Je sais, on me prend pour une folle, mais je ne peux pas m’en empêcher. Que ce soit sur la côte de Malabar ou au bord du golfe de Saint-Tropez, je ramasse les déchets échoués sur le sable.
«Préparer la rentrée – je trie, je jette, je donne»
«À la pêche aux mégots»
1. À LA PÊCHE
AUX MÉGOTS
Je sais, on me prend pour une folle, mais je ne peux
pas m’en empêcher. Que ce soit sur la côte de Malabar
ou au bord du golfe de Saint-Tropez, je ramasse
les déchets échoués sur le sable.
En face, un hélicoptère traverse le golfe. Je le suis des yeux. Où va-t-il?
Quelle V.I.P. dépose-t-il dans quelle villa entourée de verdure – majestueux
bouquets de pins parasols, allées bordées de lavande et de romarin
parfaitement soignées par un escadron de jardiniers? Mais il n’atterrit pas,
survole un gros yacht amarré là, à quelques centaines de mètres du port de
Saint-Tropez. Il reste suspendu quelques minutes au-dessus du navire,
effectuant visiblement une livraison. Champagne? Caviar? Des denrées
ayant parcouru des milliers de kilomètres. Peut-être aussi du rosé Miraval,
des poissons fins, des figues et des pêches de Provence? Du local.
2. LA SOBRIÉTÉ?
ET LE RESPECT?
Hier, c’était la journée de la sobriété. La première. Collant à l’actu. Une
sobriété vécue quotidiennement par des milliards d’êtres humains par
nécessité. Un mot incongru pour une minorité pour le moins aisée, pour
laquelle faire montre de sobriété revient à moins sortir son 4 x 4 au profit
du coupé sport, d’aller faire ses courses au marché avec un beau panier
acheté (trop cher) à Saint-Tropez au début de l’été.
Comme chaque jour, j’ai arpenté la plage, ramassé mégots et fragments de
plastique dangereux, voire fatals, pour la faune marine, remuant les
paquets de posidonie abandonnés par la marée du matin. Trois femmes, à
la peau noircie par des mois de station prolongée au soleil provençal, me
regardent faire. Sans doute me prennent-elles pour une folle. Mais qui est
la plus folle? Celle qui plante ses mégots dans le sable fin sans se donner la
peine de se lever de son petit siège pliable pour rejoindre la première
poubelle (qui n’est jamais loin) ou celle qui ramasse mégots et fragments
de plastique pour protéger la faune? Je sais bien qu’ainsi, je ne fais que
verser une goutte d’empathie pour la cause animale dans un océan de
déchets humains (dont des millions de tonnes de microplastiques), mais je
ne peux pas m’en empêcher.
ÇA ME DÉRANGE,
ALORS J’AGIS
Si seulement ce trio de dames qui caquètent durant des heures sur leur
pliant pouvaient avoir l’idée de ramasser mégots et fragments de plastique
échoués sur la plage, «leur» plage puisqu’elles y viennent chaque jour,
s’installent devant le mur blanc, sous les eucalyptus, y nourrissent les
mouettes en appelant «pioupiou, pioupiou». Elles pourraient prendre soin
de la plage comme de leurs plantes en pot.
À présent, elles flottent, soutenues par leur «pool noodle» en mousse
d’éthylène-acétate de vinyle et de polyéthylène, sans interrompre leur
papotage. Je me lève; j’ai aperçu un gros bout de plastique rouge qui
émerge du sable à ma droite. L’une des trois femmes jette sur moi un
regard désolé. «Oui, j’suis folle», mais je ne peux pas m’en empêcher.
Plan-de-la-Tour, en septembre 2022