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Contribuables, Professionnels du chiffre et
contrôleurs : je t’aime, moi non plus ?
THIERRY LITANNIE
Avocat, spécialiste en droit fiscal
Administrateur de l’O.E.C.C.B.B.
Roland ROSOUX
Secrétaire général et directeur scientifique de l’O.E.C.C.B.B.
1
20.02.2020
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE – Délais et pouvoirs d’investigation : articles
315 à 338 CIR92
+ INTÉRÊT DU DROIT INTERNATIONAL – INTÉRÊT DES
DROITS DE L’HOMME
1.1. Introduction
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
1.3. Pouvoirs d’investigation
Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92
Demande de renseignements
et le droit de se taire : 316 CIR92
Accès aux locaux
et droit à la vie privée : 319 CIR92
Obligation des tiers
et secret bancaire 322 à 326 CIR92
1.1. Introduction
Intérêt des DH en droit fiscal belge : la hiérarchie des normes
Devoir de collaboration et pouvoirs d’investigation
Etendue et limites générales aux pouvoirs d’investigation
Constitution
Lois
Arrêtés royaux
Circulaires administratives
Principes
de bonne administration (majoritairement)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.1. Introduction – Intérêt du droit international – Droits de l’Homme
Hiérarchie des normes nationales
Const.
Lois
Arrêtés royaux
Circulaires administratives
Principes
de bonne administration (majoritairement)
Droit
international :
CEDH, Charte
européenne des droits
fondamentaux, principes
généraux du droit international,…
Primauté du droit international
CEDH jouit de :
- La primauté sur le droit
interne
- L’applicabilité directe.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.1. Introduction – Intérêt du droit international – Droits de l’Homme
1.1. Introduction
 Système d’imposition basé sur la collaboration du contribuable
 Notamment : déclaration fiscale annuelle obligatoire (305 CIR92)
 « Sanctions » en cas de défaut de collaboration :
 amendes administrives et/ou pénales (444, 445, 449-459 CIR92) ;
 possibilité de taxation d’office (351 CIR92) ;
 ingérence plus importante de l’administration.
 Les pouvoirs d’investigation permettent de pallier les défauts de
collaboration éventuels => Pour établir l’impôt « l’administration peut avoir
recours à tous les moyens de preuve admis par le droit commun » (340 CIR92)
 Terreau fertile aux tensions entre l’intérêt général (la juste perception de l’impôt en
vue d’assurer le bon fonctionnement de l’Etat) et les droits individuels (les droits
fondamentaux tels que le droit à la propriété, à la vie privée ou encore à un procès
équitable)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
 Etendue – Généralités
 Communication (et rétention) des livres et documents « nécessaires à la
détermination du montant de ses revenus imposables » (315 à 315ter CIR92)
même relatifs à la vie privée (Cass., 4 janvier 2007) ;
 Demande de renseignements au contribuable « aux fins de vérifier sa
situation fiscale » (316 CIR92) ;
 Accès (« visite ») aux locaux « où des activités sont effectuées ou sont
présumées être effectuées » pour « constater la nature et l’importance »
de l’ activité du contribuable (319 CIR92) ;
 Demande de renseignements aux tiers, aux banques, aux autorités
étrangères et l’audition de témoins (322, 323, 338 et 325 CIR92).
 Pouvoirs très étendus… mais pas illimités
1.1. Introduction
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
 Limites générales, notamment :
 Principe de légalité (compétence liée, pouvoir à utiliser conformément au but
que le législateur lui a fixé mais existence des principes de non-cloisonnement
entre administrations et d’affectation universelle de l’information fiscale) ;
Article 16, Constitution :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité
publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant
une juste et préalable indemnité »
Article 170, § 1er Constitution :
« Aucun impôt au profit de l'état ne peut être établi que par une loi »
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.1. Introduction
 Limites générales, notamment :
 Principe de légalité ;
 Principes généraux de bonne administration (sécurité juridique et
confiance légitime, impartialité, droits de la défense, fair-play, transparence,
prudence, etc.) ;
 Délais d’investigation, d’établissement et de recouvrement de l’impôt,
formalisme procédural.
 Limites spécifiques à chaque pouvoir d’investigation :
 Exemple : Accès aux locaux habités uniquement entre 5h et 21h et
moyennant l’autorisation préalable du juge de police.
 Equilibre entre l’intérêt général et les droits des contribuables
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.1. Introduction
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
Délais sans « préavis »
Délais avec « préavis »
Autres délais
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
 L’article 333 CIR92 fixe les délais d’investigation par renvoi aux délais d’imposition
de l’artilce 354 CIR92 => MAIS délais d’investigation ≠ délais d’imposition
 Point de départ des délais : 1er janvier de l’année qui désigne l’exercice
d’imposition
=> ex. IPP et ISOC si clôture des comptes au 31.12
Période imposable = n revenus de l’année 2019 ou bilan au 31.12.2019
Exercice d’imposition = n + 1 exercice d’imposition 2020
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
 Délais sans « préavis » : période imposable en cours + 3 ans
=> Délais d’investigation pour les revenus 2019 ou bilan au 31.12.2019
Point de départ : 1er janvier 2020
Échéance (théorique) : 31 décembre 2022
 En cas de clôture des comptes autrement que par année civile : prolongation du délai
de 3 ans d’une période égale à celle qui sépare le 1er janvier de l’exercice
d’imposition et la date de clôture des comptes
 Délais d’investigation si clôture au 30.06.2019 (rev. 01.07.2018 au 30.06.2019)
Point de départ : 1er janvier 2019 (E.I. = année clôture des comptes)
Échéance (théorique) : 31 décembre 2021 + prolongation=>30 juin 2022
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
 Nouveau délai sans « préavis » : 7 ans
En juillet 2017, l’article 333, al. 3 a été complété comme suit :
« Lorsque les investigations sont réalisées à la demande d'un état avec lequel la Belgique a conclu
une convention préventive de la double imposition, ou avec lequel la Belgique a conclu un accord en
vue de l'échange de renseignements en matière fiscale ou qui, avec la Belgique, est partie à un autre
instrument juridique bilatéral ou multilatéral, pourvu que cette convention, cet accord ou cet
instrument juridique permette l'échange d'informations entre les Etats contractants en matière
fiscale, le délai d'investigation est, sans notification préalable et uniquement dans le but de
répondre à la demande précitée, prolongé du délai supplémentaire de quatre ans ».
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
 Délai avec « préavis » : 7 ans (4 ans supplémentaires au délai de 3 ans)
Présence d’indices de fraude (qui se rapportent à la période contrôlée)
 Condition prescrite à peine de nullité : le fisc doit avoir « notifié préalablement au
contribuable, par écrit et de manière précise, les indices de fraude fiscale qui existent, en
ce qui le concerne, pour la période considérée » (333, al. 3 CIR92)
 Même lorsque les indices proviennent d’une administration fiscale étrangère (C.
const., 16 mai 2013, n° 66/2013)
 « Nouveau » : Même en cas d’investigations auprès d’un tiers !
Selon le fisc (Com. Ir. n°333/2) et une jurisprudence ancienne controversée de la Cour de
cassation (Cass., 14 octobre 1999, Pas., 1999, I, n° 532, p. 1316, F.J.F., 1999, n° 99/279, p. 740,
T.F.R., 2000, p. 182 et Cass., 18 novembre 2010, R.G. n° F.10.0001.F), « la notification préalable
vise uniquement les investigations effectuées à l’égard du contribuable lui-même » et
non celles menées auprès de tiers (même si elles concernent un contribuable
déterminé).
Revirement annoncé dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 12 février 2016
(F.14.0216.F), confirmé plus clairement dans son arrêt du 20 mai 2016 et admis par
l’administration (Circ. 2017/C/34 du 8 juin 2017).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
 Nouveau délai avec « préavis » : 10 ans (7 ans supplémentaires au délai de 3 ans ; Loi du
11 février 2019, M.B., 22 mars 2019)
Conditions :
 Faire usage d’une construction juridique située dans un paradis fiscal (un « Etat sur la
liste des Etats à fiscalité inexistante ou peu élevée visée à l’article 307, §1er/2 , aliéna 3 »),
 Sauf…. dans la majorité des cas ! C’est-à-dire « à l’exception des Etats avec lesquels
a été conclue une Convention préventive de la double imposition et à condition que
cette Convention ou un Traité assure l’échange des informations qui sont nécessaires
afin d’exécuter les dispositions des lois nationales des Etats contractants »
 Faire usage de cette construction juridique dans la but de « dissimuler l’origine ou
l’existence du patrimoine »
 A peine de nullité, avoir « notifié préalablement au contribuable, par écrit et de manière
précise, les indices de fraude fiscale qui existent, en ce qui le concerne, pour la période
considérée » (333, al. 3 CIR92)
Ce nouveau délai d’investigation est également un nouveau délai d’imposition
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
 Autres délais ?
 Possibilité d’investigation en cas de réclamation du contribuable, max. 6 mois
(354, al 4 CIR92)
 Investigations et imposition encore possibles durant 24 mois en cas de
renseignements obtenus de l’étranger (àpd du moment où ces renseignements
arrivent à la connaissance du fisc belge) art. 333/2 CIR 92; EV 14.07.2016
 Investigations encore possibles, en matière de précompte mobilier, durant 12
mois en cas d’infraction constatée dans les 5 ans de celle-ci (àpd du constat de
l’infraction) art. 333/3 CIR92, EV 29.12.2017
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
1.3. Pouvoirs d’investigation
Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92
Demande de renseignements
et droit de se taire : 316 CIR92
Accès aux locaux
et droit à la vie privée : 319 CIR92
Obligation des tiers 322 à 326 CIR92
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
 315 CIR92 : obligation de « communiquer, sans déplacement, en vue de leur
vérification, tous les livres et documents nécessaires à la détermination du montant
de ses revenus imposables »
 L’administration ne peut exiger mais le contribuable peut accepter de lui apporter ses
documents (cf. ci-après 316 CIR92).
 Quels documents ? Tous ceux « nécessaires » à l’établissement de l’impôt :
 Tous les livres et documents dont l’usage est obligatoire ;
 Tous les documents comptables ;
 Tout document de nature à permettre la juste détermination des revenus
imposables (même relatifs à la vie privée; Cass., 4 janvier 2007) :
Exemples : tickets de caisse (Z), état récapitulatif, extraits bancaires, correspondance
commerciale, bons de commande, bons de livraison, feuilles de route du personnel, fiches de
paie, agenda, les emails (suivant jurisprudence) , etc.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 315 CIR92 : obligation de « communiquer, sans déplacement, en vue de leur
vérification, tous les livres et documents nécessaires à la détermination du montant
de ses revenus imposables »
Remarques :
 Comprend les livres et documents relatifs aux comptes détenus à l’étranger ;
 Obligation de conserver les documents au moins 7ans : « jusqu’à l’expiration de la
septième année ou du septième exercice comptable qui suit la période imposable » (315, al.
3 CIR92) => !!! Obligation + longue en cas de pertes reportées, 7 ans après la dernière annuité
d’amortissement d’un bien d’investissement, 15 ans pour les biens d’investissement susceptibles de
révision TVA durant 15 ans ;
 Sanctions de la non communication : sanctions générales + possibilité de taxation d’office
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 315bis CIR92 : Lorsque le contribuable tient sa comptabilité via « un système
informatisé ou […] tout autre appareil éléctronique » :
 Al. 1er : « obligation, lorsqu'elle en est requise par l'administration, de communiquer,
sans déplacement, les dossiers d'analyse, de programmation et d'exploitation du
système utilisé, ainsi que les supports d'information et toutes les données qu'ils
contiennent »
 But : se faire une idée de la conception du système, du nombre, de la nature et
du contenu des fichiers et programmes, de la périodicité de traitement,…
+ examiner la crédibilité du standard informatique utilisé
 Al. 2 : « Les données enregistrées sur des supports informatiques doivent être
communiquées sous une forme lisible et intelligible. »
 Al. 4 : délai de conservation de la doc. « relative aux analyses, à la programmation et
à l'exploitation de systèmes informatisés ou de tout autre appareil électronique,
expire à la fin de la septième année ou du septième exercice comptable qui suit la
période imposable pendant laquelle le système décrit dans cette documentation a
été utilisé »
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 315bis CIR92 : Lorsque le contribuable tient sa comptabilité via « un système
informatisé ou […] tout autre appareil éléctronique » :
 Al. 3 : obligation de toute personne, « lorsqu’elle en est requise par
l’administration […] d’effectuer sur son matériel, en présence des agents de
l’administration, des copies, dans la forme que les agents souhaitent, de tout ou
partie des données précitées, ainsi que les traitements informatiques jugés
nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables […] ».
 Al. 5 : « Les obligations du présent article sont également d’application lorsque
les données requises par l’administration sont situées digitalement en Belgique
ou à l’étranger »(ajout L.-p., 1er juillet 2016).
 But : éviter les contestations lorsque les données sont logées sur un serveur
situé à l’étranger (Cloud).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 Durant de nombreuses années, importantes controverses quant à la possibilité,
pour l’administration, d’emporter les livres et documents.
 La jurisprudence majoritaire acceptait qu’ils soient emportés avec l’accord du
contribuable
 Intervention du législateur avec l’adoption de l’article 315ter CIR92.
 315ter CIR92 : Depuis le 10 janvier 2014, l’administration (comme en TVA) « a le droit
de retenir les livres et documents, qui doivent être communiqués conformément à
l’article 315, chaque fois qu’[elle estime] que ces livres et documents sont
nécessaires pour déterminer le montant des revenus imposables du contribuables
ou des tiers.
Ce droit ne s’étend pas aux livres qui ne sont pas clôturés.
La rétention visée à l’alinéa 1er fait l’objet d’un procès-verbal de rétention qui fait foi
jusqu’à preuve du contraire. Une copie de ce procès-verbal est délivrée à la personne
visée à l’alinéa 1er dans les cinq jours ouvrables qui suivent celui de la rétention. »
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 315ter CIR92 : Droit de rétention des livres et documents
 Circulaire AGFisc n° 26/2014 du 27 juin 2014 :
 La rétention ne doit pas devenir automatique et doit être appliquée avec
précaution
 Le principe reste la communication sans déplacement des livres et
documents qui peuvent être examinés chez le contribuable
 Le PV de rétention doit contenir l’inventaire précis des documents emportés
+ être daté + indiquer les motifs de la rétention + reprendre l’ID et la
signature de l’agent compétent qui a dressé le PV
 Dans l’attente de ce PV (5 jours ouvrables), le contribuable peut demander
un accusé de réception mentionnant sommairement les documents
emportés
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 Différence entre livres et documents « papiers » et « informatisés » ?
 Droit d’emporter les livres et documents papiers non clôturés vs. droit de prendre
copie des livres et documents informatisés (et non d’emporter les ordinateurs eux-
mêmes) ;
 En cas de copie de données informatisées, pas d’obligation pour l’administration
d’établir un inventaire des données copiées emportées => la circulaire AGFisc n°
26/2014 du 27 juin 2014 le recommande toutefois.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 Avant l’adoption du droit de rétention :
 Mons, 10 mai 2012 (RG 2006/RG/259) :
- Contrôle IPP durant lequel le fisc emporte des documents sans en réaliser l’inventaire.
- Pour la Cour, « l'absence d'inventaire, même si celui-ci n'était pas obligatoire, met tant
le contribuable que la Cour dans l'impossibilité de connaître son contenu exact et de
constater que toutes les pièces emportées furent intégralement restituées. Pour la
Cour, il n'est pas nécessaire d'envisager que des pièces aient été subtilisées mais
simplement qu'elles aient pu être égarées. »
- « Cette absence d'inventaire implique d'autant plus une méconnaissance des droits de
la défense [pièces en faveur du contribuable peut-être pas restituées] que les
rectifications opérées par l'administration résultent d'un défaut de pièces probantes. »
 Annulation de la cotisation
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 Avant l’adoption du droit de rétention :
 Bruxelles, 26 mai 2010 (RG 2008/AR/2099) :
- Un contribuable remet des pièces justificatives des ses frais professionnels (49 CIR92) à
l’administration dans le cadre de l’instruction de sa réclamation.
- Il affirme que celles-ci ne lui ont pas été restituées en intégralité et, partant, qu’il ne
peut se défendre.
- Pour la Cour, « en l’absence d’inventaire, contresigné par les deux parties, des pièces
remises par M. B à l’administration, il est impossible de déterminer si l’administration a
effectivement perdu certaines de ces pièces, puisqu’il n’est pas contesté par M. B qu’à
tout le moins une partie des pièces lui a été restituée dans la suite de la procédure.
Quand bien même l’administration aurait égaré certaines des pièces qui lui avaient été
confiées par M. B, cette circonstance ne permet pas d’entraîner la nullité ou le
dégrèvement de tout ou partie des cotisations contestées, étant donné que la loi fiscale
est une matière d’ordre public, que l’article 49 CIR 1992, en cause en l’espèce, impose
au contribuable la charge de la preuve […]»
 Maintien de la cotisation
 Toujours garder copie des pièces communiquées au fisc et/ou en dresser l’inventaire
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
 Quid si l’administration demande l’envoi de livres et document dont la
communication est en principe requise « sans déplacement » ?
 Cass. 21 novembre 2014 (R.G. F.13.0159.N) : L’administration « est libre de demander
au contribuable de [lui fournir avec déplacement des documents] sur une base
volontaire. [Ce qui] suppose en fait que cela ne se passe pas sous la menace de
sanctions ».
A défaut, la Cour précise que « les pièces envoyées sous la menace d'amendes
administratives ou de sanctions pénales ne sont pas reçues légalement par
l'administration ».
=> problématique des demandes de renseignements (cf. infra; 316 CIR92) et des preuves
recueillies de manière illégale (cf. infra; Antigone)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
1.3. Pouvoirs d’investigation
Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92
Demande de renseignements
et le droit de se taire : 316 CIR92
Accès aux locaux
et droit à la vie privée : 319 CIR92
Obligation des tiers 322 à 326 CIR92
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
 Il découle du droit à un procès équitable (6 CEDH), le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination.
« Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les
autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments
de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de
″l’accusé″ » (Cour eur. D.H., Chambaz c. Suisse, arrêt du 5 avril 2012, n° 116663/04).
 Le droit de se taire est un principe général de droit (Cass., 11 mars 1992, Pas., 1992,
I, p. 618; C. Const., 25 janvier 2001, n° 4/2001, M.B., 10 février 2001, p. 3721).
 L’article 316 CIR92 oblige néanmoins le contribuable à répondre aux
demandes de renseignements de l’administration (sous peine de taxation d’office,
d’amendes administratives ou pénales).
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
 Ratio legis : le terme « renseignements » visait des informations non complexes,
des indications, de simples éclaircissements…
 Le texte de loi permet toutefois à l’administration de demander tous les
renseignements nécessaires/utiles (?) « aux fins de vérifier [la] situation fiscale »
du contribuable (316 CIR92).
 La demande peut porter sur :
- « toutes les opérations auxquelles le contribuable a été partie » (317 CIR92) ;
- Toutes les catégories de revenus ;
- Tous les faits qui affectent positivement ou négativement la base imposable
(nombre de personnes à charge, ampleur d’un handicap, état civil, etc.).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 L’administration ne peut procéder à une fishing expedition (Anvers, 20 mai 2008)
 Elle est (en interne) invitée à opérer de manière proportionnée eu égard à l’objectif
poursuivi, à agir avec objectivité et modération (Ci.RH.81/548.628 (AFER21/2002) du 29
juillet 2002), proscrire les demandes en série trop générales (Com. IR., n° 316/2), etc.
 Le contribuable doit répondre dans le mois (à compter du 3e jour ouvrable qui suit
l’envoi de la demande)
 Pour éviter la taxation d’office, les sanctions administratives et/ou pénales,
le contribuable doit répondre avec :
 précision : proscrire tout laconisme excessif qui pourrait être assimilé à une
absence de réponse ;
 adéquation : contester ou demander un délai supplémentairen’est pas répondre;
 complétude : négliger une seule des questions vaut absence de réponse ;
 cohérence : se contredire lors de demandes successives peut révéler un refus.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Le contribuable peut-il invoquer le droit de se taire ?
 Le droit de se taire n’existe que face à une « accusation en matière pénale » au
sens de l’article 6 CEDH.
Les critères (historiques) de détermination du caractère pénal d’une accusation
s’apprécient en fonction du caractère pénal (ou non) de la sanction potentiellement
applicable.
Une sanction revêt un caractère pénal dès lors qu’elle :
- « [1.] concerne sans distinction tous les contribuables et non uniquement un groupe
déterminé doté d’un statut particulier ;
- [2.] prescrit un comportement déterminé et prévoit une sanction en vue de son respect ;
- [3.] ne concerne pas seulement une réparation pécuniaire d’un préjudice mais tend
essentiellement à sanctionner afin d’éviter la réitération d’agissements similaires ;
- [4.] se fonde sur une norme à caractère général dont le but est à la fois préventif et
répressif ;
- [5.] est très sévère eu égard à son montant ». (Cass., 25 mai 1999, Pas., 1999, p.739 compilant
les critères Engel et Bendenoun, Cour. Eur. D.H., Engel et autres c. Pays-Bas, arrêt du 8 juin 1976,
série A, n° 22 et Bendenoun c. France, arrêt du 24 février 1994, série A, n° 28).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Aujourd’hui, une sanction sera généralement considérée comme pénale dès
qu’elle est dissuasive et/ou punitive (Cour eur. D.H., Chambaz c. Suisse, arrêt du 5 avril
2012, n° 116663/04, ; C. const., 3 avril 2014, n° 61/2014, R.G. 5626 ; C. const., 27 mars 2014, n°
55/2014, R.G. 5807 ; Cass., 10 septembre 2010, F.09.0121.N).
Son importance effective (sévérité) n’apparait plus être un critère prépondérant.
 Nature des sanctions en cas de défaut de collaboration ?
 Amende administrative et pénale => caractère pénal
 Accroissement d’impôts => caractère pénal
(cela ne fait plus aucun doute, et ce, même pour l’accroissement
de 10 % contrairement à ce qu’affirme le Ministre des Finances
dans son plan d’action pour lutter contre la fraude fiscale du 3
décembre 2015 : voy. Cass., 13 novembre 2015, RG
no F.14.0119.F; C. Const., 3 avril 2014, n° 61/2014, R.G. 5626
en matière d’I.R. et, en matière de TVA, C. Const., 6 novembre
2008, n° 157/2008, R.G., 4467 et 21 février 2013, n° 13/2013,
R.G. n° 5321).
 Taxation d’office ? => sanction dans la perception du
contribuable mais il ne s’agit que d’un mode
spécial d’imposition
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Pour pouvoir invoquer le droit de se taire, encore faut-il être en présence d’une
« accusation » en matière pénale (au sens de l’article 6 CEDH).
 Evolution du concept d’accusation :
De la nécessité d’une « notification officielle »
=> À la simple « connaissance par le contribuable du fait que son comportement est
de nature infractionnelle c’est-à-dire qu’il est de nature à engendrer une sanction
de la part des autorités » ?
De l’impossibilité d’invoquer le droit de se taire lors de la phase d’établissement de l’impôt
=> Faculté d’invoquer le droit de se taire à tout moment puisque le droit fiscal belge
est toujours – au moins potentiellement – empreint d’un caractère pénal ?
 Entre ne jamais devoir collaborer et toujours devoir collaborer, le droit de se
taire semble devoir s’apprécier au cas par cas à la lumière du principe de
proportionnalité (en tenant compte notamment des garantie procédurales effectives offertes
au contribuable).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Lecontribuablesemble toujours fondé à exercer son droit au silence lorsque:
 l’administration exerce ses pouvoirs d’investigation dans le délai extraordinaire
d’investigation (sept ans), puisque l’usage de celui-ci nécessite l’envoi par
l’administration des indices de fraude qui justifient son emploi (art. 333, al. 3 CIR92) ;
 l’administration envisage d’interroger une banque, puisqu’elle doit, au
préalable, informer le contribuable de ou de(s) indice(s) de fraude qui justifie(nt)
cette interrogation (322 et 333/1 CIR92) ;
 le contribuable fait, parallèlement à l’enquête fiscale, l’objet d’une procédure
pénale qui, elle, lui permet assurément d’invoquer le droit de se taire ;
 le contribuable reçoit une demande de renseignements de laquelle il ressort
clairement que l’administration cherche à collecter tous les éléments nécessaires
pour établir une infraction au CIR 92.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Effectivité réelle ou virtuelle du droit de se taire :
- vu la possibilité de taxation d’office en cas de silence ; et
- vu que seule la sanction (càd en principe à l’exclusion de l’imposition elle-même), peut être
affectée par la violation du droit au silence ?
 Pour les juridictions liégeoises (uniquement à notre connaissance hormis un arrêt de la Cour
d’appel d’Anvers du 4 décembre 2014), l’exercice du droit au silence ne peut être « pénalisé
d’une quelconque manière, et notamment [pas] par le recours à la taxation d’office »
(Liège, 31 mars 2010, J.D.F, 2010, n° 9/2010, p. 313, Fiscologue, 2010, n°1205, p. 1, Cour. fisc., 2010/467, R.G.
2008/RG/1012. Dans un sens comparable, voy. Liège, 3 décembre 2008, R.G.C.F., 2009, n°2009/3, p. 250 et Trib. Liège,
23 mars 2006, R.G. n°03/3968/A).
 La jurisprudence européenne évolue. Ainsi, si la Cour eur. D.H. refusait
d’appliquer l’article 6.1. CEDH à la procédure d’établissement de l’impôt, dans
son arrêt Chambaz de 2012 la Cour a étendu la protection de l’article 6.1.
CEDH à l’ensemble de la procédure fiscale dès lors qu’elle revêt, même
partiellement ou juste potentiellement, un caractère pénal.
Les conséquences de la violation du droit de se taire semblent désormais
pouvoir s’étendre à l’impôt lui-même. (Cour. eur. D.H., Chambaz c. Suisse, arrêt du 5 avril 2012).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Commission Panama Papers : volonté de réduire les possibilités pour le
contribuable de se taire
A suivre…
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 6
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Rappel : Quid si l’administration demande, dans le cadre d’une demande de
renseignements (316 CIR92), l’envoi de livres et document dont la communication
est en principe requise « sans déplacement » (315 CIR92) ?
 Cass. 21 novembre 2014 (R.G. F.13.0159.N) : L’administration « est libre de demander
au contribuable de [lui fournir avec déplacement des documents] sur une base
volontaire. [Ce qui] suppose en fait que cela ne se passe pas sous la menace de
sanctions ».
A défaut, la Cour précise que « les pièces envoyées sous la menace d'amendes
administratives ou de sanctions pénales ne sont pas reçues légalement par
l'administration ».
=> problématique des preuves recueillies de manière illégale (cf. infra; Antigone)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 Depuis l’arrêt du 21 novembre 2014 de la Cour de cassation précité,
l’administration a adapté son formulaire de demande de renseignements
(formulaire 322) en précisant notamment ce qui suit :
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
 La vérification des documents à communiquer (315 à 315ter CIR92) et
demandes de renseignements (316 CIR92) « peuvent porter sur toutes les
opérations auxquelles le contribuable a été partie et les renseignements
ainsi recueillis peuvent également être invoqués en vue de l’imposition
de tiers » (317 CIR92)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Com. doc. + Dde de renseignements
1.3. Pouvoirs d’investigation
Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92
Demande de renseignements
et le droit de se taire : 316 CIR92
Accès aux locaux
et droit à la vie privée : 319 CIR92
Obligation des tiers 322 à 326 CIR92
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
 L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre le
droit au respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile.
 Les articles 15 et 22 de la Constitution consacrent également l’inviolabilité
du domicile et le droit à la vie privée.
 L’article 319 CIR92 permet néanmoins à l’administration de visiter :
 Les locaux professionnels habituels du contribuable à toutes les heures
où une activité s’y exerce (al. 1er) ;
 Les « autres locaux » où une activité est exercée ou est présumée
s’exercer (al. 2), et ce, à toute heure ;
 Les locaux habités, ou mixtes, sur autorisation du juge de police et
uniquement entre 5h et 21h (al. 2, in fine).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Accord du contribuable
 Les contribuables «sont tenus d’accorder aux agents de l’administration […] le
libre accès […] aux locaux professionnels » (319, al. 1er, CIR92).
 « Les agents de l’administration […] peuvent réclamer le libre accès à tous les
autres locaux […] où des activités sont effectuées ou sont présumées être
effectuées » (319, al. 2 CIR92).
 Il faut l’accord du contribuable. Le droit de visite n’est pas (encore?) un droit de
perquisition.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Accord du contribuable qualifié
 Seuls les contribuables (PP ou PM) sont tenus d’accorder l’accès à leurs locaux. En
principe, l’administration ne peut requérir l’accord d’un employé, ouvrier, préposé,
conjoint, membre de la famille (sauf si cette personne a expressément le pouvoir de
représenter le contribuable concerné par la visite).
Anvers, 31 mars 2009 (RG n° 2007/AR/3412) :
« il est certain que seul le contribuable ou son mandataire est obligé de collaborer à un
contrôle sur place des livres et documents au sens des articles 315, 315bis et 319 CIR92
[…]. A moins qu’ils n’aient été mandatés par le contribuable en vue de le représenter à
l’égard de l’administration fiscale, celle-ci ne peut s’adresser à des employés,
préposés, conjoints ou membres de la famille du contribuable » (traduction libre)
 Revirement de jurisprudence ?
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Accord du contribuable qualifié => Revirement de jurisprudence ?
Bruxelles, 16 novembre 2016 (RG n° 2012/AR/899 ; arrêt rendu en matière de TVA et
concernant la communication des livres et documents. Toutefois, Gand a rendu un arrêt
similaire en matière d’impôt sur les revenus le 25 juin 2013 concernant le droit de visite)
Contexte :
- visite inopinée d’une société réalisée par l’ISI ;
- une employée a laissé les agents de l’ISI entrer et leur a également remis une
copie de certaines données informatiques(dont des données concernant/appartenant, selon
l’assujetti, à des tiers ainsi que des données privées) ;
- Le gérant, seul compétent (en principe) pour accorder l’accès au locaux et
permettre une copie des données informatiques, est absent et injoignable. Il joue
au golf et, comme à l’habitude dans ce cas, son GSM est éteint.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Accord du contribuable qualifié => Revirement de jurisprudence ?
Bruxelles, 16 novembre 2016 (RG n° 2012/AR/899)
Pour la Cour :
- le contrôle « ne doit pas être interrompu ou suspendu jusqu'à ce que les
personnes physiques qui sont compétentes d'après l'assujetti pour assister aux
opérations de contrôle, puissent être atteintes et viennent sur place » (trad. libre) ;
- l’employée n’a jamais refusé de collaborer, elle n’a pas indiqué ne pas être
mandatée ni même que son règlement de travail lui interdirait cette
collaboration.
 Les agents de l’ISI pouvaient raisonnablement croire que l’employée était
compétente pour communiquer copie des données demandées.
Suivant cette jurisprudence
 l’assujetti aurait ainsi l’obligation d’organiser sa collaboration avec
l’administration de manière efficace et proactive.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
2.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Accord du contribuable qualifié => Revirement de jurisprudence ?
Bruxelles, 16 novembre 2016 précité (rendu en matière de TVA) a été confirmé par l’arrêt
du 25 janvier 2019 de la Cour de cassation :
Pour la Cour de cassation :
« la production des livres, factures et autres documents peut être faite
valablement par l’organe de la personne morale compétent à cet effet ou par
celui à qui la personne morale a donné mandat à cet effet ou de qui les agents
pouvaient raisonnablement supposer qu’il était compétent à cet effet »
(F.17.0039.N., somm.)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Commission
L’agent taxateur doit être « muni d’une commission [aanstellingsbewijs] et [être]
chargé d’effectuer un contrôle ou une enquête ».
Doit-il présenter sa commission d’initiative et/ou pouvoir prouver qu’il était en sa
possession lors du contrôle ?
L’accord formel du contribuable suffit-il à la régularité de la visite ?
Oui, selon la Cour de cassation, pour autant que cet accord ressorte
indiscutablement du dossier administratif (Cass., 17 février 2005 et Cass. 18 septembre 2008).
En toute hypothèse, l’agent doit se ménager la preuve qu’il a exercé son pouvoir
d’investigation conformément à la loi (preuve d’avoir été en possession de sa commission
lors le visite ou d’avoir reçu l’accord formel du contribuable).
=> En ce sens : Mons, 9 septembre 2015, RG 2012/RG/1098 (jurisprudence à ce jour isolée)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités
Ratio legis : la visite de locaux professionnels habités ne dev(r)ait s’exercer que de manière
exceptionnelle. Elle dev(r)ait être réservée aux cas de suspicion, sérieusement motivés, de
« travail au noir » (Ch. 1980-1981, doc. 716, n°1 cité par le Com. IR., n° 319/11).
Le texte de loi ne se limite néanmoins pas à ces cas exceptionnels.
« L’intervention préalable d’un magistrat indépendant et impartial constitue une garantie
importante contre les risques d’abus ou d’arbitraire. Le juge de police dispose en la matière d’un
large pouvoir d’appréciation afin de déterminer si les circonstances qui lui sont soumises justifient
une atteinte au principe constitutionnel de l’inviolabilité du domicile. L’autorisation qu’il délivre est
spécifique. Elle concerne une enquête précise, vise une habitation déterminée et ne vaut que pour
les personnes au nom desquelles l’autorisation est accordée. ». (C. Const., 27 janvier 2012, n°
10/2011, considérant B.6.2. en matière de droit de douanes et d’accise; dans le même sens voy. C.
Cass., 27 mars 2012, F.J.F., 2013/204).
 Un débat judiciaire contradictoire a posteriori doit permettre de vérifier le respect du
principe de proportionnalité entre l’atteinte au droit fondamental de l’inviolabilité du
domicile et l’objectif poursuivi par l’intrusion dans ledit domicile.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités
 Généralement, il est considéré que l’accord du contribuable ne peut pallier
l’absence d’autorisation du juge de police (Anvers, 12 novembre 1996, TPI Hasselt,
17 novembre 2010, Anvers, 4 décembre 2012).
 Cependant, suivant la Cour de cassation, l’agent de l’administration qui n’a pas
d’autorisation du juge de police « peut avoir accès à une habitation privée en
vue d’une visite fiscale lorsque l’habitant l’y autorise » (Cass., 11 mars 2008,
Pas., 2008, I, 664).
 Pour d’autres Cours, l’autorisation et la motivation du juge de police est
essentielle. Elle doit exister mais aussi être adéquate (voy. Gand, 13 juin 2017 et Mons,
15 septembre 2017, Fiscologue, n°1536 du 6 octobre 2017; !! C.Const, 12.10.2017)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités
Gand, 13 juin 2017 (RG 2016/AR/63; TVA) :
 La Cour a considéré que l’autorisation du juge de police était nulle. Elle était
motivée mais sa motivation n’a pas été jugée adéquate.
 Pour la Cour, l’accès à une habitation requiert, suivant le texte légal (63 CTVA,
pendant de l’article 319 CIR92), qu’une activité taxable puisse y être présumée.
 En l’espèce, l’autorisation ne permettait pas d’identifier les éléments fondant une
telle présomption. L’autorisation était ainsi nulle. La Cour a dès lors considéré qu’il
ne pouvait être tenu compte des éléments obtenus lors de la visite.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités
Mons, 15 septembre 2017, (Fiscologue, n°1536 du 6 octobre 2017; IR)
 La Cour d’appel de Mons a tenu le même raisonnement que la Cour d’appel de Gand
précité, mais à l’impôt sur les revenus (319 CIR92).
 En l’espèce, l’autorisation du juge de police ne comprenait pas d’élément
permettant de présumer que du « travail au noir » était réalisé dans l’habitation.
L’autorisation était donc, selon le tribunal, nulle.
 Toutefois, la Cour a estimé que l’administration n’avait pas utilisé son droit d’accès
aux locaux du contribuable (319 CIR92) mais uniquement son droit de contrôler les
livres et documents du contribuable sans déplacement (315 CIR92). Ce dernier
droit, suivant la Cour, ne demanderait pas d’autorisation du juge de police même
s’il est exercé dans une habitation.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités
Gand, 27 novembre 2018, (RG 2016/RG/1385; IR)
 Des fonctionnaires de l’ISI annoncent leur souhait de consulter les livres et
documents d’un contribuable sans déplacement (315 CIR92). Ils annoncent leur
venue le 11.04.2011 au domicile du contribuable.
 Lorsqu’ils pénètrent dans les lieux, ils constatent que le domicile du contribuable est,
dès le couloir, un lieu de stockage de dizaines de milliers de cartes postales, bandes
dessinées, timbres, etc.
 Ils n’étaient pas muni d’une autorisation du juge de police.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités
Gand, 27 novembre 2018, (RG 2016/RG/1385; IR): suite
 Pour la Cour, « il convient d'établir une distinction claire entre l'application de
l'article 315 du code des impôts sur le revenu (présentation des livres et documents
par le contribuable) et celle de l'article 319 du code des impôts sur le revenu (droit
de visite). Lorsque les agents de contrôle se rendent dans les locaux du contribuable
afin d'obtenir la communication des livres et documents par le contribuable (article
315 du code des impôts sur le revenu 1992), il n'y a pas de "visite" fiscale, puisque
les agents de contrôle ne vont pas chercher eux-mêmes les informations
pertinentes, mais vont seulement dans les locaux afin d'obtenir ces documents, qui
doivent être présentés par le contribuable, comme le prévoit explicitement l'article
315 du code des impôts sur le revenu 1992 qui, par ailleurs, prévoit aussi la
présentation des livres et documents "sans déplacement". » (traduction libre).
 L’autorisation du juge de police n’était ainsi pas, selon la Cour, nécessaire
(précisons que la Cour constate également que le contribuable ne s’est pas opposé à l’accès à son
domicile par l’ISI, de sorte que son accord implicite a été donné)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités
 Il ressort des arrêts des 15 septembre 2017 et 27 novembre 2018 précités que les
Cours d’appel de Mons et de Gand opèrent une distinction suivant que
l’administration pénètre dans des locaux habités dans le cadre de l’article 315
CIR92 (communication des livres et documents sans déplacement) ou dans le cadre
de l’article 319 CIR92 (droit de visite).
 Il semble que, pour ces juridictions, la possibilité de consulter les livres et documents
au domicile du contribuable serait un pouvoir d’investigation passif, tandis que le
droit de visite serait un pouvoir actif (ce qui justifierait que l’autorisation du juge de police
ne serait requise que dans ce cas).
 Ces juridictions semblent ainsi reconnaître en droit de recherche active à
l’administration sur base de l’article 319 CIR92… Cette position nous semble pouvoir
être remise en cause vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 octobre 2017 (cf.
infra).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Connaissance préalable de l’existence des lieux – Motivation
Pour les « autres locaux […] où des activités sont effectuées ou sont
présumées être effectuées », l’agent taxateur peut en « réclamer le libre
accès » (319, al. 2 CIR92).
 Cela suppose :
 De motiver la décision de visiter de tels locaux ;
 Une connaissance préalable et précise de l’existence de ces
locaux, clairement identifiés dans la décision de visite.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Compétence liée – Finalité de la visite
Le droit de visite permet de vérifier la situation du contribuable visité et
non celle d’un tiers.
Une visite réalisée dans le but de vérifier la situation d’un tiers relève d’un
détournement de pouvoir.
Dans un cas où l’ISI a demandé la communication de documents lors d’une
visite réalisée dans le but, non pas de vérifier la situation du contribuable visité
(Optima; un conseiller patrimonial), mais d’obtenir des régularisations de la part
des clients de ce contribuable, le Tribunal de première instance de Gand a
décidé que tous les éléments obtenus dans le cadre de cette visite devaient
être écartés en raison d’un détournement de pouvoir (Trib. Gand, 11 juin 2013,
F.J.F., 2013/227 ; Cour. fisc., 2013/475).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
Remarques :
 TPI Anvers, 14 octobre 2016 :
Le fait, pour un agent de l’administration, de jeter un œil sur le magnifique jacuzzi
de son voisin ne s’assimile pas à une forme d’accès à une habitation privée
nécessitant l’autorisation du juge de police... dans la mesure où le chemin, d’où le
fonctionnaire a réalisé ses constatations, fait partie de l’espace public.
 Cass., 14 décembre 2018 (F.18.0093.N) :
L’administration observe, de manière répétée mais toujours depuis la voie
publique, les livraisons d’un marchand de boissons soupçonné de « fournitures au
noir ». Les fûts et bacs pleins livrés comme les vidanges reprises sont ainsi
comptés et un CA supplémentaire est déterminé.
Le marchand allègue que le fisc ne dispose pas d’un tel pouvoir d’investigation et
que de tels agissements sont contraires au respect de sa vie privée.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
Remarques :
 Cass., 14 décembre 2018 (F.18.0093.N) : suite
Pour la Cour :
 Le principe de légalité n’empêche pas, en principe, que l’administration puisse
faire usage de moyens de preuve à la disposition de chacun, notamment en
réalisant des constatations matérielles dans l’espace public ;
 Une observation depuis l’espace public n’est pas contraire aux principes de bonne
administration ni, en principe, au respect de la vie privée. Il revient toutefois au
juge du fond d’apprécier in concreto la régularité de l’observation.
Pour ce faire, il peut notamment tenir compte du lieu d’où les observations ont été faites, du
caractère systématique ou non, permanent ou non des observations, de leur contexte et de
l’attente raisonnable du contribuable quant au respect de sa vie privée;
 En l’espèce, les juges d’appel ont considéré que le droit au respect de la vie privée
n’était pas violé car :
 Les agents du fisc n’ont rien vu d’autre que ce que tout citoyen aurait également pu voir;
 et (ce qui est plus contestable) ce qu’ils ont observé ne relève pas de la vie privée.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
Droit de visite, de recherche active ou de perquisition ?
 Le fisc peut-il consulter les livres et documents sans en requérir l’autorisation ?
Dans son arrêt du 16 décembre 2003 (F.J.F., n°2004/117), la Cour de cassation avait
précisé que :
 l’article 63 CTVA (droit de visite) permet aux agents de la TVA d’« examiner les
livres et documents qui s’y trouvent sans qu’ils ne doivent au préalable demander
qu’on les leur communique » ;
 alors que l’article 319 CIR92, ne le permet(tait) pas (dans le sens contraire, selon le
législateur, voy.: Cass., 12 septembre 2008).
 « Solution » : harmonisation de l’article 319 CIR92 avec l’article 63 CTVA (Loi, 19
mai 2010, M.B., 2e éd., 28 mai 2010)
Depuis le 7 juin 2010, l’article 319 CIR92 prévoit que l’administration peut
« examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux » visités.
 Depuis C. const. 12 octobre 2017 (cf. infra), la nécessité d’obtenir l’autorisation
du contribuable apparait toutefois clairement réaffirmée
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
Droit de visite, de recherche active ou de perquisition ?
 L’administration peut-elle emporter les livres et documents ?
Avant 2014, en principe non… mais oui selon une partie de la doctrine et de la
jurisprudence (voy. not. Bruxelles, 6 mai 2014).
 « Solution » : adoption d’un nouvel article 315ter CIR92 (pendant de l’article
61 CTVA) donnant à l’administration le « droit de retenir les livres et documents »
(Loi, 21 décembre 2013, M.B., 31 décembre 2013).
Depuis le 10 janvier 2014, l’administration peut examiner les livres et documents qui
se trouvent dans les lieux visités ET les retenir (ndlr : les emporter).
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
Droit de visite, de recherche active ou de perquisition ?
 Les agents peuvent-ils dès lors ouvrir des armoires fermées, se saisir de
marchandises, faire appel à un serrurier pour ouvrir un local fermé, etc. ?
 Aucun pouvoir de recherche active ne peut être déduit du texte de loi ni des
travaux parlementaires.
 Au contraire, l’accord du contribuable apparait essentiel. En cas de refus,
l’administration ne peut pas forcer la visite ; elle n’a pas un pouvoir de
perquisition et ne peut qu’appliquer des amendes administratives ou pénales
en cas de défaut de collaboration.
Pourtant, une partie de la jurisprudence semble attribuer aux agents de
l’administration fiscale un « droit de recherche active » (Gand, 27 novembre 2018, RG
2016/RG/1385; Mons, 15 septembre 2017, Fiscologue, n°1536; Anvers, 14 juin 2016, RG
2014/AR/2248; Gand, 21 janvier 2014, RG n°2012/AR/1454 ; Trib. Anvers, 2 février 2014, F.J.F.,
2014/163 ; Trib. Bruxelles, 17 janvier 2012, T.F.R., 2012, 417, p. 2380 ; Trib. Bruges, 26 octobre
2011, Act. Fisc., 2011, 43, p. 15.)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
Bilan
 Q.P. orale n° 2379 de Monsieur Van Biesen du 20 mars 2014 (Ch., Compte rendu intégral,
2013-2014, CRIV 53 PLEN 191, p. 17) :
« Les discussions sur la portée réelle du droit de visite des agents du fisc démontrent que le
gouvernement doit édicter des règles précises en la matière à respecter impérativement par les
agents de l'administration fiscale dans l'exercice de leur mission de contrôle. Ces règles n'existent
plus et le fisc s'aventure parfois à sonder les limites de ses attributions. Le pouvoir judiciaire est
certes indépendant, mais lorsque des décisions judiciaires vont dans le mauvais sens, le pouvoir
législatif doit intervenir. De récentes décisions judiciaires ont suscité un vif émoi. La sécurité
juridique est profondément compromise. Toute requête de perquisition doit obtenir l'assentiment
d'un juge d'instruction. En revanche, le fisc et l'Inspection Spéciale des Impôts peuvent se contenter
d'en référer à la hiérarchie de leur propre service. Les relations entre l'administration fiscale et les
contribuables sont profondément ébranlées. […] Des solutions sont envisageables. Si les
contribuables doivent être traités avec équité, ce principe implique que les contrôleurs doivent
disposer de directives claires. De plus, il convient de modifier la loi et de rédiger des circulaires
délimitant très strictement les compétences d'enquête du fisc et soumises à l'approbation du
politique. […] »
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Le droit interne (art. 15 et 22 Constitution) n’apparait pas avoir un impact
majeur sur le droit de visite de l’administration fiscale
 Quid de l’article 8 CEDH ?
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour
autant que cette ingérence soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être
économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Quid de l’article 8 CEDH ?
 « Domicile » et « vie privée » au sens de l’article 8 CEDH (notion autonome)
 CEDH, Niemietz c. Allemagne, 16.12.1992: « Il paraît, en outre, n’y avoir aucune
raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de vie privée
comme excluant les activités professionnelles ou commerciales : après tout, c’est
dans leur travail que la majorité des gens ont beaucoup, voire le maximum
d’occasions de resserrer leurs liens avec le monde extérieur ».
 CEDH, Peev c. Bulgarie, 26.07.2007 (rappel de CEDH, Chappell c. Royaume-Uni, 30 mars
1989 ; Niemietz, précité ; CEDH, Funke c. France, 25 février 1993 et CEDH et Crémieux c. France,
25 février) 1993) : « une perquisition effectuée dans un local professionnel ou dans le
bureau d'une personne exerçant une profession libérale s'analys[e] en une atteinte
au droit au respect non seulement de la vie privée mais aussi du domicile de
l'intéressé ».
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Droit de visite contraire au respect de la vie privée ? (8 CEDH)
Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des Droits de l’Homme,
l’ingérence dans la vie privée est permise lorsqu’elle respecte :
 le principe de légalité : elle doit être prévue par une loi claire, précise et
accessible ;
 le principe de légitimité : elle doit reposer sur un but légitime qui, en droit fiscal,
est le bien-être économique de l’État ;
 le principe de proportionnalité : l’ingérence doit être nécessaire à la réalisation
du but légitime visé.
 Concrètement, toute ingérence est permise pour autant qu’elle soit entourée
d’un minimum de précautions/garanties assurant sa proportionnalité au but
qu’elle poursuit.
 Un contrôle juridictionnel préalable qui permet de contester la légalité d’une
ingérence semble à cet égard essentiel (C. Const., 14 février et 14 mars 2013, nos 6/2013
et 39/2013).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Tel qu’appliqué actuellement, l’article 319 CIR92 est-il compatible avec l’article 8 CEDH?
 La distinction belge entre domicile privé (habitation) et domicile professionnel est-
elle compatible avec l’article 8 CEDH ?
Autrement dit, l’autorisation préalable du juge de police ne devrait-elle pas être
requise pour visiter tout domicile (privé ou professionnel) ?
 Les principes de légitimité et de proportionnalité sont-ils respectés lorsque
l’administration procède à une visite sans indice sérieux de fraude (>< Com. IR 319/11
à 319/13 et à l’intention du législateur) voire uniquement pour contrôler l’application de la
loi fiscale (et non pour collecter des preuves de la fraude présumée) ? (cf. C. Const. , 12
octobre 2017)
 L’article 319 CIR92 respect-il le principe de légalité (clarté >< insécurité) vu les
controverses doctrinales et jurisprudentielles qu’il suscite ?
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 La Cour constitutionnelle a été invitée à préciser les contours du droit de visite
du fisc. Le 2 septembre 2016, elle a été saisie de la question préjudicielle
suivante :
« L'article 319, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 et l'article 63,
alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée violent-ils le droit à
l'inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée, garantis par les
articles 15 et 22 de la Constitution belge et par l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme, s'ils sont interprétés en ce sens qu'ils
confèrent aux agents compétents de l'administration fiscale un droit général,
inconditionnel et illimité, de libre accès aux locaux professionnels mentionnés
dans ces articles, ce qui permet à ces agents, sans autorisation préalable, de
visiter et de fouiller ces locaux et de réaliser d'autres actes faisant penser à une
perquisition pénale, en vue d'examiner les livres et les documents qui s'y
trouvent, que cette visite ait pour but de contrôler l'application de la législation
fiscale ou de constater des infractions fiscales pénalement sanctionnées ? ».
(R.G. n°6503, M.B., 10 octobre 2016)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 Par arrêt du 12 octobre 2017 (n°116/2017), la Cour constitutionnelle indique que le
droit de visite prévu aux articles 319 CIR92 et 63 CTVA est conforme au droit à la vie
privée => Mais seulement SI les limites/conditions d’exercice de ce pouvoir
d’investigation sont respectées.
Elle rappelle notamment que :
 Les articles 319 CIR92 et 63 CTVA : « n’autorisent […] pas les agents compétents à se
procurer par la contrainte un accès aux locaux professionnels lorsque cette
coopération obligatoire est refusée » (B.10.2.);
 « Une interprétation raisonnable de l’obligation de coopération commande que
l’administration fiscale ne soit pas tributaire du choix du contribuable de déterminer
quels documents il permet de consulter et que le contribuable soit également tenu de
coopérer afin d’ouvrir par exemple des armoires ou coffres fermés. Les dispositions en
cause n’autorisent toutefois pas les agents compétents à exiger la consultation des
livres et documents en question si le contribuable s’y oppose » (B.11.3.);
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
 C. Const., 12 octobre 2017 (n°116/2017) – suite
 « les agents compétents ne disposent pas, lors d’une visite fiscale, d’un droit général,
inconditionnel et illimité de libre accès aux locaux professionnels. » (B.12.);
 « Les agents qui procèdent à la visite fiscale doivent cependant être en possession
d’une commission » (B.13.3.) ;
 « la visite fiscale est liée à un objectif et doit avoir lieu dans les limites indiquées
dans les dispositions en cause en ce qui concerne le moment et l’objet du contrôle et
la nature des locaux. Lorsque les agents compétents excèdent les limites de leur
pouvoir d’investigation, ceux-ci commettent un détournement de pouvoir ou un
excès de pouvoir, ce qui peut, le cas échéant, impliquer que la visite est entachée de
nullité. »(B.15.1).
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
1.3. Pouvoirs d’investigation
Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92
Demande de renseignements
et le droit de se taire : 316 CIR92
Accès aux locaux
et droit à la vie privée : 319 CIR92
Obligation des tiers
et secret bancaire : 322 à 326 CIR92
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)
 Investigations concernant un contribuable déterminé :
«§ 1er. L'administration peut, en ce qui concerne un contribuable déterminé, recueillir des
attestations écrites, entendre des tiers, procéder à des enquêtes et requérir, dans le délai
qu'elle fixe, ce délai pouvant être prolongé pour de justes motifs, des personnes physiques
ou morales, ainsi que des associations n'ayant pas la personnalité juridique, la production
de tous renseignements qu'elle juge nécessaires à l'effet d'assurer la juste perception de
l'impôt.
L'administration peut, en ce qui concerne un contribuable déterminé, consulter le registre
des bénéficiaires effectifs, dénommé registre U.B.O., tenu au sein de l'administration
générale de la trésorerie et créé par l'article 73 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la
prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de
l'utilisation des espèces, afin d'assurer la juste perception de l'impôt. Le Roi détermine les
conditions et les modalités de cette consultation. [alinéa inséré par loi du 26 mars 2018]
Toutefois, le droit d'entendre des tiers, de consulter le registre U.B.O. et de procéder à des
enquêtes ne peut être exercé que par un agent ayant un titre supérieur à celui d'attaché
[précédemment contrôleur]. […]
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)
 Investigations concernant un contribuable déterminé
 Tiers visés: les relations professionnelles (fournisseurs, clients, créanciers, débiteurs) ou
toute autre personne susceptible de fournir des renseignements permettant l’exacte
perception de l’impôt.
 Mise en œuvre en pratique :
 lorsque le contribuable néglige de répondre ou;
 les renseignements semblent douteux ou;
 soupçons de fraude.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)
 Investigations concernant un contribuable non nominativement désigné :
« L’administration peut également requérir des personnes physiques ou morales, ainsi que
des associations n’ayant pas la personnalité juridique, dans le délai qu’elle fixe, ce délai
pouvant être prolongé pour de justes motifs, la production, pour tout ou partie de leurs
opérations ou activités, de renseignements portant sur toute personne ou ensemble de
personnes, même non nominativement désignées, avec qui elles ont été directement ou
indirectement en relation en raison de ces opérations ou activités » (323 CIR92)
 Ne permet pas un droit général d'enquête => Pas de fishing expedition
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)
 323 CIR92 => Pas de fishing expedition
TPI Anvers, 2 février 2018 (trois jugements) :
 L’ISI souhaitait identifier les contribuables qui, pour dissimuler leur patrimoine,
utiliseraient des cartes bancaires étrangères lors de leurs transactions belges. A cette
fin, elle a interrogé des sociétés offrant des services de paiements électroniques (PSP).
 Ces PSP devaient lui fournir toutes leurs données relatives aux transactions réalisées en
Belgique avec des cartes de paiement étrangères courant 2015 et 2016. Avec ces
données, l’ISI aurait ensuite isoler les cartes suspectes (celles utilisées par des résidents
belges et non des touristes), tenter d’identifier leur titulaire, pour enfin contrôler leur
situation fiscale.
 Les PSP ont refusé de répondre à l’ISI. Pour elles, la demande du fisc violait (i.) le
principe de finalité attaché au pouvoir accordé au fisc d’interroger les tiers, (ii.) le droit
à la vie privée, (iii.) le secret bancaire et (iv.) manquait de proportionnalité.
 Le tribunal ne s’est pas prononcé sur le secret bancaire. Par contre, dans ses trois
décisions, il a suivi tous les autres moyens de défense précités des PSP.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)
 323 CIR92 => Pas de fishing expedition – TPI Anvers, 2 février 2018 (trois
jugements) : suite
 Concernant le principe de finalité, l’article 323 CIR92 permet au fisc de demander aux
tiers la production « de renseignements portant sur toute personne ou ensemble de
personnes, même non nominativement désignées, avec qui elles ont été directement ou
indirectement en relation ».
 Ce pouvoir d’investigation est particulièrement large mais pas illimité. Bien que cet
article 323 ne le précise pas, le tribunal rappelle qu’il permet au fisc de solliciter
uniquement des renseignements présentant un « certain intérêt fiscal ». Ils doivent
présenter une pertinence vraisemblable pour assurer l’exacte perception de l’impôt.
 En l’espèce, une partie importante des renseignements demandés (celle concernant
les transactions réalisées par des touristes) ne présentait pas une telle pertinence.
Pour le tribunal, le fisc a utilisé son pouvoir d’investigation dans un autre but que
celui envisagé par le législateur. Il est allé à la pêche aux renseignements et a ainsi
commis un excès de pouvoir. Conclusion, les PSP avaient bien le droit d’ignorer sa
demande.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)
 Audition de témoins :
« Le contribuable est convoqué par lettre recommandée à la poste pour assister à
l’audition des témoins.
Ceux-ci ont l’obligation de déposer sur tous les actes et faits à leur connaissance dont la
constatation peut être utile à l’application des lois fiscales aux faits en litige.
Leur déposition est précédée du serment prévu à l’article 934 du Code judiciaire.
La preuve contraire sera de droit. » (325 CIR92)
« Il est dressé procès-verbal des déclarations des témoins et, si le contribuable le désire,
des déclarations de ce dernier.
Le procès-verbal est, après lecture, signé par les témoins et le contribuable. Leur signature
est précédée des mots manuscrits « Lu et approuvé ». Si l’un des intéressés refuse de
signer, mention en est faite au procès-verbal qui précise le motif du refus.
Copie certifiée conforme du procès-verbal est notifiée au contribuable dans les huit jours
de sa date » (326 CIR92)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)
 Et le secret bancaire ?
Evolutions annoncées => Commission Panama Papers :
Rapport final signé par la majorité fin septembre 2017 : peu de changements
Amendements de l’opposition : changements radicaux
En discussion depuis …
 Le secret bancaire aujourd’hui, en bref :
 Principe : le fisc ne peut pas recueillir de renseignements auprès d’un établissement
financier en vue d’imposer l’un de ses clients, sauf présomption d’un mécanisme de fraude
ou de sa préparation (intention frauduleuse dans le chef de la banque) (318 CIR92)
 Une loi de 2011 a toutefois apporté trois exceptions à ce principe (322, § 2 CIR92)
 Possibilité d’interroger une banque au sujet d’un contribuable déterminé :
 (i.) lorsque le fisc dispose d’au moins un indice de fraude le concernant ;
 (ii.) lorsque le fisc envisage de l’imposer via la procédure de taxation indiciaire ;
 (iii.) lorsqu’un Etat étranger le requiert dans le cadre, notamment, de
l’« assistance mutuelle » entre Etats.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers et secret bancaire
 « Procédure par paliers » (322 § 2 et 333/1 CIR92) pour effectivement lever le secret. Chaque
palier de cette procédure offre au contribuable des garanties contre de possibles abus du fisc
et, surtout, une possibilité de réagir.
 En cas d’indice de fraude ou de taxation indiciaire envisagée (donc hors hypothèse d’une demande
émanant d’un Etat étranger ; (voy. cependant : C. Const., 13 mai 2013, n° 66/2013), la procédure par
paliers se résume comme suit :
 Le contrôleur fiscal doit interroger le contribuable lui-même.
Demander les informations bancaires souhaitées + informer qu’à défaut de réponse
satisfaisante, possibilité d’interroger la banque elle-même;
 A défaut de réponse appropriée du contribuable, l’agent contrôleur (ayant au moins un
titre d’attaché – équivalent de l’ancien grade d’inspecteur) peut obtenir l’autorisation
d’interroger la banque auprès de son supérieur hiérarchique (lequel doit au moins avoir
le titre de conseiller – équivalent de l’ancien grade de directeur)
 Si autorisation reçue, obligation d’informer le contribuable de la demande adressée à la
banque + des motifs qui la justifient. Sauf si les droits du Trésor sont en péril, cette
information doit se faire simultanément à l’envoi de la demande de renseignements à la
banque.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers et secret bancaire
 En parallèle (322, § 3 CIR92) et dès lors que le supérieur hiérarchique précité constate que le
contrôle fiscal a révélé la présence d’un ou de plusieurs indices de fraude, il peut interroger
le point de contact central (PCC tenu par la Banque Nationale de Belgique).
 Les banques lui communiquent, une fois par an, l’identité de leurs clients ainsi que leurs
numéros de comptes, les mandataires éventuels de ces comptes et la nature des contrats
conclus. En consultant ce PCC, le fisc peut ainsi identifier l’ensemble des comptes
bancaires d’un contribuable déterminé, à charge pour lui d’interroger ensuite, le cas
échéant, les banques concernées.
 Pour notre Cour constitutionnelle (C. Const., 14 février 2013, n° 6/2013, RG 5233, 5235 et 5236 et
C. Const., 14 mars 2013, n°39/2013, RG 5385), l’ingérence dans la vie privée du contribuable
qu’implique la levée du secret bancaire est acceptable vu, notamment, l’intervention
obligatoire d’agents expérimentés et la procédure par paliers. Ce qui apparait essentiel à
la Cour est la possibilité qu’elle offre au contribuable « de réagir et de contester la
légalité » de la levée du secret bancaire devant les Cours et Tribunaux.
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers et secret bancaire
 Autres dérogations au secret bancaire :
 Réclamation (374 CIR92)
 Recouvrement (319bis CIR92)
 Surséance indéfinie : (413quater CIR92)
 CPDI Etats-Unis – Belgique de 2006 (art. 25 §§3 et 5) + les nouvelles CPDI et CPDI
modifiées depuis ;
 Directive épargne ;
 CRS (Common Reporting Standards)
 Enquête pénale (instruction) => accès au dossier donné au fisc sur autorisation du
ministère public (327 CIR92)
 Demandes en matière de TVA (61 CTVA), de droits d’enregistrement (183 C. enr.) ou
de droits de succession (100 C. succ.)
 Communication entre les différentes administrations du SPF Finances (335 et 336
CIR92 ; ne peut être un détournement de procédure)
I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
II. SORT DES PREUVES COLLECTÉES ILLÉGALEMENT
Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.1. Historique : le rejet des preuves illégales remis en cause
2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal.
2.3. Perspectives : « Ancrage ou Requiem ? »
2.4. Antigone : Nuances et limites
 Arrêt de principe de la Cour de cassation du 12 mars 1923 : le juge ne peut pas
prendre en compte les preuves recueillies de manière illégale
 Confirmation de cette jurisprudence pendant 80 ans (léger fléchissement dans les années 90)
 Le juge doit exclure du débat judiciaire les preuves recueillies de manière
illégale et tout ce qui en découle => théorie des fruits de l’arbre empoisonné
 Arrêt (pénal) de la Cour de cassation du 14 octobre 2003 : « Antigone »
 Le juge ne peut plus rejeter automatiquement une preuve illégale. Il doit la prendre en
considération, SAUF :
 En cas de violation de conditions de formes prescrites à peine de nullité ;
 Si la fiabilité de la preuve est compromise en raison de l’irrégularité ;
 Lorsque l’utilisation de la preuve viole le droit à un procès équitable.
 Trois exceptions plus virtuelles que réelles
2.1. Historique : le rejet des preuves illégales remis en cause
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
 Entre Antigone (Cass., 14 octobre 2003, ch. néerlandophone) et Manon (Cass., 2 mars 2005,
ch. francophone) : L’arrêt du 23 mars 2004 :
Le juge doit prendre en compte la preuve illégale SAUF (i.) en cas de violation d’une
condition de forme prescrite à peine de nullité, (ii.) si l’irrégularité commise entache la
crédibilité de la preuve, (iii.) si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès
équitable, ce qui peut s’apprécier en considérant :
 le caractère intentionnel, ou non, de l’acte illicite ;
 la gravité de l’infraction par rapport à l’importance de l’illicéité commise ;
 le fait que la preuve obtenue illicitement porte uniquement sur un élément matériel
de l’infraction ;
 (caractère purement formel de l’irrégularité ; ajouter ensuite par la jurisprudence).
 Cette jurisprudence, initialement pénale, a été consacrée en matière de sécurité sociale
par un arrêt du 10 mars 2008 (S.07.0073.N).
 Le législateur l’a par ailleurs ancrée en matière pénale par une loi du 24 octobre 2013 (cf. 32
T.P.C.i.cr.).
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.1. Historique : le rejet des preuves illégales remis en cause
 Antigone : même en droit fiscal ? (ordre public, attentatoire au droit de propriété, principe
de légalité, preuves collectées par des agents de l’exécutif…)
 Cassation du 21 novembre 2014 (F.13.0159.N) : l’administration « est libre de
demander au contribuable de [lui fournir des documents] sur une base volontaire. [Ce
qui] suppose en fait que cela ne se passe pas sous la menace de sanctions ». A défaut,
la Cour considère que « les pièces envoyées sous la menace d'amendes
administratives ou de sanctions pénales ne sont pas reçues légalement par
l'administration ».
La Cour précise toutefois qu’elle se prononce « indépendamment de la question des
effets d’une telle illégalité » (traduction libre).
 Mais dans son arrêt du 22 mai 2015 (F.13.0077.N/18 ; Courrier fiscal, 2015/12), la Cour de
cassation a réceptionné, en droit fiscal, la jurisprudence Antigone, à tout le moins en
matière de TVA…
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal
Dans son arrêt du 22 mai 2015 (TVA), la Cour décide que :
« 3. La législation fiscale ne contient aucune disposition générale interdisant l'utilisation
d'une preuve obtenue illégalement pour déterminer la dette d'impôt et, s'il y a lieu, pour
infliger un accroissement ou une amende.
4. L'utilisation par l'administration d'une preuve obtenue illégalement doit être appréciée à
la lumière des principes de bonne administration et du droit à un procès équitable.
5. Sauf lorsque le législateur prévoit des sanctions particulières, l'utilisation d'une preuve
obtenue illégalement en matière fiscale ne peut être écartée que si les moyens de preuve
sont obtenus d'une manière tellement contraire à ce qui est attendu d'une autorité agissant
selon le principe de bonne administration que cette utilisation ne peut en aucune
circonstance être admise, ou si celle-ci porte atteinte au droit du contribuable à un procès
équitable.
Lors de cette appréciation, le juge peut notamment tenir compte d'une ou de plusieurs des
circonstances suivantes : le caractère purement formel de l'irrégularité, son incidence sur le
droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, le caractère intentionnel ou non de
l'illégalité commise par l'autorité et la circonstance que la gravité de l'infraction dépasse de
loin l'illégalité commise ».
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal
 Quid de l’impôt sur les revenus (IR) où les droits fondamentaux du contribuable
s’expriment davantage qu’en matière de TVA ?
 Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 9 février 2015 en matière d’IR
 Les contribuables sont tenus de communiquer leurs livres et documents « sans
déplacement » (315 CIR92) ;
 Dans le cadre d’une demande de renseignements (316 CIR92), ils peuvent être communiqués
à l’administration avec déplacement mais uniquement sur base volontaire ;
 Un déplacement effectué sous la menace de sanctions ne peut être considéré comme un
déplacement volontaire (Cass., 21 novembre 2014) → Les documents recueillis de cette
manière, le sont de manière irrégulière ;
 Mais, en l’espèce, les documents n’ont pas été obtenus de manière « contraire à ce qui est
attendu d’une autorité agissant selon le principe de bonne administration » ;
 En tout état de cause, les pièces restent les mêmes. Malgré l’irrégularité, l’administration
aurait pu les consulter sur place. En outre, les droits de la défense et le droit à un procès
équitable n’ont pas été violés ;
 Bien que la preuve ait été reçue illégalement, l’administration pouvait donc les utiliser…
Dans le même sens : Liège, 2 mars 2018, RG 2016/RG/1385
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal
 Gand, 24 février 2015 (2013/AR/2804) :
- Communication de documents avec déplacement (>< 315 CIR92) sous la menace de
sanctions (même problématique que celle soumise à la Cour d’appel d’Anvers; cf. ci avant) ;
- Fin 2014, la Cour de cassation a affirmé que cette manière de procéder était
illégale… sans toutefois se prononcer sur « la question des effets d’une telle
illégalité » (Cass., 21 novembre 2014, F.13.0159.N);
- Devant la Cour d’appel de Gand, le contribuable demande des délais
supplémentaires pour conclure sur les effets d’une telle illégalité (748,§2 C. Jud.) ;
 La Cour d’appel de Gand refuse d’accorder ces délais, constate l’irrégularité
commise par l’administration lors de la collecte des preuves, mais n’en tire
aucune conséquence.
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal : même à l’IR ?
 Cassation du 4 novembre 2016 (vs. Gand, 24 février 2015) : Antigone aussi à l’IR
- Sur le refus d’accorder des délais complémentaires :
- Le droit à un procès équitable implique « notamment » que chaque élément pouvant
influencer le juge puisse être contredit ;
- Ce droit n’est toutefois pas illimité. Il doit être mis en balance avec les nécessités
d’efficacité et de célérité de la justice.
- Sur les effets à réserver aux preuves illégales => c/c arrêt TVA du 22 mai 2015;
- L'utilisation d’une preuve obtenue illégalement doit être appréciée à la lumière des
principes de bonne administration et du droit à un procès équitable ;
- Elle ne peut être écartée que si elle a été obtenue d'une manière tellement contraire à ce
qui est attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration OU si
l’irrégularité porte atteinte au droit à un procès équitable ;
- Il peut être tenu compte : du caractère purement formel de l'irrégularité, de son
incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, du caractère
intentionnel ou non de l'illégalité commise par l'autorité et de la circonstance que la
gravité de l'infraction dépasse de loin l'illégalité commise.
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal : même à l’IR ?
 Cass., 10 février 2017 : Antigone fiscal également confirmé en matière de TMC
 Cass., 18 janvier 2018 (F.16.0031.N) : Antigone fiscal à nouveau confirmé à l’IR :
 « Le moyen qui part totalement du principe que lorsqu’il apparaît d’une enquête ‘’que l’avocat
a méconnu son secret professionnel et a transmis à l’administration les renseignements ou des
éléments en méconnaissance de son secret professionnel, ces renseignements et éléments ne
peuvent servir pour dégrever l’impôt à charge du client de cet avocat’’ manque en droit. »
 « Selon la Cour de cassation, la législation fiscale [ne] comporte [auc]une disposition
générale qui interdit l’utilisation d’une preuve obtenue illégalement pour
l’établissement d’une dette d’impôt et, s’il y a des éléments à ce propos, pour
l’établissement d’un accroissement d’impôt ou d’une amende. L’utilisation par
l’administration d’une preuve obtenue illégalement doit être confrontée aux principes
de bonne administration et au droit à un procès honnête [ndlr : équitable].
Dans cette évaluation, le juge peut notamment tenir compte d’une ou plusieurs
circonstances suivantes : le caractère purement formel de l’irrégularité, son impact sur
le droit ou la liberté qui est protégé par la norme enfreinte, le caractère intentionnel ou
non de l’irrégularité commise par l’administration et la circonstance que la gravité de
l’infraction excède de loin l’irrégularité commise.
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal : même à l’IR ?
 Quid de l’équilibre entre l’intérêt général et les droits fondamentaux des
contribuables ?
Rappel :
 Limites particulières aux pouvoirs de l’administration : chaque pouvoir
d’investigation est spécifiquement limité afin de protéger le contribuable;
 Limites générales aux pouvoirs d’investigation :
 Principe de légalité (compétence liée, pouvoir à utiliser conformément au but que le
législateur lui a fixé mais existence des principes de non-cloisonnement entre
administrations et d’affectation universelle de l’information fiscale) ;
 Principes généraux de bonne administration (sécurité juridique, impartialité,
droits de la défense, fair-play, transparence, prudence, etc.) ;
 Délais d’investigation, d’enrôlement et de recouvrement limités ;
 Formalisme procédural (motivation, notification d’indices de fraude, délivrance d’un
PV de rétention de documents, etc.).
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
 « Plan d’action pour lutter contre la fraude fiscale » (3 décembre 2015, disponible sur
http://vanovertveldt.belgium.be) et proposition de loi du 7 janvier 2016 (du CD&V comme en
2013 pour l’art. 32 T.P.C.i.cr) (Cf., Doc. Parl., ch. sess., 2015-2016, n°1561/001) :
- L’exposé des motifs de la proposition de loi qualifie le contribuable
néerlandophone de « suspect » et le contribuable francophone d’« inculpé »;
- But : transposer la jurisprudence Antigone dans la loi fiscale ;
- Motivation ? « le fait que des procès fiscaux n’aboutissent pas pour cause de
violation des formalités prescrites par la loi exaspère l’opinion publique au plus
haut point ».
 La « Commission spéciale ’’fraude fiscale internationale/Panama Papers’’ »
recommande également de couler la jurisprudence Antigone dans une loi fiscale.
 Septembre 2017 : abandon de cette recommandation par la majorité
 Octobre 2017 : recommandation souhaitée par l’opposition (amendement)
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
 Dans sa mercuriale de rentrée du 1er septembre 2016 intitulé « ‘’Le droit fiscal est d’ordre
public !’’ So what ? – De la relativité de l’ordre public en droit fiscal et du rôle de la
Cour », Monsieur le Premier Avocat général près la Cour de cassation André Henkes
s’interroge en ces termes :
« […] que dire d’un éventuel pouvoir justicier du juge de cassation [qui] rétablirait dans une cause la justice au
nom de l’ordre public fiscal ?
L’idée est : est-ce que l’ordre public fiscal peut faire barrage à une démarche où le juge (de cassation) sanctionne la
violation du droit matériel fiscal aussi à l’aune d’une certaine proportionnalité, mettant en balance la nature et la
gravité de la violation et l’ampleur des conséquences qu’elle entraine ?
Ou, au contraire, la relativité qui est inhérente à cet ordre public fiscal s’accommoderait-elle d’une telle tentation
justicière voire la favoriserait-elle?
C’est un arrêt du 22 mai 2015 de la section néerlandaise de la première chambre de la Cour de cassation, laquelle a
décidé de transposer, en matière fiscale sa jurisprudence pénale dite «Antigone », qui invite à ce questionnement.
Ne pourrait-on s’en inspirer pour sauver de l’annulation les décisions administratives qui méritent de l’être et, par
ricochet, de la cassation, les décisions judiciaires qui les valideraient et, ainsi, rendre justice en disant le droit ?
Dans une cause soumise présentement à la section française de la première chambre, c’est à la faveur « du caractère
d’ordre public du droit fiscal » que les conclusions de l’avocat général reviennent à poser cette question à la Cour. »
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
 La doctrine développe de nombreuses théories contre l’Antigone fiscal (voy. not.:
l’article de Me Fr. KONING in J.T., n°6674, pp. 73 et s.) : l’un des plus convainquant concerne le
principe de légalité
 Principe de légalité => l’agent du fisc exerce une compétence liée :
 Il n’a de pouvoir que parce que la loi lui en donne ;
 Il n’a aucun autre pouvoir que ceux que la loi lui confère ;
 Il ne peut exercer son pouvoir que de la manière prévue par la loi, et ce,
uniquement conformément à ses objectifs => il n’a aucun pouvoir
discrétionnaire, aucune marge de manœuvre.
 Accepter le contraire (en appliquant la jurisprudence Antigone en matière
fiscale) ne reviendrait-il pas à donner les pleins pouvoirs à l’administration
fiscale, c’est-à-dire à des agents du pouvoir exécutif ? ;
 Cela ne conduirait-il pas à rompre l’équilibre entre l’intérêt général et les
droits des contribuables ?
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
 La jurisprudence de la Cour eur. D.H. : pas d’un grand secours
Suivant sa jurisprudence :
« Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant
l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève dès lors au premier chef du
droit interne et des juridictions nationales (Schenk c. Suisse, §§ 45-46 ; Heglas c. République
tchèque, § 84).
Il n’appartient donc pas à la Cour de se prononcer, en principe, sur la recevabilité de
certaines preuves, par exemple celles obtenues de manière contraire au droit national. Il y a
lieu d’examiner si la procédure, y compris la manière dont les preuves ont été recueillies, a
été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’illégalité en question et, dans
les cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la
nature de cette violation (Khan c. Royaume-Uni, § 34 ; P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, § 76 ; Allan
c. Royaume-Uni, § 42)» (Guide sur l’article 6 de la CEDH, éd. 2013, disponible sur : www.echr.coe.int).
Dans le même sens : Cour eur. D.H., 31 janvier 2017, Kalnéniené c. Belgique, 40233/07 et C.
Const., 27 juillet 2011, n°139/2011 et C. Const., 22 décembre 2010, n°158/2010.
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
 Quid de la Charte européenne des droits fondamentaux (7 et 47 de la Charte) ?
C.J.U.E., WebMindLicenses kft, 17 décembre 2015, C-419/14 (TVA) :
 La juridiction nationale doit vérifier si les moyens d’investigation utilisés
« étaient […] prévus par la loi et étaient nécessaires […] ». Elle doit aussi
vérifier si « l’assujetti a eu la possibilité […] d’avoir accès [aux] preuves [ainsi
obtenues] et d’être entendu sur celles-ci.
 Si elle constate que cet assujetti n’a pas eu cette possibilité ou que ces preuves
ont été obtenues […] ou utilisées […] en violation de l’article 7 de la charte [c.-à-
d. le droit à la vie privée], ladite juridiction nationale doit écarter ces preuves
et annuler ladite décision si celle-ci se trouve, de ce fait, sans fondement.
Doivent, de même, être écartées ces preuves si cette juridiction n’est pas
habilitée à contrôler qu’elles ont été obtenues […] en conformité avec le droit
de l’Union ou ne peut à tout le moins s’assurer […], qu’elles ont été obtenues en
conformité avec ce droit ».
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
 C.J.U.E., WebMindLicenses kft, 17 décembre 2015, C-419/14 (TVA)
 A ce jour, la portée de cet arrêt est très controversée
 Le C.J.U.E. semble à tout le moins indiquer que la collecte ainsi que l’utilisation
de preuves ne tolèrent aucune violation d’un droit fondamental garanti par la
Charte.
 Toute preuve obtenue en violation d’un droit fondamental devrait ainsi être
écartée par le juge et la décision qui y trouvait son fondement devrait être
annulée, et ce, sans considération pour le dommage ou l’absence de dommage
causé par la violation dans le chef du contribuable.
 Jurisprudence également applicable en matière d’impôts directs ?
Doctrine divisée ;
Pour la Cour d’appel d’Anvers : non ! (Anvers, 14 juin 2016, inédit, Fiscologue, n°1492).
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
 Cassation 28 juin 2018 (F.17.0016.N)
Un contribuable estime être discriminé dès lors que la preuve recueillie
illégalement par l’administration et retenue contre lui à l’impôt sur les revenus
aurait dû, selon lui, être écartée en matière de TVA sur base de l’arrêt C.J.U.E.
WebMindLicenses kft précité (17 décembre 2015, C-419/14) mais ne l’est pas à l’IR.
 Avant de se prononcer sur la discrimination dénoncée, la Cour de cassation
interroge la C.J.U.E. Elle souhaite savoir si un élément obtenu en violation du
droit au respect de la vie privée doit, sur le plan de la TVA, être écarté en toute
circonstance ou si une mise en balance des intérêts (cf. doctrine « Antigone »)
est autorisée par le droit de l’Union.
 Affaire à suivre…
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
 Cassation du 19 janvier 2016 (P.15.0768.N) : Antigone ne s’étend pas aux règles
de recevabilité : un rappel utile
 Tt fonctionnaire doit dénoncer les infractions découvertes au Procureur (29 C.i.cr.) ;
 Mais, en matière fiscale, il existe un filtre : l’accord du Conseiller général ;
 Dans l’affaire soumise à la Cour, la dénonciation ne comportait ni la signature, ni
l'identité du fonctionnaire ;
 Selon la Cour de cassation, il faut distinguer les règles relatives à
l'admissibilité de la preuve des règles de recevabilité d'une procédure ;
 Antigone ne concerne que l’admissibilité de la preuve ;
 Ici, il est question de la violation d’une règle de recevabilité d’une procédure
→ Antigone n’est pas applicable → l’action publique en cause est
irrecevable.
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.4. Nuances et limites
 Anvers, 31 mai 2016 (2015/AR/114) : litige de pré-taxation sur la validité d’une enquête
fiscale:
 Investigations portant sur les exercices fiscaux 2003 à 2007 sous le bénéfice du délai
d’investigation de 7 ans ;
 Pour bénéficier de ce délai, l’administration doit, au préalable, notifier au contribuable,
« par écrit et de manière précise, les indices de fraude fiscale qui existent, en ce qui le
concerne, pour la période considérée » (art. 333, al. 3 CIR92) ;
 Ici, les indices de fraude notifiés ne portaient que sur l’exercice 2007.
 Ainsi, la Cour d’appel d’Anvers décide qu’il « n’est pas satisfait à l'exigence de l‘article
333, al. 3 CIR92 pour les exercices d'imposition 2003 à 2006, de sorte que, pour les
exercices d'imposition en question, il ne pouvait être établi de cotisations valables sur la
base de l'enquête menée au cours du délai d'investigation prolongé » ;
 La notification est par contre valable pour l’exercice 2007 et, partant, la cotisation
établie pour cet exercice ne doit pas être annulée.
 Pourquoi ne pas avoir « couvert » l’irrégularité via « Antigone » ?
 La notification préalable des indices de fraude est « prescrite à peine de nullité de
l’imposition » (art. 333, al. 3 in fine CIR92).
2.4. Nuances et limites
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
 Actuellement, la majorité de la jurisprudence considère que les irrégularités commises
par l’administration lors de la collecte de preuves (utilisation de ses pouvoirs
d’investigation) ne sont pas, in concreto, « tellement contraires à ce qui est attendu
d’une autorité agissant selon le principe de bonne administration » (cf. not.: Liège, 2
mars 2018, RG 2016/RG/1385; TPI Marche-en-Famenne, 13 juillet 2017, RG 17/331/A;
TPI Mons, 11 janvier 2017, RG 15/3173/A; TPI Arlon, 13 avril 2016, RG 13/246/A; TPI
Arlon, 9 mars 2016, RG 10/336_11/209)
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.4. Nuances et limites
 Il existe néanmoins de la jurisprudence en sens contraire :
TPI Liège, 16 mars 2016 : les preuves en cause ont été « obtenues d'une manière
tellement contraire à ce qui est attendu d'une autorité » qu’elles ne peuvent être
utilisées
En l’espèce, il était question de :
 photos de livres comptables d’un boulanger prises par l’administration ;
 photos réalisées dans une pièce de son habitation privée (magasin et atelier de
boulangerie attenants à l’habitation) ;
 lors d’une visite surprise sans autorisation du juge de police ;
 visite surprise réalisée à 2h. du matin (l’apprenti du boulanger a ouvert aux agents) ;
 accès aux parties privés et photos prises alors que le boulanger dormait à étage !
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.4. Nuances et limites
 TPI Liège, 11 septembre 2017 (RG 16/577/A; droit de visite et droit de rétention des
livres et documents en matière de TVA)
 L’ISI contrôle un grossiste en produits HORECA surgelés (des frites)
 Il s’empare notamment de documents trouvés dans la poubelle de la caisse du
magasin, dans la poubelle d’un bureau et dans le container situé sur le parking du
grossiste
 Le PV de rétention des documents ne justifie pas les motifs de ladite rétention alors
que le principe reste leur consultation sans déplacement
 L’administration invoque la jurisprudence Antigone, en particulier l’arrêt de la Cour
de cassation du 4 novembre 2016 précité, pour que les preuves ainsi collectées de
manière irrégulière ne soient pas rejetées
II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
2.4. Nuances et limites
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Contribuables, professionnels du chiffre et contrôleurs : je t'aime moi non plus ?

  • 1. Contribuables, Professionnels du chiffre et contrôleurs : je t’aime, moi non plus ? THIERRY LITANNIE Avocat, spécialiste en droit fiscal Administrateur de l’O.E.C.C.B.B. Roland ROSOUX Secrétaire général et directeur scientifique de l’O.E.C.C.B.B. 1 20.02.2020
  • 2. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE – Délais et pouvoirs d’investigation : articles 315 à 338 CIR92 + INTÉRÊT DU DROIT INTERNATIONAL – INTÉRÊT DES DROITS DE L’HOMME 1.1. Introduction 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ? 1.3. Pouvoirs d’investigation Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92 Demande de renseignements et le droit de se taire : 316 CIR92 Accès aux locaux et droit à la vie privée : 319 CIR92 Obligation des tiers et secret bancaire 322 à 326 CIR92
  • 3. 1.1. Introduction Intérêt des DH en droit fiscal belge : la hiérarchie des normes Devoir de collaboration et pouvoirs d’investigation Etendue et limites générales aux pouvoirs d’investigation
  • 4. Constitution Lois Arrêtés royaux Circulaires administratives Principes de bonne administration (majoritairement) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.1. Introduction – Intérêt du droit international – Droits de l’Homme Hiérarchie des normes nationales
  • 5. Const. Lois Arrêtés royaux Circulaires administratives Principes de bonne administration (majoritairement) Droit international : CEDH, Charte européenne des droits fondamentaux, principes généraux du droit international,… Primauté du droit international CEDH jouit de : - La primauté sur le droit interne - L’applicabilité directe. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.1. Introduction – Intérêt du droit international – Droits de l’Homme
  • 6. 1.1. Introduction  Système d’imposition basé sur la collaboration du contribuable  Notamment : déclaration fiscale annuelle obligatoire (305 CIR92)  « Sanctions » en cas de défaut de collaboration :  amendes administrives et/ou pénales (444, 445, 449-459 CIR92) ;  possibilité de taxation d’office (351 CIR92) ;  ingérence plus importante de l’administration.  Les pouvoirs d’investigation permettent de pallier les défauts de collaboration éventuels => Pour établir l’impôt « l’administration peut avoir recours à tous les moyens de preuve admis par le droit commun » (340 CIR92)  Terreau fertile aux tensions entre l’intérêt général (la juste perception de l’impôt en vue d’assurer le bon fonctionnement de l’Etat) et les droits individuels (les droits fondamentaux tels que le droit à la propriété, à la vie privée ou encore à un procès équitable) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 7.  Etendue – Généralités  Communication (et rétention) des livres et documents « nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables » (315 à 315ter CIR92) même relatifs à la vie privée (Cass., 4 janvier 2007) ;  Demande de renseignements au contribuable « aux fins de vérifier sa situation fiscale » (316 CIR92) ;  Accès (« visite ») aux locaux « où des activités sont effectuées ou sont présumées être effectuées » pour « constater la nature et l’importance » de l’ activité du contribuable (319 CIR92) ;  Demande de renseignements aux tiers, aux banques, aux autorités étrangères et l’audition de témoins (322, 323, 338 et 325 CIR92).  Pouvoirs très étendus… mais pas illimités 1.1. Introduction I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 8.  Limites générales, notamment :  Principe de légalité (compétence liée, pouvoir à utiliser conformément au but que le législateur lui a fixé mais existence des principes de non-cloisonnement entre administrations et d’affectation universelle de l’information fiscale) ; Article 16, Constitution : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité » Article 170, § 1er Constitution : « Aucun impôt au profit de l'état ne peut être établi que par une loi » I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.1. Introduction
  • 9.  Limites générales, notamment :  Principe de légalité ;  Principes généraux de bonne administration (sécurité juridique et confiance légitime, impartialité, droits de la défense, fair-play, transparence, prudence, etc.) ;  Délais d’investigation, d’établissement et de recouvrement de l’impôt, formalisme procédural.  Limites spécifiques à chaque pouvoir d’investigation :  Exemple : Accès aux locaux habités uniquement entre 5h et 21h et moyennant l’autorisation préalable du juge de police.  Equilibre entre l’intérêt général et les droits des contribuables I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.1. Introduction
  • 10. 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ? Délais sans « préavis » Délais avec « préavis » Autres délais I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 11.  L’article 333 CIR92 fixe les délais d’investigation par renvoi aux délais d’imposition de l’artilce 354 CIR92 => MAIS délais d’investigation ≠ délais d’imposition  Point de départ des délais : 1er janvier de l’année qui désigne l’exercice d’imposition => ex. IPP et ISOC si clôture des comptes au 31.12 Période imposable = n revenus de l’année 2019 ou bilan au 31.12.2019 Exercice d’imposition = n + 1 exercice d’imposition 2020 I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
  • 12.  Délais sans « préavis » : période imposable en cours + 3 ans => Délais d’investigation pour les revenus 2019 ou bilan au 31.12.2019 Point de départ : 1er janvier 2020 Échéance (théorique) : 31 décembre 2022  En cas de clôture des comptes autrement que par année civile : prolongation du délai de 3 ans d’une période égale à celle qui sépare le 1er janvier de l’exercice d’imposition et la date de clôture des comptes  Délais d’investigation si clôture au 30.06.2019 (rev. 01.07.2018 au 30.06.2019) Point de départ : 1er janvier 2019 (E.I. = année clôture des comptes) Échéance (théorique) : 31 décembre 2021 + prolongation=>30 juin 2022 I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
  • 13.  Nouveau délai sans « préavis » : 7 ans En juillet 2017, l’article 333, al. 3 a été complété comme suit : « Lorsque les investigations sont réalisées à la demande d'un état avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition, ou avec lequel la Belgique a conclu un accord en vue de l'échange de renseignements en matière fiscale ou qui, avec la Belgique, est partie à un autre instrument juridique bilatéral ou multilatéral, pourvu que cette convention, cet accord ou cet instrument juridique permette l'échange d'informations entre les Etats contractants en matière fiscale, le délai d'investigation est, sans notification préalable et uniquement dans le but de répondre à la demande précitée, prolongé du délai supplémentaire de quatre ans ». I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
  • 14.  Délai avec « préavis » : 7 ans (4 ans supplémentaires au délai de 3 ans) Présence d’indices de fraude (qui se rapportent à la période contrôlée)  Condition prescrite à peine de nullité : le fisc doit avoir « notifié préalablement au contribuable, par écrit et de manière précise, les indices de fraude fiscale qui existent, en ce qui le concerne, pour la période considérée » (333, al. 3 CIR92)  Même lorsque les indices proviennent d’une administration fiscale étrangère (C. const., 16 mai 2013, n° 66/2013)  « Nouveau » : Même en cas d’investigations auprès d’un tiers ! Selon le fisc (Com. Ir. n°333/2) et une jurisprudence ancienne controversée de la Cour de cassation (Cass., 14 octobre 1999, Pas., 1999, I, n° 532, p. 1316, F.J.F., 1999, n° 99/279, p. 740, T.F.R., 2000, p. 182 et Cass., 18 novembre 2010, R.G. n° F.10.0001.F), « la notification préalable vise uniquement les investigations effectuées à l’égard du contribuable lui-même » et non celles menées auprès de tiers (même si elles concernent un contribuable déterminé). Revirement annoncé dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 12 février 2016 (F.14.0216.F), confirmé plus clairement dans son arrêt du 20 mai 2016 et admis par l’administration (Circ. 2017/C/34 du 8 juin 2017). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
  • 15.  Nouveau délai avec « préavis » : 10 ans (7 ans supplémentaires au délai de 3 ans ; Loi du 11 février 2019, M.B., 22 mars 2019) Conditions :  Faire usage d’une construction juridique située dans un paradis fiscal (un « Etat sur la liste des Etats à fiscalité inexistante ou peu élevée visée à l’article 307, §1er/2 , aliéna 3 »),  Sauf…. dans la majorité des cas ! C’est-à-dire « à l’exception des Etats avec lesquels a été conclue une Convention préventive de la double imposition et à condition que cette Convention ou un Traité assure l’échange des informations qui sont nécessaires afin d’exécuter les dispositions des lois nationales des Etats contractants »  Faire usage de cette construction juridique dans la but de « dissimuler l’origine ou l’existence du patrimoine »  A peine de nullité, avoir « notifié préalablement au contribuable, par écrit et de manière précise, les indices de fraude fiscale qui existent, en ce qui le concerne, pour la période considérée » (333, al. 3 CIR92) Ce nouveau délai d’investigation est également un nouveau délai d’imposition I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
  • 16.  Autres délais ?  Possibilité d’investigation en cas de réclamation du contribuable, max. 6 mois (354, al 4 CIR92)  Investigations et imposition encore possibles durant 24 mois en cas de renseignements obtenus de l’étranger (àpd du moment où ces renseignements arrivent à la connaissance du fisc belge) art. 333/2 CIR 92; EV 14.07.2016  Investigations encore possibles, en matière de précompte mobilier, durant 12 mois en cas d’infraction constatée dans les 5 ans de celle-ci (àpd du constat de l’infraction) art. 333/3 CIR92, EV 29.12.2017 I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.2. Délais d’investigation – 3 ans, 7 ans ou autre ?
  • 17. 1.3. Pouvoirs d’investigation Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92 Demande de renseignements et droit de se taire : 316 CIR92 Accès aux locaux et droit à la vie privée : 319 CIR92 Obligation des tiers 322 à 326 CIR92 I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 18.  315 CIR92 : obligation de « communiquer, sans déplacement, en vue de leur vérification, tous les livres et documents nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables »  L’administration ne peut exiger mais le contribuable peut accepter de lui apporter ses documents (cf. ci-après 316 CIR92).  Quels documents ? Tous ceux « nécessaires » à l’établissement de l’impôt :  Tous les livres et documents dont l’usage est obligatoire ;  Tous les documents comptables ;  Tout document de nature à permettre la juste détermination des revenus imposables (même relatifs à la vie privée; Cass., 4 janvier 2007) : Exemples : tickets de caisse (Z), état récapitulatif, extraits bancaires, correspondance commerciale, bons de commande, bons de livraison, feuilles de route du personnel, fiches de paie, agenda, les emails (suivant jurisprudence) , etc. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 19.  315 CIR92 : obligation de « communiquer, sans déplacement, en vue de leur vérification, tous les livres et documents nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables » Remarques :  Comprend les livres et documents relatifs aux comptes détenus à l’étranger ;  Obligation de conserver les documents au moins 7ans : « jusqu’à l’expiration de la septième année ou du septième exercice comptable qui suit la période imposable » (315, al. 3 CIR92) => !!! Obligation + longue en cas de pertes reportées, 7 ans après la dernière annuité d’amortissement d’un bien d’investissement, 15 ans pour les biens d’investissement susceptibles de révision TVA durant 15 ans ;  Sanctions de la non communication : sanctions générales + possibilité de taxation d’office I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 20.  315bis CIR92 : Lorsque le contribuable tient sa comptabilité via « un système informatisé ou […] tout autre appareil éléctronique » :  Al. 1er : « obligation, lorsqu'elle en est requise par l'administration, de communiquer, sans déplacement, les dossiers d'analyse, de programmation et d'exploitation du système utilisé, ainsi que les supports d'information et toutes les données qu'ils contiennent »  But : se faire une idée de la conception du système, du nombre, de la nature et du contenu des fichiers et programmes, de la périodicité de traitement,… + examiner la crédibilité du standard informatique utilisé  Al. 2 : « Les données enregistrées sur des supports informatiques doivent être communiquées sous une forme lisible et intelligible. »  Al. 4 : délai de conservation de la doc. « relative aux analyses, à la programmation et à l'exploitation de systèmes informatisés ou de tout autre appareil électronique, expire à la fin de la septième année ou du septième exercice comptable qui suit la période imposable pendant laquelle le système décrit dans cette documentation a été utilisé » I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 21.  315bis CIR92 : Lorsque le contribuable tient sa comptabilité via « un système informatisé ou […] tout autre appareil éléctronique » :  Al. 3 : obligation de toute personne, « lorsqu’elle en est requise par l’administration […] d’effectuer sur son matériel, en présence des agents de l’administration, des copies, dans la forme que les agents souhaitent, de tout ou partie des données précitées, ainsi que les traitements informatiques jugés nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables […] ».  Al. 5 : « Les obligations du présent article sont également d’application lorsque les données requises par l’administration sont situées digitalement en Belgique ou à l’étranger »(ajout L.-p., 1er juillet 2016).  But : éviter les contestations lorsque les données sont logées sur un serveur situé à l’étranger (Cloud). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 22.  Durant de nombreuses années, importantes controverses quant à la possibilité, pour l’administration, d’emporter les livres et documents.  La jurisprudence majoritaire acceptait qu’ils soient emportés avec l’accord du contribuable  Intervention du législateur avec l’adoption de l’article 315ter CIR92.  315ter CIR92 : Depuis le 10 janvier 2014, l’administration (comme en TVA) « a le droit de retenir les livres et documents, qui doivent être communiqués conformément à l’article 315, chaque fois qu’[elle estime] que ces livres et documents sont nécessaires pour déterminer le montant des revenus imposables du contribuables ou des tiers. Ce droit ne s’étend pas aux livres qui ne sont pas clôturés. La rétention visée à l’alinéa 1er fait l’objet d’un procès-verbal de rétention qui fait foi jusqu’à preuve du contraire. Une copie de ce procès-verbal est délivrée à la personne visée à l’alinéa 1er dans les cinq jours ouvrables qui suivent celui de la rétention. » I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 23.  315ter CIR92 : Droit de rétention des livres et documents  Circulaire AGFisc n° 26/2014 du 27 juin 2014 :  La rétention ne doit pas devenir automatique et doit être appliquée avec précaution  Le principe reste la communication sans déplacement des livres et documents qui peuvent être examinés chez le contribuable  Le PV de rétention doit contenir l’inventaire précis des documents emportés + être daté + indiquer les motifs de la rétention + reprendre l’ID et la signature de l’agent compétent qui a dressé le PV  Dans l’attente de ce PV (5 jours ouvrables), le contribuable peut demander un accusé de réception mentionnant sommairement les documents emportés I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 24.  Différence entre livres et documents « papiers » et « informatisés » ?  Droit d’emporter les livres et documents papiers non clôturés vs. droit de prendre copie des livres et documents informatisés (et non d’emporter les ordinateurs eux- mêmes) ;  En cas de copie de données informatisées, pas d’obligation pour l’administration d’établir un inventaire des données copiées emportées => la circulaire AGFisc n° 26/2014 du 27 juin 2014 le recommande toutefois. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 25.  Avant l’adoption du droit de rétention :  Mons, 10 mai 2012 (RG 2006/RG/259) : - Contrôle IPP durant lequel le fisc emporte des documents sans en réaliser l’inventaire. - Pour la Cour, « l'absence d'inventaire, même si celui-ci n'était pas obligatoire, met tant le contribuable que la Cour dans l'impossibilité de connaître son contenu exact et de constater que toutes les pièces emportées furent intégralement restituées. Pour la Cour, il n'est pas nécessaire d'envisager que des pièces aient été subtilisées mais simplement qu'elles aient pu être égarées. » - « Cette absence d'inventaire implique d'autant plus une méconnaissance des droits de la défense [pièces en faveur du contribuable peut-être pas restituées] que les rectifications opérées par l'administration résultent d'un défaut de pièces probantes. »  Annulation de la cotisation I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 26.  Avant l’adoption du droit de rétention :  Bruxelles, 26 mai 2010 (RG 2008/AR/2099) : - Un contribuable remet des pièces justificatives des ses frais professionnels (49 CIR92) à l’administration dans le cadre de l’instruction de sa réclamation. - Il affirme que celles-ci ne lui ont pas été restituées en intégralité et, partant, qu’il ne peut se défendre. - Pour la Cour, « en l’absence d’inventaire, contresigné par les deux parties, des pièces remises par M. B à l’administration, il est impossible de déterminer si l’administration a effectivement perdu certaines de ces pièces, puisqu’il n’est pas contesté par M. B qu’à tout le moins une partie des pièces lui a été restituée dans la suite de la procédure. Quand bien même l’administration aurait égaré certaines des pièces qui lui avaient été confiées par M. B, cette circonstance ne permet pas d’entraîner la nullité ou le dégrèvement de tout ou partie des cotisations contestées, étant donné que la loi fiscale est une matière d’ordre public, que l’article 49 CIR 1992, en cause en l’espèce, impose au contribuable la charge de la preuve […]»  Maintien de la cotisation  Toujours garder copie des pièces communiquées au fisc et/ou en dresser l’inventaire I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 27.  Quid si l’administration demande l’envoi de livres et document dont la communication est en principe requise « sans déplacement » ?  Cass. 21 novembre 2014 (R.G. F.13.0159.N) : L’administration « est libre de demander au contribuable de [lui fournir avec déplacement des documents] sur une base volontaire. [Ce qui] suppose en fait que cela ne se passe pas sous la menace de sanctions ». A défaut, la Cour précise que « les pièces envoyées sous la menace d'amendes administratives ou de sanctions pénales ne sont pas reçues légalement par l'administration ». => problématique des demandes de renseignements (cf. infra; 316 CIR92) et des preuves recueillies de manière illégale (cf. infra; Antigone) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Communication des documents
  • 28. 1.3. Pouvoirs d’investigation Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92 Demande de renseignements et le droit de se taire : 316 CIR92 Accès aux locaux et droit à la vie privée : 319 CIR92 Obligation des tiers 322 à 326 CIR92 I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 29.  Il découle du droit à un procès équitable (6 CEDH), le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. « Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de ″l’accusé″ » (Cour eur. D.H., Chambaz c. Suisse, arrêt du 5 avril 2012, n° 116663/04).  Le droit de se taire est un principe général de droit (Cass., 11 mars 1992, Pas., 1992, I, p. 618; C. Const., 25 janvier 2001, n° 4/2001, M.B., 10 février 2001, p. 3721).  L’article 316 CIR92 oblige néanmoins le contribuable à répondre aux demandes de renseignements de l’administration (sous peine de taxation d’office, d’amendes administratives ou pénales). 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 30.  Ratio legis : le terme « renseignements » visait des informations non complexes, des indications, de simples éclaircissements…  Le texte de loi permet toutefois à l’administration de demander tous les renseignements nécessaires/utiles (?) « aux fins de vérifier [la] situation fiscale » du contribuable (316 CIR92).  La demande peut porter sur : - « toutes les opérations auxquelles le contribuable a été partie » (317 CIR92) ; - Toutes les catégories de revenus ; - Tous les faits qui affectent positivement ou négativement la base imposable (nombre de personnes à charge, ampleur d’un handicap, état civil, etc.). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 31.  L’administration ne peut procéder à une fishing expedition (Anvers, 20 mai 2008)  Elle est (en interne) invitée à opérer de manière proportionnée eu égard à l’objectif poursuivi, à agir avec objectivité et modération (Ci.RH.81/548.628 (AFER21/2002) du 29 juillet 2002), proscrire les demandes en série trop générales (Com. IR., n° 316/2), etc.  Le contribuable doit répondre dans le mois (à compter du 3e jour ouvrable qui suit l’envoi de la demande)  Pour éviter la taxation d’office, les sanctions administratives et/ou pénales, le contribuable doit répondre avec :  précision : proscrire tout laconisme excessif qui pourrait être assimilé à une absence de réponse ;  adéquation : contester ou demander un délai supplémentairen’est pas répondre;  complétude : négliger une seule des questions vaut absence de réponse ;  cohérence : se contredire lors de demandes successives peut révéler un refus. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 32.  Le contribuable peut-il invoquer le droit de se taire ?  Le droit de se taire n’existe que face à une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 CEDH. Les critères (historiques) de détermination du caractère pénal d’une accusation s’apprécient en fonction du caractère pénal (ou non) de la sanction potentiellement applicable. Une sanction revêt un caractère pénal dès lors qu’elle : - « [1.] concerne sans distinction tous les contribuables et non uniquement un groupe déterminé doté d’un statut particulier ; - [2.] prescrit un comportement déterminé et prévoit une sanction en vue de son respect ; - [3.] ne concerne pas seulement une réparation pécuniaire d’un préjudice mais tend essentiellement à sanctionner afin d’éviter la réitération d’agissements similaires ; - [4.] se fonde sur une norme à caractère général dont le but est à la fois préventif et répressif ; - [5.] est très sévère eu égard à son montant ». (Cass., 25 mai 1999, Pas., 1999, p.739 compilant les critères Engel et Bendenoun, Cour. Eur. D.H., Engel et autres c. Pays-Bas, arrêt du 8 juin 1976, série A, n° 22 et Bendenoun c. France, arrêt du 24 février 1994, série A, n° 28). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 33.  Aujourd’hui, une sanction sera généralement considérée comme pénale dès qu’elle est dissuasive et/ou punitive (Cour eur. D.H., Chambaz c. Suisse, arrêt du 5 avril 2012, n° 116663/04, ; C. const., 3 avril 2014, n° 61/2014, R.G. 5626 ; C. const., 27 mars 2014, n° 55/2014, R.G. 5807 ; Cass., 10 septembre 2010, F.09.0121.N). Son importance effective (sévérité) n’apparait plus être un critère prépondérant.  Nature des sanctions en cas de défaut de collaboration ?  Amende administrative et pénale => caractère pénal  Accroissement d’impôts => caractère pénal (cela ne fait plus aucun doute, et ce, même pour l’accroissement de 10 % contrairement à ce qu’affirme le Ministre des Finances dans son plan d’action pour lutter contre la fraude fiscale du 3 décembre 2015 : voy. Cass., 13 novembre 2015, RG no F.14.0119.F; C. Const., 3 avril 2014, n° 61/2014, R.G. 5626 en matière d’I.R. et, en matière de TVA, C. Const., 6 novembre 2008, n° 157/2008, R.G., 4467 et 21 février 2013, n° 13/2013, R.G. n° 5321).  Taxation d’office ? => sanction dans la perception du contribuable mais il ne s’agit que d’un mode spécial d’imposition I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 34.  Pour pouvoir invoquer le droit de se taire, encore faut-il être en présence d’une « accusation » en matière pénale (au sens de l’article 6 CEDH).  Evolution du concept d’accusation : De la nécessité d’une « notification officielle » => À la simple « connaissance par le contribuable du fait que son comportement est de nature infractionnelle c’est-à-dire qu’il est de nature à engendrer une sanction de la part des autorités » ? De l’impossibilité d’invoquer le droit de se taire lors de la phase d’établissement de l’impôt => Faculté d’invoquer le droit de se taire à tout moment puisque le droit fiscal belge est toujours – au moins potentiellement – empreint d’un caractère pénal ?  Entre ne jamais devoir collaborer et toujours devoir collaborer, le droit de se taire semble devoir s’apprécier au cas par cas à la lumière du principe de proportionnalité (en tenant compte notamment des garantie procédurales effectives offertes au contribuable). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 35.  Lecontribuablesemble toujours fondé à exercer son droit au silence lorsque:  l’administration exerce ses pouvoirs d’investigation dans le délai extraordinaire d’investigation (sept ans), puisque l’usage de celui-ci nécessite l’envoi par l’administration des indices de fraude qui justifient son emploi (art. 333, al. 3 CIR92) ;  l’administration envisage d’interroger une banque, puisqu’elle doit, au préalable, informer le contribuable de ou de(s) indice(s) de fraude qui justifie(nt) cette interrogation (322 et 333/1 CIR92) ;  le contribuable fait, parallèlement à l’enquête fiscale, l’objet d’une procédure pénale qui, elle, lui permet assurément d’invoquer le droit de se taire ;  le contribuable reçoit une demande de renseignements de laquelle il ressort clairement que l’administration cherche à collecter tous les éléments nécessaires pour établir une infraction au CIR 92. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 36.  Effectivité réelle ou virtuelle du droit de se taire : - vu la possibilité de taxation d’office en cas de silence ; et - vu que seule la sanction (càd en principe à l’exclusion de l’imposition elle-même), peut être affectée par la violation du droit au silence ?  Pour les juridictions liégeoises (uniquement à notre connaissance hormis un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 4 décembre 2014), l’exercice du droit au silence ne peut être « pénalisé d’une quelconque manière, et notamment [pas] par le recours à la taxation d’office » (Liège, 31 mars 2010, J.D.F, 2010, n° 9/2010, p. 313, Fiscologue, 2010, n°1205, p. 1, Cour. fisc., 2010/467, R.G. 2008/RG/1012. Dans un sens comparable, voy. Liège, 3 décembre 2008, R.G.C.F., 2009, n°2009/3, p. 250 et Trib. Liège, 23 mars 2006, R.G. n°03/3968/A).  La jurisprudence européenne évolue. Ainsi, si la Cour eur. D.H. refusait d’appliquer l’article 6.1. CEDH à la procédure d’établissement de l’impôt, dans son arrêt Chambaz de 2012 la Cour a étendu la protection de l’article 6.1. CEDH à l’ensemble de la procédure fiscale dès lors qu’elle revêt, même partiellement ou juste potentiellement, un caractère pénal. Les conséquences de la violation du droit de se taire semblent désormais pouvoir s’étendre à l’impôt lui-même. (Cour. eur. D.H., Chambaz c. Suisse, arrêt du 5 avril 2012). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 37.  Commission Panama Papers : volonté de réduire les possibilités pour le contribuable de se taire A suivre… I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 6 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 38.  Rappel : Quid si l’administration demande, dans le cadre d’une demande de renseignements (316 CIR92), l’envoi de livres et document dont la communication est en principe requise « sans déplacement » (315 CIR92) ?  Cass. 21 novembre 2014 (R.G. F.13.0159.N) : L’administration « est libre de demander au contribuable de [lui fournir avec déplacement des documents] sur une base volontaire. [Ce qui] suppose en fait que cela ne se passe pas sous la menace de sanctions ». A défaut, la Cour précise que « les pièces envoyées sous la menace d'amendes administratives ou de sanctions pénales ne sont pas reçues légalement par l'administration ». => problématique des preuves recueillies de manière illégale (cf. infra; Antigone) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 39.  Depuis l’arrêt du 21 novembre 2014 de la Cour de cassation précité, l’administration a adapté son formulaire de demande de renseignements (formulaire 322) en précisant notamment ce qui suit : I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Demande de renseignements et droit de se taire
  • 40.  La vérification des documents à communiquer (315 à 315ter CIR92) et demandes de renseignements (316 CIR92) « peuvent porter sur toutes les opérations auxquelles le contribuable a été partie et les renseignements ainsi recueillis peuvent également être invoqués en vue de l’imposition de tiers » (317 CIR92) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Com. doc. + Dde de renseignements
  • 41. 1.3. Pouvoirs d’investigation Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92 Demande de renseignements et le droit de se taire : 316 CIR92 Accès aux locaux et droit à la vie privée : 319 CIR92 Obligation des tiers 322 à 326 CIR92 I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 42.  L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre le droit au respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile.  Les articles 15 et 22 de la Constitution consacrent également l’inviolabilité du domicile et le droit à la vie privée.  L’article 319 CIR92 permet néanmoins à l’administration de visiter :  Les locaux professionnels habituels du contribuable à toutes les heures où une activité s’y exerce (al. 1er) ;  Les « autres locaux » où une activité est exercée ou est présumée s’exercer (al. 2), et ce, à toute heure ;  Les locaux habités, ou mixtes, sur autorisation du juge de police et uniquement entre 5h et 21h (al. 2, in fine). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 43.  Accord du contribuable  Les contribuables «sont tenus d’accorder aux agents de l’administration […] le libre accès […] aux locaux professionnels » (319, al. 1er, CIR92).  « Les agents de l’administration […] peuvent réclamer le libre accès à tous les autres locaux […] où des activités sont effectuées ou sont présumées être effectuées » (319, al. 2 CIR92).  Il faut l’accord du contribuable. Le droit de visite n’est pas (encore?) un droit de perquisition. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 44.  Accord du contribuable qualifié  Seuls les contribuables (PP ou PM) sont tenus d’accorder l’accès à leurs locaux. En principe, l’administration ne peut requérir l’accord d’un employé, ouvrier, préposé, conjoint, membre de la famille (sauf si cette personne a expressément le pouvoir de représenter le contribuable concerné par la visite). Anvers, 31 mars 2009 (RG n° 2007/AR/3412) : « il est certain que seul le contribuable ou son mandataire est obligé de collaborer à un contrôle sur place des livres et documents au sens des articles 315, 315bis et 319 CIR92 […]. A moins qu’ils n’aient été mandatés par le contribuable en vue de le représenter à l’égard de l’administration fiscale, celle-ci ne peut s’adresser à des employés, préposés, conjoints ou membres de la famille du contribuable » (traduction libre)  Revirement de jurisprudence ? I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 45.  Accord du contribuable qualifié => Revirement de jurisprudence ? Bruxelles, 16 novembre 2016 (RG n° 2012/AR/899 ; arrêt rendu en matière de TVA et concernant la communication des livres et documents. Toutefois, Gand a rendu un arrêt similaire en matière d’impôt sur les revenus le 25 juin 2013 concernant le droit de visite) Contexte : - visite inopinée d’une société réalisée par l’ISI ; - une employée a laissé les agents de l’ISI entrer et leur a également remis une copie de certaines données informatiques(dont des données concernant/appartenant, selon l’assujetti, à des tiers ainsi que des données privées) ; - Le gérant, seul compétent (en principe) pour accorder l’accès au locaux et permettre une copie des données informatiques, est absent et injoignable. Il joue au golf et, comme à l’habitude dans ce cas, son GSM est éteint. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 46.  Accord du contribuable qualifié => Revirement de jurisprudence ? Bruxelles, 16 novembre 2016 (RG n° 2012/AR/899) Pour la Cour : - le contrôle « ne doit pas être interrompu ou suspendu jusqu'à ce que les personnes physiques qui sont compétentes d'après l'assujetti pour assister aux opérations de contrôle, puissent être atteintes et viennent sur place » (trad. libre) ; - l’employée n’a jamais refusé de collaborer, elle n’a pas indiqué ne pas être mandatée ni même que son règlement de travail lui interdirait cette collaboration.  Les agents de l’ISI pouvaient raisonnablement croire que l’employée était compétente pour communiquer copie des données demandées. Suivant cette jurisprudence  l’assujetti aurait ainsi l’obligation d’organiser sa collaboration avec l’administration de manière efficace et proactive. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 2.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 47.  Accord du contribuable qualifié => Revirement de jurisprudence ? Bruxelles, 16 novembre 2016 précité (rendu en matière de TVA) a été confirmé par l’arrêt du 25 janvier 2019 de la Cour de cassation : Pour la Cour de cassation : « la production des livres, factures et autres documents peut être faite valablement par l’organe de la personne morale compétent à cet effet ou par celui à qui la personne morale a donné mandat à cet effet ou de qui les agents pouvaient raisonnablement supposer qu’il était compétent à cet effet » (F.17.0039.N., somm.) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 48.  Commission L’agent taxateur doit être « muni d’une commission [aanstellingsbewijs] et [être] chargé d’effectuer un contrôle ou une enquête ». Doit-il présenter sa commission d’initiative et/ou pouvoir prouver qu’il était en sa possession lors du contrôle ? L’accord formel du contribuable suffit-il à la régularité de la visite ? Oui, selon la Cour de cassation, pour autant que cet accord ressorte indiscutablement du dossier administratif (Cass., 17 février 2005 et Cass. 18 septembre 2008). En toute hypothèse, l’agent doit se ménager la preuve qu’il a exercé son pouvoir d’investigation conformément à la loi (preuve d’avoir été en possession de sa commission lors le visite ou d’avoir reçu l’accord formel du contribuable). => En ce sens : Mons, 9 septembre 2015, RG 2012/RG/1098 (jurisprudence à ce jour isolée) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 49.  Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités Ratio legis : la visite de locaux professionnels habités ne dev(r)ait s’exercer que de manière exceptionnelle. Elle dev(r)ait être réservée aux cas de suspicion, sérieusement motivés, de « travail au noir » (Ch. 1980-1981, doc. 716, n°1 cité par le Com. IR., n° 319/11). Le texte de loi ne se limite néanmoins pas à ces cas exceptionnels. « L’intervention préalable d’un magistrat indépendant et impartial constitue une garantie importante contre les risques d’abus ou d’arbitraire. Le juge de police dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation afin de déterminer si les circonstances qui lui sont soumises justifient une atteinte au principe constitutionnel de l’inviolabilité du domicile. L’autorisation qu’il délivre est spécifique. Elle concerne une enquête précise, vise une habitation déterminée et ne vaut que pour les personnes au nom desquelles l’autorisation est accordée. ». (C. Const., 27 janvier 2012, n° 10/2011, considérant B.6.2. en matière de droit de douanes et d’accise; dans le même sens voy. C. Cass., 27 mars 2012, F.J.F., 2013/204).  Un débat judiciaire contradictoire a posteriori doit permettre de vérifier le respect du principe de proportionnalité entre l’atteinte au droit fondamental de l’inviolabilité du domicile et l’objectif poursuivi par l’intrusion dans ledit domicile. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 50.  Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités  Généralement, il est considéré que l’accord du contribuable ne peut pallier l’absence d’autorisation du juge de police (Anvers, 12 novembre 1996, TPI Hasselt, 17 novembre 2010, Anvers, 4 décembre 2012).  Cependant, suivant la Cour de cassation, l’agent de l’administration qui n’a pas d’autorisation du juge de police « peut avoir accès à une habitation privée en vue d’une visite fiscale lorsque l’habitant l’y autorise » (Cass., 11 mars 2008, Pas., 2008, I, 664).  Pour d’autres Cours, l’autorisation et la motivation du juge de police est essentielle. Elle doit exister mais aussi être adéquate (voy. Gand, 13 juin 2017 et Mons, 15 septembre 2017, Fiscologue, n°1536 du 6 octobre 2017; !! C.Const, 12.10.2017) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 51.  Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités Gand, 13 juin 2017 (RG 2016/AR/63; TVA) :  La Cour a considéré que l’autorisation du juge de police était nulle. Elle était motivée mais sa motivation n’a pas été jugée adéquate.  Pour la Cour, l’accès à une habitation requiert, suivant le texte légal (63 CTVA, pendant de l’article 319 CIR92), qu’une activité taxable puisse y être présumée.  En l’espèce, l’autorisation ne permettait pas d’identifier les éléments fondant une telle présomption. L’autorisation était ainsi nulle. La Cour a dès lors considéré qu’il ne pouvait être tenu compte des éléments obtenus lors de la visite. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 52.  Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités Mons, 15 septembre 2017, (Fiscologue, n°1536 du 6 octobre 2017; IR)  La Cour d’appel de Mons a tenu le même raisonnement que la Cour d’appel de Gand précité, mais à l’impôt sur les revenus (319 CIR92).  En l’espèce, l’autorisation du juge de police ne comprenait pas d’élément permettant de présumer que du « travail au noir » était réalisé dans l’habitation. L’autorisation était donc, selon le tribunal, nulle.  Toutefois, la Cour a estimé que l’administration n’avait pas utilisé son droit d’accès aux locaux du contribuable (319 CIR92) mais uniquement son droit de contrôler les livres et documents du contribuable sans déplacement (315 CIR92). Ce dernier droit, suivant la Cour, ne demanderait pas d’autorisation du juge de police même s’il est exercé dans une habitation. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 53.  Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités Gand, 27 novembre 2018, (RG 2016/RG/1385; IR)  Des fonctionnaires de l’ISI annoncent leur souhait de consulter les livres et documents d’un contribuable sans déplacement (315 CIR92). Ils annoncent leur venue le 11.04.2011 au domicile du contribuable.  Lorsqu’ils pénètrent dans les lieux, ils constatent que le domicile du contribuable est, dès le couloir, un lieu de stockage de dizaines de milliers de cartes postales, bandes dessinées, timbres, etc.  Ils n’étaient pas muni d’une autorisation du juge de police. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 54.  Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités Gand, 27 novembre 2018, (RG 2016/RG/1385; IR): suite  Pour la Cour, « il convient d'établir une distinction claire entre l'application de l'article 315 du code des impôts sur le revenu (présentation des livres et documents par le contribuable) et celle de l'article 319 du code des impôts sur le revenu (droit de visite). Lorsque les agents de contrôle se rendent dans les locaux du contribuable afin d'obtenir la communication des livres et documents par le contribuable (article 315 du code des impôts sur le revenu 1992), il n'y a pas de "visite" fiscale, puisque les agents de contrôle ne vont pas chercher eux-mêmes les informations pertinentes, mais vont seulement dans les locaux afin d'obtenir ces documents, qui doivent être présentés par le contribuable, comme le prévoit explicitement l'article 315 du code des impôts sur le revenu 1992 qui, par ailleurs, prévoit aussi la présentation des livres et documents "sans déplacement". » (traduction libre).  L’autorisation du juge de police n’était ainsi pas, selon la Cour, nécessaire (précisons que la Cour constate également que le contribuable ne s’est pas opposé à l’accès à son domicile par l’ISI, de sorte que son accord implicite a été donné) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 55.  Autorisation préalable du juge de police pour les locaux habités  Il ressort des arrêts des 15 septembre 2017 et 27 novembre 2018 précités que les Cours d’appel de Mons et de Gand opèrent une distinction suivant que l’administration pénètre dans des locaux habités dans le cadre de l’article 315 CIR92 (communication des livres et documents sans déplacement) ou dans le cadre de l’article 319 CIR92 (droit de visite).  Il semble que, pour ces juridictions, la possibilité de consulter les livres et documents au domicile du contribuable serait un pouvoir d’investigation passif, tandis que le droit de visite serait un pouvoir actif (ce qui justifierait que l’autorisation du juge de police ne serait requise que dans ce cas).  Ces juridictions semblent ainsi reconnaître en droit de recherche active à l’administration sur base de l’article 319 CIR92… Cette position nous semble pouvoir être remise en cause vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 octobre 2017 (cf. infra). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 56.  Connaissance préalable de l’existence des lieux – Motivation Pour les « autres locaux […] où des activités sont effectuées ou sont présumées être effectuées », l’agent taxateur peut en « réclamer le libre accès » (319, al. 2 CIR92).  Cela suppose :  De motiver la décision de visiter de tels locaux ;  Une connaissance préalable et précise de l’existence de ces locaux, clairement identifiés dans la décision de visite. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 57.  Compétence liée – Finalité de la visite Le droit de visite permet de vérifier la situation du contribuable visité et non celle d’un tiers. Une visite réalisée dans le but de vérifier la situation d’un tiers relève d’un détournement de pouvoir. Dans un cas où l’ISI a demandé la communication de documents lors d’une visite réalisée dans le but, non pas de vérifier la situation du contribuable visité (Optima; un conseiller patrimonial), mais d’obtenir des régularisations de la part des clients de ce contribuable, le Tribunal de première instance de Gand a décidé que tous les éléments obtenus dans le cadre de cette visite devaient être écartés en raison d’un détournement de pouvoir (Trib. Gand, 11 juin 2013, F.J.F., 2013/227 ; Cour. fisc., 2013/475). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 58. Remarques :  TPI Anvers, 14 octobre 2016 : Le fait, pour un agent de l’administration, de jeter un œil sur le magnifique jacuzzi de son voisin ne s’assimile pas à une forme d’accès à une habitation privée nécessitant l’autorisation du juge de police... dans la mesure où le chemin, d’où le fonctionnaire a réalisé ses constatations, fait partie de l’espace public.  Cass., 14 décembre 2018 (F.18.0093.N) : L’administration observe, de manière répétée mais toujours depuis la voie publique, les livraisons d’un marchand de boissons soupçonné de « fournitures au noir ». Les fûts et bacs pleins livrés comme les vidanges reprises sont ainsi comptés et un CA supplémentaire est déterminé. Le marchand allègue que le fisc ne dispose pas d’un tel pouvoir d’investigation et que de tels agissements sont contraires au respect de sa vie privée. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 59. Remarques :  Cass., 14 décembre 2018 (F.18.0093.N) : suite Pour la Cour :  Le principe de légalité n’empêche pas, en principe, que l’administration puisse faire usage de moyens de preuve à la disposition de chacun, notamment en réalisant des constatations matérielles dans l’espace public ;  Une observation depuis l’espace public n’est pas contraire aux principes de bonne administration ni, en principe, au respect de la vie privée. Il revient toutefois au juge du fond d’apprécier in concreto la régularité de l’observation. Pour ce faire, il peut notamment tenir compte du lieu d’où les observations ont été faites, du caractère systématique ou non, permanent ou non des observations, de leur contexte et de l’attente raisonnable du contribuable quant au respect de sa vie privée;  En l’espèce, les juges d’appel ont considéré que le droit au respect de la vie privée n’était pas violé car :  Les agents du fisc n’ont rien vu d’autre que ce que tout citoyen aurait également pu voir;  et (ce qui est plus contestable) ce qu’ils ont observé ne relève pas de la vie privée. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 60. Droit de visite, de recherche active ou de perquisition ?  Le fisc peut-il consulter les livres et documents sans en requérir l’autorisation ? Dans son arrêt du 16 décembre 2003 (F.J.F., n°2004/117), la Cour de cassation avait précisé que :  l’article 63 CTVA (droit de visite) permet aux agents de la TVA d’« examiner les livres et documents qui s’y trouvent sans qu’ils ne doivent au préalable demander qu’on les leur communique » ;  alors que l’article 319 CIR92, ne le permet(tait) pas (dans le sens contraire, selon le législateur, voy.: Cass., 12 septembre 2008).  « Solution » : harmonisation de l’article 319 CIR92 avec l’article 63 CTVA (Loi, 19 mai 2010, M.B., 2e éd., 28 mai 2010) Depuis le 7 juin 2010, l’article 319 CIR92 prévoit que l’administration peut « examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux » visités.  Depuis C. const. 12 octobre 2017 (cf. infra), la nécessité d’obtenir l’autorisation du contribuable apparait toutefois clairement réaffirmée I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 61. Droit de visite, de recherche active ou de perquisition ?  L’administration peut-elle emporter les livres et documents ? Avant 2014, en principe non… mais oui selon une partie de la doctrine et de la jurisprudence (voy. not. Bruxelles, 6 mai 2014).  « Solution » : adoption d’un nouvel article 315ter CIR92 (pendant de l’article 61 CTVA) donnant à l’administration le « droit de retenir les livres et documents » (Loi, 21 décembre 2013, M.B., 31 décembre 2013). Depuis le 10 janvier 2014, l’administration peut examiner les livres et documents qui se trouvent dans les lieux visités ET les retenir (ndlr : les emporter). 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 62. Droit de visite, de recherche active ou de perquisition ?  Les agents peuvent-ils dès lors ouvrir des armoires fermées, se saisir de marchandises, faire appel à un serrurier pour ouvrir un local fermé, etc. ?  Aucun pouvoir de recherche active ne peut être déduit du texte de loi ni des travaux parlementaires.  Au contraire, l’accord du contribuable apparait essentiel. En cas de refus, l’administration ne peut pas forcer la visite ; elle n’a pas un pouvoir de perquisition et ne peut qu’appliquer des amendes administratives ou pénales en cas de défaut de collaboration. Pourtant, une partie de la jurisprudence semble attribuer aux agents de l’administration fiscale un « droit de recherche active » (Gand, 27 novembre 2018, RG 2016/RG/1385; Mons, 15 septembre 2017, Fiscologue, n°1536; Anvers, 14 juin 2016, RG 2014/AR/2248; Gand, 21 janvier 2014, RG n°2012/AR/1454 ; Trib. Anvers, 2 février 2014, F.J.F., 2014/163 ; Trib. Bruxelles, 17 janvier 2012, T.F.R., 2012, 417, p. 2380 ; Trib. Bruges, 26 octobre 2011, Act. Fisc., 2011, 43, p. 15.) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 63. Bilan  Q.P. orale n° 2379 de Monsieur Van Biesen du 20 mars 2014 (Ch., Compte rendu intégral, 2013-2014, CRIV 53 PLEN 191, p. 17) : « Les discussions sur la portée réelle du droit de visite des agents du fisc démontrent que le gouvernement doit édicter des règles précises en la matière à respecter impérativement par les agents de l'administration fiscale dans l'exercice de leur mission de contrôle. Ces règles n'existent plus et le fisc s'aventure parfois à sonder les limites de ses attributions. Le pouvoir judiciaire est certes indépendant, mais lorsque des décisions judiciaires vont dans le mauvais sens, le pouvoir législatif doit intervenir. De récentes décisions judiciaires ont suscité un vif émoi. La sécurité juridique est profondément compromise. Toute requête de perquisition doit obtenir l'assentiment d'un juge d'instruction. En revanche, le fisc et l'Inspection Spéciale des Impôts peuvent se contenter d'en référer à la hiérarchie de leur propre service. Les relations entre l'administration fiscale et les contribuables sont profondément ébranlées. […] Des solutions sont envisageables. Si les contribuables doivent être traités avec équité, ce principe implique que les contrôleurs doivent disposer de directives claires. De plus, il convient de modifier la loi et de rédiger des circulaires délimitant très strictement les compétences d'enquête du fisc et soumises à l'approbation du politique. […] » I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 64.  Le droit interne (art. 15 et 22 Constitution) n’apparait pas avoir un impact majeur sur le droit de visite de l’administration fiscale  Quid de l’article 8 CEDH ? « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 65.  Quid de l’article 8 CEDH ?  « Domicile » et « vie privée » au sens de l’article 8 CEDH (notion autonome)  CEDH, Niemietz c. Allemagne, 16.12.1992: « Il paraît, en outre, n’y avoir aucune raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de vie privée comme excluant les activités professionnelles ou commerciales : après tout, c’est dans leur travail que la majorité des gens ont beaucoup, voire le maximum d’occasions de resserrer leurs liens avec le monde extérieur ».  CEDH, Peev c. Bulgarie, 26.07.2007 (rappel de CEDH, Chappell c. Royaume-Uni, 30 mars 1989 ; Niemietz, précité ; CEDH, Funke c. France, 25 février 1993 et CEDH et Crémieux c. France, 25 février) 1993) : « une perquisition effectuée dans un local professionnel ou dans le bureau d'une personne exerçant une profession libérale s'analys[e] en une atteinte au droit au respect non seulement de la vie privée mais aussi du domicile de l'intéressé ». I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 66.  Droit de visite contraire au respect de la vie privée ? (8 CEDH) Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’ingérence dans la vie privée est permise lorsqu’elle respecte :  le principe de légalité : elle doit être prévue par une loi claire, précise et accessible ;  le principe de légitimité : elle doit reposer sur un but légitime qui, en droit fiscal, est le bien-être économique de l’État ;  le principe de proportionnalité : l’ingérence doit être nécessaire à la réalisation du but légitime visé.  Concrètement, toute ingérence est permise pour autant qu’elle soit entourée d’un minimum de précautions/garanties assurant sa proportionnalité au but qu’elle poursuit.  Un contrôle juridictionnel préalable qui permet de contester la légalité d’une ingérence semble à cet égard essentiel (C. Const., 14 février et 14 mars 2013, nos 6/2013 et 39/2013). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 67.  Tel qu’appliqué actuellement, l’article 319 CIR92 est-il compatible avec l’article 8 CEDH?  La distinction belge entre domicile privé (habitation) et domicile professionnel est- elle compatible avec l’article 8 CEDH ? Autrement dit, l’autorisation préalable du juge de police ne devrait-elle pas être requise pour visiter tout domicile (privé ou professionnel) ?  Les principes de légitimité et de proportionnalité sont-ils respectés lorsque l’administration procède à une visite sans indice sérieux de fraude (>< Com. IR 319/11 à 319/13 et à l’intention du législateur) voire uniquement pour contrôler l’application de la loi fiscale (et non pour collecter des preuves de la fraude présumée) ? (cf. C. Const. , 12 octobre 2017)  L’article 319 CIR92 respect-il le principe de légalité (clarté >< insécurité) vu les controverses doctrinales et jurisprudentielles qu’il suscite ? I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 68.  La Cour constitutionnelle a été invitée à préciser les contours du droit de visite du fisc. Le 2 septembre 2016, elle a été saisie de la question préjudicielle suivante : « L'article 319, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 et l'article 63, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée violent-ils le droit à l'inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée, garantis par les articles 15 et 22 de la Constitution belge et par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, s'ils sont interprétés en ce sens qu'ils confèrent aux agents compétents de l'administration fiscale un droit général, inconditionnel et illimité, de libre accès aux locaux professionnels mentionnés dans ces articles, ce qui permet à ces agents, sans autorisation préalable, de visiter et de fouiller ces locaux et de réaliser d'autres actes faisant penser à une perquisition pénale, en vue d'examiner les livres et les documents qui s'y trouvent, que cette visite ait pour but de contrôler l'application de la législation fiscale ou de constater des infractions fiscales pénalement sanctionnées ? ». (R.G. n°6503, M.B., 10 octobre 2016) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 69.  Par arrêt du 12 octobre 2017 (n°116/2017), la Cour constitutionnelle indique que le droit de visite prévu aux articles 319 CIR92 et 63 CTVA est conforme au droit à la vie privée => Mais seulement SI les limites/conditions d’exercice de ce pouvoir d’investigation sont respectées. Elle rappelle notamment que :  Les articles 319 CIR92 et 63 CTVA : « n’autorisent […] pas les agents compétents à se procurer par la contrainte un accès aux locaux professionnels lorsque cette coopération obligatoire est refusée » (B.10.2.);  « Une interprétation raisonnable de l’obligation de coopération commande que l’administration fiscale ne soit pas tributaire du choix du contribuable de déterminer quels documents il permet de consulter et que le contribuable soit également tenu de coopérer afin d’ouvrir par exemple des armoires ou coffres fermés. Les dispositions en cause n’autorisent toutefois pas les agents compétents à exiger la consultation des livres et documents en question si le contribuable s’y oppose » (B.11.3.); I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 70.  C. Const., 12 octobre 2017 (n°116/2017) – suite  « les agents compétents ne disposent pas, lors d’une visite fiscale, d’un droit général, inconditionnel et illimité de libre accès aux locaux professionnels. » (B.12.);  « Les agents qui procèdent à la visite fiscale doivent cependant être en possession d’une commission » (B.13.3.) ;  « la visite fiscale est liée à un objectif et doit avoir lieu dans les limites indiquées dans les dispositions en cause en ce qui concerne le moment et l’objet du contrôle et la nature des locaux. Lorsque les agents compétents excèdent les limites de leur pouvoir d’investigation, ceux-ci commettent un détournement de pouvoir ou un excès de pouvoir, ce qui peut, le cas échéant, impliquer que la visite est entachée de nullité. »(B.15.1). I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE 1.3. Pouvoirs d’investigation – Accès aux locaux et vie privée
  • 71. 1.3. Pouvoirs d’investigation Communication (et rétention) des documents : 315 à 315ter CIR92 Demande de renseignements et le droit de se taire : 316 CIR92 Accès aux locaux et droit à la vie privée : 319 CIR92 Obligation des tiers et secret bancaire : 322 à 326 CIR92 I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 72. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)  Investigations concernant un contribuable déterminé : «§ 1er. L'administration peut, en ce qui concerne un contribuable déterminé, recueillir des attestations écrites, entendre des tiers, procéder à des enquêtes et requérir, dans le délai qu'elle fixe, ce délai pouvant être prolongé pour de justes motifs, des personnes physiques ou morales, ainsi que des associations n'ayant pas la personnalité juridique, la production de tous renseignements qu'elle juge nécessaires à l'effet d'assurer la juste perception de l'impôt. L'administration peut, en ce qui concerne un contribuable déterminé, consulter le registre des bénéficiaires effectifs, dénommé registre U.B.O., tenu au sein de l'administration générale de la trésorerie et créé par l'article 73 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces, afin d'assurer la juste perception de l'impôt. Le Roi détermine les conditions et les modalités de cette consultation. [alinéa inséré par loi du 26 mars 2018] Toutefois, le droit d'entendre des tiers, de consulter le registre U.B.O. et de procéder à des enquêtes ne peut être exercé que par un agent ayant un titre supérieur à celui d'attaché [précédemment contrôleur]. […] I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 73. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)  Investigations concernant un contribuable déterminé  Tiers visés: les relations professionnelles (fournisseurs, clients, créanciers, débiteurs) ou toute autre personne susceptible de fournir des renseignements permettant l’exacte perception de l’impôt.  Mise en œuvre en pratique :  lorsque le contribuable néglige de répondre ou;  les renseignements semblent douteux ou;  soupçons de fraude. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 74. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)  Investigations concernant un contribuable non nominativement désigné : « L’administration peut également requérir des personnes physiques ou morales, ainsi que des associations n’ayant pas la personnalité juridique, dans le délai qu’elle fixe, ce délai pouvant être prolongé pour de justes motifs, la production, pour tout ou partie de leurs opérations ou activités, de renseignements portant sur toute personne ou ensemble de personnes, même non nominativement désignées, avec qui elles ont été directement ou indirectement en relation en raison de ces opérations ou activités » (323 CIR92)  Ne permet pas un droit général d'enquête => Pas de fishing expedition I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 75. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)  323 CIR92 => Pas de fishing expedition TPI Anvers, 2 février 2018 (trois jugements) :  L’ISI souhaitait identifier les contribuables qui, pour dissimuler leur patrimoine, utiliseraient des cartes bancaires étrangères lors de leurs transactions belges. A cette fin, elle a interrogé des sociétés offrant des services de paiements électroniques (PSP).  Ces PSP devaient lui fournir toutes leurs données relatives aux transactions réalisées en Belgique avec des cartes de paiement étrangères courant 2015 et 2016. Avec ces données, l’ISI aurait ensuite isoler les cartes suspectes (celles utilisées par des résidents belges et non des touristes), tenter d’identifier leur titulaire, pour enfin contrôler leur situation fiscale.  Les PSP ont refusé de répondre à l’ISI. Pour elles, la demande du fisc violait (i.) le principe de finalité attaché au pouvoir accordé au fisc d’interroger les tiers, (ii.) le droit à la vie privée, (iii.) le secret bancaire et (iv.) manquait de proportionnalité.  Le tribunal ne s’est pas prononcé sur le secret bancaire. Par contre, dans ses trois décisions, il a suivi tous les autres moyens de défense précités des PSP. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 76. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)  323 CIR92 => Pas de fishing expedition – TPI Anvers, 2 février 2018 (trois jugements) : suite  Concernant le principe de finalité, l’article 323 CIR92 permet au fisc de demander aux tiers la production « de renseignements portant sur toute personne ou ensemble de personnes, même non nominativement désignées, avec qui elles ont été directement ou indirectement en relation ».  Ce pouvoir d’investigation est particulièrement large mais pas illimité. Bien que cet article 323 ne le précise pas, le tribunal rappelle qu’il permet au fisc de solliciter uniquement des renseignements présentant un « certain intérêt fiscal ». Ils doivent présenter une pertinence vraisemblable pour assurer l’exacte perception de l’impôt.  En l’espèce, une partie importante des renseignements demandés (celle concernant les transactions réalisées par des touristes) ne présentait pas une telle pertinence. Pour le tribunal, le fisc a utilisé son pouvoir d’investigation dans un autre but que celui envisagé par le législateur. Il est allé à la pêche aux renseignements et a ainsi commis un excès de pouvoir. Conclusion, les PSP avaient bien le droit d’ignorer sa demande. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 77. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)  Audition de témoins : « Le contribuable est convoqué par lettre recommandée à la poste pour assister à l’audition des témoins. Ceux-ci ont l’obligation de déposer sur tous les actes et faits à leur connaissance dont la constatation peut être utile à l’application des lois fiscales aux faits en litige. Leur déposition est précédée du serment prévu à l’article 934 du Code judiciaire. La preuve contraire sera de droit. » (325 CIR92) « Il est dressé procès-verbal des déclarations des témoins et, si le contribuable le désire, des déclarations de ce dernier. Le procès-verbal est, après lecture, signé par les témoins et le contribuable. Leur signature est précédée des mots manuscrits « Lu et approuvé ». Si l’un des intéressés refuse de signer, mention en est faite au procès-verbal qui précise le motif du refus. Copie certifiée conforme du procès-verbal est notifiée au contribuable dans les huit jours de sa date » (326 CIR92) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 78. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers (322 à 326 CIR92)  Et le secret bancaire ? Evolutions annoncées => Commission Panama Papers : Rapport final signé par la majorité fin septembre 2017 : peu de changements Amendements de l’opposition : changements radicaux En discussion depuis …  Le secret bancaire aujourd’hui, en bref :  Principe : le fisc ne peut pas recueillir de renseignements auprès d’un établissement financier en vue d’imposer l’un de ses clients, sauf présomption d’un mécanisme de fraude ou de sa préparation (intention frauduleuse dans le chef de la banque) (318 CIR92)  Une loi de 2011 a toutefois apporté trois exceptions à ce principe (322, § 2 CIR92)  Possibilité d’interroger une banque au sujet d’un contribuable déterminé :  (i.) lorsque le fisc dispose d’au moins un indice de fraude le concernant ;  (ii.) lorsque le fisc envisage de l’imposer via la procédure de taxation indiciaire ;  (iii.) lorsqu’un Etat étranger le requiert dans le cadre, notamment, de l’« assistance mutuelle » entre Etats. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 79. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers et secret bancaire  « Procédure par paliers » (322 § 2 et 333/1 CIR92) pour effectivement lever le secret. Chaque palier de cette procédure offre au contribuable des garanties contre de possibles abus du fisc et, surtout, une possibilité de réagir.  En cas d’indice de fraude ou de taxation indiciaire envisagée (donc hors hypothèse d’une demande émanant d’un Etat étranger ; (voy. cependant : C. Const., 13 mai 2013, n° 66/2013), la procédure par paliers se résume comme suit :  Le contrôleur fiscal doit interroger le contribuable lui-même. Demander les informations bancaires souhaitées + informer qu’à défaut de réponse satisfaisante, possibilité d’interroger la banque elle-même;  A défaut de réponse appropriée du contribuable, l’agent contrôleur (ayant au moins un titre d’attaché – équivalent de l’ancien grade d’inspecteur) peut obtenir l’autorisation d’interroger la banque auprès de son supérieur hiérarchique (lequel doit au moins avoir le titre de conseiller – équivalent de l’ancien grade de directeur)  Si autorisation reçue, obligation d’informer le contribuable de la demande adressée à la banque + des motifs qui la justifient. Sauf si les droits du Trésor sont en péril, cette information doit se faire simultanément à l’envoi de la demande de renseignements à la banque. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 80. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers et secret bancaire  En parallèle (322, § 3 CIR92) et dès lors que le supérieur hiérarchique précité constate que le contrôle fiscal a révélé la présence d’un ou de plusieurs indices de fraude, il peut interroger le point de contact central (PCC tenu par la Banque Nationale de Belgique).  Les banques lui communiquent, une fois par an, l’identité de leurs clients ainsi que leurs numéros de comptes, les mandataires éventuels de ces comptes et la nature des contrats conclus. En consultant ce PCC, le fisc peut ainsi identifier l’ensemble des comptes bancaires d’un contribuable déterminé, à charge pour lui d’interroger ensuite, le cas échéant, les banques concernées.  Pour notre Cour constitutionnelle (C. Const., 14 février 2013, n° 6/2013, RG 5233, 5235 et 5236 et C. Const., 14 mars 2013, n°39/2013, RG 5385), l’ingérence dans la vie privée du contribuable qu’implique la levée du secret bancaire est acceptable vu, notamment, l’intervention obligatoire d’agents expérimentés et la procédure par paliers. Ce qui apparait essentiel à la Cour est la possibilité qu’elle offre au contribuable « de réagir et de contester la légalité » de la levée du secret bancaire devant les Cours et Tribunaux. I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 81. 1.3. Pouvoirs d’investigation – Obligation des tiers et secret bancaire  Autres dérogations au secret bancaire :  Réclamation (374 CIR92)  Recouvrement (319bis CIR92)  Surséance indéfinie : (413quater CIR92)  CPDI Etats-Unis – Belgique de 2006 (art. 25 §§3 et 5) + les nouvelles CPDI et CPDI modifiées depuis ;  Directive épargne ;  CRS (Common Reporting Standards)  Enquête pénale (instruction) => accès au dossier donné au fisc sur autorisation du ministère public (327 CIR92)  Demandes en matière de TVA (61 CTVA), de droits d’enregistrement (183 C. enr.) ou de droits de succession (100 C. succ.)  Communication entre les différentes administrations du SPF Finances (335 et 336 CIR92 ; ne peut être un détournement de procédure) I. INVESTIGATIONS ET CONTRÔLE
  • 82. II. SORT DES PREUVES COLLECTÉES ILLÉGALEMENT Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.1. Historique : le rejet des preuves illégales remis en cause 2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal. 2.3. Perspectives : « Ancrage ou Requiem ? » 2.4. Antigone : Nuances et limites
  • 83.  Arrêt de principe de la Cour de cassation du 12 mars 1923 : le juge ne peut pas prendre en compte les preuves recueillies de manière illégale  Confirmation de cette jurisprudence pendant 80 ans (léger fléchissement dans les années 90)  Le juge doit exclure du débat judiciaire les preuves recueillies de manière illégale et tout ce qui en découle => théorie des fruits de l’arbre empoisonné  Arrêt (pénal) de la Cour de cassation du 14 octobre 2003 : « Antigone »  Le juge ne peut plus rejeter automatiquement une preuve illégale. Il doit la prendre en considération, SAUF :  En cas de violation de conditions de formes prescrites à peine de nullité ;  Si la fiabilité de la preuve est compromise en raison de l’irrégularité ;  Lorsque l’utilisation de la preuve viole le droit à un procès équitable.  Trois exceptions plus virtuelles que réelles 2.1. Historique : le rejet des preuves illégales remis en cause II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
  • 84.  Entre Antigone (Cass., 14 octobre 2003, ch. néerlandophone) et Manon (Cass., 2 mars 2005, ch. francophone) : L’arrêt du 23 mars 2004 : Le juge doit prendre en compte la preuve illégale SAUF (i.) en cas de violation d’une condition de forme prescrite à peine de nullité, (ii.) si l’irrégularité commise entache la crédibilité de la preuve, (iii.) si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable, ce qui peut s’apprécier en considérant :  le caractère intentionnel, ou non, de l’acte illicite ;  la gravité de l’infraction par rapport à l’importance de l’illicéité commise ;  le fait que la preuve obtenue illicitement porte uniquement sur un élément matériel de l’infraction ;  (caractère purement formel de l’irrégularité ; ajouter ensuite par la jurisprudence).  Cette jurisprudence, initialement pénale, a été consacrée en matière de sécurité sociale par un arrêt du 10 mars 2008 (S.07.0073.N).  Le législateur l’a par ailleurs ancrée en matière pénale par une loi du 24 octobre 2013 (cf. 32 T.P.C.i.cr.). II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.1. Historique : le rejet des preuves illégales remis en cause
  • 85.  Antigone : même en droit fiscal ? (ordre public, attentatoire au droit de propriété, principe de légalité, preuves collectées par des agents de l’exécutif…)  Cassation du 21 novembre 2014 (F.13.0159.N) : l’administration « est libre de demander au contribuable de [lui fournir des documents] sur une base volontaire. [Ce qui] suppose en fait que cela ne se passe pas sous la menace de sanctions ». A défaut, la Cour considère que « les pièces envoyées sous la menace d'amendes administratives ou de sanctions pénales ne sont pas reçues légalement par l'administration ». La Cour précise toutefois qu’elle se prononce « indépendamment de la question des effets d’une telle illégalité » (traduction libre).  Mais dans son arrêt du 22 mai 2015 (F.13.0077.N/18 ; Courrier fiscal, 2015/12), la Cour de cassation a réceptionné, en droit fiscal, la jurisprudence Antigone, à tout le moins en matière de TVA… II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal
  • 86. Dans son arrêt du 22 mai 2015 (TVA), la Cour décide que : « 3. La législation fiscale ne contient aucune disposition générale interdisant l'utilisation d'une preuve obtenue illégalement pour déterminer la dette d'impôt et, s'il y a lieu, pour infliger un accroissement ou une amende. 4. L'utilisation par l'administration d'une preuve obtenue illégalement doit être appréciée à la lumière des principes de bonne administration et du droit à un procès équitable. 5. Sauf lorsque le législateur prévoit des sanctions particulières, l'utilisation d'une preuve obtenue illégalement en matière fiscale ne peut être écartée que si les moyens de preuve sont obtenus d'une manière tellement contraire à ce qui est attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration que cette utilisation ne peut en aucune circonstance être admise, ou si celle-ci porte atteinte au droit du contribuable à un procès équitable. Lors de cette appréciation, le juge peut notamment tenir compte d'une ou de plusieurs des circonstances suivantes : le caractère purement formel de l'irrégularité, son incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, le caractère intentionnel ou non de l'illégalité commise par l'autorité et la circonstance que la gravité de l'infraction dépasse de loin l'illégalité commise ». II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal
  • 87.  Quid de l’impôt sur les revenus (IR) où les droits fondamentaux du contribuable s’expriment davantage qu’en matière de TVA ?  Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 9 février 2015 en matière d’IR  Les contribuables sont tenus de communiquer leurs livres et documents « sans déplacement » (315 CIR92) ;  Dans le cadre d’une demande de renseignements (316 CIR92), ils peuvent être communiqués à l’administration avec déplacement mais uniquement sur base volontaire ;  Un déplacement effectué sous la menace de sanctions ne peut être considéré comme un déplacement volontaire (Cass., 21 novembre 2014) → Les documents recueillis de cette manière, le sont de manière irrégulière ;  Mais, en l’espèce, les documents n’ont pas été obtenus de manière « contraire à ce qui est attendu d’une autorité agissant selon le principe de bonne administration » ;  En tout état de cause, les pièces restent les mêmes. Malgré l’irrégularité, l’administration aurait pu les consulter sur place. En outre, les droits de la défense et le droit à un procès équitable n’ont pas été violés ;  Bien que la preuve ait été reçue illégalement, l’administration pouvait donc les utiliser… Dans le même sens : Liège, 2 mars 2018, RG 2016/RG/1385 II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal
  • 88.  Gand, 24 février 2015 (2013/AR/2804) : - Communication de documents avec déplacement (>< 315 CIR92) sous la menace de sanctions (même problématique que celle soumise à la Cour d’appel d’Anvers; cf. ci avant) ; - Fin 2014, la Cour de cassation a affirmé que cette manière de procéder était illégale… sans toutefois se prononcer sur « la question des effets d’une telle illégalité » (Cass., 21 novembre 2014, F.13.0159.N); - Devant la Cour d’appel de Gand, le contribuable demande des délais supplémentaires pour conclure sur les effets d’une telle illégalité (748,§2 C. Jud.) ;  La Cour d’appel de Gand refuse d’accorder ces délais, constate l’irrégularité commise par l’administration lors de la collecte des preuves, mais n’en tire aucune conséquence. II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal : même à l’IR ?
  • 89.  Cassation du 4 novembre 2016 (vs. Gand, 24 février 2015) : Antigone aussi à l’IR - Sur le refus d’accorder des délais complémentaires : - Le droit à un procès équitable implique « notamment » que chaque élément pouvant influencer le juge puisse être contredit ; - Ce droit n’est toutefois pas illimité. Il doit être mis en balance avec les nécessités d’efficacité et de célérité de la justice. - Sur les effets à réserver aux preuves illégales => c/c arrêt TVA du 22 mai 2015; - L'utilisation d’une preuve obtenue illégalement doit être appréciée à la lumière des principes de bonne administration et du droit à un procès équitable ; - Elle ne peut être écartée que si elle a été obtenue d'une manière tellement contraire à ce qui est attendu d'une autorité agissant selon le principe de bonne administration OU si l’irrégularité porte atteinte au droit à un procès équitable ; - Il peut être tenu compte : du caractère purement formel de l'irrégularité, de son incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, du caractère intentionnel ou non de l'illégalité commise par l'autorité et de la circonstance que la gravité de l'infraction dépasse de loin l'illégalité commise. II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal : même à l’IR ?
  • 90.  Cass., 10 février 2017 : Antigone fiscal également confirmé en matière de TMC  Cass., 18 janvier 2018 (F.16.0031.N) : Antigone fiscal à nouveau confirmé à l’IR :  « Le moyen qui part totalement du principe que lorsqu’il apparaît d’une enquête ‘’que l’avocat a méconnu son secret professionnel et a transmis à l’administration les renseignements ou des éléments en méconnaissance de son secret professionnel, ces renseignements et éléments ne peuvent servir pour dégrever l’impôt à charge du client de cet avocat’’ manque en droit. »  « Selon la Cour de cassation, la législation fiscale [ne] comporte [auc]une disposition générale qui interdit l’utilisation d’une preuve obtenue illégalement pour l’établissement d’une dette d’impôt et, s’il y a des éléments à ce propos, pour l’établissement d’un accroissement d’impôt ou d’une amende. L’utilisation par l’administration d’une preuve obtenue illégalement doit être confrontée aux principes de bonne administration et au droit à un procès honnête [ndlr : équitable]. Dans cette évaluation, le juge peut notamment tenir compte d’une ou plusieurs circonstances suivantes : le caractère purement formel de l’irrégularité, son impact sur le droit ou la liberté qui est protégé par la norme enfreinte, le caractère intentionnel ou non de l’irrégularité commise par l’administration et la circonstance que la gravité de l’infraction excède de loin l’irrégularité commise. II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.2. Réception de la jurisprudence Antigone en droit fiscal : même à l’IR ?
  • 91.  Quid de l’équilibre entre l’intérêt général et les droits fondamentaux des contribuables ? Rappel :  Limites particulières aux pouvoirs de l’administration : chaque pouvoir d’investigation est spécifiquement limité afin de protéger le contribuable;  Limites générales aux pouvoirs d’investigation :  Principe de légalité (compétence liée, pouvoir à utiliser conformément au but que le législateur lui a fixé mais existence des principes de non-cloisonnement entre administrations et d’affectation universelle de l’information fiscale) ;  Principes généraux de bonne administration (sécurité juridique, impartialité, droits de la défense, fair-play, transparence, prudence, etc.) ;  Délais d’investigation, d’enrôlement et de recouvrement limités ;  Formalisme procédural (motivation, notification d’indices de fraude, délivrance d’un PV de rétention de documents, etc.). 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ? II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
  • 92.  « Plan d’action pour lutter contre la fraude fiscale » (3 décembre 2015, disponible sur http://vanovertveldt.belgium.be) et proposition de loi du 7 janvier 2016 (du CD&V comme en 2013 pour l’art. 32 T.P.C.i.cr) (Cf., Doc. Parl., ch. sess., 2015-2016, n°1561/001) : - L’exposé des motifs de la proposition de loi qualifie le contribuable néerlandophone de « suspect » et le contribuable francophone d’« inculpé »; - But : transposer la jurisprudence Antigone dans la loi fiscale ; - Motivation ? « le fait que des procès fiscaux n’aboutissent pas pour cause de violation des formalités prescrites par la loi exaspère l’opinion publique au plus haut point ».  La « Commission spéciale ’’fraude fiscale internationale/Panama Papers’’ » recommande également de couler la jurisprudence Antigone dans une loi fiscale.  Septembre 2017 : abandon de cette recommandation par la majorité  Octobre 2017 : recommandation souhaitée par l’opposition (amendement) 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ? II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
  • 93.  Dans sa mercuriale de rentrée du 1er septembre 2016 intitulé « ‘’Le droit fiscal est d’ordre public !’’ So what ? – De la relativité de l’ordre public en droit fiscal et du rôle de la Cour », Monsieur le Premier Avocat général près la Cour de cassation André Henkes s’interroge en ces termes : « […] que dire d’un éventuel pouvoir justicier du juge de cassation [qui] rétablirait dans une cause la justice au nom de l’ordre public fiscal ? L’idée est : est-ce que l’ordre public fiscal peut faire barrage à une démarche où le juge (de cassation) sanctionne la violation du droit matériel fiscal aussi à l’aune d’une certaine proportionnalité, mettant en balance la nature et la gravité de la violation et l’ampleur des conséquences qu’elle entraine ? Ou, au contraire, la relativité qui est inhérente à cet ordre public fiscal s’accommoderait-elle d’une telle tentation justicière voire la favoriserait-elle? C’est un arrêt du 22 mai 2015 de la section néerlandaise de la première chambre de la Cour de cassation, laquelle a décidé de transposer, en matière fiscale sa jurisprudence pénale dite «Antigone », qui invite à ce questionnement. Ne pourrait-on s’en inspirer pour sauver de l’annulation les décisions administratives qui méritent de l’être et, par ricochet, de la cassation, les décisions judiciaires qui les valideraient et, ainsi, rendre justice en disant le droit ? Dans une cause soumise présentement à la section française de la première chambre, c’est à la faveur « du caractère d’ordre public du droit fiscal » que les conclusions de l’avocat général reviennent à poser cette question à la Cour. » II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
  • 94.  La doctrine développe de nombreuses théories contre l’Antigone fiscal (voy. not.: l’article de Me Fr. KONING in J.T., n°6674, pp. 73 et s.) : l’un des plus convainquant concerne le principe de légalité  Principe de légalité => l’agent du fisc exerce une compétence liée :  Il n’a de pouvoir que parce que la loi lui en donne ;  Il n’a aucun autre pouvoir que ceux que la loi lui confère ;  Il ne peut exercer son pouvoir que de la manière prévue par la loi, et ce, uniquement conformément à ses objectifs => il n’a aucun pouvoir discrétionnaire, aucune marge de manœuvre.  Accepter le contraire (en appliquant la jurisprudence Antigone en matière fiscale) ne reviendrait-il pas à donner les pleins pouvoirs à l’administration fiscale, c’est-à-dire à des agents du pouvoir exécutif ? ;  Cela ne conduirait-il pas à rompre l’équilibre entre l’intérêt général et les droits des contribuables ? II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
  • 95.  La jurisprudence de la Cour eur. D.H. : pas d’un grand secours Suivant sa jurisprudence : « Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Schenk c. Suisse, §§ 45-46 ; Heglas c. République tchèque, § 84). Il n’appartient donc pas à la Cour de se prononcer, en principe, sur la recevabilité de certaines preuves, par exemple celles obtenues de manière contraire au droit national. Il y a lieu d’examiner si la procédure, y compris la manière dont les preuves ont été recueillies, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’illégalité en question et, dans les cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (Khan c. Royaume-Uni, § 34 ; P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, § 76 ; Allan c. Royaume-Uni, § 42)» (Guide sur l’article 6 de la CEDH, éd. 2013, disponible sur : www.echr.coe.int). Dans le même sens : Cour eur. D.H., 31 janvier 2017, Kalnéniené c. Belgique, 40233/07 et C. Const., 27 juillet 2011, n°139/2011 et C. Const., 22 décembre 2010, n°158/2010. 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ? II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
  • 96.  Quid de la Charte européenne des droits fondamentaux (7 et 47 de la Charte) ? C.J.U.E., WebMindLicenses kft, 17 décembre 2015, C-419/14 (TVA) :  La juridiction nationale doit vérifier si les moyens d’investigation utilisés « étaient […] prévus par la loi et étaient nécessaires […] ». Elle doit aussi vérifier si « l’assujetti a eu la possibilité […] d’avoir accès [aux] preuves [ainsi obtenues] et d’être entendu sur celles-ci.  Si elle constate que cet assujetti n’a pas eu cette possibilité ou que ces preuves ont été obtenues […] ou utilisées […] en violation de l’article 7 de la charte [c.-à- d. le droit à la vie privée], ladite juridiction nationale doit écarter ces preuves et annuler ladite décision si celle-ci se trouve, de ce fait, sans fondement. Doivent, de même, être écartées ces preuves si cette juridiction n’est pas habilitée à contrôler qu’elles ont été obtenues […] en conformité avec le droit de l’Union ou ne peut à tout le moins s’assurer […], qu’elles ont été obtenues en conformité avec ce droit ». II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
  • 97.  C.J.U.E., WebMindLicenses kft, 17 décembre 2015, C-419/14 (TVA)  A ce jour, la portée de cet arrêt est très controversée  Le C.J.U.E. semble à tout le moins indiquer que la collecte ainsi que l’utilisation de preuves ne tolèrent aucune violation d’un droit fondamental garanti par la Charte.  Toute preuve obtenue en violation d’un droit fondamental devrait ainsi être écartée par le juge et la décision qui y trouvait son fondement devrait être annulée, et ce, sans considération pour le dommage ou l’absence de dommage causé par la violation dans le chef du contribuable.  Jurisprudence également applicable en matière d’impôts directs ? Doctrine divisée ; Pour la Cour d’appel d’Anvers : non ! (Anvers, 14 juin 2016, inédit, Fiscologue, n°1492). 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ? II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
  • 98.  Cassation 28 juin 2018 (F.17.0016.N) Un contribuable estime être discriminé dès lors que la preuve recueillie illégalement par l’administration et retenue contre lui à l’impôt sur les revenus aurait dû, selon lui, être écartée en matière de TVA sur base de l’arrêt C.J.U.E. WebMindLicenses kft précité (17 décembre 2015, C-419/14) mais ne l’est pas à l’IR.  Avant de se prononcer sur la discrimination dénoncée, la Cour de cassation interroge la C.J.U.E. Elle souhaite savoir si un élément obtenu en violation du droit au respect de la vie privée doit, sur le plan de la TVA, être écarté en toute circonstance ou si une mise en balance des intérêts (cf. doctrine « Antigone ») est autorisée par le droit de l’Union.  Affaire à suivre… II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.3. Perspectives : Ancrage ou requiem ?
  • 99.  Cassation du 19 janvier 2016 (P.15.0768.N) : Antigone ne s’étend pas aux règles de recevabilité : un rappel utile  Tt fonctionnaire doit dénoncer les infractions découvertes au Procureur (29 C.i.cr.) ;  Mais, en matière fiscale, il existe un filtre : l’accord du Conseiller général ;  Dans l’affaire soumise à la Cour, la dénonciation ne comportait ni la signature, ni l'identité du fonctionnaire ;  Selon la Cour de cassation, il faut distinguer les règles relatives à l'admissibilité de la preuve des règles de recevabilité d'une procédure ;  Antigone ne concerne que l’admissibilité de la preuve ;  Ici, il est question de la violation d’une règle de recevabilité d’une procédure → Antigone n’est pas applicable → l’action publique en cause est irrecevable. II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.4. Nuances et limites
  • 100.  Anvers, 31 mai 2016 (2015/AR/114) : litige de pré-taxation sur la validité d’une enquête fiscale:  Investigations portant sur les exercices fiscaux 2003 à 2007 sous le bénéfice du délai d’investigation de 7 ans ;  Pour bénéficier de ce délai, l’administration doit, au préalable, notifier au contribuable, « par écrit et de manière précise, les indices de fraude fiscale qui existent, en ce qui le concerne, pour la période considérée » (art. 333, al. 3 CIR92) ;  Ici, les indices de fraude notifiés ne portaient que sur l’exercice 2007.  Ainsi, la Cour d’appel d’Anvers décide qu’il « n’est pas satisfait à l'exigence de l‘article 333, al. 3 CIR92 pour les exercices d'imposition 2003 à 2006, de sorte que, pour les exercices d'imposition en question, il ne pouvait être établi de cotisations valables sur la base de l'enquête menée au cours du délai d'investigation prolongé » ;  La notification est par contre valable pour l’exercice 2007 et, partant, la cotisation établie pour cet exercice ne doit pas être annulée.  Pourquoi ne pas avoir « couvert » l’irrégularité via « Antigone » ?  La notification préalable des indices de fraude est « prescrite à peine de nullité de l’imposition » (art. 333, al. 3 in fine CIR92). 2.4. Nuances et limites II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales
  • 101.  Actuellement, la majorité de la jurisprudence considère que les irrégularités commises par l’administration lors de la collecte de preuves (utilisation de ses pouvoirs d’investigation) ne sont pas, in concreto, « tellement contraires à ce qui est attendu d’une autorité agissant selon le principe de bonne administration » (cf. not.: Liège, 2 mars 2018, RG 2016/RG/1385; TPI Marche-en-Famenne, 13 juillet 2017, RG 17/331/A; TPI Mons, 11 janvier 2017, RG 15/3173/A; TPI Arlon, 13 avril 2016, RG 13/246/A; TPI Arlon, 9 mars 2016, RG 10/336_11/209) II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.4. Nuances et limites
  • 102.  Il existe néanmoins de la jurisprudence en sens contraire : TPI Liège, 16 mars 2016 : les preuves en cause ont été « obtenues d'une manière tellement contraire à ce qui est attendu d'une autorité » qu’elles ne peuvent être utilisées En l’espèce, il était question de :  photos de livres comptables d’un boulanger prises par l’administration ;  photos réalisées dans une pièce de son habitation privée (magasin et atelier de boulangerie attenants à l’habitation) ;  lors d’une visite surprise sans autorisation du juge de police ;  visite surprise réalisée à 2h. du matin (l’apprenti du boulanger a ouvert aux agents) ;  accès aux parties privés et photos prises alors que le boulanger dormait à étage ! II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.4. Nuances et limites
  • 103.  TPI Liège, 11 septembre 2017 (RG 16/577/A; droit de visite et droit de rétention des livres et documents en matière de TVA)  L’ISI contrôle un grossiste en produits HORECA surgelés (des frites)  Il s’empare notamment de documents trouvés dans la poubelle de la caisse du magasin, dans la poubelle d’un bureau et dans le container situé sur le parking du grossiste  Le PV de rétention des documents ne justifie pas les motifs de ladite rétention alors que le principe reste leur consultation sans déplacement  L’administration invoque la jurisprudence Antigone, en particulier l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2016 précité, pour que les preuves ainsi collectées de manière irrégulière ne soient pas rejetées II. Antigone en droit fiscal – L’utilisation des preuves illégales 2.4. Nuances et limites