SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  2
Télécharger pour lire hors ligne
Nicole Andreetta travaille depuis
douze ans à l’Aumônerie Genevoise
Œcuménique auprès des Requérants
d’Asile et des réfugiés.
MALGRÉ LES PEINTURES aux couleurs vives
qui décorent l’entrée de l’Agora (Aumônerie Gene-
voise Œcuménique auprès des Requérants d’Asile et
des réfugiés), l’endroit n’est pas attrayant d’emblée.
Nous sommes au foyer des Tattes, dans un quartier
périphérique de Genève. Les barres d’immeubles
aux façades anonymes encadrent une cour inté-
rieure où se dressent de maigres arbres. Nicole
Andreetta, aumônière à l’Agora depuis douze ans,
est là avant 9 heures. Elle a rendez-vous avec Adile*,
Turque, maman de quatre enfants, arrivée en Suisse
enceinte de son petit dernier.
Cela fait quatre ans qu’Adile attend une réponse
de Berne. Sa situation est kafkaïenne. Comme dit
Nicole : «Nous accompagnons des personnes qui
sont dans une impasse. Les gens qui sont à l’aide
d’urgence sont sous une pression permanente. Il
faut les aider à trouver un sens à leur vie. »
Nicole Andreetta, énergique sexagénaire à l’allure
juvénile, rayonne au milieu de la pièce principale,
dans un coin duquel est aménagé un bureau. ➸
Une aumônière, des bénévoles,
des requérants d’asile et de l’espoir
PAR SYLVIE CASTAGNÉ
Un sens
à la vie
Héros
PHOTO :© GUILLAUMEPERRET/LUNDI13
| 02•2018[[1L]]
* Nom changé par la rédaction
02•2018 | |[[2R]]| 02•2018[[1L]]
R E A D E R ’ S D I G E S T 
Le petit-déjeuner est prêt. Café, thé,
pain et confitures attendent les visi-
teurs. On ne sait jamais combien de
personnes vont venir, ni à quel mo-
ment, ni ce dont elles auront le plus
besoin ce jour-là. Chaque journée
apporte son lot de surprises.
C’est alors qu’arrive un des béné­
voles, Albert, profes-
seur de français à la
retraite, débordant
d’enthousiasme. Ce
qu’il trouve ici ? « En-
seigner le français à
l’Agora, ça apporte
énormément ! Ici, les
gens sont toujours de
bonne humeur. J’ai
enseigné pendant qua-
rante-cinq ans à des
jeunes qui n’en avaient
rien à faire, mais eux,
ils en veulent ! »
Et en effet, l’Iranienne Arezoo*,
24 ans, a déjà son stylo en main.
Son compatriote Ali* aussi. Ils sont
parmi les plus assidus, et leurs pro-
grès sont notables. Après six mois de
cours pour Arezoo et dix pour Ali,
tous deux réussissent à lire des textes
d’un niveau d’école secondaire. Une
vraie satisfaction pour Albert. Non
seulement maîtriser le français est
une clé de l’intégration, mais ses
cours créent du lien.
Du lien entre les bénévoles de l’au-
mônerie et les requérants, mais
aussi
du lien entre les
requérants eux-
mêmes. Issus de
pays et de cultures
différentes, ils se retrouvent, parfois
pour des années, dans le foyer gene-
vois des Tattes. Le plus grand centre
de ce type, d’une capacité d’environ
sept cents personnes. Compte tenu
de leur vécu, la cohabitation n’est
pas toujours évidente.
Telle est donc la mission de l’Agora :
faire se rencontrer les
personnes déplacées de
façon à créer des liens et
à changer le regard que
l’on a sur l’autre. Et ce,
dans les deux sens. Le
regard que nous portons
sur l’étranger et celui
qu’il porte sur nous. « La
transformation s’effec-
tue pour tous », com-
mente Nicole Andreetta.
L’Agora a été créée
en 1988 par les trois
Églises du canton de Genève, ca-
tholique romaine, catholique chré-
tienne et protestante. Mais pas de
prosélytisme ici. Seule une sobre
croix au mur rappelle l’origine de
cette structure d’accueil. Outre les
trois aumônières et l’aumônier, des
civilistes et des stagiaires d’écoles de
travail social ainsi qu’une trentaine
de bénévoles font vivre ce lieu.
Parmi ceux-ci, les générations se
mêlent. Kelmend, qui accomplit son
service civil à l’Agora et qui visite les
requérants dans des abris PC, n’a
que 21 ans. Nabayt, qui souhaite en-
trer à la Haute école de travail social,
26. Ce stage lui permet de vivre une
expérience enrichissante : « Quand
on obtient une réponse positive pour
un logement ou le permis, c’est le
bonheur… »
Une pièce est réservée à l’accueil
des enfants le mercredi matin. « Nous
avons voulu créer une ludothèque,
comme il en existe en Syrie ou en Pa-
lestine, afin d’apprendre aux enfants
à jouer ensemble, à partager un re-
pas », précise Nicole Andreetta.
Selon l’aumônière, les enfants
­redonnent de l’énergie. Et de l’éner-
gie, il en faut lorsque l’on attend
­parfois des années une réponse des
autorités pour savoir si l’on va pou-
voir rester et reconstruire sa vie.
Nicole Andreetta, elle-même fille
d’immigrés italiens, mariée à un
Italien, a toujours été sensible aux
problèmes des migrants et des exi-
lés. Elle connaît cette tension entre
l’indigène et l’étranger et elle veut en
faire quelque chose positif.
Certes, elle a bien remarqué un
afflux de bonne volonté de la part de
la société civile depuis 2015 — année
de la diffusion de cette photo d’un
enfant syrien échoué sur une plage
turque —, et c’est une bonne chose.
Cette femme déterminée s’empresse
toutefois d’ajouter que « les besoins
sont beaucoup plus humains que
matériels ».
Nicole
Andreetta, fille
d’immigrés,
a toujours été
sensible aux
problèmes
des migrants.
Sœur Élisabeth Deneufbourg,
une bénévole de l’Agora, offre
sa sagesse à une requérante d’asile.

Contenu connexe

Plus de Sylvie Castagné

«Drama im Hundeparadies»
«Drama im Hundeparadies»«Drama im Hundeparadies»
«Drama im Hundeparadies»Sylvie Castagné
 
"Animal Freedom and Dog Warfare"
"Animal Freedom and Dog Warfare""Animal Freedom and Dog Warfare"
"Animal Freedom and Dog Warfare"Sylvie Castagné
 
«Liberté animale et guerre canine»
«Liberté animale et guerre canine»«Liberté animale et guerre canine»
«Liberté animale et guerre canine»Sylvie Castagné
 
"Was ist bloss mit der Menschheit los?"
"Was ist bloss mit der Menschheit los?""Was ist bloss mit der Menschheit los?"
"Was ist bloss mit der Menschheit los?"Sylvie Castagné
 
"Humanity, who are you? Human nature and empathy"
"Humanity, who are you? Human nature and empathy""Humanity, who are you? Human nature and empathy"
"Humanity, who are you? Human nature and empathy"Sylvie Castagné
 
«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»
«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»
«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»Sylvie Castagné
 
"At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter"
"At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter""At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter"
"At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter"Sylvie Castagné
 
"Neulich bei Leclerc in Cogolin"
"Neulich bei Leclerc in Cogolin""Neulich bei Leclerc in Cogolin"
"Neulich bei Leclerc in Cogolin"Sylvie Castagné
 
«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une Provençale
«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une Provençale«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une Provençale
«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une ProvençaleSylvie Castagné
 
"LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER"
"LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER""LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER"
"LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER"Sylvie Castagné
 
"Life Lessons – while walking along the sea"
"Life Lessons – while walking along the sea""Life Lessons – while walking along the sea"
"Life Lessons – while walking along the sea"Sylvie Castagné
 
«Leçon de choses en longeant la mer»
«Leçon de choses en longeant la mer»«Leçon de choses en longeant la mer»
«Leçon de choses en longeant la mer»Sylvie Castagné
 
"Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away"
"Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away""Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away"
"Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away"Sylvie Castagné
 
«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»
«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»
«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»Sylvie Castagné
 
«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»
«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»
«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»Sylvie Castagné
 
"Summer Break – The 4th wave has arrived"
"Summer Break – The 4th wave has arrived""Summer Break – The 4th wave has arrived"
"Summer Break – The 4th wave has arrived"Sylvie Castagné
 
«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»
«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»
«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»Sylvie Castagné
 
«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»
«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»
«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»Sylvie Castagné
 
"Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave"
"Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave""Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave"
"Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave"Sylvie Castagné
 
«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»
«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»
«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»Sylvie Castagné
 

Plus de Sylvie Castagné (20)

«Drama im Hundeparadies»
«Drama im Hundeparadies»«Drama im Hundeparadies»
«Drama im Hundeparadies»
 
"Animal Freedom and Dog Warfare"
"Animal Freedom and Dog Warfare""Animal Freedom and Dog Warfare"
"Animal Freedom and Dog Warfare"
 
«Liberté animale et guerre canine»
«Liberté animale et guerre canine»«Liberté animale et guerre canine»
«Liberté animale et guerre canine»
 
"Was ist bloss mit der Menschheit los?"
"Was ist bloss mit der Menschheit los?""Was ist bloss mit der Menschheit los?"
"Was ist bloss mit der Menschheit los?"
 
"Humanity, who are you? Human nature and empathy"
"Humanity, who are you? Human nature and empathy""Humanity, who are you? Human nature and empathy"
"Humanity, who are you? Human nature and empathy"
 
«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»
«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»
«L'humanité devenue – Nature humaine et empathie»
 
"At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter"
"At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter""At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter"
"At the supermarket in Provence – Intimate Confessions at the Deli Counter"
 
"Neulich bei Leclerc in Cogolin"
"Neulich bei Leclerc in Cogolin""Neulich bei Leclerc in Cogolin"
"Neulich bei Leclerc in Cogolin"
 
«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une Provençale
«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une Provençale«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une Provençale
«Leclerc Cogolin, rayon traiteur – confidences d'une Provençale
 
"LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER"
"LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER""LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER"
"LEKTIONEN FÜRS LEBEN – ENDECKT AM MITTELMEER"
 
"Life Lessons – while walking along the sea"
"Life Lessons – while walking along the sea""Life Lessons – while walking along the sea"
"Life Lessons – while walking along the sea"
 
«Leçon de choses en longeant la mer»
«Leçon de choses en longeant la mer»«Leçon de choses en longeant la mer»
«Leçon de choses en longeant la mer»
 
"Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away"
"Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away""Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away"
"Summer holidays are over – Time to sort out, throw away, give away"
 
«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»
«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»
«Die Ferien sind vorbei – Ich sortiere aus, werfe weg, gebe fort»
 
«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»
«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»
«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»
 
"Summer Break – The 4th wave has arrived"
"Summer Break – The 4th wave has arrived""Summer Break – The 4th wave has arrived"
"Summer Break – The 4th wave has arrived"
 
«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»
«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»
«Sommerpause – Die vierte Welle ist da»
 
«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»
«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»
«Pause estivale - La 4e vague annoncée est arrivée»
 
"Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave"
"Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave""Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave"
"Summer Holidays in France – Between the 3rd and the 4th Wave"
 
«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»
«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»
«Vacances en Occitanie – entre la 3e et la 4e vague»
 

«Un sens à la vie», rencontre avec Nicole Andreetta, aumônière à l'Agora, au foyer pour requérants d'asile des Tattes à Genève. Photos Guillaume Perret I lundi 13

  • 1. Nicole Andreetta travaille depuis douze ans à l’Aumônerie Genevoise Œcuménique auprès des Requérants d’Asile et des réfugiés. MALGRÉ LES PEINTURES aux couleurs vives qui décorent l’entrée de l’Agora (Aumônerie Gene- voise Œcuménique auprès des Requérants d’Asile et des réfugiés), l’endroit n’est pas attrayant d’emblée. Nous sommes au foyer des Tattes, dans un quartier périphérique de Genève. Les barres d’immeubles aux façades anonymes encadrent une cour inté- rieure où se dressent de maigres arbres. Nicole Andreetta, aumônière à l’Agora depuis douze ans, est là avant 9 heures. Elle a rendez-vous avec Adile*, Turque, maman de quatre enfants, arrivée en Suisse enceinte de son petit dernier. Cela fait quatre ans qu’Adile attend une réponse de Berne. Sa situation est kafkaïenne. Comme dit Nicole : «Nous accompagnons des personnes qui sont dans une impasse. Les gens qui sont à l’aide d’urgence sont sous une pression permanente. Il faut les aider à trouver un sens à leur vie. » Nicole Andreetta, énergique sexagénaire à l’allure juvénile, rayonne au milieu de la pièce principale, dans un coin duquel est aménagé un bureau. ➸ Une aumônière, des bénévoles, des requérants d’asile et de l’espoir PAR SYLVIE CASTAGNÉ Un sens à la vie Héros PHOTO :© GUILLAUMEPERRET/LUNDI13 | 02•2018[[1L]] * Nom changé par la rédaction
  • 2. 02•2018 | |[[2R]]| 02•2018[[1L]] R E A D E R ’ S D I G E S T Le petit-déjeuner est prêt. Café, thé, pain et confitures attendent les visi- teurs. On ne sait jamais combien de personnes vont venir, ni à quel mo- ment, ni ce dont elles auront le plus besoin ce jour-là. Chaque journée apporte son lot de surprises. C’est alors qu’arrive un des béné­ voles, Albert, profes- seur de français à la retraite, débordant d’enthousiasme. Ce qu’il trouve ici ? « En- seigner le français à l’Agora, ça apporte énormément ! Ici, les gens sont toujours de bonne humeur. J’ai enseigné pendant qua- rante-cinq ans à des jeunes qui n’en avaient rien à faire, mais eux, ils en veulent ! » Et en effet, l’Iranienne Arezoo*, 24 ans, a déjà son stylo en main. Son compatriote Ali* aussi. Ils sont parmi les plus assidus, et leurs pro- grès sont notables. Après six mois de cours pour Arezoo et dix pour Ali, tous deux réussissent à lire des textes d’un niveau d’école secondaire. Une vraie satisfaction pour Albert. Non seulement maîtriser le français est une clé de l’intégration, mais ses cours créent du lien. Du lien entre les bénévoles de l’au- mônerie et les requérants, mais
aussi du lien entre les
requérants eux- mêmes. Issus de
pays et de cultures différentes, ils se retrouvent, parfois pour des années, dans le foyer gene- vois des Tattes. Le plus grand centre de ce type, d’une capacité d’environ sept cents personnes. Compte tenu de leur vécu, la cohabitation n’est pas toujours évidente. Telle est donc la mission de l’Agora : faire se rencontrer les personnes déplacées de façon à créer des liens et à changer le regard que l’on a sur l’autre. Et ce, dans les deux sens. Le regard que nous portons sur l’étranger et celui qu’il porte sur nous. « La transformation s’effec- tue pour tous », com- mente Nicole Andreetta. L’Agora a été créée en 1988 par les trois Églises du canton de Genève, ca- tholique romaine, catholique chré- tienne et protestante. Mais pas de prosélytisme ici. Seule une sobre croix au mur rappelle l’origine de cette structure d’accueil. Outre les trois aumônières et l’aumônier, des civilistes et des stagiaires d’écoles de travail social ainsi qu’une trentaine de bénévoles font vivre ce lieu. Parmi ceux-ci, les générations se mêlent. Kelmend, qui accomplit son service civil à l’Agora et qui visite les requérants dans des abris PC, n’a que 21 ans. Nabayt, qui souhaite en- trer à la Haute école de travail social, 26. Ce stage lui permet de vivre une expérience enrichissante : « Quand on obtient une réponse positive pour un logement ou le permis, c’est le bonheur… » Une pièce est réservée à l’accueil des enfants le mercredi matin. « Nous avons voulu créer une ludothèque, comme il en existe en Syrie ou en Pa- lestine, afin d’apprendre aux enfants à jouer ensemble, à partager un re- pas », précise Nicole Andreetta. Selon l’aumônière, les enfants ­redonnent de l’énergie. Et de l’éner- gie, il en faut lorsque l’on attend ­parfois des années une réponse des autorités pour savoir si l’on va pou- voir rester et reconstruire sa vie. Nicole Andreetta, elle-même fille d’immigrés italiens, mariée à un Italien, a toujours été sensible aux problèmes des migrants et des exi- lés. Elle connaît cette tension entre l’indigène et l’étranger et elle veut en faire quelque chose positif. Certes, elle a bien remarqué un afflux de bonne volonté de la part de la société civile depuis 2015 — année de la diffusion de cette photo d’un enfant syrien échoué sur une plage turque —, et c’est une bonne chose. Cette femme déterminée s’empresse toutefois d’ajouter que « les besoins sont beaucoup plus humains que matériels ». Nicole Andreetta, fille d’immigrés, a toujours été sensible aux problèmes des migrants. Sœur Élisabeth Deneufbourg, une bénévole de l’Agora, offre sa sagesse à une requérante d’asile.