« Green Blood » (2/3). Pour avoir dénoncé la contamination du lac Izabal de la petite ville d’El Estor, l’enquêteur de la communauté maya kekchie risque vingt à trente ans de prison.
Carlos Ernesto Choc, 36 ans, risque vingt à trente ans de prison pour ses enquêtes sur la contamination du lac Izabal, à El Estor, petite ville maya kekchie au Guatemala. Le 28 mars 2019. James Rodriguez / James Rodriguez for Le Monde
Avec cette lumière sur l’eau, la brise légère sur les palétuviers, l’envol régulier d’aigrettes et le glissement silencieux des cayucos (« pirogues ») qui partent pêcher le mojarra, ce matin-là a des airs de premier matin du monde. A El Estor, petite ville du Guatemala, Carlos Ernesto Choc regarde le lac Izabal, tout à la fois son horizon et sa prison. « Un jour, ces problèmes prendront fin, et ce jour-là, j’espère bien ne pas pleurer », déclare le journaliste de Prensa Comunitaria, le site d’information en ligne de la population autochtone maya kekchie, lancé en 2012 pour chroniquer leur vie et leurs combats.
Ici, la liberte a un prix et cest le prix que je paie
1. Carlos Choc, journaliste clandestin au Guatemala : « Ici, la liberté a un prix et c’est le prix
que je paie »
Par Anne Michel 19 juin 2019 – Le Monde
« Green Blood » (2/3). Pour avoir dénoncé la contamination du lac Izabal de la petite ville d’El
Estor, l’enquêteur de la communauté maya kekchie risque vingt à trente ans de prison.
Carlos Ernesto Choc, 36 ans, risque vingt à trente ans de prison pour ses enquêtes sur la
contamination du lac Izabal, à El Estor, petite ville maya kekchie au Guatemala. Le 28 mars 2019.
James Rodriguez / James Rodriguez for Le Monde
Avec cette lumière sur l’eau, la brise légère sur les palétuviers, l’envol régulier d’aigrettes et le
glissement silencieux des cayucos (« pirogues ») qui partent pêcher le mojarra, ce matin-là a des
airs de premier matin du monde. A El Estor, petite ville du Guatemala, Carlos Ernesto Choc regarde
le lac Izabal, tout à la fois son horizon et sa prison. « Un jour, ces problèmes prendront fin, et ce
jour-là, j’espère bien ne pas pleurer », déclare le journaliste de Prensa Comunitaria, le site
d’information en ligne de la population autochtone maya kekchie, lancé en 2012 pour chroniquer
leur vie et leurs combats.
Menacé par des hommes de main de la mine, puis attaqué en justice par la compagnie minière
CGN-Pronico pour avoir dénoncé la contamination du lac en 2017, Carlos Choc, 36 ans, risque
vingt à trente ans de prison. Il ne peut plus travailler, se terre pour éviter les ennuis et attend un
procès sans cesse repoussé par la justice :
« On me désigne comme criminel, alors que je suis journaliste. On se croirait revenu aux plus dures
années des gouvernements militaires du siècle dernier. J’ai eu des moments de désespoir. Mais je
n’arrêterai pas, mon cœur est ici. On a un besoin vital d’information et de vérité, je ne fais que mon
métier. »
Carlos Choc a revêtu la chemise traditionnelle en coton tissé des Mayas que portaient ses ancêtres.
Le journalisme le saisit enfant, quand il commente les matchs de foot avec son père. Diplôme de
lettres en poche, il s’essaie à la radio et à l’interview politique, fait un peu de communication pour
des mairies, mais ne tarde pas à découvrir sa voie, le reportage de terrain en territoire kekchi, au
plus près des habitants.
Une photo témoin interdite
Il est journaliste depuis douze ans et chez Prensa Comunitaria depuis neuf mois, quand sa vie
bascule, en août 2017. Il travaille sur une grande enquête sur les dommages causés à la santé et à
l’environnement par la compagnie minière CGN-Pronico, un projet d’un an baptisé « Las voces del
lago » (« Les voix du lac »). Les photos, vidéos et articles qu’il publie sur la pollution et la
répression des mouvements de protestation l’ont fait connaître, et, depuis le début des années 2000,
l’environnement est devenu la préoccupation numéro un dans la région.
Mais l’une de ses photos a exaspéré la mine. Elle a été prise lors de la fameuse manifestation des
pêcheurs du 27 mai 2017, après un nouvel épisode de contamination du lac. Elle montre le corps de
Carlos Maaz, étendu à terre, juste après qu’il a été vu debout, désarmé, faisant face à la police. C’est
une photo témoin. Et, du point de vue de CGN-Pronico et de son actionnaire Solway, une photo
interdite.
« J’inquiète l’entreprise à cause de mes recherches, mais aussi parce que je suis autochtone, maya
kekchi. Je communique avec les gens, ce sont mes frères », Carlos Choc, journaliste
Carlos Choc est donc devenu le journaliste à atteindre. « J’inquiète l’entreprise à cause de mes
recherches, mais aussi parce que je suis autochtone, maya kekchi, explique-t-il. Je communique
avec les gens, ce sont mes frères. » Un mandat d’arrêt est émis contre lui, après une plainte de la
compagnie minière, qui vise aussi son collègue Jerson Xitumul et six pêcheurs.
CGN-Pronico prétexte sa présence comme journaliste sur des manifestations de pêcheurs ou des
actions de blocage de la mine et du personnel russe et ukrainien pour l’accuser de six crimes et
délits, dont « association illicite », « réunions et manifestations illicites » et « incitation à
commettre des crimes ». Le dossier est fabriqué de toutes pièces, des photos floues importées de
Facebook tiennent lieu de preuves.
2. L’enquête est stoppée net
D’abord Carlos Choc panique. Son collègue Jerson est arrêté et expédié à Puerto Barrios, une
ancienne caserne insalubre et l’une des prisons les plus périlleuses du pays, où sont enfermés les
détenus les plus dangereux, criminels et narcotrafiquants. Les bagarres entre détenus font des morts.
Il se cache pour échapper à l’enfer. C’est un crève-cœur : il doit quitter El Estor, se séparer de sa
femme et de ses deux enfants, vendre tout ce qu’il possède. Il change souvent d’adresse, se grime
pour sortir, pendant un an et demi. La mine a atteint son but. Son enquête est stoppée net.
En février 2018, épaulé par ses avocats qui ont saisi la Commission nationale des droits de
l’homme, Carlos Choc sort de la clandestinité. Il se présente au tribunal, échappe à la détention
provisoire et espère une procédure rapide. Hélas, c’est sans compter le juge Edgar Arteaga López,
qui a hérité de l’affaire, à Puerto Barrios, sur la côte Caraïbe, et qui a reporté les audiences sept fois
de suite, « dans une stratégie délibérée de retarder le cours de la justice et de réduire au silence
Carlos et les Mayas kekchis », dénoncent les conseils du journaliste. Une nouvelle audience est
prévue le 31 juillet.
« Ce n’est pas un crime de manifester, un journaliste ne saurait être arrêté pour ces raisons », José
Felipe Baquiax, juge
Le juge Arteaga traîne une lourde réputation. Il a fait l’objet de 46 enquêtes internes, sans jamais
être démis. En décembre 2017, il a libéré, moyennant caution, deux Mexicains soupçonnés de trafic
de drogue, qui venaient d’être arrêtés dans un hydravion bourré d’armes et de dollars. Sa propre
secrétaire a elle-même été arrêtée pour trafic de stupéfiants. Elle a écopé pour toute sanction de…
dix-neuf jours de suspension de salaire.
Le ministère public a requis l’abandon des charges contre les journalistes, mais seul Jerson Xitumul
a été blanchi– mais il a renoncé au journalisme –, et plusieurs pêcheurs ont été libérés. « La liberté
d’expression est garantie par la Constitution, ce n’est pas un crime de manifester, nous dit le juge
José Felipe Baquiax, président de la chambre criminelle du tribunal du Guatemala. Un journaliste
ne saurait être arrêté pour ces raisons. » Avant d’affirmer que ce type d’accusations est d’ordinaire
réservé « au crime organisé », et « pas à des manifestants ». Carlos Choc se rendra donc à nouveau
au tribunal le 31 juillet. « Ici, la liberté a un prix, déclare-t-il, et c’est le prix que je paie. »
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/19/carlos-choc-journaliste-clandestin-au-
guatemala-ici-la-liberte-a-un-prix-et-c-est-le-prix-que-je-paie_5478666_3210.html
https://mopays.com/2019/06/19/ici-la-liberte-a-un-prix-et-cest-le-prix-que-je-paie/