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N° d’ordre : 2016 - 195 Promotion 2016 	
	
	
Mémoire de recherche
Présenté devant l’École de Commerce Européenne
Pour l’obtention du
Diplôme BBA INSSEC
ÉCOLE DE COMMERCE EUROPÉENNE
Par
Ambre SACLIER	
	
« Comment notre héritage culturel et historique influence-t-il
encore notre monde actuel ? A travers l’exemple du Luxe
en France »	
	
	
Soutenu en juin 2016
	
_________________________________________________________________________	
ÉTABLISSEMENT RECONNU PAR L’ÉTAT – DIPLÔME VISÉ PAR L’ÉTAT
Groupe INSEEC
1	
	
	
	
	
	
	
« Comment en effet mieux réchauffer les cœurs et les rassurer qu’avec cette preuve
qu’on peut changer, mûrir, vieillir, tout en s’améliorant. »
	Comité	Colbert
2	
REMERCIEMENTS 	
	
Je tenais à présenter mes remerciements tout d’abord à l’ensemble du corps
enseignant du BBA INSEEC qui m’a donné l’opportunité de suivre un cursus
passionnant, dans lequel je me suis épanouie depuis maintenant quatre ans. Aux
portes du monde du travail, je réalise aujourd’hui combien vous m’avez apporté et
à quel point mon esprit a mûri. Grâce à vous, je m’envole vers de nouveaux horizons
pleine d’espoir et de bon sens. 	
	
Mes pensées vont tout particulièrement à ma Directrice de Mémoire, Mme Niki
PAPADOPOULOU, qui a porté avec moi ce projet du début jusqu’à sa finalisation.
Cette étude n’aurait pas pu être menée à bien sans votre soutien et vos précieux
conseils. 	
	
J’adresse également mes remerciements à toutes les personnes que j’ai sollicitées
durant la réalisation de mon mémoire : Mme Alice CAMUS, Mme Carenne ANDRE,
Mr Mathieu DA VINHA, Mme Gloria RUSSO, Mr Yves BOREL, Mme Aurélie
FOURTEAU, Mr Xavier LE PERSON, Mme Alice VANDERWALLE et Mr Martin
GERLIER. Vous m’avez apporté un grand appui et une précieuse clairvoyance à
chaque étape de ce projet. Avoir eu votre regard sur ma problématique a été d’une
grande valeur. 	
	
Enfin plus généralement, j’associe mes remerciements à tous ceux qui ont cru en
mon sujet de mémoire et qui m’ont communiqué leur enthousiasme. C’est au
contact de personnes de valeur que j’ai réussi à construire ce voyage dans le luxe
et l’art de vivre. Une part de chacun de vous se retrouve dans les lignes qui vont
suivre. 	
	
A vous tous, merci.
3	
Table des figures…………………………………………………………………….…..4
Introduction………………………………………………………………………………5
	
	
Partie 1 : Qu’est-ce que le luxe ? 	
	
Chapitre 1 : Tentative de définition	
I. Généralités et étymologie………………………………………..7
II. Les différentes perceptions du luxe........................................11
Chapitre 2 : Brève Histoire du luxe en France.........................................................13	
Chapitre 3 : Les secteurs clés de la France 	
I. La Gastronomie .....................................................................16
II. Les Vins et Champagnes.......................................................19
III. La Haute Couture...................................................................21
IV. L’hôtellerie : Palaces et sens du service.................................23
Chapitre 4 : Le régime du bon goût.........................................................................26
Méthodologie........................................................................................................30
Formulation d’une hypothèse.............................................................................31	
	
Partie 2 : Le luxe à la française : tout un concept 	
	
Chapitre 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de valeurs fondamentales.........33	
Chapitre 6 : Le Bon Marché, l’apparition des Grands Magasins .............................40	
Chapitre 7 : Les Grandes Marques, créatrices de mythes.....................................44	
Chapitre 8 : Le luxe, huitième art ?..........................................................................48	
	
Partie 3 : L’importance des origines aujourd’hui 	
	
Chapitre 9 : Le retour sur soi des marques, un argument de vente pertinent .......52	
Chapitre 10 : Comment les marques jouent elles avec les émotions ?..................57 	
Chapitre 11 : Le cercle vertueux de la démocratisation..........................................62 	
Chapitre 12 : Le luxe français va-t-il réussir à atteindre ses ambitions
futures sans pour autant mettre en danger sa culture et son identité ?....................66	
	
Conclusion............................................................................................................71
	
Bibliographie & Sitographie................................................................................73
	
Annexes................................................................................................................76
4	
TABLE DES FIGURES
Figure 1 : La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow……………......9
Figure 2 : Gravure tirée du Mercure Galant de l’année 1678……………………...29
Figure 3 : Gravure de l’intérieur du Bon Marché……………………………….…...43
Figure 4 : Le Château de la Colle Noire, le 09 mai 2016…………………………..61
5	
INTRODUCTION	
	
L’Histoire avec un grand H est bien plus riche que toutes les histoires que nous
puissions inventer. Ce constat m’a toujours fascinée. Aussi, j’ai toujours été
intimement convaincue que nombre d’interrogations du présent, voire du futur
trouvent leurs réponses dans le passé. C'est alors tout naturellement que mon sujet
de mémoire porte sur notre héritage culturel.
Captivée par l’authentique et le beau, j’ai décidé d’explorer le secteur du luxe, au
sens large. L’idée m’est venue lorsque j’ai découvert de plus en plus de publicités
autour du luxe qui valorisaient les origines. Plusieurs éléments m’ont par la suite
confortée dans mon choix, donnant de la pertinence à mon mémoire.
	
Ma réflexion s’est portée sur le luxe à la française. Plus précisément, le sujet est
question ici de l’art de vivre français, pour y dégager une vision plus culturelle et
plus orientée qu’un sujet concentré uniquement sur les marques de luxe françaises.
Ce périmètre géographique restreint est un choix personnel, découlant de l’idée que
le luxe français constitue déjà en soit un sujet dense, riche de son histoire et de son
patrimoine.
Ces différentes réflexions préalables m’ont permis de dégager un sujet d’étude
précis : En quoi notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre
monde actuel ? À travers l’univers du luxe en France. 	
	
Dans une première partie, la synthèse de littérature vise à cerner ce qu’est
précisément le luxe. Après avoir constaté que les avis des écrivains comme
l’étymologie semblent laisser penser que le luxe ne serait pas le même selon le
regard qu’on lui porte, une analyse des différentes perceptions dégagera les
principales caractéristiques du concept. Il s’en suivra une brève chronologie du luxe
en France, puis l’analyse historique des secteurs clés qui font en partie la
renommée de la France sur le plan international : la Gastronomie, les Vins et
Champagnes, la Haute Couture et l’Hôtellerie.
6	
Ensuite, l’étude se penchera sur le régime du bon goût, ou comment le style
français s’est imprégné de toutes les différentes couches sociales, de façon
volontaire ou inconsciente.
Une fois le sujet bien défini, mes recherches se poursuivront à l’aide de différents
moyens qui seront expliqués dans la méthodologie. Une hypothèse sera alors
formulée pour développer mes idées.
Puis la deuxième partie de cette étude a pour vocation de valider cette hypothèse.
Pour ce faire, je m’appuierais sur l’étude approfondie d’une période, le règne de
Louis XIV, puisque plusieurs éléments pertinents de réponse à ma problématique
sembleraient trouver leurs racines à cette époque. De même, deux innovations, les
Grands Magasins et les Grandes Marques seront à leur tour étudiées, parce qu’elles
aussi décèlent des éléments, semble-t-il, qui confirment ma position. Pour finir, une
mise en lumière des similitudes entre le luxe et l’art s’impose.
Enfin, la troisième partie soulignera l’importance de nos origines. Les éléments de
réponses abordés précédemment d’un point de vue historique seront transposés au
monde actuel. Il s’agira de démontrer en quoi l’empreinte du passé constitue un
argument de vente pertinent pour les marques en présentant pourquoi ce retour à
leur essence est important et comment elles le cultivent. Ces deux chapitres
achèveront le tracé du cercle vertueux de la démocratisation du luxe qui sévit depuis
des années. Pour conclure, des recommandations seront formulées afin d’éviter la
banalisation de l’image de l’art de vivre à la française : l’esprit de création doit
demeurer.
	
Un bel hier opposé au vil aujourd’hui, le refrain n’est pas nouveau. Il est usuel
d’utiliser un passé enchanté qui viendrait adoucir un présent sans charme ni
inspiration. Le “c’était mieux avant”, sous son aspect faussement passéiste, trouve
une résonnance tout particulière ici, faisant écho au luxe à la française où passé et
présent se mêlent.
7	
PARTIE 1 : Qu’est-ce que le luxe ?
	
Donner au luxe une seule définition serait réducteur. Il ne s’agit pas que d’un simple
mot avec une définition précise, figée. Tout le concept va bien au-delà, parce que
le luxe est un domaine si vaste que chacun le voit de sa propre façon, en
résonnance avec ses perceptions, ses préférences et ses émotions. La notion est
complètement subjective et propre à chacun. Preuve que même en terme
d’explication, le luxe est insaisissable. C’est une conception à part, qui laisse le
choix de l'interprétation : chacun doit y trouver sa définition. 	
	
	
CHAPITRE 1 : Tentative de définition 	
	
I. Généralités et étymologie
	
Selon Jean Castarède1
, la complexité ne s’arrête pas à mettre des mots exacts sur
ce qu’est le luxe, elle remonte avant tout à son étymologie. Bien que cette source
soit contestée, il semblerait que le mot dérive du latin lux qui signifie “lumière,
gloire”. Cette racine suggère donc que l’aura joue un grand rôle dans l’analyse et la
compréhension du concept. En effet, si le luxe est à la fois ce qui rayonne et ce qui
éblouit, le surnom que choisit d’adopter Louis XIV prend alors tout son sens : Le Roi
Soleil. En témoigne aussi la manière dont la France s’enorgueillit toujours de ce
luxe qu’elle exporte. 	
	
Sinon, le mot “luxe” tel que nous le connaissons pourrait aussi venir d’un autre mot
latin, luxus, référant quant à lui à l'excès, au faste, mais toujours avec une référence
à la somptuosité. Cette étymologie désigne alors ce mode de vie dispendieux
adopté par les riches et célèbres par goût du plaisir et de la monstration.	
Le luxe, si on mélange les deux origines, pourrait alors signifier une surabondance
de somptuosités qui éblouit. La définition se tient. 	
																																																								
1
Jean CASTAREDE, Que sais-je : Le Luxe, Paris, Édition PUF, 2010, p.3
8	
D’ailleurs, le luxe a toujours divisé les esprits des Français en deux camps
irréductiblement hostiles. D’un côté, il rappelle à certains l’époque des privilèges et
met à mal l’idéal démocratique des républicains. De l’autre, il signifie pour ses
partisans le réveil de la partie élitaire en chacun de nous qui aspire au beau. De
plus, il s’acquiert et s’entretient par de grandes dépenses, ce qui lui vaut d’être tantôt
vanté, tantôt critiqué. 	
	
L’infinie querelle entre les deux philosophe Voltaire et Rousseau illustre bien cette
division. Cette querelle est même personnifiée par une pendule exposée au Musée
Carnavalet. D’un côté, Voltaire est un fervent défenseur du luxe parce qu’il le
considère comme un moteur essentiel à l’économie. Il définit même le superflu
comme « une chose très nécessaire»2
. Il pense que le luxe a trop souvent une
connotation négative. Au contraire, Jean Jacques Rousseau y voit un principe
d’exploitation du petit peuple et un ressort de toutes les décadences qui fracture la
société. Ainsi, il est incompatible avec le bonheur. Le luxe est par conséquent perçu
comme un moyen de paraître et non d’être, portant ainsi atteinte à la virtus (en latin
: vertu ; volonté qui habilite l’homme à agir bien). Selon lui, le luxe n’est qu’un
étalage de richesse, une dépense de prestige obligatoire des plus riches, pour
affirmer sa hiérarchie dans la société et se différencier du commun des mortels. En
quelques mots, le luxe est fait pour être contemplé et susciter les regards envieux
de ceux qui n’y ont pas accès. 	
	
En effet, toujours de nos jours, le luxe repose sur un principe d’ouverture/fermeture,
une volonté de notoriété universelle mais avec un accès restreint : tout le monde
doit connaître le luxe mais peu peuvent y accéder afin de conserver l’exclusivité.
C’est à ce stade que se situe la spécificité du secteur.
	
Dans la pyramide des besoins du psychologue Abraham Maslow3
, les besoins
primaires (l’avoir) se distinguent des besoins secondaires (l’être). Cette séparation
																																																								
2
VOLTAIRE, poème Le Mondain, 1736	
3
		Dans l’article, A Theory of Human Motivation, dans la revue Psychological Review n°50, 1943,
p.370-396
9	
permet de situer les besoins du consommateur et de comprendre à quel moment le
luxe entre en jeu.
Les besoins primaires symbolisent les produits de première nécessité comme
l’alimentation, l’habillement, ou encore le besoin de rassurer en achetant des
marques (respectivement besoins psychologiques et besoins de sécurité, les deux
premiers piliers).
Ensuite, la troisième catégorie concerne les besoins d’appartenance et de relations.
Cela peut se traduire par la volonté d’adhérer à un club et de se sentir accepté,
d’être bien dans sa peau.
Puis, le quatrième palier est celui du besoin d‘être reconnu. Ce besoin repose sur
l’estime de soi et d’autrui, le pouvoir et le bonheur. C’est à ce moment-là que le luxe
entre en scène en proposant des produits de prestige qui résonnent dans
l’imaginaire collectif et valorisent ainsi le possesseur aux yeux de tous.
Enfin, le dernier palier représente l’épanouissement de soi et de la réalisation de
soi. L’homme achète une personnalité, un style particulier qui lui parle. Le but n’est
plus la reconnaissance, mais la volonté d’accéder à des produits rarissimes
accessibles seulement à une partie de privilégiés, ou profiter d’expériences uniques
en leur genre.
10	
L’approche de Maslow est d’autant plus intéressante que le luxe en lui-même a un
côté très subjectif, et donc forcément psychologique. Le luxe trouve sa réelle
définition dans les expériences de vie de chacun, leur façon de voir les choses, et
le moyen de satisfaire leurs besoins. Le luxe est le beau que chacun met dans sa
vie, à sans façon, comme une valeur personnelle qui régalerait les seules narines
que celui qui en jouit. D’ailleurs, Kapferer le souligne : “Le luxe n’est pas qu’un
simple vocable, une pure création sémantique, mais un vrai concept sociologique
et psychologique”. 4
	Difficile donc de poser les contours d’un concept assez abstrait,
qui n’a lui-même pas de limites puisqu’il trouve une part de vérité différente chez
chacun de nous. 	
	
Si le luxe doit exprimer quelque chose d’unique, alors les secteurs qui viennent alors
immédiatement à l’esprit sont ceux de la Haute Joaillerie, de l’Automobile ou encore
de la Haute Couture. C’est le premier cercle du luxe selon Jean Castarède5
, celui
du patrimoine. Mais, ce champ restreint peut s’étendre à deux autres cercles du
luxe : celui de l’image est celui du mieux-être. Le luxe est devenu est vrai style de
vie, les codes ont changé.
	
Certes, le luxe dépasse l’indispensable, et représente tout ce qui est considéré
comme superflu et inutile. Mais le sa nature peut aussi signifier la splendeur et le
raffinement dans l’art de vivre dans son ensemble : le luxe ne se cantonne pas à du
matériel, l’expérience doit se retrouver jusque dans ses plus petites actions. Le luxe
est partout, puisqu’il est intégré complètement dans la façon de vivre, mais à
différents niveaux. Le luxe suprême est accessible à tous mais élitiste car peu
savent le décrypter. C’est pourquoi cette étude s’étend à tous les domaines
considérés comme luxueux : l’art, les Palaces, la Grande Cuisine, les Vins, ou plus
étonnant encore, le style de vie. 	
																																																								
4
KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige / On Luxury, 2ème Édition, Paris,
Éditions Eyrolles, 2012
5
CASTARÈDE Jean, Le Luxe, Paris, PUF, 1992, p.63-64
11	
II. Les différentes perceptions du luxe 	
	
Il paraît compliqué et peu pertinent d’énumérer toutes les dimensions que le mot
luxe peut suggérer. Une mise en perspective des différentes perceptions de luxe
(par le temps et par l’espace) met en lumière les aspects fondamentaux d’un produit
dit de luxe et d’en dégager les principales caractéristiques. 	
	
● Perceptions dans le temps 	
	
Il faut comprendre que dans les années 1920-1930, les ménages ayant un
réfrigérateur «se sentaient membres d’une aristocratie technologique»6
.
Maintenant, c’est d’une banalité absolue. Pareillement, le luxe en 1950 pouvait
signifier la télévision couleur, alors qu’il faut dorénavant avoir un modèle en réalité
augmentée. Autant en 2200, le luxe pourra peut-être rimer avec la jeunesse
éternelle ou les voyages dans l’espace. Cela suggère que le luxe serait une
question de prix et d’innovation. 	
	
Durant le XVIème siècle en France, le sucre était considéré comme un produit de
luxe, qui répondait aux besoins des grands pâtissiers de l’époque. Avec la
découverte du jus de betterave au début du XIXème siècle, le sucre perdit
immédiatement toute sa dimension exclusive et se popularisa jusqu'à en devenir le
produit de consommation insignifiant que l’on connaît7
. De même, le saumon fumé
et le foie gras étaient autrefois considérés comme des produits de luxe puisque
accessibles seulement à une élite. Dorénavant, les produits sont vendus en grandes
surfaces, de qualités très variables et à tous les prix. Certains sont certes encore
des produits de grande qualité, élaborés dans les règles de l’art, mais ils ne peuvent
plus être appelés des produits de luxe. Au contraire, des produits comme le caviar
restent exceptionnels parce qu’ils ne sont pas accessibles de partout, ou alors dans
des points de ventes bien spécifiques. Cela suggère que le luxe est une question
de rareté et d’unicité. 	
																																																								
6
CATRY Bernard, Le luxe peut être cher, mais est-il toujours rare ?, Revue Française de Gestion
N°171, Février 2007, p. 52
7
Ibid, p.51
12	
Pierre Cardin était auparavant connu pour ses robes confectionnées par des
couturières dans les ateliers parisiens. Mais son image de marque a été fragilisée
par son recours à de nombreuses licences dans les années 1980-1990. Le créateur
a fait le choix de se démocratiser pour pouvoir toucher une clientèle plus ample et
faire grandir son chiffre d’affaires. Mais la stratégie choisie n’a pas été la bonne.
Ses collaborations avec des enseignes comme Carrefour ont sérieusement mis en
péril sa crédibilité. La plupart des adeptes rattache le luxe à une tradition et à un
savoir-faire, souvent artisanal et fait-main. La temporalité joue un rôle important, se
traduisant par des références culturelles. Cela suggère que le luxe est une question
d’authentification d’un savoir-faire particulier et donc d’excellence. 	
Dans les années 80, porter un sac Vuitton était presque considéré comme vulgaire.
Maintenant, la marque a retrouvé son pouvoir d’attraction et de brillance sur les
masses. Cela suggère que le luxe est une question d’émerveillement et de classe.
	
● Perceptions par l’espace	
	
Pour un habitant de Jakarta, le luxe peut signifier avoir un air pur sans pollution. En
Europe, ce serait avoir une Bugatti Veyron. Cela suggère que le luxe définit un mode
de vie sans contraintes et sans tensions. 	
	
Le luxe d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier et certainement pas celui de demain : il
peut refléter des réalités différentes. De nombreux produits autrefois considérés
comme luxueux sont devenus des produits de masse. Aussi, les perceptions
peuvent évoluer suivant l’espace, et les classes sociales. Le luxe d’une famille
rentière (luxe d’exception) ne sera pas le même que celui d’une famille modeste
(luxe de consommation). Le luxe est ainsi relatif aux expériences personnelles et
émotionnelles de chaque individu. Pour finir, le luxe est également une question de
moralité, voire d’éducation. Le luxe, au-delà de l’aspect matériel, peut alors devenir
une attitude, un véritable mode de vie.
13	
CHAPITRE 2 : Brève Histoire du Luxe en France 	
	
Il convient de remonter le temps ensemble, de poser quelques jalons historiques
pour observer le luxe d’hier. Il s’agit de comprendre pourquoi et comment il est né
ainsi que ses évolutions à travers le temps, pour mieux déchiffrer les codes du luxe
de demain. Je pense que chaque chose trouve son explication par son histoire, les
faits qui l’ont construit et l’ont tant modifié. 	
	
Notre épopée commence vers la fin de la Préhistoire. Aux alentours des Eyzies, un
petit village de Dordogne, les archéologues ont retrouvé des objets qui
s’apparentent à des accessoires de luxe, et plus particulièrement à des parures.8
En effet, l’or a été découvert en -5000 av JC, puis l’argent en -3000 av JC. Il paraît
donc probable que les civilisations antérieures aient trouvé une utilité à ces métaux.
La conclusion est assez aisée : la notion de luxe remonte à la nuit des temps,
puisque détenir et utiliser des produits d’exception a toujours permis de montrer sa
classe sociale. Ainsi, des inégalités de richesses existaient déjà à la période la plus
rudimentaire que la France ait connu. 	
	
En 808, Charlemagne prône le luxe utile et chasse le l’ostentation de la cour, avec
une ordonnance qui interdisait d’acheter des vêtements au-dessus d’un certain prix.
Cette ordonnance avait pour but de contenir le train de vie des nobles. C’est aussi
le premier à faire de la cuisine un art, avec une réelle attention à la vaisselle et au
décor des banquets. 	
	
En 1229, l’enrichissement des bourgeois énerve Louis VIII, le Roi Cœur de Lion.
Pour lui, porter de bijoux et habits précieux devait rester un privilège réservé à la
haute noblesse. Pour contrer cette démocratisation, des lois somptuaires sont
appliquées pour réglementer le port des riches vêtements.9
																																																								
8
CASTARÈDE Jean, Histoire du Luxe en France, des origines à nos jours, Paris, Éditions
Eyrolles, 2006, p.15-16	
9
		Ibid, p.90
14	
A la sortie du Moyen Age, la Renaissance Française, menée par François Ier
,
apporte son lot de distractions et le luxe de maintenant commence à éclore,
notamment avec les artistes qui entouraient le Roi. Le XVIIe siècle marque
clairement l’avènement du luxe à la française, de l’élégance et du raffinement, avec
pour exemple le lancement des chantiers de Chambord, l’ancêtre de Versailles.
Là encore, des édits somptuaires sont promulgués, dans le but non seulement de
limiter l’importation de belles matières étrangères, mais aussi pour creuser toujours
plus l’écart vestimentaire entre bourgeois et aristocrates. Or, les édits somptuaires
n’étaient pas souvent respectés par les bourgeois, qui préféraient payer les
amendes plutôt que de renoncer à leur rêve d’élévation sociale. Voltaire le souligne
d’une manière très juste : « L’histoire a prouvé que toutes les lois somptuaires des
anciens et des modernes ont été partout, après un temps très-court, abolies,
éludées ou négligées : la vanité inventera toujours plus de manières de se distinguer
que les lois somptuaires n’en pourront défendre. »10
Louis XIV reprendra le flambeau de François Ier
et accélèrera le processus en le
poussant à son paroxysme. Il fonde en 1667 La Manufacture royale des Gobelins
où son décorateur en chef, Charles Le Brun dirige une multitude d’orfèvres,
ébénistes et autres talentueux artisans.11
Toutes les manufactures royales créées
par Le Roi et son ministre Colbert jettent les fondements du luxe dit “industriel”.
Mais, la Révocation de l’édit de Nantes en 1685 fait fuir à l’étranger de nombreux
artisans (notamment les minorités protestantes), portant un sérieux coup au
développement du luxe français et privant notre pays de précieux talents, que Louis
XIV avait pourtant fait venir pour former les artisans français. Ce fut une des plus
sérieuses erreurs du Roi Soleil dans sa volonté de faire de la France la reine du
luxe.
	
Au XVIIIème, le luxe est au beau milieu de toutes les controverses philosophiques,
religieuses, économiques et morales. Paris est alors devenue la capitale de la
mode, et les dépenses vestimentaires ont doublé, aussi bien chez les nobles que
chez les classes inférieures. Le luxe, inégalitaire par essence, commence à être
																																																								
10
	VOLTAIRE, Œuvres complètes, Volume 1, Paris, Imprimeries de Fain, 1817, p.602	
11
	RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité
Colbert, Flammarion, Paris, 1995
15	
critiqué. Mais, ce siècle de jouissances va curieusement le hisser au statut d’art de
vivre. La monarchie continue d’encourager le savoir-faire français. En 1764 la
marque Baccarat est créée, sur autorisation du Roi Louis XV, qui veut développer
l’art de la porcelaine. Plus tard, Napoléon 1er
et Napoléon III permettront eux aussi
l’essor de nombreuses marques de luxe. 	
	
Le XIXème siècle voit naitre la Haute Couture. Le premier défilé de couture par
Charles Frederick Worth est présenté en 1845. 	
	
La fin des années 1940 est menée par des personnalités avant-gardes comme Coco
Chanel ou Christian Dior. C’est l’époque de la sacralisation des créateurs, qui
promettent un échappatoire face à la dureté de la guerre.12
	
	
De 1980 aux années 2000, le luxe entre dans une nouvelle ère. Les petites
entreprises familiales et artisanales deviennent de grands groupes internationaux
focalisés sur une stratégie financière et industrielle. Louis Vuitton-Moët Hennessy
(LVMH) devint en 1987 la première multinationale de marque. La mondialisation et
la massification échafaudent un nouveau modèle économique et importunent les
fondements du luxe français, qui se généralise et se banalise. Qui dit mondialisation
dit extension de marque et hyper accessibilité. Le terme de démocratisation du luxe
apparaît, condamnant la prolifération d’accessoires d’entrée de gamme, la
distribution massive via Internet et la contrefaçon dont certaines marques souffrent
beaucoup. 	
De nos jours, le luxe se prend à rêver d’élévation, loin d’une société de
consommation qui a montré ses limites : le nouveau luxe flirte avec émotionnel et
expérientiel.
Ainsi, déjà le luxe se transforme avec les découvertes artistiques et techniques,
mais aussi au gré des conflits culturels. En quelques mots, le luxe accompagne
l’histoire de l’humanité. 	
																																																								
12
	STEELE Valérie, Se Vêtir au XXème siècle, de 1945 à nos jours, Paris, Editions Adam Biro,
1998, p.12: “La mode fut peut-être une façon de nier l’humiliation de la défaite et de l’Occupation,
voire une façon d’y résister. La créativité fut, à n’en pas douter, une réponse à la pénurie ».
16	
CHAPITRE 3 : Les secteurs clés de la France 	
	
La France sait qu’elle peut capitaliser sur certains secteurs, qui ont participé à forger
sa renommée et qui continuent de faire sa fierté. Ce chapitre se focalise sur quatre
secteurs qui semblent indissociables de la culture française : la Gastronomie, les
Vins et Champagnes, la Haute Couture et les Palaces.
Il paraît d’ailleurs intéressant de montrer que ces quatre secteurs semblent
absolument indissociables les uns des autres. Ils se sont toujours entremêlés,
comme solidaires pour promouvoir l’excellence française : Le restaurant du Plaza
Athénée met le livre de cuisine de Christian Dior13
à l’honneur, en reprenant ses
recettes dans un menu exceptionnel proposé lors de la Fashion Week ; César Ritz
était ami avec le célèbre cuisinier Auguste Escoffier, qui va d’ailleurs le suivre à
Paris et officier dans ses cuisines, aidant ainsi le Ritz à s’imposer très vite comme
le rendez-vous de toute l’aristocratie européenne ; Les étiquettes des meilleurs
Grands Crus et Cuvées de Champagnes se retrouvent sur toutes les tables des
meilleurs restaurants gastronomiques, leurs meilleures des vitrines.
	
	
I. La gastronomie
	
La gastronomie est une indétrônable institution en France, avec pour exemple très
concret l’attachement que porte les chefs cuisiniers français aux Étoiles, bien plus
prononcé que dans n’importe quelle autre patrie. Pourtant, la même tyrannie est
exercée dans les cuisines étrangères. Mais la gastronomie s’inscrit profondément
dans la culture de la France. Le chef place la cuisine au cœur de sa vie, puisqu’il
cherche continuellement à extraire la quintessence des produits à travers la
recherche d’une sélection qui relève d’une grande investigation. C’est une notion
dure à saisir pour quelqu’un qui n’est pas français. Un dire du magazine anglais The
Independant illustre bien l’intensité du lien entre les chefs français avec le prestige
																																																								
13
	Peu savent que Christian Dior était un fin gourmet. Son livre La Cuisine Cousu-main (1972)
témoigne pourtant de sa folle gourmandise.
17	
d’un plat d’exception : “La norme Michelin- Gault et Millau est née en France, existe
depuis plusieurs siècles et sera toujours à sa place dans le pays où la gastronomie
est une question de vie ou de mort.”
	
Cette passion pour la bonne cuisine n’était pourtant pas spécialement vouée à
naître en France. L’histoire explique comment la gastronomie est devenue
inhérente à la civilisation française. La suprématie de la France sur la bonne cuisine
s’est forgée au fil des siècles. Le processus s’enclencha en 1651, avec la parution
du livre de La Varenne (de son vrai nom François Pierre) : Le Cuisinier Français.
Avec cet ouvrage, tout le monde a subitement envie de mieux manger. Les mets
sont qualifiés de fins, de délicats : les palais prennent enfin conscience des saveurs
et des plaisirs de la bonne cuisine. 	
	
Ce livre fut d’ailleurs le premier à être traduit en de nombreuses langues. Réédité
plus de quarante-six fois en moins de cinquante ans, le succès fut d’une ampleur
sans précédent, aussi bien auprès des cuisiniers et des convives français, qu’à
l’échelle internationale. De plus, la France jouissait déjà à cette époque d’un certain
rayonnement sur l’ensemble du Vieux Continent, et même au-delà de ses frontières.
Cette puissance n’a fait qu’augmenter l’engouement des populations étrangères
pour ce nouvel art. 	
	
Ce livre, et d’ailleurs la profusion d’ouvrages qui découla de cette parution, permit
non seulement aux cuisiniers professionnels du monde entier de se perfectionner à
cette nouvelle méthode, mais aussi aux amateurs de découvrir une nouvelle
jouissance à laquelle s’adonner. La mode se répandit dans toutes les couches
sociales, de l’aristocrate au routinier, qui se mirent alors à développer un goût
certain, une conscience collective pour les bonnes recettes. 	
La cuisine fut dès lors accessible à tous et plébiscitées par une large clientèle
internationale : le savoir-faire français se retrouve dans chaque assiette fine et
raffinée.14
	
																																																								
14
	DEJEAN Joan le précise dans Du Style (2006) : “La cuisine devint un élément essentiel de la
nouvelle civilisation du bon goût (français, naturellement).”
18	
Au travers de tous ces guides culinaires qui émergent dans la seconde moitié du
XVIIème siècle, les Français sont encouragés à manger des produits plus raffinés
cuits d’une façon plus fine. Lecteurs et auteurs se retrouvaient ainsi autour de
valeurs communes puisqu’ils adhéraient tous à ce nouvel art culinaire. La cuisine
traditionnelle était codifiée, ce qui a permis non seulement l’acceptation de ce
changement d’alimentation, mais aussi de l’exporter. Cette tournure radicale dans
la façon de consommer marque l'avènement d’une nation de gourmets. 	
	
En 1674, un livre écrit par un chef dont seules les initiales sont connues, LSR,
associe pour la première fois l’art culinaire à l’art de recevoir. C’est d’ailleurs son
titre : L’Art de Bien Traiter. François Marin poursuit sur cette lancée avec la parution
en 1739 des Dons de Comus, qui enseigne au fil des pages l’art de servir un repas
avec la dernière élégance.15
Ces ouvrages témoignent que la cuisine est plus que
boire et manger en France. Il s’en accompagne tout un art de la table. 	
	
Encore aujourd’hui, les chefs cuisiniers savent rendre hommage aux illustres qui
ont fait la réputation de leur métier, les plus anciens comme les plus contemporains.
Cela souligne la valeur de la transmission du savoir-faire dans ce domaine. Pour en
citer un, le Guide Culinaire d’Auguste Escoffier est toujours considéré comme une
Bible par les plus grands Chefs du monde : Eric Fréchon le reconnaît dans une
interview accordée à Madame le Figaro le 05 Mars 2016. 	
	
Dorénavant, la France n’est plus la seule nation à donner naissance à des chefs
capables de réaliser des plats exquis. La mondialisation et la croisée des influences
ont fait que d’autres nations se distinguent par leur maîtrise de la cuisine. Mais la
cuisine française peut s'enorgueillir de la richesse incroyable de l’art de vivre à table
qu’elle tire de son héritage. Qu’elle soit modestement présentée dans les bistrots
traditionnels, ou sur les tables des restaurants chics, la gastronomie française
continue de réjouir les papilles des gourmets du monde entier. Cette souveraineté
en est d’autant justifiée par le classement en 2010 du Repas gastronomique des
Français au Patrimoine Mondial Immatériel de l’UNESCO.
																																																								
15
	RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité
Colbert, Flammarion, Paris, 1995
19	
II. Les vins et champagnes	
	
Au fur et à mesure des années, les Français ont découvert des terres pourtant peu
propices à la culture, mais qui semblaient ouvertes à la culture des vignes, et ainsi
à produire du grand vin. Le Médoc émerge des marécages au 17ème
siècle. Les
domaines Saint Emilion, Saint Estèphe et Sauternes font prospérer la région jusqu’à
la Révolution. Au milieu du 19ème
siècle, le comble de la mode est d’être propriétaire
d’un vignoble en Médoc : les vendanges sont l’occasion de rassemblements
mondains. C’est de là que naquit l’idée de château, avec des règles, des codes et
des charmes qui n’appartiennent qu’à lui.
	
Le champagne baptise tous les moments marquants de la vie : c’est la boisson de
la fête et des paillettes. Scintillant, le champagne est aimé de tous. Il se doit de
remercier l’abbé Dom Pérignon, qui découvrit l’assemblage des cépages
nécessaire pour faire du Champagne. Il paraît peu inattendu que ce soit un religieux
qui le découvre, puisque depuis le Moyen-âge, les plus gros producteurs de vins
étaient les monastères. S’il est certain que le moine fut le premier à trouver les
ingrédients propices pour donner ce goût si unique au vin doré, le secret plane
autour de la découverte du processus dans son ensemble. Certains écrits laissent
penser que ce sont les Anglais qui auraient trouvé comment faire pétiller un vin
tranquille, d’autres prétendent que c’est Dom Pérignon qui inventa la méthode
Champenoise. La légende raconte que Dom Pérignon avait laissé des notes de ses
recherches à son ami Dom Ruinart après sa mort en 1715. Son neveu, Charles
Ruinart fonde en 1729 la plus vieille maison de champagne. Quoiqu’il en soit, le
processus qui permet au vin de devenir effervescent ne fut complètement maitrisé
qu’en 1880 avec la découverte de Pasteur sur la fermentation. Cela explique aussi
pourquoi le Champagne était aussi cher : la demande dépassait largement l’offre
parce que les pertes liées au problème de maitrise des bulles étaient
gargantuesques (de 30 à 90% des productions).16
Aujourd’hui encore, le risque est
présent lors du remuage des bouteilles et certaines continuent d’éclater.
	
																																																								
16
	DEJEAN Joan, Du Style, Editions Grasset, 2006, p.173
20	
Les grands vins et les champagnes sont de véritables repères culturels pour leur
clientèle, et il demeure encore de grandes traditions dans ce domaine. L’élaboration
d’une bouteille de vin passe d’ailleurs par l’histoire, la civilisation, les paysages :
c’est une culture ancrée dans un terroir. Pour protéger ce patrimoine et lutter contre
la fraude, il fallait prendre des mesures et mettre en place des réglementations.
C’est ainsi que sont créées les appellations. En France, on parle déjà de Bordeaux
et de Bourgogne depuis le Moyen-âge. Au XVIIIème
siècle, l’Américain Thomas
Jefferson distingue 4 grands crus : Lafite, Latour, Margaux et Haut Brion. La notion
de cru s’établit en Bourgogne en 1825 à l’initiative du Docteur Morelot qui analyse
et classifie le vin selon des critères bien précis : couleur, corps, bouquet et finesse.
Il faudra néanmoins attendre 1905 pour qu’une première délimitation géographique
ne soit tracée pour les vins les plus réputés. Ce ne sera qu’à partir du 30 juillet 1935
que la qualité ne sera complètement assurée, avec la création du Comité National
des Appellations Contrôlées. 	
	
Si rouler en Bentley et s’inonder de “N°5” de Chanel est à la portée du premier
gagnant au Loto, déguster un grand cru ou un champagne exceptionnel n’est
accessible qu’aux palais initiés. Mais pour intégrer ce cercle d’amateurs éclairés, il
faut d’abord pouvoir en reconnaître les symboles et surtout avoir la culture du plaisir
de la dégustation, propre à la France. Argentine, Californie ou Australie : le vin n’est
pas à l’abri des effets de la mondialisation. Si ces concurrents sont de plus en plus
soucieux de qualité et de renommée, c’est toujours dans l’Hexagone que l’on produit
les crus mythiques cités auparavant, ou encore les Cheval Blanc, Pétrus ou autres
Romanée-Conti. Tous sont devenus des icônes au même titre que le sac Birkin
d’Hermès. La culture française a su faire grandir la légende de ces précieux
breuvages que le monde s’arrache. Toutes les caves des plus grandes tables
étoilées et des plus grands palaces de notre pays affichent fièrement les étiquettes
des meilleurs domaines, augmentant la visibilité des bouteilles et surtout en leur
donnant une légitimité. En effet, l’important propriétaire de vignobles internationaux,
le caviste Bernard Magrez, s’associe aux grands chefs pour corréler leurs efforts à
faire rayonner la France en terme d’art de vivre. Le restaurant de son hôtel bordelais
cinq étoiles, la Grande Maison, a vu passé des grands noms comme Joël Robuchon
(le chef le plus étoilé du monde), et est maintenant tenu par Pierre Gagnaire, un des
papes français de la gastronomie.
21	
III. La Haute Couture 	
	
Depuis des siècles, Paris garde précieusement les secrets d’un savoir-faire
jalousée par les ateliers du monde entier. Paris a toujours été le point de chute de
ceux à la poursuite de modes à la pointe du style. La Ville Lumière recèle en son
sein certains des meilleurs créateurs que la mode n’ait jamais connu. Les débuts
du commerce de la mode remontent aux alentours de 1670 à Paris. A cette époque,
la Cour du Roi est de plus en plus exigeante en terme d’habillement. Ce nouveau
commerce est d’autant plus facilité par l'avènement de moyens de plus en plus
sophistiqués pour diffuser les nouvelles tendances. Il est notamment question ici de
l’essor fulgurant de la presse, et principalement de la presse de mode, autrement
dit le moyen de diffuser les dernières tendances au plus grand nombre.
En 1672, un des pionniers du journalisme de mode est Jean Donneau de Visé. Son
nom est aujourd’hui connu grâce au journal qu’il décidât de lancer cette année-là :
Le Mercure Galant. Cette gazette était la première en son genre. Plus qu’un
magazine de mode (le premier article sur la mode ne fut d’ailleurs paru qu’en janvier
1678), elle regroupait les actualités du moment, des indications sur le dernier style
à suivre en matière d’art, de lettres, de décoration. Le Mercure Galant fut d’une
inspiration sans précédent pour toutes les françaises de cette époque.17
Avant Le
Mercure Galant, tous les vêtements de nobles étaient faits sur mesure. Depuis tout
temps, les privilégiés étaient habitués à choisir leurs tissus et leurs modèles avec
leurs tailleurs privés. À partir de la sortie du Mercure Galant, les nobles se lassent
de ces vêtements, tellement uniques que personne ne les reconnaît. Ce
phénomène est d’autant plus paradoxal quand aujourd’hui, avoir des vêtements
élaborés sur mesure représente le summum du luxe. Pareillement, les gens
fortunés d’aujourd’hui veulent en général se différencier et ne surtout pas
ressembler à tout le monde. En effet, pour lancer une tendance, il faut bien que les
autres la suivent. Bien entendu, il convient que le temps que les classes inférieures
																																																								
17
	DEJEAN Joan le fait remarquer dans Du style (2006) : “Donneau de Visé, en véritable génie du
marketing, ne destinait pas sa publication aux femmes ayant la possibilité de constater par elles-
mêmes les nouvelles tendances, mais bien aux ancêtres d’Emma Bovary, ces femmes enfermées
dans les provinces qui rêvaient d’être aussi chic que la créature devenue mythique au moment même
où la haute couture vit le jour, la Parisienne.”
22	
copient cette tendance, les « reines de la mode » soient déjà passées à autre chose
depuis au moins une saison. Il fallait donc constamment renouveler sa garde-robe.
Et pour que les dames de cours étrangères soient au summum de la mode, il fallait
qu’elles rivent les yeux sur Paris, la capitale de l’élégance, pour obtenir les dernières
indications sur ce qu’il fallait porter pour cette saison-là. Il faut souligner que la
domination de Paris sur la mode à cette époque réduit considérablement les
distances sociales. La mode se propagea au sein de toute la population française.
Certes, si les plus pauvres ne pouvaient pas se permettre de s’offrir les
merveilleuses robes des courtisanes de Versailles, elles voulaient néanmoins
participer au phénomène. La préoccupation pour la mode était telle, qu’elles
commencèrent à changer leur apparence, à leur niveau. Elles arboraient par
exemple des bas, des rubans ou autres produits accessibles. 	
	
Mais le phénomène eut aussi une répercussion internationale. Les trente dernières
années du 17ème siècle ont énoncé les leçons de base qui dictent encore l’industrie
de la mode de nos jours. Les créateurs français avaient déjà bien compris que le
recours à la publicité, aux égéries et la transgression des mœurs allait être le moyen
de commercialiser la mode à la française au-delà des frontières. C’est grâce à ce
regard visionnaire des marchands français que Paris devint capitale de la mode
dans le monde. En effet, la clientèle pouvant se permettre d’acquérir des biens
d’exception n’a jamais été très large. Les français à eux seuls ne pouvaient pas
permettre aux couturiers d’être rentables : ils avaient besoin de clients étrangers.
C’est à ce moment que deux innovations majeures virent le jour : les poupées et les
gravures de mode.
	
Les poupées existaient déjà depuis plusieurs années, mais elles restaient destinées
à un usage privé, familial.18
Dans les dernières années du XVIIème, les marchands
réalisèrent que ces poupées pouvaient être envoyées hors de France pour
présenter les dernières collections aux dames étrangères. Les reproductions étaient
particulièrement fidèles, jusque dans les moindres détails : les tissus étaient les
mêmes utilisés que sur les vêtements originaux, et les accessoires complétaient la
																																																								
18
		Dans les années 1600, Henri IV envoyait des poupées à sa fiancée, Marie de Médicis, qui résidait
en province, pour qu’elle soit au courant des tendances à la Cour.
23	
tenue. Mais ces poupées avaient leurs limites. Même si les clientes de New York
ou de Londres se les arrachaient, il fallait tout de même payer pour avoir le droit de
la regarder, et encore plus cher pour avoir le privilège de la ramener chez soi et
d’en jouir pleinement, sans cohue. Les marchands eurent alors une idée de génie
et décidèrent d’introduire les gravures de mode. Facilement remplaçables et
copiables, ces gravures permettaient de toucher un public plus large. Elles guidaient
le goût vestimentaire mondial en imposant le style français, et en réaffirmant une
fois de plus que ce style détenait le monopole du raffinement et du luxe. Ces
gravures présentant les musts des saisons ouvriront la voie à la Haute Couture.
Inventée pendant la seconde moitié du 19ème
siècle par Monsieur Charles Frédéric
Worth, La Haute Couture propose des collections en dehors de toute demande
particulière, mais qui s’adaptent aux besoins de chaque client. Avant lui, la plupart
des artisans sont inconnus : ils travaillent dans l’ombre, exécutant simplement les
demandes de leurs commanditaires et ne bénéficient d’aucune reconnaissance du
travail accompli. Tout va changer avec la Haute Couture, qui verra naître quelques
années plus tard quelques-unes des marques les plus puissantes du monde.
IV. L’hôtellerie : Palaces et sens du service 	
	
Paris et la Côte d’Azur sont demeures des fleurons de l’hôtellerie dans le monde.
Le Bristol, Le Negresco, Le Meurice ou le Ritz font rêver à la simple évocation du
nom. Les palaces sont devenus de véritables institutions qui ennoblissent le
prestige. Ces hôtels sont l’allégorie même de l’art de vivre à la française, où rien
n’est assez raffiné.
L’apparition des premiers hôtels de prestige en France se fait dans les dernières
années du XIXème siècle. À cette époque, le goût pour le voyage se propage et le
tourisme commence à prendre de l’importance. C’est aussi le siècle des inventions,
comme l’ascenseur ou le téléphone, mises au service des clients. 19
																																																								
19
LESURE Jean-Marc, Les Hôtels de Paris, Éditions Alphil, 2005
24	
Dès la fin du XVIIIème, de nouvelles fortunes se créent et les très grandes familles
aristocratiques cherchent un moyen de plus pour se différencier des bourgeois
marchands. Ils ont alors l’idée de créer des lieux hors du commun, rassemblant
objets et denrées rares et couteux. Habitués à voyager de châteaux en châteaux
avec du personnel et des belles choses, les nobles savaient très bien ce que ces
Palaces devaient être en mesure d’offrir. C’est grâce à ces exigences que les lieux
ont atteint un tel niveau d’excellence.20
Le premier à sortir de terre, sous les ordres
de Napoléon III pour les besoins de l’Exposition Universelle, est le Grand Hôtel du
Louvre en 1854.
Mais surtout, le véritable supplément d’âme des hôtels de luxe réside dans la qualité
du personnel. La notion de Relation Client a été inventée dans les hôtels de luxe.
Si la réputation du sens de l’accueil et du service à la française n’est plus à faire,
elle reste néanmoins fondamentale et contribue fortement à la part
d’émerveillement que ressent le client quand il descend dans un palace. Le service
en France est réputé pour être impeccable. La discrétion se mêle subtilement à la
sympathie, et le client a alors l’impression que tous ses souhaits peuvent être
réalisés. D’ailleurs, il paraît tout à fait logique que la France ait vu naître
l’Association des Clés d’Or (1929), une organisation mondialement connue et
respectée, qui ne compte pas moins de 3 000 concierges de palaces et hôtels de
luxe dans le monde. Il va sans dire que pour arriver à cette distinction, il faut
littéralement avoir porté sa fonction à la perfection.
Le Concierge joue un rôle essentiel, mais il fait aussi parti d’un engrenage de talents
qui font vivre les traditions de l’art de recevoir à la française. Ici résidait tout le génie
de Vatel qui inspire toujours les plus grands noms de l’hôtellerie de luxe. Quand
Antoine Beauvilliers ouvre le premier véritable restaurant en 178221
au Palais Royal,
baptisé « La Grande Taverne de Londres », il trouve la gloire non seulement dans
la qualité de ses plats, mais aussi dans la magie qui régnait dans son restaurant :
un décor enchanteur, une vaisselle magnifique, une ambiance particulière et un
																																																								
20
	COQUERY Natacha, L'hôtel aristocratique : Le marché de luxe á Paris au XVIIIème siècle, Paris,
Publications de La Sorbonne, 1998 	
21
	1782 selon Brillat Savarin, d’autres auteurs prétendent 1786
25	
personnel aux petits soins. Il se distinguait par sa mémoire exceptionnelle pour les
habitudes des clients, ce qui leur donnait l’impression d’être uniques. Encore
aujourd’hui, certains chefs tiennent des Rolodex : un petit fichier qui recense toutes
les habitudes alimentaires, les préférences et les allergies des habitués de la
maison. Le personnel peut ainsi guider les choix des clients, assurant un service
sans aucune fausse note.
C’est sur ce modèle d’un nouveau genre que les hôtels de prestige voient le jour.
Un Palace doit mêler harmonieusement gastronomie, service à la hauteur de
l’établissement, cave exceptionnelle, décoration fastueuse et emplacement chargé
d’histoire.	Depuis le 8 novembre 2010, l’appellation « Palace » récompense les
hôtels de luxe avec les caractéristiques les plus exceptionnelles. 16 établissement
sont décorés de cette belle distinction, et tous sont en France : 8 à Paris, 3 à
Courchevel, 2 à St Tropez, 1 à Biarritz, 1 à St-Jean-Cap-Ferrat et 1 à Ramatuelle.
22
	
Comme le dit si bien Didier le Calvez23
: « Dans un monde à la recherche de ses
repères, les Palaces, résolument intergénérationnels, tels des ponts entre le passé
et le présent, tels des garants d’un art de vivre, offrent des refuges au cœur des
grandes métropoles où l’on retrouve des valeurs, peut-être d’une autre époque mais
toujours d’actualité́, faites de savoir-vivre et de courtoisie “.
Autour des subtilités de la cuisine gastronomique, de la mise en scène de l’instant
présent, et de la qualité du service, le tout orchestré tel un ballet, il se dégage des
palaces un retour au temps passé troublant.
																																																								
22
	 Site Atout France : http://atout-france.fr/content/connaitre-les-16-etablissements-distingues-
palace	
23
	Dans la préface du livre d’ENHART Hélène, Palace : du mythe à la reconnaissance officielle,
Paris, Éditions BPI, 2004
26	
CHAPITRE 4 : Le régime du bon goût 	
Dans le sens usuel, le luxe se rattache au faste, à la somptuosité et au raffinement
dans la façon de vivre.	 Pour comprendre ces affirmations, il est nécessaire
d’analyser comment les aristocrates ont placés le bon goût, la grâce et la présence
d’esprit au centre de leurs préoccupations à la cour du Roi de France, puis comment
ce bon goût a ensuite atteint les couches sociales inférieures.	 Vestige de la
Renaissance, la Cour des Rois français, et plus particulièrement celle de Louis XIV,
a habillé cet art de vivre. 	
	
Il est dans un premier temps intéressant de préciser que le mot “goût” renvoie aux
aliments. Dans l’article de Voltaire24
, il est démontré que non seulement les goûts
de chacun divergent mais surtout que le goût est indissociable du dégoût, l’un
n’allant pas sans l’autre. Il semblerait donc que seules des papilles de connaisseurs
peuvent affirmer si tel ou tel produit à un bon goût, et donc que des codes doivent
être instaurés pour plébisciter le bon goût au détriment du mauvais. 	
	
A la Cour, plaire est signe de puissance. La Renaissance marque la montée de
valeurs humanistes et individualistes, soulageant les nobles du poids de la
réputation et leur permettant ainsi de tracer leurs propres chemins, d’être maître de
leur destinée. L'intérêt du bon goût est alors de se distinguer des autres à l’aide
d’aptitudes qui se jouent de l'esthétisme. Les nobles voyaient dans le goût le moyen
d'attirer la reconnaissance, non pas seulement des classes sociales supérieures
dont ils voulaient tirer profit, mais aussi des classes inférieures dans les yeux
desquels ils voulaient briller25
. La reconnaissance de soi passe aussi dans le regard
																																																								
24
	Dans son article “Goût”, issu l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Tome VII, 1751-1772,
p.761: “le Goût, ce sens, ce don de discerner nos aliments, a produit dans toutes les langues
connues la métaphore qui exprime, par le mot goût, le sentiment des beautés et des défauts dans
tous les arts : c’est un discernement prompt, comme celui de la langue et du palais, et qui prévient
comme lui la réflexion : il est comme lui, sensible et voluptueux à l’égard du bon ; il rejette comme
lui, le mauvais avec soulèvement (...). Comme le mauvais goût, au physique, consiste à n’être
flatté que par les assaisonnements trop piquants et trop recherchés, ainsi le mauvais goût dans les
arts est de ne se plaire qu’aux ornements étudiés, et de ne pas sentir la belle nature”	
25
	ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l’industrialisation du goût, Paris, Éditions
du Cerf, 2008, p.19
27	
que les autres portent : c’est même un point essentiel, car plaire exige une
réciprocité. 	
	
Le bon goût ne peut pas être enseigné : il faut savoir sans apprendre, tout est dans
la suggestion. Par exemple, les courtisans doivent adopter une apparence très
désinvolte tout en faisant très attention aux détails. Là réside toute la complexité de
la façon d’être à la française, exigeant une certaine rigueur.	
Cela nécessite bien entendu un gros travail de préparation, pour donner
l’impression que tout est facile, que tout vient instinctivement. D’où l'apparition de
manuels du savoir vivre, comme un guide des bonnes manières, de codes, de
règles à suivre scrupuleusement : “Sous son voile de raffinement et avec ses
bienséances, l’ordre pacifique des civilités exprime toute la violence sourde des
relations mondaines dont la perte d’honneur constitue le pire des maux. En ce sens,
le bon goût nourrit et justifie la promotion comme la disgrâce sociale.”26
	
	
Dans la vie des courtisans, la grâce est souvent associée à la bonne conduite : “le
courtisan doit accompagner ses actions, ses gestes, ses manières, en somme tous
ses mouvements, de grâce”27
. La grâce vient d’ailleurs d’une vieille valeur
chrétienne qui signifie “l’acte par lequel on s’attire de la reconnaissance”. La grâce
qui accompagne le bon goût si cher aux courtisans n’a de valeur que si cette
conduite peut être décodée par ses adeptes mais échapper à la maîtrise des gens
routiniers. C’est ce qui est appelé plus communément la courtoisie. La réputation
des salons parisiens était très grande en Europe, puisqu’ils sont considérés comme
le temple du bon goût et de la bienséance, où l’art de la conversation à la française
s’exprime dans toute sa splendeur.	Les voyageurs étrangers de passage à Paris
cherchent à s’y introduire, en obtenant des « laisser-passer » par l’intermédiaire
d’habitués ou de lettres de recommandation. 	
	
Ce régime du bon goût soulève alors une question : si la noblesse aspirait à être
encore plus privilégiée et à étendre leur cercle d’influence, sans plus uniquement
se reposer sur le nom de naissance, n’existait-il pas dès alors une certaine mobilité
																																																								
26
	Ibid, p.31	
27
CASTIGLIONE Baldassar, Le livre du Courtisan, I, p.24
28	
sociale, même au plus haut de l’échelle ? En effet, il ne peut pas y avoir de conquête
ou disgrâce sans mobilité sociale. La machine est en marche. Le siècle des
Lumières reprend ces fondements posés quelques années auparavant pour ouvrir
la voie à une mobilité sociale à une encore plus grosse part de la société. 	
	
En effet, à l’heure des nouveautés, le bon goût permet de se projeter plus facilement
dans le futur. D’un côté, les nobles peuvent asseoir leur dominance sur leurs
semblables (toujours dans une logique de prestige), tandis que de l’autre, les
bourgeois s’enrichissent et se mettent à aspirer à posséder. Le courtisan doit
montrer qu’il est riche et qu’il est prêt à dépenser sans compter, et c’est cette
libéralité qui lui permet à la fois de montrer sa noblesse (la libéralité est une valeur
traditionnelle de la noblesse) et de se distinguer des bourgeois, réputés plus
économes et soucieux de gagner de l’argent.
	
Le fait est que pendant que les nobles se complaisent dans leurs habitudes oisives,
les bourgeois sont beaucoup plus ambitieux : ils se mettent à la tâche, puisqu’ils
aspirent dorénavant à jouir des biens matériels au même titre que les aristocrates.
Ils ont vite compris que le seul moyen d’y arriver était de se consacrer à leur métier,
et de faire prospérer leur affaire. Le mérite apporte alors son coup de grâce à
l’honneur. Le bon goût n’est alors plus synonyme de puissance politique mais
provoque la consommation immatérielle des bourgeois pour satisfaire leurs plaisirs
privés (à la différence de la noblesse, qui devait affirmer son statut et donc profiter
de ses privilèges en public)28
. 	
	
Au XIXème siècle, les bourgeois détiennent enfin des signes pour distinguer leur
classe sociale du petit peuple : ils se vêtissent maintenant de beaux habits, ils vivent
dans de belles maisons bien décorées, et possèdent une grande maîtrise des
civilités. Ils ont réussi à mettre peu à peu du beau dans leur vie, à coup d’efforts et
de reconnaissance sociale bien méritée. La société est ainsi de moins en moins
établie sur l’héritage et la naissance et s’ouvre à la fluidité des situations.
																																																								
28
	ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l’industrialisation du goût, Paris, Éditions
du Cerf, 2008, p. 43 : « On est ainsi passé d’une compensation symbolique indispensable à la
noblesse, à l’exigence d’une satisfaction traduite à terme en plaisirs matériels, pour tous les
aspirants à la fortune. (...) Il faut toucher les biens tangibles acquis par le labeur ».
29	
	
L'embellissement de la population à travers les temps s’explique ainsi par un
ensemble de valeurs communes, spécifiques à chaque époque. Le devoir, le plaisir
et la reconnaissance sont autant de moteurs qui ont permis aux citoyens français
de toucher du doigt une vie plus jouissive, en mettant tout simplement des pincées
de belles choses çà et là dans leur existence, en adhérant au régime du bon goût.
30	
MÉTHODOLOGIE	
	
Comme il a été démontré, la notion de luxe semble difficile à cerner. Après avoir
montré qu’il semblait exister plusieurs luxes, il paraitrait néanmoins que le bon goût
à la française ait transcendé les temps. La réflexion exprime un luxe intellectuel dont
la commercialisation ne serait pas seulement élitiste. 	
Afin de réaliser l’étude exploratoire, il est nécessaire d’interroger plusieurs
personnes ayant un certain niveau d’expertise en la matière afin de se forger une
opinion et développer un regard critique mais averti sur le sujet. L’idée est d’éveiller
l’esprit au sujet en me tenant informée des conférences à venir sur le thème, des
expositions à aller découvrir et en réalisant des études qualitatives auprès
d’experts. Le but était non pas seulement de dresser un simple constant, mais de
pousser la réflexion et chercher une véritable problématique s’articulant autour des
idées. 	
	
Au vu du caractère assez confidentiel et mystérieux qui plane autour du secteur du
luxe, recevoir l’aide d’experts en la matière n’était pas de trop. Ce document a donc
aussi été réalisé grâce à la sympathique collaboration de professionnels travaillant
dans le luxe, de membres de comité regroupant des marques de luxe, d’historiens,
de l’Association des Maitres-Cuisiniers de France et de collectionneurs d’art. Il m’a
semblé intéressant de confronter différentes visions, amenant chacune leur lot de
surprises et de révélations. Chaque personne interrogée m’a gentiment donné son
accord pour être citée29
, témoignant ainsi de leur intérêt pour cette problématique. 	
	
Les expositions et visites ont apporté une grande contribution. La découverte de
l’exposition Louis Vuitton à Paris, les Journées Particulières de LVMH ou encore la
visite du Château de Versailles ou du Musée Carnavalet m’ont semblées
absolument essentielles à l’aboutissement de ma réflexion.
Enfin, la curiosité et la soif de connaissance ont fait le reste.
																																																								
29
	Voir les retranscriptions des interviews dans leur intégralité en annexes	1 à 9, p. 77-111.
31	
FORMULATION D’UNE HYPOTHÈSE
La démocratisation du luxe n’est pas si récente, elle est même inévitable. Il existe
plusieurs luxes, et le luxe français a su définir le sien et l’imposer dans le monde.
Ce luxe découle d’un archétype politique et social intrinsèquement lié à la tradition
aristocratique de la Cour. L’art de vivre à la française s’est ancré lentement dans la
vie des Français. Les habitudes conditionnent le bon goût : les français ont été
habitués à l’art de vivre et il a fini par s’enraciner inconsciemment.
	
Lors de l’essor des gravures de mode, les dames les plus puissantes de Versailles
servaient de modèles aux créateurs de l’époque. Leur mode de vie inspirait toute
une nation, et les gravures de mode permettaient d’entrevoir ce monde fabuleux
l’espace d’un instant. Le luxe a toujours eu besoin d’égéries pour incarner sa
grandeur. Ces gravures de mode prouvent que le luxe s’adresse depuis toujours
aux puissants comme aux plus démunis. En effet, les gravures étaient moins
destinées aux courtisans qu’à émerveiller les classes sociales inférieures. La
démocratisation a toujours été le propos du luxe puisque dès les premières
campagnes de publicité de l’Histoire (en l’occurrence les gravures de mode), la cible
était ceux qui ne pouvaient pas accéder à ces produits. Les créateurs du XVIIème
n’étaient non pas dans une logique de vendre à tout le monde, mais de faire rêver
tout le monde.
À partir du XVIIIème, l’enrichissement de la bourgeoisie a élargi les classes de luxe.
Cette nouvelle bourgeoisie a acquis sa fortune non pas par son nom de naissance,
mais grâce au travail et au mérite. Motivés par l’envie d’accéder à tous ces produits
qui les faisaient jadis saliver, les bourgeois se mettent à imiter le mode de vie des
nobles. Le luxe s’ouvre alors à la mobilité sociale, un phénomène qui se reproduit
encore aujourd’hui, quelques centaines d’années plus tard.
Pareillement, à la fin des années 1800, les progrès industriels et mécaniques ont
permis un essor du luxe (comme on pourrait comparer au progrès d’aujourd’hui,
comme Internet qui a remis en questions beaucoup de principes du luxe). C’est
32	
notamment à cette époque qu’on voit apparaître de nouveaux produits, à moindre
prix et de moins bonne qualité, copiant les originaux.
Ce n’est que la suite logique, la corrélation inévitable que suit l’histoire du luxe. Il
n’est donc pas question d’une démocratisation du luxe puisque “le luxe n’a pas
attendu notre ère pour s’adresser aux classes sociales montantes”. 30
	
	
De plus, il faut tout de même garder à l’esprit que diffusion ne veut pas forcément
dire démocratisation : si la fréquentation des boutiques de luxe a augmenté, c’est
avant tout parce que la population française a elle-même augmenté, que les
éléments les plus attachés à ce mode de vie ont accru leur rythme de fréquentation,
et que le tourisme s’est développé et a donc ouvert la voie à de nouveaux
consommateurs.31
	
	
Pour finir, le luxe n’est pas qu’un bien matériel, il passe aussi par l‘élégance de la
vie quotidienne. Il peut se transmettre par l’éducation, mais il peut aussi se traduire
par un choix de style de vie, une adhésion à des valeurs, un goût pour le raffiné.
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
																																																								
30
	LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Éditions Gallimard, 2003	
31
	DONNAT Olivier avertit ses lecteurs quant à la confusion (à propos de la culture) dans son
ouvrage Les Français face à la culture : De l’exclusion à l’éclectisme, Paris, Éditions La
Découverte, 1994, p.10
33	
PARTIE 2 : Le luxe à la française, tout un concept 	
	
Les Français exportent du luxe dans 180 pays32
: personne ne fait mieux, pas même
la Suisse ou l’Italie qui la talonnent. Leader incontestable en matière de belles
choses et d’art de vivre, la France séduit par sa culture et son histoire riches en
traditions. Tout le monde applaudit l’excellence française. La France jouit
traditionnellement d’une image admirable, puisqu’elle est commodément associée
au luxe. Cela se comprend au travers de l’Histoire de France, qui vu naitre les
Maisons les plus puissantes du monde et qui a fait du luxe son domaine de
prédilection.
	
	
CHAPITRE 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de valeurs
fondamentales	
	
Il semble absolument inévitable de parler du règne de Louis XIV quand le poids de
l’héritage et du patrimoine dans le luxe français est étudié. Paris est devenue sous
sa monarchie la capitale du luxe en Europe, lançant les modes qui se répandaient
ensuite dans toutes les autres Cours du continent. Les experts s’accordent tous
pour dire qu’une rétrospective de cette époque met en lumière certains fondements
qui régissent encore le secteur du luxe de nos jours. Au fil des temps, le luxe
français s’est considérablement transformé, mais certaines valeurs fondamentales
résonnent toujours dans l’imaginaire collectif avec persistance. Le rayonnement de
la culture française passe beaucoup par la propagation d’un art de vivre et de modes
considérés comme intrinsèquement français.
En effet, la légitimité de l’excellence française dans le monde vient précisément de
cette période de l’histoire. L’idéal aristocratique et monarchique du XVIIème siècle
s’ancre profondément dans l’ADN des différents acteurs du luxe qui font la fierté de
la nation. Les ambassadeurs du prestige français puisent sans cesse dans ce vaste
vivier historique et culturel qu’est le nôtre, à l’intérieur duquel ils trouvent des
																																																								
32
	Émission Capital, diffuée sur M6 le 01
er
mai 2016 « Luxe : Pourquoi la France est-elle
championne du monde ? »
34	
images, des références : il suffit de compter le nombre de défilés au Trianon ou de
présentations de collections de Haute Couture à Versailles. Les étrangers semblent
d’ailleurs plus à même que les Français à décoder le poids de l’héritage culturel
dans l’essence des marques de luxe.
• L’image
Tout le monde connaît Louis XIV. D’ailleurs, lui-même savait que son nom sera
mondialement connu des centaines d’années plus tard. Mais tout le monde ne
connaît pas l’énergie que cet homme a su insuffler à notre patrie pour la faire
rayonner. Le Roi Soleil avait vite compris qu’il ne suffisait pas de grands chose pour
que la France domine le reste du monde dans le luxe.
Avant la Renaissance en Italie, il n’y avait aucun intérêt pour les belles choses en
France. Louis XIV était le premier mannequin, à lancer des modes. Le Roi Soleil
avait un charisme fou : beaucoup d’historiens expliquent ainsi pourquoi ses
successeurs n’ont pas été capables d’avoir le même impact que lui dans les
consciences. Il est le Roi qui fait naitre la notion d’« image » car il avait compris qu’il
fallait fasciner pour être imité. Esthète et amoureux des belles choses, il est le Roi
qui a réussi à habiller l’esprit de la France d’une touche de grandiose, en incarnant
un style de vie jusqu’au bout de son règne.
	
• Le château de Versailles
Louis XIV a toujours encouragé le superflu et les excès. Le plus bel exemple n’est
autre que le Château de Versailles, dont le chantier fut officiellement achevé en
1682. Versailles représente vraiment l’archétype ultime du luxe, l’aboutissement de
la vision que le Roi se faisait du faste. Le Château évoque depuis des siècles le
raffinement ultime qui mêle paraître, pouvoir et plaisir.
A l‘époque de Louis XIV, les fêtes organisées au Château étaient toujours celles
attendues avec la plus grande impatience. Réputées pour être les plus glamours
et les plus impressionnantes, Versailles se transformaient alors en véritable temple
du raffinement. Des décors extravagants à la qualité des banquets, en passant par
35	
la puissance des hôtes de marque, ces fêtes éblouissaient aussi bien ceux qui s’y
rendaient que ceux qui ne faisaient que se les imaginer. Chaque savoir-faire
français était divinement mis en scène ; les pâtisseries, les restaurants chics, les
réalisations impressionnantes des manufactures royales, la mode et le fameux
savoir recevoir. Louis XIV avait conçu Versailles comme une vraie vitrine de ce que
la France était capable de réaliser.
D’ailleurs, Jean Donneau de Visé relatait chacun de ses évènements dans les
pages du Mercure Galant. Selon lui, « les yeux en pouvoient à peine supporter
l’éclatante variété ». Ses articles étaient de véritables odes aux produits de luxe
français. Le but était dans un premier temps d’encourager le pouvoir de fascination
de la Cour sur les sujets français, mais aussi d’inciter les étrangers à venir découvrir
la ville où rien n’est assez beau pour les yeux. Dans un second temps, et puisque
que tout le monde ne pouvait pas participer à ces fêtes majestueuses ou se
déplacer jusqu’à Paris, l’auteur invitait à faire venir la capitale chez soi, en important
les objets précieux que seule Paris pouvait offrir au monde.
De nos jours, le Château de Versailles fabrique encore des rêves fous. Le Château
de Versailles continue chaque année d’entretenir la tradition en proposant aux
initiés ses « Fêtes Galantes ». L’idée est de faire revivre les soirées de l’époque de
Louis XIV, de se plonger dans la peau des Courtisans de l’époque, en dansant
comme au temps du Roi, dans des costumes baroques. Le temps d’une soirée, les
participants revivent avec nostalgie les fêtes exceptionnelles que le Château
accueillait en ses murs.
Également, le Château inspire et continuera d’inspirer des décors d’hôtels, de
cinéma, etc., qui sont d’ailleurs toujours réalisés selon les savoir-faire ancestraux
utilisés pour le bâtiment. Cela souligne d’autant plus la qualité et la technicité des
artisans français, qui sont toujours très reconnues aux quatre coins du monde. Le
Château de Versailles a activement participé à faire naître la reconnaissance du
travail français, son degré de technique et sa capacité d’innovation.
36	
• L’héritage de l’aristocratie française
	
Les marques de luxe française font sans cesse des allers-retours entre le monde
d’aujourd’hui et la monarchie du Roi Soleil. Cette époque possède un pouvoir de
fascination extrêmement fort. En effet, même si on ne se sent pas proches de ces
marques, le luxe véhicule un certain mystère, il possède cet étrange pouvoir à
susciter des affinités qui sont ancrées dans l’histoire. Le luxe français est
fréquemment associé à une espèce d’arrogance, de domination de supériorité. Les
étrangers disent souvent que le luxe français a quelque chose de noble, de
particulier. Ils ont en effet souvent du mal à mettre des mots sur cette particularité.
Il est intéressant de souligner que les autres nations nous voient souvent comme
des personnes très élitistes, très aristocratiques dans notre façon d’être33
. Si on se
place au XVIIème
siècle, dans la peau d’un courtisan de Versailles, le Roi est
omniscient : il savait, connaissait tout. Il faisait converger à sa cour des produits
alimentaires, et des processus de fabrication selon ses préférences. Au début de
son règne, Louis XIV portait des vêtements amples avec des tissus vaporeux et
précieux comme la mousseline. Ce tissu est à l’image du caractère surnaturel de la
monarchie. Par imitation, la population faisait en sorte de se procurer les mêmes
produits pour adopter le mode de vie du Roi. Si les nobles avaient une perruque, se
fardaient et portaient des talons hauts, c’était pour s’élever vers le haut, se donner
une apparence qui échappe au temps, le tout empreint d’une certaine spiritualité.
Les élites manifestent leur mysticisme à travers le luxe.
	
Les marques les plus prestigieuses du luxe français portent en elles un héritage lié
au modèle politique et social de la monarchie absolue. Cet héritage constitue une
incroyable source d’inspiration pour les marques. Le spot publicitaire de Dior pour
son parfum « J’adore » dans le décor de la Galeries des Glaces de Versailles (2011)
est une évocation magnifique de quelque chose qui ressemble un peu à la tradition
du ballet de cour, où tout le monde vient se costumer pour participer au spectacle.
																																																								
33
	Cette affirmation s’applique plus aux Parisiens, qu’au reste de la population française.
37	
Aussi, le défilé Chanel dans un supermarchés34
ou les déclarations chocs et le
porno-chic instauré par John Galliano sont de parfaits exemples du jeu simultané
avec désacralisation et sacralisation de la marque. Ce procédé permet de donner
un peu d’air à cet univers. Cette espèce d’irrévérence appartient aussi à la tradition
aristocratique française. En effet, entre la fin des années 1690 et le début des
années 1700, les créateurs de mode avaient déjà compris que le sexe pouvait faire
vendre. Les aristocrates jouaient avec le fruit défendu en abordant des tenues
beaucoup plus décontractées, comme les déshabillés qui dévoilaient leurs
décolletés et leurs jambes. Il s’agissait de se donner un air plus transgressif, plus
provocateur. Audacieuses, les dames de Versailles se voulaient carrément
érotiques. À noter que dévoiler une jambe à l’époque était bien plus choquant que
ne l’est la nudité aujourd’hui. L’aristocratie vit dans une transcendance mais elle
aime aussi se dévoyer, parce que la monarchie flirte toujours avec le profane. À
travers l’apparence, les nobles cachent les péchés originels.
	
• L’importance du luxe dans l’économie
	
C’est aussi sous son règne que la mode française explose. Il ne semble pas anodin
que le mot « mode » soit employé pour l’habillement. En effet, un vêtement est plus
« périssable » qu’un tableau ou un meuble, pour la simple et bonne raison que la
durabilité des matériaux est moindre. Cela explique aussi pourquoi nous sommes
amenés à les renouveler plus souvent. Chacun y trouve son compte, et le Roi Soleil
l’avait bien compris. Ce roulement de mode stimule d’une part la production
industrielle et profite ainsi à l’économie d’un pays. De l’autre, il permet le
rehaussement du niveau de vie général et empêche l’ennui des populations qui le
comble en dépensant.
La mode n’est qu’un exemple pour souligner à quel point le luxe avait un rôle
prépondérant dans l’économie de la France. Louis XIV avait compris que le luxe
participait à la puissance d’un pays et inversement. Avec son contrôleur général des
Finances, Jean-Baptiste Colbert, ils posent les bases des théories modernes du
																																																								
34
	Lors du défilé automne-hiver 2014-2015, pendant la Fashion Week de Paris.
38	
protectionnisme économique. Ils étaient tous deux déterminés à ce que la France
poursuive son règne sur les produits de luxe et que cette situation demeure
pérenne. Colbert s’est bien assuré que tous les aspects du commerce du luxe, des
réglementations commerciales aux taxes d’importation, soient conçus de manière
à favoriser la France et sa communauté d’artisans. Bien que largement contestée,
ce protectionnisme fut la force motrice de la création de la nouvelle image de la
France.
Et il n’est pas possible nier le fait que ce protectionnisme s’applique encore à notre
époque. Pourquoi les touristes asiatiques dévalisent t’ils les Sephora, les Chanel et
autres grandes marques lors de leur passage en France ? Pour la bonne raison que
c’est bien moins cher ici que chez eux ! Les taxes à l’importation des produits de
luxe, notamment français, sont démentielles : les marques françaises sont en
moyenne 40% plus chères en Chine. 35
Aussi, Louis XIV fut par exemple le premier à comprendre la dimension pacificatrice
du luxe. En effet, le goût pour les belles choses transforme les personnes : l’esprit
devient plus distingué. Par exemple, lors de la Guerre de Sécession (1701-1714),
Louis XIV et l’Angleterre étaient à la tête des deux coalitions qui s’opposaient.
Londres interdit alors l’importation des produits français. Mais les dames anglais en
vogue faisaient pression sur le gouvernement pour lever l’interdiction. Elles ne
voulaient surtout pas être démodées et pour ne pas l’être, il fallait qu’elles puissent
continuer de recevoir les fameuses poupées qui présentaient les dernières
tendances françaises.36
L’ambassadeur anglais finit par céder et accordât un
laisser-passer aux poupées de mode. Jusqu’à la fin de la guerre, ce fut le seul
produit autorisé à circuler entre les deux pays. Preuve irréfutable de l’influence des
produits de luxe français sur les mœurs diplomatiques.
																																																								
35
	Source : http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/17/chanel-va-baisser-ses-prix-en-
chine_4594911_3234.html	
36
	Voir Chapitre 7, p.21-23
39	
• La puissance de l’art
Louis XIV était très soucieux de sa gloire et de son prestige aux yeux des courtisans
mais aussi des autres souverains de son temps. C’est ainsi qu’il organisa tout un
patronage des arts et des lettres. Le prestige et le luxe affiché de la Cour de
Versailles s’inscrit dans cette politique. Ce fut globalement un succès puisque la
France devient le modèle à suivre au niveau artistique avec le style classique en
architecture, les jardins à la française et la diffusion du Français comme langue
internationale du beau monde. Louis XIV avait compris la force de l’art et ses
affinités avec le luxe. 37
Que le rayonnement politique de la France en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècle se
soit accompagné d'un rayonnement dans le domaine des arts et du goût n'a rien
d’étonnant. Il est certain que la force et l'unité du pouvoir central ont attiré en un
seul lieu une importante concentration La royauté française, de par sa suprématie
était une monarchie qui a été très associée au développement de l’art, puisque
protectrice des artistes. Molière, La Fontaine ou Le Vau ne seraient pas connus de
nos jours sans un précieux soutien royal. La volonté de faire de la France une nation
d’esthètes en mécénat et pensionnant des artistes a tout naturellement encouragé
ces mêmes artistes à se surpasser pour offrir des œuvres qui allaient s’inscrire dans
l’Histoire. En incitant au déploiement du bon goût et de la critique, Louis XIV à
participer à éveiller les consciences et à préfigurer le luxe moderne.
Alors oui, certes, le luxe français s’est considérablement inspiré des autres pays :
d’abord du luxe italien de la Renaissance, qui nous a entre autres fait adopter la
fourchette puis du luxe anglais qui a considérablement influencé les Français au
XVIIIème siècle. Il suffit d'entrer dans n'importe quel musée européen pour s'en
rendre compte. Il n’en reste pas moins que sous le règne de Louis XIV, l’Angleterre
importait 20 fois plus de produits de luxe qu’elle n’en exportait vers la France38
. A
méditer donc.
																																																								
37
	Voir Chapitre 8, p.48-50	
38
	Précisément à partir des années 1670 selon DEJEAN Joan dans Du Style (2006)
40	
CHAPITRE 6 : Le Bon Marché, l’apparition des Grands Magasins	
	
Au cœur du nouveau Paris d’Hausmann, l’invention de la seconde moitié du XIXème
siècle est le Grand Magasin. Le premier à sortir de terre est Le Bon Marché en 1852
et ce fut une vraie révolution en son temps. L’édifice est énorme et entièrement
conçu pour faire passer un moment féérique aux consommateurs dans le but de
faire vendre. Les objets sont sublimés par une ambiance de fête et de faste pour
compenser le peu d’aspect utilitaire qu’ils revêtent. Comme le décrit si bien Emile
Zola dans son livre Le Bonheur des Dames39
: « Les femmes vont là passer des
heures (…), elles entrent en lutte avec leur passion de la toilette et l’économie de
leur mari, enfin tout le drame de l’existence avec l’au-delà de la beauté ».
	
Un critique écrivit également un papier dans l’Orphéon du 5 janvier 1886, qui met
des mot sur la sensation que procure une visite au Bon Marché: « Les lumières, les
fleurs, les splendeurs entassées sous les yeux des invités, les artistes éminents
qu’on a applaudis, tout enfin miroite, bruit et se brouille dans la mémoire de la
personne la moins distraite et l’on reste ébloui, étourdi pendant quelques temps tout
en cherchant à retrouver la stabilité nécessaire à l’esprit pour développer un
jugement quelconque. »	En fait, à travers la diversité des biens qu’elle consommait,
la société cherchait de plus en plus son identité. Et selon les normes des Grands
magasins, les choses qu’une personne possède définissent son identité. En
d’autres termes, pour les bourgeois, consommer comme les aristocrates faisaient
d’eux des aristocrates. 	
	
Les Grands Magasins s’apparentent à une certaine forme de « démocratisation » du
luxe puisqu’ils intensifient l’achat de produits non nécessaires et autrefois réservés
à une élite. Ces nouveaux grands magasins bouleversent les codes établis avec la
diversité de l’offre, mêlant le futile et l’indispensable et utilisant des méthodes
nouvelles comme la libre entrée et service, les soldes ou encore la publicité. Les
riches comme les moins riches se font plaisir en consommant : c’est l’apparition du
shopping comme activité à plein temps.
																																																								
39
	Au Bonheur des Dames est un livre qui a été inspiré par Le Bon Marché.
41	
Il semble alors bien loin le temps où le luxe était synonyme de paroles magiques et
autres rites sacrés : bienvenue dans un monde où les belles choses et les prix
attractifs suffisent au bonheur des classes moyennes.40
	 Toutes les parisiennes
accourent, prises d’une irrésistible envie d’acheter. 	
Cette analyse est d’autant plus appuyée par un exemple très concret. Il suffit de se
pencher sur le nom particulier que porte le Grand Magasin qui a influencé tous les
suivants : Le Bon Marché. Cette dénomination n’a certainement pas été choisie au
hasard, puisqu’elle reflète parfaitement cette nouvelle tendance : une envie de
bonheur et de confort privé, mais pas au prix fort, la recherche des petits plaisirs de
la vie quotidienne qui rehausse la morosité de l’existence et lui apporte un peu de
piment. Le Bon Marché diffusait les valeurs et prônait l’art de vivre de l’aristocratie
auprès de l’ensemble de la classe moyenne française, et il y parvint en abaissant
les prix. Mais il y parvint aussi en devenant une sorte de manuel culturel de base. 	
	
Là encore, la réponse des élites est sans appel : ils refusent catégoriquement de
participer à ce nouvel étalage de richesse. Ils prônent le « luxe de simplicité » : une
élégance chic et discrète, dont les codes ne peuvent être perçus et interprétés que
par les personnes issues du même monde. Pour eux, le Grand Magasin ne se pliait
pas aux valeurs et mœurs traditionnels qu’ils avaient connus autrefois. Pire encore,
il montrait aux classes moyennes comment accéder au style de vie de la noblesse.
Le Grand Magasin, en rendant ce style de vie palpable, indiquait le chemin à suivre
pour en faire partie, à condition bien sûr d’avoir un minimum de moyens : « Tout ce
qu’une toilette cherche à cacher, dissimuler, augmenter et grossir plus que la nature
ou la mode ne l’ordonnent ou ne le veulent, est toujours censé vicieux. Aussi, toute
mode qui a pour but un mensonge est essentiellement passagère et de mauvais
goût ».	41
	
																																																								
40
	MILLER Michael, Au Bon Marché 1869-1920 ; Le Consommateur apprivoisé, Paris, Éditions
Armand Colin, 1987	
41
	DE BALZAC Honoré, Traité de la Vie Élégante dans Pathologie de la Vie Sociale, 1830
42	
Mais, au final, ce changement social a permis de redessiner, de restructurer les
traditions pour qu’elles puissent répondre aux nouveaux enjeux et s’adapter aux
nouveaux besoins.
De nos jours, le Bon Marché est considéré comme le Grand Magasins le plus chic
de la capitale. Étonnant puisqu’il était autrefois voué à offrir des prix moins chers
que les boutiques spécialisées. Racheté par le groupe LVMH en 1984, les
parisiennes élégantes ainsi que les coquettes du monde entier continuent
cependant de pousser chaque jour les portes de ce nouveau « temple du luxe » où
règne l’art de vivre à la française. Le Bon Marché, à réussi à s’imposer comme une
enseigne prestigieuse et entretient son statut de « monument ». C’est un bâtiment
qui est se visite, au même titre que les autres emblèmes de la capitale.
Il semblerait donc que le Bon Marché cultive activement son patrimoine. Un autre
exemple est la collection créée à l’occasion de ces 160 années d’existence. En
2012, le magasin revisite des motifs historiques, tirés des archives de la Maison, et
donne naissance à une collection dédiée. Pour l’occasion, les marques de luxe se
prêtent également au jeu et 160 d’entre elles rendent hommage à ce lieu
emblématique en réinterprétant leurs pièces iconiques pour le Bon Marché. Cette
collection unique, baptisée « Les Exclusifs » conjugue modernité, liberté et
créativité. Comme à l’époque, une mise en scène extraordinaire est orchestrée et
des expositions qui révèlent son histoire habillent le Grand Magasin : une façon
joyeuse de célébrer ce bel âge, dans une étonnante modernité.
	
S’il avait n’avais pas évolué depuis sa création, le Bon Marché n’aurait certainement
pas l’image grandiose qui le définit. Il ne s’est pas seulement contenté de continuer
à faire ce qu’il faisait déjà, c’est à dire vendre des objets, il est aussi devenu un lieu
de culture. En invitant régulièrement différents artistes à s’exprimer42
, le Bon
Marché fédère et émerveille.
	
La sortie de terre de ce temple de la consommation a jeté les bases de l’achat à
outrance, mais il a aussi permis une révolution sociale, en diffusant l’art de vivre.
																																																								
42
	L’illustratrice Marjane Satrapi, l’actrice Catherine Deneuve et le réalisateur Loïc Prigent pour
célébrer les 160 bougies du Magasins
43	
C’est d’ailleurs ce qui le maintient maintenant dans le domaine du luxe. En
préservant son côté historique et ses valeurs, Il n’oublie cependant pas de s’adapter
au gré des changements tout en créant un concept. En se voulant musée, Le Bon
Marché souligne d’autant plus l’importance de séparer le luxe dit matériel, du luxe
immatériel. Et le luxe immatériel n’a pas de prix.
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
	
				 	
	
	
	
	
	
	 	
Vue de l’intérieur du Bon Marché	43
	
	
																																																								
43
	Source de l’image : http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2013/05/france-
grands-magasins.html
44	
CHAPITRE 7 : Les Grandes Marques, naissance d’un mythe	
	
Il est difficile de parler de naissance d’une marque. Petits ateliers au début, les
marques s’établissent au gré du temps, et font grandir leur réputation
progressivement, autour de rencontres, de virtuosité et de secrets. En se rattachant
à des légendes, les grandes marques développent une épaisseur créatrice de
mythe et d’imaginaire.
	
En 1780, la toute première marque de luxe voit le jour : Chaumet. Devenu joaillier
officiel de Napoléon et de Joséphine en 1802, Marie-Etienne Nitot offre à la
Couronne de France le plus beau joyau, le Régent (140 carats), aujourd’hui exposé
au Musée du Louvre. Entre les années 1828 et 1854, Pierre François Guerlain ouvre
sa maison de parfumerie, Charles Christofle reprend la société de son beau-père,
Thierry Hermès débute son aventure de maroquinier et Jean-Louis Cartier s’installe
à son compte. A l’aube de la Belle Époque, l’Empire supporte ces nouveaux talents,
et Louis Vuitton devient le malletier attitré de l’impératrice Eugénie. Son fils George
dessine le célèbre monogramme en 1896 en hommage à son père et déjà pour
lutter contre la contrefaçon. Au milieu des années 1880, Jeanne Lanvin ouvre son
atelier et lance sa marque en 1909.
Cela fait de Lanvin la plus vieille Maison de
couture encore en activité. L’année 1909 marque les débuts de Gabrielle Chanel. 	
	
Avec l’invention de la Haute Couture au XIXème siècle, l’artisan est alors vu comme
un visionnaire, un véritable créateur au même titre qu’un artiste. Les produits sont
toujours aussi exceptionnels, mais à cela s’ajoute la renommée et le prestige du
fabriquant : la richesse des matériaux époustoufle, mais la magie de la marque fait
rêver. La marque doit avoir de vraies valeurs auxquelles une population peut se
repérer et s’identifier. Chez Chanel, Dior ou Yves Saint Laurent, le créateur est
comme sacralisé. Ils inspirent des cinéastes, ils suscitent le débat : le poids spirituel
des créateurs a été entretenu par ces marques. Les logos sont fétichisés et portent
une charge symbolique qui les hissent au statut d’emblème. Les marques de luxe
passent sans arrêt de l’histoire au conte, du conte au mythe. C’est pourquoi les
marques doivent se forger un véritable univers d’expression : elles peuvent le faire
en puisant dans leur histoire (Chanel) ou en réinventant une légende (Dom
45	
Pérignon). Certains des créateurs sont des novateurs, d’autres des héritiers, et
certains sont même des novateurs héritiers, par goût ou par fidélité. Orfèvres du
plaisir donné, ils sont porteurs d’une alchimie : ils font naitre un désir qui saura
mériter leur création, en lui donnant tout son sens.
Aussi, plus qu’un logo, un nom ou un visa social, la marque est une personne à part
entière, avec une personnalité qu’elle affiche haut et fort. Chaque marque, tout en
portant en majesté des valeurs d’élégance et de classe, propose un style de vie
bien à elle. C’est ainsi que le bon goût sépare le luxe du snobisme : l’initié achète
la marque qui lui ressemble, il ne se contente pas d’imiter. Cependant, il faut que
cet univers soit cohérent avec l’image que la marque veut donner d’elle pour éviter
qu’elle ne devienne qu’un simple exercice de style. L’honnêteté est une garantie de
réussite, c’est pourquoi on raconte des histoires vraies, autour des aventures des
fondateurs, presque comme une religion. Chanel est une marque qui ose : Gabrielle
Chanel était une avant-garde qui a participé à l’émancipation des femmes. Après
elle, les femmes ne seront plus jamais les mêmes, puisqu’elles ont conquis une
liberté nouvelle que Chanel a su préfigurer et accompagner : l’allure. Si Chanel
prône le chic minimaliste et fait l’éloge du noir et du blanc, c’est avant tout lié à
l’enfance de la créatrice. A l’orphelinat, elle portait le sarrau noir à col blanc des
orphelines. Elle, petite fille privée de tout, débarrasse les femmes gâtées par
l’existence de ce qui encombre, gène ou brouille, pour ne laisser place qu’à
l’essentiel. Le « less is more » est né. Encore aujourd’hui, c’est le credo de la
marque. Comme mentionné précédemment, les objets de grand luxe étaient à
l’origine utilisés pour partir à la conquête de l’éternité, comme assurer son salut
éternel après la mort. Coco Chanel est morte en 1988, mais la marque Chanel
continue d’exister. 	
A l’aube de notre millénaire, les marques ont dû redoubler d’efforts pour remporter
un combat difficile : celui d’allier les contraintes de la productivité à la créativité et
l’excellence. Les géants du luxe ont réussi à conjuguer innovation et transmission
de l’héritage : un challenge difficile. Dorénavant, le luxe est tourné vers le présent
et vers la seule consommation des œuvres immortelles du passé. Si le luxe veut
échapper à la fossilisation, il doit reconduire et actualiser les formules du passé.
46	
Entre tradition et mode, le luxe est devenu une sorte d’hybride, dont la survie repose
désormais sur son image. D’où la nécessité pour les grandes maisons de valoriser
leur passé : ces lieux de mémoire s’imposent comme de véritables mythes parce
que c’est au travers des légendes des origines que se façonnent les grandes
marques.44
Les Grandes Maisons qui font la fierté de la nation ont mérité leurs
majuscules par leur singularité, leur excellence, et souvent, leur mythologie. Si elles
contiennent des trésors, ce n’est pas pour les enfouir et encore moins pour les
cacher. En effet, autour de toutes ses anecdotes hasardeuses et de ses légendes,
le nom d’une marque devient ce qu’elle a créé, car la saveur de l’éphémère peut
parfois prendre un parfum d’éternité si elle se transmet.
	
En 1954, le Comité Colbert est créé à l’entreprise de Jean-Jacques Guerlain pour
rassembler les marques de luxe françaises (15 membres en 1954, 81 aujourd’hui)
autour de valeurs communes. De l’hôtellerie aux grands vins, en passant par la
Haute Couture et la gastronomie, tous les secteurs sont valorisés. Cette institution,
qui fait référence au ministre des finances du Roi Soleil, légitime les marques de
luxe françaises en terme d’excellence. Cet organisme a pour vocation de
promouvoir l’art, la culture française et le luxe. Le Comité Colbert n’est autre que
l’héritage d’une coutume monarchique protectrice des arts pour mieux les associer
à son rayonnement. A la croisée du luxe, de la culture et de l’art de vivre si chers à
la France, elle est l’héritière directe du règne du Roi Soleil. A l’image du Comité
Colbert, les comités Montaigne ou Vendôme sont les anges gardiens de deux lieux
emblématiques de la capitale : L’Avenue Montaigne qui aligne les plus puissantes
Maisons de luxe et la Place Vendôme, place emblématique de la joaillerie.
	
Le luxe fait désormais face à des enjeux majeurs : garder l’exception « culturelle »,
faire vivre les mythes bâtisseurs, affirmer la création comme ressort et demeurer
très sélectif. D’un côté il faut innover, surprendre, rajeunir la marque pour rester
compétitif : c’est le défi à court terme, celui de la mode. D’un autre, il faut maintenir
l’image d’éternité des marques et un halo d’intemporalité. Pour être en accord avec
les tendances, il faut palper l’air du temps. La Haute Couture doit être au summum
																																																								
44
	LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Paris, Éditions Gallimard, 2003
47	
du luxe, tout en étant au summum de la mode. C’est autour de ce paradoxe que se
jouent les plus grands challenges des ambassadeurs du luxe dorénavant. C’est
d’ailleurs ce à quoi répond le Comité Colbert à la problématique de cette étude : le
luxe français puise sa force dans sa capacité à s’adapter à la société, et à son
exceptionnelle créativité45
. Rien ne sera fait si l’amour du passé ne peut se marier
au meilleur de l’avenir.
Des marques comme Chanel ou Louis Vuitton sont presque aussi connues que le
drapeau tricolore : elles sont au Panthéon du génie français. Ces grandes marques
participent à faire rayonner l’image de la France dans le monde et la fascination qui
en ressort, puisqu’elles sont créatrices de tendances. Bernard Arnault est comme
un monarque à la tête de LVMH. Et si le rôle des marques ambassadrices de la
France était tout simplement d’éduquer les autres nations au bon goût ? 	
	
	
	
																																																								
45
	J’ai sollicité le Comité Colbert par email pour mon étude.
"Comment notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre monde actuel ? A travers l’exemple du Luxe en France »
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  • 1. N° d’ordre : 2016 - 195 Promotion 2016 Mémoire de recherche Présenté devant l’École de Commerce Européenne Pour l’obtention du Diplôme BBA INSSEC ÉCOLE DE COMMERCE EUROPÉENNE Par Ambre SACLIER « Comment notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre monde actuel ? A travers l’exemple du Luxe en France » Soutenu en juin 2016 _________________________________________________________________________ ÉTABLISSEMENT RECONNU PAR L’ÉTAT – DIPLÔME VISÉ PAR L’ÉTAT Groupe INSEEC
  • 2. 1 « Comment en effet mieux réchauffer les cœurs et les rassurer qu’avec cette preuve qu’on peut changer, mûrir, vieillir, tout en s’améliorant. » Comité Colbert
  • 3. 2 REMERCIEMENTS Je tenais à présenter mes remerciements tout d’abord à l’ensemble du corps enseignant du BBA INSEEC qui m’a donné l’opportunité de suivre un cursus passionnant, dans lequel je me suis épanouie depuis maintenant quatre ans. Aux portes du monde du travail, je réalise aujourd’hui combien vous m’avez apporté et à quel point mon esprit a mûri. Grâce à vous, je m’envole vers de nouveaux horizons pleine d’espoir et de bon sens. Mes pensées vont tout particulièrement à ma Directrice de Mémoire, Mme Niki PAPADOPOULOU, qui a porté avec moi ce projet du début jusqu’à sa finalisation. Cette étude n’aurait pas pu être menée à bien sans votre soutien et vos précieux conseils. J’adresse également mes remerciements à toutes les personnes que j’ai sollicitées durant la réalisation de mon mémoire : Mme Alice CAMUS, Mme Carenne ANDRE, Mr Mathieu DA VINHA, Mme Gloria RUSSO, Mr Yves BOREL, Mme Aurélie FOURTEAU, Mr Xavier LE PERSON, Mme Alice VANDERWALLE et Mr Martin GERLIER. Vous m’avez apporté un grand appui et une précieuse clairvoyance à chaque étape de ce projet. Avoir eu votre regard sur ma problématique a été d’une grande valeur. Enfin plus généralement, j’associe mes remerciements à tous ceux qui ont cru en mon sujet de mémoire et qui m’ont communiqué leur enthousiasme. C’est au contact de personnes de valeur que j’ai réussi à construire ce voyage dans le luxe et l’art de vivre. Une part de chacun de vous se retrouve dans les lignes qui vont suivre. A vous tous, merci.
  • 4. 3 Table des figures…………………………………………………………………….…..4 Introduction………………………………………………………………………………5 Partie 1 : Qu’est-ce que le luxe ? Chapitre 1 : Tentative de définition I. Généralités et étymologie………………………………………..7 II. Les différentes perceptions du luxe........................................11 Chapitre 2 : Brève Histoire du luxe en France.........................................................13 Chapitre 3 : Les secteurs clés de la France I. La Gastronomie .....................................................................16 II. Les Vins et Champagnes.......................................................19 III. La Haute Couture...................................................................21 IV. L’hôtellerie : Palaces et sens du service.................................23 Chapitre 4 : Le régime du bon goût.........................................................................26 Méthodologie........................................................................................................30 Formulation d’une hypothèse.............................................................................31 Partie 2 : Le luxe à la française : tout un concept Chapitre 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de valeurs fondamentales.........33 Chapitre 6 : Le Bon Marché, l’apparition des Grands Magasins .............................40 Chapitre 7 : Les Grandes Marques, créatrices de mythes.....................................44 Chapitre 8 : Le luxe, huitième art ?..........................................................................48 Partie 3 : L’importance des origines aujourd’hui Chapitre 9 : Le retour sur soi des marques, un argument de vente pertinent .......52 Chapitre 10 : Comment les marques jouent elles avec les émotions ?..................57 Chapitre 11 : Le cercle vertueux de la démocratisation..........................................62 Chapitre 12 : Le luxe français va-t-il réussir à atteindre ses ambitions futures sans pour autant mettre en danger sa culture et son identité ?....................66 Conclusion............................................................................................................71 Bibliographie & Sitographie................................................................................73 Annexes................................................................................................................76
  • 5. 4 TABLE DES FIGURES Figure 1 : La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow……………......9 Figure 2 : Gravure tirée du Mercure Galant de l’année 1678……………………...29 Figure 3 : Gravure de l’intérieur du Bon Marché……………………………….…...43 Figure 4 : Le Château de la Colle Noire, le 09 mai 2016…………………………..61
  • 6. 5 INTRODUCTION L’Histoire avec un grand H est bien plus riche que toutes les histoires que nous puissions inventer. Ce constat m’a toujours fascinée. Aussi, j’ai toujours été intimement convaincue que nombre d’interrogations du présent, voire du futur trouvent leurs réponses dans le passé. C'est alors tout naturellement que mon sujet de mémoire porte sur notre héritage culturel. Captivée par l’authentique et le beau, j’ai décidé d’explorer le secteur du luxe, au sens large. L’idée m’est venue lorsque j’ai découvert de plus en plus de publicités autour du luxe qui valorisaient les origines. Plusieurs éléments m’ont par la suite confortée dans mon choix, donnant de la pertinence à mon mémoire. Ma réflexion s’est portée sur le luxe à la française. Plus précisément, le sujet est question ici de l’art de vivre français, pour y dégager une vision plus culturelle et plus orientée qu’un sujet concentré uniquement sur les marques de luxe françaises. Ce périmètre géographique restreint est un choix personnel, découlant de l’idée que le luxe français constitue déjà en soit un sujet dense, riche de son histoire et de son patrimoine. Ces différentes réflexions préalables m’ont permis de dégager un sujet d’étude précis : En quoi notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre monde actuel ? À travers l’univers du luxe en France. Dans une première partie, la synthèse de littérature vise à cerner ce qu’est précisément le luxe. Après avoir constaté que les avis des écrivains comme l’étymologie semblent laisser penser que le luxe ne serait pas le même selon le regard qu’on lui porte, une analyse des différentes perceptions dégagera les principales caractéristiques du concept. Il s’en suivra une brève chronologie du luxe en France, puis l’analyse historique des secteurs clés qui font en partie la renommée de la France sur le plan international : la Gastronomie, les Vins et Champagnes, la Haute Couture et l’Hôtellerie.
  • 7. 6 Ensuite, l’étude se penchera sur le régime du bon goût, ou comment le style français s’est imprégné de toutes les différentes couches sociales, de façon volontaire ou inconsciente. Une fois le sujet bien défini, mes recherches se poursuivront à l’aide de différents moyens qui seront expliqués dans la méthodologie. Une hypothèse sera alors formulée pour développer mes idées. Puis la deuxième partie de cette étude a pour vocation de valider cette hypothèse. Pour ce faire, je m’appuierais sur l’étude approfondie d’une période, le règne de Louis XIV, puisque plusieurs éléments pertinents de réponse à ma problématique sembleraient trouver leurs racines à cette époque. De même, deux innovations, les Grands Magasins et les Grandes Marques seront à leur tour étudiées, parce qu’elles aussi décèlent des éléments, semble-t-il, qui confirment ma position. Pour finir, une mise en lumière des similitudes entre le luxe et l’art s’impose. Enfin, la troisième partie soulignera l’importance de nos origines. Les éléments de réponses abordés précédemment d’un point de vue historique seront transposés au monde actuel. Il s’agira de démontrer en quoi l’empreinte du passé constitue un argument de vente pertinent pour les marques en présentant pourquoi ce retour à leur essence est important et comment elles le cultivent. Ces deux chapitres achèveront le tracé du cercle vertueux de la démocratisation du luxe qui sévit depuis des années. Pour conclure, des recommandations seront formulées afin d’éviter la banalisation de l’image de l’art de vivre à la française : l’esprit de création doit demeurer. Un bel hier opposé au vil aujourd’hui, le refrain n’est pas nouveau. Il est usuel d’utiliser un passé enchanté qui viendrait adoucir un présent sans charme ni inspiration. Le “c’était mieux avant”, sous son aspect faussement passéiste, trouve une résonnance tout particulière ici, faisant écho au luxe à la française où passé et présent se mêlent.
  • 8. 7 PARTIE 1 : Qu’est-ce que le luxe ? Donner au luxe une seule définition serait réducteur. Il ne s’agit pas que d’un simple mot avec une définition précise, figée. Tout le concept va bien au-delà, parce que le luxe est un domaine si vaste que chacun le voit de sa propre façon, en résonnance avec ses perceptions, ses préférences et ses émotions. La notion est complètement subjective et propre à chacun. Preuve que même en terme d’explication, le luxe est insaisissable. C’est une conception à part, qui laisse le choix de l'interprétation : chacun doit y trouver sa définition. CHAPITRE 1 : Tentative de définition I. Généralités et étymologie Selon Jean Castarède1 , la complexité ne s’arrête pas à mettre des mots exacts sur ce qu’est le luxe, elle remonte avant tout à son étymologie. Bien que cette source soit contestée, il semblerait que le mot dérive du latin lux qui signifie “lumière, gloire”. Cette racine suggère donc que l’aura joue un grand rôle dans l’analyse et la compréhension du concept. En effet, si le luxe est à la fois ce qui rayonne et ce qui éblouit, le surnom que choisit d’adopter Louis XIV prend alors tout son sens : Le Roi Soleil. En témoigne aussi la manière dont la France s’enorgueillit toujours de ce luxe qu’elle exporte. Sinon, le mot “luxe” tel que nous le connaissons pourrait aussi venir d’un autre mot latin, luxus, référant quant à lui à l'excès, au faste, mais toujours avec une référence à la somptuosité. Cette étymologie désigne alors ce mode de vie dispendieux adopté par les riches et célèbres par goût du plaisir et de la monstration. Le luxe, si on mélange les deux origines, pourrait alors signifier une surabondance de somptuosités qui éblouit. La définition se tient. 1 Jean CASTAREDE, Que sais-je : Le Luxe, Paris, Édition PUF, 2010, p.3
  • 9. 8 D’ailleurs, le luxe a toujours divisé les esprits des Français en deux camps irréductiblement hostiles. D’un côté, il rappelle à certains l’époque des privilèges et met à mal l’idéal démocratique des républicains. De l’autre, il signifie pour ses partisans le réveil de la partie élitaire en chacun de nous qui aspire au beau. De plus, il s’acquiert et s’entretient par de grandes dépenses, ce qui lui vaut d’être tantôt vanté, tantôt critiqué. L’infinie querelle entre les deux philosophe Voltaire et Rousseau illustre bien cette division. Cette querelle est même personnifiée par une pendule exposée au Musée Carnavalet. D’un côté, Voltaire est un fervent défenseur du luxe parce qu’il le considère comme un moteur essentiel à l’économie. Il définit même le superflu comme « une chose très nécessaire»2 . Il pense que le luxe a trop souvent une connotation négative. Au contraire, Jean Jacques Rousseau y voit un principe d’exploitation du petit peuple et un ressort de toutes les décadences qui fracture la société. Ainsi, il est incompatible avec le bonheur. Le luxe est par conséquent perçu comme un moyen de paraître et non d’être, portant ainsi atteinte à la virtus (en latin : vertu ; volonté qui habilite l’homme à agir bien). Selon lui, le luxe n’est qu’un étalage de richesse, une dépense de prestige obligatoire des plus riches, pour affirmer sa hiérarchie dans la société et se différencier du commun des mortels. En quelques mots, le luxe est fait pour être contemplé et susciter les regards envieux de ceux qui n’y ont pas accès. En effet, toujours de nos jours, le luxe repose sur un principe d’ouverture/fermeture, une volonté de notoriété universelle mais avec un accès restreint : tout le monde doit connaître le luxe mais peu peuvent y accéder afin de conserver l’exclusivité. C’est à ce stade que se situe la spécificité du secteur. Dans la pyramide des besoins du psychologue Abraham Maslow3 , les besoins primaires (l’avoir) se distinguent des besoins secondaires (l’être). Cette séparation 2 VOLTAIRE, poème Le Mondain, 1736 3 Dans l’article, A Theory of Human Motivation, dans la revue Psychological Review n°50, 1943, p.370-396
  • 10. 9 permet de situer les besoins du consommateur et de comprendre à quel moment le luxe entre en jeu. Les besoins primaires symbolisent les produits de première nécessité comme l’alimentation, l’habillement, ou encore le besoin de rassurer en achetant des marques (respectivement besoins psychologiques et besoins de sécurité, les deux premiers piliers). Ensuite, la troisième catégorie concerne les besoins d’appartenance et de relations. Cela peut se traduire par la volonté d’adhérer à un club et de se sentir accepté, d’être bien dans sa peau. Puis, le quatrième palier est celui du besoin d‘être reconnu. Ce besoin repose sur l’estime de soi et d’autrui, le pouvoir et le bonheur. C’est à ce moment-là que le luxe entre en scène en proposant des produits de prestige qui résonnent dans l’imaginaire collectif et valorisent ainsi le possesseur aux yeux de tous. Enfin, le dernier palier représente l’épanouissement de soi et de la réalisation de soi. L’homme achète une personnalité, un style particulier qui lui parle. Le but n’est plus la reconnaissance, mais la volonté d’accéder à des produits rarissimes accessibles seulement à une partie de privilégiés, ou profiter d’expériences uniques en leur genre.
  • 11. 10 L’approche de Maslow est d’autant plus intéressante que le luxe en lui-même a un côté très subjectif, et donc forcément psychologique. Le luxe trouve sa réelle définition dans les expériences de vie de chacun, leur façon de voir les choses, et le moyen de satisfaire leurs besoins. Le luxe est le beau que chacun met dans sa vie, à sans façon, comme une valeur personnelle qui régalerait les seules narines que celui qui en jouit. D’ailleurs, Kapferer le souligne : “Le luxe n’est pas qu’un simple vocable, une pure création sémantique, mais un vrai concept sociologique et psychologique”. 4 Difficile donc de poser les contours d’un concept assez abstrait, qui n’a lui-même pas de limites puisqu’il trouve une part de vérité différente chez chacun de nous. Si le luxe doit exprimer quelque chose d’unique, alors les secteurs qui viennent alors immédiatement à l’esprit sont ceux de la Haute Joaillerie, de l’Automobile ou encore de la Haute Couture. C’est le premier cercle du luxe selon Jean Castarède5 , celui du patrimoine. Mais, ce champ restreint peut s’étendre à deux autres cercles du luxe : celui de l’image est celui du mieux-être. Le luxe est devenu est vrai style de vie, les codes ont changé. Certes, le luxe dépasse l’indispensable, et représente tout ce qui est considéré comme superflu et inutile. Mais le sa nature peut aussi signifier la splendeur et le raffinement dans l’art de vivre dans son ensemble : le luxe ne se cantonne pas à du matériel, l’expérience doit se retrouver jusque dans ses plus petites actions. Le luxe est partout, puisqu’il est intégré complètement dans la façon de vivre, mais à différents niveaux. Le luxe suprême est accessible à tous mais élitiste car peu savent le décrypter. C’est pourquoi cette étude s’étend à tous les domaines considérés comme luxueux : l’art, les Palaces, la Grande Cuisine, les Vins, ou plus étonnant encore, le style de vie. 4 KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige / On Luxury, 2ème Édition, Paris, Éditions Eyrolles, 2012 5 CASTARÈDE Jean, Le Luxe, Paris, PUF, 1992, p.63-64
  • 12. 11 II. Les différentes perceptions du luxe Il paraît compliqué et peu pertinent d’énumérer toutes les dimensions que le mot luxe peut suggérer. Une mise en perspective des différentes perceptions de luxe (par le temps et par l’espace) met en lumière les aspects fondamentaux d’un produit dit de luxe et d’en dégager les principales caractéristiques. ● Perceptions dans le temps Il faut comprendre que dans les années 1920-1930, les ménages ayant un réfrigérateur «se sentaient membres d’une aristocratie technologique»6 . Maintenant, c’est d’une banalité absolue. Pareillement, le luxe en 1950 pouvait signifier la télévision couleur, alors qu’il faut dorénavant avoir un modèle en réalité augmentée. Autant en 2200, le luxe pourra peut-être rimer avec la jeunesse éternelle ou les voyages dans l’espace. Cela suggère que le luxe serait une question de prix et d’innovation. Durant le XVIème siècle en France, le sucre était considéré comme un produit de luxe, qui répondait aux besoins des grands pâtissiers de l’époque. Avec la découverte du jus de betterave au début du XIXème siècle, le sucre perdit immédiatement toute sa dimension exclusive et se popularisa jusqu'à en devenir le produit de consommation insignifiant que l’on connaît7 . De même, le saumon fumé et le foie gras étaient autrefois considérés comme des produits de luxe puisque accessibles seulement à une élite. Dorénavant, les produits sont vendus en grandes surfaces, de qualités très variables et à tous les prix. Certains sont certes encore des produits de grande qualité, élaborés dans les règles de l’art, mais ils ne peuvent plus être appelés des produits de luxe. Au contraire, des produits comme le caviar restent exceptionnels parce qu’ils ne sont pas accessibles de partout, ou alors dans des points de ventes bien spécifiques. Cela suggère que le luxe est une question de rareté et d’unicité. 6 CATRY Bernard, Le luxe peut être cher, mais est-il toujours rare ?, Revue Française de Gestion N°171, Février 2007, p. 52 7 Ibid, p.51
  • 13. 12 Pierre Cardin était auparavant connu pour ses robes confectionnées par des couturières dans les ateliers parisiens. Mais son image de marque a été fragilisée par son recours à de nombreuses licences dans les années 1980-1990. Le créateur a fait le choix de se démocratiser pour pouvoir toucher une clientèle plus ample et faire grandir son chiffre d’affaires. Mais la stratégie choisie n’a pas été la bonne. Ses collaborations avec des enseignes comme Carrefour ont sérieusement mis en péril sa crédibilité. La plupart des adeptes rattache le luxe à une tradition et à un savoir-faire, souvent artisanal et fait-main. La temporalité joue un rôle important, se traduisant par des références culturelles. Cela suggère que le luxe est une question d’authentification d’un savoir-faire particulier et donc d’excellence. Dans les années 80, porter un sac Vuitton était presque considéré comme vulgaire. Maintenant, la marque a retrouvé son pouvoir d’attraction et de brillance sur les masses. Cela suggère que le luxe est une question d’émerveillement et de classe. ● Perceptions par l’espace Pour un habitant de Jakarta, le luxe peut signifier avoir un air pur sans pollution. En Europe, ce serait avoir une Bugatti Veyron. Cela suggère que le luxe définit un mode de vie sans contraintes et sans tensions. Le luxe d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier et certainement pas celui de demain : il peut refléter des réalités différentes. De nombreux produits autrefois considérés comme luxueux sont devenus des produits de masse. Aussi, les perceptions peuvent évoluer suivant l’espace, et les classes sociales. Le luxe d’une famille rentière (luxe d’exception) ne sera pas le même que celui d’une famille modeste (luxe de consommation). Le luxe est ainsi relatif aux expériences personnelles et émotionnelles de chaque individu. Pour finir, le luxe est également une question de moralité, voire d’éducation. Le luxe, au-delà de l’aspect matériel, peut alors devenir une attitude, un véritable mode de vie.
  • 14. 13 CHAPITRE 2 : Brève Histoire du Luxe en France Il convient de remonter le temps ensemble, de poser quelques jalons historiques pour observer le luxe d’hier. Il s’agit de comprendre pourquoi et comment il est né ainsi que ses évolutions à travers le temps, pour mieux déchiffrer les codes du luxe de demain. Je pense que chaque chose trouve son explication par son histoire, les faits qui l’ont construit et l’ont tant modifié. Notre épopée commence vers la fin de la Préhistoire. Aux alentours des Eyzies, un petit village de Dordogne, les archéologues ont retrouvé des objets qui s’apparentent à des accessoires de luxe, et plus particulièrement à des parures.8 En effet, l’or a été découvert en -5000 av JC, puis l’argent en -3000 av JC. Il paraît donc probable que les civilisations antérieures aient trouvé une utilité à ces métaux. La conclusion est assez aisée : la notion de luxe remonte à la nuit des temps, puisque détenir et utiliser des produits d’exception a toujours permis de montrer sa classe sociale. Ainsi, des inégalités de richesses existaient déjà à la période la plus rudimentaire que la France ait connu. En 808, Charlemagne prône le luxe utile et chasse le l’ostentation de la cour, avec une ordonnance qui interdisait d’acheter des vêtements au-dessus d’un certain prix. Cette ordonnance avait pour but de contenir le train de vie des nobles. C’est aussi le premier à faire de la cuisine un art, avec une réelle attention à la vaisselle et au décor des banquets. En 1229, l’enrichissement des bourgeois énerve Louis VIII, le Roi Cœur de Lion. Pour lui, porter de bijoux et habits précieux devait rester un privilège réservé à la haute noblesse. Pour contrer cette démocratisation, des lois somptuaires sont appliquées pour réglementer le port des riches vêtements.9 8 CASTARÈDE Jean, Histoire du Luxe en France, des origines à nos jours, Paris, Éditions Eyrolles, 2006, p.15-16 9 Ibid, p.90
  • 15. 14 A la sortie du Moyen Age, la Renaissance Française, menée par François Ier , apporte son lot de distractions et le luxe de maintenant commence à éclore, notamment avec les artistes qui entouraient le Roi. Le XVIIe siècle marque clairement l’avènement du luxe à la française, de l’élégance et du raffinement, avec pour exemple le lancement des chantiers de Chambord, l’ancêtre de Versailles. Là encore, des édits somptuaires sont promulgués, dans le but non seulement de limiter l’importation de belles matières étrangères, mais aussi pour creuser toujours plus l’écart vestimentaire entre bourgeois et aristocrates. Or, les édits somptuaires n’étaient pas souvent respectés par les bourgeois, qui préféraient payer les amendes plutôt que de renoncer à leur rêve d’élévation sociale. Voltaire le souligne d’une manière très juste : « L’histoire a prouvé que toutes les lois somptuaires des anciens et des modernes ont été partout, après un temps très-court, abolies, éludées ou négligées : la vanité inventera toujours plus de manières de se distinguer que les lois somptuaires n’en pourront défendre. »10 Louis XIV reprendra le flambeau de François Ier et accélèrera le processus en le poussant à son paroxysme. Il fonde en 1667 La Manufacture royale des Gobelins où son décorateur en chef, Charles Le Brun dirige une multitude d’orfèvres, ébénistes et autres talentueux artisans.11 Toutes les manufactures royales créées par Le Roi et son ministre Colbert jettent les fondements du luxe dit “industriel”. Mais, la Révocation de l’édit de Nantes en 1685 fait fuir à l’étranger de nombreux artisans (notamment les minorités protestantes), portant un sérieux coup au développement du luxe français et privant notre pays de précieux talents, que Louis XIV avait pourtant fait venir pour former les artisans français. Ce fut une des plus sérieuses erreurs du Roi Soleil dans sa volonté de faire de la France la reine du luxe. Au XVIIIème, le luxe est au beau milieu de toutes les controverses philosophiques, religieuses, économiques et morales. Paris est alors devenue la capitale de la mode, et les dépenses vestimentaires ont doublé, aussi bien chez les nobles que chez les classes inférieures. Le luxe, inégalitaire par essence, commence à être 10 VOLTAIRE, Œuvres complètes, Volume 1, Paris, Imprimeries de Fain, 1817, p.602 11 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert, Flammarion, Paris, 1995
  • 16. 15 critiqué. Mais, ce siècle de jouissances va curieusement le hisser au statut d’art de vivre. La monarchie continue d’encourager le savoir-faire français. En 1764 la marque Baccarat est créée, sur autorisation du Roi Louis XV, qui veut développer l’art de la porcelaine. Plus tard, Napoléon 1er et Napoléon III permettront eux aussi l’essor de nombreuses marques de luxe. Le XIXème siècle voit naitre la Haute Couture. Le premier défilé de couture par Charles Frederick Worth est présenté en 1845. La fin des années 1940 est menée par des personnalités avant-gardes comme Coco Chanel ou Christian Dior. C’est l’époque de la sacralisation des créateurs, qui promettent un échappatoire face à la dureté de la guerre.12 De 1980 aux années 2000, le luxe entre dans une nouvelle ère. Les petites entreprises familiales et artisanales deviennent de grands groupes internationaux focalisés sur une stratégie financière et industrielle. Louis Vuitton-Moët Hennessy (LVMH) devint en 1987 la première multinationale de marque. La mondialisation et la massification échafaudent un nouveau modèle économique et importunent les fondements du luxe français, qui se généralise et se banalise. Qui dit mondialisation dit extension de marque et hyper accessibilité. Le terme de démocratisation du luxe apparaît, condamnant la prolifération d’accessoires d’entrée de gamme, la distribution massive via Internet et la contrefaçon dont certaines marques souffrent beaucoup. De nos jours, le luxe se prend à rêver d’élévation, loin d’une société de consommation qui a montré ses limites : le nouveau luxe flirte avec émotionnel et expérientiel. Ainsi, déjà le luxe se transforme avec les découvertes artistiques et techniques, mais aussi au gré des conflits culturels. En quelques mots, le luxe accompagne l’histoire de l’humanité. 12 STEELE Valérie, Se Vêtir au XXème siècle, de 1945 à nos jours, Paris, Editions Adam Biro, 1998, p.12: “La mode fut peut-être une façon de nier l’humiliation de la défaite et de l’Occupation, voire une façon d’y résister. La créativité fut, à n’en pas douter, une réponse à la pénurie ».
  • 17. 16 CHAPITRE 3 : Les secteurs clés de la France La France sait qu’elle peut capitaliser sur certains secteurs, qui ont participé à forger sa renommée et qui continuent de faire sa fierté. Ce chapitre se focalise sur quatre secteurs qui semblent indissociables de la culture française : la Gastronomie, les Vins et Champagnes, la Haute Couture et les Palaces. Il paraît d’ailleurs intéressant de montrer que ces quatre secteurs semblent absolument indissociables les uns des autres. Ils se sont toujours entremêlés, comme solidaires pour promouvoir l’excellence française : Le restaurant du Plaza Athénée met le livre de cuisine de Christian Dior13 à l’honneur, en reprenant ses recettes dans un menu exceptionnel proposé lors de la Fashion Week ; César Ritz était ami avec le célèbre cuisinier Auguste Escoffier, qui va d’ailleurs le suivre à Paris et officier dans ses cuisines, aidant ainsi le Ritz à s’imposer très vite comme le rendez-vous de toute l’aristocratie européenne ; Les étiquettes des meilleurs Grands Crus et Cuvées de Champagnes se retrouvent sur toutes les tables des meilleurs restaurants gastronomiques, leurs meilleures des vitrines. I. La gastronomie La gastronomie est une indétrônable institution en France, avec pour exemple très concret l’attachement que porte les chefs cuisiniers français aux Étoiles, bien plus prononcé que dans n’importe quelle autre patrie. Pourtant, la même tyrannie est exercée dans les cuisines étrangères. Mais la gastronomie s’inscrit profondément dans la culture de la France. Le chef place la cuisine au cœur de sa vie, puisqu’il cherche continuellement à extraire la quintessence des produits à travers la recherche d’une sélection qui relève d’une grande investigation. C’est une notion dure à saisir pour quelqu’un qui n’est pas français. Un dire du magazine anglais The Independant illustre bien l’intensité du lien entre les chefs français avec le prestige 13 Peu savent que Christian Dior était un fin gourmet. Son livre La Cuisine Cousu-main (1972) témoigne pourtant de sa folle gourmandise.
  • 18. 17 d’un plat d’exception : “La norme Michelin- Gault et Millau est née en France, existe depuis plusieurs siècles et sera toujours à sa place dans le pays où la gastronomie est une question de vie ou de mort.” Cette passion pour la bonne cuisine n’était pourtant pas spécialement vouée à naître en France. L’histoire explique comment la gastronomie est devenue inhérente à la civilisation française. La suprématie de la France sur la bonne cuisine s’est forgée au fil des siècles. Le processus s’enclencha en 1651, avec la parution du livre de La Varenne (de son vrai nom François Pierre) : Le Cuisinier Français. Avec cet ouvrage, tout le monde a subitement envie de mieux manger. Les mets sont qualifiés de fins, de délicats : les palais prennent enfin conscience des saveurs et des plaisirs de la bonne cuisine. Ce livre fut d’ailleurs le premier à être traduit en de nombreuses langues. Réédité plus de quarante-six fois en moins de cinquante ans, le succès fut d’une ampleur sans précédent, aussi bien auprès des cuisiniers et des convives français, qu’à l’échelle internationale. De plus, la France jouissait déjà à cette époque d’un certain rayonnement sur l’ensemble du Vieux Continent, et même au-delà de ses frontières. Cette puissance n’a fait qu’augmenter l’engouement des populations étrangères pour ce nouvel art. Ce livre, et d’ailleurs la profusion d’ouvrages qui découla de cette parution, permit non seulement aux cuisiniers professionnels du monde entier de se perfectionner à cette nouvelle méthode, mais aussi aux amateurs de découvrir une nouvelle jouissance à laquelle s’adonner. La mode se répandit dans toutes les couches sociales, de l’aristocrate au routinier, qui se mirent alors à développer un goût certain, une conscience collective pour les bonnes recettes. La cuisine fut dès lors accessible à tous et plébiscitées par une large clientèle internationale : le savoir-faire français se retrouve dans chaque assiette fine et raffinée.14 14 DEJEAN Joan le précise dans Du Style (2006) : “La cuisine devint un élément essentiel de la nouvelle civilisation du bon goût (français, naturellement).”
  • 19. 18 Au travers de tous ces guides culinaires qui émergent dans la seconde moitié du XVIIème siècle, les Français sont encouragés à manger des produits plus raffinés cuits d’une façon plus fine. Lecteurs et auteurs se retrouvaient ainsi autour de valeurs communes puisqu’ils adhéraient tous à ce nouvel art culinaire. La cuisine traditionnelle était codifiée, ce qui a permis non seulement l’acceptation de ce changement d’alimentation, mais aussi de l’exporter. Cette tournure radicale dans la façon de consommer marque l'avènement d’une nation de gourmets. En 1674, un livre écrit par un chef dont seules les initiales sont connues, LSR, associe pour la première fois l’art culinaire à l’art de recevoir. C’est d’ailleurs son titre : L’Art de Bien Traiter. François Marin poursuit sur cette lancée avec la parution en 1739 des Dons de Comus, qui enseigne au fil des pages l’art de servir un repas avec la dernière élégance.15 Ces ouvrages témoignent que la cuisine est plus que boire et manger en France. Il s’en accompagne tout un art de la table. Encore aujourd’hui, les chefs cuisiniers savent rendre hommage aux illustres qui ont fait la réputation de leur métier, les plus anciens comme les plus contemporains. Cela souligne la valeur de la transmission du savoir-faire dans ce domaine. Pour en citer un, le Guide Culinaire d’Auguste Escoffier est toujours considéré comme une Bible par les plus grands Chefs du monde : Eric Fréchon le reconnaît dans une interview accordée à Madame le Figaro le 05 Mars 2016. Dorénavant, la France n’est plus la seule nation à donner naissance à des chefs capables de réaliser des plats exquis. La mondialisation et la croisée des influences ont fait que d’autres nations se distinguent par leur maîtrise de la cuisine. Mais la cuisine française peut s'enorgueillir de la richesse incroyable de l’art de vivre à table qu’elle tire de son héritage. Qu’elle soit modestement présentée dans les bistrots traditionnels, ou sur les tables des restaurants chics, la gastronomie française continue de réjouir les papilles des gourmets du monde entier. Cette souveraineté en est d’autant justifiée par le classement en 2010 du Repas gastronomique des Français au Patrimoine Mondial Immatériel de l’UNESCO. 15 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert, Flammarion, Paris, 1995
  • 20. 19 II. Les vins et champagnes Au fur et à mesure des années, les Français ont découvert des terres pourtant peu propices à la culture, mais qui semblaient ouvertes à la culture des vignes, et ainsi à produire du grand vin. Le Médoc émerge des marécages au 17ème siècle. Les domaines Saint Emilion, Saint Estèphe et Sauternes font prospérer la région jusqu’à la Révolution. Au milieu du 19ème siècle, le comble de la mode est d’être propriétaire d’un vignoble en Médoc : les vendanges sont l’occasion de rassemblements mondains. C’est de là que naquit l’idée de château, avec des règles, des codes et des charmes qui n’appartiennent qu’à lui. Le champagne baptise tous les moments marquants de la vie : c’est la boisson de la fête et des paillettes. Scintillant, le champagne est aimé de tous. Il se doit de remercier l’abbé Dom Pérignon, qui découvrit l’assemblage des cépages nécessaire pour faire du Champagne. Il paraît peu inattendu que ce soit un religieux qui le découvre, puisque depuis le Moyen-âge, les plus gros producteurs de vins étaient les monastères. S’il est certain que le moine fut le premier à trouver les ingrédients propices pour donner ce goût si unique au vin doré, le secret plane autour de la découverte du processus dans son ensemble. Certains écrits laissent penser que ce sont les Anglais qui auraient trouvé comment faire pétiller un vin tranquille, d’autres prétendent que c’est Dom Pérignon qui inventa la méthode Champenoise. La légende raconte que Dom Pérignon avait laissé des notes de ses recherches à son ami Dom Ruinart après sa mort en 1715. Son neveu, Charles Ruinart fonde en 1729 la plus vieille maison de champagne. Quoiqu’il en soit, le processus qui permet au vin de devenir effervescent ne fut complètement maitrisé qu’en 1880 avec la découverte de Pasteur sur la fermentation. Cela explique aussi pourquoi le Champagne était aussi cher : la demande dépassait largement l’offre parce que les pertes liées au problème de maitrise des bulles étaient gargantuesques (de 30 à 90% des productions).16 Aujourd’hui encore, le risque est présent lors du remuage des bouteilles et certaines continuent d’éclater. 16 DEJEAN Joan, Du Style, Editions Grasset, 2006, p.173
  • 21. 20 Les grands vins et les champagnes sont de véritables repères culturels pour leur clientèle, et il demeure encore de grandes traditions dans ce domaine. L’élaboration d’une bouteille de vin passe d’ailleurs par l’histoire, la civilisation, les paysages : c’est une culture ancrée dans un terroir. Pour protéger ce patrimoine et lutter contre la fraude, il fallait prendre des mesures et mettre en place des réglementations. C’est ainsi que sont créées les appellations. En France, on parle déjà de Bordeaux et de Bourgogne depuis le Moyen-âge. Au XVIIIème siècle, l’Américain Thomas Jefferson distingue 4 grands crus : Lafite, Latour, Margaux et Haut Brion. La notion de cru s’établit en Bourgogne en 1825 à l’initiative du Docteur Morelot qui analyse et classifie le vin selon des critères bien précis : couleur, corps, bouquet et finesse. Il faudra néanmoins attendre 1905 pour qu’une première délimitation géographique ne soit tracée pour les vins les plus réputés. Ce ne sera qu’à partir du 30 juillet 1935 que la qualité ne sera complètement assurée, avec la création du Comité National des Appellations Contrôlées. Si rouler en Bentley et s’inonder de “N°5” de Chanel est à la portée du premier gagnant au Loto, déguster un grand cru ou un champagne exceptionnel n’est accessible qu’aux palais initiés. Mais pour intégrer ce cercle d’amateurs éclairés, il faut d’abord pouvoir en reconnaître les symboles et surtout avoir la culture du plaisir de la dégustation, propre à la France. Argentine, Californie ou Australie : le vin n’est pas à l’abri des effets de la mondialisation. Si ces concurrents sont de plus en plus soucieux de qualité et de renommée, c’est toujours dans l’Hexagone que l’on produit les crus mythiques cités auparavant, ou encore les Cheval Blanc, Pétrus ou autres Romanée-Conti. Tous sont devenus des icônes au même titre que le sac Birkin d’Hermès. La culture française a su faire grandir la légende de ces précieux breuvages que le monde s’arrache. Toutes les caves des plus grandes tables étoilées et des plus grands palaces de notre pays affichent fièrement les étiquettes des meilleurs domaines, augmentant la visibilité des bouteilles et surtout en leur donnant une légitimité. En effet, l’important propriétaire de vignobles internationaux, le caviste Bernard Magrez, s’associe aux grands chefs pour corréler leurs efforts à faire rayonner la France en terme d’art de vivre. Le restaurant de son hôtel bordelais cinq étoiles, la Grande Maison, a vu passé des grands noms comme Joël Robuchon (le chef le plus étoilé du monde), et est maintenant tenu par Pierre Gagnaire, un des papes français de la gastronomie.
  • 22. 21 III. La Haute Couture Depuis des siècles, Paris garde précieusement les secrets d’un savoir-faire jalousée par les ateliers du monde entier. Paris a toujours été le point de chute de ceux à la poursuite de modes à la pointe du style. La Ville Lumière recèle en son sein certains des meilleurs créateurs que la mode n’ait jamais connu. Les débuts du commerce de la mode remontent aux alentours de 1670 à Paris. A cette époque, la Cour du Roi est de plus en plus exigeante en terme d’habillement. Ce nouveau commerce est d’autant plus facilité par l'avènement de moyens de plus en plus sophistiqués pour diffuser les nouvelles tendances. Il est notamment question ici de l’essor fulgurant de la presse, et principalement de la presse de mode, autrement dit le moyen de diffuser les dernières tendances au plus grand nombre. En 1672, un des pionniers du journalisme de mode est Jean Donneau de Visé. Son nom est aujourd’hui connu grâce au journal qu’il décidât de lancer cette année-là : Le Mercure Galant. Cette gazette était la première en son genre. Plus qu’un magazine de mode (le premier article sur la mode ne fut d’ailleurs paru qu’en janvier 1678), elle regroupait les actualités du moment, des indications sur le dernier style à suivre en matière d’art, de lettres, de décoration. Le Mercure Galant fut d’une inspiration sans précédent pour toutes les françaises de cette époque.17 Avant Le Mercure Galant, tous les vêtements de nobles étaient faits sur mesure. Depuis tout temps, les privilégiés étaient habitués à choisir leurs tissus et leurs modèles avec leurs tailleurs privés. À partir de la sortie du Mercure Galant, les nobles se lassent de ces vêtements, tellement uniques que personne ne les reconnaît. Ce phénomène est d’autant plus paradoxal quand aujourd’hui, avoir des vêtements élaborés sur mesure représente le summum du luxe. Pareillement, les gens fortunés d’aujourd’hui veulent en général se différencier et ne surtout pas ressembler à tout le monde. En effet, pour lancer une tendance, il faut bien que les autres la suivent. Bien entendu, il convient que le temps que les classes inférieures 17 DEJEAN Joan le fait remarquer dans Du style (2006) : “Donneau de Visé, en véritable génie du marketing, ne destinait pas sa publication aux femmes ayant la possibilité de constater par elles- mêmes les nouvelles tendances, mais bien aux ancêtres d’Emma Bovary, ces femmes enfermées dans les provinces qui rêvaient d’être aussi chic que la créature devenue mythique au moment même où la haute couture vit le jour, la Parisienne.”
  • 23. 22 copient cette tendance, les « reines de la mode » soient déjà passées à autre chose depuis au moins une saison. Il fallait donc constamment renouveler sa garde-robe. Et pour que les dames de cours étrangères soient au summum de la mode, il fallait qu’elles rivent les yeux sur Paris, la capitale de l’élégance, pour obtenir les dernières indications sur ce qu’il fallait porter pour cette saison-là. Il faut souligner que la domination de Paris sur la mode à cette époque réduit considérablement les distances sociales. La mode se propagea au sein de toute la population française. Certes, si les plus pauvres ne pouvaient pas se permettre de s’offrir les merveilleuses robes des courtisanes de Versailles, elles voulaient néanmoins participer au phénomène. La préoccupation pour la mode était telle, qu’elles commencèrent à changer leur apparence, à leur niveau. Elles arboraient par exemple des bas, des rubans ou autres produits accessibles. Mais le phénomène eut aussi une répercussion internationale. Les trente dernières années du 17ème siècle ont énoncé les leçons de base qui dictent encore l’industrie de la mode de nos jours. Les créateurs français avaient déjà bien compris que le recours à la publicité, aux égéries et la transgression des mœurs allait être le moyen de commercialiser la mode à la française au-delà des frontières. C’est grâce à ce regard visionnaire des marchands français que Paris devint capitale de la mode dans le monde. En effet, la clientèle pouvant se permettre d’acquérir des biens d’exception n’a jamais été très large. Les français à eux seuls ne pouvaient pas permettre aux couturiers d’être rentables : ils avaient besoin de clients étrangers. C’est à ce moment que deux innovations majeures virent le jour : les poupées et les gravures de mode. Les poupées existaient déjà depuis plusieurs années, mais elles restaient destinées à un usage privé, familial.18 Dans les dernières années du XVIIème, les marchands réalisèrent que ces poupées pouvaient être envoyées hors de France pour présenter les dernières collections aux dames étrangères. Les reproductions étaient particulièrement fidèles, jusque dans les moindres détails : les tissus étaient les mêmes utilisés que sur les vêtements originaux, et les accessoires complétaient la 18 Dans les années 1600, Henri IV envoyait des poupées à sa fiancée, Marie de Médicis, qui résidait en province, pour qu’elle soit au courant des tendances à la Cour.
  • 24. 23 tenue. Mais ces poupées avaient leurs limites. Même si les clientes de New York ou de Londres se les arrachaient, il fallait tout de même payer pour avoir le droit de la regarder, et encore plus cher pour avoir le privilège de la ramener chez soi et d’en jouir pleinement, sans cohue. Les marchands eurent alors une idée de génie et décidèrent d’introduire les gravures de mode. Facilement remplaçables et copiables, ces gravures permettaient de toucher un public plus large. Elles guidaient le goût vestimentaire mondial en imposant le style français, et en réaffirmant une fois de plus que ce style détenait le monopole du raffinement et du luxe. Ces gravures présentant les musts des saisons ouvriront la voie à la Haute Couture. Inventée pendant la seconde moitié du 19ème siècle par Monsieur Charles Frédéric Worth, La Haute Couture propose des collections en dehors de toute demande particulière, mais qui s’adaptent aux besoins de chaque client. Avant lui, la plupart des artisans sont inconnus : ils travaillent dans l’ombre, exécutant simplement les demandes de leurs commanditaires et ne bénéficient d’aucune reconnaissance du travail accompli. Tout va changer avec la Haute Couture, qui verra naître quelques années plus tard quelques-unes des marques les plus puissantes du monde. IV. L’hôtellerie : Palaces et sens du service Paris et la Côte d’Azur sont demeures des fleurons de l’hôtellerie dans le monde. Le Bristol, Le Negresco, Le Meurice ou le Ritz font rêver à la simple évocation du nom. Les palaces sont devenus de véritables institutions qui ennoblissent le prestige. Ces hôtels sont l’allégorie même de l’art de vivre à la française, où rien n’est assez raffiné. L’apparition des premiers hôtels de prestige en France se fait dans les dernières années du XIXème siècle. À cette époque, le goût pour le voyage se propage et le tourisme commence à prendre de l’importance. C’est aussi le siècle des inventions, comme l’ascenseur ou le téléphone, mises au service des clients. 19 19 LESURE Jean-Marc, Les Hôtels de Paris, Éditions Alphil, 2005
  • 25. 24 Dès la fin du XVIIIème, de nouvelles fortunes se créent et les très grandes familles aristocratiques cherchent un moyen de plus pour se différencier des bourgeois marchands. Ils ont alors l’idée de créer des lieux hors du commun, rassemblant objets et denrées rares et couteux. Habitués à voyager de châteaux en châteaux avec du personnel et des belles choses, les nobles savaient très bien ce que ces Palaces devaient être en mesure d’offrir. C’est grâce à ces exigences que les lieux ont atteint un tel niveau d’excellence.20 Le premier à sortir de terre, sous les ordres de Napoléon III pour les besoins de l’Exposition Universelle, est le Grand Hôtel du Louvre en 1854. Mais surtout, le véritable supplément d’âme des hôtels de luxe réside dans la qualité du personnel. La notion de Relation Client a été inventée dans les hôtels de luxe. Si la réputation du sens de l’accueil et du service à la française n’est plus à faire, elle reste néanmoins fondamentale et contribue fortement à la part d’émerveillement que ressent le client quand il descend dans un palace. Le service en France est réputé pour être impeccable. La discrétion se mêle subtilement à la sympathie, et le client a alors l’impression que tous ses souhaits peuvent être réalisés. D’ailleurs, il paraît tout à fait logique que la France ait vu naître l’Association des Clés d’Or (1929), une organisation mondialement connue et respectée, qui ne compte pas moins de 3 000 concierges de palaces et hôtels de luxe dans le monde. Il va sans dire que pour arriver à cette distinction, il faut littéralement avoir porté sa fonction à la perfection. Le Concierge joue un rôle essentiel, mais il fait aussi parti d’un engrenage de talents qui font vivre les traditions de l’art de recevoir à la française. Ici résidait tout le génie de Vatel qui inspire toujours les plus grands noms de l’hôtellerie de luxe. Quand Antoine Beauvilliers ouvre le premier véritable restaurant en 178221 au Palais Royal, baptisé « La Grande Taverne de Londres », il trouve la gloire non seulement dans la qualité de ses plats, mais aussi dans la magie qui régnait dans son restaurant : un décor enchanteur, une vaisselle magnifique, une ambiance particulière et un 20 COQUERY Natacha, L'hôtel aristocratique : Le marché de luxe á Paris au XVIIIème siècle, Paris, Publications de La Sorbonne, 1998 21 1782 selon Brillat Savarin, d’autres auteurs prétendent 1786
  • 26. 25 personnel aux petits soins. Il se distinguait par sa mémoire exceptionnelle pour les habitudes des clients, ce qui leur donnait l’impression d’être uniques. Encore aujourd’hui, certains chefs tiennent des Rolodex : un petit fichier qui recense toutes les habitudes alimentaires, les préférences et les allergies des habitués de la maison. Le personnel peut ainsi guider les choix des clients, assurant un service sans aucune fausse note. C’est sur ce modèle d’un nouveau genre que les hôtels de prestige voient le jour. Un Palace doit mêler harmonieusement gastronomie, service à la hauteur de l’établissement, cave exceptionnelle, décoration fastueuse et emplacement chargé d’histoire. Depuis le 8 novembre 2010, l’appellation « Palace » récompense les hôtels de luxe avec les caractéristiques les plus exceptionnelles. 16 établissement sont décorés de cette belle distinction, et tous sont en France : 8 à Paris, 3 à Courchevel, 2 à St Tropez, 1 à Biarritz, 1 à St-Jean-Cap-Ferrat et 1 à Ramatuelle. 22 Comme le dit si bien Didier le Calvez23 : « Dans un monde à la recherche de ses repères, les Palaces, résolument intergénérationnels, tels des ponts entre le passé et le présent, tels des garants d’un art de vivre, offrent des refuges au cœur des grandes métropoles où l’on retrouve des valeurs, peut-être d’une autre époque mais toujours d’actualité́, faites de savoir-vivre et de courtoisie “. Autour des subtilités de la cuisine gastronomique, de la mise en scène de l’instant présent, et de la qualité du service, le tout orchestré tel un ballet, il se dégage des palaces un retour au temps passé troublant. 22 Site Atout France : http://atout-france.fr/content/connaitre-les-16-etablissements-distingues- palace 23 Dans la préface du livre d’ENHART Hélène, Palace : du mythe à la reconnaissance officielle, Paris, Éditions BPI, 2004
  • 27. 26 CHAPITRE 4 : Le régime du bon goût Dans le sens usuel, le luxe se rattache au faste, à la somptuosité et au raffinement dans la façon de vivre. Pour comprendre ces affirmations, il est nécessaire d’analyser comment les aristocrates ont placés le bon goût, la grâce et la présence d’esprit au centre de leurs préoccupations à la cour du Roi de France, puis comment ce bon goût a ensuite atteint les couches sociales inférieures. Vestige de la Renaissance, la Cour des Rois français, et plus particulièrement celle de Louis XIV, a habillé cet art de vivre. Il est dans un premier temps intéressant de préciser que le mot “goût” renvoie aux aliments. Dans l’article de Voltaire24 , il est démontré que non seulement les goûts de chacun divergent mais surtout que le goût est indissociable du dégoût, l’un n’allant pas sans l’autre. Il semblerait donc que seules des papilles de connaisseurs peuvent affirmer si tel ou tel produit à un bon goût, et donc que des codes doivent être instaurés pour plébisciter le bon goût au détriment du mauvais. A la Cour, plaire est signe de puissance. La Renaissance marque la montée de valeurs humanistes et individualistes, soulageant les nobles du poids de la réputation et leur permettant ainsi de tracer leurs propres chemins, d’être maître de leur destinée. L'intérêt du bon goût est alors de se distinguer des autres à l’aide d’aptitudes qui se jouent de l'esthétisme. Les nobles voyaient dans le goût le moyen d'attirer la reconnaissance, non pas seulement des classes sociales supérieures dont ils voulaient tirer profit, mais aussi des classes inférieures dans les yeux desquels ils voulaient briller25 . La reconnaissance de soi passe aussi dans le regard 24 Dans son article “Goût”, issu l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Tome VII, 1751-1772, p.761: “le Goût, ce sens, ce don de discerner nos aliments, a produit dans toutes les langues connues la métaphore qui exprime, par le mot goût, le sentiment des beautés et des défauts dans tous les arts : c’est un discernement prompt, comme celui de la langue et du palais, et qui prévient comme lui la réflexion : il est comme lui, sensible et voluptueux à l’égard du bon ; il rejette comme lui, le mauvais avec soulèvement (...). Comme le mauvais goût, au physique, consiste à n’être flatté que par les assaisonnements trop piquants et trop recherchés, ainsi le mauvais goût dans les arts est de ne se plaire qu’aux ornements étudiés, et de ne pas sentir la belle nature” 25 ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l’industrialisation du goût, Paris, Éditions du Cerf, 2008, p.19
  • 28. 27 que les autres portent : c’est même un point essentiel, car plaire exige une réciprocité. Le bon goût ne peut pas être enseigné : il faut savoir sans apprendre, tout est dans la suggestion. Par exemple, les courtisans doivent adopter une apparence très désinvolte tout en faisant très attention aux détails. Là réside toute la complexité de la façon d’être à la française, exigeant une certaine rigueur. Cela nécessite bien entendu un gros travail de préparation, pour donner l’impression que tout est facile, que tout vient instinctivement. D’où l'apparition de manuels du savoir vivre, comme un guide des bonnes manières, de codes, de règles à suivre scrupuleusement : “Sous son voile de raffinement et avec ses bienséances, l’ordre pacifique des civilités exprime toute la violence sourde des relations mondaines dont la perte d’honneur constitue le pire des maux. En ce sens, le bon goût nourrit et justifie la promotion comme la disgrâce sociale.”26 Dans la vie des courtisans, la grâce est souvent associée à la bonne conduite : “le courtisan doit accompagner ses actions, ses gestes, ses manières, en somme tous ses mouvements, de grâce”27 . La grâce vient d’ailleurs d’une vieille valeur chrétienne qui signifie “l’acte par lequel on s’attire de la reconnaissance”. La grâce qui accompagne le bon goût si cher aux courtisans n’a de valeur que si cette conduite peut être décodée par ses adeptes mais échapper à la maîtrise des gens routiniers. C’est ce qui est appelé plus communément la courtoisie. La réputation des salons parisiens était très grande en Europe, puisqu’ils sont considérés comme le temple du bon goût et de la bienséance, où l’art de la conversation à la française s’exprime dans toute sa splendeur. Les voyageurs étrangers de passage à Paris cherchent à s’y introduire, en obtenant des « laisser-passer » par l’intermédiaire d’habitués ou de lettres de recommandation. Ce régime du bon goût soulève alors une question : si la noblesse aspirait à être encore plus privilégiée et à étendre leur cercle d’influence, sans plus uniquement se reposer sur le nom de naissance, n’existait-il pas dès alors une certaine mobilité 26 Ibid, p.31 27 CASTIGLIONE Baldassar, Le livre du Courtisan, I, p.24
  • 29. 28 sociale, même au plus haut de l’échelle ? En effet, il ne peut pas y avoir de conquête ou disgrâce sans mobilité sociale. La machine est en marche. Le siècle des Lumières reprend ces fondements posés quelques années auparavant pour ouvrir la voie à une mobilité sociale à une encore plus grosse part de la société. En effet, à l’heure des nouveautés, le bon goût permet de se projeter plus facilement dans le futur. D’un côté, les nobles peuvent asseoir leur dominance sur leurs semblables (toujours dans une logique de prestige), tandis que de l’autre, les bourgeois s’enrichissent et se mettent à aspirer à posséder. Le courtisan doit montrer qu’il est riche et qu’il est prêt à dépenser sans compter, et c’est cette libéralité qui lui permet à la fois de montrer sa noblesse (la libéralité est une valeur traditionnelle de la noblesse) et de se distinguer des bourgeois, réputés plus économes et soucieux de gagner de l’argent. Le fait est que pendant que les nobles se complaisent dans leurs habitudes oisives, les bourgeois sont beaucoup plus ambitieux : ils se mettent à la tâche, puisqu’ils aspirent dorénavant à jouir des biens matériels au même titre que les aristocrates. Ils ont vite compris que le seul moyen d’y arriver était de se consacrer à leur métier, et de faire prospérer leur affaire. Le mérite apporte alors son coup de grâce à l’honneur. Le bon goût n’est alors plus synonyme de puissance politique mais provoque la consommation immatérielle des bourgeois pour satisfaire leurs plaisirs privés (à la différence de la noblesse, qui devait affirmer son statut et donc profiter de ses privilèges en public)28 . Au XIXème siècle, les bourgeois détiennent enfin des signes pour distinguer leur classe sociale du petit peuple : ils se vêtissent maintenant de beaux habits, ils vivent dans de belles maisons bien décorées, et possèdent une grande maîtrise des civilités. Ils ont réussi à mettre peu à peu du beau dans leur vie, à coup d’efforts et de reconnaissance sociale bien méritée. La société est ainsi de moins en moins établie sur l’héritage et la naissance et s’ouvre à la fluidité des situations. 28 ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l’industrialisation du goût, Paris, Éditions du Cerf, 2008, p. 43 : « On est ainsi passé d’une compensation symbolique indispensable à la noblesse, à l’exigence d’une satisfaction traduite à terme en plaisirs matériels, pour tous les aspirants à la fortune. (...) Il faut toucher les biens tangibles acquis par le labeur ».
  • 30. 29 L'embellissement de la population à travers les temps s’explique ainsi par un ensemble de valeurs communes, spécifiques à chaque époque. Le devoir, le plaisir et la reconnaissance sont autant de moteurs qui ont permis aux citoyens français de toucher du doigt une vie plus jouissive, en mettant tout simplement des pincées de belles choses çà et là dans leur existence, en adhérant au régime du bon goût.
  • 31. 30 MÉTHODOLOGIE Comme il a été démontré, la notion de luxe semble difficile à cerner. Après avoir montré qu’il semblait exister plusieurs luxes, il paraitrait néanmoins que le bon goût à la française ait transcendé les temps. La réflexion exprime un luxe intellectuel dont la commercialisation ne serait pas seulement élitiste. Afin de réaliser l’étude exploratoire, il est nécessaire d’interroger plusieurs personnes ayant un certain niveau d’expertise en la matière afin de se forger une opinion et développer un regard critique mais averti sur le sujet. L’idée est d’éveiller l’esprit au sujet en me tenant informée des conférences à venir sur le thème, des expositions à aller découvrir et en réalisant des études qualitatives auprès d’experts. Le but était non pas seulement de dresser un simple constant, mais de pousser la réflexion et chercher une véritable problématique s’articulant autour des idées. Au vu du caractère assez confidentiel et mystérieux qui plane autour du secteur du luxe, recevoir l’aide d’experts en la matière n’était pas de trop. Ce document a donc aussi été réalisé grâce à la sympathique collaboration de professionnels travaillant dans le luxe, de membres de comité regroupant des marques de luxe, d’historiens, de l’Association des Maitres-Cuisiniers de France et de collectionneurs d’art. Il m’a semblé intéressant de confronter différentes visions, amenant chacune leur lot de surprises et de révélations. Chaque personne interrogée m’a gentiment donné son accord pour être citée29 , témoignant ainsi de leur intérêt pour cette problématique. Les expositions et visites ont apporté une grande contribution. La découverte de l’exposition Louis Vuitton à Paris, les Journées Particulières de LVMH ou encore la visite du Château de Versailles ou du Musée Carnavalet m’ont semblées absolument essentielles à l’aboutissement de ma réflexion. Enfin, la curiosité et la soif de connaissance ont fait le reste. 29 Voir les retranscriptions des interviews dans leur intégralité en annexes 1 à 9, p. 77-111.
  • 32. 31 FORMULATION D’UNE HYPOTHÈSE La démocratisation du luxe n’est pas si récente, elle est même inévitable. Il existe plusieurs luxes, et le luxe français a su définir le sien et l’imposer dans le monde. Ce luxe découle d’un archétype politique et social intrinsèquement lié à la tradition aristocratique de la Cour. L’art de vivre à la française s’est ancré lentement dans la vie des Français. Les habitudes conditionnent le bon goût : les français ont été habitués à l’art de vivre et il a fini par s’enraciner inconsciemment. Lors de l’essor des gravures de mode, les dames les plus puissantes de Versailles servaient de modèles aux créateurs de l’époque. Leur mode de vie inspirait toute une nation, et les gravures de mode permettaient d’entrevoir ce monde fabuleux l’espace d’un instant. Le luxe a toujours eu besoin d’égéries pour incarner sa grandeur. Ces gravures de mode prouvent que le luxe s’adresse depuis toujours aux puissants comme aux plus démunis. En effet, les gravures étaient moins destinées aux courtisans qu’à émerveiller les classes sociales inférieures. La démocratisation a toujours été le propos du luxe puisque dès les premières campagnes de publicité de l’Histoire (en l’occurrence les gravures de mode), la cible était ceux qui ne pouvaient pas accéder à ces produits. Les créateurs du XVIIème n’étaient non pas dans une logique de vendre à tout le monde, mais de faire rêver tout le monde. À partir du XVIIIème, l’enrichissement de la bourgeoisie a élargi les classes de luxe. Cette nouvelle bourgeoisie a acquis sa fortune non pas par son nom de naissance, mais grâce au travail et au mérite. Motivés par l’envie d’accéder à tous ces produits qui les faisaient jadis saliver, les bourgeois se mettent à imiter le mode de vie des nobles. Le luxe s’ouvre alors à la mobilité sociale, un phénomène qui se reproduit encore aujourd’hui, quelques centaines d’années plus tard. Pareillement, à la fin des années 1800, les progrès industriels et mécaniques ont permis un essor du luxe (comme on pourrait comparer au progrès d’aujourd’hui, comme Internet qui a remis en questions beaucoup de principes du luxe). C’est
  • 33. 32 notamment à cette époque qu’on voit apparaître de nouveaux produits, à moindre prix et de moins bonne qualité, copiant les originaux. Ce n’est que la suite logique, la corrélation inévitable que suit l’histoire du luxe. Il n’est donc pas question d’une démocratisation du luxe puisque “le luxe n’a pas attendu notre ère pour s’adresser aux classes sociales montantes”. 30 De plus, il faut tout de même garder à l’esprit que diffusion ne veut pas forcément dire démocratisation : si la fréquentation des boutiques de luxe a augmenté, c’est avant tout parce que la population française a elle-même augmenté, que les éléments les plus attachés à ce mode de vie ont accru leur rythme de fréquentation, et que le tourisme s’est développé et a donc ouvert la voie à de nouveaux consommateurs.31 Pour finir, le luxe n’est pas qu’un bien matériel, il passe aussi par l‘élégance de la vie quotidienne. Il peut se transmettre par l’éducation, mais il peut aussi se traduire par un choix de style de vie, une adhésion à des valeurs, un goût pour le raffiné. 30 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Éditions Gallimard, 2003 31 DONNAT Olivier avertit ses lecteurs quant à la confusion (à propos de la culture) dans son ouvrage Les Français face à la culture : De l’exclusion à l’éclectisme, Paris, Éditions La Découverte, 1994, p.10
  • 34. 33 PARTIE 2 : Le luxe à la française, tout un concept Les Français exportent du luxe dans 180 pays32 : personne ne fait mieux, pas même la Suisse ou l’Italie qui la talonnent. Leader incontestable en matière de belles choses et d’art de vivre, la France séduit par sa culture et son histoire riches en traditions. Tout le monde applaudit l’excellence française. La France jouit traditionnellement d’une image admirable, puisqu’elle est commodément associée au luxe. Cela se comprend au travers de l’Histoire de France, qui vu naitre les Maisons les plus puissantes du monde et qui a fait du luxe son domaine de prédilection. CHAPITRE 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de valeurs fondamentales Il semble absolument inévitable de parler du règne de Louis XIV quand le poids de l’héritage et du patrimoine dans le luxe français est étudié. Paris est devenue sous sa monarchie la capitale du luxe en Europe, lançant les modes qui se répandaient ensuite dans toutes les autres Cours du continent. Les experts s’accordent tous pour dire qu’une rétrospective de cette époque met en lumière certains fondements qui régissent encore le secteur du luxe de nos jours. Au fil des temps, le luxe français s’est considérablement transformé, mais certaines valeurs fondamentales résonnent toujours dans l’imaginaire collectif avec persistance. Le rayonnement de la culture française passe beaucoup par la propagation d’un art de vivre et de modes considérés comme intrinsèquement français. En effet, la légitimité de l’excellence française dans le monde vient précisément de cette période de l’histoire. L’idéal aristocratique et monarchique du XVIIème siècle s’ancre profondément dans l’ADN des différents acteurs du luxe qui font la fierté de la nation. Les ambassadeurs du prestige français puisent sans cesse dans ce vaste vivier historique et culturel qu’est le nôtre, à l’intérieur duquel ils trouvent des 32 Émission Capital, diffuée sur M6 le 01 er mai 2016 « Luxe : Pourquoi la France est-elle championne du monde ? »
  • 35. 34 images, des références : il suffit de compter le nombre de défilés au Trianon ou de présentations de collections de Haute Couture à Versailles. Les étrangers semblent d’ailleurs plus à même que les Français à décoder le poids de l’héritage culturel dans l’essence des marques de luxe. • L’image Tout le monde connaît Louis XIV. D’ailleurs, lui-même savait que son nom sera mondialement connu des centaines d’années plus tard. Mais tout le monde ne connaît pas l’énergie que cet homme a su insuffler à notre patrie pour la faire rayonner. Le Roi Soleil avait vite compris qu’il ne suffisait pas de grands chose pour que la France domine le reste du monde dans le luxe. Avant la Renaissance en Italie, il n’y avait aucun intérêt pour les belles choses en France. Louis XIV était le premier mannequin, à lancer des modes. Le Roi Soleil avait un charisme fou : beaucoup d’historiens expliquent ainsi pourquoi ses successeurs n’ont pas été capables d’avoir le même impact que lui dans les consciences. Il est le Roi qui fait naitre la notion d’« image » car il avait compris qu’il fallait fasciner pour être imité. Esthète et amoureux des belles choses, il est le Roi qui a réussi à habiller l’esprit de la France d’une touche de grandiose, en incarnant un style de vie jusqu’au bout de son règne. • Le château de Versailles Louis XIV a toujours encouragé le superflu et les excès. Le plus bel exemple n’est autre que le Château de Versailles, dont le chantier fut officiellement achevé en 1682. Versailles représente vraiment l’archétype ultime du luxe, l’aboutissement de la vision que le Roi se faisait du faste. Le Château évoque depuis des siècles le raffinement ultime qui mêle paraître, pouvoir et plaisir. A l‘époque de Louis XIV, les fêtes organisées au Château étaient toujours celles attendues avec la plus grande impatience. Réputées pour être les plus glamours et les plus impressionnantes, Versailles se transformaient alors en véritable temple du raffinement. Des décors extravagants à la qualité des banquets, en passant par
  • 36. 35 la puissance des hôtes de marque, ces fêtes éblouissaient aussi bien ceux qui s’y rendaient que ceux qui ne faisaient que se les imaginer. Chaque savoir-faire français était divinement mis en scène ; les pâtisseries, les restaurants chics, les réalisations impressionnantes des manufactures royales, la mode et le fameux savoir recevoir. Louis XIV avait conçu Versailles comme une vraie vitrine de ce que la France était capable de réaliser. D’ailleurs, Jean Donneau de Visé relatait chacun de ses évènements dans les pages du Mercure Galant. Selon lui, « les yeux en pouvoient à peine supporter l’éclatante variété ». Ses articles étaient de véritables odes aux produits de luxe français. Le but était dans un premier temps d’encourager le pouvoir de fascination de la Cour sur les sujets français, mais aussi d’inciter les étrangers à venir découvrir la ville où rien n’est assez beau pour les yeux. Dans un second temps, et puisque que tout le monde ne pouvait pas participer à ces fêtes majestueuses ou se déplacer jusqu’à Paris, l’auteur invitait à faire venir la capitale chez soi, en important les objets précieux que seule Paris pouvait offrir au monde. De nos jours, le Château de Versailles fabrique encore des rêves fous. Le Château de Versailles continue chaque année d’entretenir la tradition en proposant aux initiés ses « Fêtes Galantes ». L’idée est de faire revivre les soirées de l’époque de Louis XIV, de se plonger dans la peau des Courtisans de l’époque, en dansant comme au temps du Roi, dans des costumes baroques. Le temps d’une soirée, les participants revivent avec nostalgie les fêtes exceptionnelles que le Château accueillait en ses murs. Également, le Château inspire et continuera d’inspirer des décors d’hôtels, de cinéma, etc., qui sont d’ailleurs toujours réalisés selon les savoir-faire ancestraux utilisés pour le bâtiment. Cela souligne d’autant plus la qualité et la technicité des artisans français, qui sont toujours très reconnues aux quatre coins du monde. Le Château de Versailles a activement participé à faire naître la reconnaissance du travail français, son degré de technique et sa capacité d’innovation.
  • 37. 36 • L’héritage de l’aristocratie française Les marques de luxe française font sans cesse des allers-retours entre le monde d’aujourd’hui et la monarchie du Roi Soleil. Cette époque possède un pouvoir de fascination extrêmement fort. En effet, même si on ne se sent pas proches de ces marques, le luxe véhicule un certain mystère, il possède cet étrange pouvoir à susciter des affinités qui sont ancrées dans l’histoire. Le luxe français est fréquemment associé à une espèce d’arrogance, de domination de supériorité. Les étrangers disent souvent que le luxe français a quelque chose de noble, de particulier. Ils ont en effet souvent du mal à mettre des mots sur cette particularité. Il est intéressant de souligner que les autres nations nous voient souvent comme des personnes très élitistes, très aristocratiques dans notre façon d’être33 . Si on se place au XVIIème siècle, dans la peau d’un courtisan de Versailles, le Roi est omniscient : il savait, connaissait tout. Il faisait converger à sa cour des produits alimentaires, et des processus de fabrication selon ses préférences. Au début de son règne, Louis XIV portait des vêtements amples avec des tissus vaporeux et précieux comme la mousseline. Ce tissu est à l’image du caractère surnaturel de la monarchie. Par imitation, la population faisait en sorte de se procurer les mêmes produits pour adopter le mode de vie du Roi. Si les nobles avaient une perruque, se fardaient et portaient des talons hauts, c’était pour s’élever vers le haut, se donner une apparence qui échappe au temps, le tout empreint d’une certaine spiritualité. Les élites manifestent leur mysticisme à travers le luxe. Les marques les plus prestigieuses du luxe français portent en elles un héritage lié au modèle politique et social de la monarchie absolue. Cet héritage constitue une incroyable source d’inspiration pour les marques. Le spot publicitaire de Dior pour son parfum « J’adore » dans le décor de la Galeries des Glaces de Versailles (2011) est une évocation magnifique de quelque chose qui ressemble un peu à la tradition du ballet de cour, où tout le monde vient se costumer pour participer au spectacle. 33 Cette affirmation s’applique plus aux Parisiens, qu’au reste de la population française.
  • 38. 37 Aussi, le défilé Chanel dans un supermarchés34 ou les déclarations chocs et le porno-chic instauré par John Galliano sont de parfaits exemples du jeu simultané avec désacralisation et sacralisation de la marque. Ce procédé permet de donner un peu d’air à cet univers. Cette espèce d’irrévérence appartient aussi à la tradition aristocratique française. En effet, entre la fin des années 1690 et le début des années 1700, les créateurs de mode avaient déjà compris que le sexe pouvait faire vendre. Les aristocrates jouaient avec le fruit défendu en abordant des tenues beaucoup plus décontractées, comme les déshabillés qui dévoilaient leurs décolletés et leurs jambes. Il s’agissait de se donner un air plus transgressif, plus provocateur. Audacieuses, les dames de Versailles se voulaient carrément érotiques. À noter que dévoiler une jambe à l’époque était bien plus choquant que ne l’est la nudité aujourd’hui. L’aristocratie vit dans une transcendance mais elle aime aussi se dévoyer, parce que la monarchie flirte toujours avec le profane. À travers l’apparence, les nobles cachent les péchés originels. • L’importance du luxe dans l’économie C’est aussi sous son règne que la mode française explose. Il ne semble pas anodin que le mot « mode » soit employé pour l’habillement. En effet, un vêtement est plus « périssable » qu’un tableau ou un meuble, pour la simple et bonne raison que la durabilité des matériaux est moindre. Cela explique aussi pourquoi nous sommes amenés à les renouveler plus souvent. Chacun y trouve son compte, et le Roi Soleil l’avait bien compris. Ce roulement de mode stimule d’une part la production industrielle et profite ainsi à l’économie d’un pays. De l’autre, il permet le rehaussement du niveau de vie général et empêche l’ennui des populations qui le comble en dépensant. La mode n’est qu’un exemple pour souligner à quel point le luxe avait un rôle prépondérant dans l’économie de la France. Louis XIV avait compris que le luxe participait à la puissance d’un pays et inversement. Avec son contrôleur général des Finances, Jean-Baptiste Colbert, ils posent les bases des théories modernes du 34 Lors du défilé automne-hiver 2014-2015, pendant la Fashion Week de Paris.
  • 39. 38 protectionnisme économique. Ils étaient tous deux déterminés à ce que la France poursuive son règne sur les produits de luxe et que cette situation demeure pérenne. Colbert s’est bien assuré que tous les aspects du commerce du luxe, des réglementations commerciales aux taxes d’importation, soient conçus de manière à favoriser la France et sa communauté d’artisans. Bien que largement contestée, ce protectionnisme fut la force motrice de la création de la nouvelle image de la France. Et il n’est pas possible nier le fait que ce protectionnisme s’applique encore à notre époque. Pourquoi les touristes asiatiques dévalisent t’ils les Sephora, les Chanel et autres grandes marques lors de leur passage en France ? Pour la bonne raison que c’est bien moins cher ici que chez eux ! Les taxes à l’importation des produits de luxe, notamment français, sont démentielles : les marques françaises sont en moyenne 40% plus chères en Chine. 35 Aussi, Louis XIV fut par exemple le premier à comprendre la dimension pacificatrice du luxe. En effet, le goût pour les belles choses transforme les personnes : l’esprit devient plus distingué. Par exemple, lors de la Guerre de Sécession (1701-1714), Louis XIV et l’Angleterre étaient à la tête des deux coalitions qui s’opposaient. Londres interdit alors l’importation des produits français. Mais les dames anglais en vogue faisaient pression sur le gouvernement pour lever l’interdiction. Elles ne voulaient surtout pas être démodées et pour ne pas l’être, il fallait qu’elles puissent continuer de recevoir les fameuses poupées qui présentaient les dernières tendances françaises.36 L’ambassadeur anglais finit par céder et accordât un laisser-passer aux poupées de mode. Jusqu’à la fin de la guerre, ce fut le seul produit autorisé à circuler entre les deux pays. Preuve irréfutable de l’influence des produits de luxe français sur les mœurs diplomatiques. 35 Source : http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/17/chanel-va-baisser-ses-prix-en- chine_4594911_3234.html 36 Voir Chapitre 7, p.21-23
  • 40. 39 • La puissance de l’art Louis XIV était très soucieux de sa gloire et de son prestige aux yeux des courtisans mais aussi des autres souverains de son temps. C’est ainsi qu’il organisa tout un patronage des arts et des lettres. Le prestige et le luxe affiché de la Cour de Versailles s’inscrit dans cette politique. Ce fut globalement un succès puisque la France devient le modèle à suivre au niveau artistique avec le style classique en architecture, les jardins à la française et la diffusion du Français comme langue internationale du beau monde. Louis XIV avait compris la force de l’art et ses affinités avec le luxe. 37 Que le rayonnement politique de la France en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècle se soit accompagné d'un rayonnement dans le domaine des arts et du goût n'a rien d’étonnant. Il est certain que la force et l'unité du pouvoir central ont attiré en un seul lieu une importante concentration La royauté française, de par sa suprématie était une monarchie qui a été très associée au développement de l’art, puisque protectrice des artistes. Molière, La Fontaine ou Le Vau ne seraient pas connus de nos jours sans un précieux soutien royal. La volonté de faire de la France une nation d’esthètes en mécénat et pensionnant des artistes a tout naturellement encouragé ces mêmes artistes à se surpasser pour offrir des œuvres qui allaient s’inscrire dans l’Histoire. En incitant au déploiement du bon goût et de la critique, Louis XIV à participer à éveiller les consciences et à préfigurer le luxe moderne. Alors oui, certes, le luxe français s’est considérablement inspiré des autres pays : d’abord du luxe italien de la Renaissance, qui nous a entre autres fait adopter la fourchette puis du luxe anglais qui a considérablement influencé les Français au XVIIIème siècle. Il suffit d'entrer dans n'importe quel musée européen pour s'en rendre compte. Il n’en reste pas moins que sous le règne de Louis XIV, l’Angleterre importait 20 fois plus de produits de luxe qu’elle n’en exportait vers la France38 . A méditer donc. 37 Voir Chapitre 8, p.48-50 38 Précisément à partir des années 1670 selon DEJEAN Joan dans Du Style (2006)
  • 41. 40 CHAPITRE 6 : Le Bon Marché, l’apparition des Grands Magasins Au cœur du nouveau Paris d’Hausmann, l’invention de la seconde moitié du XIXème siècle est le Grand Magasin. Le premier à sortir de terre est Le Bon Marché en 1852 et ce fut une vraie révolution en son temps. L’édifice est énorme et entièrement conçu pour faire passer un moment féérique aux consommateurs dans le but de faire vendre. Les objets sont sublimés par une ambiance de fête et de faste pour compenser le peu d’aspect utilitaire qu’ils revêtent. Comme le décrit si bien Emile Zola dans son livre Le Bonheur des Dames39 : « Les femmes vont là passer des heures (…), elles entrent en lutte avec leur passion de la toilette et l’économie de leur mari, enfin tout le drame de l’existence avec l’au-delà de la beauté ». Un critique écrivit également un papier dans l’Orphéon du 5 janvier 1886, qui met des mot sur la sensation que procure une visite au Bon Marché: « Les lumières, les fleurs, les splendeurs entassées sous les yeux des invités, les artistes éminents qu’on a applaudis, tout enfin miroite, bruit et se brouille dans la mémoire de la personne la moins distraite et l’on reste ébloui, étourdi pendant quelques temps tout en cherchant à retrouver la stabilité nécessaire à l’esprit pour développer un jugement quelconque. » En fait, à travers la diversité des biens qu’elle consommait, la société cherchait de plus en plus son identité. Et selon les normes des Grands magasins, les choses qu’une personne possède définissent son identité. En d’autres termes, pour les bourgeois, consommer comme les aristocrates faisaient d’eux des aristocrates. Les Grands Magasins s’apparentent à une certaine forme de « démocratisation » du luxe puisqu’ils intensifient l’achat de produits non nécessaires et autrefois réservés à une élite. Ces nouveaux grands magasins bouleversent les codes établis avec la diversité de l’offre, mêlant le futile et l’indispensable et utilisant des méthodes nouvelles comme la libre entrée et service, les soldes ou encore la publicité. Les riches comme les moins riches se font plaisir en consommant : c’est l’apparition du shopping comme activité à plein temps. 39 Au Bonheur des Dames est un livre qui a été inspiré par Le Bon Marché.
  • 42. 41 Il semble alors bien loin le temps où le luxe était synonyme de paroles magiques et autres rites sacrés : bienvenue dans un monde où les belles choses et les prix attractifs suffisent au bonheur des classes moyennes.40 Toutes les parisiennes accourent, prises d’une irrésistible envie d’acheter. Cette analyse est d’autant plus appuyée par un exemple très concret. Il suffit de se pencher sur le nom particulier que porte le Grand Magasin qui a influencé tous les suivants : Le Bon Marché. Cette dénomination n’a certainement pas été choisie au hasard, puisqu’elle reflète parfaitement cette nouvelle tendance : une envie de bonheur et de confort privé, mais pas au prix fort, la recherche des petits plaisirs de la vie quotidienne qui rehausse la morosité de l’existence et lui apporte un peu de piment. Le Bon Marché diffusait les valeurs et prônait l’art de vivre de l’aristocratie auprès de l’ensemble de la classe moyenne française, et il y parvint en abaissant les prix. Mais il y parvint aussi en devenant une sorte de manuel culturel de base. Là encore, la réponse des élites est sans appel : ils refusent catégoriquement de participer à ce nouvel étalage de richesse. Ils prônent le « luxe de simplicité » : une élégance chic et discrète, dont les codes ne peuvent être perçus et interprétés que par les personnes issues du même monde. Pour eux, le Grand Magasin ne se pliait pas aux valeurs et mœurs traditionnels qu’ils avaient connus autrefois. Pire encore, il montrait aux classes moyennes comment accéder au style de vie de la noblesse. Le Grand Magasin, en rendant ce style de vie palpable, indiquait le chemin à suivre pour en faire partie, à condition bien sûr d’avoir un minimum de moyens : « Tout ce qu’une toilette cherche à cacher, dissimuler, augmenter et grossir plus que la nature ou la mode ne l’ordonnent ou ne le veulent, est toujours censé vicieux. Aussi, toute mode qui a pour but un mensonge est essentiellement passagère et de mauvais goût ». 41 40 MILLER Michael, Au Bon Marché 1869-1920 ; Le Consommateur apprivoisé, Paris, Éditions Armand Colin, 1987 41 DE BALZAC Honoré, Traité de la Vie Élégante dans Pathologie de la Vie Sociale, 1830
  • 43. 42 Mais, au final, ce changement social a permis de redessiner, de restructurer les traditions pour qu’elles puissent répondre aux nouveaux enjeux et s’adapter aux nouveaux besoins. De nos jours, le Bon Marché est considéré comme le Grand Magasins le plus chic de la capitale. Étonnant puisqu’il était autrefois voué à offrir des prix moins chers que les boutiques spécialisées. Racheté par le groupe LVMH en 1984, les parisiennes élégantes ainsi que les coquettes du monde entier continuent cependant de pousser chaque jour les portes de ce nouveau « temple du luxe » où règne l’art de vivre à la française. Le Bon Marché, à réussi à s’imposer comme une enseigne prestigieuse et entretient son statut de « monument ». C’est un bâtiment qui est se visite, au même titre que les autres emblèmes de la capitale. Il semblerait donc que le Bon Marché cultive activement son patrimoine. Un autre exemple est la collection créée à l’occasion de ces 160 années d’existence. En 2012, le magasin revisite des motifs historiques, tirés des archives de la Maison, et donne naissance à une collection dédiée. Pour l’occasion, les marques de luxe se prêtent également au jeu et 160 d’entre elles rendent hommage à ce lieu emblématique en réinterprétant leurs pièces iconiques pour le Bon Marché. Cette collection unique, baptisée « Les Exclusifs » conjugue modernité, liberté et créativité. Comme à l’époque, une mise en scène extraordinaire est orchestrée et des expositions qui révèlent son histoire habillent le Grand Magasin : une façon joyeuse de célébrer ce bel âge, dans une étonnante modernité. S’il avait n’avais pas évolué depuis sa création, le Bon Marché n’aurait certainement pas l’image grandiose qui le définit. Il ne s’est pas seulement contenté de continuer à faire ce qu’il faisait déjà, c’est à dire vendre des objets, il est aussi devenu un lieu de culture. En invitant régulièrement différents artistes à s’exprimer42 , le Bon Marché fédère et émerveille. La sortie de terre de ce temple de la consommation a jeté les bases de l’achat à outrance, mais il a aussi permis une révolution sociale, en diffusant l’art de vivre. 42 L’illustratrice Marjane Satrapi, l’actrice Catherine Deneuve et le réalisateur Loïc Prigent pour célébrer les 160 bougies du Magasins
  • 44. 43 C’est d’ailleurs ce qui le maintient maintenant dans le domaine du luxe. En préservant son côté historique et ses valeurs, Il n’oublie cependant pas de s’adapter au gré des changements tout en créant un concept. En se voulant musée, Le Bon Marché souligne d’autant plus l’importance de séparer le luxe dit matériel, du luxe immatériel. Et le luxe immatériel n’a pas de prix. Vue de l’intérieur du Bon Marché 43 43 Source de l’image : http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2013/05/france- grands-magasins.html
  • 45. 44 CHAPITRE 7 : Les Grandes Marques, naissance d’un mythe Il est difficile de parler de naissance d’une marque. Petits ateliers au début, les marques s’établissent au gré du temps, et font grandir leur réputation progressivement, autour de rencontres, de virtuosité et de secrets. En se rattachant à des légendes, les grandes marques développent une épaisseur créatrice de mythe et d’imaginaire. En 1780, la toute première marque de luxe voit le jour : Chaumet. Devenu joaillier officiel de Napoléon et de Joséphine en 1802, Marie-Etienne Nitot offre à la Couronne de France le plus beau joyau, le Régent (140 carats), aujourd’hui exposé au Musée du Louvre. Entre les années 1828 et 1854, Pierre François Guerlain ouvre sa maison de parfumerie, Charles Christofle reprend la société de son beau-père, Thierry Hermès débute son aventure de maroquinier et Jean-Louis Cartier s’installe à son compte. A l’aube de la Belle Époque, l’Empire supporte ces nouveaux talents, et Louis Vuitton devient le malletier attitré de l’impératrice Eugénie. Son fils George dessine le célèbre monogramme en 1896 en hommage à son père et déjà pour lutter contre la contrefaçon. Au milieu des années 1880, Jeanne Lanvin ouvre son atelier et lance sa marque en 1909. Cela fait de Lanvin la plus vieille Maison de couture encore en activité. L’année 1909 marque les débuts de Gabrielle Chanel. Avec l’invention de la Haute Couture au XIXème siècle, l’artisan est alors vu comme un visionnaire, un véritable créateur au même titre qu’un artiste. Les produits sont toujours aussi exceptionnels, mais à cela s’ajoute la renommée et le prestige du fabriquant : la richesse des matériaux époustoufle, mais la magie de la marque fait rêver. La marque doit avoir de vraies valeurs auxquelles une population peut se repérer et s’identifier. Chez Chanel, Dior ou Yves Saint Laurent, le créateur est comme sacralisé. Ils inspirent des cinéastes, ils suscitent le débat : le poids spirituel des créateurs a été entretenu par ces marques. Les logos sont fétichisés et portent une charge symbolique qui les hissent au statut d’emblème. Les marques de luxe passent sans arrêt de l’histoire au conte, du conte au mythe. C’est pourquoi les marques doivent se forger un véritable univers d’expression : elles peuvent le faire en puisant dans leur histoire (Chanel) ou en réinventant une légende (Dom
  • 46. 45 Pérignon). Certains des créateurs sont des novateurs, d’autres des héritiers, et certains sont même des novateurs héritiers, par goût ou par fidélité. Orfèvres du plaisir donné, ils sont porteurs d’une alchimie : ils font naitre un désir qui saura mériter leur création, en lui donnant tout son sens. Aussi, plus qu’un logo, un nom ou un visa social, la marque est une personne à part entière, avec une personnalité qu’elle affiche haut et fort. Chaque marque, tout en portant en majesté des valeurs d’élégance et de classe, propose un style de vie bien à elle. C’est ainsi que le bon goût sépare le luxe du snobisme : l’initié achète la marque qui lui ressemble, il ne se contente pas d’imiter. Cependant, il faut que cet univers soit cohérent avec l’image que la marque veut donner d’elle pour éviter qu’elle ne devienne qu’un simple exercice de style. L’honnêteté est une garantie de réussite, c’est pourquoi on raconte des histoires vraies, autour des aventures des fondateurs, presque comme une religion. Chanel est une marque qui ose : Gabrielle Chanel était une avant-garde qui a participé à l’émancipation des femmes. Après elle, les femmes ne seront plus jamais les mêmes, puisqu’elles ont conquis une liberté nouvelle que Chanel a su préfigurer et accompagner : l’allure. Si Chanel prône le chic minimaliste et fait l’éloge du noir et du blanc, c’est avant tout lié à l’enfance de la créatrice. A l’orphelinat, elle portait le sarrau noir à col blanc des orphelines. Elle, petite fille privée de tout, débarrasse les femmes gâtées par l’existence de ce qui encombre, gène ou brouille, pour ne laisser place qu’à l’essentiel. Le « less is more » est né. Encore aujourd’hui, c’est le credo de la marque. Comme mentionné précédemment, les objets de grand luxe étaient à l’origine utilisés pour partir à la conquête de l’éternité, comme assurer son salut éternel après la mort. Coco Chanel est morte en 1988, mais la marque Chanel continue d’exister. A l’aube de notre millénaire, les marques ont dû redoubler d’efforts pour remporter un combat difficile : celui d’allier les contraintes de la productivité à la créativité et l’excellence. Les géants du luxe ont réussi à conjuguer innovation et transmission de l’héritage : un challenge difficile. Dorénavant, le luxe est tourné vers le présent et vers la seule consommation des œuvres immortelles du passé. Si le luxe veut échapper à la fossilisation, il doit reconduire et actualiser les formules du passé.
  • 47. 46 Entre tradition et mode, le luxe est devenu une sorte d’hybride, dont la survie repose désormais sur son image. D’où la nécessité pour les grandes maisons de valoriser leur passé : ces lieux de mémoire s’imposent comme de véritables mythes parce que c’est au travers des légendes des origines que se façonnent les grandes marques.44 Les Grandes Maisons qui font la fierté de la nation ont mérité leurs majuscules par leur singularité, leur excellence, et souvent, leur mythologie. Si elles contiennent des trésors, ce n’est pas pour les enfouir et encore moins pour les cacher. En effet, autour de toutes ses anecdotes hasardeuses et de ses légendes, le nom d’une marque devient ce qu’elle a créé, car la saveur de l’éphémère peut parfois prendre un parfum d’éternité si elle se transmet. En 1954, le Comité Colbert est créé à l’entreprise de Jean-Jacques Guerlain pour rassembler les marques de luxe françaises (15 membres en 1954, 81 aujourd’hui) autour de valeurs communes. De l’hôtellerie aux grands vins, en passant par la Haute Couture et la gastronomie, tous les secteurs sont valorisés. Cette institution, qui fait référence au ministre des finances du Roi Soleil, légitime les marques de luxe françaises en terme d’excellence. Cet organisme a pour vocation de promouvoir l’art, la culture française et le luxe. Le Comité Colbert n’est autre que l’héritage d’une coutume monarchique protectrice des arts pour mieux les associer à son rayonnement. A la croisée du luxe, de la culture et de l’art de vivre si chers à la France, elle est l’héritière directe du règne du Roi Soleil. A l’image du Comité Colbert, les comités Montaigne ou Vendôme sont les anges gardiens de deux lieux emblématiques de la capitale : L’Avenue Montaigne qui aligne les plus puissantes Maisons de luxe et la Place Vendôme, place emblématique de la joaillerie. Le luxe fait désormais face à des enjeux majeurs : garder l’exception « culturelle », faire vivre les mythes bâtisseurs, affirmer la création comme ressort et demeurer très sélectif. D’un côté il faut innover, surprendre, rajeunir la marque pour rester compétitif : c’est le défi à court terme, celui de la mode. D’un autre, il faut maintenir l’image d’éternité des marques et un halo d’intemporalité. Pour être en accord avec les tendances, il faut palper l’air du temps. La Haute Couture doit être au summum 44 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Paris, Éditions Gallimard, 2003
  • 48. 47 du luxe, tout en étant au summum de la mode. C’est autour de ce paradoxe que se jouent les plus grands challenges des ambassadeurs du luxe dorénavant. C’est d’ailleurs ce à quoi répond le Comité Colbert à la problématique de cette étude : le luxe français puise sa force dans sa capacité à s’adapter à la société, et à son exceptionnelle créativité45 . Rien ne sera fait si l’amour du passé ne peut se marier au meilleur de l’avenir. Des marques comme Chanel ou Louis Vuitton sont presque aussi connues que le drapeau tricolore : elles sont au Panthéon du génie français. Ces grandes marques participent à faire rayonner l’image de la France dans le monde et la fascination qui en ressort, puisqu’elles sont créatrices de tendances. Bernard Arnault est comme un monarque à la tête de LVMH. Et si le rôle des marques ambassadrices de la France était tout simplement d’éduquer les autres nations au bon goût ? 45 J’ai sollicité le Comité Colbert par email pour mon étude.