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La dimension rythmique
et percussive dans les
musiques électroniques
populaires dansantes.
Par Augustin Lafont,
sous la direction de Martin Laliberté.
Mémoire de recherche de Master 1 Musique et informatique
musicale. Université Paris-Est-Marne-la-Vallée UFR Lettres, Arts,
Communication et Technologies.
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Mémoire de recherche non soutenu
Master 1 Musique et Informatique Musicale
Université Paris-Est-Marne-La-Vallée
UFR Lettres, Arts, Communication et Technologies
Juillet 2016
!
Couverture : Arthur Hun / arthurhun.com © 

Remerciements 4
Avant-propos 5
Introduction 9
1. Contexte historique et culturel : Comment la musique électronique est née et de quelle
façon s’est-elle intéressée au rythme ? 17
2. Le rythme d’un point de vue compositionnel 36
3. L’appréhension par l’auditeur et le danseur : quelle influence peuvent avoir le rythme et les
percussions de la musique de club sur nos oreilles et sur notre corps ? 57
Conclusion 73
Annexes 78
Bibliographie 80
Discographie 86
Remerciements
!
Je tiens à remercier particulièrement Martin Laliberté pour le suivi qu’il a effectué tout au
long de la rédaction de ce mémoire et pour le grand intérêt qu’il a pu y porter.
!
Je voudrais également remercier Salomé Coq pour son aide précieuse et ses conseils et
Sarah Ackerer pour les relectures.
!
!4
Avant-propos
!
L’objectif de ce mémoire est de rapporter et d’expliquer des phénomènes, des théories, et
des pensées à propos de la musique électronique populaire destinée au club et à la danse et à
l’aspect rythmique - et plus particulièrement l’aspect percussif - de cette dernière. Dans « A
framework for discuss- ing tonality in electronic dance music », Rene Wooler et Andrew R. Brown
considèrent que le rythme ayant une importance majeure dans ce type de musique, les musicologues
ont beaucoup laissé de côté l’analyse de la tonalité 
. Pour ma part, c’est précisément parce que le1
rythme est l’élément sur lequel se focalise la musique de club que j’ai eu envie de m’y attarder afin
de comprendre pourquoi.
!
Dans Les Expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec, l’historienne et anthropologue
Nicole Loraux a choisit de convoquer la psychanalyse afin d’atteindre « l’objet en sa spécificité » 
.2
Elle explique plus loin :
!
Il se pourrait - c’est un risque auquel s’expose quiconque travaille aux frontières - que ni les
historiens ni les psychanalystes n’y trouvent finalement leur compte. Ceux-ci parce qu’ils
préfèrent les hellénistes prudemment cantonnés dans leur territoire et leur laissant ainsi le
pónos 
glorieux de l’interprétation ; ceux-là, parce qu’ils se méfient de tout travail qui doive3
passer par des constructions, exigeant du chercheur qu’il intervienne dans sa recherche avec tout
ce qu’il est - et d’abord ses propres choix 
.4
!
Nicole Loraux choisit donc, au risque de ne pas adopter une démarche classique d’historienne, de
travailler « aux frontières » de plusieurs disciplines afin de mieux répondre à son sujet. En somme,
deux choix sont possibles quand il s’agit de réaliser un travail de recherche : soit passer par la
microspécialisation, c’est-à-dire étudier son sujet à travers le champ d’une seule discipline (ce qui
correspond à la volonté d’expliquer), soit le fait de croiser les disciplines (ce qui correspond à la
volonté de comprendre). Cela implique parfois d’accepter de faire de l’anachronisme (Nicole
Loraux par exemple utilise la psychanalyse pour étudier la société grecque antique alors que celle-ci
se situe 2000 ans avant Freud) 
. En somme, croiser les disciplines permet d’interpréter alors que la5
!5
! WOOLER, Rene, BROWN, Andrew R., A framework for discuss- ing tonality in electronic dance music, Proceedings1
of the Sound : Space - The Australasian Computer Music Conference, Sydney, 2008, ACMA, pp. 91-95.
! LORAUX, Nicole, Les Expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, NRF Essais, 1989, p.2
25.
! Dans le glossaire du même ouvrage, Nicole Loraux définit le pónos comme « le travail comme épreuve, à la fois3
exploit et peine ».
! LORAUX, Nicole, Op. cit. p. 25.4
! cf. les travaux de l’ANHIMA (Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques) dont les chercheurs adoptent beaucoup5
cette démarche.
microspécialisation permet seulement d’expliquer. Si j’avais choisi d’avoir une approche de
musicologue uniquement (ce que je ne suis pas), mon analyse aurait été bien moins pertinente que si
elle avait été menée par de « vrais » musicologues et j’aurais pris le risque de passer à côté de mon
sujet qui englobe d’autres problématiques (sociales et sociologiques, philosophiques, scientifiques,
etc.). J’ai donc fait le choix de la transdisciplinarité (dans une certaine mesure, la majeure partie de
mon analyse étant musicologique), afin d’être libre de parler de plus de choses et d’avoir différents
angles d’analyse.
!
La musique électronique populaire dansante étant un secteur d’initiés, il convient de définir
une partie du vocabulaire utilisé par ces derniers. Ainsi, un compositeur sera appelé producteur dans
la mesure ou il cumule composition et travail du son (mixage des différentes sources sonores entre
elles et effets). Le producteur travaille la plupart du temps dans son propre studio de musique : le
home-studio 
. Les morceaux de musique électronique de club sont d’une double utilité : en plus6
d’être une oeuvre musicale à part entière, ils sont des outils utilisés par les D.J 
- qui sont, pour la7
plupart, eux-mêmes producteurs 
- pour faire danser des auditeurs (dans des clubs le plus souvent8
mais aussi dans divers endroits : en extérieur, dans des rave, des bars, des centres culturels, des
salles de spectacle, etc.). Ces morceaux sont donc destinés en premier lieu à être entendus à fort
volume, mixés entre deux autres morceaux 
: leurs structures sont donc pensées par rapport à cet9
aspect de diffusion et leurs durées sont souvent supérieures à celles des standards pop (dont on situe
en général la moyenne à 3 minutes pour un morceau). Ces performances réalisées par les D.J sont
appelées des dj-set, et durent généralement plusieurs heures 
(si un concert dure rarement plus de10
deux heures, c’est en général un minimum pour un dj-set).
!
La plupart des morceaux sont publiés sous forme d’E.P (Extended Play), c’est à dire des disques
microsillons (ou vinyles) 
d’une quinzaine de minutes maximum comptant, en général, entre deux11
et cinq morceaux 
(on parle aussi de single ou de maxi) 
. Malgré la persistance de ce format12 13
!6
! Dont nous développerons la notion infra (2.1).6
! Le D.J (disc-jockey) est celui qui diffuse des morceaux de musique dans le but de faire danser une foule.7
! Il n’est donc pas rare que les D.J jouent des morceaux de leurs amis producteurs avant leur sortie officielle. On parle8
alors d’unreleased. Si l’unreleased est sous la forme d’un disque vinyle, on parle de dubplate.
! Dans un second temps, on peut bien entendu les écouter de façon isolée.9
! Parfois une nuit (les dj-sets ayant lieu la plupart du temps la nuit) ou bien une journée entière.10
! Bien qu’il puisse sembler obsolète aujourd’hui, le disque vinyle est resté présent dans le milieu du deejaying pour sa11
dimension culturelle et traditionnelle, et pour sa propension à être collectionné.
! Il arrive que certaines sorties ne comportent qu’un seul morceau. On parle alors d’un single-sided dans le cas d’un12
disque vinyle car une seule face est gravée.
! Les maxis (pour maxi 45 tours) désignent des singles gravés sur de grands disques de 12 pouces. C’est un format13
prisé par les D.J car il permet une dynamique et un volume sonore plus élevé qu’avec des disques de 7 pouces (qui à
l’origine sont utilisés pour les singles).
physique dans la musique électronique, les morceaux sont en général disponibles à la vente au
format digital (on applique néanmoins la terminologie précitée à la musique numérique). Les
producteurs publient également des albums ou L.P (Long Play), mais le plus souvent pour explorer
d’autres territoires musicaux (pour éviter de se cantonner à l’aspect fonctionnel propre à la musique
de club qui, sur une plus longue durée, peut être rébarbatif pour l’auditeur). Ainsi la majorité des
musiques de club sortent sur des formats courts, et souvent en vinyle (mais également en digital).
Un morceau peut être accompagné d’un remix, c’est-à-dire d’un travail de recomposition du
morceau original à partir des pistes séparées. Le remix, souvent effectué par un autre producteur,
peut tout aussi bien être réalisé par le compositeur original. Il existe, pour ce genre de cas, de
nombreuses variantes sémantiques du mot remix comme alternate mix, V.I.P 
. Un edit est un remix14
mais à partir du master original (et non des pistes séparées comme c’est le cas pour le remix). Par
ailleurs, il n’est pas rare que le nom du morceau soit accompagné d’un qualificatif écrit entre
parenthèses. Par exemple : (club mix), (instrumental mix), (vocal dub), etc. Cette vision de la
composition musicale, à l’origine purement pragmatique (le but est d’informer le D.J sur la nature
du morceau : une version sans voix, plus dansante ou au contraire plus atmosphérique, etc.), est
devenue avec le temps un véritable élément esthétique de la musique électronique.
!
Un morceau de musique électronique de club possède un certain nombre d’éléments rythmiques et
percussifs, qui, le plus souvent, sont des évolutions des différents éléments de la batterie acoustique
utilisée dans la musique populaire. On retrouve le kick 
(la grosse caisse de la batterie jouée à la15
pédale), le hi-hat (la cymbale charleston) 
, la snare (la caisse claire), mais aussi d’autres éléments16
comme le clap qui est une substitution de la snare, les cymbales, etc. Ces éléments ne sont pas
nécessairement fidèles à l’empreinte acoustique de la batterie, l’idée étant qu’ils en utilisent
simplement les fonctions rythmiques (entre autres). Ils sont ensuite agencés en figures rythmiques
(des patterns) 
qui se répètent dans le temps. Ces patterns se combinent entre eux et cette17
association constitue d’autres patterns (un pattern de kick associé à un pattern de clap forme un
troisième pattern). Ces sons de percussions peuvent être de différentes natures : issus d’une boîte à
rythmes ou bien d’un synthétiseur, issus d’un sample - c’est-à-dire provenant d’une source sonore
!7
! « Variation in Production ». Souvent utilisé dans les disques anglais. Il faut noter qu’ici, le terme production peut14
référer à la fois à l’aspect mixage et traitement du son et à l’aspect composition.
! dont nous parlerons plus en précision infra (3.2).15
! terme archaïque conservé dans le langage francophone.16
! Nous privilégierons ce terme par rapport à ses équivalents que sont motif et figure dans la mesure où c’est le terme17
utilisé par les producteurs eux-mêmes et par les anglo-saxons en général.
extérieure que le producteur a échantillonné 
à l’aide d’un sampler - ou bien enregistrés18
directement à l’aide d’un microphone par le producteur 
.19
!
Les morceaux de musique électronique suivent une logique de tension/résolution basée sur les
timbres et possèdent un (parfois plus) point culminant appelé drop (du verbe anglais to drop :
lâcher) qui est précédé d’une montée généralement assez longue. Le drop correspond au point
précis où toute la tension qui s’est accumulée se résout, le plus souvent avec la reprise du kick. Ce
moment est très apprécié des danseurs qui retrouvent leurs points de repères. Par ailleurs, les
morceaux de musique de club présentent indéniablement une dimension de groove 
. Le terme de20
groove fait partie de ces notions difficilement définissables dans la mesure où ils sont issus de
l’argot des musiciens. Nous l’utiliserons moins comme un nom que comme le qualificatif d’une
musique provoquant l’envie de se mouvoir grâce à un rythme assimilé (par le compositeur et/ou les
musiciens-interprètes) et souligné. Le groove est la plupart du temps affilié aux musiques afro-
américaines et à la répétition de motifs rythmiques focalisés sur le premier temps de la mesure.
!
Enfin, la musique électronique de club possède un certain nombre de codes visuels, parmi lesquels
un goût prononcé pour le mystérieux et l’anonymat : producteurs qui se cachent derrière des
masques, utilisation de différents alias 
, pressage de disques vinyles à très peu d’exemplaires et21
souvent en white label - c’est-à-dire sans pochette, avec un macaron vierge ou alors comportant très
peu d’informations, souvent écrites à la main ou à l’aide d’un tampon. Comme l’explique le
musicologue Jean-Yves Bras, ces caractéristiques témoignent de la nécessité pour cette musique de
passer outre les « contraintes commerciales de la grande distribution. (…) cet anonymat va de pair
avec une nouvelle éthique où l’argent n’a plus sa place, où le sens de la propriété n’existe pas :
chacun peut échantillonner le son de l’autre et la musique est un bien commun que l’on partage
dans la fête » 
.22
!
Cet ensemble de règles tacites contribue à la sémantique de la musique de club et permet au
consommateur de savoir, avant même de l’avoir écouté, qu’un disque en fait partie.

!8
! la traduction de sample est « échantillon ».18
! L’utilisation de microphones est néanmoins assez rare dans cette musique : les premiers producteurs étant peu19
fortunés, ils se contentaient du minimum de matériel. Aujourd’hui, ce sont des habitudes qui sont restées.
! Nous développerons particulièrement cette notion dans le chapitre 2.20
! pseudonyme, nom de scène.21
! BRAS Jean-Yves, Les courants musicaux du XXe siècle ou la musique dans tous ses états, Genève, Editions papillon,22
2007 [2003], p. 255.
Introduction
!
La grande difficulté posée par la question du rythme - en général, pas seulement en musique
- est que celui-ci est tributaire de la notion de temps. Or, le temps est une notion polysémique, très
largement utilisée au quotidien sans que personne ne soit pourtant capable de le définir
correctement. Dans une conférence donnée à l’École polytechnique en 2006, le physicien Etienne
Klein déclare :
!
je vous mets au défi de trouver une définition du temps qui ne présuppose pas l’idée du temps.
Or comme vous le savez, définir c’est rapporter un concept à un autre concept plus fondamental.
Il n’existe pas de concept plus fondamental que le mot temps 
.23
!
Il poursuit :
!
le temps a pour fonction principale de faire qu’il y ait sans cesse du présent (…) le temps est la
seule chose qui ne passe pas et pourtant on dit que le temps passe. Cela veut dire que là, nous
commettons une erreur assez classique qui consiste à confondre l’objet et sa fonction. La
fonction du temps c’est de faire passer la réalité et cette fonction ne cessant pas, le temps ne
passe pas 
.24
!
En effet, le temps n’agit que comme un repère par lequel il nous est possible de dissocier des
évènements qui ont déjà eu lieu d’avec des événements qui n’existent pas encore. Entre les deux,
l’instant présent est constamment réaffirmé par ce qu’on appelle le temps. Le rythme, quant à lui,
est une façon qu’a l’homme de mesurer le temps, de l’appréhender, et donc d’une certaine manière
de le rendre concret.
!
A l’occasion des dix-huitièmes entretiens de la Garenne-Lemot en 2014, le philologue et
latiniste Jackie Pigeaud a invité des écrivains, historiens d’art, et philosophes, à se questionner sur
le rythme. Il est intéressant de voir qu’à l’instar du temps, c’est un terme polysémique que l’on
retrouve dans des contextes aussi nombreux que divers.
!
!
!
!9
! « Que savons-nous du temps ? », conférence donnée par Etienne Klein à l’École polytechnique, 11 mai 2006, la23
diffusion des savoirs de l'école normale supérieure [en ligne], 24 mars 2013 [consulté le 30 Mai 2016], Disponible à
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=NDYIdBMLQR0
! Ibid.24
Pour la philosophe Chakè Matossian, le rythme c’est avant tout une organisation :
!
Le rythme donne forme à ce qui est aléatoire, il peut rassurer en offrant des repères à ce qui
reste transformable, momentané, fuyant et qui est aussi ce qui nous angoisse existentiellement 
.25
!
Le rythme serait donc un pourvoyeur de repères. L’historien et philosophe Bernardino Fantini
considère deux éléments, pour lui indissociables du rythme : la présence d’un battement (ou d’une
pulsation) 
et sa répétition périodique 
. Pour lui, on retrouve ces deux composantes (et donc du26 27
rythme) dans les cycles cosmiques, les phénomènes naturels (rythme des saisons, des phases
lunaires, etc.), la nature géométrique des formes que l’on retrouve chez les êtres vivants, le rythme
qui organise les sociétés et les civilisations 
. En revanche, il invite à ne pas confondre périodicité et28
rythme (l’alternance du jour avec la nuit constitue un phénomène périodique mais pas
nécessairement un rythme). Comme il l’explique, le rythme n’est donc pas : « une répétition, mais
c’est la répétition de la différence à l’intérieur d’une entité complexe perçue comme un tout » 
. Il29
est la caractéristique d’un « phénomène périodique induit par la perception de la répétition avec
variation d’une structure organisée » 
. En d’autres termes, bien que le rythme apporte une stabilité,30
une régularité et une organisation dans le temps, et qu’il peut être résumé à une ossature de base que
l’auteur nomme « cellule génératrice » 
, il se doit de varier et de rester « en mouvement » 
. Il faut31 32
noter que cette vision du rythme est strictement occidentale : souvent dans la musique africaine par
exemple, les musiciens raisonnent en terme de figures et de formules polyrythmiques et la plupart
du temps, la pulsation « est tue » 
. Elle peut être existante mais elle n’est pas exprimée et est alors33
totalement intégrée par les musiciens qui préfèrent donner « de la vivacité à la périphérie » 
.34
!
Le rythme doit donc présenter à la fois un battement répété périodiquement, et une structure
sujette à évoluer. Mais qu’en est-il du rythme en musique?
!
!10
! MATOSSIAN, Chakè, « La navette et la bouse de vache ou l’artiste en tarentule » in PIGEAUD, Jackie, dir, Le25
Rythme : XVIIIes entretiens de La Garenne Lemot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 118.
! qui rappelle le tactus médieval, cette battue qui permettait « l’indépendance rythmique et métrique de plusieurs voies26
simultanées » SCHNEIDER, Corinne, « La pulsation en question » in ACCAOUI, Christian et al. Musique et temps,
Paris, Cité de la Musique, 2008, pp. 41-42.
! FANTINI, Bernardino, « Rythmes corporels, rythmes psychologiques, rythmes culturels. » in PIGEAUD, Jackie, dir,27
Op. cit., pp. 208-209.
! Ibid. pp. 208-212.28
! Ibid. p. 213.29
! Ibid. p. 214.30
! Ibid. p. 215.31
! Ibid.32
! SCHNEIDER, Corinne, « La pulsation en question » in ACCAOUI, Christian et al. Op. cit., pp. 41-42.33
! Ibid.34
Christian Accaoui et Matthieu Favrot définissent le rythme comme suit :
!
(…) le rythme de la musique occidentale est le produit de cinq éléments (la pulsation, le tempo,
les durées, la mesure, la cellule rythmique), qu’il ne présente pas systématiquement ces cinq
éléments (la mesure, par exemple, est un phénomène récent et assez éphémère) et qu’il n’est
donc a fortiori assimilable à aucun de ces cinq éléments en particulier. En une seconde
approche, nous considérerons dans le rythme l’énergie qu’il implique : il n’est plus alors défini
comme agencement - statique - de proportions numériques mais comme distribution -
dynamique - de l’énergie dans le temps 
.35
!
Ils définissent ensuite ces cinq éléments que sont : la pulsation, le tempo, les durées, la mesure, et la
cellule rythmique :
!
La pulsation n’est pas le rythme mais elle y contribue. Elle est même au fondement d’une
définition générale du rythme, comme retour à intervalles sensiblement égaux, d’un repère
constant. Elle est présente en poésie comme en musique : c’est l’ictus latin, « coup »,
« battement », « choc », substantif verbal de ico ou icio, « frapper ». (…)
!
Le tempo est le mouvement dans lequel s’exécute une oeuvre musicale. On peut jouer une
valse plus ou moins vite et, selon le tempo choisi, on dira qu’elle a un rythme plus ou moins
entraînant. Comme la pulsation, le tempo n’est pas le rythme, mais il y contribue. (…)
!
Les durées ou valeurs de notes sont proportionnelles les unes aux autres selon des rapports
rationnels simples : une blanche vaut deux noires, une noire pointée vaut trois croches. Le
système traditionnel des durées est issu de la notation de l’ars nova, qui au XIVe siècle divise
une valeur extrêmement longue, la maxime, en trois temps (division parfaite) ou en deux
(division imparfaite), eux-mêmes subdivisés par trois ou par deux. (…)
!
La mesure reproduit le phénomène de la pulsation, le retour à intervalles sensiblement égaux,
mais sur une échelle plus grande : 123/123/123. Le désir de régularité et de symétrie ainsi que la
musique à danser ont beaucoup contribué au XVIIe siècle à généraliser son emploi, la
nécessaire répétition des pas impliquant un retour régulier des mêmes structures rythmiques. La
pulsation délimite donc le temps qui peut être divisé en 2 (mesure binaire) ou 3 (mesure
ternaire), les temps sont répartis entre forts et faibles pour former les mesures (à 2, 3 ou 4
temps), lesquelles se regroupent en carrures plus ou moins régulières. (…) 36
!
Cet ensemble de règles qui structurent la notion de rythme fait partie de ce que Geneviève Mathon
et Eric Dufour appellent la « métrification du rythme » 
c’est-à-dire l’organisation de plus en plus37
rigide du rythme en musique, qui interdit les écarts trop prononcés par rapport à la norme (la
!11
! ACCAOUI, Christian, FAVROT, Matthieu, « Rythme », in ACCAOUI, Christian, dir, Eléments d’esthétique35
musicale : notions, formes et styles en musique, Paris, Actes Sud / Cité de la musique, 2011, p. 585.
! Ibid., pp. 585-586.36
! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève. « Le rythme musical » in ACCAOUI, Christian et al. Musique et temps,37
Paris, Cité de la Musique, 2008, pp. 74-75.
pulsation, la barre de mesure, la carrure, etc.). Cette tendance est particulièrement présente dans les
musiques de danse qui nécessitent des repères clairs et réguliers 
.38
!
Il est fréquent que soit confondu le rythme (qui peut être le rythme d’une mélodie par
exemple) avec la section rythmique, c’est-à-dire ce qui ne s’occupe que du rythme. Dans son article
« Dialectique et rythme de l’oeuvre musicale selon Boris de Schloezer », Pierre Henry Frangne
raconte :
!
Aussi l’un et l’autre [Schloezer et Mallarmé] critiquent-ils la fausse séparation de l’élément
rythmique d’avec l’élément mélodique (…) ainsi que la dégradation que le monde moderne de
plus en plus mécanisé fait subir aux rythmes musicaux et poétiques ramenés à des battements
qui exagèrent l’importance accordée aux rapports d’intensité. Car c’est bien cette réduction qui
dissocie le rythme de la mélodie et fait du rythme un domaine autonome de moins en moins
musical (…) 
.39
!
L’autonomie du rythme est pourtant un paradigme de composition dans la musique populaire 
: de40
la batterie au sampler, le rythme se détache de toute mélodie pour devenir le garant du temps
musical pour les autres instruments. Cette particularité de traiter le rythme comme un élément à part
a développé ce que nous pourrions appeler la fonction percussive : un ensemble de percussions -
c’est-à-dire des sons, le plus souvent inharmoniques avec une attaque très courte - qui se
comportent comme des indicateurs de la structure rythmique en rappelant régulièrement un certain
nombre de données musicales comme la mesure, la pulsation, les temps forts ou les temps faibles.
En général, les percussions sont des sons très brefs mais certaines exceptions comme les cymbales
ont une résonance assez longue. Les percussions font partie de ce que Martin Laliberté nomme
l’archétype de la percussion, qui, par opposition à l’archétype vocal, ne cherche pas la pureté et la
clarté du discours tonal mais favorise l’inharmonicité et l’aspect brut du son 
. Comme nous le41
verrons, la boîte à rythme, ou le sampler sont des mutations de la fonction percussive de la batterie
à travers de nouveaux gestes de composition. Ainsi le kick est une ré-interprétation de la fonction de
la grosse caisse, le hi-hat ou les snares, des ré-inteprétations du charleston et de la caisse claire 
.42
!12
! Toujours dans le sens rythmique occidental : dans certaines musiques d’Afrique, les structures complexes de la38
polyrythmie sont des supports de danse.
! FRANGNE, Pierre Henry, Dialectique et rythme de l’oeuvre musicale selon Boris de Schloezer, in PIGEAUD,39
Jackie, dir, Op. cit., p. 275.
! Le terme « musique populaire » faisant débat chez les musicologues, nous le considèrerons comme étant tout ce qui40
n’est ni musique savante, ni musique folkorique. Nous utiliserons ce terme dans une acception moderne, faisant ainsi
référence à une musique principalement afro-américaine, née au XXe siècle et dont les oeuvres sont fixées sur un
support d’écoute.
! LALIBERTE, Martin, Aux origines des « nouvelles technologies musicales » : virtuosités et archétypes, Actes de41
colloques, Musiques, arts et technologies : pour une approche critique Montpellier-Barcelone, décembre 2000.
! Voir supra Avant propos.42
Bien entendu, il est important de rappeler que la fonction percussive, bien qu’elle soit essentielle
dans la conception d’un morceau destiné à la danse, n’est pas le seul élément constituant la structure
rythmique. Des éléments mélodiques comme le chant, un synthétiseur, ou une basse (qui forme avec
la batterie ce qu’on appelle la section rythmique en jazz) peuvent jouer un rôle rythmique tout aussi
important dans la dance-music. Il est même rare que les éléments percussifs soient les seuls
pourvoyeurs de groove dans un morceau : la bassline 
est bien souvent utilisée conjointement avec43
eux ; un lead 
peut être utilisé de façon très rythmique en plus de la44
mélodie qu’il apporte ; etc. Un sample vocal peut également être utilisé à
des fins rythmiques comme le fait le producteur anglais Todd Edwards,
qui découpe ses samples de manière à combiner des micro-fragments pour
créer un groove. On peut retrouver ce type de collage dans son morceau
« Love Inside » par exemple 
. Il faut donc garder en tête que bien que45
nos analyses se focalisent uniquement sur l’aspect percussif du rythme, ce
dernier n’est pas le seul garant du rythme et de la mécanique du groove.
!
Il n’existe que rarement de définitions faisant le consensus quand il s’agit de musique
populaire et ce probablement car il s’agit d’une musique qui ne se théorise pas. Dans notre cas, nous
pourrions définir la musique électronique populaire de danse comme un large ensemble de sous-
genres musicaux qui on tous en commun le fait que leurs morceaux utilisent l’électronique comme
moyen de production (par le biais des outils issus de l’informatique musicale dans les années 1980)
et comme esthétique (utilisation de l’électronique pour créer des sonorités et des couleurs
particulières sans essayer de reproduire une source naturelle ou réaliste) et soient diffusés, entre
autre, dans des espaces dédiés à la danse (club, rave et free parties, bars, salles de concert, etc.).
Cette diffusion intervient dans le cadre d’un D.J set c’est-à-dire d’une performance effectuée par un
D.J consistant à enchaîner dans un flux continu, des morceaux de musique, en les synchronisant au
niveau du tempo dans le but de faire danser un public. Il est important de noter que nous ne
traiterons pas des danses codifiées issues des musiques afro-américaines comme le voguing, le
waacking, ou encore le juke 
mais uniquement du fait de se mouvoir de façon instinctive sur de la46
!13
! ligne de basse.43
! un synthétiseur qui a une fonction de soliste.44
! Todd Edwards, « Love Inside », Love Inside, Nu Trend Music, NU001, Inconnu (Angleterre), 2012.45
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=LZ3caqdcB-E [consulté le 3 Mai 2016]
! Danses apparues dans les clubs gays américains durant les années 1970 (sauf le juke qui est une danse urbaine bien46
plus tardive mais qui est liée à la musique électronique populaire). Ces danses sont codifiées et les danseurs s’affrontent
en faisant démonstration de leurs compétences devant un public.
fig. 1 : Todd
Edwards, « Love
Inside »
musique sans avoir appris des pas de danse spécifiques au préalable. En effet, l’idée est de
s’intéresser au potentiel dansant « naturel » de ces musiques et non à l’aspect chorégraphique de la
danse qui caractérise, notamment, les danses précitées.
!
Nous conjuguerons donc la dimension percussive, c’est-à-dire les percussions, et la dimension
rythmique, soit leur organisation dans le temps (à travers les notions de pulsation, tempo, durée, et
mesure) dans le contexte de la musique électronique populaire destinée à la danse et aux clubs.
Cette musique représentant un spectre qui s’étend de 1983 environ à aujourd’hui, nous nous
efforcerons d’adopter une approche globalisante en essayant de se focaliser sur les points communs
de ces nombreux sous-genres.
!
Il s’agira donc de se demander dans quelle mesure les musiques électroniques populaires
dansantes, issues à la fois des nouveaux outils de l'informatique musicale des années 1980 et de la
musique afro-américaine, offrent un rôle de premier plan à la problématique du rythme et des
percussions, comment ceux-ci sont organisés par le compositeur et appréhendés par les auditeurs et
danseurs.
!
Dans le premier chapitre nous nous efforcerons de faire un rappel culturel sur la naissance
de cette musique et sur la façon dont elle s’est intéressée au rythme et à la danse pour mieux
préciser le contexte de notre étude. Nous montrerons comment l’électronique s’est invité dans la
composition musicale dans la deuxième moitié du XXe siècle à travers la musique savante et la
musique populaire et quelles sont les principales distinctions entre ces deux écoles, notamment au
niveau du rythme. Nous verrons ensuite que le rythme est au coeur de la musique électronique
populaire car il conditionne les sous-genres de celle-ci et qu’il génère deux approches musicales :
celle du corps et de la danse (qui nous intéresse), et celle qui correspond à une écoute plus calme et
attentive. Nous engloberons enfin la notion de timbre qui joue un rôle très important car celui-ci
figure le rythme et qu’il est déterminant dans l’usage des percussions et dans l’identité de certaines
machines phares de cette musique. Nous convoquerons notamment les travaux de Mathias Kilian
Hanf 
, Guillaume Kosmicki 
, Kodwo Eshun et al. 
pour ce qui est de l’histoire, et les ouvrages de47 48 49
!14
! HANF, Mathias Kilian, Detroit Techno: Transfer of the Soul through the Machine, Saarbrücken, VDM Verlag Dr.47
Müller, 2010.
! KOSMICKI, Guillaume, Musiques électroniques : des avant-gardes aux dancefloors, Marseille, Le mot et le reste,48
2009.
! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Modulations : une49
histoire de la musique électronique, Paris, Allia, 2004.
Pierre Boulez 
, Geneviève Mathon et Eric Dufour 
, Louis Chretiennot 
ou encore Makis50 51 52
Solomos 
pour la partie musicologie et analyse. Le chapitre deux étudiera l’approche53
compositionnelle du façonnement rythmique et percussif. Nous verrons dans un premier temps que
la musique de club est née des progrès du numérique et de la démocratisation de boîtes à rythmes et
de synthétiseurs qui, grâce à des coûts peu élevés, furent à l’origine d’un nouveau geste musical.
Nous étudierons en détail et à travers un certain nombre d’exemples la structure rythmique et
percussive des morceaux écrits pour le dancefloor 
et nous en dégagerons certaines logiques54
d’écriture. Nous distinguerons les patterns de base - qui forment le squelette rythmique - des
percussions ornementales et définirons des notions comme break, drop, etc. Nous verrons enfin que
grâce aux technologies utilisées par les producteurs, il existe deux techniques d’écriture du rythme
dans la musique électronique populaire dansante, qu’elles correspondent à deux conceptions
différentes du groove et que celles-ci peuvent se compléter. Nous nous appuierons principalement
sur les analyses de Hans Zeiner-Henriksen (notamment sa thèse The « PoumTchack » Pattern :
Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music) 
et sur55
l’ouvrage dirigé par Anne Danielsen : Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction 
. Enfin,56
nous nous intéresserons dans le troisième et dernier chapitre à la réception de cette musique par
l’auditeur et le danseur. Nous montrerons à quels principes cognitifs le rythme des musiques de club
fait appel dans un premier temps, puis nous verrons l’importance du kick dans le mécanisme de la
danse. Enfin nous étudierons le contexte principal de réception de cette musique, à savoir le club, et
en quoi il influe sur notre appréhension de ces musiques. Nous citerons, entre autres, les travaux de
Michael Thaut 
, Kristoffer Carlsen et Maria Witek 
portant sur les relations entre rythme et57 58
cerveau, les ouvrages de Gilbert Rouget 
, Georges Lapassade 
, Astrid Fontaine et Caroline59 60
Fontana 
pour l’aspect sociologie, et d’autres sources de nature musicologique déjà citées.61
!15
! BOULEZ, Pierre, Penser la musique aujourd’hui, Paris, Gallimard, Collection Tel, 1987 [1963].50
! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève, Op. cit.51
! CHRETIENNOT, Louis, Le Chant des moteurs : du bruit en musique, Paris, L’Harmattan, 2008.52
! SOLOMOS, Makis, De la musique au son : l’émergence du son dans la musique des XXe - XXIe siècles, Rennes,53
Presses universitaires de Rennes, 2013.
! La piste de danse.54
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and55
Movement in Electronic Dance Music, Thèse de doctorat : Musicologie, Department of Musicology Faculty of
Humanities, University of Oslo, Juin 2010.
! DANIELSEN, Anne, dir, Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction, Farnham, Ashgate, 2010.56
! THAUT, Michael H. Rhythm, music, and the brain : Scientific Foundations and Clinical Applications, New York/57
Londres, Routledge, 2005.
! CARLSEN, Kristoffer, WITEK, Maria A.G., « Simultaneous Rhythmic Events with Different Schematic Affiliations :58
Microtiming and Dynamic Attending in Tow Contemporary R&B Grooves » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit.
! ROUGET, Gilbert, La musique et la transe: esquisse d'une théorie générale des relations de la musique et de la59
possession, Paris, Gallimard, [1980], Réed. revue et augmentée, 1990.
! LAPASSADE, Georges, La Transe, Paris, PUF, «Que sais-je ?», 1990.60
! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Raver, Paris, Anthropos, 1996.61
Nous utiliserons un large éventail d’exemples musicaux pour illustrer nos propos en
essayant de diversifier au maximum les époques et les genres. Le grand problème de la musique
populaire est qu’il n’existe que le support même de l’oeuvre (contrairement à la musique classique
occidentale qui est traditionnellement liée à la partition), ce qui développe une certaine opacité pour
l’analyse. Nous transcrirons néanmoins certains patterns rythmiques afin de pouvoir les visualiser,
en utilisant des captures d’écran issues du séquenceur d’un logiciel de musique assistée par
ordinateur (M.A.O), ce qui est bien plus cohérent qu’une partition compte tenu du contexte. Pour
chaque morceau analysé ou simplement évoqué seront précisées toutes les informations nécessaires
quant à sa sortie en note de bas de page (nom du disque, label, pays, etc.), ainsi qu’un lien pour
pouvoir l’écouter 
. Par ailleurs, j’y adjoindrai une image flashcode dans le texte afin d’atteindre62
directement le lien. À propos des citations d’ouvrages anglo-saxons : conscient que depuis quelques
années la recherche musicologique tend à ne plus traduire les citations initialement écrites en
anglais (l’anglais étant la langue la plus répandue dans le champs de la musique populaire, et
utilisant de nombreux termes résistants mal à l’épreuve de la traduction), j’ai néanmoins fait le
choix de traduire les extraits que j’utiliserai dans ce mémoire dans un souci de lisibilité (et dans la
mesure où l’interprétation d’une citation constitue, déjà, une trahison de la citation originale) 
.
63
!16
! j’utiliserai la nomenclature suivante pour la citation de morceaux de musique : Artiste, « Morceau », Album, Label,62
Référence catalogue, ville (ou pays), année. J’y adjoindrai un lien pour écouter le morceau en ligne. Les minutages que
j’utilise dans mon analyse sont les mêmes que sur le lien.
! Certains mots seront néanmoins conservés en anglais dans la citation quand il apparaîtra inutile ou bien trop63
compliqué de les traduire. La citation originale sera toujours présente en note de bas de page.
1. Contexte historique et culturel : Comment la musique électronique est née et
de quelle façon s’est-elle intéressée au rythme ?
!
Il s’agira dans un premier temps d’exposer brièvement la naissance de cette musique, la
façon dont elle se distingue des musiques électroniques savantes, et son approche particulière du
rythme . Il conviendra ensuite de distinguer les musiques électroniques populaires dansantes d’avec
les non-dansantes, puis d’analyser la manière dont le rythme conditionne la classification des sous-
genres. Enfin, la dernière partie de ce chapitre sera consacrée à la place du timbre dans le rythme
des morceaux de dance-music.
!
1.1 Naissance d’une musique électronique populaire
!
S’il est difficile aujourd’hui d’écrire une histoire de la musique électronique, c’est en partie
à cause du fait que le terme « électronique » recouvre à lui seul un ensemble d’écoles, d’esthétiques
et de mouvements très différents. Si en 2016, établir une délimitation entre musique électronique
savante et musique électronique populaire 
peut sembler superflu, on remarque tout de même que64
les acteurs et le public de ces deux scènes tout comme leurs réseaux de distribution sont très
différents ; la philosophie n’est souvent pas la même non plus. On considère le plus souvent que
l’utilisation de l’électronique à des fins musicales est née avec les expérimentations de Pierre
Schaeffer (que l’on assimile plutôt à l’école savante) et les collages sonores qu’il réalise à partir de
sons bruts (des sons de boîtes métalliques ou encore de train) 
à la fin des années 1940 et que l’on65
regroupe sous le nom de musique concrète 
. François Delalande discerne quatre écoles de66
musiques savantes utilisant l’électronique 
:67
!
- La musique concrète : représentée par les français Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Elle consiste
à réarranger et recomposer des bruits sortis de leur contexte initial (des objets sonores) pour en
faire de la musique.
!
!17
! Les musiques mixtes comme le rock ou le jazz ne font pas partie de la musique électronique populaire car une partie64
des instruments est acoustique, même si ces derniers sont amplifiés.
! respectivement Étude n° 5 Pathétique ou Étude aux casseroles et Étude n° 1 Étude aux chemins de fer, toutes deux65
extraites de Cinq études de bruits (1948).
! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., pp. 11-23.66
! DELALANDE, François, Le Paradigme électroacoustique, in NATTIEZ Jean-Jacques, dir, Musiques, une67
encyclopédie pour le XXIème siècle, vol. 1 : Musiques du XXème siècle, Arles, Paris, Actes Sud/Cité de la Musique,
2003, pp. 534-535.
- La musique électronique : contrairement à la musique concrète française, la musique
électronique, née sous l’impulsion de Herbert Eimert, Robert Bayer et Werner Meyer Eppler
(rejoints par Karlheinz Stockhausen) dans un studio de Cologne au début des années 1950,
utilise des sons générés électroniquement qui sont ensuite assemblés, mixés, et couchés sur
bande magnétique.
!
- La musique électroacoustique : mot valise utilisé à partir du milieu des années 1950 pour
désigner à la fois les pratiques concrètes et électroniques dans la musique savante qui
commençaient à se mélanger à cette période. Au sens d’aujourd’hui, une oeuvre
électroacoustique est une oeuvre qui utilise l’électronique au sens large (concret et/ou
électronique) et qui est fixée sous la forme d’un signal analogique ou numérique et destinée à
être entendue sur des haut-parleurs. Néanmoins, le terme électroacoustique fait débat : on peut le
définir plus largement comme une musique utilisant l’électronique à des fins de production (que
ce soit pour l’enregistrement ou la diffusion) ou bien à des fins musicales (un ou plusieurs
instruments électroniques ou bien l’utilisation musicale d’éléments électroniques, le tout au sein
d’un ensemble acoustique ou non) 
.68
!
- La musique acousmatique : à la différence de la musique électroacoustique qui est le plus
souvent jouée sur scène et écrite sur partition, la musique acousmatique est entièrement réalisée
en studio, quelles que soient les techniques qu’elle utilise (sons concrets manipulés, synthèse
sonore, etc.). C’est « l’écoute d’une source cachée 
». Elle est très proche, philosophiquement, de69
la musique électronique populaire qui est composée en home-studio 
et, de façon plus générale,70
à la musique populaire, dans cette non-utilisation de la partition. En toute rigueur, on devrait dire
« musique électroacoustique acousmatique » qui est un cas particulier de l’autre.
!
En prenant l’exemple de la house, Bastien Gallet montre que la musique électronique populaire n’a
rien à voir avec la musique électronique des années 1950 qu’il évoque en ces termes :
!
Une musique de sons, captés par des microphones ou produits par des générateurs de fréquence,
manipulés, combinés, montés pour faire œuvre. Une œuvre qui était notée sur partition et qui est
!18
! BOESWILLWALD, André-Pierre « Musique contemporaine - Les musiques électro-acoustiques », Encyclopædia68
Universalis [en ligne], sd, [consulté le 25 mai 2016], Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/encyclopedie/
musique-contemporaine-les-musiques-electro-acoustiques/
! DELALANDE, François, Op. cit., p. 535.69
! voir infra chapitre 270
aujourd’hui fixée sur bande magnétique. La musique n’a pas cessé de s’écrire, seul le support a
changé. On enregistre des sons comme on inscrivait des signes sur des portées. Il n’y a que les
DJ et leurs descendants à avoir renoncé à l’écriture (il s’agit à vrai dire moins d’un renoncement
que d’un pur et simple oubli). Ce qu’ils composent ne sont ni des sons ni des notes, mais des
gestes et des machines : des gestes qui redeviennent concrets et des machines qui se mettent à
ressembler à des instruments 
.71
!
La grande différence selon Bastien Gallet, c’est la présence d’une partition ou non. Pourtant, Jean-
Claude Risset a composé des oeuvres (Computer Suite from Little Boy en 1968 notamment) qui
n’existent qu’à travers leur support d’enregistrement. La musique acousmatique, elle non plus,
n’utilise pas la partition - tout en faisant partie de la musique savante.
!
Pour Louis Chretiennot, on trouve une différence au niveau de la conception du rythme :
!
Alors que dans les musiques afro-américaines, on demande au corps de s’investir tout entier
dans le rythme et sa mouvance, dans les conservatoires, on apprend aux jeunes musiciens à ne
pas taper du pied pour acquérir une conception dite « intérieure » du rythme, très labile et
fluctuante, entièrement dévouée à la logique de débit de la phrase musicale, le tempo devant
accélérer ou ralentir en fonction de la diction de cette phrase. Un cardiologue conclurait à une
arythmie chronique mais organisée. De ce point de vue, une des grandes acquisitions du XXe
siècle, c’est la victoire de la conception isochronique du rythme des musiques populaires sur le
rubato généralisé à tout l’orchestre de l’interprétation classique. Elle implique que le public soit
connaisseur pour qu’il perçoive le swing ou le groove 
.72
!
En effet, le groove a une place de premier choix dans la musique électronique populaire dansante,
car, en plus de s’inscrire dans le continuum des musiques afro-américaines (à l’instar du blues, du
jazz, ou de la funk et du disco, cette musique est née dans les milieux noirs pendant un contexte
socio-économique difficile, en l’occurrence : la pauvreté et le chômage 
) elle a pour premier73
objectif de faire danser et se doit donc de « groover ».
!
On peut donc différencier ces deux grands courants de musique électronique en les
caractérisant comme suit : la musique électronique savante comme une évolution de la musique
classique occidentale et la musique électronique populaire comme une évolution de la musique
afro-américaine, toutes les deux à travers le prisme de la technologie. Cependant, il y a comme
toujours, des exceptions. La musique minimaliste américaine (incarnée entre autres par Steve Reich,
!19
! GALLET, Bastien, Techniques électroniques et art musical : son, geste, écriture, Volume ! [En ligne], 1 : 1 | 2002, mis71
en ligne le 15 mai 2004, consulté le 29 décembre 2015. URL : http://volume.revues.org/2493
! CHRETIENNOT, Louis, Op. cit., pp. 86-87.72
! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., pp. 147-148.73
La Monte Young, ou encore Philip Glass) a, selon Ben Neill, réintroduit « la pulsation et les
structures répétitives dans la complexité abstraite du sérialisme des années 1950 et des
compositions basées sur la chance » 
Selon sa propre formule, « Art music became physical74
again » 
. Ainsi, la musique minimaliste, bien que considérée comme étant savante, est très proche75
de la musique populaire dans sa conception.
!
Avant de devenir un genre à part entière, la musique électronique populaire n’était donc qu’une
sorte d’évolution électronique du disco (dans le cas de la house de Chicago) ou une hybridation de
funk américain avec le krautrock allemand (dans le cas de la techno de Detroit). Au terme de
quelques années, ces deux écoles arrivent en Europe, et notamment en Angleterre qui générera ses
propres scènes à partir de la musique électronique américaine (la musique dite balearic, typique des
rave, puis l’acid house, la jungle, le UK garage, le dubstep, le broken beat, etc.) 
. Une scène76
importante naît également en Allemagne (techno minimale notamment) ainsi qu’en France où la ré-
interprétation de la Chicago house à la française prendra le nom de french touch. Bien sûr, cette
musique s’est exportée dans bien d’autres pays, mais de façon beaucoup plus anonyme.
Parallèlement à l’évolution de cette musique de club s’est développée une musique assez différente
rythmiquement (car moins focalisée sur la danse et le fait de se mouvoir) à travers des genres parmi
lesquels le downtempo, le trip hop, l’ambient, ou l’electronica 
.77
!
On peut tout de même constater que les musiques électroniques, savantes comme populaires,
ont en commun ce travail du timbre : grâce à la technologie, la palette sonore s’élargit
considérablement et permet aux compositeurs, tout comme aux producteurs, de lorgner vers le futur.
Un cas probant de ce désir d’innover par le son est celui de la scène de Detroit au milieu des années
1980 où les musiciens Derrick May, Juan Atkins, et Kevin Saunderson, (et plus tard Jeff Mills et
Mad Mike avec le label/collectif Underground Resistance) inventèrent une musique futuriste
!20
! « Minimalism changed art music radically in the late 1960s and early 1970s, largely by reintroducing the beat and74
repetitive structures into the abstract complexity of 1950s serialism and chance-based works. » NEILL, Ben, Pleasure
Beats: Rhythm and the Aesthetics of Current Electronic Music, Leonardo Music Journal 12, The MIT Press: pp. 3-6 [en
ligne], 2002, [consulté le 19 Février 2016], Disponible à l’adresse : http://www.jstor.org/stable/1513341
! « La musique savante redevint physique » NEILL, Ben, Op. cit.75
! dans sa série d’essais du même nom, Simon Reynolds considère l’existence d’un « hardcore continuum » dans la76
musique électronique anglaise, c’est-à-dire d’un certain fil conducteur proprement anglais dans l’évolution des genres et
dont les deux principales caractéristiques sont : un goût prononcé pour les basses-fréquences (directement héritée de la
culture jamaïquaine des sound-systems) et une tendance à s’écarter du classique four-to-the-floor de la techno et de la
house pour des structures rythmiques plus « breakés ». (voir 1.2)
! il est fréquent que cette branche de la musique électronique populaire (que nous nommerons « musique électronique77
de salon » à partir de 1.2) soit elle-même appelée electronica. D’une manière générale, ces genres se recoupent les uns
avec les autres.
inspirée par la mécanisation de la société et l’ère de la machine 
: la techno. Plus encore que la78
house de Chicago, la techno de Detroit est innovante de par ses textures et ses sonorités
synthétiques directement inspirées de la « ville-usine » de Detroit 
.79
!
Malgré cette envie commune - propre aux branches populaires et savantes de la musique
électronique - d’écrire la musique de demain, ce qui fait la particularité de la musique électronique
populaire est sans doute son (r)apport au rythme et au percussif qui a, presque toujours, la primauté
sur le reste.
!
1.2 Comment le rythme conditionne-t-il les sous-genres de musique électronique ?
!
Il est aisé, quand on observe l’aspect rythmique des musiques électroniques populaires, d’en
dégager deux écoles principales. La première se préoccupe davantage du corps, elle se destine avant
tout aux clubs et adopte, la plupart du temps, une structure rythmique minimaliste : il faut éviter de
surcharger l’espace rythmique et percussif afin de favoriser le mécanisme de la danse. La seconde
école ne s’impose pas la règle du club et adopte une plus grande liberté compositionnelle,
notamment à travers le rythme. Elle s’adresse au cerveau plutôt qu’au corps et s’inscrit dans une
écoute attentive et dans un environnement calme. Cette musique électronique « de salon » essaie de
casser les codes en utilisant des patterns rythmiques complexes, voire déstructurés ou en détournant
l’utilisation habituelle d’un élément sonore. Dans son essai Mouvement Techno et transit culturel 
,80
Philippe Birgy analyse un morceau d’Aphex Twin : « Bucephalus Bouncing
Ball » 
qui, jusque dans son titre et ses allitérations en ‘b’, simule l’effet81
produit par une balle qui rebondit sur le sol. Dans ce morceau, Aphex Twin
s’amuse à détourner le rôle du kick. Celui-ci - qui dans un schéma classique
doit marquer la mesure, la pulsation - intervient à des intervalles de plus en
plus réguliers (à partir de 3:03) au point de jouer le rôle d’un instrument
mélodique . Plus le tempo accélère, plus l’agrégat de kicks ressemble à une
!21
! HANF, Mathias Kilian, Op. cit., p. 29.78
! Ibid., p. 30.79
! BIRGY, Philippe, Mouvement Techno et transit culturel, Paris, L’Harmattan, 2001.80
! Aphex Twin, « Bucephalus Bouncing Ball », Come to Daddy, Warp Records, WAP94, Sheffield, 1997.81
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=uIeA2ct5Sew [consulté le 15 Avril 2016]
fig. 2 : Aphex Twin,
« Bucephalus
Bouncing Ball »
note tenue 
(vers 3:20). Ce morceau défie nos préjugés musicaux en modifiant la fonction que l’on82
attribue à tel ou tel élément musical 
.83
!
Cependant, cette délimitation est loin d’être arbitraire et, comme souvent, les limites sont
poreuses. Ainsi, de nombreux sous-genres, artistes, et disques n’appartiennent ni à la première, ni à
la deuxième catégorie (ou plutôt appartiennent aux deux en même temps). La jungle est, par
exemple, assez hybride car si elle se destine bien aux clubs et à la danse, elle utilise une signature
rythmique assez complexe faite d’accélérations et de décélérations. La base de ce sous-genre (mais
qu’on retrouve également beaucoup dans le hip-hop) est l’utilisation d’un sample rythmique tiré
d’un morceau du groupe de funk The Winstons : Amen Brother : le fameux « Amen Breaks ». Il est
d’usage, dans la jungle, de jouer avec ce sample en modifiant sa vitesse et en le découpant.
Dans Penser la musique aujourd’hui, Pierre Boulez propose lui aussi de délimiter la
musique en deux catégories - lorsqu’il s’agit du temps musical 
. D’une part il y a le temps pulsé84
(ou temps strié) dans lequel la pulsation (l’unité la plus petite) y est constamment rappelée, et
d’autre part, le temps amorphe (ou temps lisse) dans lequel les durées sont imperceptibles 
. Si on85
reprend notre classification, la première catégorie qui concerne les musiques destinées au club et à
la danse est l’exemple le plus probant de temps strié dans la mesure où les éléments rythmiques sont
mis en avant et où la pulsation, incarnée par le kick, revient sans cesse, martelant des repères
réguliers pour l’auditeur. Dans leur article Le rythme musical, Eric Dufour et Geneviève Mathon
expliquent :
!
le temps strié implique une orientation, c’est-à-dire qu’il possède une organisation téléologique
- ce qui se produit dans un temps strié est donc prévisible : on peut l’anticiper en fonction de ce
qui est passé et conservé par la mémoire 
.86
!
Effectivement, les musiques de club ont une structure rythmique souvent prévisible. Une fois que
l’on a entendu quelques patterns, on peut anticiper la façon dont ils vont évoluer, quels éléments
vont venir s’ajouter, etc. - et c’est en cernant l’espace rythmique que l’on peut facilement
appréhender le fait de danser. Mais comme nous le verrons plus loin, les producteurs de musique
!22
! voir la notion d’entretien par itération de la typomorphologie Schaefferienne in CHION, Michel, Guide des objets82
sonores, Paris, Buchet/Chastel, 1983, p. 172.
! BIRGY, Philippe, Op. cit., pp. 182-183.83
! BOULEZ, Pierre, Op. cit., p. 99.84
! Ibid., pp. 99-100.85
! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève, Op. cit., p. 78.86
club, conscients de cette mécanique de l’anticipation, jouent sur nos attentes et nos prévisions.
Cependant, comme le rappellent Eric Dufour et Geneviève Mathon, une oeuvre n’est jamais une
pure et simple répétition. Ainsi : « le temps absolument strié n’existe pas (…) En ce sens, l’oeuvre
musicale, c’est toujours à la fois du temps lisse et du temps strié » 
.87
!
Nous nous intéresserons donc aux musiques appartenant plutôt à la première catégorie de
notre classification : les musiques électroniques dites « de club », que l’on range plutôt dans un
cadre rythmique « strié » ou « pulsé » selon les termes de Pierre Boulez. Par ailleurs, il est bien
évident que cette classification n’a de sens que du point de vue compositionnel. Les musiques de
club, si elles se destinent plutôt à cet environnement, ne sont pas limitées à celui-ci. Ainsi, il est tout
à fait possible d’apprécier un morceau de techno ou de bass music, taillé pour le dancefloor, dans
son salon ou bien au casque, tout comme il est possible de danser sur de l’electronica ou, en tout
cas, de l’apprécier à fort volume par le biais d’un DJ. En d’autres termes, cette classification ne
cherche pas à être despotique mais plutôt à apporter des repères. Cette musique « de club » se
caractérise par des patterns percussifs de facture assez simple, le plus souvent dans des mesures
binaires en 4/4, et dont le kick (élément percussif riche en basse fréquences, associé au coup de
pédale de grosse caisse de la batterie acoustique) revient régulièrement pour marquer le début de la
mesure. L’exemple ultime (et de loin le plus commun) du pattern club est ce qu’appelle Hans
Zeiner-Henriksen le « poumtchack pattern » dans sa thèse du même nom. Le « poum » traduit
l’impact du kick sur chaque temps de la mesure, et le « tchack » 
représente le hi-hat (ou88
charleston) entre chaque kick 
. Cette structure simple héritée du disco procure une assise parfaite89
pour la danse, de par son alternance entre mouvements descendants (downward) et mouvements
ascendants (upward) du son, provoqués respectivement par le kick et le hi-hat 
. Le poumtchack90
rappelle le doum tak des musiques arabo-andalouses et, d’une manière générale, la musique
populaire qui utilise souvent cette alternance où, un son percussif va avec un autre (dans le
rock’n’roll par exemple, c’est l’alternance de la grosse caisse (sur les temps 1 et 3 : les temps
faibles) et de la caisse claire (sur les temps 2 et 4 : les temps forts). De nombreux morceaux utilisent
le poumtchack. Le disco a d’abord popularisé ce pattern dans les années 1970 avant que celui-ci ne
!23
! Ibid. p. 79.87
! on pourrait penser qu’il s’agit là de la caisse claire mais c’est bien du hi-hat dont parle l’auteur.88
! Voir représentation graphique du poumtchack pattern infra 1.3.89
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and90
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit. p. 3
soit repris par les musiciens de Chicago et de Detroit la décennie suivante. Les morceaux suivants,
produits entre 1977 et 1997, utilisent ce pattern :
!
First Choice, « Let No Man Put Asunder » (1977) 91
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
Erwin Bouterse and his Rhythm Cosmos, « Disco Party » (1979) 92
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!24
! First Choice, « Let No Man Put Asunder », Delusions, Gold Mind Records, GZS-7501, New-York, 1977. Disponible91
à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=CZh66xyAgGk [consulté le 30 Avril 2016].
! Erwin Bouterse and his Rhythm Cosmos, « Disco Party », Disco Party / Champagne and Wine, Ali Records, Inconnu,92
Inconnu, 1979. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=btWcdy6pEfg [consulté le 30 Avril 2016].
fig. 3 : First
Choice, « Let No
M a n P u t
Asunder »
fig. 4 : Erwin
Bouterse and his
R h y t h m
C o s m o s ,
« Disco Party »
Gino Soccio, « Try it Out » (1981) 93
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Chemise, « She Can’t Love You » (1982) 94
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Chez Damier, « Can You Feel It (M.K. Dub) » (1992) 95
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!25
! Gino Soccio, « Try it Out », Closer, Celebration, CEL 2080, Scarborough (Canada), 1981. Disponible à l’adresse :93
https://www.youtube.com/watch?v=uY7Uhlh1IuA [consulté le 30 Avril 2016].
! Chemise, « She Can’t Love You », She Can’t Love You, Emergency Records, EMDS 6528, New-York, 1982.94
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=sKoBpDM9S8c [consulté le 30 Avril 2016].
! Chez Damier, « Can You Feel It (M.K. Dub) », Can You Feel It, KMS, KMS 035, Detroit, 1992. Disponible à95
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=4-VChzurHjU [consulté le 30 Avril 2016].
fig. 5 : Gino
Soccio, « Try it
Out »
fig. 6 : Chemise,
« She Can’t
Love you »
f i g . 7 : C h e z
Damier, « Can You
F e e l I t ( M . K .
Dub) »
Kamar, « I Need You (Mad Vocal) » (1993) 96
!
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D-HA, « Happy’s Theme » (1994) 97
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Jeff Mills, « The Bells » (1997) 98
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!26
! Kamar, « I Need You (Mad Vocal) », I Need You, Madhouse Records, Inc., KCT 1004, New-York, 1993. Disponible à96
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=n1t5yLt8EBI [consulté le 30 Avril 2016].
! D-HA, « Happy’s Theme », Happy Trax Vol. V, Happy Records, HR 1011, Detroit, 1994. Disponible à l’adresse :97
https://www.youtube.com/watch?v=xncJG02Gozo [consulté le 30 Avril 2016].
! Jeff Mills, « The Bells », Kat Moda EP, Purpose Maker, PM-002, Chicago, 1997. Disponible à l’adresse : https://98
www.youtube.com/watch?v=DwpedKWwS3w [consulté le 30 Avril 2016].
fig. 8 : Kamar, « I
Need You (Mad
Vocal) »
fig. 9 : D-HA,
« Happy’s Theme »
fig. 10 : Jeff Mills,
« The Bells »
Cependant, les musiques qui s’écartent de ce genre de structure peuvent tout de même
appartenir à la catégorie des musiques « de club ». Des sous-genres anglais comme la UK bass, le
dubstep ou le broken beat, sont davantage « breakés » c’est à dire qu’ils s’écartent du classique
« four-to-the-floor » (un kick sur chacun des quatre temps de la mesure) pour proposer des patterns
rythmiquement plus variés. Malgré tout, ils appartiennent plutôt à la catégorie de musique de club
car leur structures sont suffisamment simples, minimalistes et répétitives pour apporter des points
de repères au danseur. De plus, l’omniprésence, voire l’omnipotence 
du kick - condition sine qua99
non à la musique écrite pour le dancefloor - y est respectée. Certains auteurs (Anne Honning et
al. 
, Mark J. Butler 
) font la distinction - quand il s’agit de musique de club - entre les genres100 101
‘four-to-the-floor et les genres ‘breakbeat-driven’ dont nous venons de parler. Ici nous
considèrerons ces deux catégories comme appartenant à un même tout et tenterons de les analyser
en même temps dans la mesure ou elles possèdent plus de points communs que de divergences.
Comme nous l’avons vu précédemment 
, l’orientation club d’un disque est également signalée par102
l’esthétique dans lequel il s’intègre (le label, le visuel de la pochette et/ou du macaron, etc.).
!
Le tempo ou BPM (Beat Per Minute), joue également un rôle majeur dans le façonnement
des sous-genres. En effet, les musiques électroniques (du moins, celles qui nous intéressent) sont
produites, entre autres, dans le but d’être mixées ensemble. C’est pourquoi il y a une telle
fragmentation des sous-genres en musique électronique. Comme l’explique Martin Laliberté :
!
Ces découpages sont souvent assez artificiels par rapport aux pratiques musicales réelles, mais
ils imposent aux artistes de faire des choix stylistiques très tranchés : tel style de musique
fonctionne à 132 battements par minute et pas autrement. Une telle intransigeance stylistique
provoque surtout beaucoup d’uniformisation des micro-styles musicaux 
.103
!
En effet, difficile de faire de la techno à plus de 140 bpm ou bien de se considérer comme un
producteur de jungle ou de drum’n’bass en restant timidement autour des 100 bpm. Ainsi, dans la
grande majorité des cas, chaque sous-genre de musique électronique implique un tempo moyen
!27
! voir infra 3.2.99
! HONINGH, Anne, et al., Perception of Timbre and Rhythm Similarity in Electronic Dance Music, Journal of New100
Music Research [en ligne], mise en ligne le 10 Novembre 2015, [consulté le 9 Février 2016], DOI:
10.1080/09298215.2015.1107102, Disponible à l’adresse : http://www.tandfonline.com/doi/full/
10.1080/09298215.2015.1107102
! BUTLER, Mark J., Unlocking the Groove: Rhythm, Meter, and Musical Design in Electronic Dance Music, Thèse de101
doctorat : Philosophie, School of Music, Indiana University, May 2003, p. 86.
! voir Avant propos.102
! LALIBERTE, Martin, « ¿ Musique, danse, théâtre, savant, populaire ? Cyclique 2, un spectacle de Velma à103
l’Arsenic.», in Arsenic no 3, Lausanne, Théâtre de l’Arsenic, R. Freda (éd.), 2001, p. 26-73.
donné (en général, l’amplitude entre le tempo minimum et maximum pour un genre est d’une
quinzaine de bpm. La house par exemple se situe entre 115 et 130 bpm environ : au delà de cette
délimitation, il est difficile de considérer qu’on est encore dans un cadre house). Contrairement à la
musique classique occidentale, où le tempo correspond à l’expression d’un sentiment 
, le bpm des104
musiques de club permet surtout un regroupement en sous-genres.
!
On peut donc établir une classification de ces sous-genres de musique électronique selon
qu’ils utilisent une structure rythmique et percussive complexe ou non. Cette classification, loin
d’être exhaustive, nous permettra néanmoins de mieux nous retrouver dans cette myriade de
scènes. 
On remarque deux choses, en observant ces tableaux. D’une part, beaucoup plus de105
genres se destinent au club. On peut donc en déduire que la musique électronique populaire s’est
principalement focalisée sur la danse et la diffusion à fort volume. D’autre part, on remarque que si
l’impulsion originale vient des États-unis, l’Europe a, à partir des années 1990, vu émerger de
nombreux courants jusqu’à aujourd’hui 
.106
!
Ainsi, le rythme semble occuper une place très importante dans la musique électronique
populaire puisqu’il la fragmente en deux groupes (possédant chacune une vision différente de celui-
ci), ainsi qu’en une importante quantité de genres différents (même si le rythme n’est pas l’unique
facteur de ce découpage). Mais il est peu pertinent de parler de rythme sans évoquer le son qui
l’incarne, surtout dans une musique qui prône la recherche sonore comme principe esthétique 
.107
!
1.3 Une musique de sons : l’importance du timbre
!
La musique de club met l’accent sur des structures rythmiques évolutives, généralement peu
complexes - ou du moins évitant la surcharge pour mieux viser l’efficacité - et souvent binaires.
Cependant, cette signature rythmique n’existe qu’une fois qu’elle est matérialisée par le timbre. On
peut même, par extension, englober la notion de timbre dans notre définition du rythme. Selon
Makis Solomos, le timbre est : « ce qui n’est ni la hauteur, ni la durée, ni l’intensité, etc. le timbre
!28
! ACCAOUI, Christian, FAVROT, Matthieu, Op. cit., p. 186.104
! voir Annexe A.1 et A.2. J’ai essayé dans ce tableau de faire cohabiter les sous-genres les plus anciens et les plus105
légitimes (house, techno, jungle, UK garage, etc.) avec des sous-genres plus jeunes (UK bass, dubstep, footwork, etc.)
et de les regrouper par quinquennat d’apparition.
! Bien entendu, il existe de nombreux autres sous-genres et ces tableaux correspondent à une lecture personnelle parmi106
d’autres de l’évolution de cette musique.
! voir supra 1.1107
est « cet attribut de la sensation auditive grâce auquel un auditeur peut juger que deux sons
présentés de la même manière et possédant la même intensité et la même hauteur sont
différents 
» 
.108 109
!
Par exemple, le timbre est ce qui différencie une note de violon de la même note jouée au piano à la
même intensité. Dans notre cas, c’est-à-dire l’étude de la dimension rythmique et percussive des
musiques électroniques de club, il est fréquent que les éléments sonores soient des sons complexes
ne présentant pas de hauteur définie. Qu’en est-il alors du timbre? Pour Guillaume Kosmicki, la
musique électronique utilise, comme dans la musique classique occidentale, des procédés de tension
et de résolution, mais au lieu de les appliquer aux hauteurs de note, elle les applique aux timbres et
au rythme 
. Ainsi, les timbres s’additionnent, se soustraient, dialoguent les uns avec les autres ; les110
éléments apparaissent ou disparaissent, créant, ou supprimant ainsi des points de repères pour le
danseur. Cette mécanique de construction/déconstruction des timbres entre eux crée une sorte de
« magma sonore » 
qui évolue sur un principe de tensions et de résolutions. C’est également le111
postulat de Louis Chretiennot qui explique dans Le Chant des Machines :
!
Ici, l’important, c’est le timbre, c’est-à-dire non pas seulement le timbre harmonique du son,
mais plus généralement l’ensemble des caractéristiques qui forgent son identité : son attaque,
son allure, son grain, en un mot les éléments qui lui donnent une marque de fabrique unique et
reconnaissable. Avec le rythme et les jeux hypnotiques qu’autorisent l’isochronie et la
contramétricité, le timbre est l’autre versant de cette musique. La conjonction de ces éléments
permet d’espérer la découverte de nouvelles matières sonores, et nous autorise à rêver d’une
alternance de rugosité et de douceur sonore, d’empilement de timbres pour des textures
complexes et larges, d’une plus grande plasticité du son, pour une jouissance musicale enfin
provoquée par l’aspect et l’harmonie des matières sonores plutôt que par le jeu des hauteurs 
.112
!
Le timbre est donc une dimension fondamentale de la musique électronique qui est une
« musique de sons ». De plus, c’est grâce au timbre que s’incarne le rythme qui n’est au départ
qu’une information abstraite, une loi 
. Il faut noter que l’importance de l’aspect sonique et timbral113
dans la musique n’est pas seulement l’apanage de la musique électronique mais de la musique
populaire en général.
!
!29
! L’auteur cite ici la définition de l’American Standards Association, rapportée par Albert S. Bregman dans Auditory108
Scene Analysis. The perceptual Organization of Sound, Cambridge (Massachussetts), MIT, 1990, p.92.
! SOLOMOS, Makis, Op. cit., p. 23.109
! KOSMICKI Guillaume, Op. cit., p. 282.110
! Ibid., p. 284.111
! CHRETIENNOT, Louis, Op. cit., p. 196.112
! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève. Op. cit., p. 89.113
En effet, en musique populaire, le support est l’oeuvre comme l’explique Hans Zeiner-Henriksen :
!
Les enregistrements en musique populaire, par ailleurs, sont typiquement considérés comme
étant « la musique », et non des versions mutables ou bien des interprétations d’une partition
immuable. En fait, la plupart des musiques pop n’existent que sous forme d’enregistrement, ne
laissant rien d’autre à analyser aux universitaires 
.114
!
Ainsi, la référence est la même pour tout le monde quand il s’agit d’analyser une oeuvre de musique
populaire et c’est ce qui rend l’aspect du son si important (contrairement à la partition en musique
classique qui incarne l’oeuvre et représente ce que Makis Solomos appelle « l’audition
intérieure ») 
. Pour illustrer cette importance du timbre, nous allons comparer trois morceaux de115
musique électronique utilisant un même pattern rythmique : le poumtchack dont nous avons parlé
supra et qui est le pattern phare et probablement le plus utilisé en techno et en house (surtout dans
les débuts). Voici une représentation (voir fig. 11) de ce pattern issue d’un logiciel de musique
assistée par ordinateur (M.A.O) :
!
!
!
!
!30
! « Recordings in popular music, on the other hand, are typically considered “the music,” not mutable versions or114
interpretations of an immutable score. In fact, most pop compositions only exist as recorded material, leaving little else
with which the scholar can work. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences
Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 202.
! SOLOMOS, Makis, Op. cit., pp. 10-11.115
fig. 11 : visualisation du poumtchack pattern.
La première ligne correspond au kick que l’on retrouve sur chaque temps. La deuxième ligne
correspond au hi-hat que revient entre chaque kick. Les morceaux de notre exemple utilisent ce
pattern comme structure de base et y rajoutent des éléments (un clap sur les deuxième et quatrième
temps, un autre hi-hat qui vient enrichir le premier, etc.). Etudions donc le timbre de ce pattern dans
chacun de nos exemples :
!
Karenn, « Studio 3 » (2012) 116
!
!
!
!
!
!
!
!
Il s’agit d’un morceau de techno du duo anglais Karenn, très rugueux et industriel. Les textures sont
assez organiques et semblent avoir été fortement traitées, avec de la saturation notamment. Ce
travail du timbre confère au pattern rythmique un aspect « lo-fi », « sale », « industriel »
correspondant à un type d’esthétique techno. La modulation d’un bruit blanc en plus des
percussions participe à cette sensation globale.
!
NY Stomp, « The NY House Trak » (2012) 117
!
!
!
!
!
!
!
!31
! Karenn, « Studio 3 », Untitled (Various), Bleep, BLPGRN001, Londres, 2012. Disponible à l’adresse : https://116
www.youtube.com/watch?v=0y_qx92u64w [consulté le 10 Avril 2016]. Un various dans le vocabulaire des DJ’s est un
disque sur lequel figure différents artistes. Un split (comme c’est le cas ici) est un disque ne comportant que deux
artistes différents.
! NY Stomp, « The NY House Trak », Can You Feel It? E.P., Illusion Recordings, ILL003, UK, 2012 Disponible à117
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=wov5N7aTQNE [consulté le 10 Avril 2016].
fig. 12 : Karenn,
« Studio 3 »
fig. 13 : NY Stomp,
« The NY House
Trak »
« The NY House Trak » est un morceau de house du producteur allemand Gerd sous son alias NY
Stomp qui évoque, dans son titre mais aussi dans le morceau lui-même, la House de New York et du
New Jersey du milieu des années 1980, représentée par des producteurs comme Little Louie Vega et
Kenny Dope Gonzales (Masters at Work), Tony Humphries ou encore Kerri Chandler. Le
poumtchack que l’on entend bien à partir de 0:15 est accompagné d’un clap sur les deuxième et
quatrième temps et de hi-hats supplémentaires. Très différent de celui que l’on retrouve dans le
morceau de Karenn, il est moins saturé, beaucoup plus « rond » et surtout, très synthétique. C’est
une programmation de Roland TR-909 typique de la house précitée.
!
Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) » (2014) 118
!
!
!
!
!
!
!
!
!
Il s’agit d’un remix du producteur anglais Asusu sur le maxi Decay Versions Pt. 1 de Efdemin. On
entend clairement le poumtchack à partir de 1:01. Le kick est beaucoup plus étouffé que dans les
autres morceaux et avec une attaque moins rapide, ce qui est plus approprié étant donné le caractère
plus introspectif de ce morceau par rapport aux autres exemples. Le hi-hat, lui, est sur-mixé 
par119
rapport au reste.
!
!
!
!
!
!
!32
! Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) », Decay Versions Pt. 1, Dial, DIAL67, Berlin, 2014.118
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=4xPWmUF2zYk [consulté le 10 Avril 2016].
! se dit d’un élément qui est fort dans le mixage.119
fig. 14 : Efdemin,
« Some Kind Of
Up And Down Yes
(Asusu Remix) »
C’est Life, « New Years Eve 2013 », (2015) 120
!
!
!
!
!
!
!
!
Dans ce morceau de C’est Life (alias du producteur canadien Jack J) initialement sorti sur la
mixtape « The Babylon Nightclub Demos and Dubs » en 2012, on retrouve le poumtchack pattern à
partir de 2:47. Ici, le producteur utilise des samples de batterie acoustique 
, beaucoup moins121
agressifs mais qui n’en restent cependant pas moins dansants.
!
A travers ces exemples, nous avons donc vu qu’avec un même pattern rythmique de base
(outre les légères différences de bpm), on peut réaliser des textures sonores et des sensations
d’écoutes très différentes de par les sources que l’on utilise pour le kick et le hi-hat (quelle boîte à
rythme? quel sample? etc.) et la façon dont on les traite (niveaux sonores et effets). Ainsi, il n’est
pas rare que les connaisseurs qualifient la programmation rythmique (ou bien un élément rythmique
en particulier) de tel ou tel morceau comme étant « agressive », « sale » ou bien « sensuelle »,
« envoûtante », etc. Par ailleurs, la forte fragmentation des sous-genres en musique électronique fait
que l’on peut également associer l’aspect timbral du rythme d’un morceau donné à un genre
(techno, jungle, UK garage, etc.), à une scène (Detroit, Chicago, Berlin, Londres, Bristol, etc.), ou
encore à un label, car chacun d’entre eux à son propre son et sa propre esthétique.
!
La musique électronique - genre par essence issu de la technologie - s’est naturellement
développée autour de machines phares qui ont forgé son identité sonore. Pour ce qui est du
percussif, on peut citer les boîtes à rythmes Roland, notamment la TR-808 (1982) et la TR-909
(1984) que l’on retrouve dans pléthore de productions house et techno hier comme
!33
! C’est Life, « New Years Eve 2013 », Vibe 3 Disc 3 (Various), Future Times, FT032, Washington DC, 2015.120
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=cm5nzo-PiTI [consulté le 10 Avril 2016].
! Selon la description de ladite mixtape, il aurait utilisé des samples provenant d’un kit de la marque Pearl. La mixtape121
est disponible à l’adresse : https://soundcloud.com/jackjutson/the-babylon-nightclub-demos
fig. 15 : C’est
L i f e , « N e w
Years Eve 2013 »
aujourd’hui 
(même si depuis l’apparition des samplers, il n’est plus nécessaire de posséder ces122
machines pour en utiliser les sons et beaucoup de logiciels de production musicale intègrent leurs
propres émulations de ces célèbres boîtes à rythmes). D’autres modèles Roland issus de la série
« Rhythm Composer » ont également été massivement utilisés comme la TR-707 (1985) en disco et
dans ses genres dérivés (italo-disco, Hi-NRG, etc.) mais aussi en house. Il arrive qu’une machine
soit fortement assimilée à une scène en particulier. La Boss DR660 ou la RZ-1 de Casio, par
exemple, ont beaucoup été utilisées par les producteurs de ghetto-house 
, un genre apparu dans les123
années 1980 à Chicago. Si les deux derniers exemples sont plus confidentiels, la sur-représentation
des boîtes à rythmes Roland dans la musique électronique témoigne d’un certain fétichisme qui est
né peu à peu dans le milieu des producteurs. Si les boîtes à rythmes Roland ont bien pour objectif de
reproduire la fonction de certains éléments rythmiques de la batterie (avec des sons pour marquer
les temps forts, des sons pour marquer les temps faibles, des sons pour marquer les demi-temps, les
quarts de temps, etc.) elle n’essaient, en aucun cas de les reproduire fidèlement (comme c’était le
cas pour la LinnDrum par exemple). En effet, comme le rappelle Philippe Birgy en prenant
l’exemple du sampler : « c’est l’impression volatile d’un son, l’idée que l’on s’en fait qui sont
toujours véhiculées par les systèmes de synthèse imitatifs, et non pas l’empreinte tangible et fidèle
de ce son » 
. C’est donc bien la fonction percussive qui importe ici et non la reproduction à124
l’identique d’une percussion acoustique. La musique électronique accorde bien de l’importance au
timbre mais est complètement libérée d’un quelconque mimétisme : le son peut être complètement
synthétique et ne ressembler à aucune percussion acoustique du moment qu’il remplit une fonction
percussive.
!
Le timbre est donc la partie visible du rythme et le rythme, la loi qui organise le timbre au
niveau temporel. Comme le précise Anne Danielsen dans l’introduction de l’ouvrage Musical
Rhythm in the Age of Digital Reproduction, on a trop souvent identifié le rythme et le son comme
étant deux choses différentes 
alors que ce sont les deux faces d’une même pièce, surtout dans la125
musique populaire afro-américaine. Ainsi, ce qui nous intéresse n’est pas le rythme au sens strict
mais le rythme et son incarnation sonore : le timbre (qui sont probablement les deux éléments les
!34
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and122
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 76-78.
! Ten of the best hardware drum machines, Attack Magazine [en ligne], 2014, [consulté le 4 Mai 2016], Disponible à123
l’adresse : https://www.attackmagazine.com/reviews/the-best/ten-of-the-best-hardware-drum-machines/
! BIRGY, Philippe, Op. cit., p. 184.124
! DANIELSEN, Anne, Introduction : Rhythm in the Age of Digital Reproduction, in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit.,125
p. 10.
plus importants de ces musiques) 
. Nous continuerons néanmoins d’utiliser par moments le mot126
rythme pour englober toute cette définition, au même titre que nous utilisons régulièrement
« musique électronique » pour « musique électronique populaire destiné à la danse et au club ».
!
Nous avons donc vu dans cette première partie que cette musique a toujours, à ses débuts
comme aujourd’hui, mis l’accent sur la dimension rythmique, principalement pour faciliter la
danse : au début des années 1980, le DJ Frankie Knuckles ajoutait une boîte à rythme à ses platines
afin de donner plus d’énergie aux productions disco en insistant notamment sur le kick à chaque
temps de la mesure. 
Ainsi, les percussions donnent des repères aux danseurs. Par ailleurs, la127
répétition et la durée (des morceaux qui font rarement moins de 6 minutes tout comme des soirées
qui durent en général toute la nuit) font perdre à l’auditeur la notion de temps et favorisent l’évasion
et la transe comme nous le verrons dans le dernier chapitre. Mais avant d’étudier la réception de
cette musique, intéressons-nous à l’aspect compositionnel : comment le musicien façonne-t-il le
rythme dans un morceau de musique électronique?
!
!
!35
! HONINGH, Anne, et al., Op. cit.126
! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., p. 102.127
2. Le rythme d’un point de vue compositionnel
Lorsque l’on étudie un aspect de la musique comme le rythme, on peut l’aborder en suivant
deux angles d’attaques différents mais complémentaires : le point de vue du compositeur et le point
de vue de l’auditeur. Dans notre cas, l’étude de l’aspect compositionnel nous permettra de montrer
que la manière qu’ont les producteurs de musique de club de composer et de mixer leurs morceaux
est directement liée au matériel qu’ils utilisent. Nous verrons tout d’abord que les débuts de cette
musique correspondent aux innovations technologiques de l’époque et ont donné lieu à une
nouvelle approche de la composition de musique populaire. Nous analyserons ensuite comment les
producteurs façonnent les figures rythmiques et organisent la structure de leurs morceaux. Enfin,
nous confronterons deux conceptions de l’écriture rythmique : la conception isochronique et ultra
rigoureuse rendue possible par la précision des machines et la conception naturaliste qui consiste à
reproduire le geste imprécis de l’interprétation humaine grâce aux machines.
!
2.1 : Naissance d’un geste compositionnel à travers les progrès technologiques
!
Selon Simon Zagorski-Thomas, la grande révolution des années 1980 pour la musique
populaire fut celle des débuts du MIDI et de l’avènement des machines en général. 
Le MIDI128
(pour Musical Instrument Digital Interface ou Interface numérique pour instrument de musique) est
un protocole, un langage, permettant « le contrôle en temps réel de machines de musique » 
.129
Comme le précise Curtis Road :
!
L’information MIDI est emballée en petits messages envoyés d’une machine à l’autre. Par
exemple, un message peut spécifier les temps de départ et de fin d’une note de musique, sa
hauteur, et son amplitude initiale. Un autre type de message, transmis à intervalles réguliers,
transporte les impulsions d’une horloge maître, ce qui rend possible la synchronisation de
plusieurs instruments MIDI sur un séquenceur qui émet ces messages 
.130
.
Le MIDI permet ainsi, à travers un langage commun, de contrôler et de faire fonctionner ensemble
un certain nombre d’instruments de musique électroniques. Mais avant de voir se développer des
home-studio constitués uniquement de machines, le MIDI a progressivement fait son introduction
dans la musique populaire à travers le disco.
!36
! ZAGORSKI-THOMAS, Simon, « Real and Unreal Performances : The Interaction of Recording Technology and128
Rock Drum Kit Performance » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit., pp. 199-200.
! ROADS, Curtis, L'audionumérique, Musique et informatique, Paris, Dunod, 2007, p. 265.129
! Ibid.130
Simon Zagorski-Thomas explique :
!
Jusque là, les batteurs avaient tendance à être les garants du rythme dans un groupe, mais à
mesure que les séquenceurs sont devenus la norme, ils ont dû apprendre à se synchroniser à une
piste de click. Combiné au développement de l’échantillonnage et des batteries électroniques,
cela devait permettre différentes combinaisons, entre batteries acoustiques et batteries
programmées 
.131
!
La part industrielle et mécanique, déjà présente dans le disco, s’est donc considérablement accrue,
d’une part en exploitant le principe du click (un signal métronomique continu envoyé dans le casque
des musiciens pour être ensemble) qui apporte plus de rigueur et de précision qu’un batteur et
surtout qui ne se décale jamais dans le temps, et d’autre part en introduisant des sonorités
électroniques dans la production. Un bon exemple de cette transition est le producteur français
Cerrone, qui joue de la batterie dans ses disques mais utilise également des boîtes à rythmes et se
plaît à mélanger des percussions traditionnelles comme les congas avec les sons synthétiques
rendus possible par le développement du MIDI.
!
Au milieu des années 1980 naît la house à Chicago dans cette dynamique de développement
de la machine au sein de la composition musicale. Au départ, les boîtes à rythmes étaient utilisées
par les D.J de Chicago en soutien aux morceaux qu’ils jouaient au public 
(à l’initiative de Frankie132
Knuckles comme nous l’avons vu précédemment). Peu à peu, elles font leur apparition dans la
composition : à l’époque les boîtes à rythmes Roland comme la TR-808 étaient plutôt bon marché et
leur grand succès permit, peu à peu, de créer une nouvelle façon de faire de la musique 
: un geste133
compositionnel assisté par la machine. Le potentiel de la boîte à rythme à cette époque est double :
permettre à de jeunes musiciens qui n’ont pas les moyens d’enregistrer une vraie batterie de pouvoir
facilement façonner des rythmes, et apporter de nouvelles sonorités dans la musique populaire. Le
noyau central de cet ensemble de machines que constitue le home-studio est la Digital Audio
Workstation ou D.A.W que Teleff Kvifte définit comme :
!
Un ensemble logiciel qui inclut une variété d’options pour enregistrer et modifier du son
(musical), faire du montage en utilisant différents types de notation musicale, et contrôler des
!37
! « Up to this point drummers had tended to be the arbiters of time in a band, but as sequenced music became the norm131
they had to learn to synchronize themselves to a click track. This combined with the development of sampling and
electronic drums to allow for various combinations of sequenced and performed drums. » ZAGORSKI-THOMAS,
Simon, Op. cit., pp. 199-200.
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and132
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 69-70
! Ibid.133
modules de production sonore (des ‘soft-synths’) qui peuvent être joués en ‘temps réel’ ou
utilisés pour traduire une information en son 
.134
!
En fait, une D.A.W est un logiciel à l’intérieur duquel on peut intégrer d’autres unités (instruments
physiques et/ou virtuels, effets, plug-ins 
, etc.) et qui permet d’organiser et de traiter chaque135
élément (instrument et/ou sample) pour créer le morceau final. Par extension, la D.A.W désigne
souvent l’ensemble du home-studio, c’est-à-dire la D.A.W à proprement parler et les machines que
le producteur y associe. Elle permet ainsi de faire des morceaux en totale autarcie, sans passer par
l’intermédiaire d’un ingénieur du son pour le mixage puisque le producteur est à la fois
compositeur, arrangeur, et mixeur de sa musique. Pour Hans Zeiker-Henriksen : « ces innovations
technologiques (samplers, synthétiseurs digitaux avec différents systèmes de traitement du signal,
etc.) et la transition des éléments analogiques traditionnels vers des logiciels digitaux accompagnés
par les prix réduits et les capacités exacerbées des ordinateurs - ont rendu la production musicale
accessible à de nombreuses personnes » 
.136
!
Aujourd’hui, les home-studios des producteurs sont très variables. Comme l’expliquent Nick
Collins, Margaret Schedel et Scott Wilson dans leur ouvrage Electronic Music, les progrès
technologiques ont beaucoup fait évoluer les habitudes de production vers 1996 en généralisant
l’usage de l’ordinateur et en développant les instruments virtuels grâce à la synthèse sonore en
temps réel et en haute qualité 
. Désormais, on peut facilement se contenter d’une D.A.W,137
d’instruments virtuels (notamment des V.S.T) 
et de plug-ins 
. Cependant, les machines138 139
continuent d’être utilisées aujourd’hui. D’aucuns affirment que certaines d’entre elles ne peuvent
être égalées par la synthèse sonore - même si ce postulat est discutable -, d’autres les trouvent plus
ergonomiques, d’autres encore y portent simplement un regard affectif de collectionneur. Toujours
!38
! « a software package that includes a variety of options for recording and modifying (musical) sound, editing using134
several kinds of music notation, and controlling sound-producing modules (‘soft-synths’) that can be played in ‘real
time’ or used to translate notational information into sound. » KVIFTE, Tellef, « Composing a Performance : The
Analogue Experience in the Age of Digital (Re)Production » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit. p. 213.
! Un plug-in est un module d’extension que l’on peut rajouter au logiciel hébergeur (une sorte de logiciel dans le135
logiciel). Dans le domaine du son, cela regroupe les modules d’effet et de traitement sonore (EQ, reverb, delay, etc.) et
les instruments virtuels.
! « New technical innovations (samplers, digital synthesizers with various signal processing systems, and so on) and136
the transitions from traditional analogue units to computer-based digital software – accompanied by the reduced prices
and increased capabilities of home computers – have made music production accessible to numerous individuals. »
ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 69-70.
! COLLINS, Nick, SCHEDEL, Margaret & WILSON, Scott, Electronic Music, New York, Cambridge University137
Press, 2013, p. 73.
! V.S.T (Virtual System Technology) est un protocole et format d’instruments virtuels. Par abus de langage, on parle138
souvent de V.S.T pour désigner l’ensemble des instruments virtuels, peut importe leur format (Audio Units, AAX,…)
! module que l’on peut rajouter à la D.A.W pour accroitre les possibilités de traitement sonore.139
est-il que les types d’organisation de home-studio (ce qu’on appelle des set-up dans la sémantique
des producteurs) en musique électronique sont très variables et vont du tout virtuel au tout
analogique en passant par un mélange des deux. Il n’est pas rare que les producteurs utilisent
également des microphones pour enregistrer des voix ou bien des sons concrets. Il leur arrivent
également d’introduire dans leur studio des guitares, basses, ou batteries mais ces pratiques restent
assez limitées dans la mesure où le rôle de ces instruments est joué la plupart du temps par des
synthétiseurs, boîtes à rythmes et autres samplers. Tous ces nouveaux outils issus de l’informatique
musicale ont permis de simplifier le processus de création en supprimant de nombreux
intermédiaires : directeurs musicaux, ingénieurs du son et assistants, musiciens interprètes, etc. et en
développant le principe du home-studio qui permet de composer et de réaliser, « à domicile », des
morceaux prêts à l’emploi (si on exclut la partie mastering et pressage). Par ailleurs, c’est avec ces
nouveaux paradigmes de composition musicale que sont nées de nouvelles façon de concevoir le
rythme : l’isochronie, c’est-à-dire le fait que les intervalles temporels sont toujours exactement les
mêmes (puisque l’interprétation n’est plus confiée à un homme mais à une machine) ; la notion de
pattern rythmique que le producteur conçoit et programme à l’avance et qu’il peut ensuite lancer en
live, au moment de l’enregistrement ; ou encore les nouvelles sonorités apportées par les boîtes à
rythmes qui vont forger une identité timbrale inédite aux percussions et au rythme dans la musique
électronique.
!
Après avoir étudié les méthodes de travail des producteurs, il s’agit de s’intéresser à la façon
dont ils construisent la structure rythmique.
!
2.2 L’élaboration d’une structure rythmique
!
Dans leur essai sociologique Raver, Astrid Fontaine et Caroline Fontana se basent sur les
termes utilisés par les fêtards eux-mêmes qui évoquent la structure des morceaux de musique
électronique comme : « un ensemble de "boucles", de "spirales", de "montées" et de
"descentes" » 
. Le mot boucle est très important. D’une part parce que la musique électronique140
repose énormément sur la répétition, d’autre part parce que c’est par la combinaison de plusieurs
boucles rythmiques les unes avec les autres que se construit l’identité rythmique et le groove dans
un morceau.
!39
! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Op. cit., p. 37.140
C’est ce qu’explique Hans Zeiner-Henriksen :
!
Un morceau de dance-music commence souvent avec une section qui monte en puissance
jusqu’à atteindre un certain groove dans lequel le beat de base interagit avec différents autres
patterns. Alors que certains de ces patterns ou éléments rythmiques peuvent être étroitement
liés et, d’une multitude de façons, soutenir le beat de base, d’autres patterns sont plus
indépendants 
.141
!
En effet, cette musique ayant pour principal objet de faire danser son auditeur, il lui faut une
structure minimaliste, un squelette rythmique de base permettant la danse et sur lequel vont venir se
greffer des éléments ornementaux qui n’ont pas d’utilité proprement fonctionnelle quant à la danse
mais qui enrichissent le pattern de base et diversifient l’espace sonore. On peut donc dissocier les
éléments percussifs en deux groupes :
!
Le premier groupe concerne les patterns de base : le kick est souvent le moteur rythmique du
morceau mais il est rarement seul. En général il y a un pattern récurrent, regroupant un ou plusieurs
éléments percussifs (le trio kick - hi-hat - snare est peut-être la combinaison la plus répandue) qui
est le fondement rythmique de tout le morceau. Le poumtchack de Zeiner-Henriksen en est un
exemple probant (en house et techno par exemple). Des sous-genres comme la trance ou le
hardcore et ses dérivés se basent souvent sur le poumtchack mais à des tempi beaucoup plus élevés.
Certains sous-genres ont des exigences rythmiques très précises. Le footwork (ou juke), un genre
musical et une danse nés à Chicago à la fin des années 2000, utilise des mesures en 4/4 à des tempi
assez élevés (au moins 140 bpm) mais ne place pas les kicks (qui sont souvent six au lieu des quatre
habituels) systématiquement sur le temps de façon à introduire une illusion ternaire dans une carrure
binaire. (voir fig. 16).
!40
! « An electronic dance music track often starts out with a build-up section that leads to a more complete groove where141
the basic beat interacts with several other patterns. While some of these patterns or rhythmic elements may be closely
connected to and in various ways supportive of the basic beat, other patterns are more independent. » ZEINER-
HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in
Electronic Dance Music, Op. cit., p. 184.
fig. 16 : pattern de kick de footwork
Cette armature rythmique constitue la base de la plupart des morceaux de footwork. Sa
singularité la rend facilement identifiable par rapport à d’autres genres aux tempi semblables mais à
la structure rythmique plus classique. Le dubstep, lui, utilise souvent un effet rythmique hérité du
reggae jamaïquain qui consiste à placer une unique snare sur le troisième temps de la mesure 
(au142
lieu des deuxième et quatrième temps souvent utilisées en house et techno). Cette particularité
rythmique rend immédiatement reconnaissable un pattern dubstep (bien que cela ne soit pas
systématique) et crée une ambiguïté du niveau de la pulsation, que ce soit à la blanche ou à la noire.
D’une manière générale, les musiques breakées anglaises utilisent ce même principe de jeu avec les
métriques binaires et ternaires. Cependant, elles n’ont pas véritablement de modèles de patterns
précis mais le kick doit « tourner autour » du four-on-floor.
!
Le producteur peut ensuite faire évoluer cette base principale en modifiant sa structure : Hans
Zeiner-Henriksen illustre cette technique en invoquant le principe de l’anacrouse en analyse
musicale. Les anacrouses sont l’ajout d’une ou plusieurs notes avant le premier temps d’une phrase
musicale. Dans le cas du poumtchack, l’auteur parle de pick-ups soit l’ajout d’un ou plusieurs
downbeat ou upbeat, avant le début de la mesure (et donc à la fin de la mesure précedente). Cela
permet à la fois de diversifier et d’enrichir le pattern de base, de provisoirement perturber l’auditeur,
et de mettre l’accent sur l’élément qui suit le pick-up.
!
R.I.P Productions, « I’ve Been Misled » (1996) 143
!
!
!
!
!
!
!
!
!41
! Cet effet rythmique vient du One Drop, un riff de batterie popularisé par le batteur de Bob Marley & the Wailers142
Carlton Barrett.
! R.I.P Productions, « I’ve Been Misled », Ripe 'n' Ready EP, Ice Cream Records, FLAKE002, Londres, 1996.143
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=F6AZulzRNBo [consulté le 10 Mai 2016].
fig. 17 : R.I.P
Productions, « I’ve
Been Misled »
La dimension rythmique et percussive dans les musiques électroniques populaires dansantes. Mémoire de Master 1 - Musique et Informatique Musicale :
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  • 1. La dimension rythmique et percussive dans les musiques électroniques populaires dansantes. Par Augustin Lafont, sous la direction de Martin Laliberté. Mémoire de recherche de Master 1 Musique et informatique musicale. Université Paris-Est-Marne-la-Vallée UFR Lettres, Arts, Communication et Technologies.
  • 2. ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Mémoire de recherche non soutenu Master 1 Musique et Informatique Musicale Université Paris-Est-Marne-La-Vallée UFR Lettres, Arts, Communication et Technologies Juillet 2016 ! Couverture : Arthur Hun / arthurhun.com © 

  • 3. Remerciements 4 Avant-propos 5 Introduction 9 1. Contexte historique et culturel : Comment la musique électronique est née et de quelle façon s’est-elle intéressée au rythme ? 17 2. Le rythme d’un point de vue compositionnel 36 3. L’appréhension par l’auditeur et le danseur : quelle influence peuvent avoir le rythme et les percussions de la musique de club sur nos oreilles et sur notre corps ? 57 Conclusion 73 Annexes 78 Bibliographie 80 Discographie 86
  • 4. Remerciements ! Je tiens à remercier particulièrement Martin Laliberté pour le suivi qu’il a effectué tout au long de la rédaction de ce mémoire et pour le grand intérêt qu’il a pu y porter. ! Je voudrais également remercier Salomé Coq pour son aide précieuse et ses conseils et Sarah Ackerer pour les relectures. ! !4
  • 5. Avant-propos ! L’objectif de ce mémoire est de rapporter et d’expliquer des phénomènes, des théories, et des pensées à propos de la musique électronique populaire destinée au club et à la danse et à l’aspect rythmique - et plus particulièrement l’aspect percussif - de cette dernière. Dans « A framework for discuss- ing tonality in electronic dance music », Rene Wooler et Andrew R. Brown considèrent que le rythme ayant une importance majeure dans ce type de musique, les musicologues ont beaucoup laissé de côté l’analyse de la tonalité  . Pour ma part, c’est précisément parce que le1 rythme est l’élément sur lequel se focalise la musique de club que j’ai eu envie de m’y attarder afin de comprendre pourquoi. ! Dans Les Expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec, l’historienne et anthropologue Nicole Loraux a choisit de convoquer la psychanalyse afin d’atteindre « l’objet en sa spécificité »  .2 Elle explique plus loin : ! Il se pourrait - c’est un risque auquel s’expose quiconque travaille aux frontières - que ni les historiens ni les psychanalystes n’y trouvent finalement leur compte. Ceux-ci parce qu’ils préfèrent les hellénistes prudemment cantonnés dans leur territoire et leur laissant ainsi le pónos  glorieux de l’interprétation ; ceux-là, parce qu’ils se méfient de tout travail qui doive3 passer par des constructions, exigeant du chercheur qu’il intervienne dans sa recherche avec tout ce qu’il est - et d’abord ses propres choix  .4 ! Nicole Loraux choisit donc, au risque de ne pas adopter une démarche classique d’historienne, de travailler « aux frontières » de plusieurs disciplines afin de mieux répondre à son sujet. En somme, deux choix sont possibles quand il s’agit de réaliser un travail de recherche : soit passer par la microspécialisation, c’est-à-dire étudier son sujet à travers le champ d’une seule discipline (ce qui correspond à la volonté d’expliquer), soit le fait de croiser les disciplines (ce qui correspond à la volonté de comprendre). Cela implique parfois d’accepter de faire de l’anachronisme (Nicole Loraux par exemple utilise la psychanalyse pour étudier la société grecque antique alors que celle-ci se situe 2000 ans avant Freud)  . En somme, croiser les disciplines permet d’interpréter alors que la5 !5 ! WOOLER, Rene, BROWN, Andrew R., A framework for discuss- ing tonality in electronic dance music, Proceedings1 of the Sound : Space - The Australasian Computer Music Conference, Sydney, 2008, ACMA, pp. 91-95. ! LORAUX, Nicole, Les Expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, NRF Essais, 1989, p.2 25. ! Dans le glossaire du même ouvrage, Nicole Loraux définit le pónos comme « le travail comme épreuve, à la fois3 exploit et peine ». ! LORAUX, Nicole, Op. cit. p. 25.4 ! cf. les travaux de l’ANHIMA (Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques) dont les chercheurs adoptent beaucoup5 cette démarche.
  • 6. microspécialisation permet seulement d’expliquer. Si j’avais choisi d’avoir une approche de musicologue uniquement (ce que je ne suis pas), mon analyse aurait été bien moins pertinente que si elle avait été menée par de « vrais » musicologues et j’aurais pris le risque de passer à côté de mon sujet qui englobe d’autres problématiques (sociales et sociologiques, philosophiques, scientifiques, etc.). J’ai donc fait le choix de la transdisciplinarité (dans une certaine mesure, la majeure partie de mon analyse étant musicologique), afin d’être libre de parler de plus de choses et d’avoir différents angles d’analyse. ! La musique électronique populaire dansante étant un secteur d’initiés, il convient de définir une partie du vocabulaire utilisé par ces derniers. Ainsi, un compositeur sera appelé producteur dans la mesure ou il cumule composition et travail du son (mixage des différentes sources sonores entre elles et effets). Le producteur travaille la plupart du temps dans son propre studio de musique : le home-studio  . Les morceaux de musique électronique de club sont d’une double utilité : en plus6 d’être une oeuvre musicale à part entière, ils sont des outils utilisés par les D.J  - qui sont, pour la7 plupart, eux-mêmes producteurs  - pour faire danser des auditeurs (dans des clubs le plus souvent8 mais aussi dans divers endroits : en extérieur, dans des rave, des bars, des centres culturels, des salles de spectacle, etc.). Ces morceaux sont donc destinés en premier lieu à être entendus à fort volume, mixés entre deux autres morceaux  : leurs structures sont donc pensées par rapport à cet9 aspect de diffusion et leurs durées sont souvent supérieures à celles des standards pop (dont on situe en général la moyenne à 3 minutes pour un morceau). Ces performances réalisées par les D.J sont appelées des dj-set, et durent généralement plusieurs heures  (si un concert dure rarement plus de10 deux heures, c’est en général un minimum pour un dj-set). ! La plupart des morceaux sont publiés sous forme d’E.P (Extended Play), c’est à dire des disques microsillons (ou vinyles)  d’une quinzaine de minutes maximum comptant, en général, entre deux11 et cinq morceaux  (on parle aussi de single ou de maxi)  . Malgré la persistance de ce format12 13 !6 ! Dont nous développerons la notion infra (2.1).6 ! Le D.J (disc-jockey) est celui qui diffuse des morceaux de musique dans le but de faire danser une foule.7 ! Il n’est donc pas rare que les D.J jouent des morceaux de leurs amis producteurs avant leur sortie officielle. On parle8 alors d’unreleased. Si l’unreleased est sous la forme d’un disque vinyle, on parle de dubplate. ! Dans un second temps, on peut bien entendu les écouter de façon isolée.9 ! Parfois une nuit (les dj-sets ayant lieu la plupart du temps la nuit) ou bien une journée entière.10 ! Bien qu’il puisse sembler obsolète aujourd’hui, le disque vinyle est resté présent dans le milieu du deejaying pour sa11 dimension culturelle et traditionnelle, et pour sa propension à être collectionné. ! Il arrive que certaines sorties ne comportent qu’un seul morceau. On parle alors d’un single-sided dans le cas d’un12 disque vinyle car une seule face est gravée. ! Les maxis (pour maxi 45 tours) désignent des singles gravés sur de grands disques de 12 pouces. C’est un format13 prisé par les D.J car il permet une dynamique et un volume sonore plus élevé qu’avec des disques de 7 pouces (qui à l’origine sont utilisés pour les singles).
  • 7. physique dans la musique électronique, les morceaux sont en général disponibles à la vente au format digital (on applique néanmoins la terminologie précitée à la musique numérique). Les producteurs publient également des albums ou L.P (Long Play), mais le plus souvent pour explorer d’autres territoires musicaux (pour éviter de se cantonner à l’aspect fonctionnel propre à la musique de club qui, sur une plus longue durée, peut être rébarbatif pour l’auditeur). Ainsi la majorité des musiques de club sortent sur des formats courts, et souvent en vinyle (mais également en digital). Un morceau peut être accompagné d’un remix, c’est-à-dire d’un travail de recomposition du morceau original à partir des pistes séparées. Le remix, souvent effectué par un autre producteur, peut tout aussi bien être réalisé par le compositeur original. Il existe, pour ce genre de cas, de nombreuses variantes sémantiques du mot remix comme alternate mix, V.I.P  . Un edit est un remix14 mais à partir du master original (et non des pistes séparées comme c’est le cas pour le remix). Par ailleurs, il n’est pas rare que le nom du morceau soit accompagné d’un qualificatif écrit entre parenthèses. Par exemple : (club mix), (instrumental mix), (vocal dub), etc. Cette vision de la composition musicale, à l’origine purement pragmatique (le but est d’informer le D.J sur la nature du morceau : une version sans voix, plus dansante ou au contraire plus atmosphérique, etc.), est devenue avec le temps un véritable élément esthétique de la musique électronique. ! Un morceau de musique électronique de club possède un certain nombre d’éléments rythmiques et percussifs, qui, le plus souvent, sont des évolutions des différents éléments de la batterie acoustique utilisée dans la musique populaire. On retrouve le kick  (la grosse caisse de la batterie jouée à la15 pédale), le hi-hat (la cymbale charleston)  , la snare (la caisse claire), mais aussi d’autres éléments16 comme le clap qui est une substitution de la snare, les cymbales, etc. Ces éléments ne sont pas nécessairement fidèles à l’empreinte acoustique de la batterie, l’idée étant qu’ils en utilisent simplement les fonctions rythmiques (entre autres). Ils sont ensuite agencés en figures rythmiques (des patterns)  qui se répètent dans le temps. Ces patterns se combinent entre eux et cette17 association constitue d’autres patterns (un pattern de kick associé à un pattern de clap forme un troisième pattern). Ces sons de percussions peuvent être de différentes natures : issus d’une boîte à rythmes ou bien d’un synthétiseur, issus d’un sample - c’est-à-dire provenant d’une source sonore !7 ! « Variation in Production ». Souvent utilisé dans les disques anglais. Il faut noter qu’ici, le terme production peut14 référer à la fois à l’aspect mixage et traitement du son et à l’aspect composition. ! dont nous parlerons plus en précision infra (3.2).15 ! terme archaïque conservé dans le langage francophone.16 ! Nous privilégierons ce terme par rapport à ses équivalents que sont motif et figure dans la mesure où c’est le terme17 utilisé par les producteurs eux-mêmes et par les anglo-saxons en général.
  • 8. extérieure que le producteur a échantillonné  à l’aide d’un sampler - ou bien enregistrés18 directement à l’aide d’un microphone par le producteur  .19 ! Les morceaux de musique électronique suivent une logique de tension/résolution basée sur les timbres et possèdent un (parfois plus) point culminant appelé drop (du verbe anglais to drop : lâcher) qui est précédé d’une montée généralement assez longue. Le drop correspond au point précis où toute la tension qui s’est accumulée se résout, le plus souvent avec la reprise du kick. Ce moment est très apprécié des danseurs qui retrouvent leurs points de repères. Par ailleurs, les morceaux de musique de club présentent indéniablement une dimension de groove  . Le terme de20 groove fait partie de ces notions difficilement définissables dans la mesure où ils sont issus de l’argot des musiciens. Nous l’utiliserons moins comme un nom que comme le qualificatif d’une musique provoquant l’envie de se mouvoir grâce à un rythme assimilé (par le compositeur et/ou les musiciens-interprètes) et souligné. Le groove est la plupart du temps affilié aux musiques afro- américaines et à la répétition de motifs rythmiques focalisés sur le premier temps de la mesure. ! Enfin, la musique électronique de club possède un certain nombre de codes visuels, parmi lesquels un goût prononcé pour le mystérieux et l’anonymat : producteurs qui se cachent derrière des masques, utilisation de différents alias  , pressage de disques vinyles à très peu d’exemplaires et21 souvent en white label - c’est-à-dire sans pochette, avec un macaron vierge ou alors comportant très peu d’informations, souvent écrites à la main ou à l’aide d’un tampon. Comme l’explique le musicologue Jean-Yves Bras, ces caractéristiques témoignent de la nécessité pour cette musique de passer outre les « contraintes commerciales de la grande distribution. (…) cet anonymat va de pair avec une nouvelle éthique où l’argent n’a plus sa place, où le sens de la propriété n’existe pas : chacun peut échantillonner le son de l’autre et la musique est un bien commun que l’on partage dans la fête »  .22 ! Cet ensemble de règles tacites contribue à la sémantique de la musique de club et permet au consommateur de savoir, avant même de l’avoir écouté, qu’un disque en fait partie.
 !8 ! la traduction de sample est « échantillon ».18 ! L’utilisation de microphones est néanmoins assez rare dans cette musique : les premiers producteurs étant peu19 fortunés, ils se contentaient du minimum de matériel. Aujourd’hui, ce sont des habitudes qui sont restées. ! Nous développerons particulièrement cette notion dans le chapitre 2.20 ! pseudonyme, nom de scène.21 ! BRAS Jean-Yves, Les courants musicaux du XXe siècle ou la musique dans tous ses états, Genève, Editions papillon,22 2007 [2003], p. 255.
  • 9. Introduction ! La grande difficulté posée par la question du rythme - en général, pas seulement en musique - est que celui-ci est tributaire de la notion de temps. Or, le temps est une notion polysémique, très largement utilisée au quotidien sans que personne ne soit pourtant capable de le définir correctement. Dans une conférence donnée à l’École polytechnique en 2006, le physicien Etienne Klein déclare : ! je vous mets au défi de trouver une définition du temps qui ne présuppose pas l’idée du temps. Or comme vous le savez, définir c’est rapporter un concept à un autre concept plus fondamental. Il n’existe pas de concept plus fondamental que le mot temps  .23 ! Il poursuit : ! le temps a pour fonction principale de faire qu’il y ait sans cesse du présent (…) le temps est la seule chose qui ne passe pas et pourtant on dit que le temps passe. Cela veut dire que là, nous commettons une erreur assez classique qui consiste à confondre l’objet et sa fonction. La fonction du temps c’est de faire passer la réalité et cette fonction ne cessant pas, le temps ne passe pas  .24 ! En effet, le temps n’agit que comme un repère par lequel il nous est possible de dissocier des évènements qui ont déjà eu lieu d’avec des événements qui n’existent pas encore. Entre les deux, l’instant présent est constamment réaffirmé par ce qu’on appelle le temps. Le rythme, quant à lui, est une façon qu’a l’homme de mesurer le temps, de l’appréhender, et donc d’une certaine manière de le rendre concret. ! A l’occasion des dix-huitièmes entretiens de la Garenne-Lemot en 2014, le philologue et latiniste Jackie Pigeaud a invité des écrivains, historiens d’art, et philosophes, à se questionner sur le rythme. Il est intéressant de voir qu’à l’instar du temps, c’est un terme polysémique que l’on retrouve dans des contextes aussi nombreux que divers. ! ! ! !9 ! « Que savons-nous du temps ? », conférence donnée par Etienne Klein à l’École polytechnique, 11 mai 2006, la23 diffusion des savoirs de l'école normale supérieure [en ligne], 24 mars 2013 [consulté le 30 Mai 2016], Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=NDYIdBMLQR0 ! Ibid.24
  • 10. Pour la philosophe Chakè Matossian, le rythme c’est avant tout une organisation : ! Le rythme donne forme à ce qui est aléatoire, il peut rassurer en offrant des repères à ce qui reste transformable, momentané, fuyant et qui est aussi ce qui nous angoisse existentiellement  .25 ! Le rythme serait donc un pourvoyeur de repères. L’historien et philosophe Bernardino Fantini considère deux éléments, pour lui indissociables du rythme : la présence d’un battement (ou d’une pulsation)  et sa répétition périodique  . Pour lui, on retrouve ces deux composantes (et donc du26 27 rythme) dans les cycles cosmiques, les phénomènes naturels (rythme des saisons, des phases lunaires, etc.), la nature géométrique des formes que l’on retrouve chez les êtres vivants, le rythme qui organise les sociétés et les civilisations  . En revanche, il invite à ne pas confondre périodicité et28 rythme (l’alternance du jour avec la nuit constitue un phénomène périodique mais pas nécessairement un rythme). Comme il l’explique, le rythme n’est donc pas : « une répétition, mais c’est la répétition de la différence à l’intérieur d’une entité complexe perçue comme un tout »  . Il29 est la caractéristique d’un « phénomène périodique induit par la perception de la répétition avec variation d’une structure organisée »  . En d’autres termes, bien que le rythme apporte une stabilité,30 une régularité et une organisation dans le temps, et qu’il peut être résumé à une ossature de base que l’auteur nomme « cellule génératrice »  , il se doit de varier et de rester « en mouvement »  . Il faut31 32 noter que cette vision du rythme est strictement occidentale : souvent dans la musique africaine par exemple, les musiciens raisonnent en terme de figures et de formules polyrythmiques et la plupart du temps, la pulsation « est tue »  . Elle peut être existante mais elle n’est pas exprimée et est alors33 totalement intégrée par les musiciens qui préfèrent donner « de la vivacité à la périphérie »  .34 ! Le rythme doit donc présenter à la fois un battement répété périodiquement, et une structure sujette à évoluer. Mais qu’en est-il du rythme en musique? ! !10 ! MATOSSIAN, Chakè, « La navette et la bouse de vache ou l’artiste en tarentule » in PIGEAUD, Jackie, dir, Le25 Rythme : XVIIIes entretiens de La Garenne Lemot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 118. ! qui rappelle le tactus médieval, cette battue qui permettait « l’indépendance rythmique et métrique de plusieurs voies26 simultanées » SCHNEIDER, Corinne, « La pulsation en question » in ACCAOUI, Christian et al. Musique et temps, Paris, Cité de la Musique, 2008, pp. 41-42. ! FANTINI, Bernardino, « Rythmes corporels, rythmes psychologiques, rythmes culturels. » in PIGEAUD, Jackie, dir,27 Op. cit., pp. 208-209. ! Ibid. pp. 208-212.28 ! Ibid. p. 213.29 ! Ibid. p. 214.30 ! Ibid. p. 215.31 ! Ibid.32 ! SCHNEIDER, Corinne, « La pulsation en question » in ACCAOUI, Christian et al. Op. cit., pp. 41-42.33 ! Ibid.34
  • 11. Christian Accaoui et Matthieu Favrot définissent le rythme comme suit : ! (…) le rythme de la musique occidentale est le produit de cinq éléments (la pulsation, le tempo, les durées, la mesure, la cellule rythmique), qu’il ne présente pas systématiquement ces cinq éléments (la mesure, par exemple, est un phénomène récent et assez éphémère) et qu’il n’est donc a fortiori assimilable à aucun de ces cinq éléments en particulier. En une seconde approche, nous considérerons dans le rythme l’énergie qu’il implique : il n’est plus alors défini comme agencement - statique - de proportions numériques mais comme distribution - dynamique - de l’énergie dans le temps  .35 ! Ils définissent ensuite ces cinq éléments que sont : la pulsation, le tempo, les durées, la mesure, et la cellule rythmique : ! La pulsation n’est pas le rythme mais elle y contribue. Elle est même au fondement d’une définition générale du rythme, comme retour à intervalles sensiblement égaux, d’un repère constant. Elle est présente en poésie comme en musique : c’est l’ictus latin, « coup », « battement », « choc », substantif verbal de ico ou icio, « frapper ». (…) ! Le tempo est le mouvement dans lequel s’exécute une oeuvre musicale. On peut jouer une valse plus ou moins vite et, selon le tempo choisi, on dira qu’elle a un rythme plus ou moins entraînant. Comme la pulsation, le tempo n’est pas le rythme, mais il y contribue. (…) ! Les durées ou valeurs de notes sont proportionnelles les unes aux autres selon des rapports rationnels simples : une blanche vaut deux noires, une noire pointée vaut trois croches. Le système traditionnel des durées est issu de la notation de l’ars nova, qui au XIVe siècle divise une valeur extrêmement longue, la maxime, en trois temps (division parfaite) ou en deux (division imparfaite), eux-mêmes subdivisés par trois ou par deux. (…) ! La mesure reproduit le phénomène de la pulsation, le retour à intervalles sensiblement égaux, mais sur une échelle plus grande : 123/123/123. Le désir de régularité et de symétrie ainsi que la musique à danser ont beaucoup contribué au XVIIe siècle à généraliser son emploi, la nécessaire répétition des pas impliquant un retour régulier des mêmes structures rythmiques. La pulsation délimite donc le temps qui peut être divisé en 2 (mesure binaire) ou 3 (mesure ternaire), les temps sont répartis entre forts et faibles pour former les mesures (à 2, 3 ou 4 temps), lesquelles se regroupent en carrures plus ou moins régulières. (…) 36 ! Cet ensemble de règles qui structurent la notion de rythme fait partie de ce que Geneviève Mathon et Eric Dufour appellent la « métrification du rythme »  c’est-à-dire l’organisation de plus en plus37 rigide du rythme en musique, qui interdit les écarts trop prononcés par rapport à la norme (la !11 ! ACCAOUI, Christian, FAVROT, Matthieu, « Rythme », in ACCAOUI, Christian, dir, Eléments d’esthétique35 musicale : notions, formes et styles en musique, Paris, Actes Sud / Cité de la musique, 2011, p. 585. ! Ibid., pp. 585-586.36 ! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève. « Le rythme musical » in ACCAOUI, Christian et al. Musique et temps,37 Paris, Cité de la Musique, 2008, pp. 74-75.
  • 12. pulsation, la barre de mesure, la carrure, etc.). Cette tendance est particulièrement présente dans les musiques de danse qui nécessitent des repères clairs et réguliers  .38 ! Il est fréquent que soit confondu le rythme (qui peut être le rythme d’une mélodie par exemple) avec la section rythmique, c’est-à-dire ce qui ne s’occupe que du rythme. Dans son article « Dialectique et rythme de l’oeuvre musicale selon Boris de Schloezer », Pierre Henry Frangne raconte : ! Aussi l’un et l’autre [Schloezer et Mallarmé] critiquent-ils la fausse séparation de l’élément rythmique d’avec l’élément mélodique (…) ainsi que la dégradation que le monde moderne de plus en plus mécanisé fait subir aux rythmes musicaux et poétiques ramenés à des battements qui exagèrent l’importance accordée aux rapports d’intensité. Car c’est bien cette réduction qui dissocie le rythme de la mélodie et fait du rythme un domaine autonome de moins en moins musical (…)  .39 ! L’autonomie du rythme est pourtant un paradigme de composition dans la musique populaire  : de40 la batterie au sampler, le rythme se détache de toute mélodie pour devenir le garant du temps musical pour les autres instruments. Cette particularité de traiter le rythme comme un élément à part a développé ce que nous pourrions appeler la fonction percussive : un ensemble de percussions - c’est-à-dire des sons, le plus souvent inharmoniques avec une attaque très courte - qui se comportent comme des indicateurs de la structure rythmique en rappelant régulièrement un certain nombre de données musicales comme la mesure, la pulsation, les temps forts ou les temps faibles. En général, les percussions sont des sons très brefs mais certaines exceptions comme les cymbales ont une résonance assez longue. Les percussions font partie de ce que Martin Laliberté nomme l’archétype de la percussion, qui, par opposition à l’archétype vocal, ne cherche pas la pureté et la clarté du discours tonal mais favorise l’inharmonicité et l’aspect brut du son  . Comme nous le41 verrons, la boîte à rythme, ou le sampler sont des mutations de la fonction percussive de la batterie à travers de nouveaux gestes de composition. Ainsi le kick est une ré-interprétation de la fonction de la grosse caisse, le hi-hat ou les snares, des ré-inteprétations du charleston et de la caisse claire  .42 !12 ! Toujours dans le sens rythmique occidental : dans certaines musiques d’Afrique, les structures complexes de la38 polyrythmie sont des supports de danse. ! FRANGNE, Pierre Henry, Dialectique et rythme de l’oeuvre musicale selon Boris de Schloezer, in PIGEAUD,39 Jackie, dir, Op. cit., p. 275. ! Le terme « musique populaire » faisant débat chez les musicologues, nous le considèrerons comme étant tout ce qui40 n’est ni musique savante, ni musique folkorique. Nous utiliserons ce terme dans une acception moderne, faisant ainsi référence à une musique principalement afro-américaine, née au XXe siècle et dont les oeuvres sont fixées sur un support d’écoute. ! LALIBERTE, Martin, Aux origines des « nouvelles technologies musicales » : virtuosités et archétypes, Actes de41 colloques, Musiques, arts et technologies : pour une approche critique Montpellier-Barcelone, décembre 2000. ! Voir supra Avant propos.42
  • 13. Bien entendu, il est important de rappeler que la fonction percussive, bien qu’elle soit essentielle dans la conception d’un morceau destiné à la danse, n’est pas le seul élément constituant la structure rythmique. Des éléments mélodiques comme le chant, un synthétiseur, ou une basse (qui forme avec la batterie ce qu’on appelle la section rythmique en jazz) peuvent jouer un rôle rythmique tout aussi important dans la dance-music. Il est même rare que les éléments percussifs soient les seuls pourvoyeurs de groove dans un morceau : la bassline  est bien souvent utilisée conjointement avec43 eux ; un lead  peut être utilisé de façon très rythmique en plus de la44 mélodie qu’il apporte ; etc. Un sample vocal peut également être utilisé à des fins rythmiques comme le fait le producteur anglais Todd Edwards, qui découpe ses samples de manière à combiner des micro-fragments pour créer un groove. On peut retrouver ce type de collage dans son morceau « Love Inside » par exemple  . Il faut donc garder en tête que bien que45 nos analyses se focalisent uniquement sur l’aspect percussif du rythme, ce dernier n’est pas le seul garant du rythme et de la mécanique du groove. ! Il n’existe que rarement de définitions faisant le consensus quand il s’agit de musique populaire et ce probablement car il s’agit d’une musique qui ne se théorise pas. Dans notre cas, nous pourrions définir la musique électronique populaire de danse comme un large ensemble de sous- genres musicaux qui on tous en commun le fait que leurs morceaux utilisent l’électronique comme moyen de production (par le biais des outils issus de l’informatique musicale dans les années 1980) et comme esthétique (utilisation de l’électronique pour créer des sonorités et des couleurs particulières sans essayer de reproduire une source naturelle ou réaliste) et soient diffusés, entre autre, dans des espaces dédiés à la danse (club, rave et free parties, bars, salles de concert, etc.). Cette diffusion intervient dans le cadre d’un D.J set c’est-à-dire d’une performance effectuée par un D.J consistant à enchaîner dans un flux continu, des morceaux de musique, en les synchronisant au niveau du tempo dans le but de faire danser un public. Il est important de noter que nous ne traiterons pas des danses codifiées issues des musiques afro-américaines comme le voguing, le waacking, ou encore le juke  mais uniquement du fait de se mouvoir de façon instinctive sur de la46 !13 ! ligne de basse.43 ! un synthétiseur qui a une fonction de soliste.44 ! Todd Edwards, « Love Inside », Love Inside, Nu Trend Music, NU001, Inconnu (Angleterre), 2012.45 Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=LZ3caqdcB-E [consulté le 3 Mai 2016] ! Danses apparues dans les clubs gays américains durant les années 1970 (sauf le juke qui est une danse urbaine bien46 plus tardive mais qui est liée à la musique électronique populaire). Ces danses sont codifiées et les danseurs s’affrontent en faisant démonstration de leurs compétences devant un public. fig. 1 : Todd Edwards, « Love Inside »
  • 14. musique sans avoir appris des pas de danse spécifiques au préalable. En effet, l’idée est de s’intéresser au potentiel dansant « naturel » de ces musiques et non à l’aspect chorégraphique de la danse qui caractérise, notamment, les danses précitées. ! Nous conjuguerons donc la dimension percussive, c’est-à-dire les percussions, et la dimension rythmique, soit leur organisation dans le temps (à travers les notions de pulsation, tempo, durée, et mesure) dans le contexte de la musique électronique populaire destinée à la danse et aux clubs. Cette musique représentant un spectre qui s’étend de 1983 environ à aujourd’hui, nous nous efforcerons d’adopter une approche globalisante en essayant de se focaliser sur les points communs de ces nombreux sous-genres. ! Il s’agira donc de se demander dans quelle mesure les musiques électroniques populaires dansantes, issues à la fois des nouveaux outils de l'informatique musicale des années 1980 et de la musique afro-américaine, offrent un rôle de premier plan à la problématique du rythme et des percussions, comment ceux-ci sont organisés par le compositeur et appréhendés par les auditeurs et danseurs. ! Dans le premier chapitre nous nous efforcerons de faire un rappel culturel sur la naissance de cette musique et sur la façon dont elle s’est intéressée au rythme et à la danse pour mieux préciser le contexte de notre étude. Nous montrerons comment l’électronique s’est invité dans la composition musicale dans la deuxième moitié du XXe siècle à travers la musique savante et la musique populaire et quelles sont les principales distinctions entre ces deux écoles, notamment au niveau du rythme. Nous verrons ensuite que le rythme est au coeur de la musique électronique populaire car il conditionne les sous-genres de celle-ci et qu’il génère deux approches musicales : celle du corps et de la danse (qui nous intéresse), et celle qui correspond à une écoute plus calme et attentive. Nous engloberons enfin la notion de timbre qui joue un rôle très important car celui-ci figure le rythme et qu’il est déterminant dans l’usage des percussions et dans l’identité de certaines machines phares de cette musique. Nous convoquerons notamment les travaux de Mathias Kilian Hanf  , Guillaume Kosmicki  , Kodwo Eshun et al.  pour ce qui est de l’histoire, et les ouvrages de47 48 49 !14 ! HANF, Mathias Kilian, Detroit Techno: Transfer of the Soul through the Machine, Saarbrücken, VDM Verlag Dr.47 Müller, 2010. ! KOSMICKI, Guillaume, Musiques électroniques : des avant-gardes aux dancefloors, Marseille, Le mot et le reste,48 2009. ! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Modulations : une49 histoire de la musique électronique, Paris, Allia, 2004.
  • 15. Pierre Boulez  , Geneviève Mathon et Eric Dufour  , Louis Chretiennot  ou encore Makis50 51 52 Solomos  pour la partie musicologie et analyse. Le chapitre deux étudiera l’approche53 compositionnelle du façonnement rythmique et percussif. Nous verrons dans un premier temps que la musique de club est née des progrès du numérique et de la démocratisation de boîtes à rythmes et de synthétiseurs qui, grâce à des coûts peu élevés, furent à l’origine d’un nouveau geste musical. Nous étudierons en détail et à travers un certain nombre d’exemples la structure rythmique et percussive des morceaux écrits pour le dancefloor  et nous en dégagerons certaines logiques54 d’écriture. Nous distinguerons les patterns de base - qui forment le squelette rythmique - des percussions ornementales et définirons des notions comme break, drop, etc. Nous verrons enfin que grâce aux technologies utilisées par les producteurs, il existe deux techniques d’écriture du rythme dans la musique électronique populaire dansante, qu’elles correspondent à deux conceptions différentes du groove et que celles-ci peuvent se compléter. Nous nous appuierons principalement sur les analyses de Hans Zeiner-Henriksen (notamment sa thèse The « PoumTchack » Pattern : Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music)  et sur55 l’ouvrage dirigé par Anne Danielsen : Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction  . Enfin,56 nous nous intéresserons dans le troisième et dernier chapitre à la réception de cette musique par l’auditeur et le danseur. Nous montrerons à quels principes cognitifs le rythme des musiques de club fait appel dans un premier temps, puis nous verrons l’importance du kick dans le mécanisme de la danse. Enfin nous étudierons le contexte principal de réception de cette musique, à savoir le club, et en quoi il influe sur notre appréhension de ces musiques. Nous citerons, entre autres, les travaux de Michael Thaut  , Kristoffer Carlsen et Maria Witek  portant sur les relations entre rythme et57 58 cerveau, les ouvrages de Gilbert Rouget  , Georges Lapassade  , Astrid Fontaine et Caroline59 60 Fontana  pour l’aspect sociologie, et d’autres sources de nature musicologique déjà citées.61 !15 ! BOULEZ, Pierre, Penser la musique aujourd’hui, Paris, Gallimard, Collection Tel, 1987 [1963].50 ! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève, Op. cit.51 ! CHRETIENNOT, Louis, Le Chant des moteurs : du bruit en musique, Paris, L’Harmattan, 2008.52 ! SOLOMOS, Makis, De la musique au son : l’émergence du son dans la musique des XXe - XXIe siècles, Rennes,53 Presses universitaires de Rennes, 2013. ! La piste de danse.54 ! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and55 Movement in Electronic Dance Music, Thèse de doctorat : Musicologie, Department of Musicology Faculty of Humanities, University of Oslo, Juin 2010. ! DANIELSEN, Anne, dir, Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction, Farnham, Ashgate, 2010.56 ! THAUT, Michael H. Rhythm, music, and the brain : Scientific Foundations and Clinical Applications, New York/57 Londres, Routledge, 2005. ! CARLSEN, Kristoffer, WITEK, Maria A.G., « Simultaneous Rhythmic Events with Different Schematic Affiliations :58 Microtiming and Dynamic Attending in Tow Contemporary R&B Grooves » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit. ! ROUGET, Gilbert, La musique et la transe: esquisse d'une théorie générale des relations de la musique et de la59 possession, Paris, Gallimard, [1980], Réed. revue et augmentée, 1990. ! LAPASSADE, Georges, La Transe, Paris, PUF, «Que sais-je ?», 1990.60 ! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Raver, Paris, Anthropos, 1996.61
  • 16. Nous utiliserons un large éventail d’exemples musicaux pour illustrer nos propos en essayant de diversifier au maximum les époques et les genres. Le grand problème de la musique populaire est qu’il n’existe que le support même de l’oeuvre (contrairement à la musique classique occidentale qui est traditionnellement liée à la partition), ce qui développe une certaine opacité pour l’analyse. Nous transcrirons néanmoins certains patterns rythmiques afin de pouvoir les visualiser, en utilisant des captures d’écran issues du séquenceur d’un logiciel de musique assistée par ordinateur (M.A.O), ce qui est bien plus cohérent qu’une partition compte tenu du contexte. Pour chaque morceau analysé ou simplement évoqué seront précisées toutes les informations nécessaires quant à sa sortie en note de bas de page (nom du disque, label, pays, etc.), ainsi qu’un lien pour pouvoir l’écouter  . Par ailleurs, j’y adjoindrai une image flashcode dans le texte afin d’atteindre62 directement le lien. À propos des citations d’ouvrages anglo-saxons : conscient que depuis quelques années la recherche musicologique tend à ne plus traduire les citations initialement écrites en anglais (l’anglais étant la langue la plus répandue dans le champs de la musique populaire, et utilisant de nombreux termes résistants mal à l’épreuve de la traduction), j’ai néanmoins fait le choix de traduire les extraits que j’utiliserai dans ce mémoire dans un souci de lisibilité (et dans la mesure où l’interprétation d’une citation constitue, déjà, une trahison de la citation originale)  .
63 !16 ! j’utiliserai la nomenclature suivante pour la citation de morceaux de musique : Artiste, « Morceau », Album, Label,62 Référence catalogue, ville (ou pays), année. J’y adjoindrai un lien pour écouter le morceau en ligne. Les minutages que j’utilise dans mon analyse sont les mêmes que sur le lien. ! Certains mots seront néanmoins conservés en anglais dans la citation quand il apparaîtra inutile ou bien trop63 compliqué de les traduire. La citation originale sera toujours présente en note de bas de page.
  • 17. 1. Contexte historique et culturel : Comment la musique électronique est née et de quelle façon s’est-elle intéressée au rythme ? ! Il s’agira dans un premier temps d’exposer brièvement la naissance de cette musique, la façon dont elle se distingue des musiques électroniques savantes, et son approche particulière du rythme . Il conviendra ensuite de distinguer les musiques électroniques populaires dansantes d’avec les non-dansantes, puis d’analyser la manière dont le rythme conditionne la classification des sous- genres. Enfin, la dernière partie de ce chapitre sera consacrée à la place du timbre dans le rythme des morceaux de dance-music. ! 1.1 Naissance d’une musique électronique populaire ! S’il est difficile aujourd’hui d’écrire une histoire de la musique électronique, c’est en partie à cause du fait que le terme « électronique » recouvre à lui seul un ensemble d’écoles, d’esthétiques et de mouvements très différents. Si en 2016, établir une délimitation entre musique électronique savante et musique électronique populaire  peut sembler superflu, on remarque tout de même que64 les acteurs et le public de ces deux scènes tout comme leurs réseaux de distribution sont très différents ; la philosophie n’est souvent pas la même non plus. On considère le plus souvent que l’utilisation de l’électronique à des fins musicales est née avec les expérimentations de Pierre Schaeffer (que l’on assimile plutôt à l’école savante) et les collages sonores qu’il réalise à partir de sons bruts (des sons de boîtes métalliques ou encore de train)  à la fin des années 1940 et que l’on65 regroupe sous le nom de musique concrète  . François Delalande discerne quatre écoles de66 musiques savantes utilisant l’électronique  :67 ! - La musique concrète : représentée par les français Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Elle consiste à réarranger et recomposer des bruits sortis de leur contexte initial (des objets sonores) pour en faire de la musique. ! !17 ! Les musiques mixtes comme le rock ou le jazz ne font pas partie de la musique électronique populaire car une partie64 des instruments est acoustique, même si ces derniers sont amplifiés. ! respectivement Étude n° 5 Pathétique ou Étude aux casseroles et Étude n° 1 Étude aux chemins de fer, toutes deux65 extraites de Cinq études de bruits (1948). ! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., pp. 11-23.66 ! DELALANDE, François, Le Paradigme électroacoustique, in NATTIEZ Jean-Jacques, dir, Musiques, une67 encyclopédie pour le XXIème siècle, vol. 1 : Musiques du XXème siècle, Arles, Paris, Actes Sud/Cité de la Musique, 2003, pp. 534-535.
  • 18. - La musique électronique : contrairement à la musique concrète française, la musique électronique, née sous l’impulsion de Herbert Eimert, Robert Bayer et Werner Meyer Eppler (rejoints par Karlheinz Stockhausen) dans un studio de Cologne au début des années 1950, utilise des sons générés électroniquement qui sont ensuite assemblés, mixés, et couchés sur bande magnétique. ! - La musique électroacoustique : mot valise utilisé à partir du milieu des années 1950 pour désigner à la fois les pratiques concrètes et électroniques dans la musique savante qui commençaient à se mélanger à cette période. Au sens d’aujourd’hui, une oeuvre électroacoustique est une oeuvre qui utilise l’électronique au sens large (concret et/ou électronique) et qui est fixée sous la forme d’un signal analogique ou numérique et destinée à être entendue sur des haut-parleurs. Néanmoins, le terme électroacoustique fait débat : on peut le définir plus largement comme une musique utilisant l’électronique à des fins de production (que ce soit pour l’enregistrement ou la diffusion) ou bien à des fins musicales (un ou plusieurs instruments électroniques ou bien l’utilisation musicale d’éléments électroniques, le tout au sein d’un ensemble acoustique ou non)  .68 ! - La musique acousmatique : à la différence de la musique électroacoustique qui est le plus souvent jouée sur scène et écrite sur partition, la musique acousmatique est entièrement réalisée en studio, quelles que soient les techniques qu’elle utilise (sons concrets manipulés, synthèse sonore, etc.). C’est « l’écoute d’une source cachée  ». Elle est très proche, philosophiquement, de69 la musique électronique populaire qui est composée en home-studio  et, de façon plus générale,70 à la musique populaire, dans cette non-utilisation de la partition. En toute rigueur, on devrait dire « musique électroacoustique acousmatique » qui est un cas particulier de l’autre. ! En prenant l’exemple de la house, Bastien Gallet montre que la musique électronique populaire n’a rien à voir avec la musique électronique des années 1950 qu’il évoque en ces termes : ! Une musique de sons, captés par des microphones ou produits par des générateurs de fréquence, manipulés, combinés, montés pour faire œuvre. Une œuvre qui était notée sur partition et qui est !18 ! BOESWILLWALD, André-Pierre « Musique contemporaine - Les musiques électro-acoustiques », Encyclopædia68 Universalis [en ligne], sd, [consulté le 25 mai 2016], Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ musique-contemporaine-les-musiques-electro-acoustiques/ ! DELALANDE, François, Op. cit., p. 535.69 ! voir infra chapitre 270
  • 19. aujourd’hui fixée sur bande magnétique. La musique n’a pas cessé de s’écrire, seul le support a changé. On enregistre des sons comme on inscrivait des signes sur des portées. Il n’y a que les DJ et leurs descendants à avoir renoncé à l’écriture (il s’agit à vrai dire moins d’un renoncement que d’un pur et simple oubli). Ce qu’ils composent ne sont ni des sons ni des notes, mais des gestes et des machines : des gestes qui redeviennent concrets et des machines qui se mettent à ressembler à des instruments  .71 ! La grande différence selon Bastien Gallet, c’est la présence d’une partition ou non. Pourtant, Jean- Claude Risset a composé des oeuvres (Computer Suite from Little Boy en 1968 notamment) qui n’existent qu’à travers leur support d’enregistrement. La musique acousmatique, elle non plus, n’utilise pas la partition - tout en faisant partie de la musique savante. ! Pour Louis Chretiennot, on trouve une différence au niveau de la conception du rythme : ! Alors que dans les musiques afro-américaines, on demande au corps de s’investir tout entier dans le rythme et sa mouvance, dans les conservatoires, on apprend aux jeunes musiciens à ne pas taper du pied pour acquérir une conception dite « intérieure » du rythme, très labile et fluctuante, entièrement dévouée à la logique de débit de la phrase musicale, le tempo devant accélérer ou ralentir en fonction de la diction de cette phrase. Un cardiologue conclurait à une arythmie chronique mais organisée. De ce point de vue, une des grandes acquisitions du XXe siècle, c’est la victoire de la conception isochronique du rythme des musiques populaires sur le rubato généralisé à tout l’orchestre de l’interprétation classique. Elle implique que le public soit connaisseur pour qu’il perçoive le swing ou le groove  .72 ! En effet, le groove a une place de premier choix dans la musique électronique populaire dansante, car, en plus de s’inscrire dans le continuum des musiques afro-américaines (à l’instar du blues, du jazz, ou de la funk et du disco, cette musique est née dans les milieux noirs pendant un contexte socio-économique difficile, en l’occurrence : la pauvreté et le chômage  ) elle a pour premier73 objectif de faire danser et se doit donc de « groover ». ! On peut donc différencier ces deux grands courants de musique électronique en les caractérisant comme suit : la musique électronique savante comme une évolution de la musique classique occidentale et la musique électronique populaire comme une évolution de la musique afro-américaine, toutes les deux à travers le prisme de la technologie. Cependant, il y a comme toujours, des exceptions. La musique minimaliste américaine (incarnée entre autres par Steve Reich, !19 ! GALLET, Bastien, Techniques électroniques et art musical : son, geste, écriture, Volume ! [En ligne], 1 : 1 | 2002, mis71 en ligne le 15 mai 2004, consulté le 29 décembre 2015. URL : http://volume.revues.org/2493 ! CHRETIENNOT, Louis, Op. cit., pp. 86-87.72 ! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., pp. 147-148.73
  • 20. La Monte Young, ou encore Philip Glass) a, selon Ben Neill, réintroduit « la pulsation et les structures répétitives dans la complexité abstraite du sérialisme des années 1950 et des compositions basées sur la chance »  Selon sa propre formule, « Art music became physical74 again »  . Ainsi, la musique minimaliste, bien que considérée comme étant savante, est très proche75 de la musique populaire dans sa conception. ! Avant de devenir un genre à part entière, la musique électronique populaire n’était donc qu’une sorte d’évolution électronique du disco (dans le cas de la house de Chicago) ou une hybridation de funk américain avec le krautrock allemand (dans le cas de la techno de Detroit). Au terme de quelques années, ces deux écoles arrivent en Europe, et notamment en Angleterre qui générera ses propres scènes à partir de la musique électronique américaine (la musique dite balearic, typique des rave, puis l’acid house, la jungle, le UK garage, le dubstep, le broken beat, etc.)  . Une scène76 importante naît également en Allemagne (techno minimale notamment) ainsi qu’en France où la ré- interprétation de la Chicago house à la française prendra le nom de french touch. Bien sûr, cette musique s’est exportée dans bien d’autres pays, mais de façon beaucoup plus anonyme. Parallèlement à l’évolution de cette musique de club s’est développée une musique assez différente rythmiquement (car moins focalisée sur la danse et le fait de se mouvoir) à travers des genres parmi lesquels le downtempo, le trip hop, l’ambient, ou l’electronica  .77 ! On peut tout de même constater que les musiques électroniques, savantes comme populaires, ont en commun ce travail du timbre : grâce à la technologie, la palette sonore s’élargit considérablement et permet aux compositeurs, tout comme aux producteurs, de lorgner vers le futur. Un cas probant de ce désir d’innover par le son est celui de la scène de Detroit au milieu des années 1980 où les musiciens Derrick May, Juan Atkins, et Kevin Saunderson, (et plus tard Jeff Mills et Mad Mike avec le label/collectif Underground Resistance) inventèrent une musique futuriste !20 ! « Minimalism changed art music radically in the late 1960s and early 1970s, largely by reintroducing the beat and74 repetitive structures into the abstract complexity of 1950s serialism and chance-based works. » NEILL, Ben, Pleasure Beats: Rhythm and the Aesthetics of Current Electronic Music, Leonardo Music Journal 12, The MIT Press: pp. 3-6 [en ligne], 2002, [consulté le 19 Février 2016], Disponible à l’adresse : http://www.jstor.org/stable/1513341 ! « La musique savante redevint physique » NEILL, Ben, Op. cit.75 ! dans sa série d’essais du même nom, Simon Reynolds considère l’existence d’un « hardcore continuum » dans la76 musique électronique anglaise, c’est-à-dire d’un certain fil conducteur proprement anglais dans l’évolution des genres et dont les deux principales caractéristiques sont : un goût prononcé pour les basses-fréquences (directement héritée de la culture jamaïquaine des sound-systems) et une tendance à s’écarter du classique four-to-the-floor de la techno et de la house pour des structures rythmiques plus « breakés ». (voir 1.2) ! il est fréquent que cette branche de la musique électronique populaire (que nous nommerons « musique électronique77 de salon » à partir de 1.2) soit elle-même appelée electronica. D’une manière générale, ces genres se recoupent les uns avec les autres.
  • 21. inspirée par la mécanisation de la société et l’ère de la machine  : la techno. Plus encore que la78 house de Chicago, la techno de Detroit est innovante de par ses textures et ses sonorités synthétiques directement inspirées de la « ville-usine » de Detroit  .79 ! Malgré cette envie commune - propre aux branches populaires et savantes de la musique électronique - d’écrire la musique de demain, ce qui fait la particularité de la musique électronique populaire est sans doute son (r)apport au rythme et au percussif qui a, presque toujours, la primauté sur le reste. ! 1.2 Comment le rythme conditionne-t-il les sous-genres de musique électronique ? ! Il est aisé, quand on observe l’aspect rythmique des musiques électroniques populaires, d’en dégager deux écoles principales. La première se préoccupe davantage du corps, elle se destine avant tout aux clubs et adopte, la plupart du temps, une structure rythmique minimaliste : il faut éviter de surcharger l’espace rythmique et percussif afin de favoriser le mécanisme de la danse. La seconde école ne s’impose pas la règle du club et adopte une plus grande liberté compositionnelle, notamment à travers le rythme. Elle s’adresse au cerveau plutôt qu’au corps et s’inscrit dans une écoute attentive et dans un environnement calme. Cette musique électronique « de salon » essaie de casser les codes en utilisant des patterns rythmiques complexes, voire déstructurés ou en détournant l’utilisation habituelle d’un élément sonore. Dans son essai Mouvement Techno et transit culturel  ,80 Philippe Birgy analyse un morceau d’Aphex Twin : « Bucephalus Bouncing Ball »  qui, jusque dans son titre et ses allitérations en ‘b’, simule l’effet81 produit par une balle qui rebondit sur le sol. Dans ce morceau, Aphex Twin s’amuse à détourner le rôle du kick. Celui-ci - qui dans un schéma classique doit marquer la mesure, la pulsation - intervient à des intervalles de plus en plus réguliers (à partir de 3:03) au point de jouer le rôle d’un instrument mélodique . Plus le tempo accélère, plus l’agrégat de kicks ressemble à une !21 ! HANF, Mathias Kilian, Op. cit., p. 29.78 ! Ibid., p. 30.79 ! BIRGY, Philippe, Mouvement Techno et transit culturel, Paris, L’Harmattan, 2001.80 ! Aphex Twin, « Bucephalus Bouncing Ball », Come to Daddy, Warp Records, WAP94, Sheffield, 1997.81 Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=uIeA2ct5Sew [consulté le 15 Avril 2016] fig. 2 : Aphex Twin, « Bucephalus Bouncing Ball »
  • 22. note tenue  (vers 3:20). Ce morceau défie nos préjugés musicaux en modifiant la fonction que l’on82 attribue à tel ou tel élément musical  .83 ! Cependant, cette délimitation est loin d’être arbitraire et, comme souvent, les limites sont poreuses. Ainsi, de nombreux sous-genres, artistes, et disques n’appartiennent ni à la première, ni à la deuxième catégorie (ou plutôt appartiennent aux deux en même temps). La jungle est, par exemple, assez hybride car si elle se destine bien aux clubs et à la danse, elle utilise une signature rythmique assez complexe faite d’accélérations et de décélérations. La base de ce sous-genre (mais qu’on retrouve également beaucoup dans le hip-hop) est l’utilisation d’un sample rythmique tiré d’un morceau du groupe de funk The Winstons : Amen Brother : le fameux « Amen Breaks ». Il est d’usage, dans la jungle, de jouer avec ce sample en modifiant sa vitesse et en le découpant. Dans Penser la musique aujourd’hui, Pierre Boulez propose lui aussi de délimiter la musique en deux catégories - lorsqu’il s’agit du temps musical  . D’une part il y a le temps pulsé84 (ou temps strié) dans lequel la pulsation (l’unité la plus petite) y est constamment rappelée, et d’autre part, le temps amorphe (ou temps lisse) dans lequel les durées sont imperceptibles  . Si on85 reprend notre classification, la première catégorie qui concerne les musiques destinées au club et à la danse est l’exemple le plus probant de temps strié dans la mesure où les éléments rythmiques sont mis en avant et où la pulsation, incarnée par le kick, revient sans cesse, martelant des repères réguliers pour l’auditeur. Dans leur article Le rythme musical, Eric Dufour et Geneviève Mathon expliquent : ! le temps strié implique une orientation, c’est-à-dire qu’il possède une organisation téléologique - ce qui se produit dans un temps strié est donc prévisible : on peut l’anticiper en fonction de ce qui est passé et conservé par la mémoire  .86 ! Effectivement, les musiques de club ont une structure rythmique souvent prévisible. Une fois que l’on a entendu quelques patterns, on peut anticiper la façon dont ils vont évoluer, quels éléments vont venir s’ajouter, etc. - et c’est en cernant l’espace rythmique que l’on peut facilement appréhender le fait de danser. Mais comme nous le verrons plus loin, les producteurs de musique !22 ! voir la notion d’entretien par itération de la typomorphologie Schaefferienne in CHION, Michel, Guide des objets82 sonores, Paris, Buchet/Chastel, 1983, p. 172. ! BIRGY, Philippe, Op. cit., pp. 182-183.83 ! BOULEZ, Pierre, Op. cit., p. 99.84 ! Ibid., pp. 99-100.85 ! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève, Op. cit., p. 78.86
  • 23. club, conscients de cette mécanique de l’anticipation, jouent sur nos attentes et nos prévisions. Cependant, comme le rappellent Eric Dufour et Geneviève Mathon, une oeuvre n’est jamais une pure et simple répétition. Ainsi : « le temps absolument strié n’existe pas (…) En ce sens, l’oeuvre musicale, c’est toujours à la fois du temps lisse et du temps strié »  .87 ! Nous nous intéresserons donc aux musiques appartenant plutôt à la première catégorie de notre classification : les musiques électroniques dites « de club », que l’on range plutôt dans un cadre rythmique « strié » ou « pulsé » selon les termes de Pierre Boulez. Par ailleurs, il est bien évident que cette classification n’a de sens que du point de vue compositionnel. Les musiques de club, si elles se destinent plutôt à cet environnement, ne sont pas limitées à celui-ci. Ainsi, il est tout à fait possible d’apprécier un morceau de techno ou de bass music, taillé pour le dancefloor, dans son salon ou bien au casque, tout comme il est possible de danser sur de l’electronica ou, en tout cas, de l’apprécier à fort volume par le biais d’un DJ. En d’autres termes, cette classification ne cherche pas à être despotique mais plutôt à apporter des repères. Cette musique « de club » se caractérise par des patterns percussifs de facture assez simple, le plus souvent dans des mesures binaires en 4/4, et dont le kick (élément percussif riche en basse fréquences, associé au coup de pédale de grosse caisse de la batterie acoustique) revient régulièrement pour marquer le début de la mesure. L’exemple ultime (et de loin le plus commun) du pattern club est ce qu’appelle Hans Zeiner-Henriksen le « poumtchack pattern » dans sa thèse du même nom. Le « poum » traduit l’impact du kick sur chaque temps de la mesure, et le « tchack »  représente le hi-hat (ou88 charleston) entre chaque kick  . Cette structure simple héritée du disco procure une assise parfaite89 pour la danse, de par son alternance entre mouvements descendants (downward) et mouvements ascendants (upward) du son, provoqués respectivement par le kick et le hi-hat  . Le poumtchack90 rappelle le doum tak des musiques arabo-andalouses et, d’une manière générale, la musique populaire qui utilise souvent cette alternance où, un son percussif va avec un autre (dans le rock’n’roll par exemple, c’est l’alternance de la grosse caisse (sur les temps 1 et 3 : les temps faibles) et de la caisse claire (sur les temps 2 et 4 : les temps forts). De nombreux morceaux utilisent le poumtchack. Le disco a d’abord popularisé ce pattern dans les années 1970 avant que celui-ci ne !23 ! Ibid. p. 79.87 ! on pourrait penser qu’il s’agit là de la caisse claire mais c’est bien du hi-hat dont parle l’auteur.88 ! Voir représentation graphique du poumtchack pattern infra 1.3.89 ! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and90 Movement in Electronic Dance Music, Op. cit. p. 3
  • 24. soit repris par les musiciens de Chicago et de Detroit la décennie suivante. Les morceaux suivants, produits entre 1977 et 1997, utilisent ce pattern : ! First Choice, « Let No Man Put Asunder » (1977) 91 ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Erwin Bouterse and his Rhythm Cosmos, « Disco Party » (1979) 92 ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !24 ! First Choice, « Let No Man Put Asunder », Delusions, Gold Mind Records, GZS-7501, New-York, 1977. Disponible91 à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=CZh66xyAgGk [consulté le 30 Avril 2016]. ! Erwin Bouterse and his Rhythm Cosmos, « Disco Party », Disco Party / Champagne and Wine, Ali Records, Inconnu,92 Inconnu, 1979. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=btWcdy6pEfg [consulté le 30 Avril 2016]. fig. 3 : First Choice, « Let No M a n P u t Asunder » fig. 4 : Erwin Bouterse and his R h y t h m C o s m o s , « Disco Party »
  • 25. Gino Soccio, « Try it Out » (1981) 93 ! ! ! ! ! ! ! ! Chemise, « She Can’t Love You » (1982) 94 ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Chez Damier, « Can You Feel It (M.K. Dub) » (1992) 95 ! ! ! ! ! ! ! ! !25 ! Gino Soccio, « Try it Out », Closer, Celebration, CEL 2080, Scarborough (Canada), 1981. Disponible à l’adresse :93 https://www.youtube.com/watch?v=uY7Uhlh1IuA [consulté le 30 Avril 2016]. ! Chemise, « She Can’t Love You », She Can’t Love You, Emergency Records, EMDS 6528, New-York, 1982.94 Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=sKoBpDM9S8c [consulté le 30 Avril 2016]. ! Chez Damier, « Can You Feel It (M.K. Dub) », Can You Feel It, KMS, KMS 035, Detroit, 1992. Disponible à95 l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=4-VChzurHjU [consulté le 30 Avril 2016]. fig. 5 : Gino Soccio, « Try it Out » fig. 6 : Chemise, « She Can’t Love you » f i g . 7 : C h e z Damier, « Can You F e e l I t ( M . K . Dub) »
  • 26. Kamar, « I Need You (Mad Vocal) » (1993) 96 ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! D-HA, « Happy’s Theme » (1994) 97 ! ! ! ! ! ! ! ! Jeff Mills, « The Bells » (1997) 98 ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !26 ! Kamar, « I Need You (Mad Vocal) », I Need You, Madhouse Records, Inc., KCT 1004, New-York, 1993. Disponible à96 l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=n1t5yLt8EBI [consulté le 30 Avril 2016]. ! D-HA, « Happy’s Theme », Happy Trax Vol. V, Happy Records, HR 1011, Detroit, 1994. Disponible à l’adresse :97 https://www.youtube.com/watch?v=xncJG02Gozo [consulté le 30 Avril 2016]. ! Jeff Mills, « The Bells », Kat Moda EP, Purpose Maker, PM-002, Chicago, 1997. Disponible à l’adresse : https://98 www.youtube.com/watch?v=DwpedKWwS3w [consulté le 30 Avril 2016]. fig. 8 : Kamar, « I Need You (Mad Vocal) » fig. 9 : D-HA, « Happy’s Theme » fig. 10 : Jeff Mills, « The Bells »
  • 27. Cependant, les musiques qui s’écartent de ce genre de structure peuvent tout de même appartenir à la catégorie des musiques « de club ». Des sous-genres anglais comme la UK bass, le dubstep ou le broken beat, sont davantage « breakés » c’est à dire qu’ils s’écartent du classique « four-to-the-floor » (un kick sur chacun des quatre temps de la mesure) pour proposer des patterns rythmiquement plus variés. Malgré tout, ils appartiennent plutôt à la catégorie de musique de club car leur structures sont suffisamment simples, minimalistes et répétitives pour apporter des points de repères au danseur. De plus, l’omniprésence, voire l’omnipotence  du kick - condition sine qua99 non à la musique écrite pour le dancefloor - y est respectée. Certains auteurs (Anne Honning et al.  , Mark J. Butler  ) font la distinction - quand il s’agit de musique de club - entre les genres100 101 ‘four-to-the-floor et les genres ‘breakbeat-driven’ dont nous venons de parler. Ici nous considèrerons ces deux catégories comme appartenant à un même tout et tenterons de les analyser en même temps dans la mesure ou elles possèdent plus de points communs que de divergences. Comme nous l’avons vu précédemment  , l’orientation club d’un disque est également signalée par102 l’esthétique dans lequel il s’intègre (le label, le visuel de la pochette et/ou du macaron, etc.). ! Le tempo ou BPM (Beat Per Minute), joue également un rôle majeur dans le façonnement des sous-genres. En effet, les musiques électroniques (du moins, celles qui nous intéressent) sont produites, entre autres, dans le but d’être mixées ensemble. C’est pourquoi il y a une telle fragmentation des sous-genres en musique électronique. Comme l’explique Martin Laliberté : ! Ces découpages sont souvent assez artificiels par rapport aux pratiques musicales réelles, mais ils imposent aux artistes de faire des choix stylistiques très tranchés : tel style de musique fonctionne à 132 battements par minute et pas autrement. Une telle intransigeance stylistique provoque surtout beaucoup d’uniformisation des micro-styles musicaux  .103 ! En effet, difficile de faire de la techno à plus de 140 bpm ou bien de se considérer comme un producteur de jungle ou de drum’n’bass en restant timidement autour des 100 bpm. Ainsi, dans la grande majorité des cas, chaque sous-genre de musique électronique implique un tempo moyen !27 ! voir infra 3.2.99 ! HONINGH, Anne, et al., Perception of Timbre and Rhythm Similarity in Electronic Dance Music, Journal of New100 Music Research [en ligne], mise en ligne le 10 Novembre 2015, [consulté le 9 Février 2016], DOI: 10.1080/09298215.2015.1107102, Disponible à l’adresse : http://www.tandfonline.com/doi/full/ 10.1080/09298215.2015.1107102 ! BUTLER, Mark J., Unlocking the Groove: Rhythm, Meter, and Musical Design in Electronic Dance Music, Thèse de101 doctorat : Philosophie, School of Music, Indiana University, May 2003, p. 86. ! voir Avant propos.102 ! LALIBERTE, Martin, « ¿ Musique, danse, théâtre, savant, populaire ? Cyclique 2, un spectacle de Velma à103 l’Arsenic.», in Arsenic no 3, Lausanne, Théâtre de l’Arsenic, R. Freda (éd.), 2001, p. 26-73.
  • 28. donné (en général, l’amplitude entre le tempo minimum et maximum pour un genre est d’une quinzaine de bpm. La house par exemple se situe entre 115 et 130 bpm environ : au delà de cette délimitation, il est difficile de considérer qu’on est encore dans un cadre house). Contrairement à la musique classique occidentale, où le tempo correspond à l’expression d’un sentiment  , le bpm des104 musiques de club permet surtout un regroupement en sous-genres. ! On peut donc établir une classification de ces sous-genres de musique électronique selon qu’ils utilisent une structure rythmique et percussive complexe ou non. Cette classification, loin d’être exhaustive, nous permettra néanmoins de mieux nous retrouver dans cette myriade de scènes.  On remarque deux choses, en observant ces tableaux. D’une part, beaucoup plus de105 genres se destinent au club. On peut donc en déduire que la musique électronique populaire s’est principalement focalisée sur la danse et la diffusion à fort volume. D’autre part, on remarque que si l’impulsion originale vient des États-unis, l’Europe a, à partir des années 1990, vu émerger de nombreux courants jusqu’à aujourd’hui  .106 ! Ainsi, le rythme semble occuper une place très importante dans la musique électronique populaire puisqu’il la fragmente en deux groupes (possédant chacune une vision différente de celui- ci), ainsi qu’en une importante quantité de genres différents (même si le rythme n’est pas l’unique facteur de ce découpage). Mais il est peu pertinent de parler de rythme sans évoquer le son qui l’incarne, surtout dans une musique qui prône la recherche sonore comme principe esthétique  .107 ! 1.3 Une musique de sons : l’importance du timbre ! La musique de club met l’accent sur des structures rythmiques évolutives, généralement peu complexes - ou du moins évitant la surcharge pour mieux viser l’efficacité - et souvent binaires. Cependant, cette signature rythmique n’existe qu’une fois qu’elle est matérialisée par le timbre. On peut même, par extension, englober la notion de timbre dans notre définition du rythme. Selon Makis Solomos, le timbre est : « ce qui n’est ni la hauteur, ni la durée, ni l’intensité, etc. le timbre !28 ! ACCAOUI, Christian, FAVROT, Matthieu, Op. cit., p. 186.104 ! voir Annexe A.1 et A.2. J’ai essayé dans ce tableau de faire cohabiter les sous-genres les plus anciens et les plus105 légitimes (house, techno, jungle, UK garage, etc.) avec des sous-genres plus jeunes (UK bass, dubstep, footwork, etc.) et de les regrouper par quinquennat d’apparition. ! Bien entendu, il existe de nombreux autres sous-genres et ces tableaux correspondent à une lecture personnelle parmi106 d’autres de l’évolution de cette musique. ! voir supra 1.1107
  • 29. est « cet attribut de la sensation auditive grâce auquel un auditeur peut juger que deux sons présentés de la même manière et possédant la même intensité et la même hauteur sont différents  »  .108 109 ! Par exemple, le timbre est ce qui différencie une note de violon de la même note jouée au piano à la même intensité. Dans notre cas, c’est-à-dire l’étude de la dimension rythmique et percussive des musiques électroniques de club, il est fréquent que les éléments sonores soient des sons complexes ne présentant pas de hauteur définie. Qu’en est-il alors du timbre? Pour Guillaume Kosmicki, la musique électronique utilise, comme dans la musique classique occidentale, des procédés de tension et de résolution, mais au lieu de les appliquer aux hauteurs de note, elle les applique aux timbres et au rythme  . Ainsi, les timbres s’additionnent, se soustraient, dialoguent les uns avec les autres ; les110 éléments apparaissent ou disparaissent, créant, ou supprimant ainsi des points de repères pour le danseur. Cette mécanique de construction/déconstruction des timbres entre eux crée une sorte de « magma sonore »  qui évolue sur un principe de tensions et de résolutions. C’est également le111 postulat de Louis Chretiennot qui explique dans Le Chant des Machines : ! Ici, l’important, c’est le timbre, c’est-à-dire non pas seulement le timbre harmonique du son, mais plus généralement l’ensemble des caractéristiques qui forgent son identité : son attaque, son allure, son grain, en un mot les éléments qui lui donnent une marque de fabrique unique et reconnaissable. Avec le rythme et les jeux hypnotiques qu’autorisent l’isochronie et la contramétricité, le timbre est l’autre versant de cette musique. La conjonction de ces éléments permet d’espérer la découverte de nouvelles matières sonores, et nous autorise à rêver d’une alternance de rugosité et de douceur sonore, d’empilement de timbres pour des textures complexes et larges, d’une plus grande plasticité du son, pour une jouissance musicale enfin provoquée par l’aspect et l’harmonie des matières sonores plutôt que par le jeu des hauteurs  .112 ! Le timbre est donc une dimension fondamentale de la musique électronique qui est une « musique de sons ». De plus, c’est grâce au timbre que s’incarne le rythme qui n’est au départ qu’une information abstraite, une loi  . Il faut noter que l’importance de l’aspect sonique et timbral113 dans la musique n’est pas seulement l’apanage de la musique électronique mais de la musique populaire en général. ! !29 ! L’auteur cite ici la définition de l’American Standards Association, rapportée par Albert S. Bregman dans Auditory108 Scene Analysis. The perceptual Organization of Sound, Cambridge (Massachussetts), MIT, 1990, p.92. ! SOLOMOS, Makis, Op. cit., p. 23.109 ! KOSMICKI Guillaume, Op. cit., p. 282.110 ! Ibid., p. 284.111 ! CHRETIENNOT, Louis, Op. cit., p. 196.112 ! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève. Op. cit., p. 89.113
  • 30. En effet, en musique populaire, le support est l’oeuvre comme l’explique Hans Zeiner-Henriksen : ! Les enregistrements en musique populaire, par ailleurs, sont typiquement considérés comme étant « la musique », et non des versions mutables ou bien des interprétations d’une partition immuable. En fait, la plupart des musiques pop n’existent que sous forme d’enregistrement, ne laissant rien d’autre à analyser aux universitaires  .114 ! Ainsi, la référence est la même pour tout le monde quand il s’agit d’analyser une oeuvre de musique populaire et c’est ce qui rend l’aspect du son si important (contrairement à la partition en musique classique qui incarne l’oeuvre et représente ce que Makis Solomos appelle « l’audition intérieure »)  . Pour illustrer cette importance du timbre, nous allons comparer trois morceaux de115 musique électronique utilisant un même pattern rythmique : le poumtchack dont nous avons parlé supra et qui est le pattern phare et probablement le plus utilisé en techno et en house (surtout dans les débuts). Voici une représentation (voir fig. 11) de ce pattern issue d’un logiciel de musique assistée par ordinateur (M.A.O) : ! ! ! ! !30 ! « Recordings in popular music, on the other hand, are typically considered “the music,” not mutable versions or114 interpretations of an immutable score. In fact, most pop compositions only exist as recorded material, leaving little else with which the scholar can work. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 202. ! SOLOMOS, Makis, Op. cit., pp. 10-11.115 fig. 11 : visualisation du poumtchack pattern.
  • 31. La première ligne correspond au kick que l’on retrouve sur chaque temps. La deuxième ligne correspond au hi-hat que revient entre chaque kick. Les morceaux de notre exemple utilisent ce pattern comme structure de base et y rajoutent des éléments (un clap sur les deuxième et quatrième temps, un autre hi-hat qui vient enrichir le premier, etc.). Etudions donc le timbre de ce pattern dans chacun de nos exemples : ! Karenn, « Studio 3 » (2012) 116 ! ! ! ! ! ! ! ! Il s’agit d’un morceau de techno du duo anglais Karenn, très rugueux et industriel. Les textures sont assez organiques et semblent avoir été fortement traitées, avec de la saturation notamment. Ce travail du timbre confère au pattern rythmique un aspect « lo-fi », « sale », « industriel » correspondant à un type d’esthétique techno. La modulation d’un bruit blanc en plus des percussions participe à cette sensation globale. ! NY Stomp, « The NY House Trak » (2012) 117 ! ! ! ! ! ! ! !31 ! Karenn, « Studio 3 », Untitled (Various), Bleep, BLPGRN001, Londres, 2012. Disponible à l’adresse : https://116 www.youtube.com/watch?v=0y_qx92u64w [consulté le 10 Avril 2016]. Un various dans le vocabulaire des DJ’s est un disque sur lequel figure différents artistes. Un split (comme c’est le cas ici) est un disque ne comportant que deux artistes différents. ! NY Stomp, « The NY House Trak », Can You Feel It? E.P., Illusion Recordings, ILL003, UK, 2012 Disponible à117 l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=wov5N7aTQNE [consulté le 10 Avril 2016]. fig. 12 : Karenn, « Studio 3 » fig. 13 : NY Stomp, « The NY House Trak »
  • 32. « The NY House Trak » est un morceau de house du producteur allemand Gerd sous son alias NY Stomp qui évoque, dans son titre mais aussi dans le morceau lui-même, la House de New York et du New Jersey du milieu des années 1980, représentée par des producteurs comme Little Louie Vega et Kenny Dope Gonzales (Masters at Work), Tony Humphries ou encore Kerri Chandler. Le poumtchack que l’on entend bien à partir de 0:15 est accompagné d’un clap sur les deuxième et quatrième temps et de hi-hats supplémentaires. Très différent de celui que l’on retrouve dans le morceau de Karenn, il est moins saturé, beaucoup plus « rond » et surtout, très synthétique. C’est une programmation de Roland TR-909 typique de la house précitée. ! Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) » (2014) 118 ! ! ! ! ! ! ! ! ! Il s’agit d’un remix du producteur anglais Asusu sur le maxi Decay Versions Pt. 1 de Efdemin. On entend clairement le poumtchack à partir de 1:01. Le kick est beaucoup plus étouffé que dans les autres morceaux et avec une attaque moins rapide, ce qui est plus approprié étant donné le caractère plus introspectif de ce morceau par rapport aux autres exemples. Le hi-hat, lui, est sur-mixé  par119 rapport au reste. ! ! ! ! ! ! !32 ! Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) », Decay Versions Pt. 1, Dial, DIAL67, Berlin, 2014.118 Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=4xPWmUF2zYk [consulté le 10 Avril 2016]. ! se dit d’un élément qui est fort dans le mixage.119 fig. 14 : Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) »
  • 33. C’est Life, « New Years Eve 2013 », (2015) 120 ! ! ! ! ! ! ! ! Dans ce morceau de C’est Life (alias du producteur canadien Jack J) initialement sorti sur la mixtape « The Babylon Nightclub Demos and Dubs » en 2012, on retrouve le poumtchack pattern à partir de 2:47. Ici, le producteur utilise des samples de batterie acoustique  , beaucoup moins121 agressifs mais qui n’en restent cependant pas moins dansants. ! A travers ces exemples, nous avons donc vu qu’avec un même pattern rythmique de base (outre les légères différences de bpm), on peut réaliser des textures sonores et des sensations d’écoutes très différentes de par les sources que l’on utilise pour le kick et le hi-hat (quelle boîte à rythme? quel sample? etc.) et la façon dont on les traite (niveaux sonores et effets). Ainsi, il n’est pas rare que les connaisseurs qualifient la programmation rythmique (ou bien un élément rythmique en particulier) de tel ou tel morceau comme étant « agressive », « sale » ou bien « sensuelle », « envoûtante », etc. Par ailleurs, la forte fragmentation des sous-genres en musique électronique fait que l’on peut également associer l’aspect timbral du rythme d’un morceau donné à un genre (techno, jungle, UK garage, etc.), à une scène (Detroit, Chicago, Berlin, Londres, Bristol, etc.), ou encore à un label, car chacun d’entre eux à son propre son et sa propre esthétique. ! La musique électronique - genre par essence issu de la technologie - s’est naturellement développée autour de machines phares qui ont forgé son identité sonore. Pour ce qui est du percussif, on peut citer les boîtes à rythmes Roland, notamment la TR-808 (1982) et la TR-909 (1984) que l’on retrouve dans pléthore de productions house et techno hier comme !33 ! C’est Life, « New Years Eve 2013 », Vibe 3 Disc 3 (Various), Future Times, FT032, Washington DC, 2015.120 Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=cm5nzo-PiTI [consulté le 10 Avril 2016]. ! Selon la description de ladite mixtape, il aurait utilisé des samples provenant d’un kit de la marque Pearl. La mixtape121 est disponible à l’adresse : https://soundcloud.com/jackjutson/the-babylon-nightclub-demos fig. 15 : C’est L i f e , « N e w Years Eve 2013 »
  • 34. aujourd’hui  (même si depuis l’apparition des samplers, il n’est plus nécessaire de posséder ces122 machines pour en utiliser les sons et beaucoup de logiciels de production musicale intègrent leurs propres émulations de ces célèbres boîtes à rythmes). D’autres modèles Roland issus de la série « Rhythm Composer » ont également été massivement utilisés comme la TR-707 (1985) en disco et dans ses genres dérivés (italo-disco, Hi-NRG, etc.) mais aussi en house. Il arrive qu’une machine soit fortement assimilée à une scène en particulier. La Boss DR660 ou la RZ-1 de Casio, par exemple, ont beaucoup été utilisées par les producteurs de ghetto-house  , un genre apparu dans les123 années 1980 à Chicago. Si les deux derniers exemples sont plus confidentiels, la sur-représentation des boîtes à rythmes Roland dans la musique électronique témoigne d’un certain fétichisme qui est né peu à peu dans le milieu des producteurs. Si les boîtes à rythmes Roland ont bien pour objectif de reproduire la fonction de certains éléments rythmiques de la batterie (avec des sons pour marquer les temps forts, des sons pour marquer les temps faibles, des sons pour marquer les demi-temps, les quarts de temps, etc.) elle n’essaient, en aucun cas de les reproduire fidèlement (comme c’était le cas pour la LinnDrum par exemple). En effet, comme le rappelle Philippe Birgy en prenant l’exemple du sampler : « c’est l’impression volatile d’un son, l’idée que l’on s’en fait qui sont toujours véhiculées par les systèmes de synthèse imitatifs, et non pas l’empreinte tangible et fidèle de ce son »  . C’est donc bien la fonction percussive qui importe ici et non la reproduction à124 l’identique d’une percussion acoustique. La musique électronique accorde bien de l’importance au timbre mais est complètement libérée d’un quelconque mimétisme : le son peut être complètement synthétique et ne ressembler à aucune percussion acoustique du moment qu’il remplit une fonction percussive. ! Le timbre est donc la partie visible du rythme et le rythme, la loi qui organise le timbre au niveau temporel. Comme le précise Anne Danielsen dans l’introduction de l’ouvrage Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction, on a trop souvent identifié le rythme et le son comme étant deux choses différentes  alors que ce sont les deux faces d’une même pièce, surtout dans la125 musique populaire afro-américaine. Ainsi, ce qui nous intéresse n’est pas le rythme au sens strict mais le rythme et son incarnation sonore : le timbre (qui sont probablement les deux éléments les !34 ! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and122 Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 76-78. ! Ten of the best hardware drum machines, Attack Magazine [en ligne], 2014, [consulté le 4 Mai 2016], Disponible à123 l’adresse : https://www.attackmagazine.com/reviews/the-best/ten-of-the-best-hardware-drum-machines/ ! BIRGY, Philippe, Op. cit., p. 184.124 ! DANIELSEN, Anne, Introduction : Rhythm in the Age of Digital Reproduction, in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit.,125 p. 10.
  • 35. plus importants de ces musiques)  . Nous continuerons néanmoins d’utiliser par moments le mot126 rythme pour englober toute cette définition, au même titre que nous utilisons régulièrement « musique électronique » pour « musique électronique populaire destiné à la danse et au club ». ! Nous avons donc vu dans cette première partie que cette musique a toujours, à ses débuts comme aujourd’hui, mis l’accent sur la dimension rythmique, principalement pour faciliter la danse : au début des années 1980, le DJ Frankie Knuckles ajoutait une boîte à rythme à ses platines afin de donner plus d’énergie aux productions disco en insistant notamment sur le kick à chaque temps de la mesure.  Ainsi, les percussions donnent des repères aux danseurs. Par ailleurs, la127 répétition et la durée (des morceaux qui font rarement moins de 6 minutes tout comme des soirées qui durent en général toute la nuit) font perdre à l’auditeur la notion de temps et favorisent l’évasion et la transe comme nous le verrons dans le dernier chapitre. Mais avant d’étudier la réception de cette musique, intéressons-nous à l’aspect compositionnel : comment le musicien façonne-t-il le rythme dans un morceau de musique électronique? ! ! !35 ! HONINGH, Anne, et al., Op. cit.126 ! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., p. 102.127
  • 36. 2. Le rythme d’un point de vue compositionnel Lorsque l’on étudie un aspect de la musique comme le rythme, on peut l’aborder en suivant deux angles d’attaques différents mais complémentaires : le point de vue du compositeur et le point de vue de l’auditeur. Dans notre cas, l’étude de l’aspect compositionnel nous permettra de montrer que la manière qu’ont les producteurs de musique de club de composer et de mixer leurs morceaux est directement liée au matériel qu’ils utilisent. Nous verrons tout d’abord que les débuts de cette musique correspondent aux innovations technologiques de l’époque et ont donné lieu à une nouvelle approche de la composition de musique populaire. Nous analyserons ensuite comment les producteurs façonnent les figures rythmiques et organisent la structure de leurs morceaux. Enfin, nous confronterons deux conceptions de l’écriture rythmique : la conception isochronique et ultra rigoureuse rendue possible par la précision des machines et la conception naturaliste qui consiste à reproduire le geste imprécis de l’interprétation humaine grâce aux machines. ! 2.1 : Naissance d’un geste compositionnel à travers les progrès technologiques ! Selon Simon Zagorski-Thomas, la grande révolution des années 1980 pour la musique populaire fut celle des débuts du MIDI et de l’avènement des machines en général.  Le MIDI128 (pour Musical Instrument Digital Interface ou Interface numérique pour instrument de musique) est un protocole, un langage, permettant « le contrôle en temps réel de machines de musique »  .129 Comme le précise Curtis Road : ! L’information MIDI est emballée en petits messages envoyés d’une machine à l’autre. Par exemple, un message peut spécifier les temps de départ et de fin d’une note de musique, sa hauteur, et son amplitude initiale. Un autre type de message, transmis à intervalles réguliers, transporte les impulsions d’une horloge maître, ce qui rend possible la synchronisation de plusieurs instruments MIDI sur un séquenceur qui émet ces messages  .130 . Le MIDI permet ainsi, à travers un langage commun, de contrôler et de faire fonctionner ensemble un certain nombre d’instruments de musique électroniques. Mais avant de voir se développer des home-studio constitués uniquement de machines, le MIDI a progressivement fait son introduction dans la musique populaire à travers le disco. !36 ! ZAGORSKI-THOMAS, Simon, « Real and Unreal Performances : The Interaction of Recording Technology and128 Rock Drum Kit Performance » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit., pp. 199-200. ! ROADS, Curtis, L'audionumérique, Musique et informatique, Paris, Dunod, 2007, p. 265.129 ! Ibid.130
  • 37. Simon Zagorski-Thomas explique : ! Jusque là, les batteurs avaient tendance à être les garants du rythme dans un groupe, mais à mesure que les séquenceurs sont devenus la norme, ils ont dû apprendre à se synchroniser à une piste de click. Combiné au développement de l’échantillonnage et des batteries électroniques, cela devait permettre différentes combinaisons, entre batteries acoustiques et batteries programmées  .131 ! La part industrielle et mécanique, déjà présente dans le disco, s’est donc considérablement accrue, d’une part en exploitant le principe du click (un signal métronomique continu envoyé dans le casque des musiciens pour être ensemble) qui apporte plus de rigueur et de précision qu’un batteur et surtout qui ne se décale jamais dans le temps, et d’autre part en introduisant des sonorités électroniques dans la production. Un bon exemple de cette transition est le producteur français Cerrone, qui joue de la batterie dans ses disques mais utilise également des boîtes à rythmes et se plaît à mélanger des percussions traditionnelles comme les congas avec les sons synthétiques rendus possible par le développement du MIDI. ! Au milieu des années 1980 naît la house à Chicago dans cette dynamique de développement de la machine au sein de la composition musicale. Au départ, les boîtes à rythmes étaient utilisées par les D.J de Chicago en soutien aux morceaux qu’ils jouaient au public  (à l’initiative de Frankie132 Knuckles comme nous l’avons vu précédemment). Peu à peu, elles font leur apparition dans la composition : à l’époque les boîtes à rythmes Roland comme la TR-808 étaient plutôt bon marché et leur grand succès permit, peu à peu, de créer une nouvelle façon de faire de la musique  : un geste133 compositionnel assisté par la machine. Le potentiel de la boîte à rythme à cette époque est double : permettre à de jeunes musiciens qui n’ont pas les moyens d’enregistrer une vraie batterie de pouvoir facilement façonner des rythmes, et apporter de nouvelles sonorités dans la musique populaire. Le noyau central de cet ensemble de machines que constitue le home-studio est la Digital Audio Workstation ou D.A.W que Teleff Kvifte définit comme : ! Un ensemble logiciel qui inclut une variété d’options pour enregistrer et modifier du son (musical), faire du montage en utilisant différents types de notation musicale, et contrôler des !37 ! « Up to this point drummers had tended to be the arbiters of time in a band, but as sequenced music became the norm131 they had to learn to synchronize themselves to a click track. This combined with the development of sampling and electronic drums to allow for various combinations of sequenced and performed drums. » ZAGORSKI-THOMAS, Simon, Op. cit., pp. 199-200. ! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and132 Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 69-70 ! Ibid.133
  • 38. modules de production sonore (des ‘soft-synths’) qui peuvent être joués en ‘temps réel’ ou utilisés pour traduire une information en son  .134 ! En fait, une D.A.W est un logiciel à l’intérieur duquel on peut intégrer d’autres unités (instruments physiques et/ou virtuels, effets, plug-ins  , etc.) et qui permet d’organiser et de traiter chaque135 élément (instrument et/ou sample) pour créer le morceau final. Par extension, la D.A.W désigne souvent l’ensemble du home-studio, c’est-à-dire la D.A.W à proprement parler et les machines que le producteur y associe. Elle permet ainsi de faire des morceaux en totale autarcie, sans passer par l’intermédiaire d’un ingénieur du son pour le mixage puisque le producteur est à la fois compositeur, arrangeur, et mixeur de sa musique. Pour Hans Zeiker-Henriksen : « ces innovations technologiques (samplers, synthétiseurs digitaux avec différents systèmes de traitement du signal, etc.) et la transition des éléments analogiques traditionnels vers des logiciels digitaux accompagnés par les prix réduits et les capacités exacerbées des ordinateurs - ont rendu la production musicale accessible à de nombreuses personnes »  .136 ! Aujourd’hui, les home-studios des producteurs sont très variables. Comme l’expliquent Nick Collins, Margaret Schedel et Scott Wilson dans leur ouvrage Electronic Music, les progrès technologiques ont beaucoup fait évoluer les habitudes de production vers 1996 en généralisant l’usage de l’ordinateur et en développant les instruments virtuels grâce à la synthèse sonore en temps réel et en haute qualité  . Désormais, on peut facilement se contenter d’une D.A.W,137 d’instruments virtuels (notamment des V.S.T)  et de plug-ins  . Cependant, les machines138 139 continuent d’être utilisées aujourd’hui. D’aucuns affirment que certaines d’entre elles ne peuvent être égalées par la synthèse sonore - même si ce postulat est discutable -, d’autres les trouvent plus ergonomiques, d’autres encore y portent simplement un regard affectif de collectionneur. Toujours !38 ! « a software package that includes a variety of options for recording and modifying (musical) sound, editing using134 several kinds of music notation, and controlling sound-producing modules (‘soft-synths’) that can be played in ‘real time’ or used to translate notational information into sound. » KVIFTE, Tellef, « Composing a Performance : The Analogue Experience in the Age of Digital (Re)Production » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit. p. 213. ! Un plug-in est un module d’extension que l’on peut rajouter au logiciel hébergeur (une sorte de logiciel dans le135 logiciel). Dans le domaine du son, cela regroupe les modules d’effet et de traitement sonore (EQ, reverb, delay, etc.) et les instruments virtuels. ! « New technical innovations (samplers, digital synthesizers with various signal processing systems, and so on) and136 the transitions from traditional analogue units to computer-based digital software – accompanied by the reduced prices and increased capabilities of home computers – have made music production accessible to numerous individuals. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 69-70. ! COLLINS, Nick, SCHEDEL, Margaret & WILSON, Scott, Electronic Music, New York, Cambridge University137 Press, 2013, p. 73. ! V.S.T (Virtual System Technology) est un protocole et format d’instruments virtuels. Par abus de langage, on parle138 souvent de V.S.T pour désigner l’ensemble des instruments virtuels, peut importe leur format (Audio Units, AAX,…) ! module que l’on peut rajouter à la D.A.W pour accroitre les possibilités de traitement sonore.139
  • 39. est-il que les types d’organisation de home-studio (ce qu’on appelle des set-up dans la sémantique des producteurs) en musique électronique sont très variables et vont du tout virtuel au tout analogique en passant par un mélange des deux. Il n’est pas rare que les producteurs utilisent également des microphones pour enregistrer des voix ou bien des sons concrets. Il leur arrivent également d’introduire dans leur studio des guitares, basses, ou batteries mais ces pratiques restent assez limitées dans la mesure où le rôle de ces instruments est joué la plupart du temps par des synthétiseurs, boîtes à rythmes et autres samplers. Tous ces nouveaux outils issus de l’informatique musicale ont permis de simplifier le processus de création en supprimant de nombreux intermédiaires : directeurs musicaux, ingénieurs du son et assistants, musiciens interprètes, etc. et en développant le principe du home-studio qui permet de composer et de réaliser, « à domicile », des morceaux prêts à l’emploi (si on exclut la partie mastering et pressage). Par ailleurs, c’est avec ces nouveaux paradigmes de composition musicale que sont nées de nouvelles façon de concevoir le rythme : l’isochronie, c’est-à-dire le fait que les intervalles temporels sont toujours exactement les mêmes (puisque l’interprétation n’est plus confiée à un homme mais à une machine) ; la notion de pattern rythmique que le producteur conçoit et programme à l’avance et qu’il peut ensuite lancer en live, au moment de l’enregistrement ; ou encore les nouvelles sonorités apportées par les boîtes à rythmes qui vont forger une identité timbrale inédite aux percussions et au rythme dans la musique électronique. ! Après avoir étudié les méthodes de travail des producteurs, il s’agit de s’intéresser à la façon dont ils construisent la structure rythmique. ! 2.2 L’élaboration d’une structure rythmique ! Dans leur essai sociologique Raver, Astrid Fontaine et Caroline Fontana se basent sur les termes utilisés par les fêtards eux-mêmes qui évoquent la structure des morceaux de musique électronique comme : « un ensemble de "boucles", de "spirales", de "montées" et de "descentes" »  . Le mot boucle est très important. D’une part parce que la musique électronique140 repose énormément sur la répétition, d’autre part parce que c’est par la combinaison de plusieurs boucles rythmiques les unes avec les autres que se construit l’identité rythmique et le groove dans un morceau. !39 ! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Op. cit., p. 37.140
  • 40. C’est ce qu’explique Hans Zeiner-Henriksen : ! Un morceau de dance-music commence souvent avec une section qui monte en puissance jusqu’à atteindre un certain groove dans lequel le beat de base interagit avec différents autres patterns. Alors que certains de ces patterns ou éléments rythmiques peuvent être étroitement liés et, d’une multitude de façons, soutenir le beat de base, d’autres patterns sont plus indépendants  .141 ! En effet, cette musique ayant pour principal objet de faire danser son auditeur, il lui faut une structure minimaliste, un squelette rythmique de base permettant la danse et sur lequel vont venir se greffer des éléments ornementaux qui n’ont pas d’utilité proprement fonctionnelle quant à la danse mais qui enrichissent le pattern de base et diversifient l’espace sonore. On peut donc dissocier les éléments percussifs en deux groupes : ! Le premier groupe concerne les patterns de base : le kick est souvent le moteur rythmique du morceau mais il est rarement seul. En général il y a un pattern récurrent, regroupant un ou plusieurs éléments percussifs (le trio kick - hi-hat - snare est peut-être la combinaison la plus répandue) qui est le fondement rythmique de tout le morceau. Le poumtchack de Zeiner-Henriksen en est un exemple probant (en house et techno par exemple). Des sous-genres comme la trance ou le hardcore et ses dérivés se basent souvent sur le poumtchack mais à des tempi beaucoup plus élevés. Certains sous-genres ont des exigences rythmiques très précises. Le footwork (ou juke), un genre musical et une danse nés à Chicago à la fin des années 2000, utilise des mesures en 4/4 à des tempi assez élevés (au moins 140 bpm) mais ne place pas les kicks (qui sont souvent six au lieu des quatre habituels) systématiquement sur le temps de façon à introduire une illusion ternaire dans une carrure binaire. (voir fig. 16). !40 ! « An electronic dance music track often starts out with a build-up section that leads to a more complete groove where141 the basic beat interacts with several other patterns. While some of these patterns or rhythmic elements may be closely connected to and in various ways supportive of the basic beat, other patterns are more independent. » ZEINER- HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 184. fig. 16 : pattern de kick de footwork
  • 41. Cette armature rythmique constitue la base de la plupart des morceaux de footwork. Sa singularité la rend facilement identifiable par rapport à d’autres genres aux tempi semblables mais à la structure rythmique plus classique. Le dubstep, lui, utilise souvent un effet rythmique hérité du reggae jamaïquain qui consiste à placer une unique snare sur le troisième temps de la mesure  (au142 lieu des deuxième et quatrième temps souvent utilisées en house et techno). Cette particularité rythmique rend immédiatement reconnaissable un pattern dubstep (bien que cela ne soit pas systématique) et crée une ambiguïté du niveau de la pulsation, que ce soit à la blanche ou à la noire. D’une manière générale, les musiques breakées anglaises utilisent ce même principe de jeu avec les métriques binaires et ternaires. Cependant, elles n’ont pas véritablement de modèles de patterns précis mais le kick doit « tourner autour » du four-on-floor. ! Le producteur peut ensuite faire évoluer cette base principale en modifiant sa structure : Hans Zeiner-Henriksen illustre cette technique en invoquant le principe de l’anacrouse en analyse musicale. Les anacrouses sont l’ajout d’une ou plusieurs notes avant le premier temps d’une phrase musicale. Dans le cas du poumtchack, l’auteur parle de pick-ups soit l’ajout d’un ou plusieurs downbeat ou upbeat, avant le début de la mesure (et donc à la fin de la mesure précedente). Cela permet à la fois de diversifier et d’enrichir le pattern de base, de provisoirement perturber l’auditeur, et de mettre l’accent sur l’élément qui suit le pick-up. ! R.I.P Productions, « I’ve Been Misled » (1996) 143 ! ! ! ! ! ! ! ! !41 ! Cet effet rythmique vient du One Drop, un riff de batterie popularisé par le batteur de Bob Marley & the Wailers142 Carlton Barrett. ! R.I.P Productions, « I’ve Been Misled », Ripe 'n' Ready EP, Ice Cream Records, FLAKE002, Londres, 1996.143 Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=F6AZulzRNBo [consulté le 10 Mai 2016]. fig. 17 : R.I.P Productions, « I’ve Been Misled »