1. LA CHAMBRE DES FLAGRANTS DELIRES
C'était le 7 mars dernier, en début de soirée, sur la R.T.B.F. Ca s'appelait "La cour
des miracles de Charleroi". C'est encore visible sur You Tube. Pour la postérité
et les futurs ethnologues (qui vont se régaler …). Une audience parmi d’autres de la
chambre des comparutions immédiates de Charleroi filmée ‘‘in vivo’’ ! A la vraie
cour des miracles, une fois leur ‘travail’ terminé, les faux mendiants aveugles
retrouvaient la vue, les manchots jouaient du violon et les culs-de-jattes dansaient la
carmagnole. C'était ça, les miracles. A Charleroi, pas de miracles : les éclopés de la
vie ou les jardiniers fumeurs de cannabis repartent encore plus paumés qu'ils ne
sont arrivés. Si j'étais à leur place, je sortirais du palais de justice avec la rage au
ventre et l'idée de péter les pare-brises des bagnoles de bourgeois : se faire traiter, à
la cantonade, de bon à rien, de parasite, de honte de la Belgique, d'anti-Di Rupo
(sous prétexte que, né dans la même misère, on n'a pas réussi à devenir premier
ministre !), sans même pouvoir dire un mot sous peine d'être envoyé « à Jamioulx »,
on peut "péter les plombs" pour moins que ça !
Au final, cette audience documentarisée par la RTBF ressemble comme deux
gouttes d'eau au drôlissime "Gérard", le célèbre sketch de Coluche, avec le père
alcoolique qui sermonne son fils fumeur de "hachik". L'humour en moins,
malheureusement, ce qui change tout … Certains ont été attendris par le
débriefing larmoyant du procureur-imprécateur et ont cru voir une justice
descendue de son piédestal et au langage enfin accessible. Moi, le paternalisme
condescendant ne m'a jamais ni ému, ni plu. Quant au piédestal, il demeure bien là,
au propre comme au figuré, car magistrats et justiciables sont tout sauf sur pied
d'égalité. Et le langage, s’il est accessible, c’est à peu de chose près comme le sont
les engueulades d'Ordralfabétix et Iélosubmarine, les poissonniers du village d'Astérix,
accusés de vendre du poisson pas très frais par le forgeron Cétautomatix …
Une fois passés la stupéfaction et l'effet "Striptease" (émission cultissime, qui semble
avoir été parodiée), ce qui m'a finalement le plus choqué, c'est que ni la juge ni le
substitut ne songent à conseiller, à ceux qu'ils paraissent considérer comme "leurs
clients", de consulter un avocat, ni à leur rappeler qu'il s'agit, pour eux, d'un droit !
Comme l’a dit Giscard d’Estaing, une justice sans avocats est une justice
escamotée et ce que la RTB a diffusé le 7 mars en est une illustration topique : une
connivence de bistrot entre la juge et le procureur, une sorte de guignol dans lequel
le gendarme aurait toujours le dernier mot, les délits tenus pour évidents avant
même que le déjà condamné ait pu desserrer les lèvres, le "client" autorisé
seulement à dire s'il choisit les travaux forcés ou Jamioulx, le tout trempant dans
une boue de considérations pseudo-moralisatrices sur la lie de la société, la
fainéantise, les profiteurs et le salut par le travail "même en noir" (sic) !
2. Des leçons à tirer ? Primo. Le "Saldüz" (version Strasbourg, pas son ersatz belgo-
belge !) est vital car ce que la RTB a montré d'une audience publique à Charleroi
n'est que la partie émergée d'un iceberg, en particulier pour les basanés et les
loubars "accueillis" dans les commissariats de police où, pour les Père Fouettard à
képi et matraque (et ils ne sont pas rares), les insultes et les menaces sont souvent
ce que le tir est à Lucky Luke. Secundo. On a bien fait de fermer cette ‘‘chambre des
flagrants délires’’ carolo, même si l'auteur du reportage l'a annoncé, lui, avec
nostalgie. Tertio. L’'avocat doit s'imposer partout et par tous les moyens là où un
homme est jugé, et la loi doit l'imposer, via la commission d'office si nécessaire,
quand les ‘prévenus’ (de quoi ?) pensent qu’ils feront bien sans lui. Enfin, il faut
interdire aux procureurs d’interpeller directement, du haut de leur estrade (dont il
faudrait, au demeurant, les faire descendre, mais ça c’est une autre histoire) celui ou
celle qu'ils ont convoqué ou qu'ils ont fait traîner, menottes aux poings, devant son
juge : comme la plaidoirie (lorsqu'il y en a une), le réquisitoire s'adresse au juge et
c'est une mode bien détestable que de voir désormais les procureurs, tant en
correctionnelle qu'aux assises, invectiver un accusé ou un prévenu, tétanisé par
toute la machinerie judiciaire et qui n’a même pas le droit, ni la capacité, de lancer,
comme aux Etats-Unis, un "Objection, votre honneur !" sans risquer, ipso facto, de se
faire rabrouer d’un "Vous vous croyez en Amérique ?" goguenard.
Récemment, la RTBF a refait une plongée dans les bas-fonds judiciaires ! Une
récidive, donc, mais à Liège, cette fois. Le « spectacle » était différent mais c’était
encore du Dickens, voire du Zola ! Si la présidente de chambre mise en vedette
était courtoise et le substitut mesuré dans ses propos, l’impression demeurait d’un
rouleau compresseur écrasant des éclopés de la vie. Et si l’avocat y était présent,
c’était soit muet, soit en cinquième roue du chariot, tant les carottes paraissaient
cuites dès l’interrogatoire de leurs « pro deo » !
Ces documentaires font rêver à une justice à l’anglaise (réputée pourtant sévère)
avec un juge qui arbitre les débats sans même froncer les sourcils ni laisser poindre
la moindre once de préjugé et où même ceux qui, chez nous, se font secouer
comme des gibiers de potence, sont traités comme de parfaits gentlemen tant qu’il
n’y a pas de condamnation. S’il faut porter des perruques du 17ème pour y
parvenir, n’hésitons pas !
Jean-Marie Dermagne.
Ancien bâtonnier