en Australie
sydney - correspondance
Snack Bar, d’Herbert Badham, ne quittera pas l’Australie:
cette peinture de 1944 a été jugée trop précieuse pour le
patrimoine du pays. N’en déplaise à son acquéreur londo-
nien, qui a déboursé 465000 dollars australiens (quelque
315000euros) lors d’une vente aux enchères à Melbourne,
en 2015. A première vue, l’œuvre n’a pourtant rien d’exception-
nel. C’est une scène de bar, avec des soldats américains et des ci-
vils australiens, à l’heure du repas, à Sydney. Un homme se dé-
croche la mâchoire en mangeant une saucisse. Il fallait obtenir
un permis pour sortir la toile du pays, qui a été refusé. Un an-
cien ministre de la culture a pesé dans ce sens. Le malchanceux
propriétaire a fait appel, en vain.
La principale raison du refus réside dans le coin supérieur
gauche de la peinture. A l’arrière-plan, un soldat américain noir
se tient près d’une femme, probablement australienne. La pein-
ture met en avant «l’interaction de per-
sonnes de différentes races, dans une
ambiance sympathique à un moment
de grand danger pour l’Australie», a
jugé le tribunal, dont la décision a été
rapportée par le quotidien The Austra-
lian. La peinture traiterait donc d’un
sujet cher à l’Australie, dont plus de
28 % des habitants sont nés à l’étran-
ger: le multiculturalisme. Au tribunal,
un expert a en outre jugé que cette
peinturedevraitresterenAustralie,car
l’artiste a produit peu d’œuvres.
Ces arguments en font-ils une œuvre de grande valeur?
D’autres experts en doutent. Pour Deborah Edwards, de la Gale-
rie d’art de la Nouvelle-Galles du Sud, elle n’est exceptionnelle
ni en termes artistiques ni au niveau historique. Et de meilleurs
artistes auraient peint l’Australie au moment de la guerre.
L’œuvre s’est très bien vendue aux enchères, car elle était esti-
mée entre 90000 et 120000 dollars. Mais, pour l’universitaire
DavidHansen,HerbertBadhamn’estpasunartistemajeuraus-
tralien, même s’il connaît sa «période de gloire» plus de cin-
quante ans après sa mort. p
caroline taïx
PRINCIPAL MOTIF
DE LA DÉCISION:
L’ŒUVRE PRÉSENTE
«L’INTERACTION
DE PERSONNES DE
DIFFÉRENTES RACES»
Coopération entre Buenos Aires
et Londres dans les îles Malouines
L’Argentine et le Royaume-Uni ont annoncé, mardi 13septembre,
leur décision de coopérer dans plusieurs domaines aux Malouines,
archipel britannique de l’Atlantique sud revendiqué par Buenos
Aires. Cette annonce a été faite à l’occasion de la présence à Bue-
nos Aires d’Alan Duncan, secrétaire d’Etat britannique aux affaires
étrangères. Les deux pays ont décidé «de prendre les mesures ap-
propriées pour éliminer tous les obstacles qui limitent la croissance
économique et le développement durable des îles Malouines». Les
domaines de coopération mentionnés sont les hydrocarbures, la
pêche, le commerce, la navigation et le transport aérien, ainsi que
la lutte contre la corruption et contre le trafic de drogue.
GUILLAUME ERNER ET LA RÉDACTION
DU LUNDI AU VENDREDI / 7H-9H
Retrouvez la chronique de Jean Birnbaum
chaque jeudi à 8h56 en partenariat avec
VENDREDI / 7H-9H
(&" '#!$%"
franceculture.fr / @Franceculture
0123
JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 planète & science | 7
C’
est un fait biologi-
que érigé en dogme
depuis le XIXe siècle
qui est mis à mal par
des chercheurs de l’université de
Bath (Royaume-Uni) et par leurs
collègues de l’université de Ratis-
bonne (Allemagne). Ils sont par-
venus à obtenir des souriceaux
viables sans avoir recours à des
ovocytes, des cellules sexuelles
d’origine maternelle. Jusqu’ici, les
biologistes étaient persuadés que
la présence de ces gamètes femel-
les était indispensable au déve-
loppement d’un embryon.
Petitrappel,pourcomprendrela
portée de cette expérience : la re-
production sexuée fait normale-
ment appel à deux gamètes, l’un
femelle et l’autre mâle, compor-
tant chacun un exemplaire de
chaque chromosome, qui, en fu-
sionnant, formeront les paires de
chromosomes de l’embryon.
Avant cette fusion, on parle de
cellule haploïde et, après, de cel-
lule diploïde. On croyait jusqu’ici
qu’ils’agissaitdelaseulevoiepos-
sible pour obtenir un organisme
vivant. Depuis la brebis Dolly, le
premier mammifère cloné en
1996, il existe bien un autre
moyen de créer artificiellement
un nouvel organisme, par clo-
nage, mais, dans ce cas, son patri-
moine génétique est identique à
celui de l’individu dont une cel-
lule a été utilisée.
Passage obligé
Or, Toru Suzuki et ses collègues,
dont les recherches ont été pu-
bliées mardi 13 septembre sur le
site de la revue Nature Communi-
cations, démontrent pour la pre-
mière fois que, chez la souris, on
peutobtenirunindividuuniqueà
partir d’embryons et de sperma-
tozoïdes sans recourir à des ovo-
cytes.
L’équipe de chercheurs a tenté
de contourner ce qui semblait
êtreunpassageobligédelafusion
ovocyte-spermatozoïde. Dans la
fécondation sexuée, cette fusion
aboutit à la reprogrammation du
spermatozoïde, cellule haute-
ment différenciée, en une cellule
indifférenciée, capable de se mul-
tiplier et de se différencier pour
donnern’importequeltypecellu-
laire existant dans un organisme.
Danscetravailexpérimental,les
scientifiques ont utilisé des em-
bryons de souris à un stade très
précoce, avant la première divi-
sion cellulaire. Ces embryons ont
subi un traitement chimique afin
d’activer la division cellulaire
pour qu’ils ne possèdent plus
qu’un seul jeu de chromosomes
etdoncqu’unemoitiédematériel
génétique. Ils deviennent alors
haploïdes et on les appelle des
parthénogénotes. Chez les mam-
mifères, ces embryons parthéno-
génotes ne sont pas viables.
Succès dans 25% des tentatives
Dans chacun d’entre eux, un
spermatozoïde a été ensuite
injecté, comme on le ferait dans
une fécondation in vitro avec un
ovocyte, pour apporter l’autre
moitié de matériel génétique. En
réimplantant ces cellules fusion-
nées dans des souris jouant le
rôle de mères porteuses, les cher-
cheursontobtenu,dansunquart
des tentatives, des souriceaux
apparemment en bonne santé.
Le rendement pourrait paraître
faible, mais il est beaucoup plus
important que celui du clonage
par transfert de noyau. En effet,
cette technique utilisée pour
Dolly ne rencontre qu’un taux de
réussite d’à peine 2 %. Quant à la
technique de la parthénogenèse,
c’est-à-dire par la division d’une
cellule sexuelle femelle non fé-
condée, elle ne permet pas de dé-
velopper un embryon de souris
viable.
Bien que présentant des signes
épigénétiques (changements
dans l’activité des gènes) diffé-
rents de ceux observés chez les
embryons obtenus par féconda-
tion d’un ovocyte par un sperma-
tozoïde, les souris créées sem-
blent en bonne santé, fertiles, et
avec une espérance de vie nor-
male. Dans le cas du clonage, les
animaux, comme Dolly, étaient
morts prématurément. Ce résul-
tat constitue une surprise de
taille pour les biologistes puis-
que l’équipe anglo-allemande a
créé pour la première fois un or-
ganisme vivant en l’absence de
gamète femelle.
Questionnements éthiques
« C’est un travail très intéressant
de biologie fondamentale, remar-
que Bernard Jégou (Institut de re-
cherche sur la santé, l’environne-
ment et le travail, Inserm U1085,
Rennes), qui bouscule ce qui ap-
paraissait comme un dogme.
L’étudeaétéeffectuéeavecuneex-
cellente méthodologie. Il faut
donc la saluer. Cela étant, au-delà
de l’amélioration des connaissan-
ces et d’un nouvel éclairage sur les
mécanismes de la reproduction,
que fera-t-on de ces résultats ? Il
est bien trop tôt pour le dire. »
Outre son caractère icono-
claste, cette percée ouvre cepen-
dant la voie à des interrogations.
« Cela brouille les distinctions
fonctionnelles entre lignées cellu-
laires sexuelles, embryonnaires et
somatiques [adultes] », écrivent
les chercheurs dans leur article.
Un communiqué de presse éma-
nant de l’université de Bath évo-
que l’éventualité de partir de
cette approche pour obtenir plus
facilement une descendance
dans des espèces animales en
voie d’extinction.
Bien évidemment, des ques-
tionnements éthiques ne man-
querontpas,àlasuitedecettepu-
blication. Les auteurs soulignent
ainsi que l’affirmation selon la-
quelle les parthénogénotes n’ont
pas le potentiel de se développer
EnEspagne,Tordesillasvitsapremièrefêtetaurinesansmiseàmort
UneloidugouvernementconservateurdeCastille-Léoninterditdésormaisdetuerlesanimauxenpublic,lorsdefêtespopulaires
tordesillas (castille-léon)
- envoyée spéciale
Pelado a survécu au torneo
(«tournoi»). Mardi 13 sep-
tembre, le taureau de
670kgadévalélesruesdelavieille
ville de Tordesillas, en Espagne, a
traversé le pont qui enjambe le
Duero puis est entré dans les
champs où, pendant près d’une
heure, il a été poursuivi par des
centainesdepersonnesmuniesde
bâtonsetdepics,malgréunepluie
torrentielle.Maisiln’apasétélaci-
ble des coups de lances qui, d’ordi-
naire, lui sont infligés par les cava-
liersetlescoureurs.Etiln’apasété
mis à mort par la foule, comme le
veut une tradition qu’aurait ins-
taurée,en1354,PierreIer deCastille,
plus connu sous le sobriquet de
«Pierre le Cruel».
Les quelque 3000 participants
au lâcher de taureau ont respecté,
à contrecœur, la nouvelle loi du
gouvernement conservateur de
Castille-Léon, approuvée en juin,
qui interdit de tuer les animaux
en public lors de fêtes populaires
(les corridas ne sont pas concer-
nées). Ils ont toutefois insulté les
dizaines de militants animalistes
venus s’assurer du respect de la
loi et protégés par un cordon de
gardes civils afin d’éviter les inci-
dents qui marquent chaque an-
née les fêtes. Quelques alterca-
tions mineures ont eu lieu.
«C’est un jour de honte, affirme,
au travers des haut-parleurs ins-
tallés le long du parcours, un re-
présentant de la plate-forme en
défense du Toro de la Vega avant
le coup d’envoi de la fête. On nous
interdit de manière dictatoriale de
célébrer une tradition millénaire.»
La foule répond par des salves
d’applaudissements. Dénonçant
la «manipulation des médias»,
critiquant la «lâcheté des politi-
ques»,l’hommeconclutqueladé-
cisiondelarégion«ouvrelavoieà
l’interdiction de toutes les fêtes
taurines».
C’estaussicequepense,derrière
le cordon policier, Cristina Maria,
32ans. Militante animaliste, elle
se félicite de ce «premier pas» et
pense au prochain: «Les animaux
ne doivent pas servir à nous diver-
tir, nous ne voulons plus de ces fê-
tes où l’on maltraite les bêtes.»
La transformation du Toro de la
Vega en torneo sans mise à mort –
rebaptisé Toro de la Peña – pour-
rait marquer un tournant en Es-
pagne. Depuis l’interdiction des
corridas en catalogne en 2010, les
protestations organisées par des
associations de défense des ani-
maux ne cessent de croître dans
les arènes, les fêtes populaires et
dans les institutions. Ayant
trouvé un soutien de poids dans
lejeunepartidelagaucheradicale
Podemos, celles-ci ont obtenu la
fin des corridas dans plusieurs
mairies, comme à La Corogne
en 2015, et la suppression des sub-
ventions municipales octroyées à
l’école de tauromachie de Madrid.
«Sauvages»
Si une fête patronale sur cinq or-
ganise encore des spectacles avec
des animaux, comme l’a recensé
le quotidien El País, les polémi-
ques sont de plus en plus vives
autour du toro embolado, lors de
laquelle on incendie les cornes de
l’animal, du capllaçat, où l’on
traînel’animalparlescornesdans
les rues de la ville, des becerradas,
où les taurillons ont tout juste un
an, ou encore des bous a la mar,
qui consistent à faire tomber un
taureau dans l’eau.
Militant écologiste, le journa-
liste et réalisateur Miguel Angel
Rolland a sorti en juin un docu-
mentaire percutant sur le sujet,
Santa Fiesta. «Je me suis rendu
compte que ces fêtes ne défendent
aucunevaleur,maisdonnentcarte
blanche aux gens pour se compor-
ter comme des sauvages, affirme-
t-il. Nous sommes à un tournant,
avec de plus en plus de gens qui se
positionnent contre.» Le Parti ani-
maliste contre la maltraitance
animale (Pacma) connaît en effet
une croissance inédite en Espa-
gne. Des 44000 voix obtenues
lors des élections législatives de
2008,ilestpasséà102000en2011
et 286000 en 2016.
Mais les traditions ont la peau
dure. A Tordesillas, Laura, 20ans,
étudiante en beaux-arts, ne déco-
lère pas. «On nous traite de sauva-
ges. Cette interdiction radicale
n’est pas juste. Ceux qui n’aiment
pas les toros n’ont qu’à rester chez
eux.» Angel Abril, 68ans, marche
dans l’enceinte, à bonne distance
du taureau. «Je ne peux plus cou-
rir, mais je viens quand même.
J’avais 14ans la première fois que
Les souris
créées semblent
en bonne santé,
fertiles, et avec
une espérance
de vie normale
j’ai participé à la fête. Aujourd’hui,
avec l’interdiction de tuer le tau-
reau, ce n’est pas pareil. L’émotion
quel’onressenticiétaitindescripti-
ble…»
Laplupart des participants refu-
sent de répondre aux journalis-
tes, perçus comme responsables
de leur mauvaise image. Le maire
socialiste de la ville, José Antonio
Gonzalez, est introuvable. Dans
son introduction au programme
desfêtes,ilafficheclairementune
position contraire à celle de son
parti: «L’interdiction d’affronter
l’immémorial tournoi du Toro de
la Vega nous a laissés orphelins de
notre principal signe d’identité. Ils
ont renversé notre colonne verté-
brale,cellequisoutientnosfêtes,et
ils ont réussi à nous extraire une
part de notre idiosyncrasie.»
La municipalité a déposé un re-
cours contre le décret-loi de Cas-
tille-et-Leon, dont la volonté affi-
chée est simplement «d’adapter
lafêteàl’éthique,lasensibilitéetla
culture du XXIe siècle». p
sandrine morel
Unenouvelletechniquepourreproduirelevivant
Uneéquipeanglo-allemandearéussiàobtenirdessouriceauxsansavoirrecoursàdesovocytes
LEXIQUE
HAPLOÏDE/DIPLOÏDE
Une cellule est dite haploïde
lorsque son noyau contient
un seul exemplaire de chaque
chromosome, et diploïde
lorsqu’elle possède une paire
de chaque.
GAMÈTE
Dans la reproduction sexuée,
cellule reproductrice à maturité,
capable de fusionner avec un
autre gamète complémentaire
(féminin/masculin) pour engen-
drer un nouvel individu.
Les cellules à l’origine des gamè-
tes sont diploïdes mais les ga-
mètes sont haploïdes. L’em-
bryon aura donc un jeu de
chromosome provenant de cha-
cun des gamètes.
PARTHÉNOGÉNÈSE
Contrairement à la reproduction
sexuée, la parthénogénèse
consiste en la division d’une
cellule mère en deux cellules
filles identiques à elle. La cellule
mère est un ovocyte non
fécondé.
Ce mode de reproduction existe
chez les insectes, certains am-
phibiens, reptiles ou poissons.
La première naissance expéri-
mentale par parthénogenèse a
eu lieu en1939 chez une lapine.
CLONAGE
Technique aboutissant à un
individu génétiquement identi-
que à l’individu d’origine. Elle
fait appel au transfert du noyau
d’une cellule diploïde de l’indi-
vidu à cloner dans un ovocyte
non fécondé dont on a préala-
blement retiré le noyau.
Madrid
Mer
Méditerranée
ALGÉRIEMAROC
FRANCE
ESPAGNE
PORTUGAL
200 km
Tordesillas
CASTILLE-LÉON
pour donner un individu, et
qu’on peut donc y voir une
sourceplusacceptabledecellules
souches humaines qu’à partir
des embryons, pourrait être re-
mise en question. Cela suppose-
rait que la technique qui a fonc-
tionné chez la souris soit applica-
ble à l’espèce humaine. Pour
l’instant et au-delà des débats
éthiques, rien ne permet de dire
que cela serait le cas. p
paul benkimoun
8|
FRANCE JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016
0123
Juppé,«l’identitéheureuse»enbandoulière
Lorsdesonpremiergrandmeeting,mardiàStrasbourg,lemairedeBordeauxaprislecontre-pieddeSarkozy
L’histoired’uneformuledevenueunemarquedefabrique
Adroite,ledébatsur«l’identitéheureuse»nedatepasd’aujourd’hui.IlopposedeuxconceptionsdelaplacedeladiversitéenFrance
Printemps 2014. Alors que
l’UMP panse encore les
plaies de la guerre Copé-
Fillon, Benoist Apparu écrit un li-
vreoùdes ténors duparti – toutes
chapelles confondues – exposent
leurs positions sur une idée forte.
L’objectif est de réaliser une dé-
monstration d’unité, en mon-
trant que l’opposition a des pro-
positionsdefondetpeutincarner
une alternance crédible. Au-delà
des divergences.
Intitulé Les 12 travaux de l’oppo-
sition (Flammarion), cet ouvrage
collectifsortle10septembre2014,
après que le député juppéiste a
réussi à convaincre onze respon-
sables de son parti d’y participer.
Réunir dans un même projet
François Baroin, Xavier Bertrand,
Jean-François Copé, François
Fillon, Brice Hortefeux, Alain
Juppé, Nathalie Kosciusko-Mori-
zet, Bruno Le Maire, Valérie Pé-
cresse,Jean-PierreRaffarinetLau-
rent Wauquiez constitue un petit
exploit dans un parti miné par les
divisions.
Chacun expose sa contribution
sur un thème précis: Xavier Ber-
trand évoque «la sécurité inté-
rieure», François Baroin la com-
pétitivité de l’économie fran-
çaise… Alain Juppé et Brice Horte-
feux, eux, décident de produire
un texte uniquement axé sur les
questions d’immigration. Sans
surprise, l’ex-ministre de l’inté-
rieur de Nicolas Sarkozy campe
sur une ligne ferme, en souli-
gnant la nécessité de «maîtriser
les flux migratoires».
LemairedeBordeaux,lui,décide
d’aborder le thème de l’intégra-
tion, dans un chapitre intitulé
«L’identitéheureuse»,enréponse
aux thèses développées par Alain
Finkielkraut dans L’Identité mal-
heureuse, paru chez Stock en octo-
bre2013.Danscetessai,lephiloso-
phe attribue la crise d’identité que
traverse la France à l’immigration
en s’alarmant d’une double déca-
dence: celle de la «grande décultu-
ration» (par l’école) et celle du
«grandremplacement»(par«l’im-
migration de peuplement»).
Face à cette vision d’une société
française prétendument menacée
par le multiculturalisme, M. Juppé
oppose sa vision, laquelle se veut
plus optimiste. Dans son chapitre
de vingt pages, il tient un discours
de tolérance et d’ouverture à
l’égard des immigrés, appelant à
l’établissement d’une société plus
apaisée. «On peut construire une
“identité heureuse”, motrice d’une
nouvelle confiance française»,
écrit-il.Pouryparvenir,ildéfendle
modèle de «l’intégration», qui
«respectelesdifférences»,etrejette
celui de «l’assimilation» – prôné
alors par M. Finkielkraut et dé-
fendu aujourd’hui par Nicolas
Sarkozy – qui a le tort, selon lui, de
«vouloir effacer les origines».
«Méconnaissance» de l’islam
A rebours des adeptes de la droite
décomplexée, le maire de Bor-
deaux appelle alors à «compren-
dre et accepter» le lien des immi-
grés à leur culture d’origine, «une
source d’une diversité qui enrichit
notrepatrimoine».Danscetteana-
lyse, M. Juppé tient aussi un dis-
cours d’apaisement à l’égard des
musulmans vivant en France.
«Notre méconnaissance collective
delareligionmusulmaneengendre
trop souvent la méfiance ou la
peur», estime-t-il, en regrettant de
ne pas avoir été invité à lire le Co-
ran tout au long de son parcours
scolaire et universitaire. Et de con-
clure, confiant: «A voir comment
les choses se passent souvent sur le
terrain, j’ai bon espoir de voir s’épa-
nouir un islam républicain.»
Deux ans avant l’heure, un des
débatsstructurantsdelaprimaire
à droite pour 2017 était déjà sur la
table. Car, à la lecture du chapitre
de M. Juppé, le camp Sarkozy
pense avoir trouvé un angle d’at-
taque redoutable contre leur ri-
val: affirmer qu’il pèche par naï-
veté, voire par méconnaissance
des difficultés de la société. Et peu
importequelemairedeBordeaux
présente «l’identité heureuse»
comme un objectif à atteindre, le
camp Sarkozy répète que c’est un
constatpourluidresserunprocès
en «angélisme».
Lesoirdelasortiedulivre,undes
fidèles de l’ex-chef de l’Etat en sali-
vaitdéjà:«Onvapouvoirexpliquer
que Juppé est déconnecté, maire
d’une ville bobo qui ne connaît pas
les problèmes des banlieues!»
Depuis deux ans, les sarkozystes
pilonnent leur rival sur ce thème.
Très vite, M. Sarkozy s’en est saisi,
assurant par exemple en novem-
bre 2015 qu’«il n’y a pas d’identité
française heureuse dans une so-
ciété devenue multiculturelle».
François Hollande également,
pour mettre un coup de patte au
favori de la primaire à droite, en
notant, le 8 septembre, lors de son
discours salle Wagram à Paris, que
«l’identité française n’est ni heu-
reuse ni malheureuse». «On ne
pensait vraiment pas que ce serait
le thème de la campagne»,
s’étonne un juppéiste. C’est pour-
tant un fait: «l’identité heureuse»
estdevenuelamarquedumairede
Bordeaux. p
al. le.
Alain Juppé
à Strasbourg,
mardi 13 septembre.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/
FRENCH-POLITICS POUR «LE MONDE»
«Aujourd’hui,
contre tous
les prophètes
de malheur,
je veux redonner
aux Français
une espérance »
ALAIN JUPPÉ
candidat à la primaire
à droite pour la présidentielle
strasbourg - envoyé spécial
P
as question de la mettre
sous le tapis. Brocardé
par Nicolas Sarkozy en
candidat naïf et angé-
liste, Alain Juppé a décidé d’assu-
mer son «identité heureuse». Le
favori de la primaire à droite pour
la présidentielle a même décidé
de faire de ce concept un des axes
majeurs de sa campagne, avec
l’éducation ou l’économie.
Lechangement est notabledans
la stratégie du maire (Les Républi-
cains) de Bordeaux: depuis qu’il a
employé cette expression dans
un livre, en septembre 2014, il
s’est retrouvé le plus souvent sur
la défensive pour l’expliquer face
aux attaques des sarkozystes. De-
vait-il mettre de côté ce thème
pournepasdonnerpriseaucamp
concurrent?
En cette rentrée, M. Juppé a fina-
lement tranché. Il enfonce le clou,
en portant fièrement ce sujet.
Avec l’objectif de transformer ce
point faible présumé en un atout.
Puisque son principal rival veut
faire de l’identité le thème central
de la campagne de la primaire,
autant marquer sa différence et
assumer le fossé entre deux li-
gnes opposées sur l’immigration
et l’islam.
«Non au déclinisme»
C’est dans cette optique que l’ex-
premier ministre a tenu son pre-
mier grand meeting, mardi
13 septembre, à Strasbourg, sur
«l’identité de la France». Manière
de montrer qu’il ne craint pas la
confrontation avec M. Sarkozy
sur ce sujet sensible.
Devant près de deux mille per-
sonnes, réunies dans le palais des
congrès de la ville, M. Juppé a de
nouveau réaffirmé son objectif
d’établir une «identité heureuse»,
qu’il conçoit comme «une ambi-
tion collective» et non «un état de
fait», comme le répètent les
sarkozystes dans l’espoir de le
faire passer pour un idéaliste, dé-
connecté des problèmes du pays.
«Je persiste et je signe: oui, l’iden-
tité de la France, l’identité heu-
reuse,c’estceversquoijeveuxcon-
duire le pays», a-t-il lancé, en di-
sant «non au pessimisme, au dé-
clinisme ou au renoncement».
Une manière de se démarquer
des «déclinologues», qui glori-
fient la France d’antan. «Il est tou-
joursfaciledeseplaindredutemps
présent, de dire “c’était mieux
avant”», a-t-il ironisé, en dénon-
çantle«fatalisme»existant«chez
certaines élites politiques ou intel-
lectuelles». «A les entendre, la
France serait condamnée à la mé-
diocrité, au déclin et à la peur», a-
t-il regretté.
Dans son viseur: les thèses dé-
veloppées par le Front national
(FN)etparlesplusdroitiersdeson
parti – tel Nicolas Sarkozy – ainsi
que par des personnalités, à l’ins-
tar du philosophe Alain Finkielk-
raut ou du journaliste Eric Zem-
mour. Déterminé à se «battre
contre la tentation du repli»,
M. Juppé entend tracer une pers-
pective au pays: «Aujourd’hui,
contre tous les prophètes de mal-
heur, je veux redonner aux Fran-
çais une espérance.»
Pasquestiondemenerunecam-
pagne anxiogène, comme le fait
M. Sarkozy, en surfant sur les
peurs des Français à l’égard de l’is-
lam et du terrorisme. Lui veut re-
créerde la confiance.«Lerôled’un
responsablepolitiquen’estpasd’en
rajouter sur le malheur des temps
ou de noircir encore un peu plus la
situation. C’est au contraire de
montrer que la France a tous les
atouts pour repartir de l’avant», a-
t-ildéclaréàdesjournalistesavant
le meeting. Avant d’insister: «Un
vrai leader politique, il tire vers le
haut, il ne tire pas vers le bas.»
«Intégrer» plutôt qu’assimiler
Dans son esprit, l’identité heu-
reuse est avant tout une manière
de se projeter vers l’avenir de ma-
nière positive, sans tomber dans
la sinistrose, avec l’ambition
d’améliorerlacohésionsocialeen
France.
Un projet de société reposant
sur une idée forte: la nécessité
d’«intégrer» les immigrés, en res-
pectant leur diversité et leurs ori-
gines, à condition qu’ils s’inscri-
vent dans «le partage d’un bien
commun» que sont la langue, les
valeurs de la République, la laï-
cité… Unconcept qui trancheavec
celui d’assimilation, cher à
M. Sarkozy, qui consiste à fondre
tous les nouveaux arrivants dans
unmêmemoule.Unmodèlequia
letort,selonM.Juppé,de«vouloir
effacer les origines». «L’identité
française est le fruit d’un dialogue
entre la diversité de nos racines et
l’unité de notre nation», a-t-il in-
sisté.
Le maire de Bordeaux a toute-
fois pris bien soin de souligner
qu’iln’ignorepaslesdifficultésdu
pays, afin de ne pas apporter de
l’eau au moulin de ses détrac-
teurs. «J’ai une vision claire de la
Franceetdecequeviventetressen-
tent les Français», a-t-il assuré, en
citant «l’aggravation du chô-
mage», «la montée de l’insécu-
rité» ou «l’affaiblissement de
l’école républicaine».
Prudent, il a ajouté à son dis-
cours de tolérance sur l’immigra-
tion une partie consacrée à l’auto-
ritéetàlafermeté.Pourlui,lesim-
migrés ont «le devoir» de «mon-
trerunevolontévéritableetsincère
de s’intégrer à la communauté na-
tionale». Un processus qui ne
peut se réaliser qu’à «trois condi-
tions»: la maîtrise des flux migra-
toires,lerefusdestentationscom-
munautaristes et, enfin, «la vo-
lontédepartageretdetransmettre
un bien commun, sans lequel il n’y
a pas de nation».
Quant à l’islam, M. Juppé juge
que la religion musulmane «doit
trouver les moyens de s’accorder
avec la République». S’il arrive à
l’Elysée, il promet notamment de
proposer un accord aux représen-
tants du culte musulman, afin
d’aboutir à l’adoption d’une
charte de la laïcité.
Reste à savoir si ce discours
d’«espérance» trouvera l’écho es-
péré par Alain Juppé auprès des
électeurs de la primaire. Pour
l’instant, même si l’écart se res-
serre avec M. Sarkozy, il reste en
tête dans les sondages de premier
tour et gagnant dans ceux de se-
cond tour. L’ex-premier ministre
fait le pari que son discours opti-
miste paiera: «Tous ensemble,
nous allons conduire une campa-
gne joyeuse et porter une espé-
rance! Car je ne connais pas de
campagne victorieuse dans la tris-
tesse ou la morosité.» p
alexandre lemarié
Journal le monde et suppl du jeudi 15 septembre 2016
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  • 2. 2| INTERNATIONAL JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 0123 bruxelles - bureau européen L enumérodeuxdelaCom- missiondeBruxellesécrit, dans son livre Fraternité: «C’est la première fois, dansmonexpérienceconscientede la coopération européenne, que je pense que le projet pourrait réelle- ment échouer.» En Italie, où il participait, début septembre, au Forum Ambrosetti de réflexion sur l’Europe, le social-démocrate néerlandaisFransTimmermansa, certes, nuancé son propos, mais le qui espère donc davantage d’ac- tions en commun, alors même que des «poisons mortels» pour l’unité semblent à l’œuvre: les «petits clubs particuliers» que sont,selonlui,le«groupedeVise- grad»pourlespaysdel’Est–Polo- gne, Hongrie, République tchè- que,Slovaquie–,celuidesEtatsdu Sud, celui des dirigeants sociaux- démocratesouleprojetdegroupe de la mer du Nord… «A Bratislava, on risque, selon moi, d’éviter tous les sujets d’une possible controverse pour produire des conclusions consensuelles, alorsqu’aucontrairelemomentest venu de prendre des risques et de s’adresser directement aux ci- toyens», explique Enrico Letta. Ceux-ci ont besoin de réalisations concrètes, poursuit l’ancien lea- der du Parti démocrate italien: «Un projet Erasmus Pro pour un million de jeunes apprentis euro- péens, des gardes-frontières euro- péens – cessons les déclarations, faisons! –, une vraie coopération antiterroriste, la fin rapide de l’am- biguïté au sujet du Brexit avec un veto sur des éléments qui pour- raient être contraires à nos inté- rêts.» M. Letta réclame aussi une politiqueoffensivepourrétablirla croissance et réduire le chômage, avec un effort supplémentaire pour l’investissement. Shimon Peres, âgé de 93ans – et hospitalisé mardi 13septembre après un accident vasculaire céré- bral –, qui participait au Forum Ambrosetti,avaittentédenuancer le verdict de nombreux responsa- bleseuropéens.L’ancienprésident israélien qui, en 2013, décrivait l’Europe comme «un rêve qui s’est terminé par un miracle», a lancé: «Ne soyez pas si pessimistes.» Il a apparemment convaincu l’ancien chancelier fédéral autri- chien Wolfgang Schüssel. «Je m’étonne de voir autant de gens pris dans une spirale négative. On surutiliseletermedecrise»,décla- re-t-il au Monde. Pour l’ex-leader du Parti populaire autrichien (conservateur), la «polycrise» évoquée par M. Juncker masque, en réalité, le fait que «l’Europe va mieux qu’il y a cinq ans». «La moitié des grands dirigeants d’entreprise mise sur une hausse des investissements dans les an- nées à venir, l’innovation pro- gresse. On peut convaincre l’opi- nion que l’on peut retrouver la confiance. Entre les Etats, entre les dirigeants et les citoyens, entre les institutions», ajoute-t-il. Changement de cap Un constat partagé, avec des nuances, par Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe et ministre des finances néerlan- dais, heureux d’avoir évité que la zone euro – l’une des vraies réali- sations tangibles de l’UE – éclate à cause de la crise grecque. Il s’in- quiète cependant de la montée des populismes. Dans son pays, Geert Wilders et son Parti pour la liberté veulent détruire l’Europe afin, disent-ils, de restaurer l’Etat- providence. Pour les contrer, il convient, souligne M. Dijssel- bloem, de se soucier des inégali- tés, «qui sont parmi les principaux facteurs d’inquiétude», de la jus- ticeetdel’équité.Entrelesgénéra- tions, entre gagnants et perdants de la mondialisation, entre les ex- clusetceuxquisontbienintégrés. «Les inégalités ne sont pas une fatalité, expliquait récemment le ministre devant le groupe de ré- flexion Bruegel, à Bruxelles. Parce que le vieillissement de la popula- tion et les migrations ne nous im- posent pas de démanteler le mo- dèle social européen. Et parce que lamiseenœuvrederéformesnesi- gnifie pas que nous devons détri- coter l’Etat-providence.» Ce propos paraît ébaucher le changementdecapprônéparcer- tains, qui font le constat que, même si la situation de la zone euro reste assez préoccupante, il est temps de sortir du cadre strict de la rigueur budgétaire, surtout quand le pacte de stabilité et de croissance semble avoir perdu toute crédibilité – il est vrai qu’il était politiquement impossible de sanctionner un pays sans gou- vernement comme l’Espagne. Ils réclament donc plus de flexibilité pour l’investissement public et la réconciliation du marché et du social pour rendre à l’Europe un visage plus humain. «L’une des raisons du rejet, par les opinions, d’une intégration plus poussée est due au fait que l’onn’avaitpassongéàcetterécon- ciliation», souligne Mario Monti, ancien commissaire européen à la concurrence, ex-chef du gou- vernement italien et dirigeant du «Groupe de haut niveau» qui ré- fléchit aux moyens de finance- ment de l’UE. «En France notam- ment, poursuit-il, la conviction que le marché progresse d’autant plus que les droits sociaux reculent est bien ancrée.» Ce grand spécialiste de la politi- que européenne croit-il que l’UE François Hollande, Matteo Renzi et Angela Merkel (de gauche à droite) sur le porte-aéronefs italien «Garibaldi», en mer Tyrrhénienne, le 22août. GUIDO BERGMANN/AFP «Les crises ne me paraissent plus générer d’énergies politiques nouvelles» MARIO MONTI ex-premier ministre italien peut encore sortir de l’ornière? «J’ai toujours considéré que c’est par les crises que l’Europe a pro- gressé. Mais, pour la première fois, j’ai exprimé [en 2015] des doutes sur le fait qu’elles pourraient en- core nous être bénéfiques. Ce qui a changé, c’est que le mécanisme est brisé. Les crises ne me paraissent plus générer d’énergies politiques nouvelles, capables de nous faire aller de l’avant.» Protéger les citoyens La préservation des modèles so- ciaux pourrait bien être, en tout cas,l’undesgrandsenjeuxdesan- nées à venir. «L’histoire du siècle précédentmontrequenepaspren- dre au sérieux ces exigences et ces aspirations, c’est prendre le risque qu’elles le soient par des forces po- litiques radicales», soulignent Thierry Chopin et Jean-François Jamet, dans leur article «L’avenir duprojeteuropéen»,publiélundi 12 septembre par la Fondation Ro- bert Schuman. Et si le projet euro- péen doit être refondé, c’est en vi- sant à protéger les citoyens «con- tre les excès ou les insuffisances des systèmes politiques et écono- miques», soulignent ces experts. L’ambition de l’Europe doit tou- tefois aussi être stratégique, in- siste Enrico Letta. Face aux dé- fis de la migration, du terrorisme, de la déstabilisation de son voisi- nage, elle ne peut plus se conten- ter de condamner ou de limiter les dégâts. «C’est le fait que l’UE n’ait pas voulu régler la question syriennequiaplacélaGrande-Bre- tagne hors de l’Union, souligne- t-il. Ce qui a déterminé le compor- tement des électeurs, ce n’est pas la question de l’immigration d’Eu- rope de l’Est, mais bien les images quotidiennes du chaos en Grèce, à Lampedusa ou à Calais.» p jean-pierre stroobants L’Europesaisieparlapeurdel’implosion Lesvingt-septEtatsdel’UEseretrouventvendrediàBratislavapourunpremiersommetsanslesBritanniques LES CRISES EUROPÉENNES Relancer l’Union. Après le discours sur l’état de l’Union du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, le 14 sep- tembre à Strasbourg, le sommet informel des chefs d’Etat et de gouvernement tentera, vendredi à Bratislava, d’endiguer l’onde de choc provoquée par le vote en fa- veur du Brexit le 23juin. Morosité. Mise à mal par des cri- ses multiples (Brexit, terrorisme, réfugiés, montée des populis- mes, etc.), l’Union européenne est-elle capable de se refonder? Les pronostics sont générale- ment peu optimistes, d’autant que plusieurs élections, dont la présidentielle française, risquent de paralyser le processus. Hésitations. Menacée par la fragmentation, l’UE hésite entre la réalisation de projets concrets, compréhensibles par les citoyens et un statu quo qui, de l’avis de beaucoup, pourrait déboucher sur sa paralysie définitive. CE QU’IL FAUT SAVOIR constat est là, implacable: l’Union européenne (UE) affronte tant de crisessimultanéesqu’ellepourrait ne pas s’en relever. «L’Europe menacée? Oui, ou pire encore… Avec la crise économique qui persiste, celle des réfugiés, le terrorisme, le Brexit, ce désastre qui a mis à mal l’idée même du projet, la situation est sans précé- dent», appuie Enrico Letta, l’an- cien président du Conseil italien, devenu doyen de l’Ecole des affai- res internationales de Sciences Po Paris et président de l’Institut Jac- ques-Delors. Interrogé par Le Monde, il dresse un constat plus noir encore: «Ma grande crainte est que l’on reste dans le statu quo, qu’onattendelesrésultatsdesélec- tions qui auront lieu en Allemagne et en France notamment, et qu’à la fin on ne retrouve plus l’Europe…» «Ne soyez pas si pessimistes» Le sommet informel des chefs d’Etat à Bratislava, vendredi 16 septembre – le premier sans les Britanniques après le référendum en faveur du Brexit du 23 juin – pourrait-il malgré tout, après le discours sur «l’état de l’Union» que le président de la Commis- sion, Jean-Claude Juncker, pro- nonce à Strasbourg mercredi, re- lancer une mécanique grippée et pousser les Européens à davan- tage de solidarité pour affronter lesdéfisdelasécurité,delamigra- tion, du chômage, des populis- mes? «Ce sera un premier pas», espère M. Timmermans. «A force de se concentrer sur les procédures plutôt que sur les ob- jectifs, nos grands chefs, chez eux comme à Bruxelles, donnent l’image de l’impuissance, au mo- ment où l’Europe a besoin de mon- trer sa puissance», analyse Jean- Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert Schuman,
  • 3. 0123 JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 international | 3 bruxelles - bureau européen L e contraste avec son «dis- cours de l’Union» de 2015 est frappant. A l’époque, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, s’étaitmontrélyriqueetvindicatif, tançant les Etats membres, récla- mant qu’ils adoptent au plus tôt sonprojetderépartitionéquitable des réfugiés partout en Europe. La crise migratoire battait son plein, la chancelière allemande, Angela Merkel, venait juste d’ouvrir les portes de son pays aux Syriens fuyant la guerre, et ils affluaient par dizaines de milliers sur la «route des Balkans». Mercredi 14 septembre, pour sa rentrée politique devant le Parle- ment de Strasbourg, plus ques- tion pour M. Juncker de pointer dudoigttropouvertementlesres- ponsabilités des gouvernements, d’insister sur les sujets suscepti- bles de diviser encore davantage des pays membres évoluant dé- sormais en ordre très dispersé. Même s’il la mentionne encore, la «Commission politique» pro- mise par M. Juncker il y a à peine deux ans plastronne beaucoup moins.Lemotd’ordre,désormais, c’est cet «agenda positif» que le président et ses équipes enten- dent dérouler dans les prochains mois. Pas d’annonces mirobolan- tes, mercredi, mais un pro- gramme de travail réaliste, «pro- che des préoccupations des gens», explique-t-onàBruxelles.Aprèsle Brexit, la Commission doit prou- ver qu’elle compte encore. M. Juncker a annoncé un quasi- doublement de son plan d’inves- tissement (porté de 315 à plus de 500 milliards d’euros, prolongé jusqu’en 2020), dévoilé une ré- forme du droit d’auteur, décrété que les sujets sécurité et défense sont prioritaires, proposé de ren- forcer l’agence Europol et de met- treenœuvrelasurveillance«intel- ligente» des frontières, en s’en te- nant aux récentes propositions franco-allemandes en la matière. M. Juncker a aussi promis le dé- ploiement, «dès le mois d’octo- bre», d’au moins 200 gardes-fron- tièresàlafrontièreextérieuredela Bulgarie.Ungestetrèsattendudes Etats membres, qui veulent que se matérialise au plus vite le renfor- cement de Frontex, l’agence euro- péenne des gardes-frontières. La Commission veut aussi créer «un corps européen de solida- rité», opérationnel avant la fin de cette année: l’idée est de faciliter lamobilisationdesjeunessouhai- tant proposer leur aide là où elle sera la plus utile, «pour répondre aux situations de crise, comme la crise des réfugiés ou les récents tremblements de terre en Italie». Objectif:100000premiersjeunes volontaires à l’œuvre d’ici à 2020. La crise migratoire? La réforme réclamée par la Grèce et l’Italie des règlesdeDublinrégissantl’accueil desréfugiés?Letraitétransatlanti- que de libre-échange? Trop polé- mique: M. Juncker a certes beau- coup parlé de solidarité, mercredi, mais «en disant qu’elle est au cœur du projet européen. Il ne veut pas forcer les Etats membres, mais les convaincre qu’il s’agit d’une valeur centraledel’Union»,explique-t-on à la Commission. Affaibli par les crises Le président est certes «comba- tif», assure-t-on dans son entou- rage, et il n’hésite pas, dans son discours, à rappeler les uns et les autres à leurs responsabilités: «Nous devons en finir avec cette vieille rengaine selon laquelle le succès est national et l’échec euro- péen. Sans quoi notre projet com- mun ne survivra pas.» Maislescrisesdesderniersmois (migration, terrorisme) et, sur- tout, le référendum du 23 juin sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE l’ontaffaibli,luietsoninstitution. Les critiques se sont mises à pleu- voir, notamment des dirigeants de l’Est, qui n’avaient pas digéré les «quotas» de réfugiés propo- sés par Bruxelles, et qui ont pris le prétexte du Brexit pour réclamer «moinsd’Europe».Danslapresse se sont multipliés les articles dé- crivant un président isolé, men- tionnant des soucis de santé. La gestion de l’«affaire» José Manuel Barroso n’a rien arrangé. M. Juncker a mis deux mois à réa- gir au «pantouflage» de son pré- décesseur à la banque Goldman Sachs, malgré l’émotion qu’elle a suscitée, y compris en interne – la pétition contre ce recrutement, qui a déjà recueilli près de 140000 signatures sur la plate- forme Change. org, a été lancée pardesfonctionnaireseuropéens. Dimanche 11 septembre, pour tenter d’éteindre l’incendie, M. Juncker a fini par exiger des précisions sur le contrat de travail de M. Barroso. Ce dernier a réagi, mardi, en rejetant les critiques quant à son manque d’«inté- grité»,qu’ilestime«infondées»et «discriminatoires à son égard». Durant l’été, M. Juncker a reçu quelques soutiens de poids, dont celui du président François Hol- lande.AveclanominationduFran- çais Michel Barnier en tant que «M. Brexit» de la Commission, il a obtenu que son institution puisse participer aux négociations, qui tardent à venir, pour organiser le divorce avec Londres. Et en con- damnant Apple, la première capi- talisation boursière au monde, à rembourserlasommecolossalede 13 milliards d’euros à l’Irlande, la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, a redoré d’un coup le blason de Bruxelles. Désormais, la Commission dis- pose d’un sujet tout trouvé pour regagner le cœur des Européens: laluttecontrelafraudeetl’évasion fiscale. Un comble pour son prési- dent, ex-premier ministre du Luxembourg,unpaysconnupour avoirattirépendantdesannéesles multinationales avec des accords fiscaux ultra-avantageux. Mais, pour se «relancer», M. Juncker et ses équipes savent qu’ils ont peu de marge de manœuvre, notam- mentàcausedesfuturesélections en France et en Allemagne. p cécile ducourtieux Pas d’annonces mirobolantes, mercredi 14 septembre, mais un programme de travail réaliste Jean-ClaudeJunckerfaitprofilbas Surladéfensive,leprésidentdelaCommissioneuropéenneveutcontrerlescritiquesvenuesd’Europecentrale L’absencedeleadershipetlesfractures régionalesminentl’Unioneuropéenne Lesuccèsdespopulistesaffaiblitlacapacitéd’initiativedesVingt-Sept vienne - correspondant Depuis le Brexit, les res- ponsables européens multiplient les mises en garde sur la mort de l’Europe, pour mieux en appeler à l’unité. Le sommet de Bratislava, ven- dredi 16 septembre, est censé ré- fléchir à la future marche de l’Eu- ropeàvingt-sept,aprèsleréféren- dum en faveur d’une sortie du Royaume-Uni en juin. Mais, en prélude, ce sont surtout les divi- sions qui se sont fait entendre, d’Athènes à Budapest, en passant par Berlin ou Bruxelles. La polémique déclenchée par le ministre des affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, qui a demandé, mardi 13 septem- bre, la sortie au moins temporaire de la Hongrie de l’Union euro- péenne(UE),enraisondesapoliti- quedureenverslesréfugiés,estré- vélatricedestensionsdumoment. Jeudi, Angela Merkel et François Hollande devaient se retrouver pourundéjeunerdetravailafinde mettre,unenouvellefois,enscène ce moteur franco-allemand à bout de souffle. Ils se sont entendus pendantl’été–avecMatteoRenzi– sur ce qui ressemble aux plus pe- titsdénominateurscommuns:sé- curité,croissanceetjeunesse.L’ob- session des responsables avant Bratislava semble être d’éviter les sujets qui fâchent, comme le Brexit ou l’immigration. Une Espagne sans gouvernement Mais le moteur franco-allemand ne peut repartir au moment où les deux dirigeants sont confron- tésàdeséchéancesélectoralesdif- ficiles. M. Hollande est contesté depuis longtemps au sein de sa majorité. Mme Merkel est aussi dé- sormais critiquée dans son pro- pre pays, un an avant les élections législatives, en raison de sa ges- tion jugée trop généreuse de la crise des réfugiés. Un parti d’ex- trême droite, Alternative pour l’Allemagne, est en train de s’ins- taller avec la chancelière pour ci- ble, tandis qu’en France, la prési- dente du Front national, Marine Le Pen, est bien placée pour at- teindre le second tour de l’élec- tion présidentielle en mai 2017. En Italie, Matteo Renzi joue sa survie à l’occasion du référen- dum, à l’automne, sur la réforme constitutionnelle, transformée par Beppe Grillo et le reste de l’op- position en scrutin anti-Renzi. Les Pays-Bas organisent des élections législatives en mars 2017, sous la menace d’une poussée du parti d’extrêmedroitedeGeertWilders, qui promet un référendum à haut risque sur l’appartenance à l’UE. La situation n’est pas meilleure en Espagne, sans gouvernement depuis dix mois, ou en Autriche, sous la menace d’une victoire de l’extrême droite à une élection présidentielle qui n’en finit pas d’être ajournée. Cette absence de leadership fa- vorise l’expression des discordes européennes. Vendredi 9 septem- bre, la cacophonie européenne était à son comble, réactivant une opposition Nord-Sud qui s’était pourtant largement atténuée de- puis la crise grecque. A Athènes, le premier ministre grec, Alexis Tsi- pras, avait réuni les pays méditer- L’obsession des responsables avant Bratislava semble être d’éviter les sujets qui fâchent ranéens de l’UE, tout en tonnant contre «l’Europe allemande». Cer- tains ministres des finances de la zone euro ironisaient sur cette rencontre, comme l’Allemand Wolfgang Schäuble ou le Néerlan- dais Jeroen Dijsselbloem: «L’été est terminé. Il faut ranger le maté- riel de camping.» Nouveau front Terrorisme, migration, Brexit. Les crises se sont déplacées en Eu- rope. Un nouveau front a surgi avec les pays d’Europe centrale, qui ont pris le leadership du camp des souverainistes. Viktor Orban symbolise l’opposition de Buda- pest, mais aussi de la Pologne, de la Slovaquie et de la République tchèque à Bruxelles, sommée de regarder un peu plus vers l’Est. Ces quatre Etats veulent présen- ter à Bratislava une position com- mune, qui risque de se transfor- mer en une opposition ferme aux projetsdeParis,deBerlinetdusud de l’Europe pour relancer l’Union. Ilssouhaitentunrenforcementdu rôle des Etats au détriment des pouvoirs de la Commission, qu’ils critiquent sévèrement. En s’élevant contre les quotas de répartition des migrants, le chef du gouvernement hongrois se sent assez solide pour braver les responsables européens. Ce diri- geant, au pouvoir depuis 2010, est mis en cause pour sa dérive auto- ritaire.Ilsaitjouerdesonapparte- nance au Parti populaire euro- péen. Il a élargi sa zone d’in- fluence au moment de la ferme- ture de la route des Balkans en mars,ens’alliantavecl’Autricheet les pays des Balkans. Et compte sur Bratislava pour apparaître comme une alternative à l’Europe affaiblie d’Angela Merkel. p blaise gauquelin et alain salles (à paris) VERBATIM “ Soyons tous très honnêtes dans notre diagnostic. Notre Union européenne traverse, du moins en partie, une crise exis- tentielle (…). Nous ne sommes pas les Etats-Unis d’Europe. No- tre Union européenne est beau- coup plus complexe (…). Ignorer cette complexité serait une er- reur et nous conduirait à adopter les mauvaises solutions (…). Les Européens veulent des solutions concrètes aux problèmes très pertinents auxquels notre Union fait face. Et ils attendent mieux que des promesses, des résolu- tions et des conclusions de som- mets. Ils en ont trop vu et trop entendu (…). L’Europe ne peut fonctionner que si les discours défendant notre projet commun sont tenus, non seulement de- vant cette honorable assemblée, mais aussi devant les Parlements de tous nos Etats membres.» Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, à l’occasion du discours sur l’état de l’Union au Parlement de Strasbourg, le 14septembre. FESTIVAL LUMIÈRE DU SAMEDI 8 AU DIMANCHE 16 OCTOBRE (#-. ") &1)+-,-/" %0! *1'.$"* #"$ '&%! www.festival-lumiere.org
  • 4. 4| international JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 0123 TheresaMayrelancelaguerredes«classesd’élite» Aunomdelaméritocratie,lapremièreministrebritanniqueveutrétablirles«grammarschools» londres - correspondant P aralysée sur le dossier explosif du Brexit – la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) –, Theresa May, relance un vieux serpent de mer de la politi- que britannique: la sélection à l’entrée des études secondaires. Lundi 12 septembre, sa ministre de l’éducation, Justine Greening, a rendupubliquelaréformescolaire inattendue que la nouvelle pre- mière ministre britannique veut mettre en œuvre, afin, dit-elle, d’offrir «de meilleures chances aux gens ordinaires, issus de la classe ouvrière». «Je veux que la Grande- Bretagne soit la plus grande méri- tocratie du monde, avait-elle dé- claré, le 9 septembre à Londres, un pays où le succès repose sur le mé- rite et non sur les privilèges.» Il s’agit d’abroger la loi de 1998 qui avait bloqué la création de nouvelles grammar schools, ces établissements secondaires pu- blics ouverts seulement aux lau- réats d’un examen ultra-sélectif passé par les élèves de 11 ans. De nouvelles grammars pourraient êtrefondéesetdesétablissements non sélectifs existant seraient en- couragés à se transformer en grammars grâce à des finance- ments publics. Des groupes de pa- rents ou des entités privées pour- raient aussi en créer. Aujourd’hui marginales mais très prisées dans les milieux aisés, les grammar schools ne sont plus que 163 sur 3000établissementssecondaires. Méritocratie ou égalité? Le dé- bat, longtemps vif au Royaume- Uni, semblait clos: le système à deux vitesses mis en place en 1944 – grammar schools et se- condary modern schools –, qui ne laissait guère de chance d’accès à l’université aux enfants issus de milieux populaires, a été de fait aboli dans les années 1970 par les travaillistes avec la montée des comprehensive schools (l’équiva- lent du collège unique). Margaret Thatcher a accéléré le mouve- ment de fermeture des grammar schoolset,toutrécemment,David Cameron les a présentées comme de vieilles lunes, des crispations idéologiques symptomatiques d’une «guerre de classes idiote» et d’un conservatisme révolu. Les parents «ne veulent pas que leurs enfants soient classés “bons” ou “mauvais” à l’âge de 11 ans», avait ainsi remarqué l’ancien premier ministre. Le choix de M. Cameron, qui a quitté le pouvoir le 24 juin, au len- demain du référendum perdu sur le Brexit, de démissionner de son poste de député, lundi, à l’heure même de l’annonce du retour des grammar schools est «une pure coïncidence»,a-t-ilcrubondepré- ciser. Beaucoup de commenta- teurs y voient un désaveu. Hostilité des travaillistes Nicky Morgan, ministre de l’édu- cation sous M. Cameron de 2014 à 2016, considère le retour de la «sé- grégation» comme «une diversion par rapport aux réformes cruciales pour améliorer le niveau [sco- laire]». Les détracteurs des gram- mars soulignent que leur relance risque de «siphonner» les autres établissements de leurs meilleurs élèves et de compromettre les ré- sultats de ces derniers. Et souli- gnent que les parents aisés finan- cent le soutien scolaire nécessaire au passage de l’examen d’entrée. TheresaMay,quiaffirmevouloir gouverner «non pour quelques privilégiés» mais pour tous, af- firme que la réforme vise à amé- liorer la mobilité sociale. Aujourd’hui, argue-t-elle, la hausse des prix de l’immobilier dans les secteurs correspondant aux meilleurs établissements rend l’égalité d’accès illusoire. Alors que les actuelles gram- mars n’accueillent que 2,5 % des élèves éligibles à la gratuité de la cantinecontre31,5%enmoyenne, les futurs établissements sélectifs seraient obligés d’inscrire un cer- tain quota d’élèves défavorisés. Le retour des grammars a été ac- cueilli avec hostilité par les tra- vaillistes,qui craignent un creuse- ment des inégalités sociales. «Nous mettrons en échec» la ré- forme, a promis leur chef, Jeremy Corbyn. Mais il divise aussi les conservateurs. Alors que Mme May nedisposequededix-septvoixde majorité,douzedéputéstoriesont manifesté leur désaccord à l’égard d’orientations qui ne figurent pas dans le programme du parti et tournent le dos aux réformes en- gagées sous David Cameron. Chiffon rouge Depuis 2010, la transformation des établissements d’enseigne- ment public en academies était la priorité. Ce nouveau statut fait des établissements scolaires des enti- tés privées financées non plus par les collectivités territoriales mais par l’Etat. Autonomes, les acade- mies sont gérées par un chef d’éta- blissement épaulé par des spon- sors locaux (université, associa- tion caritative). La réforme a per- mis d’améliorer les performances des établissements défavorisés. Plus de 60 % des établissements du secondaire et 15 % des écoles élémentaires sont devenus des academies.MaisleprojetdeM.Ca- meron d’imposer la généralisa- tion de ce statut a dû être aban- donné devant les protestations. Tous les conservateurs ne voient pas non plus d’un bon œil l’autre disposition prévue par Mme May, qui consiste à supprimer l’obliga- tionpourlesécolesprivéesconfes- sionnelles d’accueillir 50 % d’élè- ves sur des bases non religieuses. Controversé,ledossierdesgram- mar schools va occuper l’agenda politique pendant plusieurs mois, alors que le gouvernement May peine à définir une stratégie pour mettreenœuvreleBrexit.Enchoi- sissant d’agiter ce chiffon rouge, la première ministre proclame qu’elle a les mains libres face à une opposition affaiblie. Mais elle ré- vèle ce que ses premiers discours éclairés avaient masqué: la loca- taire de Downing Street est une conservatricetrèstraditionnelle. p philippe bernard Troisterroristessoupçonnésd’allégeanceàl’EIarrêtésenAllemagne VraisemblablementarrivésparlaroutedesBalkans,lesindividuspourraientêtreliésauxattentatsdu13novembre2015enFrance berlin - correspondant Trois hommes soupçonnés d’avoir prêté allégeance à l’organisation Etat islami- que (EI) et d’appartenir à la même filière que les auteurs des atten- tatsperpétrésàParisetàSaint-De- nis le 13 novembre2015 ont été ar- rêtés, mardi 13 septembre, dans le cadre d’une opération antiterro- riste dans le nord de l’Allemagne. Selon le ministre allemand de l’intérieur, Thomas de Maizière, ils seraient arrivés en Europe de- puis la Syrie et auraient eu re- cours à «la même organisation de passeurs que les auteurs des atten- tats de Paris». Par ailleurs, ils se- raient détenteurs de «documents de voyage fabriqués dans le même atelier» de fabrication de faux pa- piers que les deux kamikazes ira- kiensduStadedeFranceetqueles deux suspects, l’un algérien, l’autre pakistanais, interpellés en décembre 2015 en Autriche. Sur les activités actuelles des trois hommes arrêtés mardi ma- tin dans des foyers de deman- deurs d’asile près des villes de Hambourg et de Lübeck, dans le nord de l’Allemagne, M. de Mai- zière s’est voulu rassurant. «Jus- qu’àprésent,iln’yaaucuneindica- tion qu’une planification concrète en vue d’un attentat était en cours. Il pourrait dès lors s’agir d’une cel- lule dormante», a-t-il déclaré, mardimidi,lorsd’uneconférence de presse à Berlin. Selon un communiqué du par- quet, qui a décidé de les poursui- vre pour appartenance à une «or- ganisation terroriste étrangère», les trois hommes «sont soupçon- nés d’être venus en Allemagne sur ordredel’EI,soitpourexécuterune mission, soit pour se tenir prêts en vue d’instructions». Les trois hommes, semble-t-il, sont arrivés ensemble en Allema- gne, en novembre 2015. Le plus jeune, Mahir Al-H. (17ans) est soupçonné d’avoir rejoint l’EI en septembre 2015 et d’avoir bénéfi- ciéd’unecourteformationauma- niement d’armes et d’explosifs à Rakka, dans le nord de la Syrie. Avec ses deux complices, Ibrahim M. (18 ans) et Mohamed A. (26ans), il se serait ensuite rendu en Turquie puis aurait suivi la route des Balkans pour gagner l’Allemagne. Messages cryptés Avant de partir pour l’Europe, les trois hommes auraient rencontré un haut responsable de l’EI qui leur aurait fourni leur passeport, quelques milliers de dollars amé- ricainsenargentliquide,ainsique des téléphones portables équipés d’applications permettant de communiquer par messages cryptés. L’identification de ce person- nage sera l’un des points clés de l’enquête. Il pourrait s’agir d’un certain Abou Ahmad, celui qui avaitaussiorganisélepériplevers l’Europe des hommes arrêtés en décembre 2015 en Autriche. Son numéro de téléphone avait été re- trouvé,griffonné,surunmorceau depapierprèsducadavred’undes kamikazes du Stade de France, le 13 novembre2015. Potentiellementtrèsintéressan- tes pour les enquêteurs qui tra- vaillent sur les attentats de Paris, les trois arrestations de mardi le sont aussi d’un point de vue plus strictementpolitiquepourlegou- vernement allemand. Quelques semaines après les deux attentats – l’un au couteau, l’autre à la bombe – que l’EI a re- vendiqués en juillet en Allema- gne, il était important que Berlin apporte la preuve de sa capacité à déjouer des attentats en amont. En cela, ce n’est sans doute pas un hasard si, mardi, la communica- tion officielle autour de ces arres- tations a d’abord insisté sur les importants moyens déployés – soit200policiersautotal–dansle cadre de ce qui constitue la plus vaste opération antiterroriste de ces derniers mois. Pour le gouvernement, la partie est cependant délicate pour une raison qui tient à l’origine des in- dividus arrêtés. Le fait qu’ils aient des passeports syriens et aient emprunté la route des Balkans à l’automne 2015 risque de donner des arguments à ceux qui consi- dèrent que la chancelière Angela Merkel a mis l’Allemagne en dan- ger en ouvrant les portes du pays aux réfugiés à l’été 2015. Mardi, Thomas de Maizière a appeléàéviterlesamalgames,ré- pétant une nouvelle fois ce que la chancelière elle-même a dit à plusieurs occasions, à savoir que si des terroristes avaient pu se glisser dans le flot des réfugiés de ces derniers mois, rien ne serait plus «faux» que de soupçonner l’ensemble des réfugiés. Compte tenu du climat de la rentrée politique en Allemagne, dominé par les offensives de la droite conservatrice et de l’ex- trême droite contre la politique d’Angela Merkel à l’égard des ré- fugiés, il n’est pas sûr qu’un tel discours soit entendu. p soren seelow (à paris) et thomas wieder Theresa May, au sommet du G20, à Hangzhou (Chine), le 5 septembre. D. SAGOLJ/REUTERS Controversé, le dossier va occuper l’agenda politique pendant plusieurs mois
  • 5. 0123 JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 international | 5 Etats-Unis-Israël: l’alliancemilitaire renforcée Washingtons’estengagéàaccorder àsonalliéuneaidede38milliards dedollarsentre2019et2028 jérusalem - correspondant L a somme est colossale. Au coursdeladécennie2019- 2028, les Etats-Unis s’en- gagent à fournir à Israël une aide militaire de 38 milliards de dollars (près de 34milliards d’euros). Selon le département d’Etat, il s’agit du «plus grand en- gagement d’aide militaire bilaté- raledansl’histoiredesEtats-Unis». Ce protocole d’accord devait être officiellement signé à Washing- ton, mercredi 14 septembre, par YaakovNagel,conseillerpourlasé- curité nationale auprès du pre- mier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, et Thomas A. Shan- non Jr., le sous-secrétaire d’Etat pourlesaffairespolitiques.Ilscelle une nouvelle fois l’alliance straté- gique entre les deux pays, malgré les relations personnelles exécra- bles entre leurs dirigeants, Barack Obama et Benyamin Nétanyahou, et le développement des colonies en Cisjordanie, que la diplomatie américaine condamne régulière- ment, sans conséquences. L’accord en vigueur à ce jour, et qui expire en 2018, alloue à Israël environ 3,1 milliards de dollars d’aide annuelle. A cela s’ajoutent des efforts exceptionnels, votés chaque année par le Congrès, es- sentiellement pour des projets de défense antimissiles comme les batteries du système «Dôme de fer». «Israël aurait pu assumer ces programmes seuls, mais cela aurait pris beaucoup plus de temps à cause du processus de dé- cision lourd et de la charge budgé- taire», explique Uzi Rubin, qui di- rigea le développement du sys- tème Arrow contre les missiles longue portée entre 1991 et 1999. Dans le cadre du nouveau mé- morandum, la Maison Blanche a imposé des concessions à l’Etat hébreu. Celui-ci ne pourra plus s’engager directement dans des marchandages avec le Congrès pour obtenir des rallonges, à moins de circonstances particu- lières, en temps de guerre. «Ça nous donne moins de flexibi- lité, mais ça nous permet de mieux planifier nos besoins à l’avance, ex- pliqueReuvenBenShalom,ancien chef du département nord-améri- cain au planning des forces ar- mées,àl’époqueoùfutconclul’ac- cord précédent, en 2007. Je suis soulagé et reconnaissant vis-à-vis du peuple américain. L’héritage d’Obamaseralerenforcementdela sécurité d’Israël, avec un niveau sansprécédentdecoopérationmili- taire et en matière de renseigne- ment.» Le motif d’inquiétude nu- méro un de l’état-major israélien est l’arsenal sans précédent accu- mulé par le Hezbollah, la milice chiite libanaise parrainée par l’Iran, qui dispose de 100000 ro- quettes à la précision accrue. «Régime unique» Une réserve de taille figure dans le nouveau mémorandum. A partir de la sixième année, Israël ne pourraplusutilisercesfondspour passerdescommandesàsapropre industrie de défense, ce qui était le cas pour plus du quart de la somme allouée. L’aide de Washington est donc, au-delà du lien conforté entre les deux pays, à la course aux armements ouverte dans la région. A compter de novembre 2015, les négociations furent ardues entre Israéliens et Américains. Le 25 avril, 83 sénateurs américains sur 100 ont signé une lettre appe- lant l’administration Obama à ac- croîtreseseffortspourconclureun nouvel accord avec Israël. Le gou- vernement Nétanyahou espérait uneffortfinancierconsidérablede lapartdeWashington,del’ordrede 4 à 5 milliards de dollars par an. La Maison Blanche a opposé une fin de non-recevoir. M. Nétanyahou a ensuite joué un bluff risqué, en semblant prêt à remettre les dis- cussions à plus tard, lorsque M. Obamaauraquittélascène. Mêmelesconseillersdupremier ministre et ses alliés estimaient pourtant qu’il valait mieux con- clure dès que possible. Le 4 juillet, lors de la fête nationale à l’ambas- sade américaine, M. Nétanyahou confia son «espoir» d’une conclu- sion heureuse. Il passa aussi publi- quement commande. «Nous ap- précions les derniers avions, les F35. Nous parlerons des autres versions que nous voulons. Le décollage ver- tical, c’est un indice.» Maintenant que l’accord est conclu, les observateurs israé- liens s’interrogent déjà sur le sens que Barack Obama voudra don- ner à ses derniers mois de prési- dence vis-à-vis d’Israël. Compte- t-ilprofiterdesdeuxmoisetdemi entre l’élection du 8 novembre et l’investiture de son successeur pour prendre une initiative? Depuis longtemps, les experts spéculent sur sa volonté de laisser un héritage sur le conflit israélo- palestinien. Il pourrait s’agir soit d’un soutien à une résolution au Conseil de sécurité, défavorable à Israël, soit d’un discours cadre, rappelantlesparamètresd’uneso- lution à deux Etats. Mais d’autres commentateurs soulignent la las- situde qui se serait emparée de Ba- rack Obama sur ce dossier. Sous sa présidence, conformé- ment à la tradition, les questions politiques et militaires ont été dé- couplées. Les communiqués répé- tés du département d’Etat con- damnant le développement des colonies en Cisjordanie se sont succédé, sans effet. Le 9 septem- bre, Nétanyahou s’est permis, à quelques jours de la signature du mémorandum, d’enregistrer une vidéo en anglais, dans laquelle il accuselespourfendeursdelacolo- nisation d’être complices du «net- toyage ethnique» des juifs dans les territoires palestiniens. Cette vi- déo a été mal reçue au départe- ment d’Etat. Sans conséquences. p piotr smolar Des soldats israéliens, dans le Golan, le 13 septembre. ARIEL SCHALIT/AP Snowdensollicitelepardond’Obama Cettenouvelledemandeesttransmiseenpleinesortiemondialedufilmd’OliverStone surlelanceurd’alertepoursuivipourespionnageetenexildepuistroisansàMoscou Hollywood, lors de la sor- tie prochaine du film d’Oliver Stone sur Ed- ward Snowden – le 1er novembre en France –, permettra-t-elle d’ob- tenirunpardonpourl’ex-contrac- tueldel’Agencenationaledesécu- rité (NSA), que Washington lui a jusqu’alors toujours refusé pour avoir révélé, en 2013, l’existence d’un système de surveillance mondiale? Cet espoir a sans doute motivé la déclaration, mardi 13 septembre, du principal intéressé, dans un entretien avec le Guardian, sollicitant la grâce présidentielle pour retourner dans son pays après trois ans d’exil à Moscou. Poursuivi pour espionnage, il risque jusqu’à trente ans de prison. Cette demande devait être réité- rée, mercredi, par son avocat Ben Wizner, entouré de représentants d’Amnesty International et de Hu- manRightsWatch,àNewYork,lors du lancement d’une pétition pour obtenir le pardon de Barack Obama avant que celui-ci quitte ses fonctions. «Je pense qu’Oliver [Stone] fera plus pour Snowden en deux heures que ses avocats n’ont étécapablesdefaireentroisans»,a résumé, modeste, Ben Wizner. «Ilyadesloisquidisentcertaines choses, mais c’est peut-être pour- quoi le pouvoir de donner son par- don existe – pour les exceptions, pourleschosesquisemblentilléga- lesàlalecture,maisqui,sionlesre- garded’unpointdevuemoral,éthi- que,quandonregardelesrésultats, apparaissent comme nécessaires, vitales», assure Edward Snowden, ajoutant: «Lorsque les gens regar- dentlesbénéfices,ilestclairquede- puis 2013 les lois de notre pays ont changé. Le Congrès, les tribunaux et le président, tout le monde a changé sa politique après ces révé- lations. Dans le même temps, il n’y a jamais eu de preuve publique que quelqu’un en ait souffert.» Enjuillet2015,laMaisonBlanche a rejeté une première pétition pour un «pardon sans condition» qui avait récolté 167954 signatu- res.EdwardSnowden«devraitren- trer aux Etats-Unis pour y être jugé par ses pairs, et non pas se cacher derrièreunrégimeautoritaire.Pour l’heure, il fuit les conséquences de ses actes», avait déclaré Lisa Mo- naco, la conseillère de M. Obama en matière de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme. Sens des responsabilités AprèslesattentatsdeParis,enno- vembre 2015, le directeur de la CIA, John Brennan, avait encore prisàpartiel’ex-consultantenfai- sant un lien entre ces attaques et «toute révélation non autorisée» de personnels d’agence de rensei- gnement. Hillary Clinton, la can- didate démocrate à l’élection pré- sidentielle, avait précisé, en octo- bre 2015, que le plus célèbre des lanceursd’alerte«avolédesinfor- mationstrèsimportantesqui,mal- heureusement,sonttombéesentre beaucoup de mauvaises mains». Cette nouvelle initiative n’est pas liée au seul film d’Oliver Stone. Elle s’inscrit dans une stra- tégie arrêtée dès l’installation d’Edward Snowden en Russie, en juillet 2013. La grande cohérence entre ses engagements et ses ac- tes,cestroisdernièresannées,mi- lite pour attester son sens des res- ponsabilités. Il affirme avoir agi parpatriotismeetidéalisme.Atta- chéauxlibertésfondamentales,il n’a cessé de vanter Internet comme un espace de liberté gra- tuit. Sa vie à Moscou a montré qu’il n’était pas dans la promo- tion personnelle, mais dans la dé- fense de principes. Sans contact avec le gouvernement russe et ayant abandonné une vie très confortable, il s’est surtout atta- ché à convaincre l’opinion publi- que américaine de sa bonne foi. En 2015, grâce à Internet, il est intervenu dans des débats à Hon- gkong ou avec des philosophes de l’universitédeStanford.Iladonné une conférence avec Lawrence Lessig, un professeur de droit à Harvard, ou avec Barton Gellman, de l’université de Princeton. Re- joignant, à sa manière, une an- tienne de la filmographie d’Oliver Stone, il assénait qu’un patriote n’est pas un nationaliste. Le pa- triotisme, pour lui, c’est protéger le pays de son gouvernement. «Il a une grande envie de revenir et nous faisons tout notre possible pour que cela se réalise», a con- firmé dès 2014 son avocat russe, Anatoli Koutcherena. Plus récem- ment, il s’est démarqué de Wiki- Leaks et de son fondateur, Julian Assange,considérantquelapubli- cation de documents ne pouvait se faire sans une forme de «cura- tion» – traitement. Propos lui va- lant en retour l’accusation «d’op- portunisme» de la part du site. Le temps d’Edward Snowden est aujourd’hui compté. Son permis de résidence de trois ans, accordé par Moscou, expire fin 2017 sans que l’on sache s’il serait prolongé au regard de ses prises de posi- tions critiques contre la multipli- cation des atteintes aux libertés recensées en Russie. p jacques follorou «Il n’y a jamais eu de preuve publique que quelqu’un ait souffert de ces révélations» EDWARD SNOWDEN une subvention indirecte au com- plexemilitaro-industrieldesEtats- Unis. «Nous avions bénéficié d’un régime unique, explique Reuven Ben Shalom. Les fonds américains étaient de l’oxygène pour notre sec- teur militaro-industriel. Nous al- lons devoir gagner en maturité et nous préparer à l’indépendance.» Les négociations en vue d’un nouvel accord avaient vraiment débuté en novembre 2015. Quatre moisplustôt,unaccordhistorique avait été conclu par les pays du «P 5+1» (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allema- gne) avec l’Iran, au sujet de son programme nucléaire. Un accord jugé dangereux par Benyamin Né- tanyahou,quiadèslorsencouragé les élus au Congrès américain à ne pas le ratifier, quitte à se mêler de la politique intérieure d’un autre Etat. Jusqu’à la ratification finale, le premier ministre israélien avait refusé d’entamer des discussions sur la compensation militaire dont pourrait bénéficier son pays en réponse à l’accord avec l’Iran et L’Etat hébreu ne pourra plus s’engager directement dans des marchandages avec le Congrès 13personnes interpellées à Wukan, en Chine Ces interpellations interviennent quelques jours après la condamnation du maire, l’un des rares à avoir été élus dans le pays à la faveur d’un pro- cessus démocratique. Le village de Wukan (13000 habitants), dans la province méridionale du Guangdong en Chine, était devenu célèbre fin 2011 lorsque ses habitants s’étaient soulevés pour chasser les caciques locaux du Parti communiste chinois accusés de corruption. L’agence Chine nouvelle avait annoncé, jeudi, la condamnation à trois ans de pri- son pour corruption du maire, Lin Zulian. Son arrestation, en juin, avait déjà donné lieu à des manifestations dans le village. ROYAUME-UNI Rapport accablant pour David Cameron, sur l’intervention en Libye en2011 «La politique britannique en Libye avant et depuis l’inter- vention de mars 2011 a été ba- sée sur des suppositions erro- nées et une compréhension incomplète du pays et de la si- tuation», dénonce la com- mission des affaires étrangè- res du Parlement britannique, qui a publié, mardi 13 septembre, un rap- port accablant pour l’ex-pre- mier ministre David Came- ron. La commission affirme que M. Cameron a joué un rôle «décisif» dans la déci- sion d’intervenir militaire- ment et qu’il doit en porter la «responsabilité ultime». Selon elle, son gouverne- ment n’est pas parvenu à voir, dans les rapports des services de renseignement, que la menace contre les ci- vils était exagérée et que la rébellion comprenait une importante composante isla- miste. Il manquait aussi un plan pour l’après-interven- tion, jugent-ils. – (Reuters.) ÉTATS-UNIS Hillary Clinton annonce reprendre sa campagne Contrainte au repos après un malaise, dimanche 11 septem- bre, qui a inquiété le camp dé- mocrate, Hillary Clinton doit reprendre sa campagne jeudi, a annoncé son équipe, mardi. Lors d’un meeting à Philadel- phie, Barack Obama est venu au secours de la candidate, très critiquée à treize jours du premier débat face à Donald Trump: «Elle a été caricaturée par la droite et parfois par la gauche, a-t-il déclaré. Elle a été accusée de tout ce que vous pouvez imaginer et a fait l’ob- jet de plus de critiques injustes que qui que ce soit.» Selon lui, «Donald Trump dit tous les jours des choses qui, pendant longtemps, auraient disqualifié quiconque pour la prési- dence.» – (AFP.)
  • 6. 6| international JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 0123 EnArgentine,lafamilleKirchnerenaccusation Denouvellesenquêtespourcorruptionontétélancéescontrel’ex-présidenteCristinaKirchner buenos aires - correspondante L a saga judiciaire impli- quant l’ancienne prési- dente péroniste Cristina Fernandez de Kirchner dans plusieurs affaires de corrup- tion a connu de nouveaux rebon- dissements. L’organisme officiel chargé de détecter des mouve- ments de blanchiment d’argent, l’Unité d’information financière (UIF), a réclamé, vendredi 9 sep- tembre,àlajusticefédéraledepla- cer sous séquestre tous les biens figurantdanslasuccessiondel’ex- président Nestor Kirchner (2003- 2007), mort en octobre 2010, et auquel sa femme, Cristina, a suc- cédé de 2007 à 2015. Et cela, pen- dant toute la durée de l’instruc- tion engagée contre Mme Kirchner pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Sur Twitter, Cristina Kirchner a répondu en accusant le gouverne- ment de centre droit de Mauricio Macri «de persécuter et d’attaquer ceux qui ne sont plus là et ne peu- vent pas se défendre». «Le désastre économique provoqué par ce gou- vernement est chaque jour telle- mentplusgrandque,pourtenterde le dissimuler, il ne lui est plus suffi- santdem’attaquer»,a-t-elleajouté. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Macri, le 10 décembre2015, l’étau judiciaire ne cesse de se res- serrer sur la famille Kirchner. Les comptes bancaires de l’ex-prési- denteontégalementétégelés.Les biens des enfants de l’ancien cou- ple présidentiel, Maximo, député, et sa sœur cadette Florencia pour- raient bientôt être concernés. Deux procureurs ont demandé et obtenu l’ouverture d’enquêtes visant à démontrer l’existence d’un«schémadecorruption»des- tiné à vider les caisses de l’Etat moyennant des projets fictifs de travaux publics. Julio de Vido, an- cien ministre des travaux publics, est lui-même accusé d’enrichisse- mentillicite.L’ex-présidenteetlui devront témoigner devant la jus- tice le 20 octobre. «J’accuse» ABuenosAires,ladéputéedegau- cheMargaritaStolbizer,àl’origine des dénonciations les plus reten- tissantes contre Mme Kirchner, est devenue la star de la lutte contre lacorruption.Aprèsavoirsouffert unecuisantedéfaitelorsdelapré- sidentielle d’octobre 2015, où elle était arrivée en 5e position avec à peine 2,5 % des voix, elle occupe désormais le devant de la scène. Elle vient de publier un livre au titre révélateur, Yo acuso («J’ac- cuse», non traduit). Sur 430 pages nourries de documents et de té- moignages, elle épluche «la struc- turedecorruption»desgouverne- ments Kirchner. Mmes Kirchner et Stolbizer se sont côtoyées, en 2000, à l’époque où elles étaient toutes les deux députées et intégraient une commission parlementaire chargée d’enquê- ter,justement,surleblanchiment d’argent. L’enquête de Mme Stolbizer, ex- pliqueladéputéeauMonde,estis- sue d’un travail «personnel» et non pas de fuites judiciaires. C’est presque «par hasard», dit-elle, qu’en examinant la déclaration d’impôts de Mme Kirchner son at- tention «a été attirée par une par- ticipation actionnaire dans la compagnie Hotesur SA», proprié- tairedeluxueuxhôtelsenPatago- nie, fief des Kirchner. Constatant des «irrégularités», elle a décou- vert une relation «suspecte» en- tre des entrepreneurs ayant des contrats avec l’Etat et «un com- plexe hôtelier présentant des con- trats et des revenus d’origine dou- teuse». Elle a trouvé par la suite des irrégularités semblables au sein d’une autre société qui gère de nombreuses propriétés appar- tenant à la famille Kirchner. Mme Kirchner a engagé un pro- cès pour diffamation contre elle. Traitée «d’âne» sur les réseaux sociaux par l’ex-présidente, Margarita Stolbizer s’est transfor- mée en une figure médiatique que se disputent le président Macri et le péroniste dissident Sergio Massa, lui aussi candidat malchanceuxàlaprésidentielle,à la tête du Front rénovateur, anti- kirchnériste. Ils rêvent tous deux de la convaincre d’être candidate au Sénat en 2017. Dans un pays où la corruption est perçue comme un des plus graves fléaux, Mme Stolbizer bénéficie d’une image de probité et de tra- vailleuse acharnée qui l’a rendue populaire. Margarita Stolbitzer est confiante.CristinaKirchner«peut être condamnée, car les délits sont avérés et les preuves aussi». «La sociétéleréclame»,ajouteladépu- tée, qui qualifie la gestion des Kirchner comme «la plus corrom- pue de l’histoire démocratique ar- gentine». Affirmant «n’envisager aucune alliance électorale pour le moment», elle est reconnaissante au président Macri d’avoir «changéleclimatpolitique,depro- mouvoir la coexistence et de res- pecter toutes les opinions». Elle signale toutefois des er- reurs, «un manque de politique», estimant malgré tout qu’on «ne peut demander au gouvernement de résoudre en neuf mois le désas- tre laissé par les gouvernements des douze dernières années». Margarita Stolbizer considère toutefois que «le gouvernement devrait expliciter un plan et une stratégieéconomiquespourrésou- dre les trois principaux problèmes reçus en héritage: récession, infla- tion et pauvreté». p christine legrand IsabelAllendecandidateàlaprésidentielle LafilleduprésidentSalvadorAllendelancelacoursepourl’électiondefin2017auChili buenos aires - correspondante régionale Quarante-trois ans après la mort de Salvador Al- lende, Isabel Allende Bussi, la fille de l’ancien président socialiste chilien ren- versé par le coup d’Etat du général Augusto Pinochet, a annoncé, sa- medi 10 septembre, sa candida- ture à l’élection présidentielle de novembre 2017. Sénatrice et prési- dente du Parti socialiste, Mme Al- lende, 71ans, a choisi la veille du 11septembre,jouranniversairedu putsch de 1973 qui déboucha sur dix-sept ans de dictature militaire (1973-1990), pour faire connaître sonintention.Ellesouhaitelacon- vocation d’élections primaires au sein de la coalition de centre-gau- che de la Nouvelle Majorité (au pouvoir),àlaquelleelleappartient et qui regroupe la démocratie chrétienne, le Parti socialiste, des radicaux et le Parti communiste. La course à la présidence est donc lancée au Chili, et les candi- datures se multiplient à gauche. Le duel devrait se jouer entre un ou une candidate de la Nouvelle Majorité et, à droite, Sebastian Piñera, qui a gouverné le Chili en- tre 2010 et 2014. L’homme d’affai- res millionnaire n’a pas annoncé officiellement qu’il était en lice, mais les premiers sondages le donnent d’ores et déjà comme fa- vori face au centre-gauche. Mécontentement généralisé L’ex-président socialiste Ricardo Lagos, 78ans, a annoncé qu’il bri- guerait un nouveau mandat. Il a gouverné le Chili de 2000 à 2006. Il a précisé qu’il souhaitait pour- suivre les réformes mises en œuvre par la Nouvelle Majorité avec la présidente socialiste Mi- chelle Bachelet, au pouvoir depuis 2014,aprèsunpremiermandaten- tre2006et2010.Egalementsurles rangs: l’ancien secrétaire général de l’Organisation des Etats améri- cains José Miguel Insulza et le sé- nateur indépendant proche du Parti radical Alejandro Guillier. Mme Bachelet a lancé des réfor- mes polémiques dans de nom- breux domaines, comme celui de l’éducation, des impôts ou du sys- tème électoral. Mais elles ont été freinées, notamment, par la baissedesrecettesfiscalesliéesau ralentissement de l’économie. Plusieurs scandales touchant au financement des campagnes élec- torales et des allégations de mal- versations visant sa belle-fille ont entamésapopularité,quiesttom- béeà15%–letauxleplusbaspour unprésidentdepuisleretourdela démocratieen1990,selonunson- dage du Centre d’études publi- ques, publié en août. La coalition de la Nouvelle Majorité dans son ensemble ne recueille que 8 % d’opinions favorables. L’opposi- tion de droite n’est guère mieux placée avec seulement 10 %. Un climat de pessimisme et de mécontentement généralisé rè- gneàSantiago,avecdefréquentes et massives manifestations con- tre le gouvernement. La récession a conduit la banque centrale du Chili à abaisser, en août, les prévi- sions annuelles de croissance de 1,2 % à 0,5 %. Le chômage est grimpé à 7,1 %, soit le taux le plus élevé depuis cinq ans. Les élec- tions municipales de novembre seront le premier test pour les dif- férents partis. p ch. le. Banderoles à l’effigie de Cristina Kirchner lors d’une manifestation contre le gouvernement de Mauricio Macri, le 2septembre, à Buenos Aires. AGUSTIN MARCARIAN/AP «Les délits sont avérés et les preuves aussi» MARGARITA STOLBIZER députée Une «croûte» déclarée trésor national restera en Australie sydney - correspondance Snack Bar, d’Herbert Badham, ne quittera pas l’Australie: cette peinture de 1944 a été jugée trop précieuse pour le patrimoine du pays. N’en déplaise à son acquéreur londo- nien, qui a déboursé 465000 dollars australiens (quelque 315000euros) lors d’une vente aux enchères à Melbourne, en 2015. A première vue, l’œuvre n’a pourtant rien d’exception- nel. C’est une scène de bar, avec des soldats américains et des ci- vils australiens, à l’heure du repas, à Sydney. Un homme se dé- croche la mâchoire en mangeant une saucisse. Il fallait obtenir un permis pour sortir la toile du pays, qui a été refusé. Un an- cien ministre de la culture a pesé dans ce sens. Le malchanceux propriétaire a fait appel, en vain. La principale raison du refus réside dans le coin supérieur gauche de la peinture. A l’arrière-plan, un soldat américain noir se tient près d’une femme, probablement australienne. La pein- ture met en avant «l’interaction de per- sonnes de différentes races, dans une ambiance sympathique à un moment de grand danger pour l’Australie», a jugé le tribunal, dont la décision a été rapportée par le quotidien The Austra- lian. La peinture traiterait donc d’un sujet cher à l’Australie, dont plus de 28 % des habitants sont nés à l’étran- ger: le multiculturalisme. Au tribunal, un expert a en outre jugé que cette peinturedevraitresterenAustralie,car l’artiste a produit peu d’œuvres. Ces arguments en font-ils une œuvre de grande valeur? D’autres experts en doutent. Pour Deborah Edwards, de la Gale- rie d’art de la Nouvelle-Galles du Sud, elle n’est exceptionnelle ni en termes artistiques ni au niveau historique. Et de meilleurs artistes auraient peint l’Australie au moment de la guerre. L’œuvre s’est très bien vendue aux enchères, car elle était esti- mée entre 90000 et 120000 dollars. Mais, pour l’universitaire DavidHansen,HerbertBadhamn’estpasunartistemajeuraus- tralien, même s’il connaît sa «période de gloire» plus de cin- quante ans après sa mort. p caroline taïx PRINCIPAL MOTIF DE LA DÉCISION: L’ŒUVRE PRÉSENTE «L’INTERACTION DE PERSONNES DE DIFFÉRENTES RACES» Coopération entre Buenos Aires et Londres dans les îles Malouines L’Argentine et le Royaume-Uni ont annoncé, mardi 13septembre, leur décision de coopérer dans plusieurs domaines aux Malouines, archipel britannique de l’Atlantique sud revendiqué par Buenos Aires. Cette annonce a été faite à l’occasion de la présence à Bue- nos Aires d’Alan Duncan, secrétaire d’Etat britannique aux affaires étrangères. Les deux pays ont décidé «de prendre les mesures ap- propriées pour éliminer tous les obstacles qui limitent la croissance économique et le développement durable des îles Malouines». Les domaines de coopération mentionnés sont les hydrocarbures, la pêche, le commerce, la navigation et le transport aérien, ainsi que la lutte contre la corruption et contre le trafic de drogue. GUILLAUME ERNER ET LA RÉDACTION DU LUNDI AU VENDREDI / 7H-9H Retrouvez la chronique de Jean Birnbaum chaque jeudi à 8h56 en partenariat avec VENDREDI / 7H-9H (&" '#!$%" franceculture.fr / @Franceculture
  • 7. 0123 JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 planète & science | 7 C’ est un fait biologi- que érigé en dogme depuis le XIXe siècle qui est mis à mal par des chercheurs de l’université de Bath (Royaume-Uni) et par leurs collègues de l’université de Ratis- bonne (Allemagne). Ils sont par- venus à obtenir des souriceaux viables sans avoir recours à des ovocytes, des cellules sexuelles d’origine maternelle. Jusqu’ici, les biologistes étaient persuadés que la présence de ces gamètes femel- les était indispensable au déve- loppement d’un embryon. Petitrappel,pourcomprendrela portée de cette expérience : la re- production sexuée fait normale- ment appel à deux gamètes, l’un femelle et l’autre mâle, compor- tant chacun un exemplaire de chaque chromosome, qui, en fu- sionnant, formeront les paires de chromosomes de l’embryon. Avant cette fusion, on parle de cellule haploïde et, après, de cel- lule diploïde. On croyait jusqu’ici qu’ils’agissaitdelaseulevoiepos- sible pour obtenir un organisme vivant. Depuis la brebis Dolly, le premier mammifère cloné en 1996, il existe bien un autre moyen de créer artificiellement un nouvel organisme, par clo- nage, mais, dans ce cas, son patri- moine génétique est identique à celui de l’individu dont une cel- lule a été utilisée. Passage obligé Or, Toru Suzuki et ses collègues, dont les recherches ont été pu- bliées mardi 13 septembre sur le site de la revue Nature Communi- cations, démontrent pour la pre- mière fois que, chez la souris, on peutobtenirunindividuuniqueà partir d’embryons et de sperma- tozoïdes sans recourir à des ovo- cytes. L’équipe de chercheurs a tenté de contourner ce qui semblait êtreunpassageobligédelafusion ovocyte-spermatozoïde. Dans la fécondation sexuée, cette fusion aboutit à la reprogrammation du spermatozoïde, cellule haute- ment différenciée, en une cellule indifférenciée, capable de se mul- tiplier et de se différencier pour donnern’importequeltypecellu- laire existant dans un organisme. Danscetravailexpérimental,les scientifiques ont utilisé des em- bryons de souris à un stade très précoce, avant la première divi- sion cellulaire. Ces embryons ont subi un traitement chimique afin d’activer la division cellulaire pour qu’ils ne possèdent plus qu’un seul jeu de chromosomes etdoncqu’unemoitiédematériel génétique. Ils deviennent alors haploïdes et on les appelle des parthénogénotes. Chez les mam- mifères, ces embryons parthéno- génotes ne sont pas viables. Succès dans 25% des tentatives Dans chacun d’entre eux, un spermatozoïde a été ensuite injecté, comme on le ferait dans une fécondation in vitro avec un ovocyte, pour apporter l’autre moitié de matériel génétique. En réimplantant ces cellules fusion- nées dans des souris jouant le rôle de mères porteuses, les cher- cheursontobtenu,dansunquart des tentatives, des souriceaux apparemment en bonne santé. Le rendement pourrait paraître faible, mais il est beaucoup plus important que celui du clonage par transfert de noyau. En effet, cette technique utilisée pour Dolly ne rencontre qu’un taux de réussite d’à peine 2 %. Quant à la technique de la parthénogenèse, c’est-à-dire par la division d’une cellule sexuelle femelle non fé- condée, elle ne permet pas de dé- velopper un embryon de souris viable. Bien que présentant des signes épigénétiques (changements dans l’activité des gènes) diffé- rents de ceux observés chez les embryons obtenus par féconda- tion d’un ovocyte par un sperma- tozoïde, les souris créées sem- blent en bonne santé, fertiles, et avec une espérance de vie nor- male. Dans le cas du clonage, les animaux, comme Dolly, étaient morts prématurément. Ce résul- tat constitue une surprise de taille pour les biologistes puis- que l’équipe anglo-allemande a créé pour la première fois un or- ganisme vivant en l’absence de gamète femelle. Questionnements éthiques « C’est un travail très intéressant de biologie fondamentale, remar- que Bernard Jégou (Institut de re- cherche sur la santé, l’environne- ment et le travail, Inserm U1085, Rennes), qui bouscule ce qui ap- paraissait comme un dogme. L’étudeaétéeffectuéeavecuneex- cellente méthodologie. Il faut donc la saluer. Cela étant, au-delà de l’amélioration des connaissan- ces et d’un nouvel éclairage sur les mécanismes de la reproduction, que fera-t-on de ces résultats ? Il est bien trop tôt pour le dire. » Outre son caractère icono- claste, cette percée ouvre cepen- dant la voie à des interrogations. « Cela brouille les distinctions fonctionnelles entre lignées cellu- laires sexuelles, embryonnaires et somatiques [adultes] », écrivent les chercheurs dans leur article. Un communiqué de presse éma- nant de l’université de Bath évo- que l’éventualité de partir de cette approche pour obtenir plus facilement une descendance dans des espèces animales en voie d’extinction. Bien évidemment, des ques- tionnements éthiques ne man- querontpas,àlasuitedecettepu- blication. Les auteurs soulignent ainsi que l’affirmation selon la- quelle les parthénogénotes n’ont pas le potentiel de se développer EnEspagne,Tordesillasvitsapremièrefêtetaurinesansmiseàmort UneloidugouvernementconservateurdeCastille-Léoninterditdésormaisdetuerlesanimauxenpublic,lorsdefêtespopulaires tordesillas (castille-léon) - envoyée spéciale Pelado a survécu au torneo («tournoi»). Mardi 13 sep- tembre, le taureau de 670kgadévalélesruesdelavieille ville de Tordesillas, en Espagne, a traversé le pont qui enjambe le Duero puis est entré dans les champs où, pendant près d’une heure, il a été poursuivi par des centainesdepersonnesmuniesde bâtonsetdepics,malgréunepluie torrentielle.Maisiln’apasétélaci- ble des coups de lances qui, d’ordi- naire, lui sont infligés par les cava- liersetlescoureurs.Etiln’apasété mis à mort par la foule, comme le veut une tradition qu’aurait ins- taurée,en1354,PierreIer deCastille, plus connu sous le sobriquet de «Pierre le Cruel». Les quelque 3000 participants au lâcher de taureau ont respecté, à contrecœur, la nouvelle loi du gouvernement conservateur de Castille-Léon, approuvée en juin, qui interdit de tuer les animaux en public lors de fêtes populaires (les corridas ne sont pas concer- nées). Ils ont toutefois insulté les dizaines de militants animalistes venus s’assurer du respect de la loi et protégés par un cordon de gardes civils afin d’éviter les inci- dents qui marquent chaque an- née les fêtes. Quelques alterca- tions mineures ont eu lieu. «C’est un jour de honte, affirme, au travers des haut-parleurs ins- tallés le long du parcours, un re- présentant de la plate-forme en défense du Toro de la Vega avant le coup d’envoi de la fête. On nous interdit de manière dictatoriale de célébrer une tradition millénaire.» La foule répond par des salves d’applaudissements. Dénonçant la «manipulation des médias», critiquant la «lâcheté des politi- ques»,l’hommeconclutqueladé- cisiondelarégion«ouvrelavoieà l’interdiction de toutes les fêtes taurines». C’estaussicequepense,derrière le cordon policier, Cristina Maria, 32ans. Militante animaliste, elle se félicite de ce «premier pas» et pense au prochain: «Les animaux ne doivent pas servir à nous diver- tir, nous ne voulons plus de ces fê- tes où l’on maltraite les bêtes.» La transformation du Toro de la Vega en torneo sans mise à mort – rebaptisé Toro de la Peña – pour- rait marquer un tournant en Es- pagne. Depuis l’interdiction des corridas en catalogne en 2010, les protestations organisées par des associations de défense des ani- maux ne cessent de croître dans les arènes, les fêtes populaires et dans les institutions. Ayant trouvé un soutien de poids dans lejeunepartidelagaucheradicale Podemos, celles-ci ont obtenu la fin des corridas dans plusieurs mairies, comme à La Corogne en 2015, et la suppression des sub- ventions municipales octroyées à l’école de tauromachie de Madrid. «Sauvages» Si une fête patronale sur cinq or- ganise encore des spectacles avec des animaux, comme l’a recensé le quotidien El País, les polémi- ques sont de plus en plus vives autour du toro embolado, lors de laquelle on incendie les cornes de l’animal, du capllaçat, où l’on traînel’animalparlescornesdans les rues de la ville, des becerradas, où les taurillons ont tout juste un an, ou encore des bous a la mar, qui consistent à faire tomber un taureau dans l’eau. Militant écologiste, le journa- liste et réalisateur Miguel Angel Rolland a sorti en juin un docu- mentaire percutant sur le sujet, Santa Fiesta. «Je me suis rendu compte que ces fêtes ne défendent aucunevaleur,maisdonnentcarte blanche aux gens pour se compor- ter comme des sauvages, affirme- t-il. Nous sommes à un tournant, avec de plus en plus de gens qui se positionnent contre.» Le Parti ani- maliste contre la maltraitance animale (Pacma) connaît en effet une croissance inédite en Espa- gne. Des 44000 voix obtenues lors des élections législatives de 2008,ilestpasséà102000en2011 et 286000 en 2016. Mais les traditions ont la peau dure. A Tordesillas, Laura, 20ans, étudiante en beaux-arts, ne déco- lère pas. «On nous traite de sauva- ges. Cette interdiction radicale n’est pas juste. Ceux qui n’aiment pas les toros n’ont qu’à rester chez eux.» Angel Abril, 68ans, marche dans l’enceinte, à bonne distance du taureau. «Je ne peux plus cou- rir, mais je viens quand même. J’avais 14ans la première fois que Les souris créées semblent en bonne santé, fertiles, et avec une espérance de vie normale j’ai participé à la fête. Aujourd’hui, avec l’interdiction de tuer le tau- reau, ce n’est pas pareil. L’émotion quel’onressenticiétaitindescripti- ble…» Laplupart des participants refu- sent de répondre aux journalis- tes, perçus comme responsables de leur mauvaise image. Le maire socialiste de la ville, José Antonio Gonzalez, est introuvable. Dans son introduction au programme desfêtes,ilafficheclairementune position contraire à celle de son parti: «L’interdiction d’affronter l’immémorial tournoi du Toro de la Vega nous a laissés orphelins de notre principal signe d’identité. Ils ont renversé notre colonne verté- brale,cellequisoutientnosfêtes,et ils ont réussi à nous extraire une part de notre idiosyncrasie.» La municipalité a déposé un re- cours contre le décret-loi de Cas- tille-et-Leon, dont la volonté affi- chée est simplement «d’adapter lafêteàl’éthique,lasensibilitéetla culture du XXIe siècle». p sandrine morel Unenouvelletechniquepourreproduirelevivant Uneéquipeanglo-allemandearéussiàobtenirdessouriceauxsansavoirrecoursàdesovocytes LEXIQUE HAPLOÏDE/DIPLOÏDE Une cellule est dite haploïde lorsque son noyau contient un seul exemplaire de chaque chromosome, et diploïde lorsqu’elle possède une paire de chaque. GAMÈTE Dans la reproduction sexuée, cellule reproductrice à maturité, capable de fusionner avec un autre gamète complémentaire (féminin/masculin) pour engen- drer un nouvel individu. Les cellules à l’origine des gamè- tes sont diploïdes mais les ga- mètes sont haploïdes. L’em- bryon aura donc un jeu de chromosome provenant de cha- cun des gamètes. PARTHÉNOGÉNÈSE Contrairement à la reproduction sexuée, la parthénogénèse consiste en la division d’une cellule mère en deux cellules filles identiques à elle. La cellule mère est un ovocyte non fécondé. Ce mode de reproduction existe chez les insectes, certains am- phibiens, reptiles ou poissons. La première naissance expéri- mentale par parthénogenèse a eu lieu en1939 chez une lapine. CLONAGE Technique aboutissant à un individu génétiquement identi- que à l’individu d’origine. Elle fait appel au transfert du noyau d’une cellule diploïde de l’indi- vidu à cloner dans un ovocyte non fécondé dont on a préala- blement retiré le noyau. Madrid Mer Méditerranée ALGÉRIEMAROC FRANCE ESPAGNE PORTUGAL 200 km Tordesillas CASTILLE-LÉON pour donner un individu, et qu’on peut donc y voir une sourceplusacceptabledecellules souches humaines qu’à partir des embryons, pourrait être re- mise en question. Cela suppose- rait que la technique qui a fonc- tionné chez la souris soit applica- ble à l’espèce humaine. Pour l’instant et au-delà des débats éthiques, rien ne permet de dire que cela serait le cas. p paul benkimoun
  • 8. 8| FRANCE JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016 0123 Juppé,«l’identitéheureuse»enbandoulière Lorsdesonpremiergrandmeeting,mardiàStrasbourg,lemairedeBordeauxaprislecontre-pieddeSarkozy L’histoired’uneformuledevenueunemarquedefabrique Adroite,ledébatsur«l’identitéheureuse»nedatepasd’aujourd’hui.IlopposedeuxconceptionsdelaplacedeladiversitéenFrance Printemps 2014. Alors que l’UMP panse encore les plaies de la guerre Copé- Fillon, Benoist Apparu écrit un li- vreoùdes ténors duparti – toutes chapelles confondues – exposent leurs positions sur une idée forte. L’objectif est de réaliser une dé- monstration d’unité, en mon- trant que l’opposition a des pro- positionsdefondetpeutincarner une alternance crédible. Au-delà des divergences. Intitulé Les 12 travaux de l’oppo- sition (Flammarion), cet ouvrage collectifsortle10septembre2014, après que le député juppéiste a réussi à convaincre onze respon- sables de son parti d’y participer. Réunir dans un même projet François Baroin, Xavier Bertrand, Jean-François Copé, François Fillon, Brice Hortefeux, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Mori- zet, Bruno Le Maire, Valérie Pé- cresse,Jean-PierreRaffarinetLau- rent Wauquiez constitue un petit exploit dans un parti miné par les divisions. Chacun expose sa contribution sur un thème précis: Xavier Ber- trand évoque «la sécurité inté- rieure», François Baroin la com- pétitivité de l’économie fran- çaise… Alain Juppé et Brice Horte- feux, eux, décident de produire un texte uniquement axé sur les questions d’immigration. Sans surprise, l’ex-ministre de l’inté- rieur de Nicolas Sarkozy campe sur une ligne ferme, en souli- gnant la nécessité de «maîtriser les flux migratoires». LemairedeBordeaux,lui,décide d’aborder le thème de l’intégra- tion, dans un chapitre intitulé «L’identitéheureuse»,enréponse aux thèses développées par Alain Finkielkraut dans L’Identité mal- heureuse, paru chez Stock en octo- bre2013.Danscetessai,lephiloso- phe attribue la crise d’identité que traverse la France à l’immigration en s’alarmant d’une double déca- dence: celle de la «grande décultu- ration» (par l’école) et celle du «grandremplacement»(par«l’im- migration de peuplement»). Face à cette vision d’une société française prétendument menacée par le multiculturalisme, M. Juppé oppose sa vision, laquelle se veut plus optimiste. Dans son chapitre de vingt pages, il tient un discours de tolérance et d’ouverture à l’égard des immigrés, appelant à l’établissement d’une société plus apaisée. «On peut construire une “identité heureuse”, motrice d’une nouvelle confiance française», écrit-il.Pouryparvenir,ildéfendle modèle de «l’intégration», qui «respectelesdifférences»,etrejette celui de «l’assimilation» – prôné alors par M. Finkielkraut et dé- fendu aujourd’hui par Nicolas Sarkozy – qui a le tort, selon lui, de «vouloir effacer les origines». «Méconnaissance» de l’islam A rebours des adeptes de la droite décomplexée, le maire de Bor- deaux appelle alors à «compren- dre et accepter» le lien des immi- grés à leur culture d’origine, «une source d’une diversité qui enrichit notrepatrimoine».Danscetteana- lyse, M. Juppé tient aussi un dis- cours d’apaisement à l’égard des musulmans vivant en France. «Notre méconnaissance collective delareligionmusulmaneengendre trop souvent la méfiance ou la peur», estime-t-il, en regrettant de ne pas avoir été invité à lire le Co- ran tout au long de son parcours scolaire et universitaire. Et de con- clure, confiant: «A voir comment les choses se passent souvent sur le terrain, j’ai bon espoir de voir s’épa- nouir un islam républicain.» Deux ans avant l’heure, un des débatsstructurantsdelaprimaire à droite pour 2017 était déjà sur la table. Car, à la lecture du chapitre de M. Juppé, le camp Sarkozy pense avoir trouvé un angle d’at- taque redoutable contre leur ri- val: affirmer qu’il pèche par naï- veté, voire par méconnaissance des difficultés de la société. Et peu importequelemairedeBordeaux présente «l’identité heureuse» comme un objectif à atteindre, le camp Sarkozy répète que c’est un constatpourluidresserunprocès en «angélisme». Lesoirdelasortiedulivre,undes fidèles de l’ex-chef de l’Etat en sali- vaitdéjà:«Onvapouvoirexpliquer que Juppé est déconnecté, maire d’une ville bobo qui ne connaît pas les problèmes des banlieues!» Depuis deux ans, les sarkozystes pilonnent leur rival sur ce thème. Très vite, M. Sarkozy s’en est saisi, assurant par exemple en novem- bre 2015 qu’«il n’y a pas d’identité française heureuse dans une so- ciété devenue multiculturelle». François Hollande également, pour mettre un coup de patte au favori de la primaire à droite, en notant, le 8 septembre, lors de son discours salle Wagram à Paris, que «l’identité française n’est ni heu- reuse ni malheureuse». «On ne pensait vraiment pas que ce serait le thème de la campagne», s’étonne un juppéiste. C’est pour- tant un fait: «l’identité heureuse» estdevenuelamarquedumairede Bordeaux. p al. le. Alain Juppé à Strasbourg, mardi 13 septembre. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/ FRENCH-POLITICS POUR «LE MONDE» «Aujourd’hui, contre tous les prophètes de malheur, je veux redonner aux Français une espérance » ALAIN JUPPÉ candidat à la primaire à droite pour la présidentielle strasbourg - envoyé spécial P as question de la mettre sous le tapis. Brocardé par Nicolas Sarkozy en candidat naïf et angé- liste, Alain Juppé a décidé d’assu- mer son «identité heureuse». Le favori de la primaire à droite pour la présidentielle a même décidé de faire de ce concept un des axes majeurs de sa campagne, avec l’éducation ou l’économie. Lechangement est notabledans la stratégie du maire (Les Républi- cains) de Bordeaux: depuis qu’il a employé cette expression dans un livre, en septembre 2014, il s’est retrouvé le plus souvent sur la défensive pour l’expliquer face aux attaques des sarkozystes. De- vait-il mettre de côté ce thème pournepasdonnerpriseaucamp concurrent? En cette rentrée, M. Juppé a fina- lement tranché. Il enfonce le clou, en portant fièrement ce sujet. Avec l’objectif de transformer ce point faible présumé en un atout. Puisque son principal rival veut faire de l’identité le thème central de la campagne de la primaire, autant marquer sa différence et assumer le fossé entre deux li- gnes opposées sur l’immigration et l’islam. «Non au déclinisme» C’est dans cette optique que l’ex- premier ministre a tenu son pre- mier grand meeting, mardi 13 septembre, à Strasbourg, sur «l’identité de la France». Manière de montrer qu’il ne craint pas la confrontation avec M. Sarkozy sur ce sujet sensible. Devant près de deux mille per- sonnes, réunies dans le palais des congrès de la ville, M. Juppé a de nouveau réaffirmé son objectif d’établir une «identité heureuse», qu’il conçoit comme «une ambi- tion collective» et non «un état de fait», comme le répètent les sarkozystes dans l’espoir de le faire passer pour un idéaliste, dé- connecté des problèmes du pays. «Je persiste et je signe: oui, l’iden- tité de la France, l’identité heu- reuse,c’estceversquoijeveuxcon- duire le pays», a-t-il lancé, en di- sant «non au pessimisme, au dé- clinisme ou au renoncement». Une manière de se démarquer des «déclinologues», qui glori- fient la France d’antan. «Il est tou- joursfaciledeseplaindredutemps présent, de dire “c’était mieux avant”», a-t-il ironisé, en dénon- çantle«fatalisme»existant«chez certaines élites politiques ou intel- lectuelles». «A les entendre, la France serait condamnée à la mé- diocrité, au déclin et à la peur», a- t-il regretté. Dans son viseur: les thèses dé- veloppées par le Front national (FN)etparlesplusdroitiersdeson parti – tel Nicolas Sarkozy – ainsi que par des personnalités, à l’ins- tar du philosophe Alain Finkielk- raut ou du journaliste Eric Zem- mour. Déterminé à se «battre contre la tentation du repli», M. Juppé entend tracer une pers- pective au pays: «Aujourd’hui, contre tous les prophètes de mal- heur, je veux redonner aux Fran- çais une espérance.» Pasquestiondemenerunecam- pagne anxiogène, comme le fait M. Sarkozy, en surfant sur les peurs des Français à l’égard de l’is- lam et du terrorisme. Lui veut re- créerde la confiance.«Lerôled’un responsablepolitiquen’estpasd’en rajouter sur le malheur des temps ou de noircir encore un peu plus la situation. C’est au contraire de montrer que la France a tous les atouts pour repartir de l’avant», a- t-ildéclaréàdesjournalistesavant le meeting. Avant d’insister: «Un vrai leader politique, il tire vers le haut, il ne tire pas vers le bas.» «Intégrer» plutôt qu’assimiler Dans son esprit, l’identité heu- reuse est avant tout une manière de se projeter vers l’avenir de ma- nière positive, sans tomber dans la sinistrose, avec l’ambition d’améliorerlacohésionsocialeen France. Un projet de société reposant sur une idée forte: la nécessité d’«intégrer» les immigrés, en res- pectant leur diversité et leurs ori- gines, à condition qu’ils s’inscri- vent dans «le partage d’un bien commun» que sont la langue, les valeurs de la République, la laï- cité… Unconcept qui trancheavec celui d’assimilation, cher à M. Sarkozy, qui consiste à fondre tous les nouveaux arrivants dans unmêmemoule.Unmodèlequia letort,selonM.Juppé,de«vouloir effacer les origines». «L’identité française est le fruit d’un dialogue entre la diversité de nos racines et l’unité de notre nation», a-t-il in- sisté. Le maire de Bordeaux a toute- fois pris bien soin de souligner qu’iln’ignorepaslesdifficultésdu pays, afin de ne pas apporter de l’eau au moulin de ses détrac- teurs. «J’ai une vision claire de la Franceetdecequeviventetressen- tent les Français», a-t-il assuré, en citant «l’aggravation du chô- mage», «la montée de l’insécu- rité» ou «l’affaiblissement de l’école républicaine». Prudent, il a ajouté à son dis- cours de tolérance sur l’immigra- tion une partie consacrée à l’auto- ritéetàlafermeté.Pourlui,lesim- migrés ont «le devoir» de «mon- trerunevolontévéritableetsincère de s’intégrer à la communauté na- tionale». Un processus qui ne peut se réaliser qu’à «trois condi- tions»: la maîtrise des flux migra- toires,lerefusdestentationscom- munautaristes et, enfin, «la vo- lontédepartageretdetransmettre un bien commun, sans lequel il n’y a pas de nation». Quant à l’islam, M. Juppé juge que la religion musulmane «doit trouver les moyens de s’accorder avec la République». S’il arrive à l’Elysée, il promet notamment de proposer un accord aux représen- tants du culte musulman, afin d’aboutir à l’adoption d’une charte de la laïcité. Reste à savoir si ce discours d’«espérance» trouvera l’écho es- péré par Alain Juppé auprès des électeurs de la primaire. Pour l’instant, même si l’écart se res- serre avec M. Sarkozy, il reste en tête dans les sondages de premier tour et gagnant dans ceux de se- cond tour. L’ex-premier ministre fait le pari que son discours opti- miste paiera: «Tous ensemble, nous allons conduire une campa- gne joyeuse et porter une espé- rance! Car je ne connais pas de campagne victorieuse dans la tris- tesse ou la morosité.» p alexandre lemarié