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FAITS-DIVERS

15.Goulamaly en correctionnelle
Clicanoo.com

publi le 3 décembre 2002

00h00

Quatre ans et demi après les révélations du Journal de l’île (édition du 16 avril 1998) dans une
enquête de Philippe Leclaire, l’affaire Armas/Goulamaly passera aujourd’hui en correctionnelle.
L’homme d’affaires français Abdé Ali Goulamaly, né à Madagascar, comparaît pour faux et usage
de faux, et abus de biens sociaux. A l’époque des faits, entre 1994 et 1996, le président de la
République malgache Albert Zafy et plusieurs hauts dignitaires malgaches ont été mêlés à cette
affaire de pots-de-vin livrés par valises entières.
En juillet 1995, la société Armement des Mascareignes (Armas), dont Abdé Ali Goulamaly est le PDG, expédie à
Madagascar un “privé” chargé d’une mission d’installer dans le bureau de Denis Proto, directeur d’Armas à
Antananarivo, une caméra espion destinée à filmer des versements de fonds à de hauts dignitaires malgaches. Sur le
film, que le JIR s’était procuré à l’époque, tourné dans les locaux de la Somerex, adresse qui servait aussi de siège
social aux deux filiales de pêche d’Armas, à savoir les Pêcheries du Menabe et les Pêcheries du Melaky, deux
personnalités malgaches apparaissent, dont l’une au moins concerne directement les activités d’Armas en matière de
pêche : Gilbert François qui, du temps de la présidence Zafy, était directeur général des pêches et, à ce titre
collaborateur direct des divers ministres qui se sont succédé pour gérer ce portefeuille.
[LE SOURIRE DU MINISTRE] A l’issue d’une longue conversation, on voit le directeur des pêches empocher la
bagatelle de 25 millions de FMG de l’époque. Il est ensuite question d’un second versement. Denis Proto qui sait que la
caméra tourne, pousse son interlocuteur : — Proto : Il y a 25 millions, en début de semaine prochaine, tu toucheras le
reste… Compte, car en sortant de la banque, je me suis déjà fait avoir… — François : Je compterai quand je serai
là-bas… — Proto : Compte ici, moi je me suis fait avoir trois fois. A la banque, je me suis fait b…, ils retirent des billets
dans les liasses, là, tu as cinq minutes, compte… Dans la conversation on apprend aussi que les observateurs placés
par les autorités malgaches à bord des bateaux de pêche à la crevette sont payés par Armas. — Proto : Les
observateurs (…) mais c’est nous qui les payons… — François : C’est vous qui les payez maintenant et je vais encore
annoncer que c’était vous. Comme quoi en cas de contrôle en pleine mer… — Proto : Et tu sais combien ça me coûte ?
3 000 francs par mois. On nous facture les heures supplémentaires et tout ! La seconde vedette du film tourné par
Armas avec M. Proto comme metteur en scène est Fulgence Fanony, ex-ministre de l’Éducation nationale, qui intervient
comme agent de recouvrement pour les “œuvres” du président Zafy. Extraits du dialogue : — Fanony : C’est donc sept
milliards. — Proto : Je suis formel, c’est ce que tu veux que je prenne, 200 ou 300 millions, et que je lui amène avec toi,
comme la dernière fois… C’est à ça que je pense, plutôt qu’une opération ponctuelle, je préférerais qu’on lui verse une
fois une somme rondelette, comme on a fait la dernière fois (…) — Fanony : Alors tout dépend, si tu es pressé on peut
toujours… en disant, bon, Monsieur le Président, vous avez … aquaculture… je voudrais ceci, cela… — Proto : Est-ce
que tu crois que c’est une bonne politique d’en parler le jour de la remise des fonds… — Fanony : C’est pas tellement la
bonne tactique, mais si on le veut vraiment, que vous êtes pressé et qu’on ne peut pas faire ça une autre fois (…) —
Proto : Et moi ça m’arrange, je pourrai te voir mercredi après-midi, te remettre les 140 millions que je te dois. Comme ça
on sera quitte, ce sera fini sur le marché de l’essence. Ensuite, je pourrai remettre trois ou quatre cents millions au
président… Gravé sur la pellicule, on voit et entend ensuite le ministre Fanony négocier avec M. Proto les modalités de
paiement des frais de scolarité de sa fille, 2 000 F par mois, virés automatiquement à partir du compte de M. Proto,
entre le 1er et le 5 de chaque mois, sur celui de M. Fanony, et ce à partir du 1er septembre de l’année en cours (1995).
Dans cet épisode, encore, on voit nettement le ministre empocher de grosses liasses de billets. Lorsqu’il encaisse,
M. Fanony ne peut retenir un large sourire. Pour résumer, ces conversations laissent transparaître des faits répétés et
réguliers de corruption portant aussi bien sur les activités liées à la pêche qu’à l’aquaculture ou encore des marchés
d’hydrocarbures à Madagascar. A la Réunion, ces révélations font l’effet d’une bombe dans les milieux économiques.
Les faits induisent des conséquences pénales, quand bien même ils se sont déroulés hors du territoire français. A
Antananarivo, l’affaire fait également du bruit, mais la presse reste prudente. Sans citer de noms, “Midi Madagascar”
s’interroge : “Machination ou simple coïncidence ? A un mois des élections législatives, un dossier mettant en cause des
personnalités de l’ancien régime a été publié hier à la Réunion”. “Si caractère politique il y a dans cette affaire”, renchérit
le Journal de l’île quelques jours plus tard, “il découle principalement des paramètres économiques liés à la guerre de la
crevette à laquelle se livrent nombre d’opérateurs, dont Armas, les PNB d’Aziz Ismaël, Somapêche (Japon),
Refrigépêche (France), Aquamen., etc. Les uns et les autres jouant de leur influence politique pour favoriser leurs
intérêts aux dépens de leurs concurrents respectifs. Ainsi, en 95, des accords secrets liant Emmanuel Rakotovahiny et
Aziz Ismaël se sont manifestés de façon négative à l’endroit d’Armas, provoquant l’intervention d’Albert Zafy en faveur
de M. Goulamaly. D’où les libéralités de ce dernier en direction du président de la République et de ses proches
collaborateurs. Libéralités qui ont été jusqu’au versement de sommes importantes à Mme Zafy, alors en déplacement à
la Réunion en 1994.”
[UNE IMMENSE TOILE D’ARAIGNÉE] A Saint-Denis, la justice fait diligence. Quatre jours après les révélations du JIR,
le 20 avril 1998, le procureur Legras ordonne l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée à la brigade des recherches
départementale de la gendarmerie nationale. Le 30 avril, de retour de métropole, Abdé Ali Goulamaly est
immédiatement placé en garde à vue. Entendu par le juge Niel, il est mis en examen après dix-neuf heures de garde à
vue. Le juge ordonne une ouverture d’information judiciaire pour faux et usage de faux, abus de biens sociaux et
corruption active. Il apparaît que M. Goulamaly utilisait Armas comme société écran, en falsifiant la comptabilité de la
société, pour couvrir les pots-de-vin (le PDG a confessé plus de 4,7 millions de francs) versés à différentes autorités
malgaches entre avril 1994 et décembre 1996. De fait, M. Goulamaly collabore à 100% avec la justice française et
explique dans le détail ses opérations illicites par le fait que la corruption endémique à Madagascar ne lui permettait pas
d’agir autrement si il voulait poursuivre son activité. Le film faisait partie de cette “stratégie”, car pouvant être utilisé à
l’encontre des personnalités malgaches, pour garantir leur fidélité et leur souplesse à l’avenir. L’enquête poursuit son
cours : le 7 mai, c’est autour de Denis Proto d’être mis en examen pour complicité de corruption active. Comme son
patron, il se met à table sans faire d’histoire devant les enquêteurs. En confirmant point par point ce qu’a déclaré
M. Goulamaly. Simple exécutant et la justice française n’ayant rien à lui reprocher, M. Proto bénéficiera d’un non-lieu.
Mais cette similitude des déclarations paraît étrange au “JIR” (édition du 8 mai) : “Quelque chose semble ne pas tourner
rond dans cette histoire. Toutes les explications sont claires en apparence, mais elle ne viennent que d’une seule et
unique source : Abdé Ali Goulamaly. Quel genre d’homme pourrait avouer un préjudice de corruption à hauteur de 4,7
millions alors que les enquêteurs ne sont officiellement au courant de quelque 45 000 F uniquement ? Un tel “homme
d’affaires” serait-il incohérent au point de déclarer au juge d’instruction une somme de pots-de-vin cent fois supérieure à
celle qui lui est imputée ? S’agirait-t-il d’une manœuvre des plus habiles (…) étalée devant juges et enquêteurs pour
passer à la trappe d’autres millions illicites ? Car il ne faut pas oublier qu’Abdé Ali Goulamaly est à la tête de bon
nombre de sociétés aux horizons, et aux comptabilités multiples (…). Faudrait-il que les enquêteurs de la brigade de

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recherches départementale de la gendarmerie mettent le nez dans chacune des comptabilités de ces sociétés pour
retrouver les traces de 4,7 millions ?” Au fil de son enquête, la BRD va découvrir la “toile d’araignée” tissée par
M. Goulamaly. Des crevettes d’Armement des Mascareignes, on passe au GSM (M. Goulamaly était président de la
SRR et a tenté l’aventure malgache avec SMM), aux peintures Mauvilac, sans oublier l’immobilier et la société Pipangaï.
L’enquête a patiemment démonté le “système Goulamaly” et les anomalies relevées ont conduit le chef d’entreprises en
correctionnelle, où cette affaire embrouillée à souhait trouvera son épilogue aujourd’hui.

[Médaille et casseroles] Certains hommes politiques trouvent à la mode de porter leurs casseroles comme des
médailles. Abdé Ali Goulamaly, lui, n’a pas de casseroles et se contente d’arborer sa Légion d’honneur. Au vu et au su
de tout le petit monde politico-économico-affairiste de la Réunion et d’ailleurs, ce qui témoigne d’un bel aplomb. Que le
businessman multicartes aient été mis en examen pour faux et usage de faux, abus de biens sociaux, corruption active
et complicité de ces délits ne semble gêner personne puisque non seulement on le voit en bonne compagnie dans les
meilleurs restaurants locaux, mais aussi aux Comores avec Paul Vergès au nom de l’ADIR et même dans les salons
parisiens où il va plaider pour son quota de légines, avec succès d’ailleurs ! Car le monsieur est toujours PDG
d’Armement des Mascareignes et, forcément, considéré comme innocent. Bien considéré tout court même. Jusqu’à
aujourd’hui du moins. Mais on parierait bien une crevette malgache contre une joue de légine que l’addition ne sera pas
trop salée. G. Beauquier

[Desseins animés] Parmi ses multiples fonctions, M. Goulamaly était notamment président du conseil
d’administration de la SEM Pipangaï, société portoise de dessins animés. A l’origine, en 1996, il ne
détenait qu’une seule et unique action de Pipangaï, soit 500 F du capital, mais à l’issue du premier
exercice déficitaire de la SEM (- 3,6 MF), une augmentation de capital de 8 MF a été rendue
nécessaire. La société Mauvilac — appartenant à M.Goulamaly — a alors apporté 5 des 8 MF, en
devenant le principal actionnaire. Entre 1995 et 1996, Pipangaï a ensuite reçu environ 8,3 MF d’aides
diverses et de subventions des collectivités locales réunionnaises, et particulièrement de la Région.
Outre la crevette et la légine, la pêche aux subventions est aussi un des multiples talents de
M. Goulamaly…

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Goulamaly en correctionnelle

  • 1. http://archives.clicanoo.re/spip.php?page=imprimer&id_artic... FAITS-DIVERS 15.Goulamaly en correctionnelle Clicanoo.com publi le 3 décembre 2002 00h00 Quatre ans et demi après les révélations du Journal de l’île (édition du 16 avril 1998) dans une enquête de Philippe Leclaire, l’affaire Armas/Goulamaly passera aujourd’hui en correctionnelle. L’homme d’affaires français Abdé Ali Goulamaly, né à Madagascar, comparaît pour faux et usage de faux, et abus de biens sociaux. A l’époque des faits, entre 1994 et 1996, le président de la République malgache Albert Zafy et plusieurs hauts dignitaires malgaches ont été mêlés à cette affaire de pots-de-vin livrés par valises entières. En juillet 1995, la société Armement des Mascareignes (Armas), dont Abdé Ali Goulamaly est le PDG, expédie à Madagascar un “privé” chargé d’une mission d’installer dans le bureau de Denis Proto, directeur d’Armas à Antananarivo, une caméra espion destinée à filmer des versements de fonds à de hauts dignitaires malgaches. Sur le film, que le JIR s’était procuré à l’époque, tourné dans les locaux de la Somerex, adresse qui servait aussi de siège social aux deux filiales de pêche d’Armas, à savoir les Pêcheries du Menabe et les Pêcheries du Melaky, deux personnalités malgaches apparaissent, dont l’une au moins concerne directement les activités d’Armas en matière de pêche : Gilbert François qui, du temps de la présidence Zafy, était directeur général des pêches et, à ce titre collaborateur direct des divers ministres qui se sont succédé pour gérer ce portefeuille. [LE SOURIRE DU MINISTRE] A l’issue d’une longue conversation, on voit le directeur des pêches empocher la bagatelle de 25 millions de FMG de l’époque. Il est ensuite question d’un second versement. Denis Proto qui sait que la caméra tourne, pousse son interlocuteur : — Proto : Il y a 25 millions, en début de semaine prochaine, tu toucheras le reste… Compte, car en sortant de la banque, je me suis déjà fait avoir… — François : Je compterai quand je serai là-bas… — Proto : Compte ici, moi je me suis fait avoir trois fois. A la banque, je me suis fait b…, ils retirent des billets dans les liasses, là, tu as cinq minutes, compte… Dans la conversation on apprend aussi que les observateurs placés par les autorités malgaches à bord des bateaux de pêche à la crevette sont payés par Armas. — Proto : Les observateurs (…) mais c’est nous qui les payons… — François : C’est vous qui les payez maintenant et je vais encore annoncer que c’était vous. Comme quoi en cas de contrôle en pleine mer… — Proto : Et tu sais combien ça me coûte ? 3 000 francs par mois. On nous facture les heures supplémentaires et tout ! La seconde vedette du film tourné par Armas avec M. Proto comme metteur en scène est Fulgence Fanony, ex-ministre de l’Éducation nationale, qui intervient comme agent de recouvrement pour les “œuvres” du président Zafy. Extraits du dialogue : — Fanony : C’est donc sept milliards. — Proto : Je suis formel, c’est ce que tu veux que je prenne, 200 ou 300 millions, et que je lui amène avec toi, comme la dernière fois… C’est à ça que je pense, plutôt qu’une opération ponctuelle, je préférerais qu’on lui verse une fois une somme rondelette, comme on a fait la dernière fois (…) — Fanony : Alors tout dépend, si tu es pressé on peut toujours… en disant, bon, Monsieur le Président, vous avez … aquaculture… je voudrais ceci, cela… — Proto : Est-ce que tu crois que c’est une bonne politique d’en parler le jour de la remise des fonds… — Fanony : C’est pas tellement la bonne tactique, mais si on le veut vraiment, que vous êtes pressé et qu’on ne peut pas faire ça une autre fois (…) — Proto : Et moi ça m’arrange, je pourrai te voir mercredi après-midi, te remettre les 140 millions que je te dois. Comme ça on sera quitte, ce sera fini sur le marché de l’essence. Ensuite, je pourrai remettre trois ou quatre cents millions au président… Gravé sur la pellicule, on voit et entend ensuite le ministre Fanony négocier avec M. Proto les modalités de paiement des frais de scolarité de sa fille, 2 000 F par mois, virés automatiquement à partir du compte de M. Proto, entre le 1er et le 5 de chaque mois, sur celui de M. Fanony, et ce à partir du 1er septembre de l’année en cours (1995). Dans cet épisode, encore, on voit nettement le ministre empocher de grosses liasses de billets. Lorsqu’il encaisse, M. Fanony ne peut retenir un large sourire. Pour résumer, ces conversations laissent transparaître des faits répétés et réguliers de corruption portant aussi bien sur les activités liées à la pêche qu’à l’aquaculture ou encore des marchés d’hydrocarbures à Madagascar. A la Réunion, ces révélations font l’effet d’une bombe dans les milieux économiques. Les faits induisent des conséquences pénales, quand bien même ils se sont déroulés hors du territoire français. A Antananarivo, l’affaire fait également du bruit, mais la presse reste prudente. Sans citer de noms, “Midi Madagascar” s’interroge : “Machination ou simple coïncidence ? A un mois des élections législatives, un dossier mettant en cause des personnalités de l’ancien régime a été publié hier à la Réunion”. “Si caractère politique il y a dans cette affaire”, renchérit le Journal de l’île quelques jours plus tard, “il découle principalement des paramètres économiques liés à la guerre de la crevette à laquelle se livrent nombre d’opérateurs, dont Armas, les PNB d’Aziz Ismaël, Somapêche (Japon), Refrigépêche (France), Aquamen., etc. Les uns et les autres jouant de leur influence politique pour favoriser leurs intérêts aux dépens de leurs concurrents respectifs. Ainsi, en 95, des accords secrets liant Emmanuel Rakotovahiny et Aziz Ismaël se sont manifestés de façon négative à l’endroit d’Armas, provoquant l’intervention d’Albert Zafy en faveur de M. Goulamaly. D’où les libéralités de ce dernier en direction du président de la République et de ses proches collaborateurs. Libéralités qui ont été jusqu’au versement de sommes importantes à Mme Zafy, alors en déplacement à la Réunion en 1994.” [UNE IMMENSE TOILE D’ARAIGNÉE] A Saint-Denis, la justice fait diligence. Quatre jours après les révélations du JIR, le 20 avril 1998, le procureur Legras ordonne l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée à la brigade des recherches départementale de la gendarmerie nationale. Le 30 avril, de retour de métropole, Abdé Ali Goulamaly est immédiatement placé en garde à vue. Entendu par le juge Niel, il est mis en examen après dix-neuf heures de garde à vue. Le juge ordonne une ouverture d’information judiciaire pour faux et usage de faux, abus de biens sociaux et corruption active. Il apparaît que M. Goulamaly utilisait Armas comme société écran, en falsifiant la comptabilité de la société, pour couvrir les pots-de-vin (le PDG a confessé plus de 4,7 millions de francs) versés à différentes autorités malgaches entre avril 1994 et décembre 1996. De fait, M. Goulamaly collabore à 100% avec la justice française et explique dans le détail ses opérations illicites par le fait que la corruption endémique à Madagascar ne lui permettait pas d’agir autrement si il voulait poursuivre son activité. Le film faisait partie de cette “stratégie”, car pouvant être utilisé à l’encontre des personnalités malgaches, pour garantir leur fidélité et leur souplesse à l’avenir. L’enquête poursuit son cours : le 7 mai, c’est autour de Denis Proto d’être mis en examen pour complicité de corruption active. Comme son patron, il se met à table sans faire d’histoire devant les enquêteurs. En confirmant point par point ce qu’a déclaré M. Goulamaly. Simple exécutant et la justice française n’ayant rien à lui reprocher, M. Proto bénéficiera d’un non-lieu. Mais cette similitude des déclarations paraît étrange au “JIR” (édition du 8 mai) : “Quelque chose semble ne pas tourner rond dans cette histoire. Toutes les explications sont claires en apparence, mais elle ne viennent que d’une seule et unique source : Abdé Ali Goulamaly. Quel genre d’homme pourrait avouer un préjudice de corruption à hauteur de 4,7 millions alors que les enquêteurs ne sont officiellement au courant de quelque 45 000 F uniquement ? Un tel “homme d’affaires” serait-il incohérent au point de déclarer au juge d’instruction une somme de pots-de-vin cent fois supérieure à celle qui lui est imputée ? S’agirait-t-il d’une manœuvre des plus habiles (…) étalée devant juges et enquêteurs pour passer à la trappe d’autres millions illicites ? Car il ne faut pas oublier qu’Abdé Ali Goulamaly est à la tête de bon nombre de sociétés aux horizons, et aux comptabilités multiples (…). Faudrait-il que les enquêteurs de la brigade de 1 sur 2 22/11/2013 20:25
  • 2. http://archives.clicanoo.re/spip.php?page=imprimer&id_artic... recherches départementale de la gendarmerie mettent le nez dans chacune des comptabilités de ces sociétés pour retrouver les traces de 4,7 millions ?” Au fil de son enquête, la BRD va découvrir la “toile d’araignée” tissée par M. Goulamaly. Des crevettes d’Armement des Mascareignes, on passe au GSM (M. Goulamaly était président de la SRR et a tenté l’aventure malgache avec SMM), aux peintures Mauvilac, sans oublier l’immobilier et la société Pipangaï. L’enquête a patiemment démonté le “système Goulamaly” et les anomalies relevées ont conduit le chef d’entreprises en correctionnelle, où cette affaire embrouillée à souhait trouvera son épilogue aujourd’hui. [Médaille et casseroles] Certains hommes politiques trouvent à la mode de porter leurs casseroles comme des médailles. Abdé Ali Goulamaly, lui, n’a pas de casseroles et se contente d’arborer sa Légion d’honneur. Au vu et au su de tout le petit monde politico-économico-affairiste de la Réunion et d’ailleurs, ce qui témoigne d’un bel aplomb. Que le businessman multicartes aient été mis en examen pour faux et usage de faux, abus de biens sociaux, corruption active et complicité de ces délits ne semble gêner personne puisque non seulement on le voit en bonne compagnie dans les meilleurs restaurants locaux, mais aussi aux Comores avec Paul Vergès au nom de l’ADIR et même dans les salons parisiens où il va plaider pour son quota de légines, avec succès d’ailleurs ! Car le monsieur est toujours PDG d’Armement des Mascareignes et, forcément, considéré comme innocent. Bien considéré tout court même. Jusqu’à aujourd’hui du moins. Mais on parierait bien une crevette malgache contre une joue de légine que l’addition ne sera pas trop salée. G. Beauquier [Desseins animés] Parmi ses multiples fonctions, M. Goulamaly était notamment président du conseil d’administration de la SEM Pipangaï, société portoise de dessins animés. A l’origine, en 1996, il ne détenait qu’une seule et unique action de Pipangaï, soit 500 F du capital, mais à l’issue du premier exercice déficitaire de la SEM (- 3,6 MF), une augmentation de capital de 8 MF a été rendue nécessaire. La société Mauvilac — appartenant à M.Goulamaly — a alors apporté 5 des 8 MF, en devenant le principal actionnaire. Entre 1995 et 1996, Pipangaï a ensuite reçu environ 8,3 MF d’aides diverses et de subventions des collectivités locales réunionnaises, et particulièrement de la Région. Outre la crevette et la légine, la pêche aux subventions est aussi un des multiples talents de M. Goulamaly… 2 sur 2 22/11/2013 20:25