SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  42
Télécharger pour lire hors ligne
Janvier 2015
Traduction
4 tables rondes, 20 intervenants, 240 participants
Sous le patronage du Ministre des Affaires étrangères et du Développement international,
de la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
et de la Ministre de la Culture et de la Communication
Conférence co-organisée par : Avec le soutien de :
Assises de la TRADUCTION
et de l’INTERPRÉTATION
« La diversité culturelle et linguistique:
un défi pour la démocratie »
Paris, le 28 novembre 2014
Synthèse des débats
3
Sommaire
PROGRAMME..................................................................................................................... 5
ALLOCUTIONS D’OUVERTURE ............................................................................................. 7
Gurli HAUSCHILDT, Commission européenne...........................................................................7
Clare DONOVAN, OCDE .......................................................................................................................9
VOLET 1 – TRADUCTION ET INTERPRÉTATION AU SERVICE DES CITOYENS ...........................11
Table ronde animée par Nathalie GORMEZANO, ISIT
Brian FOX, Commission européenne ......................................................................................11
John PARSONS, Conseil de l’Europe........................................................................................13
James BRANNAN, Cour européenne des droits de l’homme..................................................14
Émilie MOREAU, Direction centrale de la police judiciaire.....................................................16
VOLET 2 – LE RÔLE DE LA TRADUCTION DANS LA PROMOTION DE LA DIVERSITÉ
LINGUISTIQUE ET LA CIRCULATION DES IDÉES ....................................................................19
Table ronde animée par Odile CANALE, DGLFLF
Isabelle ESPALIEU, Ministère des Affaires étrangères et du Développement international .19
Didier DUTOUR, Institut français ............................................................................................21
Gisèle SAPIRO, École des hautes études en sciences sociales................................................21
Questions.............................................................................................................................................23
VOLET 3 – TRADUCTEURS ET INTERPRÈTES AU CŒUR DE LA VIE ÉCONOMIQUE...................25
Table ronde animée par Chris DURBAN, SFT
Gayathri SIVAPURAPU, Tata Consultancy Services.................................................................25
Bettina LUDEWIG-QUAINE, AIIC France..................................................................................26
Myriam MAESTRONI, Économie d’énergie.............................................................................27
Tony BULGER, Traducteur technique......................................................................................27
Questions ................................................................................................................................28
VOLET 4 – NOUVELLES TECHNOLOGIES, NOUVELLES COMPÉTENCES ET ENJEUX POUR LA
FORMATION......................................................................................................................31
Table ronde animée par Nicolas FROELIGER, AFFUMT
Alain COUILLAULT, Université de La Rochelle.........................................................................31
Josep BONET, Commission européenne.................................................................................32
Sandrine PERALDI, ISIT............................................................................................................32
Olga COSMIDOU, Parlement européen ..................................................................................33
Tatiana BODROVA, ESIT Sorbonne nouvelle...........................................................................33
Questions ................................................................................................................................35
CONCLUSIONS...................................................................................................................37
Mikaël MEUNIER, Commission européenne...........................................................................37
5
Programme
Lieu :Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Amphi Abbé Grégoire, Paris 3e
, France
Matin
9h00 Allocutions d’ouverture
Gurli Hauschildt, Directrice de la traduction, Direction générale de la traduction, Commission
européenne
Clare Donovan, Chef de la division Interprétation, Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE)
9h30 Volet 1 – Traduction et interprétation au service des citoyens
Table ronde présidée par Nathalie Gormezano, Directrice générale de l’Institut de management et
de communication interculturels (ISIT)
James Brannan, Traducteur, Cour européenne des droits de l’homme
Brian Fox, Directeur de l’organisation de l’interprétation, DG Interprétation, Commission
européenne
Émilie Moreau, Capitaine de police, Direction centrale de la police judiciaire
John Parsons, Chef du Service de la traduction, Conseil de l’Europe
11h30 Volet 2 – Le rôle de la traduction dans la promotion de la diversité linguistique et la
circulation des idées
Table ronde présidée par Odile Canale, Chef de la mission Emploi et diffusion de la langue
française, Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF)
Didier Dutour, Responsable du pôle « Livre et traduction », Institut français
Isabelle Espalieu, Chef du département de la traduction, Ministère des Affaires étrangères et du
Développement international
Gisèle Sapiro, Directrice d’études, École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
Après-midi
14h00 Volet 3 – Traducteurs et interprètes au cœur de la vie économique
Table ronde présidée par Chris Durban, Traductrice, Société française des traducteurs (SFT)
Tony Bulger, Traducteur technique, ancien Directeur d’agence de traduction
Bettina Ludewig-Quaine, Membre du Conseil de l’Association internationale des interprètes de
conférence (AIIC) et Coprésidente de l’AIIC France
Myriam Maestroni, Présidente, Économie d’énergie
Gayathri Sivapurapu, Responsable du département Traduction, Tata Consultancy Services
16h00 Volet 4 – Nouvelles technologies, nouvelles compétences et enjeux pour la formation
Table ronde présidée par Nicolas Froeliger, Président de l’Association française des formations
universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT)
Tatiana Bodrova, Directeur de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT)
Josep Bonet, Chef de l’unité Développement professionnel et organisationnel, DG Traduction,
Commission européenne
Olga Cosmidou, Directeur général de l’interprétation et des conférences, Parlement européen
Alain Couillault, Professeur associé, Université de La Rochelle
Sandrine Peraldi, Directrice de la recherche, Institut de management et de communication
interculturels (ISIT)
17h30 Conclusions
Mikaël Meunier, Antenne de Paris, Direction générale de la traduction, Commission européenne
7
Allocutions d’ouverture
Mikaël MEUNIER
Responsable linguistique
Représentation en France de la Commission européenne, Antenne de Paris de la
Direction générale de la traduction
Avant de présenter nos deux intervenantes, j’aimerais adresser de vifs remerciements aux trois
ministres qui ont accepté de placer ces Assises de la traduction et de l’interprétation sous leur
précieux patronage : Monsieur Fabius, Ministre des Affaires étrangères et du Développement
international, Madame Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Madame Pellerin, Ministre de la Culture et de
la Communication.
Notre première intervenante principale, Gurli Hauschildt est directrice à la Direction générale
de la traduction de la Commission européenne depuis 2008, aujourd’hui responsable des
départements de traduction des trois langues procédurales, à savoir l’allemand, l’anglais et le
français, ainsi que de l’unité de coordination terminologique. Avant de rejoindre la
Commission européenne, elle a été successivement traductrice et réviseuse danoise au sein du
Comité économique et social européen, puis Chef du service conjoint de planification du
Comité économique et social européen et du Comité des régions, enfin Chef de l’unité de
coordination du Service conjoint de traduction du Comité économique et social européen et
du Comité des régions. Gurli Hauschildt est titulaire d’un master en traduction et en
interprétation de la Aarhus School of Business, au Danemark.
Gurli HAUSCHILDT
Directrice de la traduction
Commission européenne, Direction générale de la traduction
La Direction générale de la traduction de la Commission européenne (DGT) constitue, à
double titre, un acteur majeur de la traduction. D’une part, la DGT emploie actuellement près
de 1 600 traducteurs, toutes langues confondues. Des concours de recrutement, gérés par
l'Office européen de sélection du personnel (EPSO) sont organisés chaque été. D’autre part, la
DGT traduit approximativement 2,2 millions de pages par an dans les 24 langues officielles
de l’Union européenne, mais aussi dans les langues des principaux partenaires commerciaux
de l’UE (essentiellement le chinois, l’arabe et le russe). Le multilinguisme officiel de l’UE est
unique au monde, car la législation européenne est produite simultanément dans vingt-quatre
langues, ce qui suppose que les traductions de la DGT deviennent à terme des actes législatifs
originaux.
Avec plus de 60 ans d’expérience, au niveau supranational, la DGT a acquis une grande
expertise de la traduction ainsi qu’une connaissance particulière de ses besoins, de ses
contraintes et de ses enjeux puisque nos services travaillent pour une quarantaine de directions
générales et de services aux besoins variés. La traduction représente l’épine dorsale de la
DGT qui aspire, selon sa propre lettre de mission, à devenir une référence dans le monde de la
traduction, tout en contribuant, dans le même temps, au développement de chaque langue
officielle et du métier de traducteur.
À l’occasion de la Journée européenne des langues, Mme
Androulla Vassiliou, ancienne
Commissaire européenne à l’éducation, à la culture, au multilinguisme et à la jeunesse, a
affirmé que la « diversité linguistique » faisait partie de l’ADN de l’Union européenne. Pour
prolonger cette métaphore, on pourrait qualifier les traducteurs et les interprètes de « cellules
sanguines » du projet européen, car ils transportent l’oxygène qui lui est nécessaire – les
valeurs, les principes, les actions, les programmes, le droit de l’Union européenne – vers
chacune des langues et des cultures des citoyens européens.
Les traducteurs sont une ressource très précieuse de la Commission européenne. C’est
pourquoi nous accordons à leur travail toute l’importance nécessaire : la DGT leur offre un
environnement de travail moderne et efficace et des possibilités variées de formation tout au
long de leur carrière. De plus, il nous apparaît prioritaire de démonter la valeur ajoutée du
travail des linguistes, qui sont d’abord considérés comme de véritables spécialistes des
langues, des experts de l’interculturel, qui influent également sur la qualité de la législation et
sur les conséquences des choix effectués par les rédacteurs.
Cependant, la crise économique affecte également nos institutions. La DGT a l’obligation de
réduire ses effectifs de 10 % entre 2013 et 2017, ce qui constitue aussi une occasion de
repenser notre organisation et nos méthodes de travail.
Il est ainsi essentiel que nous tous, traducteurs, formateurs, nous rapprochions des
acheteurs/utilisateurs de traductions, afin de mieux comprendre le marché et réduire l’écart
entre les besoins de services exprimés et les compétences proposées par les professionnels et
enseignées par les formateurs.
Les actions de la DGT, et notamment l’une de ses initiatives phares, la mise en place du
« Master européen en traduction » (EMT), à la fois réseau et label d’excellence, répondent à
cet impératif. Depuis son renouvellement complet en juin 2014, ce réseau compte
64 programmes et connaît un franc succès. Les formations mettent l’accent sur les
compétences et l’employabilité des étudiants en traduction. Il est d’ailleurs significatif de
retrouver parmi les organisateurs de cette conférence les responsables de prestigieuses
formations comme l’ESIT et l’ISIT, ainsi que les autres masters français rassemblés au sein
de l'Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction
(AFFUMT). Cela démontre combien la France, avec 11 masters labellisés EMT, et le monde
francophone plus largement, avec trois autres labels d’universités francophones en Belgique
et en Suisse, demeure une terre d’excellence pour la formation des traducteurs.
La traduction est également au cœur de certains programmes de financement de la
Commission européenne, notamment dans les actions culturelles et interculturelles de la
politique de développement.
L’évolution rapide du métier remet en question les habitudes, les certitudes quant aux outils,
aux méthodes et aux attentes du marché. Toutefois, les perspectives s’avèrent éminemment
positives ; les études montrent en effet une croissance rapide du marché.
Les langues constituent une composante essentielle de nos identités, à la fois en tant que
personnes et en tant que groupes, nations et sociétés. Les termes utilisés pour décrire nos
compétences linguistiques sont d’ailleurs lourds de sens et d'émotion : langue « maternelle »
ou langues « étrangères », par exemple.
C’est pourquoi notre action au niveau européen doit être double :
Premièrement, nous devons continuer de promouvoir l’apprentissage des langues dans toute
l’Europe, tout en gardant à l’esprit que les politiques éducatives et linguistiques ne relèvent
pas du niveau européen et que la Commission européenne ne peut que formuler des
recommandations aux pays dans ces domaines afin de faciliter la communication, la
9
compréhension entre les citoyens, les nations et les cultures européennes, ainsi que
l’émergence d’une identité commune (européenne) multiple et diverse.
Deuxièmement, nous devons reconnaître le rôle central de la traduction en tant que bien
commun – notre langue commune – et catalyseur d’un « espace public européen » et d’une
« société européenne », catalyseur de la diversité linguistique, de la diffusion des idées, des
savoirs.
Au-delà de la vie de l’Union européenne, il importe de reconnaître la place centrale que la
traduction, en tant que produit, a prise dans nos vies quotidiennes et dans nos sociétés. Ainsi,
les traductions sont partout : dans nos maisons, dans nos voitures, nos ordinateurs, sur
Internet. Nous tenons leur existence et leur disponibilité pour acquises. La traduction est
indispensable à la sécurité des consommateurs. De plus, elle acquerra un rôle de plus en plus
important dans les domaines de la justice, de la consommation, des soins de santé ou encore
des services publics.
Il est ainsi urgent de réfléchir à l’avenir des métiers de la traduction, en rassemblant aussi
largement que possible les parties prenantes du secteur, afin d’anticiper ces évolutions futures.
C’est tout le sens de la nouvelle initiative de la DGT : le forum « Traduire l’Europe », qui a eu
lieu pour la première fois en septembre, à Bruxelles et qui vise, précisément, à anticiper ces
nouveaux défis avec les étudiants et traducteurs de demain.
Mikaël MEUNIER
Notre deuxième intervenante principale est Clare Donovan, interprète de conférence et
membre de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) depuis plus de
trente ans. Après sa thèse de doctorat en études de traductologie, elle a longtemps dirigé la
section interprétation de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) avant d’en
être le directeur. Depuis trois ans, elle est chef de la division interprétation de l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle continue ses activités de
formation, notamment dans le cadre du réseau des traducteurs et interprètes francophones mis
en place par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Clare DONOVAN
Chef de la division « Interprétation »
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
Many people would ask what it is that we are doing here if they were to be told that there was
a conference on interpreting and translation. In the UK, people often think that everyone can
now speak English and while it is true that English often dominates, not everyone can or
chooses to speak English in formal settings. At the OECD, which is perceived as a very
English-dominant organisation, demand for interpreting is actually increasing and
diversifying. Demand is also increasing in many other areas, including outside traditional
conference interpreting, such as court and community interpreting, and there is an increasing
recognition that people are entitled to be able to understand what is going on and express
themselves appropriately. The same force that is creating ‘Globish’, which happens to be
English at the moment, is leading to more and more exchange, trade, migratory flows and
travel. A lot of people from China now travel for both business and holiday purposes and
there is now a huge amount of movement as a result of globalisation.
The other big issue regarding interpretation and translation is technological change and people
tend to think that machines can now deal with everything. In the 1960s, it was predicted that
we would all have our own private helicopter but no-one foresaw the advent of mobile phones
or the Internet. Similarly, the prediction that there would be machines for translation has not
materialised. However, there is more remote participation in meetings and interpreting and
this brings new challenges.
The working conditions for interpretation are changing, in many ways for the better. Booths
are more comfortable and better equipped and smoking is no longer allowed, and many of
these positive changes probably also apply to translation. However, there are also new
challenges. Meetings now tend to have larger attendances and technology such as PowerPoint
can be a major source of irritation.
There has also been an accelerated turnover in the invention of concepts that are transmitted
by social media and a coining of new terms, which interpreters and translators have to keep up
with. Additionally, residual participants whose languages are not interpreted have to work in
English or another major language and this can also create problems where the target
language’s complex and authentic structures are not used, so depriving interpreters of many
anticipatory cues to predict meaning.
All these challenges match the list of problem triggers that lead to an overload of our mental
resources. We work in a world where people try to get by in English and interpreting is
therefore seen as a luxury and there are issues that make it hard to maintain quality.
Robin Setton said that even the best training programmes find it hard to prepare trainees for
the shock of real market conditions, and training institutions cannot extend courses or add
more classes simply to keep pace with change as they have their own institutional and
financial constraints.
However, I think that there are a number of ways in which courses can be deepened and
enriched. Technology can provide some solutions here as students now have access to many
more resources and can often work together remotely. Recruiters can also help through the
provision of their expertise and resources and can give added depth to the training of
interpreters. The European Parliament and the European Commission have also been pioneers
in the provision of more depth and enrichment to training and other organisations are trying to
follow their example.
Despite these challenges, I believe that the quality and potential of today’s graduates is very
impressive. I recruited five people who graduated in June this year and when I monitor their
work I find that they are working at least as well as more experienced interpreters, where they
compensate for their lack of experience through intensive and targeted preparation. I am
therefore optimistic about the quality of interpretation.
11
Volet 1 – Traduction et interprétation au
service des citoyens
Table ronde animée par Nathalie GORMEZANO, Directrice générale de l’Institut de
management et de communication interculturels (ISIT)
Participants :
 James BRANNAN, Traducteur, Cour européenne des droits de l’homme
 Brian FOX, Directeur de l’organisation de l’interprétation, DG Interprétation,
Commission européenne
 Émilie MOREAU, Capitaine de police, Direction centrale de la police judiciaire
 John PARSONS, Chef du service de la traduction, Conseil de l’Europe
Brian FOX
We often fail to realise that multilingualism means different things to different people. For the
EU citizen, multilingualism means speaking more than one language. However, on the
interpretation and translation side, we see it as enabling people to speak their own language! It
is of course through multilingualism that international bodies are enabled to give their best by
allowing the most knowledgeable experts to speak rather than those who are best at
languages. I shall return to this aspect later. The European Commission is very pro-active in
"citizens’ multilingualism" and encourages Europeans to attain proficiency in two languages
other than their mother tongue. Although citizens are virtually unanimous in considering that
languages are important, this initiative has not (yet) been as successful as we would wish.
The European Commission sponsors Eurobarometer surveys to look at the number of
languages in which people felt able to sustain a conversation. In 2012, the number of EU
citizens who spoke only their mother tongue was 44% (France 49%). Those who spoke at
least one other language numbered 54% (France 51%); those with at least two other languages
25% (France 19%), those with at least three other languages 10% (France 5%).
Recent research by Gazzola looked at the proportion of EU population that would be excluded
if languages were restricted. Let me consider two of the hypotheses: the 'monolingual'
(English only) and the "oligarchic" (English, French and German). Although these
hypothetical solutions are frequently advanced by critics of the EU language régime, the
research shows they are clearly not viable: half of EU citizens neither speak nor understand
English and even the 'oligarchic' model would still exclude 28% of the EU population.
However, another vitally important point is that this research provides a solid basis for
refuting the thesis that English is enough. In the UK, different research commissioned by the
Department of Business, Innovation and Skills found that deficient language skills and the
(false) assumption that everyone speaks English cost the country about £48 billion a year,
3.5% of GDP. Additionally, when a language becomes a world language it belongs to
everyone and so belongs to no one. The consequence is that there are now many Englishes.
The same research has also shown that reducing the language regime for the European Union
would not lower costs, but merely displace them. Given that so few people understand more
than one language, the member states themselves would have to take over responsibility for
supplying the different language versions and the costs would probably end up being higher.
Nonetheless, the pace and degree of globalisation mean that the translation and interpretation
professions are facing growing challenges and opportunities. In particular, migration is greatly
widening the range of languages to be interpreted. One of the pillars of the EU Charter of
Fundamental Rights is the principle of non discrimination; language is one of the criteria
listed. However, the problem is that many of the immigrants or asylum seekers need
interpretation and translation from and into languages which are very little known or even
mainly oral.
Given the difficulties with the multiplicity of languages today, it is difficult to see how
conference interpreting courses could also encompass these languages. Professional situations
and ethics also differ considerably. training for public service interpreters cannot simply be
"cloned" from conference interpreting. Special training must be devised.
However, this is an opportunity for cooperation between trainers and public authorities and
the European Commission would be interested in offering support where it can. The EU has a
new Commission whose President, Mr Juncker has set out a list of strategic objectives within
which public service interpretation might find a place. I'll come back to this later.
The Commission has already made significant contributions in the area of public service
interpretation but now the political impetus for training, evaluation and accreditation must
come from national authorities, as it is they who are competent in the field of education.
Programmes for the accreditation and evaluation of interpreters might then be eligible for
financing through the European Social Fund, if proposed by the Member States.
It will be sorely needed since we have seen that English alone is not viable and there is much
anecdotal evidence of the mistranslation of English in everyday life. There will continue to be
a need for professionals involved in translation and interpretation. English is not enough!
Pour mieux illustrer la cohérence de mon propos, je m’exprimerai à présent en français.
Nous avons vu que, selon Michele Gazzola, si l'UE adoptait une politique « English only »,
nous serions conduits à exclure 50 % des citoyens, en majorité les plus âgés et les moins
riches. En effet, l'Union européenne n'est pas les Nations Unies. Si l'ONU est essentiellement
pour diplomates, les décisions de l'UE ont un effet direct sur la vie quotidienne de tous ses
citoyens – un demi-milliard de personnes. Voici la réponse à la question « Pourquoi avez-
vous tellement de langues ? ». C'est une nécessité aussi bien juridique que démocratique.
Étant donné ces taux élevés d’exclusion linguistique, c'est aux interprètes et traducteurs
d'effectuer la médiation requise au service des citoyens. Dans l’Europe d’aujourd'hui, la
mobilité transfrontalière et l'immigration sont devenues des phénomènes très répandus. La
plupart des nouveaux arrivants dans un pays – citoyens se déplaçant dans le marché intérieur,
immigrants de pays tiers et demandeurs d'asile, mais aussi des visiteurs et touristes – ne
possède pas une connaissance suffisante de la langue locale et ont souvent besoin d’une aide
linguistique pour pouvoir interagir avec les autorités locales.
C’est à ce moment-là que la traduction et l’interprétation pour les services publics trouvent
leur rôle et leur raison d’être, car elles contribuent à l'inclusion, à la cohésion sociale et à
l’offre de services publics plus efficaces, par exemple en matière de soins de santé. En fait,
des services linguistiques de ce type pourraient même permettre de réaliser des économies
comparé au coût social dû au manque d’intégration sociale et économique.
13
Je souligne qu'il appartient aux États membres, et plus particulièrement à leurs instituts de
formation, d’offrir des cours au niveau approprié. Pour sa part, la DG Interprétation a toujours
été prête à partager ses connaissances et ses compétences avec les universités et les États
membres. J'en veux pour preuve une initiative prise par la DG Interprétation en 2008, sur
invitation du Commissaire européen au multilinguisme de l’époque, Leonard Orban. Un
groupe d'experts indépendants s’était réuni et avait publié un rapport mettant l’accent sur
l'interprétation dans le domaine juridique. Ce rapport ainsi que la création d’EULITA en 2009
(l’Association d’interprètes et de traducteurs juridiques européens) ont contribué à améliorer
la qualité et le statut de ces professions.
En 2011 le Special Interest Group on Translation and Interpreting for Public Services
(SIGTIPS), à l’initiative du Conseil européen pour les langues a établi un rapport important.
La DG Interprétation et la DG Traduction de la Commission européenne avaient participé à
ces travaux en tant qu’observateurs.
En collaboration avec l'European Network for Public Service Interpreting (ENPSIT) créé en
octobre 2013, nous alimentons également une base de données concernant l’offre de
traduction et d’interprétation de service public dans les États membres. Au mois d'avril 2014,
ENPSIT est passé du statut de réseau informel à celui de véritable organisation afin de plaider
en faveur d’une politique et d’un financement, au niveau européen, de l’interprétation et de la
traduction dans les services publics.
Actuellement la DG Interprétation collabore avec la DG Affaires intérieures pour évaluer les
propositions concernant un projet pilote en matière d’interprétation par téléphone pour les
postes aux frontières de l’UE. Ce projet devrait être opérationnel en 2015.
Une nouvelle Commission a été installée. Le Président Junker a publié une liste de ses 10
objectifs politiques. Le numéro 7 vise à garantir un espace de justice et de droits
fondamentaux basé sur la confiance mutuelle. Le numéro 8 amorce l’élaboration d’une
nouvelle politique migratoire. Dans les prochains mois, nous pourrions découvrir les
applications pratiques de ces objectifs, mais les intentions actuelles sont très encourageantes.
Le prix que nous payons pour le fonctionnement multilingue de l'Union européenne reflète le
prix à payer pour garder notre identité, garantir notre droit à la libre expression, et – last but
not least - assurer la légitimité démocratique de la construction européenne.
John PARSONS
L’utilisation des langues et l’externalisation des services de traduction représentent des enjeux
importants pour le Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe est constitué de 47 états
membres, c’est-à-dire des 28 pays membres de l’Union Européenne auxquels s’ajoutent 19
autres États. 40 langues nationales sont représentées, même si l’anglais et le français sont les
deux langues officielles en vigueur depuis 1949. Le Conseil de l’Europe possède un service
central de la traduction ainsi que 2 unités spécialisées, et dédiées respectivement à la Cour des
Droits de l’Homme (CEDH) et à la Direction européenne de la qualité du médicament
(EDQM). Un service de l’interprétation assure la plupart des réunions de l’organisation. Les
activités du Conseil portent sur les droits de l’homme et la promotion de la démocratie et de
l’état de droit. Le Conseil met en place des conventions et des traités internationaux. Il assure
leur suivi et leur application. Un grand nombre des activités dans ces domaines se déroulent
dans l’est et le sud-est de l’Europe et dans le Caucase (activités dites « de coopération »).
La communication constitue donc un enjeu très important et vise différents publics : les
gouvernements prioritairement, mais aussi les parlements, les collectivités locales, les
autorités judiciaires, les ONG et les 800 millions de citoyens européens appartenant aux pays
membres du Conseil de l’Europe. Nous devons assurer une communication de qualité tout en
prenant en compte les contraintes, notamment budgétaires, qui pèsent sur notre statut et notre
pratique. En 2013, 76,6 % des documents traduits avaient pour langue source l’anglais, 21,5
% avaient pour langue source le français, alors que 1,9 % des documents étaient rédigés dans
d’autres langues. La langue cible de traduction était l’anglais dans 22,1 % des cas, le français
dans 63,8 % des cas, et 14,1 % des documents traduits avaient d’autres langues pour cible.
Comparativement, en 2002, l’anglais était la langue cible de 36,4 % des traductions, le
français de 58,7 % des traductions et les autres langues dans 4,9 % des cas.
Nous remarquons ainsi une diminution de l’utilisation du français comme langue source et
une augmentation de la demande de traduction vers les langues non officielles. Par exemple,
les langues des Balkans et du Caucase sont de plus en plus utilisés, et même des langues non-
européennes sont parfois demandées (chinois, japonais, kazakh …). Par conséquent, il
importe d’assurer un volume croissant d’externalisation, notamment vers les langues non
officielles. De nouveaux défis se posent donc au service de traduction dont les effectifs
doivent être gérés de manière adéquate. Le service de traduction comporte 2 sections
linguistiques internes, l’une consacrée aux traductions en français et l’autre dédiée aux
traductions en anglais. Il est essentiel de garantir la qualité des traductions qui sont
externalisées.
Le service de traduction dénombrait, en 2014, 1 chef de service, 30 réviseurs et traducteurs, 1
terminologue, et 6 assistantes. Soumis aux mêmes contraintes budgétaires que les États
membres, le Conseil de l’Europe doit réaliser des économies, et le service est obligé
d’externaliser une partie de ses prestations. Il est néanmoins essentiel de maintenir une
communication multilingue, malgré la compression des effectifs, en recourant aux interprètes
et aux traducteurs free-lance. Le recrutement des interprètes est opéré notamment grâce à la
coopération de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC). Tous les
interprètes qui travaillent à Strasbourg bénéficient des termes de l’accord conclu entre le
Conseil de l’Europe et l’AIIC, même s’ils ne sont pas membres de celle-ci.
Le métier de traducteur est moins encadré. Nous avons recours à des locuteurs natifs ou à des
personnes dont la langue de spécialisation fut la langue principale d’éducation. Le
recrutement a lieu sur dossier, grâce aux registres des associations professionnelles et par le
biais de recommandations. Dans toute la mesure du possible, les productions sont révisées, et
nous contrôlons la qualité des prestations auprès des clients. Nous souhaitons des traductions
dont la qualité est estimée « suffisante », c’est-à-dire adaptée à la destination du texte
(document de travail, texte normatif, publication). L’opportunité de recourir à des appels
d’offres pour toute la traduction externalisée est actuellement à l’étude ; pour l’instant, cette
méthode n’est utilisée que pour la traduction qui se fait dans le cadre de nos « activités de
coopération », notamment transméditerranéennes et dans le Caucase et le sud-est européen.
D’une manière générale, il est essentiel d’éviter le « tout-anglais » qui limiterait la
compréhension et l’expression des interlocuteurs et qui présenterait des conséquences
désastreuses sur un plan aussi bien politique que culturel.
James BRANNAN
The profession of court interpreter has been traced back to Ancient Egypt and, without going
back that far, it is of interest to take a historical perspective, to examine how the provision of
such language assistance has evolved over time. In seventeenth-century England, for example,
one murder case (Borosky and others) shows that where French was at issue the court
assumed that it could get by with its own knowledge of the foreign language, as many
educated people in Britain at that time were able to speak French. Entitlement to interpreting
in the courts partly depended on class and we know from that same case that, while a
15
commoner was denied such assistance, an aristocrat was even granted several interpreters to
assist him! Over the years such arrangements have been made on an ad hoc basis, with rules
gradually being established in the twentieth century to enshrine the principle of interpreting in
court, although, in practice, decisions have continued to be taken on a case-by-case basis as to
actual implementation in criminal proceedings.
Ruth Morris has researched the historical aspects of court interpreting and has found that,
although overall attitudes to court interpreting vary over time, certain issues, such as
entitlement, determination and quality, are perennial. The issue of quality, in particular, is one
that has often been neglected, even in more recent years, although developments in this area
can be found in the case-law of the European Court of Human Rights (ECHR) and since 2010
in Directive 2010/64/EU on the Right to Interpretation and Translation in Criminal
Proceedings.
When the European Convention on Human Rights was drafted in 1950 it was decided to
include provisions, as part of the Article 6 safeguards for fair trials, which covered the right to
be informed of the “accusation” in one’s own language and to have the “free assistance of an
interpreter”. In terms of the categories of persons entitled to an interpreter, the provisions
clearly cover foreign defendants and those who need sign-language interpreting. The question
whether such assistance should be extended to witnesses or third parties, including victims, or
to the context of civil proceedings, is not addressed by Article 6. Various issues have arisen
over the years in relation to the application of the relevant safeguards: whether the judge
needs to be proactive and call an interpreter even if the defendant has not asked for one, in
case of doubt; whether written documents need to be translated; whether an interpreter should
be provided under the same conditions in police custody; whether the right extends to
communication with a lawyer; and whether evidence and everything that is said in court
should be interpreted. These are all issues that have often been dealt with haphazardly by the
justice system over the years, in some cases without any firm guidelines in domestic law. One
hopes that the solutions will become clearer in the future through the transposition of the
provisions contained in the EU Directive.
One of the most important Strasbourg cases on this subject was Kamasinski v. Austria in
1989, establishing that the right to language assistance applied not just to the trial but to pre-
trial proceedings and to documentary material. It has, however, remained somewhat unclear in
the case-law whether there is a right to the translation of a document in writing – an oral
translation by an interpreter has usually been found sufficient.
The EU Directive, which has now been transposed into law in all EU Member States, is
certainly much more comprehensive than Article 6 § 3 (e) of the Convention, although there
is some doubt as to the effectiveness of its transposition in reality. The scope of the Directive
extends to all court hearings, police questioning, interim hearings and communication
between the defendant and counsel, being more specific than the Strasbourg case-law
although largely based thereon. Article 3 of the Directive sets out the right to a written
translation of all essential documents, such as the indictment. There are questions as to how
this will be implemented in all the Member States – and whether it will actually lead to a
greater volume of written translation – as there is also a provision stating that in exceptional
circumstances documents may be translated orally. This is an option likely to be used to save
time and money, together with the possibility of partial translation.
As regards the issue whether a defendant actually needs translation, the Court stated in
Brozicek v. Italy (1989) that the burden of proof was on the authorities to show that the
person did in fact understand the language of the proceedings if they refused language
assistance, i.e. in response to a request. The question of a failure to request assistance has
never been properly addressed by the Court, but it is now clear from the Directive that the
absence of a request does not constitute a waiver. Case-law has evolved slightly in favour of
foreign defendants over the years and the Court has referred on occasion to an examination of
the individual need in terms of the person’s language ability and the complexity of the case.
However, the Directive goes further, stating that there should be a procedure or mechanism in
place to allow the court to ascertain whether the person can speak and understand the
language. This will certainly vary according to the different solutions adopted in each country.
For example, France has decided to use a short oral question and answer session to test the
person’s language skills. However, it is not always easy to determine the requisite level of
understanding and fluency, particularly in a legal context, that would justify dispensing with
an interpreter. Some countries are more proactive and provide an interpreter by default, while
others still consider interpreting to be something of a luxury that may not be necessary if it is
possible to “get by” without it.
The issue of the quality of the assistance has been paid little attention over the years and has
not featured significantly in the case-law. The Court first said in Kamasinski that if the
judicial authorities were “put on notice” that there was a problem with the interpreting, they
were obliged to exercise subsequent scrutiny of its “adequacy” (the term “adequacy” is also
used in the Directive and unfortunately does not suggest a particularly high standard!).
In a case from October 2014, Baytar v. Turkey, the Court reiterated its relatively recent case-
law about the importance of having an interpreter at the earliest stage of the proceedings. It
thus found a violation of Article 6 as no interpreter had been provided for the applicant while
in police custody. In addition, when the applicant had subsequently been brought before a
judge, the interpreter was merely a family member rather than a qualified professional. A
similar situation arose in the case of Cuscani v. the United Kingdom (2002), where the Court
found that the judge should have ensured the presence of an interpreter with verified skills.
The domestic courts have therefore been made aware of the importance of the choice of
interpreter, although admittedly this is not always reflected in practice. Some professionals
have regretted the fact that the ECHR cannot be amended to emphasise the right to a
competent interpreter! The EU Directive, for its part, does have an article devoted to quality
although the definition is somewhat vague, without any specific recommendations. In terms
of upstream quality assurance, the Directive importantly requires Member States to
“endeavour to establish a register of independent translators who are appropriately qualified”,
and to make the register available “where appropriate” to “legal counsel and relevant
authorities”. The wording of these provisions is not as mandatory as it could have been,
reflecting a drafting compromise.
Directive 2010/64/EU should, regardless of any defects, serve to clarify the relevant
safeguards for the purposes of ensuring a fair trial for foreign defendants and those with
hearing or speech impediments, building on the existing protection afforded by Strasbourg
under the ECHR. If the Directive is properly transposed, the situation should improve as
regards the issues of entitlement, determination and quality. The Directive notably associates
quality with the choice of interpreter or translator and provides for the translation of
documents, a mechanism for determining need and the right to challenge a refusal to provide
interpreting or translation and to complain about poor quality throughout the proceedings,
with emphasis on the need for an effective remedy. In general it imposes a positive obligation
on the authorities to provide language assistance where needed for the benefit of the citizens
concerned, suspects and defendants, throughout the criminal proceedings.
Émilie MOREAU
Nous travaillons au quotidien avec des interprètes sur le territoire national ou durant des
missions à l’international, lors de réunions de coopération ou de formation avec des policiers
17
étrangers ou dans le cadre de soutien opérationnel lors d’enquêtes à l’étranger avec des
victimes ou des auteurs français. L’interprète joue vraiment un rôle central puisqu’il coopère
au quotidien avec les enquêteurs et intervient à chaque phase de l’enquête de police. Il est
sollicité durant l’investigation ou dans le cas d’interceptions techniques (écoutes de police),
lorsqu’il est nécessaire de traduire des supports et des documents administratifs, au moment
des auditions de victimes, de témoins, du gardé à vue ou de la personne qui sera mise en
examen. La police a recours aux interprètes pour traduire notamment des messages et des
conversations téléphoniques. Son rôle est aussi décisif au moment d’une interpellation pour
notifier ses droits à l’individu qui est placé en garde à vue. À ce titre, les moyens de
télécommunications sont utiles puisqu’il est possible de joindre un interprète par téléphone et
de permettre ainsi un premier contact entre celui-ci et la personne placée en garde à vue. La
présence de l’interprète est d’autant plus importante qu’elle relève des droits de la défense.
L’interprète doit être présent lors de l’ensemble des opérations de police : signalisation
(relevés d’empreintes, prise de photographie), examens médicaux, auditions.
L’enquêteur doit tout d’abord réussir à déterminer quelle est la langue parlée par les
protagonistes. Il peut ainsi contacter un interprète par téléphone. Par la suite, une grande
disponibilité de l’interprète est requise, car le temps de garde à vue est compté. Il importe
d’identifier rapidement les interprètes disponibles. La police fait souvent appel aux mêmes
intervenants et le réseau joue un rôle important. Une audition dure entre 1 heure et 7 heures et
l’interprète doit rester le même au cours de l’entrevue. Outre cette grande disponibilité, les
fonctions d’interprète auprès de la police judiciaire nécessitent une maîtrise du vocabulaire
technique et juridique utilisé dans le cadre des procédures. Les enquêteurs organisent la
plupart du temps un briefing avec les interprètes afin qu’ils puissent comprendre les faits en
question. La compréhension du milieu social et culturel dans lequel les policiers interviennent
est aussi utile aux interprètes.
La confidentialité est impérative et les interprètes prêtent serment. L’instauration d’une
relation de confiance entre l’enquêteur et l’interprète est essentielle d’autant plus que certains
dossiers sont particulièrement sensibles et médiatiques. La difficulté la plus importante qui se
pose à l’interprète réside précisément dans le contenu de son propos. Il ne doit
paradoxalement pas « interpréter » le discours de la personne auditionnée. Il doit traduire
fidèlement, voire au mot à mot, chaque phrase prononcée car chaque terme peut revêtir une
importance considérable. Tout doit être traduit, y compris des discussions qui peuvent paraître
informelles entre l’interprète et la personne auditionnée. Il est par ailleurs demandé aux
interprètes de traduire l’intégralité des propos afin d’éviter toute tentative de manipulation ou
de connivence de la part de la personne auditionnée et pour permettre aux enquêteurs de
rappeler les règles en vigueur, le cas échéant. L’interprète doit s’abstenir de toute implication
sentimentale et personnelle et ne pas être choqué par les mots qui sont employés ou par les
faits qui sont relatés. Une grande capacité d’adaptation aux personnes et aux situations est
également requise. L’audition d’un enfant, par exemple, nécessitera le choix d’un vocabulaire
particulier. Dans toutes les auditions, chaque phrase est traduite l’une après l’autre et les
silences présentent également leur importance.
En conclusion, les seules connaissances linguistiques ne suffisent pas pour une bonne
interprétation. Il apparaît essentiel d’y associer un dialogue avec les enquêteurs, une
connaissance du contexte de l’affaire, de maîtriser le vocabulaire technique, et de
retransmettre le plus fidèlement possible les propos tenus. Les paramètres psychologiques,
sociologiques, culturels de la personne entendue sont également à prendre en compte.
19
Volet 2 – Le rôle de la traduction dans la
promotion de la diversité linguistique et la
circulation des idées
Table ronde animée par Odile CANALE, Chef de la mission Emploi et diffusion de la
langue française, Délégation générale à la langue française et aux langues de France
(DGLFLF)
Participants :
 Didier DUTOUR, Responsable du pôle « Livre et Traduction », Institut Français
 Isabelle ESPALIEU, Chef du département de la traduction, Ministère des Affaires
étrangères et du Développement international
 Gisèle SAPIRO, Directrice d’études, École des hautes études en sciences sociales
(EHESS)
Isabelle ESPALIEU
Ces assises sont placées assez logiquement sous le haut patronage du MAEDI étant donné la
place que les langues étrangères occupent dans ce Ministère.
Avec un réseau de 160 ambassades et 17 représentations permanentes auprès des
organisations internationales, un réseau consulaire d’une centaine de consulats et un réseau
culturel important, il est évident que le Ministère des Affaires étrangères accorde une place de
choix aux langues étrangères.
Concrètement, cela signifie que le recrutement des agents se fait avec des épreuves
linguistiques de très bon niveau. Il n’est pas rare de trouver des titulaires de maîtrise de
langues occupant des postes de secrétariat. Ces compétences sont très valorisées lors des
affectations à l'étranger.
Au niveau le plus élevé, en dehors de la voie de l’ENA, les diplomates sont eux-mêmes
recrutés au terme de 2 concours très sélectifs, dont le concours dit d'Orient qui comporte (à
côté de l’anglais) des épreuves en arabe, chinois, persan, swahili ou hindi pour ne citer que
quelques exemples de cette belle diversité linguistique.
Ce très bon niveau de connaissance des langues des agents du MAE a bien sûr une incidence
sur notre service de traduction : en clair certains de « nos clients » estiment qu'ils sont au
moins aussi compétents que nous.
Comme vous le savez, après le latin, le français a été la langue de la diplomatie jusqu’au
siècle dernier. Les diplomates du monde entier se devaient de connaître le français.
De ce fait, les premiers registres du « bureau des traductions » que nous avons retrouvés, et
dont le plus ancien date de 1904, ne répertorient que des traductions en français d’actes d’état
civil, de pièces judiciaires, commissions rogatoires, contentieux, etc. Le Ministère des
Affaires étrangères ne comptait que 3 traducteurs, qui étaient par ailleurs traducteurs
assermentés et dépendaient de la Chancellerie.
C’est en 1919, lors de la négociation du traité de Versailles que la situation a basculé : comme
les 4 négociateurs étaient un Anglais (Lloyd George), un Américain (Wilson), un Français
(Clémenceau) et un Italien (Orlando), le traité fut rédigé en anglais et en français, marquant le
début de l’utilisation de l’anglais comme langue de la diplomatie.
À partir de 1919, le ministère a commencé à recruter des traducteurs supplémentaires et a mis
en place une véritable section de traduction dirigée par un « chef des traducteurs » qui seront
dotés d’un statut particulier en 1934.
Il est très intéressant de suivre l’évolution de la part respective des différentes langues dans
l’activité du service puisqu’elle correspond aux fluctuations de l’histoire.
En 1975, l’anglais et l’allemand faisaient jeu égal, représentant chacune 25 % des traductions.
Puis vient l’italien avec 14 % des traductions, l’espagnol et le russe avec 7 % des traductions
chacune, reléguant loin derrière l’arabe, le polonais et le portugais avec chacune 3 %.
La part de la sous-traitance était alors de 24 % de l’activité. Seules 325 pages de traduction du
français vers l’anglais ont été externalisées. Dans la liste des traducteurs extérieurs, nous
trouvons des langues aussi diverses que l’annamite, le berbère, le copte, l’hindoustani, le
javanais, le siamois, le peul et le syrien.
En 2013, le paysage a totalement changé. L’anglais représente 57 % des traductions, l’arabe
12,5 %, l’espagnol 9,5 %, l’allemand 5,5 %, le russe 3 % et l’italien 1,5 %.
De surcroît, les demandes de traduction vers les langues étrangères (dont l’anglais bien sûr)
ont été démultipliées.
La structure actuelle de notre service répond à ces demandes. Nous employons
7 francophones, 4 anglophones, 1 hispanophone et 1 arabophone. Nous sous-traitons les
traductions de langues moins courantes. Nous recevons une cinquantaine de demandes par an
environ (ouzbek, turc, ukrainien, arménien, géorgien etc.). Reste le cas du chinois, longtemps
géré uniquement par notre poste de Pékin, mais la demande est actuellement en forte hausse,
sans doute à cause du volet « développement international et tourisme », récemment introduit
au MAE.
La structure actuelle nous permet de répondre au mieux aux besoins de traductions d’un
Ministère qui présente une politique de communication extrêmement dynamique, portée par
toutes les directions, notamment la direction générale de la mondialisation.
La traduction constitue un élément important de la diplomatie publique ou diplomatie
d’influence, ou soft power. Il importe de faire connaître les idées de la France dans le monde
entier et dans la langue du destinataire. Le site France-Diplomatie enregistre donc une très
forte fréquentation internationale, car il est l’un des plus multilingues du monde, suivant en
cela les préconisations de la loi Toubon dont nous venons de célébrer les 20 ans.
Enfin, au moment où se déroule le Sommet de la Francophonie à Dakar, une dernière
remarque doit être apportée. Après avoir cru que le déclin de la traduction des langues
étrangères vers le français était inéluctable dans notre service, nous observons depuis quelque
temps une hausse des demandes consécutive à la politique française de « pivot vers
l’Afrique ».
21
Didier DUTOUR
L’Institut français est un opérateur de l’action culturelle extérieure du Ministère des Affaires
étrangères. Il participe à la diplomatie d’influence en faisant connaître la création et les idées
de la France. La traduction est un puissant moteur d’action puisque l’industrie du livre
représente la première industrie culturelle à l’exportation. Les domaines de la traduction et de
la cession de droits constituent près de 6 % du chiffre d’affaires de certaines maisons
d’édition. Plus de 12 000 titres sont cédés du français vers une langue étrangères chaque
année (les traductions ou retraductions d’ouvrages du domaine public ne sont pas
comptabilisées). L’Institut français a donc pour tâche de contribuer à la conversation
mondiale en faisant traduire les œuvres des grands intellectuels et auteurs français, en
favorisant l’émergence de nouvelles scènes intellectuelles à l’étranger, et en contribuant aux
politiques de lancement de certains auteurs. L’Institut français et les instituts français
localement consacrent près de 1,4 million d’euros à la traduction. Ce budget s’ajoute aux 800
000 euros alloués par le Centre national du livre.
Le métier de traducteur occupe un rôle central et décisif au sein de la chaîne du livre, c’est
pourquoi l’Institut français a souhaité participer au renouvellement des générations de
traducteurs concernant certaines grandes langues. Un programme de parrainage a été mis en
place avec le collège national des traducteurs pour le chinois, le turc, le coréen et le portugais.
Il consiste à associer des jeunes traducteurs français et étrangers à des traducteurs confirmés
pour travailler sur des textes anciens et contemporains et obtenir les qualifications requises.
L’Institut français souhaite valoriser le dialogue et la diversité interculturelle et littéraire. Le
Brésil a été invité à l’occasion de la prochaine édition du salon du livre et l’Institut encourage
le développement des traductions dans des registres qui ne sont pas uniquement littéraires.
Pour répondre à ces enjeux, l’Institut français s’est appuyé sur les conclusions du rapport
établi par Gisèle Sapiro et qui est accessible sur le site internet de l’Institut français.
Gisèle SAPIRO
Le marché de la traduction de livres est devenu lucratif pour les éditeurs et constitue depuis
longtemps un instrument diplomatique pour les gouvernements. La traduction représente
également une forme d’échange d’intellectuel et de circulation des idées. Les enjeux de ce
secteur sont donc à la fois économiques, politiques, intellectuels et culturels. Néanmoins, une
nette asymétrie caractérise ce marché : l’anglais domine à présent toutes les autres langues
alors que le français servait de langue de référence des échanges au XIXe
siècle. Nous
pouvons nous demander si la mondialisation a réellement favorisé les échanges interculturels.
Entre 1980 et 2000, la part des livres traduits dans le monde a augmenté de 50 %. Cependant,
l’intensification de la production ne s’est pas forcément accompagnée d’une diversification
des échanges.
L’anglais reste la langue la plus traduite. La croissance des traductions de livres de l’anglais
est supérieure à la part de production de livres en anglais sur le marché mondial de l’édition.
Le russe est la langue qui a le plus pâti de cette domination de l’anglais. Les facteurs
politiques ont été déterminants. La politique étatique qui favorisait la traduction du russe en
URSS s’est arrêtée brusquement au moment de l’effondrement du régime. Les marchés
français et allemand ont réussi à conserver leur position.
Nous observons un renforcement des langues asiatiques depuis les années 1990 suite au
succès des mangas pour le japonais. La densité et la diversité des échanges au sein du
continent européen sont les plus élevées. Deux tiers des contrats de cession signés par les
éditeurs français pour la période 1997-2006 l’ont été avec des pays européens. Cette part est
un peu plus faible (60 %) pour les cessions en sciences humaines, mais plus élevée (72 %)
pour les contrats concernant des textes littéraires. Cette intensité des échanges intra-européens
correspond aussi à une plus grande diversité. En effet, pour la période étudiée, les droits de
traduction du français avaient été cédés pour 80 langues en Europe, contre 48 hors Europe.
Des droits avaient été acquis pour la traduction en français de 41 langues européennes contre
22 langues non européennes. Du coup, cette zone joue en outre, notamment grâce au français,
à l’allemand et à l’espagnol, un rôle de médiation entre littératures périphériques. Le nombre
de traductions publiées dans ces langues est en effet supérieur à celles qui paraissent en
anglais et la diversité des idiomes d’origine plus grande.
Plus un pays est dominant, moins il traduit. La part des traductions dans le marché du livre
aux États-Unis est inférieure à 3 %. Le taux des traductions, en France, a augmenté dans les
années 1990, où il passe de 15 % à 18 % ; en nouveautés romanesques, il atteint entre 35 % et
40 % des titres publiés. 50 % des traductions dans le monde concernent des textes littéraires.
Le secteur littéraire est dominé par l’anglais, mais reste le lieu d’une diversité linguistique
importante. Les traductions aux États-Unis sont délaissées par les maisons traditionnelles, car
elles représentent une prise de risque trop importante. Elles sont reprises par des presses
universitaires, de petits éditeurs indépendants et des maisons à but non lucratif. Pour ces deux
dernières catégories, la traduction est devenue une cause culturelle et politique. Il s’agit de
promouvoir la traduction afin d’assurer une mondialisation authentique et de lutter contre la
domination de l’anglais.
Le livre reste un outil de diffusion majeure des sciences humaines et sociales. Il dépasse la
communauté des spécialistes. Il permet aux sciences humaines de participer au débat d’idées
dans la société. Cependant les chances d’être traduits sont inégales. Elles dépendent de
plusieurs facteurs. En premier lieu, la centralité de la langue d’écriture. Deuxièmement, le
capital symbolique collectif accumulé par une discipline ou un domaine dans une langue : la
philosophie allemande et la philosophie française, par exemple, ont plus de chance d’être
traduites que la philosophie russe. La philosophie représente d’ailleurs le premier domaine de
traduction de livres en français aux États-Unis. Le capital symbolique individuel a également
une grande importance. Des auteurs comme Barthes, Foucault ou Derrida sont
systématiquement traduits. L’ouvrage de Bourdieu, Sur la télévision, a été traduit en
25 langues. Le livre de Thomas Piketty, Le Capital au XXIe
siècle, a également bénéficié
d’une large audience encourageant sa traduction en plusieurs langues. La réception nationale
et internationale de l’œuvre, le capital social de l’auteur et l’importance de son réseau
universitaire favorisent la traduction de ses travaux.
Des problèmes d’harmonisation des pratiques subsistent néanmoins, notamment en matière de
contrats et de cession de droits. La contribution des politiques publiques est indispensable à
l’avenir de la traduction. Outre l’aide au financement de la traduction, elle permet de soutenir
la prospection, la promotion et l’organisation des rencontres professionnelles. Certaines
difficultés techniques persistent en matière de traduction en sciences humaines. La formation
des traducteurs spécialisés en sciences humaines doit être encouragée afin de permettre le
développement d’une voie réelle de professionnalisation.
23
Questions
De la salle
Quel est l’impact du numérique sur les décisions éditoriales en matière de traduction ?
Gisèle SAPIRO
Le secteur du numérique a créé des difficultés en matière de contrats. L’achat en ligne
modifie la question des droits. La globalisation, un temps perçue comme un processus de
déterritorialisation, donne lieu dans les faits à une véritable guerre des territoires.
De la salle
L’Inde constitue un acteur majeur de la traduction en langue anglaise. Qu’en est-il du droit de
regard de l’auteur sur les traductions ?
Didier DUTOUR
Le droit moral de l’auteur sur la traduction qui figure dans la législation française n’existe pas
dans le copyright. Les accords de l’OMC permettent d’ailleurs de contourner la question du
droit moral. Concernant le numérique et les questions relatives à la chaîne de valeur du livre,
l’Europe réfléchit à une position qui pourrait être commune. D’autres pays comme le Brésil
sont aussi conscients des dangers que de telles pratiques présentent pour l’économie du livre.
25
Volet 3 – Traducteurs et interprètes au cœur
de la vie économique
Table ronde animée par Chris DURBAN, Traductrice, Société française des
traducteurs (SFT)
Participants :
 Tony BULGER, Traducteur technique, ancien Directeur d’agence de traduction
 Bettina LUDEWIG-QUAINE, Membre du Conseil de l’Association internationale
des interprètes de conférence (AIIC) et Coprésidente de l’AIIC France
 Myriam MAESTRONI, Présidente, Économie d’énergie
 Gayathri SIVAPURAPU, Responsable du département Traduction, Tata
Consultancy Services
Chris DURBAN
Les traducteurs et interprètes agissent au cœur de la vie économique en intervenant dans les
domaines scientifique, médical, financier, juridique et technique. Les clients comptent sur les
traducteurs pour faire avancer leur activité.
Nous pouvons distinguer actuellement trois marchés principaux de la traduction et de
l’interprétation. Le premier pourrait être appelé le marché du « vrac ». Ce secteur concentre
des volumes très importants de traduction dans des délais très courts et pour des
rémunérations minimes. Ce secteur sollicite d’ailleurs fortement la traduction automatique.
Le deuxième marché, dit « intermédiaire », essaie de produire des traductions de meilleure
qualité en encourageant la spécialisation, mais les délais ne sont pas toujours respectés et le
niveau des rémunérations est toujours problématique.
Le troisième marché, qualifié de « premium », correspond au secteur de la traduction
spécialisée. Le traducteur maîtrise un domaine précis d’activités et sait rédiger. Ce marché est
en croissance, les clients sont respectés et le niveau des rémunérations est correct. Les
traducteurs professionnels ont intérêt à viser ce marché « premium ».
Gayathri SIVAPURAPU
Le groupe TATA est présent dans 150 pays et emploie 580 000 personnes. Le chiffre
d’affaires du groupe s’élève à 103 milliards de dollars. 60 % des actifs de la holding TATA
Sons appartiennent à des trusts. Le groupe TATA représente le deuxième producteur mondial
des composants de soda. L’entité TATA Communications est spécialisée dans le
développement des communications hardware. Le groupe possède également des marques
emblématiques comme Jaguar et Land Rover.
TATA Consultancy Services compte 310 000 salariés dont 100 000 femmes. Son chiffre
d’affaires s’élève à 13,4 milliards de dollars avec un taux de capitalisation boursière
atteignant 53,4 milliards de dollars. La société assure un service continu de prestations
informatiques, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les équipes de traduction en français sont
basées à Paris alors que les équipes de traduction en anglais se situent en Inde. La société
essaie, en effet, de localiser ses activités de traduction en fonction des besoins linguistiques.
En France, les activités reflétant la responsabilité sociale de l’entreprise incluent des actions
avec la Fondation Good Planet, des manifestations sportives et des partenariats avec des
associations agissant dans les hôpitaux.
TATA Consulting Services est très actif dans le monde anglo-saxon. L’accent est mis à
présent sur la France et l’Allemagne. Un système on site offshore a été mis en place et
travaille en liaison avec le service commercial. Celui-ci reçoit des appels d’offres rédigés en
français et qui doivent être traduits en anglais. Une première traduction automatique, relue par
un spécialiste, est communiquée aux consultants situés en Inde. En cas d’acceptation de
l’appel d’offres, la réponse sera traduite intégralement par un spécialiste.
Bettina LUDEWIG-QUAINE
Les interprètes de conférence sont présents sur le marché privé. Ils participent aux rencontres
diplomatiques et officielles. Ils interviennent dans les entreprises, les négociations
commerciales, les comités d’entreprise européens, ou les visites d’entreprise. L’interprétation
est réalisée soit de manière consécutive soit de manière simultanée en fonction des besoins du
client.
L’AIIC souhaite représenter les intérêts de la profession dans son intégralité. Elle compte
3 000 membres, présents sur tous les continents et dans une centaine de pays. Nous
dénombrons 400 membres en France, toutes langues confondues. Par ailleurs, l’accès à la
profession n’est pas réglementé. Trois problèmes affectent le marché privé : le « tout-
anglais », la crise économique et les restrictions budgétaires qu’elle induit, et la présence sur
le marché d’opérateurs extérieurs à la profession.
La multiplication des communications en anglais représente une réalité durable. Elle engendre
un rétrécissement évident du marché de l’interprétation. Le nombre de langues proposées est
réduit et la langue d’interprétation se limite souvent à celle du pays dans lequel a lieu
l’intervention. Or, le niveau de l’anglais parlé dans ces circonstances est assez pauvre. De
sérieux problèmes de compréhension surgissent entre les intervenants, qui sont de faux
anglophones. De plus, la traduction de cet anglais incorrect par l’interprète relève souvent
d’un décodage fatigant. Les conditions de travail des interprètes se sont considérablement
dégradées.
La crise a engendré d’autres restrictions. Le budget des organisations internationales a
diminué. Le nombre de journées de travail allouées aux interprètes non permanents a diminué
et leur rémunération a été réévaluée à la baisse.
Enfin l’apparition d’opérateurs extérieurs pose un problème de concurrence. Ils proposent des
services d’interprétation au sein d’un catalogue de prestations présenté lors d’un appel
d’offres auquel les interprètes ne peuvent prendre part.
Pour remédier à ces difficultés, l’AIIC négocie des accords avec les organisations
internationales. Les interprètes travaillant au Conseil de l’Europe ne sont pas obligés d’être
membres de l’AIIC mais l’association a mis en place des actions pour ses membres et pour les
interprètes non adhérents afin de faire face aux défis mentionnés. Qualité et professionnalisme
constituent les objectifs prioritaires de l’AIIC. Une commission en charge des marchés privés
a été créée. Un réseau d’interprètes-conseils a été créé pour aider à la négociation des contrats.
27
En conclusion, le métier d’interprète ne se justifie et ne survivra que si les prestations reflètent
une grande qualité.
Myriam MAESTRONI
J’ignorais totalement le contenu de vos métiers avant de m’y intéresser dans le cadre de
l’activité économique de mon entreprise. Je vous livre ainsi un témoignage d’utilisatrice. J’ai
pu constater que différents niveaux de qualité existaient en fonction des secteurs et des
prestations demandées.
Mon entreprise appartient au secteur de l’efficacité énergétique. Or, il est essentiel que les
traducteurs identifient les secteurs en croissance et qu’ils maîtrisent leur terminologie afin de
pouvoir répondre aux besoins de ces nouveaux marchés. Un véritable marché européen de
l’efficacité énergétique commence à se créer. Les besoins en traduction multilingue sont
particulièrement conséquents. Il est impératif que des traducteurs se spécialisent dans ce
secteur et que des formations soient organisées en partenariat avec les entreprises.
J’ai malheureusement connu une expérience très négative lorsque j’ai demandé à ce que mon
livre soit traduit. Mon éditeur a eu recours à un prestataire visiblement peu qualifié. Je me suis
rendue compte en relisant les épreuves que le fournisseur avait vraisemblablement eu recours
à une traduction automatique. Par ailleurs, des variations de prix très importantes existent
entre les différents prestataires. Afin d’être sûr de pouvoir bénéficier d’un service de qualité,
il serait utile et bénéfique que l’Union Européenne mette en place des aides à la traduction à
destination des jeunes entreprises et des start-up. Ces subventions dédiées à la traduction
permettraient la croissance des marchés à l’intérieur de l’Union Européenne et garantiraient
des prestations de haut niveau.
Tony BULGER
Deux idées importantes sont à retenir des interventions précédentes : la spécialisation et la
formation. La qualité des prestations et la réactivité des traducteurs face aux besoins des
différents secteurs sont décisives.
Les marchés évoluent. Le marché du « vrac » paraît contaminer le marché intermédiaire des
prestations proposées par des traducteurs généralistes. La domination de l’anglais et les
avancées technologiques, en matière de logiciels de traduction, contribuent à la disparition
progressive de ce marché intermédiaire. L’accent doit être mis sur les traductions « haut de
gamme » et très spécialisées. Ce marché exige, de la part du traducteur, une maîtrise totale des
langues de travail et en particulier de sa langue maternelle. Une connaissance accrue des
langues et du contexte de spécialisation ne suffit pas. Il est nécessaire également de savoir
écrire et de pouvoir prendre en compte certains paramètres culturels. Les donneurs d’ordre
sont de plus en plus compétents en langues. Une conception très claire des exigences du client
est impérative.
Les traducteurs qui visent ce marché haut de gamme doivent prendre conscience de
l’importance de la formation continue, afin de suivre les évolutions terminologiques de leur
domaine de spécialisation. Spécialisé dans la réglementation financière, j’ai assisté à des
sessions de formation destinées aux professionnels du secteur. J’ai pu, tout à la fois, acquérir
des connaissances et rencontrer des clients potentiels.
En conclusion, j’insisterai sur le fait que rencontrer les acteurs du métier est primordial. La
spécialisation et la professionnalisation sont essentielles à la formation des traducteurs.
Questions
De la salle
Je suis traducteur spécialisé dans le domaine de la finance. Je voudrais cependant aller à
l’encontre de cette promotion de la spécialisation. Les possibilités de recherche à notre
disposition (internet, etc.) nous dispensent de nous spécialiser. Nous sommes avant tout des
linguistes. Par ailleurs, je souhaiterais des précisions sur les processus de traduction en Inde et
le recours à la traduction automatique. Comment l’interlocuteur peut-il comprendre un appel
d’offres traduit de manière automatique ?
Gayathri SIVAPURAPU
Dans un premier temps, nous devons décider si nous souhaitons répondre à l’appel d’offres.
La traduction automatique sert de canevas à la discussion préliminaire qui se tient entre les
consultants en France et en Inde. Si l’appel d’offres est retenu, nous recourrons à une post-
édition et à une traduction plus précise, réalisée de manière artisanale par nos traducteurs
francophones. La traduction automatique permet une première compréhension.
Chris DURBAN
Qu’en est-il de la spécialisation pour les interprètes ?
Bettina LUDEWIG-QUAINE
Les interprètes ne se spécialisent pas vraiment. Le périmètre des conférences dans un sujet
donné est trop restreint. La compétence essentielle de l’interprète consiste à pouvoir assimiler
rapidement et efficacement un nombre suffisant d’informations pour reproduire un message
de manière fiable.
Chris DURBAN
Myriam Maestroni, avez-vous quelque chose à ajouter sur les notions de spécialisation
superficielles ou profondes ?
Myriam MAESTRONI
Je souhaite insister sur le fait que la conférence pour l’environnement aura lieu en France dans
un an. Les besoins en traduction et en interprétation seront considérables. J’ai créé une
fondation intitulée Efficacité énergétique et économie d’énergie. Les deux termes signifient la
même chose mais appartiennent à deux mondes différents. Chaque mot sert à exprimer des
choses précises. La qualité ne doit pas être compromise aux dépens du prix mais il est
important que l’Union européenne puisse proposer des sources de financement et des
subventions.
29
Gayathri SIVAPURAPU
Lorsque j’étais traductrice, j’étais heureuse de ne pas avoir à me spécialiser car mon travail
était plus enrichissant.
De la salle
Je pense qu’il est nécessaire de se spécialiser. Le traducteur doit pouvoir lire entre les lignes et
deviner ce qu’a voulu dire l’interlocuteur. Mais il est nécessaire de se spécialiser dans
plusieurs domaines. Il importe d’identifier les domaines porteurs.
L’ESIT a lancé un module de formation en rédaction technique que nous espérons
développer. La traduction est une profession. Si le client souhaite une prestation de qualité, il
doit recourir à des professionnels.
Comment les entreprises peuvent-elles savoir comment choisir un bon traducteur ? Le monde
de la traduction manque de visibilité pour les étudiants et les donneurs d’ordre. Madame
Maestroni, comment auriez-vous aimé être informée ?
Myriam MAESTRONI
J’ai cherché un éditeur capable de diffuser en plusieurs langues. Il est nécessaire d’identifier
les intermédiaires qui servent la profession.
Chris DURBAN
La SFT a édité des brochures intitulées « Faire les bons choix » que nous vous transmettrons.
De la salle
Dans l’activité de traducteur judiciaire, nous sommes appelés à traduire des documents
techniques et juridiques. Le traducteur-interprète doit savoir s’adapter à cette activité.
Chris DURBAN
En tant que traducteur professionnel, il importe d’être conscient de ses limites en termes de
spécialisation. J’attire votre attention sur une brochure, traduite en 14 langues et mise à
disposition par la SFT.
31
Volet 4 – Nouvelles technologies, nouvelles
compétences et enjeux pour la formation
Table ronde animée par Nicolas FROELIGER, Président de l’Association française des
formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT)
Participants :
 Tatiana BODROVA, Directeur de l’École supérieure d’interprètes et de
traducteurs (ESIT)
 Josep BONET, Chef de l’unité Développement professionnel et organisationnel,
DG Traduction, Commission européenne
 Olga COSMIDOU, Directeur général de l’interprétation et des conférences,
Parlement européen
 Alain COUILLAULT, Professeur associé, Université de La Rochelle
 Sandrine PERALDI, Directrice de la recherche, Institut de management et de
communication interculturels (ISIT)
Nicolas FROELIGER
La maîtrise des nouvelles technologies est désormais indispensable au métier de traducteur.
Cependant, les compétences linguistiques s’avèrent tout aussi essentielles. L’Association
française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT) – que je
représente ici – compte aujourd’hui 18 formations qui ont pris la mesure de cette double
exigence.
L’essor des nouvelles technologies et d’Internet, au cours des dernières décennies, a suscité
une certaine défiance vis-à-vis de ce qui apparaissait comme une mécanisation de l’activité.
Néanmoins, l’utilisation des dictaphones et des traitements de texte avaient déjà donné lieu à
ce type de ressenti. Le rôle de ces outils doit être défini au sein des formations en prenant en
compte les évolutions du métier et des besoins du marché.
Cette table ronde vise à mettre en rapport les usages de la vie professionnelle et les réponses
apportées par les différentes formations universitaires.
Alain COUILLAULT
Une étude, réalisée sous les auspices de la DGLFLF, a été conduite durant les mois de
septembre et d’octobre. Elle porte sur les outils informatiques d’aide à la traduction. Cette
enquête qualitative consistait à interroger leurs utilisateurs et à sonder leur taux de
satisfaction. Cinq types d’outils ont été évalués. Premièrement, nous avons enquêté sur les
outils de conversion qui consistent à transformer un document source en un document
exploitable. Deuxièmement, nous avons interrogé les traducteurs à propos des outils de
mémoires de traduction. Troisièmement, nous avons évalué les outils de traduction
automatique, en interrogeant des utilisateurs professionnels. Quatrièmement, nous avons
enquêté sur les outils d’extraction terminologique. Cinquièmement, nous avons évalué les
outils de gestion terminologique. Le questionnaire élaboré fut volumineux et était constitué de
questions fermées et ouvertes.
Nous avons recueilli plus de 700 réponses qui ont produit une grille de 197 colonnes et de 899
lignes qui est en cours d’analyse. Le document final comportera différents tableaux présentant
les avis des utilisateurs à propos des différents outils. Un indice d’utilité pour le métier de
traducteur sera attribué pour chaque fonction offerte par les outils. Quelque 11 % de
répondants viennent du secteur de la formation, 11 % appartiennent au secteur public, 12 %
travaillent au sein d’organisations internationales, 55 % sont indépendants.
De nouveaux modèles émergent en termes de traduction. Certains outils sont utilisés en ligne
et le crowdsourcing, c’est-à-dire la répartition du travail en ligne, progresse.
En conclusion, un rapport final sera établi au cours du premier trimestre de l’année 2015. Il
sera mis à disposition par la DGLFLF.
Josep BONET
La DGT traite un volume considérable de données. Lorsque j’ai débuté en tant que traducteur
à la DGT, la part la plus importante de mon travail consistait à rechercher l’ensemble des
citations de la législation. L’essor des outils informatiques a eu un impact considérable sur
notre travail. La recherche par mots-clés a permis d’unifier les traductions et d’utiliser une
terminologie et une phraséologie constantes.
L’utilisation des nouvelles technologies a également engendré des effets bénéfiques sur la
qualité des documents produits. La traduction automatique est aussi devenue un outil utile
compte tenu du caractère industriel de la production de la DGT. Les délais de production et le
time-to-market sont de plus en plus réduits. Les hommes politiques ne souhaitent pas attendre
trois semaines pour publier une directive parce que sa traduction prendrait du temps. La
division des tâches et l’utilisation de la technologie sont devenues indispensables à
l’élaboration du corpus législatif et à sa mise à disposition auprès du public européen.
Sandrine PERALDI
Les formations universitaires doivent affronter ces nouvelles réalités technologiques. Elles
doivent s’adapter à la diversification des compétences et former les futurs traducteurs. Plus de
20 masters en traduction existent en France, dont la moitié bénéficient du label EMT. Les
approches pédagogiques sont multiples.
Il est absolument nécessaire de confronter les étudiants à ces nouvelles réalités
technologiques. Il importe de développer leur intelligence critique au moment même où
certains d’entre eux peuvent conserver une vision romantique de la traduction.
Notre cœur de métier reste la compétence traductionnelle et la compréhension des subtilités
de la langue. Toutefois, les outils font partie du marché de la traduction et la plupart des
formations universitaires prennent en compte cette diversité, même si l’intégration de ces
outils au réel pédagogique ne va pas forcément de soi. Nos formations n’ont pas le temps ni la
vocation de former tous nos étudiants à la totalité des techniques disponibles sur le marché.
Ces cours ne permettent pas toujours de former à l’utilisation de l’outil dans un contexte
professionnel.
Le défi présent consiste à articuler la pédagogie, la professionnalisation et la recherche.
33
L’apprentissage est valorisé et, dans certaines formations, les étudiants alternent semaine en
entreprise et semaine de cours. Nous les encourageons à réaliser des projets de recherche
appliqués (base multilingue, préconisation d’outils). Par exemple, nous menons actuellement
trois projets dont l’un a été commandité par la Commission européenne et consiste à évaluer
leur système de traduction automatique. Nous sollicitons l’intelligence critique des étudiants
afin qu’ils prennent conscience des forces et des faiblesses des outils utilisés.
Notre devoir consiste à proposer une formation universitaire solide d’un point de vue
technique tout en confrontant les étudiants aux problématiques actuelles rencontrées par les
organisations internationales et les centres de recherche. Il importe d’intégrer les étudiants à
une dynamique de projet afin de diversifier leurs compétences et de les initier au
management. Cette évolution de la formation constitue également un champ d’investigation
pour les enseignants-chercheurs. Ceux-ci sont invités à éprouver les nouveaux outils
disponibles afin de proposer des enseignements actualisés et pertinents.
Olga COSMIDOU
Le Parlement européen est une institution qui pratique tous les jours le multilinguisme
intégral. Il est le seul parlement supranational au monde à être élu au suffrage universel. Tous
les députés élus doivent pouvoir s’exprimer dans leur langue et se comprendre.
Quelque 24 langues officielles sont utilisées aujourd’hui et de plus en plus d’autres langues
internationales sont incluses dans les débats. Cette diversité représente 552 combinaisons
linguistiques et pose un défi logistique considérable.
Dans ce contexte, la profession craint un recours massif aux nouvelles technologies. Mais
cette inquiétude reste infondée. Pour l’heure, les compétences des logiciels de traduction sont
très limitées. Elles servent éventuellement au touriste qui aurait besoin d’établir une
communication de base dans un pays étranger. En aucun cas, les logiciels de traduction ne
peuvent actuellement être utilisés pour interpréter des conférences.
Néanmoins, il est du devoir des enseignants et des professionnels des institutions de préparer
les générations futures à l’utilisation des nouvelles technologies. Des cours virtuels et des
simulations de test de traduction peuvent être organisés pour familiariser les étudiants avec les
épreuves qu’ils auront à subir. Les écoles doivent se doter d’un système performant de
visioconférence afin de les entraîner aux processus de recrutement, et notamment à la
traduction simultanée de termes techniques comme les acronymes et les chiffres.
En conclusion, la technologie peut être apprivoisée. L’avenir appartient aux interprètes qui
auront apprivoisé tous ces nouveaux outils.
Tatiana BODROVA
Le but de la formation consiste à préparer les interprètes de conférence à assurer des missions
de très haut niveau afin qu’ils s’intègrent le plus vite possible dans le métier. Les nouveaux
enjeux de la formation des interprètes de conférence sont multiples et variés. Il importe
d’intégrer les nouvelles technologies dans l’enseignement, de préparer les futurs diplômés aux
conditions actuelles de travail, dans un marché en pleine mutation et de les armer contre les
dérives du métier actuelles et à venir.
Les étudiants doivent être formés à l’utilisation des nouvelles technologies. Internet et les
banques de données constituent des outils indispensables dans la préparation des sujets, des
cours, des exposés, mais aussi dans l’entraînement individuel et en groupe à la prise de notes.
La tâche des enseignants consiste à orienter les étudiants dans leur recherche documentaire et
leur apprendre à faire preuve de discernement et à utiliser les sources fiables.
L’intégration des exercices d’interprétation en visioconférences dans les cursus des masters 2
à l’ESIT, constitue un outil indispensable à la formation. Ces visioconférences, organisées
dans de bonnes conditions entre différentes écoles d’interprétation et des institutions
européennes permettront aux diplômés de juger, ensuite, dans la vie professionnelle, si les
liaisons proposées sont suffisamment bonnes pour qu’une interprétation de qualité puisse être
fournie.
L’objectif de la formation consiste à préparer l’insertion rapide des diplômés sur le marché du
travail et à répondre aux demandes du marché sur le plan des combinaisons linguistiques. Les
institutions européennes mais aussi les organisations internationales demandent de plus en
plus d’interprètes quadrilingues. C’est un réel défi pour les écoles d’interprètes (multiplication
de nombre de cours, besoin de salles de cours supplémentaires, augmentation du nombre
d’enseignants, etc.) qui auraient besoin de plus de soutien de la part des organismes de tutelle
dans cette filière de formation au combien nécessaire.
Enfin, pour former les futurs interprètes à la réalité professionnelle et les alerter contre
d’éventuelles dérives du métier, nous mettons les étudiants en situation quasi professionnelle
lors des cours de préparation aux conférences, lors des cours virtuels intégrés avec nos
partenaires européens, ou encore, en leur offrant la possibilité de réaliser des stages au sein
d’organisations internationales.
Nous aidons également les jeunes diplômés à prévenir la dégradation de leurs conditions de
travail et à éduquer leurs futurs employeurs. Leur statut et leur rémunération sont justifiés par
leur niveau d’études et la qualité de leur préparation. Le métier de l’interprétation n’est pas
facile mais il reste passionnant et indispensable. Une formation de haut niveau garantit la
réalisation de prestations de très haute qualité.
35
Questions
Nicolas FROELIGER
Au vu de ces interventions et de leur contexte, on peut dire que nous sommes finalement, les
uns et les autres, face à trois questions d’ordre général :
- la technologie fait-elle partie de la culture, ou bien est-elle dans celle-ci un corps
étranger ?
- dans quelle mesure la nature même de la traduction – et donc le profil des traducteurs,
y compris dans leur formation et leur recrutement – est-il affecté par cet
investissement croissant des outils numériques dans ce secteur ?
- de quelle manière ces reconfigurations influent-elles sur le partage de la valeur ajoutée
et les interfaces entre métiers de la traduction et spécialités connexes ?
La fixation des tarifs dépend aussi des rapports de force et de la négociation qui s’opèrent
entre les entreprises et leurs prestataires. Les institutions joueront un rôle d’arbitre ou de
modèle dans cette évaluation.
De la salle
L’expression « rapports de force » est problématique. Elle s’applique peut-être aux entreprises
mais non aux institutions. L’utilisation des outils technologiques par les traducteurs conduit à
une réévaluation des devis.
Ma question porte sur la situation des interprètes dans les zones de conflit. Quels sont les
dispositifs prévus pour assister les interprètes en contexte de guerre ?
Nicolas FROELIGER
Ce sujet a également été abordé lors de différentes manifestations récentes, ce qui montre son
actualité. Il est en tout état de cause utile, ici, de distinguer les interprètes de terrain et les
interprètes de conférence.
Bettina LUDEWIG-QUAINE
L’AIIC s’intéresse à la situation des interprètes en zones de conflits. Ils sont trop souvent
perçus comme des traîtres au sein de leur propre population. L’AIIC est une association
d’interprètes de conférence, mais elle s’intéresse activement aux autres formes
d’interprétation.
Par ailleurs, les interprètes de conférence ne sont pas opposés aux nouvelles technologies,
puisqu’ils les utilisent de plus en plus. Ils sont en revanche inquiets de l’utilisation de plus en
plus fréquente de la téléconférence. Cette méthode compromet des principes déontologiques
comme la présence physique de l’interprétation sur son lieu de travail. Un écran est
bidimensionnel et ne procure pas du tout la même sensibilité. Il ne permet pas de comprendre
de la même manière la personne qui intervient.
Olga COSMIDOU
L’AIIC veille à ce que ces méthodes ne deviennent pas une réalité quotidienne. Cependant,
dans un contexte de globalisation, il est nécessaire d’admettre que ces pratiques sont en
vigueur, notamment aux États-Unis. Jusqu’à quand la vieille Europe pourra-t-elle résister à
ces modes de fonctionnement ? Le Parlement est la seule organisation qui a réalisé des tests
avec une équipe pluridisciplinaire de médecins sur la visioconférence et sur la situation des
interprètes, sans parvenir à prouver les réalités recherchées. Plutôt que de s’insurger contre
ces pratiques, ne conviendrait-il pas de s’interroger sur les meilleures manières de les mettre
en œuvre ? Il est nécessaire de réfléchir à l’encadrement de ces pratiques plutôt qu’à leur
fréquence.
De la salle
Je souhaite connaître la part du volet consacré à la technologie dans les cursus de traduction,
en termes de volumes horaires. Ne prenons-nous pas le risque de former des techniciens de la
traduction plutôt que des traducteurs ?
Sandrine PERALDI
Je vous rassure, la part de ce volet représente 5 % ou 10 %. Les projets que j’ai évoqués
correspondent à des mémoires de fin d’année portant sur ces sujets. Certains projets portent
sur les hautes technologies, mais d’autres étudiants ont choisi de traduire des sites Internet
pour le compte d’associations humanitaires. Nous offrons ces formations aux étudiants pour
qu’ils puissent choisir par la suite leur orientation professionnelle. Il est difficile aujourd’hui
de réaliser des traductions professionnelles sans maîtriser ces outils, mais en aucun cas cette
formation ne vise à remplacer nos compétences fondamentales.
37
Conclusions
Mikaël MEUNIER
C’est donc à moi que revient la lourde tâche de clore cette journée extrêmement riche et d’en
tirer quelques conclusions, qui seront, je le crains, autant de fenêtres ouvertes sur d’autres
travaux, d’autres débats, d’autres réunions à venir, tant cette journée a été longue – si j’en
juge les traits tirés de certains d’entre nous – et courte à la fois, car vous avez dû, comme moi,
vous dire que chacun des thèmes abordés aurait mérité à lui seul une journée de conférence
tout entière, voire plus.
Or cette grande diversité des thèmes et ce traitement parfois rapide des sujets relèvent
précisément des objectifs de ces assises. Ils répondent à un choix délibéré des organisateurs de
ramasser différents sujets qui affleurent à la surface de l’actualité de nos professions afin de
les proposer aux intervenants qui se sont succédé à cette tribune ou à cette table tout au long
de la journée.
Mesdames Hauschildt et Donovan – nos deux éminentes représentantes de grandes
institutions internationales, traditionnels employeurs d’interprètes et de traducteurs – nous ont
rappelé, si cela était nécessaire, l’importance des traducteurs et des interprètes dans leurs
enceintes et bien au-delà. « La diversité linguistique est inscrite dans l’ADN de l’Union
européenne et les traducteurs et les interprètes sont les cellules sanguines du projet
européen ». Ils sont ainsi devenus des rouages indispensables de la vie publique et du
fonctionnement de l’Union européenne, permettant de faire vivre un multilinguisme
institutionnel qui sert l’intérêt public et illustre le respect pour toutes les langues, quels que
soient leur influence et leur poids dans la vie politique ou économique, et par là même l’idée
du projet européen.
Les débats ont permis d’aborder la question de la traduction et de l’interprétation au service
des citoyens : du moins direct – en apparence du moins – avec la thématique du
multilinguisme officiel dans les organisations internationales, au plus concret, sur le terrain,
avec la problématique du droit à la traduction et à l’interprétation dans les procédures pénales
et une plongée au cœur des enquêtes de police. Monsieur Fox a très justement illustré le large
spectre de cette table ronde en soulignant ce paradoxe de la définition du multilinguisme, qui
consiste pour un citoyen, à parler plusieurs langues, alors qu’il revient, dans les enceintes
internationales, à parler sa propre langue en se reposant sur le travail des traducteurs et
interprètes.
La deuxième table ronde portait sur la contribution de nos professions à la vie diplomatique, à
la circulation des idées, et a permis de jeter un pont, trop rare, entre ces univers de la
traduction que sont la traduction littéraire/des sciences humaines, et la traduction
pragmatique/technique, quel que soit le nom qu’on lui donne.
Après le déjeuner, il a été question de quelques problématiques brûlantes du volet
économique de la traduction : comment faire face à l’augmentation du volume de la demande,
qui ne cesse de croître – c’est la bonne nouvelle maintes fois répétée de la journée ? Comment
prioriser les documents à traduire, et donc l’affectation des budgets de traduction dans les
entreprises ? L’importance de la collaboration et de la coordination entre les professionnels et
les clients est clairement apparue. Les vifs échanges qui s’en sont suivis sur le thème de la
nécessaire spécialisation (ou non) des traducteurs, leur capacité d’adaptation et leur besoin de
formation ont constitué une formidable transition vers la dernière étape de notre réflexion.
Assises 2014 synthese_debats_fr
Assises 2014 synthese_debats_fr
Assises 2014 synthese_debats_fr
Assises 2014 synthese_debats_fr
Assises 2014 synthese_debats_fr

Contenu connexe

Similaire à Assises 2014 synthese_debats_fr

Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)
Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)
Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)profeurope
 
C1 exemple de_page-isbn-960-630-910-x
C1 exemple de_page-isbn-960-630-910-xC1 exemple de_page-isbn-960-630-910-x
C1 exemple de_page-isbn-960-630-910-xMahmoud Nasr
 
Appel ã  communication cmlf 2014
Appel ã  communication cmlf 2014Appel ã  communication cmlf 2014
Appel ã  communication cmlf 2014lhriba
 
Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014
Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014
Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014profeurope
 
Rapport sur les langues européennes menacées
Rapport sur les langues européennes menacéesRapport sur les langues européennes menacées
Rapport sur les langues européennes menacéesFabrice Valéry
 
litteratures et cultures de la francophonie
litteratures et cultures de la francophonielitteratures et cultures de la francophonie
litteratures et cultures de la francophonieJoseCotes7
 
Les actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophone
Les actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophoneLes actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophone
Les actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophoneMaë Coat
 
Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...
Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...
Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...Jamaity
 
Animons la Journée européenne des Langues
Animons la Journée européenne des LanguesAnimons la Journée européenne des Langues
Animons la Journée européenne des LanguesDiana Magalhães
 
Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)
Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)
Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)jornadaslinguas
 
Auf mag mars2021
Auf mag mars2021Auf mag mars2021
Auf mag mars2021PatrickTanz
 
Plaquette apiag imprimable
Plaquette apiag imprimablePlaquette apiag imprimable
Plaquette apiag imprimableDenis Reynaud
 
DALF C1 CIEP C
DALF C1 CIEP CDALF C1 CIEP C
DALF C1 CIEP Cmasperez
 
Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2
Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2
Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2laboratoridalbasso
 
Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...
Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...
Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...Elisa Agosti
 

Similaire à Assises 2014 synthese_debats_fr (20)

Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)
Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)
Tout le Bulletin PROF-EUROPE No 9, 2008 (Pages 1 à 116)
 
C1 exemple de_page-isbn-960-630-910-x
C1 exemple de_page-isbn-960-630-910-xC1 exemple de_page-isbn-960-630-910-x
C1 exemple de_page-isbn-960-630-910-x
 
Ppt francophonie
Ppt francophoniePpt francophonie
Ppt francophonie
 
Appel ã  communication cmlf 2014
Appel ã  communication cmlf 2014Appel ã  communication cmlf 2014
Appel ã  communication cmlf 2014
 
Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014
Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014
Bulletin PROF-EUROPE No 14, 2013/2014
 
Rapport sur les langues européennes menacées
Rapport sur les langues européennes menacéesRapport sur les langues européennes menacées
Rapport sur les langues européennes menacées
 
litteratures et cultures de la francophonie
litteratures et cultures de la francophonielitteratures et cultures de la francophonie
litteratures et cultures de la francophonie
 
Les actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophone
Les actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophoneLes actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophone
Les actes de tunis les migrations de la connaissance dans l'espace francophone
 
Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...
Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...
Les actes de tunis : les migrations de la connaissance dans l'espace francoph...
 
Frankofonifestivalen 2014
Frankofonifestivalen 2014Frankofonifestivalen 2014
Frankofonifestivalen 2014
 
Animons la Journée européenne des Langues
Animons la Journée européenne des LanguesAnimons la Journée européenne des Langues
Animons la Journée européenne des Langues
 
Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)
Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)
Enseigner-apprendre le français langue globale(isée)
 
Le radiology trainee forum.
Le radiology trainee forum.Le radiology trainee forum.
Le radiology trainee forum.
 
Interuniversity Summer school
Interuniversity Summer school Interuniversity Summer school
Interuniversity Summer school
 
Auf mag mars2021
Auf mag mars2021Auf mag mars2021
Auf mag mars2021
 
Plaquette apiag imprimable
Plaquette apiag imprimablePlaquette apiag imprimable
Plaquette apiag imprimable
 
DALF C1 CIEP C
DALF C1 CIEP CDALF C1 CIEP C
DALF C1 CIEP C
 
Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2
Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2
Ldb Ri-scosse_Marie-Pierre Escoubas Beneviste - Intercomprensione linguistica 2
 
Programme francophonieok
Programme francophonieokProgramme francophonieok
Programme francophonieok
 
Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...
Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...
Elisa Agosti TESI LAUREA TRIENNALE Tendances récentes de la didactique des la...
 

Assises 2014 synthese_debats_fr

  • 1. Janvier 2015 Traduction 4 tables rondes, 20 intervenants, 240 participants Sous le patronage du Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, de la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de la Ministre de la Culture et de la Communication Conférence co-organisée par : Avec le soutien de : Assises de la TRADUCTION et de l’INTERPRÉTATION « La diversité culturelle et linguistique: un défi pour la démocratie » Paris, le 28 novembre 2014 Synthèse des débats
  • 2.
  • 3. 3 Sommaire PROGRAMME..................................................................................................................... 5 ALLOCUTIONS D’OUVERTURE ............................................................................................. 7 Gurli HAUSCHILDT, Commission européenne...........................................................................7 Clare DONOVAN, OCDE .......................................................................................................................9 VOLET 1 – TRADUCTION ET INTERPRÉTATION AU SERVICE DES CITOYENS ...........................11 Table ronde animée par Nathalie GORMEZANO, ISIT Brian FOX, Commission européenne ......................................................................................11 John PARSONS, Conseil de l’Europe........................................................................................13 James BRANNAN, Cour européenne des droits de l’homme..................................................14 Émilie MOREAU, Direction centrale de la police judiciaire.....................................................16 VOLET 2 – LE RÔLE DE LA TRADUCTION DANS LA PROMOTION DE LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ET LA CIRCULATION DES IDÉES ....................................................................19 Table ronde animée par Odile CANALE, DGLFLF Isabelle ESPALIEU, Ministère des Affaires étrangères et du Développement international .19 Didier DUTOUR, Institut français ............................................................................................21 Gisèle SAPIRO, École des hautes études en sciences sociales................................................21 Questions.............................................................................................................................................23 VOLET 3 – TRADUCTEURS ET INTERPRÈTES AU CŒUR DE LA VIE ÉCONOMIQUE...................25 Table ronde animée par Chris DURBAN, SFT Gayathri SIVAPURAPU, Tata Consultancy Services.................................................................25 Bettina LUDEWIG-QUAINE, AIIC France..................................................................................26 Myriam MAESTRONI, Économie d’énergie.............................................................................27 Tony BULGER, Traducteur technique......................................................................................27 Questions ................................................................................................................................28 VOLET 4 – NOUVELLES TECHNOLOGIES, NOUVELLES COMPÉTENCES ET ENJEUX POUR LA FORMATION......................................................................................................................31 Table ronde animée par Nicolas FROELIGER, AFFUMT Alain COUILLAULT, Université de La Rochelle.........................................................................31 Josep BONET, Commission européenne.................................................................................32 Sandrine PERALDI, ISIT............................................................................................................32 Olga COSMIDOU, Parlement européen ..................................................................................33 Tatiana BODROVA, ESIT Sorbonne nouvelle...........................................................................33 Questions ................................................................................................................................35 CONCLUSIONS...................................................................................................................37 Mikaël MEUNIER, Commission européenne...........................................................................37
  • 4.
  • 5. 5 Programme Lieu :Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Amphi Abbé Grégoire, Paris 3e , France Matin 9h00 Allocutions d’ouverture Gurli Hauschildt, Directrice de la traduction, Direction générale de la traduction, Commission européenne Clare Donovan, Chef de la division Interprétation, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 9h30 Volet 1 – Traduction et interprétation au service des citoyens Table ronde présidée par Nathalie Gormezano, Directrice générale de l’Institut de management et de communication interculturels (ISIT) James Brannan, Traducteur, Cour européenne des droits de l’homme Brian Fox, Directeur de l’organisation de l’interprétation, DG Interprétation, Commission européenne Émilie Moreau, Capitaine de police, Direction centrale de la police judiciaire John Parsons, Chef du Service de la traduction, Conseil de l’Europe 11h30 Volet 2 – Le rôle de la traduction dans la promotion de la diversité linguistique et la circulation des idées Table ronde présidée par Odile Canale, Chef de la mission Emploi et diffusion de la langue française, Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) Didier Dutour, Responsable du pôle « Livre et traduction », Institut français Isabelle Espalieu, Chef du département de la traduction, Ministère des Affaires étrangères et du Développement international Gisèle Sapiro, Directrice d’études, École des hautes études en sciences sociales (EHESS) Après-midi 14h00 Volet 3 – Traducteurs et interprètes au cœur de la vie économique Table ronde présidée par Chris Durban, Traductrice, Société française des traducteurs (SFT) Tony Bulger, Traducteur technique, ancien Directeur d’agence de traduction Bettina Ludewig-Quaine, Membre du Conseil de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) et Coprésidente de l’AIIC France Myriam Maestroni, Présidente, Économie d’énergie Gayathri Sivapurapu, Responsable du département Traduction, Tata Consultancy Services 16h00 Volet 4 – Nouvelles technologies, nouvelles compétences et enjeux pour la formation Table ronde présidée par Nicolas Froeliger, Président de l’Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT) Tatiana Bodrova, Directeur de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) Josep Bonet, Chef de l’unité Développement professionnel et organisationnel, DG Traduction, Commission européenne Olga Cosmidou, Directeur général de l’interprétation et des conférences, Parlement européen Alain Couillault, Professeur associé, Université de La Rochelle Sandrine Peraldi, Directrice de la recherche, Institut de management et de communication interculturels (ISIT) 17h30 Conclusions Mikaël Meunier, Antenne de Paris, Direction générale de la traduction, Commission européenne
  • 6.
  • 7. 7 Allocutions d’ouverture Mikaël MEUNIER Responsable linguistique Représentation en France de la Commission européenne, Antenne de Paris de la Direction générale de la traduction Avant de présenter nos deux intervenantes, j’aimerais adresser de vifs remerciements aux trois ministres qui ont accepté de placer ces Assises de la traduction et de l’interprétation sous leur précieux patronage : Monsieur Fabius, Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, Madame Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Madame Pellerin, Ministre de la Culture et de la Communication. Notre première intervenante principale, Gurli Hauschildt est directrice à la Direction générale de la traduction de la Commission européenne depuis 2008, aujourd’hui responsable des départements de traduction des trois langues procédurales, à savoir l’allemand, l’anglais et le français, ainsi que de l’unité de coordination terminologique. Avant de rejoindre la Commission européenne, elle a été successivement traductrice et réviseuse danoise au sein du Comité économique et social européen, puis Chef du service conjoint de planification du Comité économique et social européen et du Comité des régions, enfin Chef de l’unité de coordination du Service conjoint de traduction du Comité économique et social européen et du Comité des régions. Gurli Hauschildt est titulaire d’un master en traduction et en interprétation de la Aarhus School of Business, au Danemark. Gurli HAUSCHILDT Directrice de la traduction Commission européenne, Direction générale de la traduction La Direction générale de la traduction de la Commission européenne (DGT) constitue, à double titre, un acteur majeur de la traduction. D’une part, la DGT emploie actuellement près de 1 600 traducteurs, toutes langues confondues. Des concours de recrutement, gérés par l'Office européen de sélection du personnel (EPSO) sont organisés chaque été. D’autre part, la DGT traduit approximativement 2,2 millions de pages par an dans les 24 langues officielles de l’Union européenne, mais aussi dans les langues des principaux partenaires commerciaux de l’UE (essentiellement le chinois, l’arabe et le russe). Le multilinguisme officiel de l’UE est unique au monde, car la législation européenne est produite simultanément dans vingt-quatre langues, ce qui suppose que les traductions de la DGT deviennent à terme des actes législatifs originaux. Avec plus de 60 ans d’expérience, au niveau supranational, la DGT a acquis une grande expertise de la traduction ainsi qu’une connaissance particulière de ses besoins, de ses contraintes et de ses enjeux puisque nos services travaillent pour une quarantaine de directions générales et de services aux besoins variés. La traduction représente l’épine dorsale de la DGT qui aspire, selon sa propre lettre de mission, à devenir une référence dans le monde de la traduction, tout en contribuant, dans le même temps, au développement de chaque langue officielle et du métier de traducteur.
  • 8. À l’occasion de la Journée européenne des langues, Mme Androulla Vassiliou, ancienne Commissaire européenne à l’éducation, à la culture, au multilinguisme et à la jeunesse, a affirmé que la « diversité linguistique » faisait partie de l’ADN de l’Union européenne. Pour prolonger cette métaphore, on pourrait qualifier les traducteurs et les interprètes de « cellules sanguines » du projet européen, car ils transportent l’oxygène qui lui est nécessaire – les valeurs, les principes, les actions, les programmes, le droit de l’Union européenne – vers chacune des langues et des cultures des citoyens européens. Les traducteurs sont une ressource très précieuse de la Commission européenne. C’est pourquoi nous accordons à leur travail toute l’importance nécessaire : la DGT leur offre un environnement de travail moderne et efficace et des possibilités variées de formation tout au long de leur carrière. De plus, il nous apparaît prioritaire de démonter la valeur ajoutée du travail des linguistes, qui sont d’abord considérés comme de véritables spécialistes des langues, des experts de l’interculturel, qui influent également sur la qualité de la législation et sur les conséquences des choix effectués par les rédacteurs. Cependant, la crise économique affecte également nos institutions. La DGT a l’obligation de réduire ses effectifs de 10 % entre 2013 et 2017, ce qui constitue aussi une occasion de repenser notre organisation et nos méthodes de travail. Il est ainsi essentiel que nous tous, traducteurs, formateurs, nous rapprochions des acheteurs/utilisateurs de traductions, afin de mieux comprendre le marché et réduire l’écart entre les besoins de services exprimés et les compétences proposées par les professionnels et enseignées par les formateurs. Les actions de la DGT, et notamment l’une de ses initiatives phares, la mise en place du « Master européen en traduction » (EMT), à la fois réseau et label d’excellence, répondent à cet impératif. Depuis son renouvellement complet en juin 2014, ce réseau compte 64 programmes et connaît un franc succès. Les formations mettent l’accent sur les compétences et l’employabilité des étudiants en traduction. Il est d’ailleurs significatif de retrouver parmi les organisateurs de cette conférence les responsables de prestigieuses formations comme l’ESIT et l’ISIT, ainsi que les autres masters français rassemblés au sein de l'Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT). Cela démontre combien la France, avec 11 masters labellisés EMT, et le monde francophone plus largement, avec trois autres labels d’universités francophones en Belgique et en Suisse, demeure une terre d’excellence pour la formation des traducteurs. La traduction est également au cœur de certains programmes de financement de la Commission européenne, notamment dans les actions culturelles et interculturelles de la politique de développement. L’évolution rapide du métier remet en question les habitudes, les certitudes quant aux outils, aux méthodes et aux attentes du marché. Toutefois, les perspectives s’avèrent éminemment positives ; les études montrent en effet une croissance rapide du marché. Les langues constituent une composante essentielle de nos identités, à la fois en tant que personnes et en tant que groupes, nations et sociétés. Les termes utilisés pour décrire nos compétences linguistiques sont d’ailleurs lourds de sens et d'émotion : langue « maternelle » ou langues « étrangères », par exemple. C’est pourquoi notre action au niveau européen doit être double : Premièrement, nous devons continuer de promouvoir l’apprentissage des langues dans toute l’Europe, tout en gardant à l’esprit que les politiques éducatives et linguistiques ne relèvent pas du niveau européen et que la Commission européenne ne peut que formuler des recommandations aux pays dans ces domaines afin de faciliter la communication, la
  • 9. 9 compréhension entre les citoyens, les nations et les cultures européennes, ainsi que l’émergence d’une identité commune (européenne) multiple et diverse. Deuxièmement, nous devons reconnaître le rôle central de la traduction en tant que bien commun – notre langue commune – et catalyseur d’un « espace public européen » et d’une « société européenne », catalyseur de la diversité linguistique, de la diffusion des idées, des savoirs. Au-delà de la vie de l’Union européenne, il importe de reconnaître la place centrale que la traduction, en tant que produit, a prise dans nos vies quotidiennes et dans nos sociétés. Ainsi, les traductions sont partout : dans nos maisons, dans nos voitures, nos ordinateurs, sur Internet. Nous tenons leur existence et leur disponibilité pour acquises. La traduction est indispensable à la sécurité des consommateurs. De plus, elle acquerra un rôle de plus en plus important dans les domaines de la justice, de la consommation, des soins de santé ou encore des services publics. Il est ainsi urgent de réfléchir à l’avenir des métiers de la traduction, en rassemblant aussi largement que possible les parties prenantes du secteur, afin d’anticiper ces évolutions futures. C’est tout le sens de la nouvelle initiative de la DGT : le forum « Traduire l’Europe », qui a eu lieu pour la première fois en septembre, à Bruxelles et qui vise, précisément, à anticiper ces nouveaux défis avec les étudiants et traducteurs de demain. Mikaël MEUNIER Notre deuxième intervenante principale est Clare Donovan, interprète de conférence et membre de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) depuis plus de trente ans. Après sa thèse de doctorat en études de traductologie, elle a longtemps dirigé la section interprétation de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) avant d’en être le directeur. Depuis trois ans, elle est chef de la division interprétation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle continue ses activités de formation, notamment dans le cadre du réseau des traducteurs et interprètes francophones mis en place par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Clare DONOVAN Chef de la division « Interprétation » Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) Many people would ask what it is that we are doing here if they were to be told that there was a conference on interpreting and translation. In the UK, people often think that everyone can now speak English and while it is true that English often dominates, not everyone can or chooses to speak English in formal settings. At the OECD, which is perceived as a very English-dominant organisation, demand for interpreting is actually increasing and diversifying. Demand is also increasing in many other areas, including outside traditional conference interpreting, such as court and community interpreting, and there is an increasing recognition that people are entitled to be able to understand what is going on and express themselves appropriately. The same force that is creating ‘Globish’, which happens to be English at the moment, is leading to more and more exchange, trade, migratory flows and travel. A lot of people from China now travel for both business and holiday purposes and there is now a huge amount of movement as a result of globalisation. The other big issue regarding interpretation and translation is technological change and people tend to think that machines can now deal with everything. In the 1960s, it was predicted that
  • 10. we would all have our own private helicopter but no-one foresaw the advent of mobile phones or the Internet. Similarly, the prediction that there would be machines for translation has not materialised. However, there is more remote participation in meetings and interpreting and this brings new challenges. The working conditions for interpretation are changing, in many ways for the better. Booths are more comfortable and better equipped and smoking is no longer allowed, and many of these positive changes probably also apply to translation. However, there are also new challenges. Meetings now tend to have larger attendances and technology such as PowerPoint can be a major source of irritation. There has also been an accelerated turnover in the invention of concepts that are transmitted by social media and a coining of new terms, which interpreters and translators have to keep up with. Additionally, residual participants whose languages are not interpreted have to work in English or another major language and this can also create problems where the target language’s complex and authentic structures are not used, so depriving interpreters of many anticipatory cues to predict meaning. All these challenges match the list of problem triggers that lead to an overload of our mental resources. We work in a world where people try to get by in English and interpreting is therefore seen as a luxury and there are issues that make it hard to maintain quality. Robin Setton said that even the best training programmes find it hard to prepare trainees for the shock of real market conditions, and training institutions cannot extend courses or add more classes simply to keep pace with change as they have their own institutional and financial constraints. However, I think that there are a number of ways in which courses can be deepened and enriched. Technology can provide some solutions here as students now have access to many more resources and can often work together remotely. Recruiters can also help through the provision of their expertise and resources and can give added depth to the training of interpreters. The European Parliament and the European Commission have also been pioneers in the provision of more depth and enrichment to training and other organisations are trying to follow their example. Despite these challenges, I believe that the quality and potential of today’s graduates is very impressive. I recruited five people who graduated in June this year and when I monitor their work I find that they are working at least as well as more experienced interpreters, where they compensate for their lack of experience through intensive and targeted preparation. I am therefore optimistic about the quality of interpretation.
  • 11. 11 Volet 1 – Traduction et interprétation au service des citoyens Table ronde animée par Nathalie GORMEZANO, Directrice générale de l’Institut de management et de communication interculturels (ISIT) Participants :  James BRANNAN, Traducteur, Cour européenne des droits de l’homme  Brian FOX, Directeur de l’organisation de l’interprétation, DG Interprétation, Commission européenne  Émilie MOREAU, Capitaine de police, Direction centrale de la police judiciaire  John PARSONS, Chef du service de la traduction, Conseil de l’Europe Brian FOX We often fail to realise that multilingualism means different things to different people. For the EU citizen, multilingualism means speaking more than one language. However, on the interpretation and translation side, we see it as enabling people to speak their own language! It is of course through multilingualism that international bodies are enabled to give their best by allowing the most knowledgeable experts to speak rather than those who are best at languages. I shall return to this aspect later. The European Commission is very pro-active in "citizens’ multilingualism" and encourages Europeans to attain proficiency in two languages other than their mother tongue. Although citizens are virtually unanimous in considering that languages are important, this initiative has not (yet) been as successful as we would wish. The European Commission sponsors Eurobarometer surveys to look at the number of languages in which people felt able to sustain a conversation. In 2012, the number of EU citizens who spoke only their mother tongue was 44% (France 49%). Those who spoke at least one other language numbered 54% (France 51%); those with at least two other languages 25% (France 19%), those with at least three other languages 10% (France 5%). Recent research by Gazzola looked at the proportion of EU population that would be excluded if languages were restricted. Let me consider two of the hypotheses: the 'monolingual' (English only) and the "oligarchic" (English, French and German). Although these hypothetical solutions are frequently advanced by critics of the EU language régime, the research shows they are clearly not viable: half of EU citizens neither speak nor understand English and even the 'oligarchic' model would still exclude 28% of the EU population. However, another vitally important point is that this research provides a solid basis for refuting the thesis that English is enough. In the UK, different research commissioned by the Department of Business, Innovation and Skills found that deficient language skills and the (false) assumption that everyone speaks English cost the country about £48 billion a year, 3.5% of GDP. Additionally, when a language becomes a world language it belongs to everyone and so belongs to no one. The consequence is that there are now many Englishes.
  • 12. The same research has also shown that reducing the language regime for the European Union would not lower costs, but merely displace them. Given that so few people understand more than one language, the member states themselves would have to take over responsibility for supplying the different language versions and the costs would probably end up being higher. Nonetheless, the pace and degree of globalisation mean that the translation and interpretation professions are facing growing challenges and opportunities. In particular, migration is greatly widening the range of languages to be interpreted. One of the pillars of the EU Charter of Fundamental Rights is the principle of non discrimination; language is one of the criteria listed. However, the problem is that many of the immigrants or asylum seekers need interpretation and translation from and into languages which are very little known or even mainly oral. Given the difficulties with the multiplicity of languages today, it is difficult to see how conference interpreting courses could also encompass these languages. Professional situations and ethics also differ considerably. training for public service interpreters cannot simply be "cloned" from conference interpreting. Special training must be devised. However, this is an opportunity for cooperation between trainers and public authorities and the European Commission would be interested in offering support where it can. The EU has a new Commission whose President, Mr Juncker has set out a list of strategic objectives within which public service interpretation might find a place. I'll come back to this later. The Commission has already made significant contributions in the area of public service interpretation but now the political impetus for training, evaluation and accreditation must come from national authorities, as it is they who are competent in the field of education. Programmes for the accreditation and evaluation of interpreters might then be eligible for financing through the European Social Fund, if proposed by the Member States. It will be sorely needed since we have seen that English alone is not viable and there is much anecdotal evidence of the mistranslation of English in everyday life. There will continue to be a need for professionals involved in translation and interpretation. English is not enough! Pour mieux illustrer la cohérence de mon propos, je m’exprimerai à présent en français. Nous avons vu que, selon Michele Gazzola, si l'UE adoptait une politique « English only », nous serions conduits à exclure 50 % des citoyens, en majorité les plus âgés et les moins riches. En effet, l'Union européenne n'est pas les Nations Unies. Si l'ONU est essentiellement pour diplomates, les décisions de l'UE ont un effet direct sur la vie quotidienne de tous ses citoyens – un demi-milliard de personnes. Voici la réponse à la question « Pourquoi avez- vous tellement de langues ? ». C'est une nécessité aussi bien juridique que démocratique. Étant donné ces taux élevés d’exclusion linguistique, c'est aux interprètes et traducteurs d'effectuer la médiation requise au service des citoyens. Dans l’Europe d’aujourd'hui, la mobilité transfrontalière et l'immigration sont devenues des phénomènes très répandus. La plupart des nouveaux arrivants dans un pays – citoyens se déplaçant dans le marché intérieur, immigrants de pays tiers et demandeurs d'asile, mais aussi des visiteurs et touristes – ne possède pas une connaissance suffisante de la langue locale et ont souvent besoin d’une aide linguistique pour pouvoir interagir avec les autorités locales. C’est à ce moment-là que la traduction et l’interprétation pour les services publics trouvent leur rôle et leur raison d’être, car elles contribuent à l'inclusion, à la cohésion sociale et à l’offre de services publics plus efficaces, par exemple en matière de soins de santé. En fait, des services linguistiques de ce type pourraient même permettre de réaliser des économies comparé au coût social dû au manque d’intégration sociale et économique.
  • 13. 13 Je souligne qu'il appartient aux États membres, et plus particulièrement à leurs instituts de formation, d’offrir des cours au niveau approprié. Pour sa part, la DG Interprétation a toujours été prête à partager ses connaissances et ses compétences avec les universités et les États membres. J'en veux pour preuve une initiative prise par la DG Interprétation en 2008, sur invitation du Commissaire européen au multilinguisme de l’époque, Leonard Orban. Un groupe d'experts indépendants s’était réuni et avait publié un rapport mettant l’accent sur l'interprétation dans le domaine juridique. Ce rapport ainsi que la création d’EULITA en 2009 (l’Association d’interprètes et de traducteurs juridiques européens) ont contribué à améliorer la qualité et le statut de ces professions. En 2011 le Special Interest Group on Translation and Interpreting for Public Services (SIGTIPS), à l’initiative du Conseil européen pour les langues a établi un rapport important. La DG Interprétation et la DG Traduction de la Commission européenne avaient participé à ces travaux en tant qu’observateurs. En collaboration avec l'European Network for Public Service Interpreting (ENPSIT) créé en octobre 2013, nous alimentons également une base de données concernant l’offre de traduction et d’interprétation de service public dans les États membres. Au mois d'avril 2014, ENPSIT est passé du statut de réseau informel à celui de véritable organisation afin de plaider en faveur d’une politique et d’un financement, au niveau européen, de l’interprétation et de la traduction dans les services publics. Actuellement la DG Interprétation collabore avec la DG Affaires intérieures pour évaluer les propositions concernant un projet pilote en matière d’interprétation par téléphone pour les postes aux frontières de l’UE. Ce projet devrait être opérationnel en 2015. Une nouvelle Commission a été installée. Le Président Junker a publié une liste de ses 10 objectifs politiques. Le numéro 7 vise à garantir un espace de justice et de droits fondamentaux basé sur la confiance mutuelle. Le numéro 8 amorce l’élaboration d’une nouvelle politique migratoire. Dans les prochains mois, nous pourrions découvrir les applications pratiques de ces objectifs, mais les intentions actuelles sont très encourageantes. Le prix que nous payons pour le fonctionnement multilingue de l'Union européenne reflète le prix à payer pour garder notre identité, garantir notre droit à la libre expression, et – last but not least - assurer la légitimité démocratique de la construction européenne. John PARSONS L’utilisation des langues et l’externalisation des services de traduction représentent des enjeux importants pour le Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe est constitué de 47 états membres, c’est-à-dire des 28 pays membres de l’Union Européenne auxquels s’ajoutent 19 autres États. 40 langues nationales sont représentées, même si l’anglais et le français sont les deux langues officielles en vigueur depuis 1949. Le Conseil de l’Europe possède un service central de la traduction ainsi que 2 unités spécialisées, et dédiées respectivement à la Cour des Droits de l’Homme (CEDH) et à la Direction européenne de la qualité du médicament (EDQM). Un service de l’interprétation assure la plupart des réunions de l’organisation. Les activités du Conseil portent sur les droits de l’homme et la promotion de la démocratie et de l’état de droit. Le Conseil met en place des conventions et des traités internationaux. Il assure leur suivi et leur application. Un grand nombre des activités dans ces domaines se déroulent dans l’est et le sud-est de l’Europe et dans le Caucase (activités dites « de coopération »). La communication constitue donc un enjeu très important et vise différents publics : les gouvernements prioritairement, mais aussi les parlements, les collectivités locales, les autorités judiciaires, les ONG et les 800 millions de citoyens européens appartenant aux pays
  • 14. membres du Conseil de l’Europe. Nous devons assurer une communication de qualité tout en prenant en compte les contraintes, notamment budgétaires, qui pèsent sur notre statut et notre pratique. En 2013, 76,6 % des documents traduits avaient pour langue source l’anglais, 21,5 % avaient pour langue source le français, alors que 1,9 % des documents étaient rédigés dans d’autres langues. La langue cible de traduction était l’anglais dans 22,1 % des cas, le français dans 63,8 % des cas, et 14,1 % des documents traduits avaient d’autres langues pour cible. Comparativement, en 2002, l’anglais était la langue cible de 36,4 % des traductions, le français de 58,7 % des traductions et les autres langues dans 4,9 % des cas. Nous remarquons ainsi une diminution de l’utilisation du français comme langue source et une augmentation de la demande de traduction vers les langues non officielles. Par exemple, les langues des Balkans et du Caucase sont de plus en plus utilisés, et même des langues non- européennes sont parfois demandées (chinois, japonais, kazakh …). Par conséquent, il importe d’assurer un volume croissant d’externalisation, notamment vers les langues non officielles. De nouveaux défis se posent donc au service de traduction dont les effectifs doivent être gérés de manière adéquate. Le service de traduction comporte 2 sections linguistiques internes, l’une consacrée aux traductions en français et l’autre dédiée aux traductions en anglais. Il est essentiel de garantir la qualité des traductions qui sont externalisées. Le service de traduction dénombrait, en 2014, 1 chef de service, 30 réviseurs et traducteurs, 1 terminologue, et 6 assistantes. Soumis aux mêmes contraintes budgétaires que les États membres, le Conseil de l’Europe doit réaliser des économies, et le service est obligé d’externaliser une partie de ses prestations. Il est néanmoins essentiel de maintenir une communication multilingue, malgré la compression des effectifs, en recourant aux interprètes et aux traducteurs free-lance. Le recrutement des interprètes est opéré notamment grâce à la coopération de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC). Tous les interprètes qui travaillent à Strasbourg bénéficient des termes de l’accord conclu entre le Conseil de l’Europe et l’AIIC, même s’ils ne sont pas membres de celle-ci. Le métier de traducteur est moins encadré. Nous avons recours à des locuteurs natifs ou à des personnes dont la langue de spécialisation fut la langue principale d’éducation. Le recrutement a lieu sur dossier, grâce aux registres des associations professionnelles et par le biais de recommandations. Dans toute la mesure du possible, les productions sont révisées, et nous contrôlons la qualité des prestations auprès des clients. Nous souhaitons des traductions dont la qualité est estimée « suffisante », c’est-à-dire adaptée à la destination du texte (document de travail, texte normatif, publication). L’opportunité de recourir à des appels d’offres pour toute la traduction externalisée est actuellement à l’étude ; pour l’instant, cette méthode n’est utilisée que pour la traduction qui se fait dans le cadre de nos « activités de coopération », notamment transméditerranéennes et dans le Caucase et le sud-est européen. D’une manière générale, il est essentiel d’éviter le « tout-anglais » qui limiterait la compréhension et l’expression des interlocuteurs et qui présenterait des conséquences désastreuses sur un plan aussi bien politique que culturel. James BRANNAN The profession of court interpreter has been traced back to Ancient Egypt and, without going back that far, it is of interest to take a historical perspective, to examine how the provision of such language assistance has evolved over time. In seventeenth-century England, for example, one murder case (Borosky and others) shows that where French was at issue the court assumed that it could get by with its own knowledge of the foreign language, as many educated people in Britain at that time were able to speak French. Entitlement to interpreting in the courts partly depended on class and we know from that same case that, while a
  • 15. 15 commoner was denied such assistance, an aristocrat was even granted several interpreters to assist him! Over the years such arrangements have been made on an ad hoc basis, with rules gradually being established in the twentieth century to enshrine the principle of interpreting in court, although, in practice, decisions have continued to be taken on a case-by-case basis as to actual implementation in criminal proceedings. Ruth Morris has researched the historical aspects of court interpreting and has found that, although overall attitudes to court interpreting vary over time, certain issues, such as entitlement, determination and quality, are perennial. The issue of quality, in particular, is one that has often been neglected, even in more recent years, although developments in this area can be found in the case-law of the European Court of Human Rights (ECHR) and since 2010 in Directive 2010/64/EU on the Right to Interpretation and Translation in Criminal Proceedings. When the European Convention on Human Rights was drafted in 1950 it was decided to include provisions, as part of the Article 6 safeguards for fair trials, which covered the right to be informed of the “accusation” in one’s own language and to have the “free assistance of an interpreter”. In terms of the categories of persons entitled to an interpreter, the provisions clearly cover foreign defendants and those who need sign-language interpreting. The question whether such assistance should be extended to witnesses or third parties, including victims, or to the context of civil proceedings, is not addressed by Article 6. Various issues have arisen over the years in relation to the application of the relevant safeguards: whether the judge needs to be proactive and call an interpreter even if the defendant has not asked for one, in case of doubt; whether written documents need to be translated; whether an interpreter should be provided under the same conditions in police custody; whether the right extends to communication with a lawyer; and whether evidence and everything that is said in court should be interpreted. These are all issues that have often been dealt with haphazardly by the justice system over the years, in some cases without any firm guidelines in domestic law. One hopes that the solutions will become clearer in the future through the transposition of the provisions contained in the EU Directive. One of the most important Strasbourg cases on this subject was Kamasinski v. Austria in 1989, establishing that the right to language assistance applied not just to the trial but to pre- trial proceedings and to documentary material. It has, however, remained somewhat unclear in the case-law whether there is a right to the translation of a document in writing – an oral translation by an interpreter has usually been found sufficient. The EU Directive, which has now been transposed into law in all EU Member States, is certainly much more comprehensive than Article 6 § 3 (e) of the Convention, although there is some doubt as to the effectiveness of its transposition in reality. The scope of the Directive extends to all court hearings, police questioning, interim hearings and communication between the defendant and counsel, being more specific than the Strasbourg case-law although largely based thereon. Article 3 of the Directive sets out the right to a written translation of all essential documents, such as the indictment. There are questions as to how this will be implemented in all the Member States – and whether it will actually lead to a greater volume of written translation – as there is also a provision stating that in exceptional circumstances documents may be translated orally. This is an option likely to be used to save time and money, together with the possibility of partial translation. As regards the issue whether a defendant actually needs translation, the Court stated in Brozicek v. Italy (1989) that the burden of proof was on the authorities to show that the person did in fact understand the language of the proceedings if they refused language assistance, i.e. in response to a request. The question of a failure to request assistance has never been properly addressed by the Court, but it is now clear from the Directive that the
  • 16. absence of a request does not constitute a waiver. Case-law has evolved slightly in favour of foreign defendants over the years and the Court has referred on occasion to an examination of the individual need in terms of the person’s language ability and the complexity of the case. However, the Directive goes further, stating that there should be a procedure or mechanism in place to allow the court to ascertain whether the person can speak and understand the language. This will certainly vary according to the different solutions adopted in each country. For example, France has decided to use a short oral question and answer session to test the person’s language skills. However, it is not always easy to determine the requisite level of understanding and fluency, particularly in a legal context, that would justify dispensing with an interpreter. Some countries are more proactive and provide an interpreter by default, while others still consider interpreting to be something of a luxury that may not be necessary if it is possible to “get by” without it. The issue of the quality of the assistance has been paid little attention over the years and has not featured significantly in the case-law. The Court first said in Kamasinski that if the judicial authorities were “put on notice” that there was a problem with the interpreting, they were obliged to exercise subsequent scrutiny of its “adequacy” (the term “adequacy” is also used in the Directive and unfortunately does not suggest a particularly high standard!). In a case from October 2014, Baytar v. Turkey, the Court reiterated its relatively recent case- law about the importance of having an interpreter at the earliest stage of the proceedings. It thus found a violation of Article 6 as no interpreter had been provided for the applicant while in police custody. In addition, when the applicant had subsequently been brought before a judge, the interpreter was merely a family member rather than a qualified professional. A similar situation arose in the case of Cuscani v. the United Kingdom (2002), where the Court found that the judge should have ensured the presence of an interpreter with verified skills. The domestic courts have therefore been made aware of the importance of the choice of interpreter, although admittedly this is not always reflected in practice. Some professionals have regretted the fact that the ECHR cannot be amended to emphasise the right to a competent interpreter! The EU Directive, for its part, does have an article devoted to quality although the definition is somewhat vague, without any specific recommendations. In terms of upstream quality assurance, the Directive importantly requires Member States to “endeavour to establish a register of independent translators who are appropriately qualified”, and to make the register available “where appropriate” to “legal counsel and relevant authorities”. The wording of these provisions is not as mandatory as it could have been, reflecting a drafting compromise. Directive 2010/64/EU should, regardless of any defects, serve to clarify the relevant safeguards for the purposes of ensuring a fair trial for foreign defendants and those with hearing or speech impediments, building on the existing protection afforded by Strasbourg under the ECHR. If the Directive is properly transposed, the situation should improve as regards the issues of entitlement, determination and quality. The Directive notably associates quality with the choice of interpreter or translator and provides for the translation of documents, a mechanism for determining need and the right to challenge a refusal to provide interpreting or translation and to complain about poor quality throughout the proceedings, with emphasis on the need for an effective remedy. In general it imposes a positive obligation on the authorities to provide language assistance where needed for the benefit of the citizens concerned, suspects and defendants, throughout the criminal proceedings. Émilie MOREAU Nous travaillons au quotidien avec des interprètes sur le territoire national ou durant des missions à l’international, lors de réunions de coopération ou de formation avec des policiers
  • 17. 17 étrangers ou dans le cadre de soutien opérationnel lors d’enquêtes à l’étranger avec des victimes ou des auteurs français. L’interprète joue vraiment un rôle central puisqu’il coopère au quotidien avec les enquêteurs et intervient à chaque phase de l’enquête de police. Il est sollicité durant l’investigation ou dans le cas d’interceptions techniques (écoutes de police), lorsqu’il est nécessaire de traduire des supports et des documents administratifs, au moment des auditions de victimes, de témoins, du gardé à vue ou de la personne qui sera mise en examen. La police a recours aux interprètes pour traduire notamment des messages et des conversations téléphoniques. Son rôle est aussi décisif au moment d’une interpellation pour notifier ses droits à l’individu qui est placé en garde à vue. À ce titre, les moyens de télécommunications sont utiles puisqu’il est possible de joindre un interprète par téléphone et de permettre ainsi un premier contact entre celui-ci et la personne placée en garde à vue. La présence de l’interprète est d’autant plus importante qu’elle relève des droits de la défense. L’interprète doit être présent lors de l’ensemble des opérations de police : signalisation (relevés d’empreintes, prise de photographie), examens médicaux, auditions. L’enquêteur doit tout d’abord réussir à déterminer quelle est la langue parlée par les protagonistes. Il peut ainsi contacter un interprète par téléphone. Par la suite, une grande disponibilité de l’interprète est requise, car le temps de garde à vue est compté. Il importe d’identifier rapidement les interprètes disponibles. La police fait souvent appel aux mêmes intervenants et le réseau joue un rôle important. Une audition dure entre 1 heure et 7 heures et l’interprète doit rester le même au cours de l’entrevue. Outre cette grande disponibilité, les fonctions d’interprète auprès de la police judiciaire nécessitent une maîtrise du vocabulaire technique et juridique utilisé dans le cadre des procédures. Les enquêteurs organisent la plupart du temps un briefing avec les interprètes afin qu’ils puissent comprendre les faits en question. La compréhension du milieu social et culturel dans lequel les policiers interviennent est aussi utile aux interprètes. La confidentialité est impérative et les interprètes prêtent serment. L’instauration d’une relation de confiance entre l’enquêteur et l’interprète est essentielle d’autant plus que certains dossiers sont particulièrement sensibles et médiatiques. La difficulté la plus importante qui se pose à l’interprète réside précisément dans le contenu de son propos. Il ne doit paradoxalement pas « interpréter » le discours de la personne auditionnée. Il doit traduire fidèlement, voire au mot à mot, chaque phrase prononcée car chaque terme peut revêtir une importance considérable. Tout doit être traduit, y compris des discussions qui peuvent paraître informelles entre l’interprète et la personne auditionnée. Il est par ailleurs demandé aux interprètes de traduire l’intégralité des propos afin d’éviter toute tentative de manipulation ou de connivence de la part de la personne auditionnée et pour permettre aux enquêteurs de rappeler les règles en vigueur, le cas échéant. L’interprète doit s’abstenir de toute implication sentimentale et personnelle et ne pas être choqué par les mots qui sont employés ou par les faits qui sont relatés. Une grande capacité d’adaptation aux personnes et aux situations est également requise. L’audition d’un enfant, par exemple, nécessitera le choix d’un vocabulaire particulier. Dans toutes les auditions, chaque phrase est traduite l’une après l’autre et les silences présentent également leur importance. En conclusion, les seules connaissances linguistiques ne suffisent pas pour une bonne interprétation. Il apparaît essentiel d’y associer un dialogue avec les enquêteurs, une connaissance du contexte de l’affaire, de maîtriser le vocabulaire technique, et de retransmettre le plus fidèlement possible les propos tenus. Les paramètres psychologiques, sociologiques, culturels de la personne entendue sont également à prendre en compte.
  • 18.
  • 19. 19 Volet 2 – Le rôle de la traduction dans la promotion de la diversité linguistique et la circulation des idées Table ronde animée par Odile CANALE, Chef de la mission Emploi et diffusion de la langue française, Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) Participants :  Didier DUTOUR, Responsable du pôle « Livre et Traduction », Institut Français  Isabelle ESPALIEU, Chef du département de la traduction, Ministère des Affaires étrangères et du Développement international  Gisèle SAPIRO, Directrice d’études, École des hautes études en sciences sociales (EHESS) Isabelle ESPALIEU Ces assises sont placées assez logiquement sous le haut patronage du MAEDI étant donné la place que les langues étrangères occupent dans ce Ministère. Avec un réseau de 160 ambassades et 17 représentations permanentes auprès des organisations internationales, un réseau consulaire d’une centaine de consulats et un réseau culturel important, il est évident que le Ministère des Affaires étrangères accorde une place de choix aux langues étrangères. Concrètement, cela signifie que le recrutement des agents se fait avec des épreuves linguistiques de très bon niveau. Il n’est pas rare de trouver des titulaires de maîtrise de langues occupant des postes de secrétariat. Ces compétences sont très valorisées lors des affectations à l'étranger. Au niveau le plus élevé, en dehors de la voie de l’ENA, les diplomates sont eux-mêmes recrutés au terme de 2 concours très sélectifs, dont le concours dit d'Orient qui comporte (à côté de l’anglais) des épreuves en arabe, chinois, persan, swahili ou hindi pour ne citer que quelques exemples de cette belle diversité linguistique. Ce très bon niveau de connaissance des langues des agents du MAE a bien sûr une incidence sur notre service de traduction : en clair certains de « nos clients » estiment qu'ils sont au moins aussi compétents que nous. Comme vous le savez, après le latin, le français a été la langue de la diplomatie jusqu’au siècle dernier. Les diplomates du monde entier se devaient de connaître le français. De ce fait, les premiers registres du « bureau des traductions » que nous avons retrouvés, et dont le plus ancien date de 1904, ne répertorient que des traductions en français d’actes d’état civil, de pièces judiciaires, commissions rogatoires, contentieux, etc. Le Ministère des
  • 20. Affaires étrangères ne comptait que 3 traducteurs, qui étaient par ailleurs traducteurs assermentés et dépendaient de la Chancellerie. C’est en 1919, lors de la négociation du traité de Versailles que la situation a basculé : comme les 4 négociateurs étaient un Anglais (Lloyd George), un Américain (Wilson), un Français (Clémenceau) et un Italien (Orlando), le traité fut rédigé en anglais et en français, marquant le début de l’utilisation de l’anglais comme langue de la diplomatie. À partir de 1919, le ministère a commencé à recruter des traducteurs supplémentaires et a mis en place une véritable section de traduction dirigée par un « chef des traducteurs » qui seront dotés d’un statut particulier en 1934. Il est très intéressant de suivre l’évolution de la part respective des différentes langues dans l’activité du service puisqu’elle correspond aux fluctuations de l’histoire. En 1975, l’anglais et l’allemand faisaient jeu égal, représentant chacune 25 % des traductions. Puis vient l’italien avec 14 % des traductions, l’espagnol et le russe avec 7 % des traductions chacune, reléguant loin derrière l’arabe, le polonais et le portugais avec chacune 3 %. La part de la sous-traitance était alors de 24 % de l’activité. Seules 325 pages de traduction du français vers l’anglais ont été externalisées. Dans la liste des traducteurs extérieurs, nous trouvons des langues aussi diverses que l’annamite, le berbère, le copte, l’hindoustani, le javanais, le siamois, le peul et le syrien. En 2013, le paysage a totalement changé. L’anglais représente 57 % des traductions, l’arabe 12,5 %, l’espagnol 9,5 %, l’allemand 5,5 %, le russe 3 % et l’italien 1,5 %. De surcroît, les demandes de traduction vers les langues étrangères (dont l’anglais bien sûr) ont été démultipliées. La structure actuelle de notre service répond à ces demandes. Nous employons 7 francophones, 4 anglophones, 1 hispanophone et 1 arabophone. Nous sous-traitons les traductions de langues moins courantes. Nous recevons une cinquantaine de demandes par an environ (ouzbek, turc, ukrainien, arménien, géorgien etc.). Reste le cas du chinois, longtemps géré uniquement par notre poste de Pékin, mais la demande est actuellement en forte hausse, sans doute à cause du volet « développement international et tourisme », récemment introduit au MAE. La structure actuelle nous permet de répondre au mieux aux besoins de traductions d’un Ministère qui présente une politique de communication extrêmement dynamique, portée par toutes les directions, notamment la direction générale de la mondialisation. La traduction constitue un élément important de la diplomatie publique ou diplomatie d’influence, ou soft power. Il importe de faire connaître les idées de la France dans le monde entier et dans la langue du destinataire. Le site France-Diplomatie enregistre donc une très forte fréquentation internationale, car il est l’un des plus multilingues du monde, suivant en cela les préconisations de la loi Toubon dont nous venons de célébrer les 20 ans. Enfin, au moment où se déroule le Sommet de la Francophonie à Dakar, une dernière remarque doit être apportée. Après avoir cru que le déclin de la traduction des langues étrangères vers le français était inéluctable dans notre service, nous observons depuis quelque temps une hausse des demandes consécutive à la politique française de « pivot vers l’Afrique ».
  • 21. 21 Didier DUTOUR L’Institut français est un opérateur de l’action culturelle extérieure du Ministère des Affaires étrangères. Il participe à la diplomatie d’influence en faisant connaître la création et les idées de la France. La traduction est un puissant moteur d’action puisque l’industrie du livre représente la première industrie culturelle à l’exportation. Les domaines de la traduction et de la cession de droits constituent près de 6 % du chiffre d’affaires de certaines maisons d’édition. Plus de 12 000 titres sont cédés du français vers une langue étrangères chaque année (les traductions ou retraductions d’ouvrages du domaine public ne sont pas comptabilisées). L’Institut français a donc pour tâche de contribuer à la conversation mondiale en faisant traduire les œuvres des grands intellectuels et auteurs français, en favorisant l’émergence de nouvelles scènes intellectuelles à l’étranger, et en contribuant aux politiques de lancement de certains auteurs. L’Institut français et les instituts français localement consacrent près de 1,4 million d’euros à la traduction. Ce budget s’ajoute aux 800 000 euros alloués par le Centre national du livre. Le métier de traducteur occupe un rôle central et décisif au sein de la chaîne du livre, c’est pourquoi l’Institut français a souhaité participer au renouvellement des générations de traducteurs concernant certaines grandes langues. Un programme de parrainage a été mis en place avec le collège national des traducteurs pour le chinois, le turc, le coréen et le portugais. Il consiste à associer des jeunes traducteurs français et étrangers à des traducteurs confirmés pour travailler sur des textes anciens et contemporains et obtenir les qualifications requises. L’Institut français souhaite valoriser le dialogue et la diversité interculturelle et littéraire. Le Brésil a été invité à l’occasion de la prochaine édition du salon du livre et l’Institut encourage le développement des traductions dans des registres qui ne sont pas uniquement littéraires. Pour répondre à ces enjeux, l’Institut français s’est appuyé sur les conclusions du rapport établi par Gisèle Sapiro et qui est accessible sur le site internet de l’Institut français. Gisèle SAPIRO Le marché de la traduction de livres est devenu lucratif pour les éditeurs et constitue depuis longtemps un instrument diplomatique pour les gouvernements. La traduction représente également une forme d’échange d’intellectuel et de circulation des idées. Les enjeux de ce secteur sont donc à la fois économiques, politiques, intellectuels et culturels. Néanmoins, une nette asymétrie caractérise ce marché : l’anglais domine à présent toutes les autres langues alors que le français servait de langue de référence des échanges au XIXe siècle. Nous pouvons nous demander si la mondialisation a réellement favorisé les échanges interculturels. Entre 1980 et 2000, la part des livres traduits dans le monde a augmenté de 50 %. Cependant, l’intensification de la production ne s’est pas forcément accompagnée d’une diversification des échanges. L’anglais reste la langue la plus traduite. La croissance des traductions de livres de l’anglais est supérieure à la part de production de livres en anglais sur le marché mondial de l’édition. Le russe est la langue qui a le plus pâti de cette domination de l’anglais. Les facteurs politiques ont été déterminants. La politique étatique qui favorisait la traduction du russe en URSS s’est arrêtée brusquement au moment de l’effondrement du régime. Les marchés français et allemand ont réussi à conserver leur position. Nous observons un renforcement des langues asiatiques depuis les années 1990 suite au succès des mangas pour le japonais. La densité et la diversité des échanges au sein du continent européen sont les plus élevées. Deux tiers des contrats de cession signés par les éditeurs français pour la période 1997-2006 l’ont été avec des pays européens. Cette part est un peu plus faible (60 %) pour les cessions en sciences humaines, mais plus élevée (72 %)
  • 22. pour les contrats concernant des textes littéraires. Cette intensité des échanges intra-européens correspond aussi à une plus grande diversité. En effet, pour la période étudiée, les droits de traduction du français avaient été cédés pour 80 langues en Europe, contre 48 hors Europe. Des droits avaient été acquis pour la traduction en français de 41 langues européennes contre 22 langues non européennes. Du coup, cette zone joue en outre, notamment grâce au français, à l’allemand et à l’espagnol, un rôle de médiation entre littératures périphériques. Le nombre de traductions publiées dans ces langues est en effet supérieur à celles qui paraissent en anglais et la diversité des idiomes d’origine plus grande. Plus un pays est dominant, moins il traduit. La part des traductions dans le marché du livre aux États-Unis est inférieure à 3 %. Le taux des traductions, en France, a augmenté dans les années 1990, où il passe de 15 % à 18 % ; en nouveautés romanesques, il atteint entre 35 % et 40 % des titres publiés. 50 % des traductions dans le monde concernent des textes littéraires. Le secteur littéraire est dominé par l’anglais, mais reste le lieu d’une diversité linguistique importante. Les traductions aux États-Unis sont délaissées par les maisons traditionnelles, car elles représentent une prise de risque trop importante. Elles sont reprises par des presses universitaires, de petits éditeurs indépendants et des maisons à but non lucratif. Pour ces deux dernières catégories, la traduction est devenue une cause culturelle et politique. Il s’agit de promouvoir la traduction afin d’assurer une mondialisation authentique et de lutter contre la domination de l’anglais. Le livre reste un outil de diffusion majeure des sciences humaines et sociales. Il dépasse la communauté des spécialistes. Il permet aux sciences humaines de participer au débat d’idées dans la société. Cependant les chances d’être traduits sont inégales. Elles dépendent de plusieurs facteurs. En premier lieu, la centralité de la langue d’écriture. Deuxièmement, le capital symbolique collectif accumulé par une discipline ou un domaine dans une langue : la philosophie allemande et la philosophie française, par exemple, ont plus de chance d’être traduites que la philosophie russe. La philosophie représente d’ailleurs le premier domaine de traduction de livres en français aux États-Unis. Le capital symbolique individuel a également une grande importance. Des auteurs comme Barthes, Foucault ou Derrida sont systématiquement traduits. L’ouvrage de Bourdieu, Sur la télévision, a été traduit en 25 langues. Le livre de Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, a également bénéficié d’une large audience encourageant sa traduction en plusieurs langues. La réception nationale et internationale de l’œuvre, le capital social de l’auteur et l’importance de son réseau universitaire favorisent la traduction de ses travaux. Des problèmes d’harmonisation des pratiques subsistent néanmoins, notamment en matière de contrats et de cession de droits. La contribution des politiques publiques est indispensable à l’avenir de la traduction. Outre l’aide au financement de la traduction, elle permet de soutenir la prospection, la promotion et l’organisation des rencontres professionnelles. Certaines difficultés techniques persistent en matière de traduction en sciences humaines. La formation des traducteurs spécialisés en sciences humaines doit être encouragée afin de permettre le développement d’une voie réelle de professionnalisation.
  • 23. 23 Questions De la salle Quel est l’impact du numérique sur les décisions éditoriales en matière de traduction ? Gisèle SAPIRO Le secteur du numérique a créé des difficultés en matière de contrats. L’achat en ligne modifie la question des droits. La globalisation, un temps perçue comme un processus de déterritorialisation, donne lieu dans les faits à une véritable guerre des territoires. De la salle L’Inde constitue un acteur majeur de la traduction en langue anglaise. Qu’en est-il du droit de regard de l’auteur sur les traductions ? Didier DUTOUR Le droit moral de l’auteur sur la traduction qui figure dans la législation française n’existe pas dans le copyright. Les accords de l’OMC permettent d’ailleurs de contourner la question du droit moral. Concernant le numérique et les questions relatives à la chaîne de valeur du livre, l’Europe réfléchit à une position qui pourrait être commune. D’autres pays comme le Brésil sont aussi conscients des dangers que de telles pratiques présentent pour l’économie du livre.
  • 24.
  • 25. 25 Volet 3 – Traducteurs et interprètes au cœur de la vie économique Table ronde animée par Chris DURBAN, Traductrice, Société française des traducteurs (SFT) Participants :  Tony BULGER, Traducteur technique, ancien Directeur d’agence de traduction  Bettina LUDEWIG-QUAINE, Membre du Conseil de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) et Coprésidente de l’AIIC France  Myriam MAESTRONI, Présidente, Économie d’énergie  Gayathri SIVAPURAPU, Responsable du département Traduction, Tata Consultancy Services Chris DURBAN Les traducteurs et interprètes agissent au cœur de la vie économique en intervenant dans les domaines scientifique, médical, financier, juridique et technique. Les clients comptent sur les traducteurs pour faire avancer leur activité. Nous pouvons distinguer actuellement trois marchés principaux de la traduction et de l’interprétation. Le premier pourrait être appelé le marché du « vrac ». Ce secteur concentre des volumes très importants de traduction dans des délais très courts et pour des rémunérations minimes. Ce secteur sollicite d’ailleurs fortement la traduction automatique. Le deuxième marché, dit « intermédiaire », essaie de produire des traductions de meilleure qualité en encourageant la spécialisation, mais les délais ne sont pas toujours respectés et le niveau des rémunérations est toujours problématique. Le troisième marché, qualifié de « premium », correspond au secteur de la traduction spécialisée. Le traducteur maîtrise un domaine précis d’activités et sait rédiger. Ce marché est en croissance, les clients sont respectés et le niveau des rémunérations est correct. Les traducteurs professionnels ont intérêt à viser ce marché « premium ». Gayathri SIVAPURAPU Le groupe TATA est présent dans 150 pays et emploie 580 000 personnes. Le chiffre d’affaires du groupe s’élève à 103 milliards de dollars. 60 % des actifs de la holding TATA Sons appartiennent à des trusts. Le groupe TATA représente le deuxième producteur mondial des composants de soda. L’entité TATA Communications est spécialisée dans le développement des communications hardware. Le groupe possède également des marques emblématiques comme Jaguar et Land Rover. TATA Consultancy Services compte 310 000 salariés dont 100 000 femmes. Son chiffre d’affaires s’élève à 13,4 milliards de dollars avec un taux de capitalisation boursière
  • 26. atteignant 53,4 milliards de dollars. La société assure un service continu de prestations informatiques, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les équipes de traduction en français sont basées à Paris alors que les équipes de traduction en anglais se situent en Inde. La société essaie, en effet, de localiser ses activités de traduction en fonction des besoins linguistiques. En France, les activités reflétant la responsabilité sociale de l’entreprise incluent des actions avec la Fondation Good Planet, des manifestations sportives et des partenariats avec des associations agissant dans les hôpitaux. TATA Consulting Services est très actif dans le monde anglo-saxon. L’accent est mis à présent sur la France et l’Allemagne. Un système on site offshore a été mis en place et travaille en liaison avec le service commercial. Celui-ci reçoit des appels d’offres rédigés en français et qui doivent être traduits en anglais. Une première traduction automatique, relue par un spécialiste, est communiquée aux consultants situés en Inde. En cas d’acceptation de l’appel d’offres, la réponse sera traduite intégralement par un spécialiste. Bettina LUDEWIG-QUAINE Les interprètes de conférence sont présents sur le marché privé. Ils participent aux rencontres diplomatiques et officielles. Ils interviennent dans les entreprises, les négociations commerciales, les comités d’entreprise européens, ou les visites d’entreprise. L’interprétation est réalisée soit de manière consécutive soit de manière simultanée en fonction des besoins du client. L’AIIC souhaite représenter les intérêts de la profession dans son intégralité. Elle compte 3 000 membres, présents sur tous les continents et dans une centaine de pays. Nous dénombrons 400 membres en France, toutes langues confondues. Par ailleurs, l’accès à la profession n’est pas réglementé. Trois problèmes affectent le marché privé : le « tout- anglais », la crise économique et les restrictions budgétaires qu’elle induit, et la présence sur le marché d’opérateurs extérieurs à la profession. La multiplication des communications en anglais représente une réalité durable. Elle engendre un rétrécissement évident du marché de l’interprétation. Le nombre de langues proposées est réduit et la langue d’interprétation se limite souvent à celle du pays dans lequel a lieu l’intervention. Or, le niveau de l’anglais parlé dans ces circonstances est assez pauvre. De sérieux problèmes de compréhension surgissent entre les intervenants, qui sont de faux anglophones. De plus, la traduction de cet anglais incorrect par l’interprète relève souvent d’un décodage fatigant. Les conditions de travail des interprètes se sont considérablement dégradées. La crise a engendré d’autres restrictions. Le budget des organisations internationales a diminué. Le nombre de journées de travail allouées aux interprètes non permanents a diminué et leur rémunération a été réévaluée à la baisse. Enfin l’apparition d’opérateurs extérieurs pose un problème de concurrence. Ils proposent des services d’interprétation au sein d’un catalogue de prestations présenté lors d’un appel d’offres auquel les interprètes ne peuvent prendre part. Pour remédier à ces difficultés, l’AIIC négocie des accords avec les organisations internationales. Les interprètes travaillant au Conseil de l’Europe ne sont pas obligés d’être membres de l’AIIC mais l’association a mis en place des actions pour ses membres et pour les interprètes non adhérents afin de faire face aux défis mentionnés. Qualité et professionnalisme constituent les objectifs prioritaires de l’AIIC. Une commission en charge des marchés privés a été créée. Un réseau d’interprètes-conseils a été créé pour aider à la négociation des contrats.
  • 27. 27 En conclusion, le métier d’interprète ne se justifie et ne survivra que si les prestations reflètent une grande qualité. Myriam MAESTRONI J’ignorais totalement le contenu de vos métiers avant de m’y intéresser dans le cadre de l’activité économique de mon entreprise. Je vous livre ainsi un témoignage d’utilisatrice. J’ai pu constater que différents niveaux de qualité existaient en fonction des secteurs et des prestations demandées. Mon entreprise appartient au secteur de l’efficacité énergétique. Or, il est essentiel que les traducteurs identifient les secteurs en croissance et qu’ils maîtrisent leur terminologie afin de pouvoir répondre aux besoins de ces nouveaux marchés. Un véritable marché européen de l’efficacité énergétique commence à se créer. Les besoins en traduction multilingue sont particulièrement conséquents. Il est impératif que des traducteurs se spécialisent dans ce secteur et que des formations soient organisées en partenariat avec les entreprises. J’ai malheureusement connu une expérience très négative lorsque j’ai demandé à ce que mon livre soit traduit. Mon éditeur a eu recours à un prestataire visiblement peu qualifié. Je me suis rendue compte en relisant les épreuves que le fournisseur avait vraisemblablement eu recours à une traduction automatique. Par ailleurs, des variations de prix très importantes existent entre les différents prestataires. Afin d’être sûr de pouvoir bénéficier d’un service de qualité, il serait utile et bénéfique que l’Union Européenne mette en place des aides à la traduction à destination des jeunes entreprises et des start-up. Ces subventions dédiées à la traduction permettraient la croissance des marchés à l’intérieur de l’Union Européenne et garantiraient des prestations de haut niveau. Tony BULGER Deux idées importantes sont à retenir des interventions précédentes : la spécialisation et la formation. La qualité des prestations et la réactivité des traducteurs face aux besoins des différents secteurs sont décisives. Les marchés évoluent. Le marché du « vrac » paraît contaminer le marché intermédiaire des prestations proposées par des traducteurs généralistes. La domination de l’anglais et les avancées technologiques, en matière de logiciels de traduction, contribuent à la disparition progressive de ce marché intermédiaire. L’accent doit être mis sur les traductions « haut de gamme » et très spécialisées. Ce marché exige, de la part du traducteur, une maîtrise totale des langues de travail et en particulier de sa langue maternelle. Une connaissance accrue des langues et du contexte de spécialisation ne suffit pas. Il est nécessaire également de savoir écrire et de pouvoir prendre en compte certains paramètres culturels. Les donneurs d’ordre sont de plus en plus compétents en langues. Une conception très claire des exigences du client est impérative. Les traducteurs qui visent ce marché haut de gamme doivent prendre conscience de l’importance de la formation continue, afin de suivre les évolutions terminologiques de leur domaine de spécialisation. Spécialisé dans la réglementation financière, j’ai assisté à des sessions de formation destinées aux professionnels du secteur. J’ai pu, tout à la fois, acquérir des connaissances et rencontrer des clients potentiels. En conclusion, j’insisterai sur le fait que rencontrer les acteurs du métier est primordial. La spécialisation et la professionnalisation sont essentielles à la formation des traducteurs.
  • 28. Questions De la salle Je suis traducteur spécialisé dans le domaine de la finance. Je voudrais cependant aller à l’encontre de cette promotion de la spécialisation. Les possibilités de recherche à notre disposition (internet, etc.) nous dispensent de nous spécialiser. Nous sommes avant tout des linguistes. Par ailleurs, je souhaiterais des précisions sur les processus de traduction en Inde et le recours à la traduction automatique. Comment l’interlocuteur peut-il comprendre un appel d’offres traduit de manière automatique ? Gayathri SIVAPURAPU Dans un premier temps, nous devons décider si nous souhaitons répondre à l’appel d’offres. La traduction automatique sert de canevas à la discussion préliminaire qui se tient entre les consultants en France et en Inde. Si l’appel d’offres est retenu, nous recourrons à une post- édition et à une traduction plus précise, réalisée de manière artisanale par nos traducteurs francophones. La traduction automatique permet une première compréhension. Chris DURBAN Qu’en est-il de la spécialisation pour les interprètes ? Bettina LUDEWIG-QUAINE Les interprètes ne se spécialisent pas vraiment. Le périmètre des conférences dans un sujet donné est trop restreint. La compétence essentielle de l’interprète consiste à pouvoir assimiler rapidement et efficacement un nombre suffisant d’informations pour reproduire un message de manière fiable. Chris DURBAN Myriam Maestroni, avez-vous quelque chose à ajouter sur les notions de spécialisation superficielles ou profondes ? Myriam MAESTRONI Je souhaite insister sur le fait que la conférence pour l’environnement aura lieu en France dans un an. Les besoins en traduction et en interprétation seront considérables. J’ai créé une fondation intitulée Efficacité énergétique et économie d’énergie. Les deux termes signifient la même chose mais appartiennent à deux mondes différents. Chaque mot sert à exprimer des choses précises. La qualité ne doit pas être compromise aux dépens du prix mais il est important que l’Union européenne puisse proposer des sources de financement et des subventions.
  • 29. 29 Gayathri SIVAPURAPU Lorsque j’étais traductrice, j’étais heureuse de ne pas avoir à me spécialiser car mon travail était plus enrichissant. De la salle Je pense qu’il est nécessaire de se spécialiser. Le traducteur doit pouvoir lire entre les lignes et deviner ce qu’a voulu dire l’interlocuteur. Mais il est nécessaire de se spécialiser dans plusieurs domaines. Il importe d’identifier les domaines porteurs. L’ESIT a lancé un module de formation en rédaction technique que nous espérons développer. La traduction est une profession. Si le client souhaite une prestation de qualité, il doit recourir à des professionnels. Comment les entreprises peuvent-elles savoir comment choisir un bon traducteur ? Le monde de la traduction manque de visibilité pour les étudiants et les donneurs d’ordre. Madame Maestroni, comment auriez-vous aimé être informée ? Myriam MAESTRONI J’ai cherché un éditeur capable de diffuser en plusieurs langues. Il est nécessaire d’identifier les intermédiaires qui servent la profession. Chris DURBAN La SFT a édité des brochures intitulées « Faire les bons choix » que nous vous transmettrons. De la salle Dans l’activité de traducteur judiciaire, nous sommes appelés à traduire des documents techniques et juridiques. Le traducteur-interprète doit savoir s’adapter à cette activité. Chris DURBAN En tant que traducteur professionnel, il importe d’être conscient de ses limites en termes de spécialisation. J’attire votre attention sur une brochure, traduite en 14 langues et mise à disposition par la SFT.
  • 30.
  • 31. 31 Volet 4 – Nouvelles technologies, nouvelles compétences et enjeux pour la formation Table ronde animée par Nicolas FROELIGER, Président de l’Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT) Participants :  Tatiana BODROVA, Directeur de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT)  Josep BONET, Chef de l’unité Développement professionnel et organisationnel, DG Traduction, Commission européenne  Olga COSMIDOU, Directeur général de l’interprétation et des conférences, Parlement européen  Alain COUILLAULT, Professeur associé, Université de La Rochelle  Sandrine PERALDI, Directrice de la recherche, Institut de management et de communication interculturels (ISIT) Nicolas FROELIGER La maîtrise des nouvelles technologies est désormais indispensable au métier de traducteur. Cependant, les compétences linguistiques s’avèrent tout aussi essentielles. L’Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT) – que je représente ici – compte aujourd’hui 18 formations qui ont pris la mesure de cette double exigence. L’essor des nouvelles technologies et d’Internet, au cours des dernières décennies, a suscité une certaine défiance vis-à-vis de ce qui apparaissait comme une mécanisation de l’activité. Néanmoins, l’utilisation des dictaphones et des traitements de texte avaient déjà donné lieu à ce type de ressenti. Le rôle de ces outils doit être défini au sein des formations en prenant en compte les évolutions du métier et des besoins du marché. Cette table ronde vise à mettre en rapport les usages de la vie professionnelle et les réponses apportées par les différentes formations universitaires. Alain COUILLAULT Une étude, réalisée sous les auspices de la DGLFLF, a été conduite durant les mois de septembre et d’octobre. Elle porte sur les outils informatiques d’aide à la traduction. Cette enquête qualitative consistait à interroger leurs utilisateurs et à sonder leur taux de satisfaction. Cinq types d’outils ont été évalués. Premièrement, nous avons enquêté sur les outils de conversion qui consistent à transformer un document source en un document exploitable. Deuxièmement, nous avons interrogé les traducteurs à propos des outils de mémoires de traduction. Troisièmement, nous avons évalué les outils de traduction automatique, en interrogeant des utilisateurs professionnels. Quatrièmement, nous avons
  • 32. enquêté sur les outils d’extraction terminologique. Cinquièmement, nous avons évalué les outils de gestion terminologique. Le questionnaire élaboré fut volumineux et était constitué de questions fermées et ouvertes. Nous avons recueilli plus de 700 réponses qui ont produit une grille de 197 colonnes et de 899 lignes qui est en cours d’analyse. Le document final comportera différents tableaux présentant les avis des utilisateurs à propos des différents outils. Un indice d’utilité pour le métier de traducteur sera attribué pour chaque fonction offerte par les outils. Quelque 11 % de répondants viennent du secteur de la formation, 11 % appartiennent au secteur public, 12 % travaillent au sein d’organisations internationales, 55 % sont indépendants. De nouveaux modèles émergent en termes de traduction. Certains outils sont utilisés en ligne et le crowdsourcing, c’est-à-dire la répartition du travail en ligne, progresse. En conclusion, un rapport final sera établi au cours du premier trimestre de l’année 2015. Il sera mis à disposition par la DGLFLF. Josep BONET La DGT traite un volume considérable de données. Lorsque j’ai débuté en tant que traducteur à la DGT, la part la plus importante de mon travail consistait à rechercher l’ensemble des citations de la législation. L’essor des outils informatiques a eu un impact considérable sur notre travail. La recherche par mots-clés a permis d’unifier les traductions et d’utiliser une terminologie et une phraséologie constantes. L’utilisation des nouvelles technologies a également engendré des effets bénéfiques sur la qualité des documents produits. La traduction automatique est aussi devenue un outil utile compte tenu du caractère industriel de la production de la DGT. Les délais de production et le time-to-market sont de plus en plus réduits. Les hommes politiques ne souhaitent pas attendre trois semaines pour publier une directive parce que sa traduction prendrait du temps. La division des tâches et l’utilisation de la technologie sont devenues indispensables à l’élaboration du corpus législatif et à sa mise à disposition auprès du public européen. Sandrine PERALDI Les formations universitaires doivent affronter ces nouvelles réalités technologiques. Elles doivent s’adapter à la diversification des compétences et former les futurs traducteurs. Plus de 20 masters en traduction existent en France, dont la moitié bénéficient du label EMT. Les approches pédagogiques sont multiples. Il est absolument nécessaire de confronter les étudiants à ces nouvelles réalités technologiques. Il importe de développer leur intelligence critique au moment même où certains d’entre eux peuvent conserver une vision romantique de la traduction. Notre cœur de métier reste la compétence traductionnelle et la compréhension des subtilités de la langue. Toutefois, les outils font partie du marché de la traduction et la plupart des formations universitaires prennent en compte cette diversité, même si l’intégration de ces outils au réel pédagogique ne va pas forcément de soi. Nos formations n’ont pas le temps ni la vocation de former tous nos étudiants à la totalité des techniques disponibles sur le marché. Ces cours ne permettent pas toujours de former à l’utilisation de l’outil dans un contexte professionnel. Le défi présent consiste à articuler la pédagogie, la professionnalisation et la recherche.
  • 33. 33 L’apprentissage est valorisé et, dans certaines formations, les étudiants alternent semaine en entreprise et semaine de cours. Nous les encourageons à réaliser des projets de recherche appliqués (base multilingue, préconisation d’outils). Par exemple, nous menons actuellement trois projets dont l’un a été commandité par la Commission européenne et consiste à évaluer leur système de traduction automatique. Nous sollicitons l’intelligence critique des étudiants afin qu’ils prennent conscience des forces et des faiblesses des outils utilisés. Notre devoir consiste à proposer une formation universitaire solide d’un point de vue technique tout en confrontant les étudiants aux problématiques actuelles rencontrées par les organisations internationales et les centres de recherche. Il importe d’intégrer les étudiants à une dynamique de projet afin de diversifier leurs compétences et de les initier au management. Cette évolution de la formation constitue également un champ d’investigation pour les enseignants-chercheurs. Ceux-ci sont invités à éprouver les nouveaux outils disponibles afin de proposer des enseignements actualisés et pertinents. Olga COSMIDOU Le Parlement européen est une institution qui pratique tous les jours le multilinguisme intégral. Il est le seul parlement supranational au monde à être élu au suffrage universel. Tous les députés élus doivent pouvoir s’exprimer dans leur langue et se comprendre. Quelque 24 langues officielles sont utilisées aujourd’hui et de plus en plus d’autres langues internationales sont incluses dans les débats. Cette diversité représente 552 combinaisons linguistiques et pose un défi logistique considérable. Dans ce contexte, la profession craint un recours massif aux nouvelles technologies. Mais cette inquiétude reste infondée. Pour l’heure, les compétences des logiciels de traduction sont très limitées. Elles servent éventuellement au touriste qui aurait besoin d’établir une communication de base dans un pays étranger. En aucun cas, les logiciels de traduction ne peuvent actuellement être utilisés pour interpréter des conférences. Néanmoins, il est du devoir des enseignants et des professionnels des institutions de préparer les générations futures à l’utilisation des nouvelles technologies. Des cours virtuels et des simulations de test de traduction peuvent être organisés pour familiariser les étudiants avec les épreuves qu’ils auront à subir. Les écoles doivent se doter d’un système performant de visioconférence afin de les entraîner aux processus de recrutement, et notamment à la traduction simultanée de termes techniques comme les acronymes et les chiffres. En conclusion, la technologie peut être apprivoisée. L’avenir appartient aux interprètes qui auront apprivoisé tous ces nouveaux outils. Tatiana BODROVA Le but de la formation consiste à préparer les interprètes de conférence à assurer des missions de très haut niveau afin qu’ils s’intègrent le plus vite possible dans le métier. Les nouveaux enjeux de la formation des interprètes de conférence sont multiples et variés. Il importe d’intégrer les nouvelles technologies dans l’enseignement, de préparer les futurs diplômés aux conditions actuelles de travail, dans un marché en pleine mutation et de les armer contre les dérives du métier actuelles et à venir. Les étudiants doivent être formés à l’utilisation des nouvelles technologies. Internet et les banques de données constituent des outils indispensables dans la préparation des sujets, des cours, des exposés, mais aussi dans l’entraînement individuel et en groupe à la prise de notes.
  • 34. La tâche des enseignants consiste à orienter les étudiants dans leur recherche documentaire et leur apprendre à faire preuve de discernement et à utiliser les sources fiables. L’intégration des exercices d’interprétation en visioconférences dans les cursus des masters 2 à l’ESIT, constitue un outil indispensable à la formation. Ces visioconférences, organisées dans de bonnes conditions entre différentes écoles d’interprétation et des institutions européennes permettront aux diplômés de juger, ensuite, dans la vie professionnelle, si les liaisons proposées sont suffisamment bonnes pour qu’une interprétation de qualité puisse être fournie. L’objectif de la formation consiste à préparer l’insertion rapide des diplômés sur le marché du travail et à répondre aux demandes du marché sur le plan des combinaisons linguistiques. Les institutions européennes mais aussi les organisations internationales demandent de plus en plus d’interprètes quadrilingues. C’est un réel défi pour les écoles d’interprètes (multiplication de nombre de cours, besoin de salles de cours supplémentaires, augmentation du nombre d’enseignants, etc.) qui auraient besoin de plus de soutien de la part des organismes de tutelle dans cette filière de formation au combien nécessaire. Enfin, pour former les futurs interprètes à la réalité professionnelle et les alerter contre d’éventuelles dérives du métier, nous mettons les étudiants en situation quasi professionnelle lors des cours de préparation aux conférences, lors des cours virtuels intégrés avec nos partenaires européens, ou encore, en leur offrant la possibilité de réaliser des stages au sein d’organisations internationales. Nous aidons également les jeunes diplômés à prévenir la dégradation de leurs conditions de travail et à éduquer leurs futurs employeurs. Leur statut et leur rémunération sont justifiés par leur niveau d’études et la qualité de leur préparation. Le métier de l’interprétation n’est pas facile mais il reste passionnant et indispensable. Une formation de haut niveau garantit la réalisation de prestations de très haute qualité.
  • 35. 35 Questions Nicolas FROELIGER Au vu de ces interventions et de leur contexte, on peut dire que nous sommes finalement, les uns et les autres, face à trois questions d’ordre général : - la technologie fait-elle partie de la culture, ou bien est-elle dans celle-ci un corps étranger ? - dans quelle mesure la nature même de la traduction – et donc le profil des traducteurs, y compris dans leur formation et leur recrutement – est-il affecté par cet investissement croissant des outils numériques dans ce secteur ? - de quelle manière ces reconfigurations influent-elles sur le partage de la valeur ajoutée et les interfaces entre métiers de la traduction et spécialités connexes ? La fixation des tarifs dépend aussi des rapports de force et de la négociation qui s’opèrent entre les entreprises et leurs prestataires. Les institutions joueront un rôle d’arbitre ou de modèle dans cette évaluation. De la salle L’expression « rapports de force » est problématique. Elle s’applique peut-être aux entreprises mais non aux institutions. L’utilisation des outils technologiques par les traducteurs conduit à une réévaluation des devis. Ma question porte sur la situation des interprètes dans les zones de conflit. Quels sont les dispositifs prévus pour assister les interprètes en contexte de guerre ? Nicolas FROELIGER Ce sujet a également été abordé lors de différentes manifestations récentes, ce qui montre son actualité. Il est en tout état de cause utile, ici, de distinguer les interprètes de terrain et les interprètes de conférence. Bettina LUDEWIG-QUAINE L’AIIC s’intéresse à la situation des interprètes en zones de conflits. Ils sont trop souvent perçus comme des traîtres au sein de leur propre population. L’AIIC est une association d’interprètes de conférence, mais elle s’intéresse activement aux autres formes d’interprétation. Par ailleurs, les interprètes de conférence ne sont pas opposés aux nouvelles technologies, puisqu’ils les utilisent de plus en plus. Ils sont en revanche inquiets de l’utilisation de plus en plus fréquente de la téléconférence. Cette méthode compromet des principes déontologiques comme la présence physique de l’interprétation sur son lieu de travail. Un écran est bidimensionnel et ne procure pas du tout la même sensibilité. Il ne permet pas de comprendre de la même manière la personne qui intervient.
  • 36. Olga COSMIDOU L’AIIC veille à ce que ces méthodes ne deviennent pas une réalité quotidienne. Cependant, dans un contexte de globalisation, il est nécessaire d’admettre que ces pratiques sont en vigueur, notamment aux États-Unis. Jusqu’à quand la vieille Europe pourra-t-elle résister à ces modes de fonctionnement ? Le Parlement est la seule organisation qui a réalisé des tests avec une équipe pluridisciplinaire de médecins sur la visioconférence et sur la situation des interprètes, sans parvenir à prouver les réalités recherchées. Plutôt que de s’insurger contre ces pratiques, ne conviendrait-il pas de s’interroger sur les meilleures manières de les mettre en œuvre ? Il est nécessaire de réfléchir à l’encadrement de ces pratiques plutôt qu’à leur fréquence. De la salle Je souhaite connaître la part du volet consacré à la technologie dans les cursus de traduction, en termes de volumes horaires. Ne prenons-nous pas le risque de former des techniciens de la traduction plutôt que des traducteurs ? Sandrine PERALDI Je vous rassure, la part de ce volet représente 5 % ou 10 %. Les projets que j’ai évoqués correspondent à des mémoires de fin d’année portant sur ces sujets. Certains projets portent sur les hautes technologies, mais d’autres étudiants ont choisi de traduire des sites Internet pour le compte d’associations humanitaires. Nous offrons ces formations aux étudiants pour qu’ils puissent choisir par la suite leur orientation professionnelle. Il est difficile aujourd’hui de réaliser des traductions professionnelles sans maîtriser ces outils, mais en aucun cas cette formation ne vise à remplacer nos compétences fondamentales.
  • 37. 37 Conclusions Mikaël MEUNIER C’est donc à moi que revient la lourde tâche de clore cette journée extrêmement riche et d’en tirer quelques conclusions, qui seront, je le crains, autant de fenêtres ouvertes sur d’autres travaux, d’autres débats, d’autres réunions à venir, tant cette journée a été longue – si j’en juge les traits tirés de certains d’entre nous – et courte à la fois, car vous avez dû, comme moi, vous dire que chacun des thèmes abordés aurait mérité à lui seul une journée de conférence tout entière, voire plus. Or cette grande diversité des thèmes et ce traitement parfois rapide des sujets relèvent précisément des objectifs de ces assises. Ils répondent à un choix délibéré des organisateurs de ramasser différents sujets qui affleurent à la surface de l’actualité de nos professions afin de les proposer aux intervenants qui se sont succédé à cette tribune ou à cette table tout au long de la journée. Mesdames Hauschildt et Donovan – nos deux éminentes représentantes de grandes institutions internationales, traditionnels employeurs d’interprètes et de traducteurs – nous ont rappelé, si cela était nécessaire, l’importance des traducteurs et des interprètes dans leurs enceintes et bien au-delà. « La diversité linguistique est inscrite dans l’ADN de l’Union européenne et les traducteurs et les interprètes sont les cellules sanguines du projet européen ». Ils sont ainsi devenus des rouages indispensables de la vie publique et du fonctionnement de l’Union européenne, permettant de faire vivre un multilinguisme institutionnel qui sert l’intérêt public et illustre le respect pour toutes les langues, quels que soient leur influence et leur poids dans la vie politique ou économique, et par là même l’idée du projet européen. Les débats ont permis d’aborder la question de la traduction et de l’interprétation au service des citoyens : du moins direct – en apparence du moins – avec la thématique du multilinguisme officiel dans les organisations internationales, au plus concret, sur le terrain, avec la problématique du droit à la traduction et à l’interprétation dans les procédures pénales et une plongée au cœur des enquêtes de police. Monsieur Fox a très justement illustré le large spectre de cette table ronde en soulignant ce paradoxe de la définition du multilinguisme, qui consiste pour un citoyen, à parler plusieurs langues, alors qu’il revient, dans les enceintes internationales, à parler sa propre langue en se reposant sur le travail des traducteurs et interprètes. La deuxième table ronde portait sur la contribution de nos professions à la vie diplomatique, à la circulation des idées, et a permis de jeter un pont, trop rare, entre ces univers de la traduction que sont la traduction littéraire/des sciences humaines, et la traduction pragmatique/technique, quel que soit le nom qu’on lui donne. Après le déjeuner, il a été question de quelques problématiques brûlantes du volet économique de la traduction : comment faire face à l’augmentation du volume de la demande, qui ne cesse de croître – c’est la bonne nouvelle maintes fois répétée de la journée ? Comment prioriser les documents à traduire, et donc l’affectation des budgets de traduction dans les entreprises ? L’importance de la collaboration et de la coordination entre les professionnels et les clients est clairement apparue. Les vifs échanges qui s’en sont suivis sur le thème de la nécessaire spécialisation (ou non) des traducteurs, leur capacité d’adaptation et leur besoin de formation ont constitué une formidable transition vers la dernière étape de notre réflexion.