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2833 SIGNES – PAGE 1
EDITORIAL
Pour Aristote « La monnaie semble, parfois, être une pure futilité … et aussi loin qu’on aille sa
nature, un pur rien, car si ceux qui s’en servent abandonnent une monnaie pour une autre, elle
devient sans valeur et sans utilité pour les nécessités de la vie. » Mais, paradoxalement, aussi bien
est-elle inutile, aussi bien est-elle indispensable ; à tel point que sous la contrainte des
circonstances, on l’appelle monnaie de nécessité, voire même, s’il s’agit d’un blocus,
monnaie obsidionale.
Alors frappé dans des ateliers de fortune en métal plus ou moins avili, cet outil humain le
plus simple par son abstraction devient-il rebelle à maîtriser pour assurer les échanges.
C’est cette aventure, autant que cette histoire que nous savons gré à Philippe Bouchardeau
de nous narrer en mettant en œuvre, entre autres documents, le dossier constitué des
nombreuses contributions qui ont leur source dans les archives, les travaux de recherche des
Chambres de Commerce et d’industrie et les ouvrages rapportant leur histoire. Il convient de
souligner avec quelle intelligence de l’histoire consulaire, l’auteur situe cette importante et
originale initiative des « monnaies de nécessité » au service de l’économie en période de
guerre, en même temps que la gestion des denrées, la mobilisation des ressources
économiques et la sensibilisation à l’emprunt.
Ce projet de dossier lancé, dés 2001, par le président Claude Bonfils entend relayer la
brochure de M. Habrekorn éditée par l’ACFCI, en 1970, la publication de Philippe
Bouchardeau dans la revue de la Société d’Archéologie d’Histoire et de Géographie de la
Drôme, en 1999. Il trouve naturellement une place entre la numismatique et l’histoire
financière nationale, confirmant le propos de Robert Largaud qui lança l’enquête nationale
de 2001 : « Il existe pour l’historien de l’économie, comme celui des mentalités, de vastes espaces à
explorer, parce que le fait monétaire est d’abord un signe, un informateur très sensible sur des
phénomènes plus cachés. »
Il marque une étape. Dans une prochaine livraison, Philippe Bouchardeau présentera un
essai bibliographique et historiographique ; par ailleurs, pourraient être abordées ou
développées des questions telles que : les initiatives régionales, comme celle du groupement
des C.C.I. de Provence, les mémoires de ministres ou directeurs de Banque de France, la
lecture critique des textes officiels, le graphisme des billets et l’art, les exemples
remarquables d’emploi des intérêts dégagés, la situation dans les DOM.TOM... Ensuite, le
comité de rédaction réfléchit sur la façon de rassembler l’ensemble de ces textes - et toute
autre contribution nouvelle proposée par les chambres consulaires - pour éditer un
« Hors série », comme nous l’avons fait plusieurs fois. Philippe BOUCHARDEAU participe
bien par ce travail à la mission confiée à la Commission d’Histoire Consulaire en permettant
aux Chambres de s’approprier leur histoire dans une approche culturelle et loin de
l’Economie.
Pierre-Marie MICHEL
Président de la Commission d’Histoire Consulaire
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LLeess CChhaammbbrreess ddee CCoommmmeerrccee ffaaccee aauuxx qquueessttiioonnss mmoonnééttaaiirreess
8 266 SIGNES + 2710 signes notes de bas de page = 10 976
Pages 2-3 (encadré central)
Les monnaies de nécessité, une initiative parmi d’autres encore mal connue
Le maintien de conditions matérielles minimales à l'arrière a été un facteur essentiel
permettant aux populations rurales mais surtout urbaines d'accepter la prolongation de la très
Grande Guerre de 14-18. L'effort économique de l'arrière a mobilisé de multiples institutions.
Ainsi la préservation de l'économie locale en temps de paix comme de guerre a été le souci
permanent des instances de représentation des entreprises, comme les Chambres de Commerce
d’autant que la loi de 1898 leur a donné de larges prérogatives.
Dès la déclaration de guerre du 2 août 1914, les élections aux Chambres de Commerce sont
suspendues mais l’activité des institutions consulaires dont les membres voient leur mandat
prorogé jusqu’à la fin des hostilités n’est pas pour autant arrêtée. Bien au contraire les chambres
sont mises à contribution en vue d’aider à résoudre les innombrables problèmes économiques et
sociaux résultant, en tout premier lieu, de la mobilisation des chefs d’entreprises industrielles
comme commerciales. La participation des élus consulaires aux commissions de réquisitions, du
ravitaillement et de l’intendance militaire est importante mais d’autres initiatives ont été prises
comme l’émission des bons de monnaies.
Les Chambres de Commerce ont ainsi engagé trois types d'actions, la gestion et la répartition de
denrées, la participation à la mobilisation économique et la contribution à l'effort de propagande
en faveur des emprunts de guerre.
L'intervention la plus originale est, sans conteste, celle engagée dans le domaine monétaire avec
l'émission de monnaies de nécessité.
Une historiographie à renouveler
Alors que l’histoire de la première guerre est depuis plusieurs années en plein renouveau1,
l'historiographie de la question des monnaies de nécessité est orientée aujourd'hui pour l'essentiel
par les travaux des numismates. Souvent remarquables, leur approche demeure purement
technique. Malgré son renouveau, l'histoire économique et sociale et même des mentalités, a
semble t il en grande partie ignoré ce sujet2. Les monographies de Chambres de Commerce de plus
1
Voir en particulier le tableau des travaux et axes de recherche proposé par Prost (Antoine) et Winter
(Jay), Penser la grande guerre. Un essai d’historiographie, Paris Ed. Seuil, 2004, 330 p.
2
C’est ce que démontre notamment le dépouillement de la bibliographie annuelle de l'histoire de
France, publiée par le CNRS de 1965 à 1995 et une recherche bibliographique dans plusieurs bases de
données. Voir avec la liste de plus de 60 ouvrages et articles : Bouchardeau (Philippe), Note
bibliographique et historiographique sur les émissions de bons de monnaie par les chambres de
commerce et par diverses institutions, à paraître.
3
en plus nombreuses, les articles de la Revue d’histoire consulaire sont essentiels pour améliorer la
connaissance locale du phénomène. La collecte d’articles et de documents réalisée dans le cadre de
la Commission d’Histoire Consulaire a été fructueuse de ce point de vue.
Il reste encore à conduire des explorations à l’échelle locale dans la presse et les archives des
comptoirs et succursales de la Banque de France etc. ainsi qu’à l’échelle nationale dans les archives
des ministères, celles de l’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce apportant des
éclairages utiles.3
Il faut rappeler que les monnaies de nécessité ont une longue histoire. Mais jamais le phénomène
n’a connu une telle ampleur et une telle variété que pendant la première guerre mondiale.
Trois questions retiennent l'attention : dans quel contexte sont intervenues ces initiatives
monétaires ? Comment les institutions consulaires, organes de représentation des milieux
d'affaires locaux au statut d'établissement public ont-elles participé à l'organisation financière de
la France pendant la très grande guerre, mais aussi quel a été le rôle de ces monnaies et quelles ont
été les conséquences de cette nouvelle mission sur les Chambres de Commerce une fois la paix
retrouvée ?
De la monnaie nécessaire à la monnaie de nécessité
L'apparition des monnaies de nécessité est un phénomène ancien et récurrent en périodes difficiles, en
particulier.
Les deux substantifs que joint le terme de « monnaie de nécessité » méritent (on pourrait dire « nécessitent »)
explication. Certes la monnaie est nécessaire, elle est de nécessité dans une économie d’échanges complexe
où elle remplit la triple fonction de calcul économique, de réserve de valeur et de paiement, mais ici le terme
de monnaie de nécessité recouvre l’idée de contrainte suivant en cela La Rochefoucauld qui marquait une
différence entre ces notions en ce que la première est accompagnée du penchant de la volonté et que la
seconde lui est opposée.4 Ce propos conduit à une proposition de définition : les monnaies de nécessité sont
frappées sous la contrainte des circonstances dans des ateliers de fortune, en métal plus ou moins avili,
parfois même en carton, pour suppléer à la disette de numéraire.
Crises, sièges, blocus, guerres, mais aussi éloignement ont souvent incité des autorités locales diverses à créer
des monnaies de substitution. Les numismates surtout se sont intéressés à ce phénomène des monnaies de
nécessité qui remet en cause les idées trop simplistes liant toujours la création d'une monnaie au pouvoir
régalien d'un Etat ou d'un souverain.
3
Le présent dossier s'appuie notamment sur les nombreuses contributions recueillies dans le cadre de
la commission d’histoire consulaire, sur différents ouvrages d’histoire de chambres de commerce et
articles de la Revue d’histoire consulaire.
Des compléments ont été apportés, en particulier à partir des archives du ministère du Commerce
déposées aux Archives Nationales à Paris (F 12.8042 etc.), des archives du ministère des Finances à
Savigny-le-Temple et des archives de l'Assemblée Permanente des Chambres de Commerce
microfilmées à la Chambre de Commerce de Paris (série 5MI5 et suivants et III 617, etc.). Sur ce
dernier thème voir Bouchardeau (Philippe), L’assemblée des présidents de chambres de commerce
face à la question des monnaies de nécessité. Entre pragmatisme et légalisme, à paraître.
Ces différentes sources documentaires sont citées au fur et à mesure de leur utilisation dans le cadre
des notes.
4
La Rochefoucauld, Maximes, édition de 1678, Paris, Gallimard, La Pléiade, p. 470 (Maxime 504)
cité par Michel (Pierre-Marie), Les monnaies de nécessité. La chambre de commerce de Nîmes au
service de la circulation monétaire durant la Première Guerre mondiale. Mémoires de
l’Académie de Nîmes. Tome LLXXVI, 2003, H84.
4
Armand Lacroix, numismate5, a repéré dans l'histoire de nombreux exemples d'apparition de monnaies de
substitution. Dans l'Antiquité, les légions romaines des marches de l'Empire ont émis en certaines occasions
des "deniers saucés" c'est-à-dire frappés sur les flans de bronze trempés dans un bain d'argent. C'est de la
même manière l'éloignement qui justifie au XVIIe siècle dans la colonie française du Canada l'apparition
d'une monnaie particulière ; pour pallier le refus de la métropole d'introduire des quantités suffisantes
d'espèces métalliques d'or et d'argent et la pénurie qui s'en suit, l'Intendant Jacques de Meules met en œuvre
une solution originale. En 1685, il utilise des cartes à jouer qu'il fait timbrer au revers d'un poinçon aux armes
de France ; s'y ajoutent de façon manuscrite la date, la valeur et la signature des autorités (Intendant,
Gouverneur). A la Réunion, le général Decaen, gouverneur de l'île sous l'Empire profite de la prise de 230
000 piastres à un bateau portugais par le Brick du Capitaine Bouvet pour, après refonte, frapper la piastre
Decaen, écu de 10 livres, à la légende "Ile de France et Bonaparte" et "Ile Bonaparte", nom de la Réunion à
cette période. Il résout ainsi le manque de monnaies résultant du blocus anglais des colonies.
Les sièges et les blocus, souvent très longs pendant les guerres de l'Ancien Régime, ont également nécessité
le maintien d'une activité économique. Les assiégés ont ainsi dû battre des monnaies dites "obsidionales",
c'est-à-dire frappées sur un métal résultant de la fonte des vieux canons.
Pendant les trois mois du siège de Lille de 1709, épisode de la guerre de succession d'Espagne, le maréchal
de Boufflers, assiégé, fait ainsi frapper des pièces de 5, 10, 20 sols.
Toujours avec le bronze de vieux canons, en 1793, le général de Custine encerclé par les Prussiens fait battre
des monnaies de 1, 2 et 5 sols. A Anvers en 1814, Lazare Carnot, assiégé par les Prussiens, fait émettre des
pièces de bronze de 5 et 10 centimes à l'effigie de Napoléon puis de Louis XVIII après l'abdication de
l'Empereur.
Quelques Chambres de Commerce ont aussi acquis une expérience dans le domaine monétaire. En 1790, à
l'occasion de la crise des assignats, elles font parvenir à l'assemblée des mémoires alarmistes6. Pendant la
Révolution, des monnaies de confiance sont émises par divers commerçants parisiens tels que les frères
Monneron, Lesage etc. La crise révolutionnaire est une période d’intenses émissions de monnaies de
nécessité en beaucoup d’endroits. Ainsi à Bordeaux, en 1790 dans la plupart des cafés de la ville on met en
circulation des billets imprimés7.
Au début du XIXe siècle, lors de l'institution du franc germinal par le Premier consul Bonaparte, le
gouvernement a sollicité, par l'entremise des préfets, le concours des chambres de Commerce pour mettre fin
au désordre monétaire en faisant disparaître les pièces d'Ancien Régime et les assignats. La Chambre de
Commerce d'Avignon, par exemple tout comme celle de Tours rachète au poids les pièces rognées de 6 livres
Tournois8.
Beaucoup de Chambres de Commerce font l’expérience de l’action monétaire à l’occasion de la guerre de
18709. Entre 1870 et 1873, une multiplicité d'émissions de bons de monnaies (320 émetteurs dont 16 chambres
de commerce) circule localement pour faciliter le règlement de salaires d'ouvriers ou de transactions
commerciales. Cette expérience confirme d'ailleurs la banalisation du billet de banque même dans les classes
populaires.
5
Numismate, Armand Lacroix a été conservateur du remarquable petit Cabinet de monnaies et
médailles du Revest dans le Var. Il dispose de la première collection française de monnaies de
nécessité et en particulier des chambres de commerce. Il a mis à notre disposition quatre brochures
d'information très documentées que nous suivons ici.
6
Sédillot (René), Le Franc : histoire d'une monnaie des origines à nos jours, Paris, Ed. Sirey,
1953, page 121.
7
Traimond (Bernard), La fausse monnaie au village. Les Landes aux XVIII et XIXe
siècles, Terrain,
Les usages de l’argent, N° 23, oct. 1994.
8
Giry (Alfred de), Deux siècles d'économie tourangelle vécus par la Chambre de Commerce et
d'Industrie, Ed. CLD, 1981, page 47.
9
L’ouvrage de référence de Roth (François), La guerre de 1870, Paris, Ed . Fayard, 1990, 778 p.
ignore totalement le phénomène des monnaies de nécessité.
5
Les Chambres de Commerce face aux questions monétaires
Une vigilance monétaire au XIXe siècle
Les chambres et la lente conquête de la monnaie fiduciaire
8918 SIGNES + 2 271 notes de bas de page = 11 189 signes
Pages 4 – 5 (encadré central)
Tout au long du XIXe siècle, période de relative stabilité monétaire qui débute avec
l’instauration du franc germinal10, les Chambres de Commerce ont avant tout constitué des
lieux d'observation des phénomènes monétaires.
Elles sont particulièrement attentives aux problèmes de circulation dénonçant les pénuries et les
monnaies parasites qui entravent le bon fonctionnement des activités économiques. Elles suivent
de prêt par exemple l’usage des billons, cette monnaie d’alliage qui ne représente pas
commercialement, la valeur pour laquelle elle est mise en circulation (plus communément la loi
désigne, alors, la monnaie divisionnaire de bronze et, par extension, celle de nickel ; les pièces en
circulation, à la veille de la guerre sont les 25 centimes nickel, et les 10, 5, 2 et 1 centimes bronze).
Le franc Germinal est long à s’imposer : pièces étrangères, fausses ou démonétisées concurrencent
longtemps les nouvelles pièces comme le montrent des études locales dans les Landes ou en
Dordogne par exemple11. L’anarchie monétaire laisse des traces dans les mémoires et pratiques
jusqu’à la fin du siècle et l’Etat est obligé de tolérer les espèces les plus bizarres qui participent aux
échanges. En 1868, 33 types de pièces de bronze ont un court légal en France et on parle encore en
sous ou en réaux comme en Bretagne.
Les Chambres de Commerce s’intéressent aussi à la diffusion du billet de banque. Après l’échec de
Law à la fin de l’Ancien Régime et l’expérience malheureuse des assignats, les Français sont
longtemps réticents à l’égard des billets de banque. Toutefois la création de la Banque de France
en 1801 qui reçoit en 1803 son statut définitif et bénéficie seulement en 1848 du privilège exclusif
d’émettre des billets de banques rassure et facilite de développement du billet.
La période de 1880 à 1914 en particulier est reconnue comme "l'âge d'or de la monétarisation
française"12.
On entend par monétarisation l'évolution des fonctions monétaires remplies par la monnaie :
étalon de valeur, moyen de paiement, d'épargne et de crédit.
Avant la Première Guerre mondiale, une division fonctionnelle entre les billets utilisés pour les
gros paiements et les pièces affectées aux petites transactions s'est confirmée comme le démontrent
les enquêtes du ministère des Finances et de son Service de Mouvement Général des Fonds13. Les
pièces d'or reculent, mais les billets moyens et petits progressent aussi dans l'ensemble des
10
Les discussions et enjeux de la loi de germinal sont étudiés par Thuillier (Guy), La réforme
monétaire de l’an XI. La création du franc Germinal, Comité pour l’histoire économique et
financière de la France, Paris, 1993.
11
Voir : Thuillier (Guy), La monnaie en France au début du XIXe
siècle, Paris, Ed. Droz, 1983,
Confavreux (Joseph) Usages sociaux de la monnaie en Dordogne dans la première moitié du XIXe
siècle, Ruralia, 2000, 07 et Traimond (Bernard), op. cit.
12
SAINT-MARC (Michèle), Histoire monétaire de la France 1880-1980, Paris, Ed. PUF, 1983,
p.129.
13
Enquête citée par BOUVIER (Jean) in sous la direction de BRAUDEL (Fernand) et LABROUSSE
(Ernest), Histoire économique et sociale de la France, Paris, Ed. PUF, 1979, tome IV 1, pages 164-
165.
6
paiements courants. Dans une de ces enquêtes, les départements ruraux apparaissent plus
utilisateurs de l'or et des pièces métalliques en particulier que les régions à fort développement
économique et urbain. A la veille de la guerre en 1913, la monnaie métallique aurait atteint le
montant de 9,4 milliards de francs et le billet de banque 5,7 milliards de francs.
Des chambres en état de veille : l’exemple de Valence et de Nîmes
De 1880 à 1914, longue période de stabilité monétaire et de paix, la Chambre de commerce de
Valence14 et de la Drôme prend conscience de ses possibilités dans le domaine monétaire à deux
occasions.
Tout d'abord en 1892, Octave Berger, épicier en gros15, signale à la chambre la circulation, à
Valence et Romans, de petites monnaies étrangères (principalement suisses et italiennes16, mais
aussi argentines et indo-chinoises). « Les petits commerçants la rendent aux gros industriels qui la
donnent à leurs ouvriers ». Ces derniers, qui réalisent leurs achats avec cette monnaie parasite,
créent ainsi un cercle vicieux contre lequel répond le ministre, "l'administration ne dispose d'aucun
moyen d'action". Entre 1894 et 1896, le phénomène semble concerner tout le Sud-est et suscite des
pétitions de petits commerçants, tandis que la Chambre de Commerce alerte le ministre des
Finances. Sur proposition de ce dernier, "La chambre demande aux commerçants de retenir ces
monnaies et de s'en servir pour payer leurs impôts ou se faire rembourser"17.
Ensuite en 1894 et 1904, la Chambre de Commerce fait campagne pour l'utilisation des chèques
barrés, vulgarisant ainsi un système encore peu usité18. La chambre se révèle comme un lieu
stratégique d’observation des problèmes monétaires, d'autant plus que de nombreux élus
consulaires participent à l'organisation bancaire locale comme conseiller ou censeur à la succursale
de la Banque de France, ou comme administrateur des caisses d'épargne et des banques privées
locales. Il n'est donc pas étonnant que l'institution consulaire soit parmi les premières à poser le
problème de la circulation monétaire pendant la Grande Guerre.
A Nîmes19 on relève, dans les délibérations consulaires d’octobre 1910 à octobre 1913, des
interventions et débats concernant les manques de monnaies et de billons en circulation. Dès 1910,
les représentants de la Chambre de Commerce de Nîmes expriment les doléances des négociants.
Des démarches sont faites auprès du Trésorier Payeur Général qui reçoit 6.000 F du ministère.
Mais cela est notoirement insuffisant. Pour parer aux besoins du commerce dans la
circonscription, il faudrait obtenir l’envoie de 30 000 F. Juvenel, seul, en demande pour 4.500 F. Les
plaintes des commerçants et les protestations de la chambre se renouvellent.
14
Les éléments qui suivent s’appuient sur : Bouchardeau (Philippe), Histoire de la Chambre de
Commerce de Valence, tome 2, Valence, 1988, Ed. Université des Sciences Sociales de Grenoble et
Chambre de Commerce de Valence, pp.136 à 158 et Bouchardeau (Philippe), Les monnaies de
nécessité de la Chambre de commerce de Valence, Revue drômoise, n° 493- 494, déc. 1999, pp. 95 à
113.
15
On trouve dans différents fonds d’archives des traces de l’intérêt de négociants pour les questions
monétaires. Voir par exemple dans les papiers de famille de petits industriels drômois les circulaires
ministérielles de 1903 et 1904 relatives aux monnaies de nickel (Archives Départementales de la
Drôme ADD J 657 4).
16
Des instructions des années 1860-1870 autorisaient la circulation des monnaies italiennes, suisses et
belges en France (ADD 1 P19). En 1838, on signalait des monnaies étrangères dans tous les
arrondissements drômois et le Sous-préfet de Montélimar écrivait : "Il y a beaucoup de billons (pièces
d'environ 10 centimes) frappés dans le royaume d'Italie" (ADD 6 Mc20).
17
Bulletin de la Chambre de commerce de Valence et de la Drôme –BCCVD- 1 1894 et 4 1896.
18
Archives de la Chambre de commerce de Valence et de la Drôme –ACCVD- IC 200 (21:04/1894) et
BCCVD 3 1904.
19
Michel (Pierre-Marie), op.cit.
7
La pénurie est telle qu’il faut payer une prime de 1 à 2% pour s’en procurer. Les démarches ont
des effets toujours limités car l’environnement est de plus en plus défavorable. Certes la
production est peu importante du fait qu’il n’existe qu’un atelier, celui de la Monnaie de Paris,
mais pour certains les raisons de cette pénurie tiennent à la situation politique de la France.
En effet, à une période de stabilité succède une série de crises ministérielles avec huit
gouvernements, dont certains sont particulièrement prodigues des deniers publics, ce qui crée un
défaut de confiance à l’égard des institutions. A cela s’ajoutent les dépenses militaires entraînées
soit par les opérations au Maroc, soit par les mesures pour faire face au pangermanisme. Après les
conférences d’Algésiras le risque de conflit devient imminent20. Aussi bien, les déficits budgétaires
successifs conduisent au lancement d’un emprunt de 1.300 millions de francs, fin 1913. La
thésaurisation due à la peur et un début d’inflation se renforce alors. A la veille de la guerre, les
Chambres de Commerce ont acquis une reconnaissance officielle de la part des pouvoirs publics
par la loi de 1898. Elles disposent aussi d’une instance nationale de représentation avec
l’assemblée des présidents des chambres de commerce.
Les Chambres de Commerce et la loi de 1898 : de la représentation à l’action
La loi du 9 avril 1898 fonde encore aujourd’hui le droit relatif aux Chambres de Commerce. Ce
texte longuement débattu définit dans son article premier les Chambres de Commerce comme «
étant auprès des pouvoirs publics, les organes des intérêts commerciaux et industriels de leur
circonscription ». Ce sont des établissements publics et leurs attributions sont de deux natures
d’après l’article 11 : d’une part « donner des avis et informations et avis sur les questions industrielles et
commerciales » et « présenter les moyens d’accroître la prospérité de l’industrie et du commerce» et d’autre
part « d’exécuter des travaux et d’administrer des services nécessaires aux intérêts dont elles ont la garde.»
Certains avis sont obligatoirement requis par les pouvoirs publics d’après l’article 12 de la loi
notamment sur les règlements relatifs aux usages commerciaux, les taxes destinées à rémunérer les
services de transport concédés sur l’utilité des travaux publics à exécuter…D’autres avis sont à
l’initiative des chambres comme par exemple les changements de législation commerciale, sur les
tarifs douaniers et plus généralement sur les tarifs et règlements des services des transports et des
établissements ouverts à l’usage du commerce. La fonction d’administration des services dévolus
aux chambres de commerce se traduit par l’autorisation de construire et d’administrer des
établissements à l’usage du commerce, magasins généraux, salles de vente, entrepôts ou à vocation
d’enseignement, écoles de commerce ou professionnelles. Les chambres peuvent également être
concessionnaires de travaux publics ou chargées de services publics, ports maritimes, voies
navigables, aéroports … Leur rôle est reconnu dans le domaine de l’enseignement technique, la
délivrance de certificats d’origine pour les marchandises destinées à l’exportation. Enfin les
dispositions financières du titre III de la loi de 1898 donnent le droit aux chambres de lever l’impôt
en autorisant « une imposition additionnelle au principal de la contribution des patentes ». Elles peuvent
être autorisées par décret à contracter des emprunts. Précisant leur rôle, la loi de 1898 donne une
dimension nouvelle aux Chambres de Commerce.
20
En fait, c’est dès 1911 que les mesures financières pour accompagner l’effort de guerre sont prises.
C’est la fameuse « Circulaire Bleue ». Voir : Valance (Georges), Histoire du franc, Paris, Ed.
Flammarion, 1998, p. 225.
8
Les Chambres de Commerce face aux questions monétaires
Le constat des désordres monétaires dès août 1914 et jusqu'aux années
1920
12 574 signes +1 905 signes notes de bas de page = 14 479 signes
Pages 6-7-8-9.
Ala veille de la guerre, le système monétaire français distingue les pièces d’or et les pièces de
cinq francs qui ont cours légal et valeur libératoire des pièces divisionnaires (un franc et
cinquante centimes) qui sont au titre de 835 millièmes. Le franc est donc devenu une monnaie
de compte dont le pouvoir libératoire est limité. Le centime en bronze pèse un gramme, ce qui
met le cuivre à dix francs le kilogramme.
Y a t-il insuffisance de monnaies métalliques à la veille de 1914 ?
En 1914 quelles sont les masses métalliques en circulation ?
L’encours or est de l’ordre de quatre à six milliards en pièces de cent, vingt, dix et cinq francs
frappées sous le Second Empire et la IIIe République. L’encours argent est évalué de six millions à
un milliard pour les pièces de cinq francs qui toutes ont cours légal et libératoire de même que les
pièces d’argent de l’Union latine21 et d’environ deux cent quarante millions pour les pièces
divisionnaires sans compter celles en circulation dans les colonies et à l’étranger. Pour les pièces
de bronze l’encours est d’environ soixante dix millions de francs en pièces de un, deux, cinq et dix
centimes. De 1852 à 1914, un milliard cent cinquante sept mille pièces de bronze sont frappées
dont 440,6 millions de 10 centimes et 717 millions de cinq centimes. Par ailleurs, quarante millions
de pièces en nickel pur de 25 centimes « Patey » sont émises en 1903, 1904, 1905. Puis la loi du 4
août 1913, un an donc avant le conflit, prescrit l’émission de monnaie de nickel d’un type
nouveau, du graveur Lindauer, au flanc troué pour éviter la confusion avec les pièces d’argent. La
nouvelle série commence en 1914 avec quelques exemplaires rarissimes de 10 et 5 centimes et
941.133 exemplaires de 25 centimes.
Globalement l’encours de monnaie divisionnaire est donc satisfaisant pour les besoins du temps
de paix ; mais on peut estimer que l’Etat, devant la montée des tensions avec l’Allemagne, engage
trop timidement et trop lentement les émissions qu’autorise la loi du 4 août 1913.
21
La France, la Suisse, la Belgique et l’Italie se regroupent au sein d’une communauté monétaire le
23 décembre 1865, sous le nom de l’Union latine. Cet accord permet la libre circulation des monnaies
au sein de cette zone, mais ne concerne que les pièces. Vaslin (Jacques-Marie), Le franc et l’Union
latine, Le Monde, 22 janvier 2002.
9
Thésaurisation et première pénurie de l’été 1914
L'annonce de la déclaration de guerre et la mobilisation de l'été 1914 ont provoqué diverses
réactions très significatives de la psychologie des Français : devant beaucoup de banques des
queues se forment et un mouvement de retrait de grande ampleur met temporairement en
difficulté certaines banques comme le Crédit Lyonnais ou le Comptoir National d'Escompte,
tandis que le ministère des Finances prend un arrêté limitant à 50 francs les remboursements des
Caisses d'Epargne22. Cette réaction faite à la fois de panique et de prévoyance, dictée par la crainte
du manque d'argent et la fuite devant le papier monnaie, met en évidence la sensibilité de
l'indicateur que constitue l'attitude du public à l'égard des problèmes de monnaie. Dès le mois
d'août 1914, une pénurie de petites monnaies touche la région parisienne et les régions du nord de
la France. Le Matin journal parisien signale dans son édition du 2 août23 que les billets de 5 et 20
francs se cachent et que bien des jeunes soldats partent au front sans un sou. Pourtant dès son
édition du 7 août ce même journal se veut rassurant : « Le jour, Paris a un air de fête. Foule sur les
boulevards … On commence à revoir de la monnaie et le change d’un billet de 50 francs n’est plus une
opération qui, lundi semblait irréalisable».24 En avril 1915, le rapport du conseil d'administration du
Comptoir National d'Escompte présenté à l'assemblée générale annuelle relate qu'en juillet et août
1914, outre un important retrait de fonds, une panique a saisi la clientèle, "panique encore accrue par
la raréfaction de la monnaie conséquence d'un dangereux mouvement de thésaurisation"25. La pénurie de
monnaie accélère la thésaurisation ; la crainte de manquer d’appoint est comme contagieuse,
particuliers et commerçants tentent d’en faire des stocks, des spéculateurs drainent le numéraire
avec l’espoir d’en tirer bénéfice.
Les régions proches du front sont particulièrement affectées. A Amiens la situation monétaire
prend un tour dramatique à la fin de l’été 1914, d’autant plus que la ville a été occupée par les
troupes allemandes. Le 6 septembre 1914, les membres de la Chambre de Commerce entendent le
président qui, d’après le registre de délibérations, « expose la situation pleine de péril qui est faite
actuellement au commerce et à l’industrie depuis le premier jour de la mobilisation époque à laquelle la vie
industrielle et commerciale a été presque complètement arrêtée par suite de la difficulté de se procurer des
fonds en banque pour la paiement des salaires de ouvriers. » 26
Mais le sud de la France est aussi très vite touché par la pénurie. Les archives du ministère du
Commerce et de l'Industrie ont gardé la trace des multiples difficultés liées à la circulation
monétaire dès août 1914 et des sollicitations faites auprès des Chambres de Commerce. Au fil des
mois, les problèmes vont en augmentant.
22
Becker (Jean-Jacques), 1914. Comment les Français sont entrés en guerre, Paris, Presse de la
FNSP, 1977, 638 pages index et bibliographie, pages 513-514. Voir aussi Pourcher (Yves), Les jours
de guerre. La vie des Français au jour le jour 1914-1918, Paris, Ed. Plon, Collection Pluriel, 1994,
pages 57-58.
23
Cité par Darmon (Pierre), Vivre à Paris pendant la grande guerre, Paris Ed. Fayard, 2002, p.9.
24
Idem p. 14
25
Becker (Jean-Jacques), op. cit., page 515. Voir aussi Pourcher (Yves), op. cit., pages 58-59 et 116-
117.
26
Chambre de commerce d’Amiens. Registre de délibérations dépouillé par H.H. Thickett.
10
Dans sa séance plénière du 12 août 1914, la commission permanente de la Chambre de Commerce
de Nîmes entreprend auprès du ministre des Finances une démarche appuyée par Gaston
Doumergue, sénateur du Gard, et ministre des Colonies afin d’obtenir «l’envoi immédiat de
monnaies de nickel et de bronze pour faciliter les paiements des salaires des ouvriers du commerce, de
l’industrie et de l’agriculture ainsi que les transactions en général.» La réponse arrive le 8 septembre par
le télégraphe : « Impossible actuellement envoyer monnaies »27. Le télégramme est envoyé de Bordeaux
où le gouvernement s’est replié sur l’insistance du général Joffre face à l’arrivée de l’armée
allemande jusqu’à la Marne.
La Chambre de Commerce de Nîmes s'inquiète aussi spécifiquement pour le paiement des
vendangeurs. Elle délibère dès le 5 septembre 1914 pour demander 50 000 F en monnaie de billon
afin de "remédier à la raréfaction monétaire dans sa circonscription". Le ministre rappelle alors qu'il
n'est "pas possible d'approvisionner en monnaie de nickel et bronze", mais demande à la Banque de
France du Gard de prendre des mesures28.
Comme à Nîmes, à Bordeaux, l'approche des vendanges et les frais liés à la récolte inquiètent aussi
la chambre de commerce qui, en septembre 1914, propose de donner sa garantie à la Banque de
France pour débloquer les sommes nécessaires29.
Le témoignage d'un petit commerçant de Saint-Jean-d'Angély qui écrit au ministre du Commerce
replié à Bordeaux le 9 décembre 1914, est précieux. "Je me permets de venir attirer votre attention sur
la crise terrible qui surgit en ce moment-ci, concernant la petite monnaie de 5 centimes à 50 centimes. Elle a
été complètement retirée de la circulation, ce qui nous cause, à nous commerçants, un préjudice
considérable. Nous sommes soumis à manquer la vente à crédit, ce qui n'est pas le moment ..."30.
Même loin du front et des opérations militaires, la pénurie de monnaies divisionnaires se fait
sentir. A Mostaganem en Algérie, les salaires des moissonneurs puis des vendangeurs ont
nécessité une grande quantité de petites monnaies. Mais là, en septembre 1914, la Chambre de
Commerce fait appel à la Banque de l'Algérie même "si certaines Chambres de Commerce de la
métropole suivies par la Chambre de Commerce d'Alger, ont pris la très louable initiative d'émettre des
petites coupures ..."31.
Des crises monétaires qui se succèdent de 1914 à 1920
La déclaration de guerre passée la pénurie persiste. Une chronologie des crises est proposée par
Guy Corvol32 qui détecte une crise générale d'accès à la petite monnaie dès août 1914, puis entre
août et novembre 1915 et à nouveau au mois d'août en 1916 jusqu'à la fin 1918. La crise la plus
forte est celle d'octobre 1919 à mars 1920. C'est la plus intense et la dernière. Faute de
dépouillement d'archives à travers toute la France, il est encore impossible de valider cette
chronologie de manière certaine.
Pour éviter une crise monétaire liée à l'état de guerre, la Banque de France, dès le décret de cours
forcé du 5 août 1914, fait sortir de ses réserves et met en circulation des billets de "20 F bicolore"
imprimés de 1874 à 1905 et de 1906 à 1913, encore jamais utilisés33. Par ailleurs, elle ressort un
stock de billets de "5 F bleu" émis et ayant circulé entre 1871 et 1874 ainsi qu'un nouveau tirage de
ces billets imprimés.
27
CCI de Nîmes
28
AN F12/8042.
29
AN F12/8042.
30
AN F12/8042.
31
AN F12/8042.
32
Corvol (Guy), L'émission des bons de monnaie par les chambres de commerce, thèse pour le
doctorat, Ed. Rousseau et Cie, Paris, 1930, 288 pages, bibliographie.
33
Habrekorn (Raymond), Au secours de la circulation monétaire. Les chambres de commerce
émettrices de monnaie de nécessité, document dactylographié, APCCI, 1970, page 1.
11
Les premières émissions de billets, mais aussi de petites monnaies par la Banque de France (en
août 1914, puis d'août à novembre 1915) permettent de ralentir un peu le phénomène de
thésaurisation.
Dès février 1915, la Chambre de Commerce de Valence est saisie des doléances de petits
commerçants qui manquent de petite monnaie34. A l'automne 1915, les Français prennent
conscience d'une guerre longue35. En octobre 1915, par exemple, Charles Huguenel, Président de la
Chambre de Commerce de Valence note : "Nous ne sommes pas au bout des hostilités, la monnaie
divisionnaire n'est pas prête de reparaître ..."36.
La pénurie fait l’objet d’échos dans la presse et n’a pas été étrangère à la représentation nationale.
Dans un rapport de 1915 à l’Assemblée nationale, un député dénonce les atteintes à la circulation
de la monnaie et « ceux qui amassaient une quantité de monnaie supérieure à leurs besoins ». Il indique
que la crise provoquée par la disparition d’une partie de la petite monnaie jetée dans la vie
économique du pays un grave trouble et provoque dans l’esprit du public une « vive et légitime
émotion ». Il ajoute que « cette crise pourrait avoir demain des conséquences particulièrement graves si
l’on ne s’empressait d’y porter remède.37 »
Une pénurie persistante de la guerre à la paix
En 1916, la Banque de France met en circulation des billets de 10 F. Mais ces émissions n'ont donc
pas concerné les petites valeurs de 0,25 F à 2 F. Néanmoins, une pénurie moins rigoureuse s'étend
à l'ensemble du pays.
En mars 1916, le soyeux Lambert de Saillans petite cité de la vallée de la Drôme, conseiller général
et membre de la Chambre de Commerce de Valence souligne que "malgré la vaillance de nos officiers
et soldats, il est difficile de prévoir dès maintenant la fin des hostilités"38. A partir de l'automne 1916,
jusqu'en 1918, la pénurie latente de petite monnaie s'aggrave. En septembre 1916, le Préfet de la
Drôme, Charles Maulmond, déjà conscient du phénomène, décide de l'envoi d'une circulaire à
tous les maires du département : "Je suis avisé que dans certaines communes, la pénurie de monnaie
divisionnaire continue à se faire sentir"39.
La rareté a pénalisé d’abord les petits commerçants incapables de rendre la monnaie puis les
entreprises agricoles ou industrielles dont les salariés sont souvent payés à la semaine ou à la
quinzaine. En octobre 1920 la pénurie n’a pas fini de se faire sentir dans la circonscription de la
Chambre de Commerce d'Amiens : " Le commerce de détail et l'industrie éprouvent encore des
difficultés dans les paiements, surtout les jours de paie.40"
Bien plus tard que le petit commerce et l’industrie, le secteur des transports urbains longtemps
pourvoyeur de petites monnaies finit aussi par être affecté. A Paris, des receveuses du tramway
prétextent l’insuffisance d’éclairage pour n’accepter que les voyageurs capables de présenter
l’appoint. Dans le métro, la vente de billets individuels devient impossible. Mais les carnets de dix
billets sont trop onéreux pour les petites bourses.
34
BCCVD 1 1915.
35
Becker (Jean-Jacques), Les Français dans la Grande Guerre, Paris, Ed. Robert Laffont, 1980,
pages 101 à 105. L'auteur ne s'est pas intéressé aux problèmes monétaires, pourtant très révélateurs de
la psychologie des Français (approche privilégiée dans ses ouvrages) et essentiels pour comprendre
comment le pays "a tenu". De même, Yves Pourcher n'évoque pratiquement pas la question des
monnaies de nécessité.
36
BCCVD 2 1915.
37
Nice
38
BCCVD 1 1916.
39
ADD 200 M 603 (circulaire du 6 septembre 1916).
40
CCI d’Amiens 12 octobre 1920
12
Les statistiques de la Compagnie des tramways de Nice révèlent la gravité de la situation locale.
Les encaissements hebdomadaires en monnaies divisionnaires de billons et d’argent qui avaient
sensiblement fléchi depuis 1914 se réduisent considérablement à partir d’août 191641.
Les surveillances de la police détectent quelques trafics illicites comme le fait apparaître par
exemple un rapport des policiers parisiens du 10 janvier 1918 : « A la station d’autobus place de la
Madeleine, quatre receveuses ont été vues remettant de la monnaie à un garçon du restaurant Weber, rue
Royale, qui les attendait sous une baraque du marché aux fleurs.42»
Mais c'est après l'armistice, entre octobre 1919 et novembre 1920, que la crise est la plus intense : le
Journal de Valence, en octobre 1919, alerte ainsi les autorités par un long article reproduit de la
Dépêche de Toulouse. En 1920, un journaliste drômois de l'Avenir s'émeut de cette pénurie qui
s'est étendue aux petits billets de banque : "du papier de grâce, du papier pour l'amour de Dieu !"43.
La presse et les autorités n’en finissent pas de s'interroger sur les raisons de cette pénurie qui
persiste en temps de paix.
41
Nice
42
Darmon (Pierre), op. cit., p. 195
43
CORVOL (Guy), op. cit., page 70.
13
Les Chambres de Commerce face aux questions monétaires
Les Chambres de Commerce, lieu d’observation des désordres monétaires
Des difficultés d'origines psychologiques autant qu'économiques, financières et sociales
11 138 signes +1 477 = 12 615
Pages 10-11
Les analyses du phénomène par les observateurs mettent d’abord en avant des causes
psychologiques. D'après le préfet de la Drôme, dans sa circulaire de 1916 aux maires du
département : "cette pénurie est provoquée en grande partie par la thésaurisation abusive et
irréfléchie, pratiquée par certaines personnes". Cette accumulation stérile de valeurs semble
d'abord un réflexe de prévoyance naturel, personnel et définitif : tout ce qui pouvait servir de
moyens de paiement était bon, pensait-on, à conserver en attendant des jours meilleurs, c'est-à-
dire monnaies d'or, pièces d'argent et même billets.
On explique ainsi aisément la thésaurisation des pièces d’or et d’argent même si pour ces
dernières la valeur réelle est en 1914 depuis longtemps inférieure à la valeur nominale. Le
stockage de métaux précieux même avec un risque de dépréciation est toujours un réflexe de
défiance, de crainte dans un avenir incertain. On comprend beaucoup moins bien l’éclipse des
pièces de billon de 5 ou 10 centimes communément appelées un ou deux sous qui n’ont pas de
valeur intrinsèque. Y a t il confusion de la part du public ? assimilation de tout ce qui brille aux
métaux précieux ? Pour certains, « il faut attribuer probablement cette dissimulation à la méfiance du
paysan et du petit commerçant qui croyaient mettre en réserve une forme de richesse ; prenant le signe pour
la chose. 44»
La rumeur n’est pas étrangère aux pratiques de thésaurisation. Ainsi en juin 1918, d'après un
télégramme codé du ministère de l'Intérieur très méfiant au préfet de la Drôme, le réflexe est
provoqué : "En certaines régions, notamment dans le Sud-Ouest, une campagne est menée en vue
d'ébranler la confiance du public dans les billets de Banque"45. D'après le ministère, une campagne de ce
type est menée dans l'arrondissement de Montélimar, ce qui laisse l’historien perplexe, le préfet et
la presse locale restant muets à ce sujet46.
44
Dormoy (Jacques), Les émissions de billets de banque à bordeaux, Actes de l’Académie de
Bordeaux, tome XXIX, 1974, p.52. Document signalé par Josiane Chirol, responsable « archives
courriers » à la chambre de commerce de Bordeaux.
45
ADD 200 M 603. Circulaire du ministère de l'Intérieur aux Préfets.
46
Pas de mention aux ADD, ni dans les sondages effectués dans le Journal de Montélimar et le
Journal de Valence ; la note a été transmise au commissariat de police dont les rapports n'ont pu être
retrouvés.
14
Toutefois, déjà en 1915, on dénonçait la présence d'étrangers à la recherche d'or pour le compte
des Austro-Hongrois. En 1916 puis surtout 1917 et 1918, on demande aussi au sous-préfet de
Montélimar de "surveiller activement la propagation de nouvelles fausses et tendancieuses".
L'arrondissement de Montélimar situé sur un axe de circulation important de la vallée du Rhône
semble donc avoir été une zone sensible, même si les preuves manquent47. A Belfort, on met en
cause l’occupant allemand. D’après la Chambre de Commerce, le billon est « raflé par les agents de
l’Allemagne où cette monnaie est transformée en étui de cartouches.48»
En revanche, le rapprochement de la chronologie des pénuries (aggravation de l'automne 1916) et
des campagnes d'emprunt ou de collectes de l'or (intensification de la propagande, dans la Drôme,
et lancement du deuxième emprunt à l'automne 1916), met en évidence le fait que la thésaurisation
est aggravée par la collecte officielle et la réquisition des pièces d’or et d’argent mais aussi de
certaines pièces en nickel. Les thésaurisateurs se trouvaient ainsi confirmés dans l'idée que les
pièces même de petites valeurs conserveraient toujours leur valeur dans l'éventualité d'une guerre
longue.
A l'explication psychologique s'ajoutent néanmoins des causes proprement financières et
économiques mal connues. Tout d'abord, malgré l'expérience de 1870-1871, la Banque de France
n'a officiellement rien prévu pour accroître la circulation ou éviter la thésaurisation des pièces
divisionnaires, croyant à une crise passagère. Certes, à l'issue du décret de cours forcé du 5 août
1914, la Banque de France fait sortir de ses réserves et met en circulation des billets de 20, 10 et 5 F.
Imprimés entre 1871 et 1913, ces billets avaient été stockés49.
Mais rien n'est fait en ce qui concerne la petite monnaie pendant l'année 1914 et même après. Le
rapport présenté par le gouverneur de la Banque de France, Georges Pallain, le 28 janvier 1915,
évoque pourtant la question, mais semble la considérer comme résolue avec des émissions de
nouveaux billets de 20 et 5 F.
"Nous devions penser aussi que la thésaurisation privée de toutes les espèces en circulation aurait pour
résultat de provoquer, dès la veille du conflit, une crise monétaire particulièrement gênante pour toutes les
petites transactions. Le Conseil Général (de la Banque de France) avait voté en temps utile tous les crédits
permettant de constituer un approvisionnement considérable de billets de 20 F et de 5 F"50.
De plus, à partir de 1916, de nouveaux billets de 10 F sont imprimés. Ces mesures ne contentent
pas les besoins accrus spécifiquement en petite monnaie : la solde des militaires, les envois des
parents de mobilisés, la fin des ventes à crédit, le paiement comptant systématique dès le 1er août
1914 ..., sont à l'origine d'une très forte consommation de petites pièces.
Certes la thésaurisation est réelle mais elle concerne surtout les monnaies d'argent de 20, 50 F, de 1
F ou 2 F. L'aggravation de la thésaurisation est aussi liée à la réquisition des pièces de nickel et à la
collecte officielle de l'or. La monnaie d'argent a disparu elle aussi assez rapidement51. Même pour
les ménages aux petits budgets, les espèces métalliques de bronze et de nickel de petite valeur, 1,
2,5 ,10, et 25 centimes n'ont qu'un intérêt limité à être rangées dans un bas de laine, en attendant
des jours meilleurs. Pourtant ces espèces, tout comme les pièces d'argent, se font rares, voire
disparaissent. Elles sont certes concernées par la thésaurisation, mais d'autres facteurs ont joué.
47
ADD 200 M603 et 200 M951 (arrondissement de Montélimar).
48
D’après Guillaume (Gérard), Petite histoire partielle de la chambre de commerce et d’industrie
du territoire de Belfort, Ed. CC du Territoire de Belfort, 1998, p.77.
49
CORVOL (Guy), op. cit., page 109 et HABREKORN (Raymond), op. cit., page 1.
50
BECKER (Jean-Jacques), 1914 comment les Français entrent en guerre, op. cit., pages 128 et
129, note n° 22.
51
HABREKORN (Raymond), op. cit., p. 1.
15
A propos des origines de la crise on accuse pêle-mêle la sempiternelle avarice des paysans, la
manie des soldats qui garderaient les petites pièces pour jouer à la manille et les ouvriers qui
perdent une partie de leurs salaires dans les machines à sous !52 Chacun y va ainsi de son
explication au nom d’une morale méprisante pour les classes populaires accusées de bien des
vices, mais tous constatent impuissants qu’une grande quantité de pièces est immobilisée.
Ainsi, parmi les explications avancées, en particulier pour la carence de petites monnaies, il
convient d'insister sur le phénomène de multiplication des portefeuilles.
Armand Lacroix souligne "le fait que brusquement, toute la population valide de France, bourgeoise et
paysanne, soit environ 15 millions d'âmes, chez qui l'écu était la règle et qui vivait surtout dans les
campagnes, en collectivité familiale et où un porte-monnaie suffisait souvent pour 6 à 8 personnes se soit
tout à coup trouvée disséminée à la ferme, dans les mines et dans les armées. Les porte-monnaie se sont
multipliés en conséquence"53.
Mais la pénurie ayant persisté après le retour des soldats du front, il y a d'autres explications
encore qui sont entrées en jeu. On peut toutefois penser que la multiplication des portefeuilles est
devenue une habitude. De plus, après la première expérience, les émetteurs (chambres de
commerce ou petits commerçants désormais connus) ont trouvé des avantages à ces émissions :
intérêt financier, prestige ...
Les raisons économiques et monétaires ne sont pas non plus à exclure. La hausse des prix et
l'inflation d'abord limitée et rampante (depuis les années 1900 puis surtout dans les années 1920)
ont nécessité une plus grande utilisation de la monnaie. Les problèmes de change ont peut-être
influencé aussi la circulation monétaire ; à l'issue de la stabilisation de 1917, les fluctuations du
change sont très fortes entre mai 1919 et 1920, période d'intense pénurie de petite monnaie.
La presse dénonce à plusieurs reprises des spéculateurs malhonnêtes qui exporteraient du
numéraire dans les pays au change avantageux54.
De la gêne au retour du troc
Les conséquences de cette pénurie de petite monnaie sont multiples : localement elle se traduit par
la gêne pour les transactions quotidiennes du petit commerce. En 1910 déjà, la Chambre de
Commerce de Valence prenait connaissance de plaintes de petits commerçants drômois sur le
manque de pièces de 5 et 10 centimes55. En 1916, le préfet de la Drôme insiste auprès des maires
sur "les inconvénients pour les transactions commerciales de la thésaurisation de la monnaie
divisionnaire »56. Une nouvelle note du préfet, de 1917, rappelle que le décret de l'Assemblée
nationale du 22 Avril 1790 précise que "le débiteur sera toujours obligé de faire l'appoint et par
conséquent de se procurer le numéraire nécessaire pour solder exactement la somme dont il est redevable"57.
52
Explications relevées par Darmon (Pierre), op. cit., p.194.
53
Lacroix (Armand), Les billets des Chambres de Commerce de France, document dactylographié,
op. cit., page 2.
54
CORVOL (Guy), op. cit., pages 70 à 88.
55
BCCVD 4 1910.
56
ADD 200 M602.
57
ADD 200 M603.
16
En 1918, encore, le Journal de Valence s'interroge : "d'où vient donc la gêne que nous éprouvons pour
effectuer nos transactions ? En serait-il de la petite monnaie comme de l'or et de l'argent ? Se cacherait-elle
?"58. Dans certaines régions, un arrêt total des menues transactions est constaté par les chambres
de commerce 59. Les pièces de valeur d'or ou d'argent disparaissant pour toujours de la circulation,
la masse monétaire est simplifiée et se partage entre chèques et billets. D'après le Journal de
Valence en 1919, les pièces de valeur entrent dans les bas de laine, attirent spéculateurs et
collectionneurs, sont fondues en lingots60 ou transformées par des bijoutiers61.
Ainsi le romancier René Barjavel, dont les parents étaient boulangers à Nyons, illustre ce fait dans
ses mémoires : "Mon père piquait parfois le dimanche dans sa cravate une épingle que ma mère lui avait
offerte, faite d'une pièce de 10 F, un "demi-louis" découpé autour du geste de la semeuse"62.
Mais c'est la gêne quotidienne dans les transactions qui pousse les Chambres de Commerce à
intervenir même si quelques solutions pratiques ont été peut-être parfois trouvées pour payer le
litre de lait (30 c), le timbre poste (15c) ou le journal (15 c). Face à cette situation de pénurie de
petites monnaies, des solutions temporaires ont sans doute été trouvées avant même l’émission
des bons de monnaies de nécessité et même après.
Il faudrait en savoir plus sur ces pratiques peut-être déjà usitées en temps normal mais qui ont dû
se répandre ; groupement des commandes chez les commerçants, pratique de l'ardoise (c'est-à-dire
enregistrement des petits achats successifs chez le commerçant), notes et bouts de papiers et même
retour du troc. Produits alimentaires du jardin, temps de travail, petits services, ont été échangés
contre des cartes pour le pain, du lait, le journal ...
Mais le troc est lui mal adapté à de très petits achats et il reste toujours difficile d'équilibrer l'offre
et la demande dans un système manquant de souplesse.
Yves Pourcher évoque les difficultés du petit commerce français et les clients excédés par la vie
chère comme par le manque de denrées et de monnaies.
"La crise de la monnaie de billon aggrave encore les incessantes querelles qui opposent les commerçants et
leurs clients. Le refus de rendre la monnaie sur les billets de 5 et 20 F oblige souvent les ménagères à
patienter près des étalages en attendant que les commerçants aient réuni assez de monnaie pour leur rendre
l'appoint.
Le ton monte dans ces groupes de femmes qui se forment : contre la rigueur du temps, contre les gens du
commerce et contre le Gouvernement"63. Les Chambres de Commerce sont parmi les premières
institutions à être informées de ces difficultés.
58
J de V 31/01/1918.
59
Corvol (Guy), op. cit.
60
ADD 200 M602 : une loi d'octobre 1919 interdit la fusion et la refonte des pièces d'or ou d'argent en
lingots et prévoit des sanctions.
61
J de V 24/10/1919.
62
Barjavel (René), La charrette bleue, Paris ed. Denoël 1980, p 202. La mémoire du romancier est
ici défaillante car la semeuse n’a jamais figuré sur les pièces d’or, mais seulement sur les faibles
valeurs de 50 centimes ou 1 francs, justement remplacées par les billets de nécessité.
63
Pourcher (Yves), op. cit., page 167.
17
Des monnaies consulaires salvatrices
Les Chambres de Commerce, entre revendications et acquis …
12591 signes + 1218 notes de bas de pages = 13 809
Pages 12 -13-14
La place des commerçants est prépondérante dans la revendication monétaire. Certes la gêne est
également réelle pour les industriels employeurs de main d’œuvre payée à la semaine ou à la
quinzaine plus encore que pour les négociants que le niveau des transactions et les habitudes
de paiements (chèques etc.) mettent à l’abri des pénuries de petites monnaies.
La montée des revendications des petits commerçants
Même s’ils ne sont pas entrés en force dans toutes les Chambres de Commerce à l’occasion de la
réforme électorale de 1908, les petits commerçants sont largement présents au sein des institutions
consulaires pour faire entendre leurs revendications spécifiques. Leurs organisations
professionnelles et tout particulièrement les UCI (Unions Commerciales et Industrielles) sont
devenues en bien des endroits puissantes et organisées. Mobilisées sur des revendications fiscales
et de réglementation du travail, les UCI sont souvent à l’écoute des plaintes relatives aux pénuries
monétaires. De plus industriels et négociants ont objectivement intérêt à éviter que la pénurie de
petites monnaies ne comprime l’activité par le canal d’une contraction de la consommation.
Voici par exemple les commerçants de la circonscription de Montluçon-Gannat qui adressent une
pétition à la chambre dès le 11 août 1914. Dans sa délibération du même jour la chambre une des
toutes premières à émettre lance le principe de mise en service de petites coupures de 0,50
centimes.64
Une pétition est aussi adressée le 21 octobre 1915 à la Chambre de Commerce de La Rochelle par
198 commerçants de la circonscription qui font part de leurs difficultés.65
A Sète, la persistance de la pénurie tout au long de l’année 1916, incite les petits commerçants à
solliciter la Chambre de Commerce pour une nouvelle émission. On apprend à cette occasion que
« le commerce bitterois, avec l’appui de la chambre de commerce (de Béziers), a fondé une société qui aura
pour objet de frapper des jetons de en aluminium »66. Au mois de mars 1917, la Chambre de Commerce
de Nice se trouve interpellée par des commerçants de la ville et notamment Les Galeries Lafayette
qui déplorent les conséquences qualifiées de très graves causées par l’impossibilité de plus en plus
grande de se procurer de la monnaie de billon.
Les antécédents et acquis de la guerre de 1870
Pour répondre aux injonctions pressantes du petit commerce en particulier, les premières
demandes d'émissions sont faites par les Chambres de Commerce sur des bases acquises pendant
la guerre de 1870.
64
Paynat, Quand la planche à billet tournait à Montluçon, Centre économique, décembre 1981,
Document transmis par Bruno Paugam, chef du service communication et technologies de
l’information.
65
CC de La Rochelle
66
BCC Sète 29 novembre 1916
18
Cette guerre de 1870 a été, il est vrai, l’occasion pour un certain nombre de Chambres de
Commerce de s’initier aux émissions de monnaies. Dans un premier temps, il s’est agit de pallier
la thésaurisation et la pénurie liées au fait que la Banque de France n'est pas autorisée à baisser à
10 puis à 5 F sa coupure minimum avant 187167. A partir de la fin de l'année 1871, l'objectif est de
permettre la reprise économique, particulièrement dans le nord-ouest de la France68. Une réponse
du ministre des Finances du 15 novembre 1871 à la Chambre de Commerce de Lyon (elle
n'émettra pas de billets et la première chambre à réaliser une émission est celle d'Amiens le 21
septembre 1870) sert de base juridique aux émissions consulaires de la Grande Guerre et situe bien
l'esprit de l'accord des autorités.
"L'émission de bons par ... les Chambres de Commerce ... ne comporte pas en principe l'autorisation
officielle. En fait la mesure, toute d'expérience, trouve sa justification dans les circonstances actuelles. La
nécessité fait loi, mais son application reste sous la responsabilité des corps ou associations qui en prennent
l'initiative"69. Au total la circulation de ces bons de monnaie, consulaires, municipaux, ou ayant
d'autres origines, s'est élevée à 30 millions de francs et a été résorbée totalement en 187670.
Les premières initiatives consulaires, des chambres initiatrices : Limoges, Lille … et le retard de
Paris
Très vite, dans le cadre de leur mission visant à préserver le potentiel économique et à organiser la
vie de l'arrière, les chambres de commerce ont pris des initiatives dans le domaine monétaire.
La première chambre à émettre est celle de Limoges le 10 août 1914 ; elle profite ainsi de son
expérience acquise en 1870.
Pendant ce temps, la chambre de Lille décide, le 8 août 1914, de ressusciter sa banque d'émission
de 1870 et les premiers bons de 1 et 2 F apparaissent dès le 17 août. La métropole du Nord étant
occupée à partir d'octobre 1914, la chambre cesse ses émissions à la fin de l'année 1915.
Précoce et instruite par l’expérience acquise en 1870, la chambre de Bordeaux décide d’une
première émission dès le 12 août 1914 pour 500 000 francs en 4000 000 coupures
La Chambre de Commerce de Paris avait donné le ton mais sans pouvoir concrétiser ses
intentions.
Dès le 6 août 1914, lors d'une séance extraordinaire tenue sous la présidence de David Mennet la
Chambre de Commerce de Paris demande au gouvernement l'autorisation d'émettre des petites
coupures. Dans une lettre du 14 août publiée au Journal Officiel du 15 août 1914, le ministre des
Finances Noulens écrit : "Le principe d'une telle émission ne comporte pas d'autorisation officielle, mais
ne peut être qu'approuvé par le Gouvernement"71. L’opération de lancement des monnaies est prévue
pour le 1er septembre 1914, trois semaines seulement après la délibération consulaire. Il s’agit
d’émettre pour une valeur de 10 millions de francs en coupures de 2, 1 et 0,50 francs. Le délai de
remboursement est fixé après le 1er janvier 1916 et ne doit pas être inférieur à 5 ans. La chambre
procède à l’embauche de « petites mains » pour un salaire de 5 francs par jour tandis qu’au
ministère du Commerce, le directeur de l’Office national du commerce met à disposition quelques
une de « ses dames » à temps partagé.72
67
Saint-Marc (Michèle), Histoire monétaire de la France 1880-1980, Paris, ed. PUF, 1983, page
158.
68
Habrekorn (Raymond), op. cit., p. 3.
69
CORVOL (Guy), op. cit., page 28.
70
SEDILLOT (René), op. cit., page 203.
71
HABREKORN (Raymond), op. cit., page 7.
72
A partir de l’article de Boudry ( ), CCI Paris
19
Le 2 septembre l’opération est brusquement suspendue. Paris menacé par l'avancée allemande,
l'émission réalisée par l’imprimerie Chaix et les planches sont détruites afin de ne pas tomber
entre les mains de l’ennemi. La bataille de la Marne passée, l’opération est remise à plus tard et la
Chambre de Commerce de la capitale sera la dernière à faire imprimer des petites coupures, en
1920. Mais cette tentative d’émission ne constitue pas un échec total car l’élan est donné ; la
réponse ministérielle ne mettant pas de conditions particulières à l’émission a été largement
diffusée et incite nombre de chambres à se pencher sur ce dossier d’autant que le ministre ajoute :
« Je m’empresse d’ajouter d’accord avec M. le ministre du commerce de l’industrie et des postes et des
télégraphes qu’en présence de l’insuffisance momentanée de numéraires et des inconvénients qui en
résultent tant pour les transactions commerciales que pour le paiement des petits traitements, l’initiative
prise par la chambre de commerce de Paris ne peut être qu’approuvée par le gouvernement. »73
Des hésitations
En bien des lieux les hésitations des Chambres de Commerce retardent des décisions. A Cholet
dans le Maine et Loire, par exemple, la chambre cherche d’abord une entente avec les chambres
d’Angers, qui se lance dès 1915, et celle de Saumur qui finalement s’abstient.74 Bien souvent,
jusqu’en 1915, c’est l’espérance d’une guerre courte et l’optimisme qui prévalent comme à La
Rochelle. Ainsi le 20 août 1914 le trésorier de la Chambre de Commerce rappelle l’initiative
parisienne et l’encouragement donné par le ministre des Finances. Le président et d’autres
membres estiment cette initiative un peu hâtive. Selon eux le numéraire existe. Caché au moment
de la mobilisation, il recommencera à circuler.75 La Chambre de Commerce de Sète pèse
longuement les avantages et les inconvénients d’une émission en août 1915 : « Ce système de
remplacement de petites monnaies est une mesure d’exception dont les conséquences sur la santé du crédit
public risquent d’être plutôt fâcheuses, car elles constituent un aveu patent du malaise économique et par
conséquent ne peuvent que contribuer à l’augmenter. Par contre, ses bons effets sont certains puisque les
petites coupures ainsi émises jouissent tout de suite dans le rayon d’action de l’établissement public qui les
émet, d’une confiance absolue, et remplace les pièces d’argent qui se cachent. »76 Le plus souvent, après le
temps des hésitations, vient celui de l’action et des parades pour les Chambres de Commerce
conscientes de la gravité de la situation.
La recherche de parades
L’information du public est d’abord faite pour rassurer et calmer la thésaurisation. Rappelant son
action durant les premiers mois de la guerre, la Chambre de Commerce de Sète indique, « qu’il
convenait tout d’abord de rassurer le public plutôt que de souligner et d’aggraver par là même, les difficultés
qu’une raréfaction de monnaie, qu’on pouvait espérer passagère, apportait aux petites transactions. C’est ce
que nous fîmes en publiant ou en inspirant des notes dans la presse locale. »77
Le premier réflexe est ensuite de se retourner vers les banques et la Banque de France.
La Chambre de Commerce d’Amiens interroge d’abord les banques privées pour la réalisation
d’émissions qui seraient garanties par la municipalité78. A Cholet la Chambre de Commerce
sollicite la Banque de France dès octobre 1914. De petites pièces d’argent sont effectivement mises
73
Cette lettre est par exemple largement citée dans les délibérations de la chambre de commerce
d’Amiens du 21 octobre 1915.
74
Beaumon (Dominque), p.4
75
Chambre de commerce de La Rochelle Texte de Christophe Bertrand archiviste.
76
BCC Sète 11 août 1915
77
BCC Sète 11 août 1915
78
CC Amiens 6 septembre 1914
20
en circulation en janvier 191579. Quelques semaines plus tard c’est cette même Banque de France
qui incite la chambre à se lancer dans une émission : « Le meilleur moyen écrit le directeur au président
de la chambre, serait la création d’une monnaie n’ayant qu’un cours local, c'est-à-dire l’émission de bons de
monnaie de la chambre. »80La Chambre de Commerce toujours pas décidée se tourne ensuite vers sa
banque le Crédit Industriel de l’Ouest.
Parfois la Banque de France a pu répondre un temps aux besoins comme à Sète où la Chambre de
Commerce a dans un premier temps écarté le principe d’une émission en décembre 1914, le
directeur de la Banque de France ayant « assuré … qu’il pouvait mettre en circulation par petites
quantités à la foi, un certain stock de petites monnaies » … et qu’il était «disposé à faciliter l’échange des
billets aux commerçants qui manquent de petits numéraires. »81
L’idée de devenir émetteur de petites monnaies n’est pas du goût de tous. Le procès-verbal de la
séance du 28 décembre 1916 de la Chambre de Commerce de Saint-Nazaire est un bon
témoignage. Il est affirmé que « ces pratiques constituent un retour fâcheux aux anciens droits de frapper
monnaie, droit abolis à juste titre en raison de l’incommodité des échanges et de nécessité qui s’impose d’un
système monétaire unique ». En conséquence, il est demandé que la Banque de France « seule
autorisée à créer un système fiduciaire ayant cours légal, soit invitée par l’Etat à établir d’urgence des
coupures de cinquante centimes, d’un franc et au besoin de deux francs. »82
Après les appels souvent restés infructueux auprès de la Banque de France, les chambres se
tournent vers les compagnies de transports en commun. C’est le cas à Cholet, dont la chambre
sollicite La Compagnie de chemin de fer du Métropolitain de Paris83 et de La Rochelle qui voyant
la situation monétaire se dégrader fait appel à la même compagnie qui adresse en janvier 1915 à la
Banque de France la somme de 200 000 francs. Trois mois plus tard les commerçants de l’Ile de Ré
manquent totalement de monnaies, et en mai 1915, une nouvelle somme de 90 000 francs est
allouée par le Métro qui a du réduire ses envois pour servir d’autres chambres comme celle de
Rennes. En août, la source du métro s’est tarie et la Chambre de Commerce de La Rochelle
demande sans succès que l’appoint soit fait aux divers bureaux d’octroi de la ville. 84. A Saint Malo
les commerçants regroupés sous l’égide de la chambre de commerce se font approvisionner
jusqu’au mois de mai 1915. Les réserves du métro sont ensuite épuisées.85
Quels sont les effets de ces premières initiatives ? La Chambre de Commerce de Sète qui utilise les
monnaies du métropolitain s’interroge en août 1915. « L’efficacité du remède se manifesta pendant six
mois. Au commencement de juillet, en présence des plaintes du petit commerce qui recommençait nous
avons procédé à une nouvelle distribution, mais cette fois, l’efficacité a été très faible ».86
Face à une pénurie aggravée, durable et généralisée, surtout à partir de l’été 1915, il faut trouver
d’autres solutions « le commerce et l’industrie étant absolument paralysés »87 comme le déclare le
président de la Chambre de Commerce de Belfort.
79
Beaumon (Dominique), Les monnaies de nécessité, Revue d’histoire consulaire, novembre 1999,
p.3.
80
Idem p.4
81
BCC de Sète décembre 1914 (document recueilli par Claude Bonfils)
82
Cité par Menard ( ), p.7
83
Beaumon (Dominique), op. cit., p.4.
84
CC de La Rochelle
85
Documents transmis par D Queinnel responsable CCI info à Saint Malo
86
BCC Sète 11 août 1915
87
Guillaume (Gérard), p.78
21
Des monnaies consulaires salvatrices
Les Chambres de Commerce, créatrices de monnaies
22 878 signes + 2 784 notes de bas de pages = 25662
Pages 15-16-17-18-19
Quels sont les processus de décision mis en œuvre dans les Chambres de Commerce ?
L’émission de monnaies constitue une décision lourde de conséquences, qui implique des
connaissances techniques des questions financières et monétaires et une bonne appréhension
du contexte local et institutionnel. Il convient de rappeler que dans un grand nombre de
chambres, des banquiers à la tête d’établissements locaux ou régionaux tiennent une place
importante.
La décision de battre monnaie : entre réactivité et lenteur
Par ailleurs, très souvent, les présidents, trésoriers ou d’autres membres des chambres sont bien
introduits auprès des succursales de la Banque de France et des banques locales dont ils sont
administrateurs ou qu’ils contrôlent, ce qui facilite la mise en place et le déroulement des
opérations.
Pour gérer la mise en place des émissions et suivre le fonctionnement de ce système fiduciaire
supplétif, les chambres organisent le plus souvent des commissions ad hoc. A Amiens, en
septembre 1915, une commission de papier monnaie est constituée avec des membres de la
Chambre de Commerce, le sénateur-maire et le député. Ensemble les deux élus locaux ont
rencontré le ministre des Finances Alexandre Ribot.
Pour organiser le travail, on crée à la chambre de Cherbourg la « commission spéciale des petites
coupures » qui présente régulièrement des rapports et reste en contact étroit avec le président et le
trésorier.88
Ces commissions assurent un travail de suivi une fois les émissions lancées. Les séances plénières
des chambres sont aussi très fréquentes pour entériner les décisions des commissions. Ainsi, la
Chambre de commerce de Montluçon-Gannat est largement occupée par la question des monnaies
de nécessité. Pour procéder à 9 émissions différentes soit 3 millions de francs, il lui faut consacrer
42 séances de travail entre 1914 et 1925.89
Le plus souvent, les chambres sont appelées à travailler très vite. La rapidité de réaction est le fait
de la chambre de Rouen. Dès sa séance du 13 août 1914, elle décide d’émettre des bons. Les choses
ne traînent pas car il y a urgence et le lendemain une réunion qui a lieu à la mairie de Rouen
débouche sur la décision de lancer un tirage de bons de monnaie de 2 millions de francs. Une
commission est ainsi mise sur pied avec des représentants de la ville et de la Banque de France.90
En 1920, l’urgence est encore le maître mot à la Chambre de Commerce de Cherbourg qui
« constate qu’il est nécessaire que le public puisse obtenir ces coupures le plus tôt possible 91»
88
BCC Cherbourg 1920-1921
89
Paynat
90
Tanguy (Jacques)
91
BCC Cherbourg mai 1920
22
Si dans nombres de chambre la décision d’émettre est prise rapidement et la réalisation des
coupures est prompte, il arrive que les délais s’allongent. A Cholet, en 1915, on est d’abord attentif
aux démarches des chambres voisines en particulier de celle d’Angers et aux discussions de
l’assemblée des présidents. En 1917, le dossier revient à l’ordre, du jour la chambre « estime devoir
faire elle même cette émission », mais elle ne prend aucune décision d’exécution. On attend aussi les
échantillons demandés à un fabricant de Lyon. Une délibération est prise le 14 novembre 1917. Un
mois plus tard les jetons de 25 centimes sont en circulation.92
Les échanges d’informations entre Chambres de Commerce et d'autres émetteurs vont bon
train sur la question de monnaies de nécessité. Ainsi, la Chambre de Commerce de Nice
correspond avec la ville de Nantes qui avait fait fabriquer des jetons pour les besoins des
entreprises de transports publics ; la Chambre de la Rochelle envoie son secrétaire archiviste
à Angers. Il est accompagné de l'imprimeur et du graveur.
Mais c'est surtout au sein de l'assemblée des présidents que se nouent les contacts et que
fructifient les échanges.
L’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce : entre pragmatisme et légalisme, ou
comment la nécessité fait loi
L’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce a fonctionné comme une caisse de
résonance nationale pour traiter des multiples questions et initiatives relatives aux monnaies de
nécessité.
C’est le 2 octobre 189993 que se constitue légalement l’assemblée des présidents de chambres de
commerce. Dès le mois de mai, dix présidents de chambres s’étaient réunis à Paris à l’hôtel
Continental. L’initiative de cette rencontre revient au président de la Chambre d’Angers et à son
vice-président et successeur Dominique Delahaye qui deviendra sénateur monarchiste du Maine
et Loire. Dès son origine cette institution est marquée par un souci de légalisme. Certes la création
de cette assemblée est souvent présentée comme l’acte audacieux de notables se réunissant le 22
mai 1899 en dehors de la loi et bravant l’interdiction formelle du ministre du Commerce. En fait en
1896 déjà une initiative de réunion est lancée par la Chambre de Commerce de Paris, après que le
Sénat l’ai désapprouvé. En 1899, c’est sous le régime de la loi du 9 avril 1898, véritable charte
consulaire organisant les Chambres de Commerce qu’un nouveau projet de réunion est proposé.
Mais cette loi n’a pas prévu explicitement d’assemblée de présidents. Millerand, ministre du
Commerce s’en remet alors au Conseil d’Etat qui ne rend son avis favorable qu’après la fameuse
réunion du 22 mai. Cet avis du Conseil d’Etat permet au ministre de préciser dans une circulaire
du 23 septembre 1899 les prérogatives des présidents réunis de nouveau dès le 2 octobre 1889 pour
mettre en place cette nouvelle institution qu’est l’Assemblée des Présidents des Chambres de
Commerce. Circulaire interprétative, le texte du 23 septembre reconnaît que la loi de 1898 confère
«aux présidents une nouvelle prérogative autre que le droit de correspondance directe ; que ce droit est
évidemment d’intervenir personnellement pour se réunir à leurs collègues en vue de se préparer les
décisions à soumettre à leur chambres respectives ; que cette faculté de réunions préparatoires des présidents
doit porter non plus sur les objets spéciaux d’intérêt général mais bien sur tous objets rentrant dans les
attributions des chambres de commerce et intervenant à la fois leurs circonscriptions respectives ».
92
Beaumon (Dominique), p.5
93
Sur les débuts de l’APCC (Assemblée des présidents de chambres de commerce) voir Conquet
(André), Si les Chambres de commerce m’étaient contées, APCCI, Lyon, Audin, 1972 et le de
l’avis du Conseil d’Etat dans la Revue d’Histoire Consulaire n° 13, novembre 1997, p 31, et sur la
loi de 1898 voir Delecluse (Jacques), Revue d’Histoire Consulaire, n°11, novembre 1996, p 14.
23
Rassemblant les présidents de chambre pour lancer des discussions sur des thèmes communs
l’assemblée des présidents ne s’est intéressée à l’émission de leur monnaie qu’à partir de mars
1915. 94
La première mention de la question des monnaies de nécessité figure au procès verbal de la
réunion du 28 mars 1915 et la dernière est au compte rendu de la réunion du 12 novembre 1924.
Au total une vingtaine de séances de cette assemblée ont été consacrées à la question des
monnaies de nécessité. Cela représente environ une centaine des pages de comptes rendus
imprimés.
Ces comptes-rendus reprennent les dialogues des présidents des chambres. De façon générale les
présidents de l’APCC ouvrent les débats en faisant le point de la situation, souvent à la demande
d’une chambre. Parmi les plus actives à prendre part aux discussions on note les chambres de
Paris, Lyon, Marseille mais aussi une multitude de chambres de localités ou départements de
moindre importance.
Le style «parlé », les nombreux jeux de questions réponses, la présence dans le texte de mention
des réactions de l’assemblée (avec les «ah ! Ah ! », « Applaudissements »,«protestations »), les points
d’exclamations, les interruptions des intervenants chacun étant mentionné par son titre (le
président de la chambre de commerce de…) font penser que ces comptes rendus constituent une
trace très vivante et fidèle des discussions qui n’ont été que peu retravaillés par le rédacteur. C’est
presque une transcription mot à mot. Dans ces comptes-rendus s’ajoutent aux dialogues des textes
(comptes rendu de séance, vœux de Chambres de Commerce, textes officiels de type circulaire,
échanges de lettres, etc.) lus par les intervenants en séances. Il est d’ailleurs fréquent que copies de
ces textes soient remis en séance, le rédacteur des comptes-rendus les reprenant ensuite.
Suspendant leurs discussions, les présidents accueillent parfois un intervenant extérieur comme en
novembre 1920, avec Fighièra le directeur des affaires commerciales et industrielles du ministère
du Commerce. Mais précise le président de l’assemblée des chambres de commerce, « hors séance
M. Fighèra nous donnera quelques explications. La question est complexe, il faut la connaître »95. Soumis à
l’approbation des participants d’une séance à l’autre ces comptes rendus ne font presque jamais
l’objet de rectifications et sont transmis rapidement semble t-il aux Chambres de Commerce.
Atermoiements de l'administration et divergences des intérêts consulaires apparaissent très tôt. La
question des monnaies de nécessité est évoquée pour la première fois à l’occasion de la séance du
28 mars 1915 de l’assemblée. Le président de la Chambre de Commerce de Lyon fait le constat
qu’"il y a une douzaine de chambres de commerce qui ont émis des billets de monnaies divisionnaires».
La force des Chambres de Ccommerce réside dans l’initiative et l’action locale, dans la créativité.
Dès lors, leurs représentants sont mal à l’aise face à un système financier centralisé des ministères
et administrations. Le dialogue est parfois difficile avec les représentants des ministères ou de la
Banque de France, alors même que l’exigence d'agir sur le terrain se fait tous les jours plus
pressante. Du côté de l’Etat, l’improvisation face à une situation quasi inédite est souvent de mise
tant pour les services centraux des ministères et les cabinets ministériels que pour les
administrations locales.
94
Les procès verbaux imprimés de l'Assemblée des présidents de chambres de commerce sont disponibles
sous formes de microfilms au service des archives la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, rue
Chateaubriand. Archives de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. Procès verbaux de l'Assemblée
des présidents de chambres de commerce (APCC). Les micros films 5MI 5 à 5MI 10 ont été dépouillés et
feront l’objet d’une analyse en cours de rédaction. Cette source d’information précieuse a été utilisée par
Guy Corvol auteur d’une thèse les monnaies de nécessité consulaires. Mais cet auteur ne procède pas à une
analyse de l’attitude de l’APCC ni de sa stratégie dans les négociations avec les ministères.
94
APCC 8/11/1920
95
APCC 8/11/1920
24
Le tour d’horizon effectué par les présidents à l’occasion de la séance du 28 mars 1915 de
l’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce est édifiant ! La chambre d’Agen a pu
déposer et échanger de ses émissions « des bons du trésor sur lesquels elle révèlerait un intérêt de 5 pour
100 ». Le président de la Chambre de Commerce de Limoges s’est lui rallié à la position du
ministère des Finances avançant le risque d’inflation : après tout, s’exclame t il, les chambres sont
« gardiennes des intérêts publics ». Pour le président de la chambre de Clermont Ferrand, sa
compagnie a été contrainte d’aller de l’avant pour conjurer la crise monétaire. « Nous nous sommes
trouvés dans la circonscription de la chambre… dans l’impossibilité absolue de nous procurer de la monnaie
divisionnaire et des maisons comme Michelin, Bergougnon et autres nous ont déclaré catégoriquement que
devant la crise monétaire, elles ne pouvaient pas tenir. Nous sommes cependant arrivés à conjurer la crise
monétaire, crise très interne chez nous à cause des manufactures de caoutchouc et autres »
A Angoulême, le directeur de la Banque de France, favorable à la contre partie en bons du trésor
s’est vu opposé une fin de non recevoir par son administration.
Cette séance du 28 mars 1915 sur la question des contre parties des monnaies de nécessité aborde
également le problème de la légitimité de l’assemblée des présidents à émettre un vœu sur ce
point. Pour certains élus consulaires, il vaut mieux partir en ordre dispersé et bénéficier des
atermoiements et des dispositions parfois contradictoires du ministère et surtout de la souplesse
locale d’application. Le centralisme a tôt fait de produire des textes contraignants redoutés par
certains présidents.
Initiative décentralisée, l’émission des monnaies de nécessité suscite de vigoureuses controverses
entre les Chambres de Commerce déjà engagées qui ont bénéficié d’autorisations de placements
en bons de la défense nationale et celles qui veulent que les règles nationales soient édictées pour
lancer leur émission. Les chambres pragmatiques s’opposent alors aux légalistes ! Faute de
consensus, le président de l’assemblée conclut par un constat d’impuissance : « Messieurs, la
question ne peut pas être mise à l’étude devant l’Assemblée ; il est entendu que les chambres de commerce
intéressées s’entendront entre elles. » Il en sera ainsi à de multiples reprises.
Des débats et échanges très nourris et approfondis sur les questions des monnaies de nécessité ont
ainsi lieu de 1915 à 1924. Il ressort de ces débats 96une impression d’improvisation et d’anarchie
dans les méthodes et la gestion de ces questions de monnaies de nécessité tant de la part des
services fiscaux locaux de l’Etat (receveurs, contrôleurs …), que de la Banque de France ou des
trésorier payeurs généraux ou même encore des services centraux du ministère des Finances. Si
bien des problèmes rencontrés par les Chambres de Commerce dans leur circonscription sont
communs les solutions et réponses apportées varient d’un département à l’autre en fonction des
initiatives des fonctionnaires et des responsables locaux mais aussi des rapports de force
politiques entre les chambres de commerce, les élus locaux, les administrations, la Banque de
France …. C’est sous la pression des événements que les pouvoirs publics réglementent
progressivement les émissions puis surtout les conditions de retrait des bons de monnaie.
Un exemple : les émissions de la Chambre de Commerce de Valence en quatre étapes.
Le cas d'intervention de la Chambre de Valence permet d'illustrer le processus de décision et de
mise en œuvre technique. Quatre étapes distinctes sont nécessaires : information, montage et
préparation, délibération et demande, autorisation et émission.
96
Archives de l’APPCCI microfilmées au service des archives de la chambre de commerce de Paris (
5MI 5 et suivantes).
25
Saisie par plusieurs groupes de commerçants au début de l'année 1915, la Chambre de Valence
s'informe d'abord auprès de la Banque de France97, du Trésorier payeur général et de plusieurs
Chambres de Commerce, souvent proches (Lyon, Annonay en Ardèche, cette dernière ayant déjà
réalisé des émissions en 1872). Elle enquête sur les formalités et les modalités techniques de
fabrication des monnaies. De plus, des garanties sont prises par la Chambre de Commerce de
Valence auprès de la Compagnie PLM et de l’administration des PTT pour qu'elles acceptent dans
leurs guichets du département, de prendre les billets98.
Ces assurances obtenues, des modalités techniques précises sont à régler. Le banquier valentinois
Auguste Giraud, trésorier de la Chambre, dispose de plusieurs possibilités. Les émissions peuvent
être réalisées par la Chambre de Commerce seule ou en association avec la ville (sur l’exemple de
la Chambre de Commerce de Castres)99 ou avec d'autres chambres (cas du Nord). Il est vrai que les
initiatives ont foisonné, de multiples organismes, seuls ou associés, ont émis des bons de monnaie
: municipalités, banques locales (caisses d'épargne, sociétés de crédit ...), sociétés industrielles,
groupements commerciaux non officiels et même bureaux de bienfaisance100.
Deux problèmes essentiels sont posés : les frais à engager et les gages à fournir. En général, les
Chambres de Commerce prélèvent les frais sur le fonds de réserve de leurs recettes, comme
l'autorise l'article 26 de la loi du 9 avril 1898.
La Chambre de Valence, dès 1915, a pris : "des bons de la Défense Nationale pour se procurer les fonds
nécessaires", mais le ministère refuse cette procédure adoptée pour les premières émissions de 1915
et 1916.
A la présentation des comptes consulaires de l'année 1916, Auguste Giraud le trésorier, précise :
"notre Chambre de Commerce a été victime du trop d'empressement qu'elle a mis à faciliter nos concitoyens
dans leurs paiements ; le Gouvernement n'a pas admis pour nos premières émissions le mode adopté plus
tard, de faire face aux dépenses d'émissions par le placement de sommes suffisantes en Bons du Trésor. C'est
donc notre budget qui a dû payer". Sept mille francs de frais sont inscrits à ce poste pour les
premières émissions de 1915101.
Pour ce qui concerne les garanties fournies par la Chambre de Commerce, Auguste Giraud résume
le principe adopté. "L'administration supérieure veut que les Chambres de Commerce déposent en
nantissement dans les Trésoreries Générales, le montant des contre valeurs qui constituent le gage de la
Banque et qui permettent à celle-ci de rembourser les petites coupures sur présentation"102.
97
La consultation des livres de procès verbaux des séances des conseils d’administration n’a pas
permis de retrouver trace de prises de position de la Banque de France de Valence sur cette question
des monnaies de nécessité. Archives de la Banque de France de Valence IV e Livre des PV des
séances des conseils d’administration (3 volumes de 1874 à 1952).
98
BCCVD 1 1915 et ACCVD ID 400.
99
CCI de Castres, Centenaire 1871-1971, brochure éditée à Lavou, 1971, pages 151 et 152.
100
CORVOL (Guy), op. cit.
101
BCCVD 1 1917.
102
BCCVD 3 1916. CORVOL (Guy), op. cit., page 163.
26
Une fois ces modalités techniques réglées, les délibérations officielles de la Chambre et les accords du
Gouvernement103 pour chacune des émissions, constituent l'étape suivante. Au total, la chambre de Valence
réalise ainsi entre avril 1915 et avril 1923 18 tirages successifs (de 95 000 au minimum à 500 000 F au
maximum), soit un total de 4 950 000 F en 59 399 200 coupures (soit en moyenne 0,85 F par coupure)104.
Ces petites coupures rectangulaires, d'environ 5 centimètres, de 0,50, ou 1 F, réalisées par l'imprimerie Céas
de Valence, comportent au recto les armes de la ville de Valence, entourées par deux muses, le montant et la
signature du Président et du Trésorier de la chambre. Au verso, figurent la liste des membres de la chambre
et la date de la libération du 23 Février 1915105.
Les créateurs de monnaies, imprimeurs et typographes
Le plus souvent des imprimeurs locaux sont sollicités pour procéder aux émissions. Mais
certains grands centres d'imprimerie comme Paris, Lyon et Marseille ont acquis une bonne
spécialité avec des imprimeurs renommés. Plusieurs Chambres de Commerce comme celle
de Nice procèdent à un appel d'offre. A Nice les conditions sont connues précisément : "Prix
identique pour toutes les coupures, papier parcheminé, exécution des vignettes et du texte en
lithographie, dessins fournis par la chambre, tirage des vignettes en trois couleurs dont une en noire,
numérotation des billets par série de 50 000, la série commençant par 00.001 pour se terminer par 50
000, délai d'exécution : 45 jours."
A Bordeaux on change d'imprimeur au fil des émissions Les premiers billets ont été tirés par
Gounouilhou qui fabrique encore les deux émissions suivantes. En 1917, le travail est confié
à l'imprimerie Arnaud et en 1920 à l'imprimerie Wetterwald frères avec des vignettes du
peintre Roganeau. A Montluçon, c'est une imprimerie de la ville qui est retenue. Herbin et
Bouché impriment dès le mois d’octobre 1914 l'émission décidée le 30 septembre 1914 car il a
fallu faire très vite106. Les billets sont mis en circulation dans les premiers jours de novembre.
A Marseille les coupures bleues de 1915 sont dessinées par Valère Bernard et imprimées par
Moullot dans les locaux même de la bibliothèque de la Chambre de commerce. C'est le
même imprimeur qui est retenu en 1917, mais il imprime alors les billets dans ses propres
locaux107. Il réalise aussi l'impression des billets de Cette.
Il semble que pour les émissions plus tardives l'urgence étant moindre, les chambres ont pu
prendre le temps de solliciter d'autres imprimeurs que ceux du crû. En 1920, la chambre de
La Rochelle décide de procéder dans des conditions analogues à celles prévues en 1915, à
une nouvelle émission Les billets différents par leur taille et leurs illustrations sont réalisés
par la maison Devambez à Paris.
Les techniques d’impression ont dû évoluer pour améliorer la qualité des papiers et de
l’encre, limiter les contrefaçons tout en réduisant les coûts souvent pour des quantités plus
importantes. Ainsi l'imprimeur de la Chambre de Commerce de Nice indique qu'il retient le
procédé photomécanique et non lithographique pour reproduire plus fidèlement le dessin
des billets.
Avec le passage des coupures de papier aux jetons métalliques, d'autres métiers que celui
d'imprimeurs sont sollicités. La Chambre de Commerce d'Amiens s'entend par exemple avec
Borg, "un ingénieur mécanicien graveur 21 rue du Temple à Paris qui pourrait livrer régulièrement
50 000 jetons de 25 centimes par semaines "108
103
ACCVD ID 400 et 401.
104
ADD 200 M602.
105
Archives privées de Mme TEZIER à Valence, de M. CEAS, imprimeur et consultation de M.
VANNIER, numismate professionnel.
106
Paynat
107
Boulanger (Patrick)
108
CC Amiens 24 mars 1920
27
La mise en service de la petite monnaie
Une fois édités, il faut mettre en circulation les bons de monnaie. C’est le rôle de la Banque
de France qui procède à l’échange de petites coupures consulaires contre des pièces d’or et
d’argent, des billets de fortes valeurs ou des chèques. Le détail comptable de l'opération de
mise en circulation est simple. Mais c'est un travail au quotidien qui est nécessaire comme le
rappelle une note administrative du secrétariat général de la Banque de France en date du 9
juillet 1915 qui précise les conditions dans lesquelles la Banque apportera son concours à la
Chambre de Commerce d'Orléans pour la mise en circulation de ces coupures : "Chaque jour,
au fur et à mesure des besoins, vous comprendrez dans vos recettes , paiements et échanges , un
certain nombre de bons prélevés sur le stock déposé entre vos mains , en sorte qu'il se produira dans
votre caisse un excédent au crédit d'un compte de dépôt de fonds ouvert à cet effet sur vos livres au
nom de la chambre de commerce. Ce compte, dont le solde représentera la garantie même de
l'émission, ne pourra être débité qu'ultérieurement du montant des coupures retirées de la circulation
sans jamais faire l'objet d'un prélèvement effectif de la chambre de commerce.109"
Plus de 100 chambres émettrices dès 1916 et 124 en 1924
Fin 1916, au cœur de la guerre dans toutes les régions de France, jusqu'à la limite du front, 100
Chambres de Commerce, même dans les colonies, ont lancé des émissions. Elles ont été réalisées
surtout après le premier semestre 1916, car à l'issue d'une réunion du 5 avril des présidents des
chambres de commerce, il est apparu clairement que le gouvernement ne prendrait pas à son
compte ce type de tâche110.
Ce refus d'intervenir qui vaut délégation, s'appuie sur trois principaux arguments. D'une part,
dans ce contexte de crise, l'initiative consulaire soulage l'Etat assailli par les problèmes. «La
décentralisation de l’émission de petites coupures destinées à suppléer l’insuffisance de la monnaie
divisionnaire présente l’avantage, écrivait en 1915 le gouverneur de la Banque de France, de conserver à la
crise son caractère local et, normalement, passager ! »111 D'autre part, les Chambres de Commerce
reconnues comme représentatives (depuis la réforme de 1908, tous les patentés sont électeurs),
sont les premières à recueillir les doléances des petits commerçants et donc à pouvoir répondre
localement aux besoins. Enfin, la nature de ces institutions, devenues établissements publics
depuis la loi du 9 avril 1898 favorise une délégation de ce type : organismes indépendants et
locaux, "leur crédit ne risquait pas de se confondre avec celui de l'Etat"112. Ce statut d'établissement
public inspire confiance et facilite les contrôles du ministère du Commerce.
Entre le 8 août 1914 et le 15 mai 1924 dates de la première et de la dernière émission soit un
peu moins de 10 ans les Chambres de Commerce ont imprimé pour près de 700 millions de
francs de bons de papier.113 Carte
Le nombre de chambres émettrices est passé de 100 exactement en 1916 à 124 en 1924. Paris avec
son émission tardive du 1er juin 1920 de 200 millions représente ainsi près de 30% du total.
Viennent ensuite les chambres de Lille (50 millions pour le groupement économique régional),
Lyon (48 millions), Nancy (16,450 millions), Marseille (16 millions), Brest Quimper (12, 850
millions), Bordeaux (11 millions) etc.
Vie et mort d’un outil de l’échange original
109
Vautravers (Alain), p.3
110
CORVOL (Guy), op. cit., page 116 et surtout compte-rendu microfilmé de l'APCCI 5 avril 1916.
111
Cité par Delécluse (Jacques), Les consuls de Rouen. Histoire de la chambre de commerce de
Rouen, Rouen ed. du Pe’tit Normand, 1985, p 249.
112
CORVOL (Guy), op. cit., page 116.
113
Le montant exact est de 668 millions de francs émissions initiales et émissions de remplacement.
Par ailleurs 975 millions de jetons ont été émis pour remplacer progressivement les billets. D'après le
rapport à la chambre des députés du 22 janvier 1925.
28
Le crédit des monnaies consulaires
Pages 20 -21
8107 signes
Il semble que partout les monnaies consulaires aient été bien acceptées par le public114.
Comment expliquer autrement la multiplication de ces opérations ? Comment expliquer
les émissions à répétition, presque partout systématiques, si le public avait été si réticent
? Partout les émissions se sont répétées, le record français étant de 23 tirages pour la
Chambre de Commerce de Nancy 115
Des monnaies bien acceptées
Les problèmes de circulation des bons de monnaie ont toutefois été bien repérés dès l’origine par
les Chambres de Commerce émettrices. La cohabitation de deux monnaies interroge. Le Trésor a
longtemps craint les effets de la loi dite de Gresham. Cet économiste anglais (1519-1579) avait mis
en évidence, que lorsque deux monnaies circulent sur un même territoire, l'une est considérée par
le public comme bonne, l'autre comme mauvaise, la mauvaise chassant la bonne. En novembre
1915, le président de l'Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce formule les mêmes
craintes et souligne l'importance qu'il y a à rétablir la circulation de la monnaie de billon :
"Malheureusement, nous nous trouvons toujours en présence de ce fait que la mauvaise monnaie chasse la
bonne et que le papier qui, aux yeux du cultivateur est une mauvaise monnaie, empêche la circulation de la
monnaie divisionnaire préférée par certaines classes de la population"116.
Preuve du succès de ses monnaies de papier, à Cahors, on précise que la première émission
de coupures divisionnaire de 100 000 francs décidée le 16 janvier 1915 est épuisée en
quelques … heures seulement. Au total cette chambre procède à 12 émissions entre février
1915 et décembre 1920 pour des montants de 100 à 300 000 francs. 117 Il en est partout de
même.
Dans la circonscription de la Chambre de Commerce de Montluçon les émissions sont très
favorablement accueillies par les commerçants, annonce la chambre. Mais les billets sont au
départ boudés par les caisses de l'Etat, recettes des finances, postes, perceptions sous
prétexte que ces coupures sont encombrantes et donnent un surcroît de travail lors des
arrêtés de caisses. La chambre demande au ministre qu'il donne des instructions pour que ce
papier monnaie soit accepté par toutes les caisses de l'Etat et de la commune de Montluçon.
114
A noter que d’après Pierre Darmon traitant de la situation de Paris, Alexandre Ribot, ministre des
Finances "autorise les chambres de commerce à émettre des petites coupures, dont personne ne veut."
Son affirmation ne renvoie à aucune source précise et ne peut être reprise pour la province ou nulle
part les sources n'apportent d'indication sur un accueil défavorable. Darmon (Pierre), p. 194
115
HABREKORN (Raymond), op. cit., page 11.
116
Archives de l'Assemblée permanente des chambres de commerce, 8 novembre 1915, 5 MI 5.
117
Histoire de la chambre de commerce du Lot
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Les monnaies de nécessité 1915-1926

  • 1. 1 2833 SIGNES – PAGE 1 EDITORIAL Pour Aristote « La monnaie semble, parfois, être une pure futilité … et aussi loin qu’on aille sa nature, un pur rien, car si ceux qui s’en servent abandonnent une monnaie pour une autre, elle devient sans valeur et sans utilité pour les nécessités de la vie. » Mais, paradoxalement, aussi bien est-elle inutile, aussi bien est-elle indispensable ; à tel point que sous la contrainte des circonstances, on l’appelle monnaie de nécessité, voire même, s’il s’agit d’un blocus, monnaie obsidionale. Alors frappé dans des ateliers de fortune en métal plus ou moins avili, cet outil humain le plus simple par son abstraction devient-il rebelle à maîtriser pour assurer les échanges. C’est cette aventure, autant que cette histoire que nous savons gré à Philippe Bouchardeau de nous narrer en mettant en œuvre, entre autres documents, le dossier constitué des nombreuses contributions qui ont leur source dans les archives, les travaux de recherche des Chambres de Commerce et d’industrie et les ouvrages rapportant leur histoire. Il convient de souligner avec quelle intelligence de l’histoire consulaire, l’auteur situe cette importante et originale initiative des « monnaies de nécessité » au service de l’économie en période de guerre, en même temps que la gestion des denrées, la mobilisation des ressources économiques et la sensibilisation à l’emprunt. Ce projet de dossier lancé, dés 2001, par le président Claude Bonfils entend relayer la brochure de M. Habrekorn éditée par l’ACFCI, en 1970, la publication de Philippe Bouchardeau dans la revue de la Société d’Archéologie d’Histoire et de Géographie de la Drôme, en 1999. Il trouve naturellement une place entre la numismatique et l’histoire financière nationale, confirmant le propos de Robert Largaud qui lança l’enquête nationale de 2001 : « Il existe pour l’historien de l’économie, comme celui des mentalités, de vastes espaces à explorer, parce que le fait monétaire est d’abord un signe, un informateur très sensible sur des phénomènes plus cachés. » Il marque une étape. Dans une prochaine livraison, Philippe Bouchardeau présentera un essai bibliographique et historiographique ; par ailleurs, pourraient être abordées ou développées des questions telles que : les initiatives régionales, comme celle du groupement des C.C.I. de Provence, les mémoires de ministres ou directeurs de Banque de France, la lecture critique des textes officiels, le graphisme des billets et l’art, les exemples remarquables d’emploi des intérêts dégagés, la situation dans les DOM.TOM... Ensuite, le comité de rédaction réfléchit sur la façon de rassembler l’ensemble de ces textes - et toute autre contribution nouvelle proposée par les chambres consulaires - pour éditer un « Hors série », comme nous l’avons fait plusieurs fois. Philippe BOUCHARDEAU participe bien par ce travail à la mission confiée à la Commission d’Histoire Consulaire en permettant aux Chambres de s’approprier leur histoire dans une approche culturelle et loin de l’Economie. Pierre-Marie MICHEL Président de la Commission d’Histoire Consulaire
  • 2. 2 LLeess CChhaammbbrreess ddee CCoommmmeerrccee ffaaccee aauuxx qquueessttiioonnss mmoonnééttaaiirreess 8 266 SIGNES + 2710 signes notes de bas de page = 10 976 Pages 2-3 (encadré central) Les monnaies de nécessité, une initiative parmi d’autres encore mal connue Le maintien de conditions matérielles minimales à l'arrière a été un facteur essentiel permettant aux populations rurales mais surtout urbaines d'accepter la prolongation de la très Grande Guerre de 14-18. L'effort économique de l'arrière a mobilisé de multiples institutions. Ainsi la préservation de l'économie locale en temps de paix comme de guerre a été le souci permanent des instances de représentation des entreprises, comme les Chambres de Commerce d’autant que la loi de 1898 leur a donné de larges prérogatives. Dès la déclaration de guerre du 2 août 1914, les élections aux Chambres de Commerce sont suspendues mais l’activité des institutions consulaires dont les membres voient leur mandat prorogé jusqu’à la fin des hostilités n’est pas pour autant arrêtée. Bien au contraire les chambres sont mises à contribution en vue d’aider à résoudre les innombrables problèmes économiques et sociaux résultant, en tout premier lieu, de la mobilisation des chefs d’entreprises industrielles comme commerciales. La participation des élus consulaires aux commissions de réquisitions, du ravitaillement et de l’intendance militaire est importante mais d’autres initiatives ont été prises comme l’émission des bons de monnaies. Les Chambres de Commerce ont ainsi engagé trois types d'actions, la gestion et la répartition de denrées, la participation à la mobilisation économique et la contribution à l'effort de propagande en faveur des emprunts de guerre. L'intervention la plus originale est, sans conteste, celle engagée dans le domaine monétaire avec l'émission de monnaies de nécessité. Une historiographie à renouveler Alors que l’histoire de la première guerre est depuis plusieurs années en plein renouveau1, l'historiographie de la question des monnaies de nécessité est orientée aujourd'hui pour l'essentiel par les travaux des numismates. Souvent remarquables, leur approche demeure purement technique. Malgré son renouveau, l'histoire économique et sociale et même des mentalités, a semble t il en grande partie ignoré ce sujet2. Les monographies de Chambres de Commerce de plus 1 Voir en particulier le tableau des travaux et axes de recherche proposé par Prost (Antoine) et Winter (Jay), Penser la grande guerre. Un essai d’historiographie, Paris Ed. Seuil, 2004, 330 p. 2 C’est ce que démontre notamment le dépouillement de la bibliographie annuelle de l'histoire de France, publiée par le CNRS de 1965 à 1995 et une recherche bibliographique dans plusieurs bases de données. Voir avec la liste de plus de 60 ouvrages et articles : Bouchardeau (Philippe), Note bibliographique et historiographique sur les émissions de bons de monnaie par les chambres de commerce et par diverses institutions, à paraître.
  • 3. 3 en plus nombreuses, les articles de la Revue d’histoire consulaire sont essentiels pour améliorer la connaissance locale du phénomène. La collecte d’articles et de documents réalisée dans le cadre de la Commission d’Histoire Consulaire a été fructueuse de ce point de vue. Il reste encore à conduire des explorations à l’échelle locale dans la presse et les archives des comptoirs et succursales de la Banque de France etc. ainsi qu’à l’échelle nationale dans les archives des ministères, celles de l’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce apportant des éclairages utiles.3 Il faut rappeler que les monnaies de nécessité ont une longue histoire. Mais jamais le phénomène n’a connu une telle ampleur et une telle variété que pendant la première guerre mondiale. Trois questions retiennent l'attention : dans quel contexte sont intervenues ces initiatives monétaires ? Comment les institutions consulaires, organes de représentation des milieux d'affaires locaux au statut d'établissement public ont-elles participé à l'organisation financière de la France pendant la très grande guerre, mais aussi quel a été le rôle de ces monnaies et quelles ont été les conséquences de cette nouvelle mission sur les Chambres de Commerce une fois la paix retrouvée ? De la monnaie nécessaire à la monnaie de nécessité L'apparition des monnaies de nécessité est un phénomène ancien et récurrent en périodes difficiles, en particulier. Les deux substantifs que joint le terme de « monnaie de nécessité » méritent (on pourrait dire « nécessitent ») explication. Certes la monnaie est nécessaire, elle est de nécessité dans une économie d’échanges complexe où elle remplit la triple fonction de calcul économique, de réserve de valeur et de paiement, mais ici le terme de monnaie de nécessité recouvre l’idée de contrainte suivant en cela La Rochefoucauld qui marquait une différence entre ces notions en ce que la première est accompagnée du penchant de la volonté et que la seconde lui est opposée.4 Ce propos conduit à une proposition de définition : les monnaies de nécessité sont frappées sous la contrainte des circonstances dans des ateliers de fortune, en métal plus ou moins avili, parfois même en carton, pour suppléer à la disette de numéraire. Crises, sièges, blocus, guerres, mais aussi éloignement ont souvent incité des autorités locales diverses à créer des monnaies de substitution. Les numismates surtout se sont intéressés à ce phénomène des monnaies de nécessité qui remet en cause les idées trop simplistes liant toujours la création d'une monnaie au pouvoir régalien d'un Etat ou d'un souverain. 3 Le présent dossier s'appuie notamment sur les nombreuses contributions recueillies dans le cadre de la commission d’histoire consulaire, sur différents ouvrages d’histoire de chambres de commerce et articles de la Revue d’histoire consulaire. Des compléments ont été apportés, en particulier à partir des archives du ministère du Commerce déposées aux Archives Nationales à Paris (F 12.8042 etc.), des archives du ministère des Finances à Savigny-le-Temple et des archives de l'Assemblée Permanente des Chambres de Commerce microfilmées à la Chambre de Commerce de Paris (série 5MI5 et suivants et III 617, etc.). Sur ce dernier thème voir Bouchardeau (Philippe), L’assemblée des présidents de chambres de commerce face à la question des monnaies de nécessité. Entre pragmatisme et légalisme, à paraître. Ces différentes sources documentaires sont citées au fur et à mesure de leur utilisation dans le cadre des notes. 4 La Rochefoucauld, Maximes, édition de 1678, Paris, Gallimard, La Pléiade, p. 470 (Maxime 504) cité par Michel (Pierre-Marie), Les monnaies de nécessité. La chambre de commerce de Nîmes au service de la circulation monétaire durant la Première Guerre mondiale. Mémoires de l’Académie de Nîmes. Tome LLXXVI, 2003, H84.
  • 4. 4 Armand Lacroix, numismate5, a repéré dans l'histoire de nombreux exemples d'apparition de monnaies de substitution. Dans l'Antiquité, les légions romaines des marches de l'Empire ont émis en certaines occasions des "deniers saucés" c'est-à-dire frappés sur les flans de bronze trempés dans un bain d'argent. C'est de la même manière l'éloignement qui justifie au XVIIe siècle dans la colonie française du Canada l'apparition d'une monnaie particulière ; pour pallier le refus de la métropole d'introduire des quantités suffisantes d'espèces métalliques d'or et d'argent et la pénurie qui s'en suit, l'Intendant Jacques de Meules met en œuvre une solution originale. En 1685, il utilise des cartes à jouer qu'il fait timbrer au revers d'un poinçon aux armes de France ; s'y ajoutent de façon manuscrite la date, la valeur et la signature des autorités (Intendant, Gouverneur). A la Réunion, le général Decaen, gouverneur de l'île sous l'Empire profite de la prise de 230 000 piastres à un bateau portugais par le Brick du Capitaine Bouvet pour, après refonte, frapper la piastre Decaen, écu de 10 livres, à la légende "Ile de France et Bonaparte" et "Ile Bonaparte", nom de la Réunion à cette période. Il résout ainsi le manque de monnaies résultant du blocus anglais des colonies. Les sièges et les blocus, souvent très longs pendant les guerres de l'Ancien Régime, ont également nécessité le maintien d'une activité économique. Les assiégés ont ainsi dû battre des monnaies dites "obsidionales", c'est-à-dire frappées sur un métal résultant de la fonte des vieux canons. Pendant les trois mois du siège de Lille de 1709, épisode de la guerre de succession d'Espagne, le maréchal de Boufflers, assiégé, fait ainsi frapper des pièces de 5, 10, 20 sols. Toujours avec le bronze de vieux canons, en 1793, le général de Custine encerclé par les Prussiens fait battre des monnaies de 1, 2 et 5 sols. A Anvers en 1814, Lazare Carnot, assiégé par les Prussiens, fait émettre des pièces de bronze de 5 et 10 centimes à l'effigie de Napoléon puis de Louis XVIII après l'abdication de l'Empereur. Quelques Chambres de Commerce ont aussi acquis une expérience dans le domaine monétaire. En 1790, à l'occasion de la crise des assignats, elles font parvenir à l'assemblée des mémoires alarmistes6. Pendant la Révolution, des monnaies de confiance sont émises par divers commerçants parisiens tels que les frères Monneron, Lesage etc. La crise révolutionnaire est une période d’intenses émissions de monnaies de nécessité en beaucoup d’endroits. Ainsi à Bordeaux, en 1790 dans la plupart des cafés de la ville on met en circulation des billets imprimés7. Au début du XIXe siècle, lors de l'institution du franc germinal par le Premier consul Bonaparte, le gouvernement a sollicité, par l'entremise des préfets, le concours des chambres de Commerce pour mettre fin au désordre monétaire en faisant disparaître les pièces d'Ancien Régime et les assignats. La Chambre de Commerce d'Avignon, par exemple tout comme celle de Tours rachète au poids les pièces rognées de 6 livres Tournois8. Beaucoup de Chambres de Commerce font l’expérience de l’action monétaire à l’occasion de la guerre de 18709. Entre 1870 et 1873, une multiplicité d'émissions de bons de monnaies (320 émetteurs dont 16 chambres de commerce) circule localement pour faciliter le règlement de salaires d'ouvriers ou de transactions commerciales. Cette expérience confirme d'ailleurs la banalisation du billet de banque même dans les classes populaires. 5 Numismate, Armand Lacroix a été conservateur du remarquable petit Cabinet de monnaies et médailles du Revest dans le Var. Il dispose de la première collection française de monnaies de nécessité et en particulier des chambres de commerce. Il a mis à notre disposition quatre brochures d'information très documentées que nous suivons ici. 6 Sédillot (René), Le Franc : histoire d'une monnaie des origines à nos jours, Paris, Ed. Sirey, 1953, page 121. 7 Traimond (Bernard), La fausse monnaie au village. Les Landes aux XVIII et XIXe siècles, Terrain, Les usages de l’argent, N° 23, oct. 1994. 8 Giry (Alfred de), Deux siècles d'économie tourangelle vécus par la Chambre de Commerce et d'Industrie, Ed. CLD, 1981, page 47. 9 L’ouvrage de référence de Roth (François), La guerre de 1870, Paris, Ed . Fayard, 1990, 778 p. ignore totalement le phénomène des monnaies de nécessité.
  • 5. 5 Les Chambres de Commerce face aux questions monétaires Une vigilance monétaire au XIXe siècle Les chambres et la lente conquête de la monnaie fiduciaire 8918 SIGNES + 2 271 notes de bas de page = 11 189 signes Pages 4 – 5 (encadré central) Tout au long du XIXe siècle, période de relative stabilité monétaire qui débute avec l’instauration du franc germinal10, les Chambres de Commerce ont avant tout constitué des lieux d'observation des phénomènes monétaires. Elles sont particulièrement attentives aux problèmes de circulation dénonçant les pénuries et les monnaies parasites qui entravent le bon fonctionnement des activités économiques. Elles suivent de prêt par exemple l’usage des billons, cette monnaie d’alliage qui ne représente pas commercialement, la valeur pour laquelle elle est mise en circulation (plus communément la loi désigne, alors, la monnaie divisionnaire de bronze et, par extension, celle de nickel ; les pièces en circulation, à la veille de la guerre sont les 25 centimes nickel, et les 10, 5, 2 et 1 centimes bronze). Le franc Germinal est long à s’imposer : pièces étrangères, fausses ou démonétisées concurrencent longtemps les nouvelles pièces comme le montrent des études locales dans les Landes ou en Dordogne par exemple11. L’anarchie monétaire laisse des traces dans les mémoires et pratiques jusqu’à la fin du siècle et l’Etat est obligé de tolérer les espèces les plus bizarres qui participent aux échanges. En 1868, 33 types de pièces de bronze ont un court légal en France et on parle encore en sous ou en réaux comme en Bretagne. Les Chambres de Commerce s’intéressent aussi à la diffusion du billet de banque. Après l’échec de Law à la fin de l’Ancien Régime et l’expérience malheureuse des assignats, les Français sont longtemps réticents à l’égard des billets de banque. Toutefois la création de la Banque de France en 1801 qui reçoit en 1803 son statut définitif et bénéficie seulement en 1848 du privilège exclusif d’émettre des billets de banques rassure et facilite de développement du billet. La période de 1880 à 1914 en particulier est reconnue comme "l'âge d'or de la monétarisation française"12. On entend par monétarisation l'évolution des fonctions monétaires remplies par la monnaie : étalon de valeur, moyen de paiement, d'épargne et de crédit. Avant la Première Guerre mondiale, une division fonctionnelle entre les billets utilisés pour les gros paiements et les pièces affectées aux petites transactions s'est confirmée comme le démontrent les enquêtes du ministère des Finances et de son Service de Mouvement Général des Fonds13. Les pièces d'or reculent, mais les billets moyens et petits progressent aussi dans l'ensemble des 10 Les discussions et enjeux de la loi de germinal sont étudiés par Thuillier (Guy), La réforme monétaire de l’an XI. La création du franc Germinal, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 1993. 11 Voir : Thuillier (Guy), La monnaie en France au début du XIXe siècle, Paris, Ed. Droz, 1983, Confavreux (Joseph) Usages sociaux de la monnaie en Dordogne dans la première moitié du XIXe siècle, Ruralia, 2000, 07 et Traimond (Bernard), op. cit. 12 SAINT-MARC (Michèle), Histoire monétaire de la France 1880-1980, Paris, Ed. PUF, 1983, p.129. 13 Enquête citée par BOUVIER (Jean) in sous la direction de BRAUDEL (Fernand) et LABROUSSE (Ernest), Histoire économique et sociale de la France, Paris, Ed. PUF, 1979, tome IV 1, pages 164- 165.
  • 6. 6 paiements courants. Dans une de ces enquêtes, les départements ruraux apparaissent plus utilisateurs de l'or et des pièces métalliques en particulier que les régions à fort développement économique et urbain. A la veille de la guerre en 1913, la monnaie métallique aurait atteint le montant de 9,4 milliards de francs et le billet de banque 5,7 milliards de francs. Des chambres en état de veille : l’exemple de Valence et de Nîmes De 1880 à 1914, longue période de stabilité monétaire et de paix, la Chambre de commerce de Valence14 et de la Drôme prend conscience de ses possibilités dans le domaine monétaire à deux occasions. Tout d'abord en 1892, Octave Berger, épicier en gros15, signale à la chambre la circulation, à Valence et Romans, de petites monnaies étrangères (principalement suisses et italiennes16, mais aussi argentines et indo-chinoises). « Les petits commerçants la rendent aux gros industriels qui la donnent à leurs ouvriers ». Ces derniers, qui réalisent leurs achats avec cette monnaie parasite, créent ainsi un cercle vicieux contre lequel répond le ministre, "l'administration ne dispose d'aucun moyen d'action". Entre 1894 et 1896, le phénomène semble concerner tout le Sud-est et suscite des pétitions de petits commerçants, tandis que la Chambre de Commerce alerte le ministre des Finances. Sur proposition de ce dernier, "La chambre demande aux commerçants de retenir ces monnaies et de s'en servir pour payer leurs impôts ou se faire rembourser"17. Ensuite en 1894 et 1904, la Chambre de Commerce fait campagne pour l'utilisation des chèques barrés, vulgarisant ainsi un système encore peu usité18. La chambre se révèle comme un lieu stratégique d’observation des problèmes monétaires, d'autant plus que de nombreux élus consulaires participent à l'organisation bancaire locale comme conseiller ou censeur à la succursale de la Banque de France, ou comme administrateur des caisses d'épargne et des banques privées locales. Il n'est donc pas étonnant que l'institution consulaire soit parmi les premières à poser le problème de la circulation monétaire pendant la Grande Guerre. A Nîmes19 on relève, dans les délibérations consulaires d’octobre 1910 à octobre 1913, des interventions et débats concernant les manques de monnaies et de billons en circulation. Dès 1910, les représentants de la Chambre de Commerce de Nîmes expriment les doléances des négociants. Des démarches sont faites auprès du Trésorier Payeur Général qui reçoit 6.000 F du ministère. Mais cela est notoirement insuffisant. Pour parer aux besoins du commerce dans la circonscription, il faudrait obtenir l’envoie de 30 000 F. Juvenel, seul, en demande pour 4.500 F. Les plaintes des commerçants et les protestations de la chambre se renouvellent. 14 Les éléments qui suivent s’appuient sur : Bouchardeau (Philippe), Histoire de la Chambre de Commerce de Valence, tome 2, Valence, 1988, Ed. Université des Sciences Sociales de Grenoble et Chambre de Commerce de Valence, pp.136 à 158 et Bouchardeau (Philippe), Les monnaies de nécessité de la Chambre de commerce de Valence, Revue drômoise, n° 493- 494, déc. 1999, pp. 95 à 113. 15 On trouve dans différents fonds d’archives des traces de l’intérêt de négociants pour les questions monétaires. Voir par exemple dans les papiers de famille de petits industriels drômois les circulaires ministérielles de 1903 et 1904 relatives aux monnaies de nickel (Archives Départementales de la Drôme ADD J 657 4). 16 Des instructions des années 1860-1870 autorisaient la circulation des monnaies italiennes, suisses et belges en France (ADD 1 P19). En 1838, on signalait des monnaies étrangères dans tous les arrondissements drômois et le Sous-préfet de Montélimar écrivait : "Il y a beaucoup de billons (pièces d'environ 10 centimes) frappés dans le royaume d'Italie" (ADD 6 Mc20). 17 Bulletin de la Chambre de commerce de Valence et de la Drôme –BCCVD- 1 1894 et 4 1896. 18 Archives de la Chambre de commerce de Valence et de la Drôme –ACCVD- IC 200 (21:04/1894) et BCCVD 3 1904. 19 Michel (Pierre-Marie), op.cit.
  • 7. 7 La pénurie est telle qu’il faut payer une prime de 1 à 2% pour s’en procurer. Les démarches ont des effets toujours limités car l’environnement est de plus en plus défavorable. Certes la production est peu importante du fait qu’il n’existe qu’un atelier, celui de la Monnaie de Paris, mais pour certains les raisons de cette pénurie tiennent à la situation politique de la France. En effet, à une période de stabilité succède une série de crises ministérielles avec huit gouvernements, dont certains sont particulièrement prodigues des deniers publics, ce qui crée un défaut de confiance à l’égard des institutions. A cela s’ajoutent les dépenses militaires entraînées soit par les opérations au Maroc, soit par les mesures pour faire face au pangermanisme. Après les conférences d’Algésiras le risque de conflit devient imminent20. Aussi bien, les déficits budgétaires successifs conduisent au lancement d’un emprunt de 1.300 millions de francs, fin 1913. La thésaurisation due à la peur et un début d’inflation se renforce alors. A la veille de la guerre, les Chambres de Commerce ont acquis une reconnaissance officielle de la part des pouvoirs publics par la loi de 1898. Elles disposent aussi d’une instance nationale de représentation avec l’assemblée des présidents des chambres de commerce. Les Chambres de Commerce et la loi de 1898 : de la représentation à l’action La loi du 9 avril 1898 fonde encore aujourd’hui le droit relatif aux Chambres de Commerce. Ce texte longuement débattu définit dans son article premier les Chambres de Commerce comme « étant auprès des pouvoirs publics, les organes des intérêts commerciaux et industriels de leur circonscription ». Ce sont des établissements publics et leurs attributions sont de deux natures d’après l’article 11 : d’une part « donner des avis et informations et avis sur les questions industrielles et commerciales » et « présenter les moyens d’accroître la prospérité de l’industrie et du commerce» et d’autre part « d’exécuter des travaux et d’administrer des services nécessaires aux intérêts dont elles ont la garde.» Certains avis sont obligatoirement requis par les pouvoirs publics d’après l’article 12 de la loi notamment sur les règlements relatifs aux usages commerciaux, les taxes destinées à rémunérer les services de transport concédés sur l’utilité des travaux publics à exécuter…D’autres avis sont à l’initiative des chambres comme par exemple les changements de législation commerciale, sur les tarifs douaniers et plus généralement sur les tarifs et règlements des services des transports et des établissements ouverts à l’usage du commerce. La fonction d’administration des services dévolus aux chambres de commerce se traduit par l’autorisation de construire et d’administrer des établissements à l’usage du commerce, magasins généraux, salles de vente, entrepôts ou à vocation d’enseignement, écoles de commerce ou professionnelles. Les chambres peuvent également être concessionnaires de travaux publics ou chargées de services publics, ports maritimes, voies navigables, aéroports … Leur rôle est reconnu dans le domaine de l’enseignement technique, la délivrance de certificats d’origine pour les marchandises destinées à l’exportation. Enfin les dispositions financières du titre III de la loi de 1898 donnent le droit aux chambres de lever l’impôt en autorisant « une imposition additionnelle au principal de la contribution des patentes ». Elles peuvent être autorisées par décret à contracter des emprunts. Précisant leur rôle, la loi de 1898 donne une dimension nouvelle aux Chambres de Commerce. 20 En fait, c’est dès 1911 que les mesures financières pour accompagner l’effort de guerre sont prises. C’est la fameuse « Circulaire Bleue ». Voir : Valance (Georges), Histoire du franc, Paris, Ed. Flammarion, 1998, p. 225.
  • 8. 8 Les Chambres de Commerce face aux questions monétaires Le constat des désordres monétaires dès août 1914 et jusqu'aux années 1920 12 574 signes +1 905 signes notes de bas de page = 14 479 signes Pages 6-7-8-9. Ala veille de la guerre, le système monétaire français distingue les pièces d’or et les pièces de cinq francs qui ont cours légal et valeur libératoire des pièces divisionnaires (un franc et cinquante centimes) qui sont au titre de 835 millièmes. Le franc est donc devenu une monnaie de compte dont le pouvoir libératoire est limité. Le centime en bronze pèse un gramme, ce qui met le cuivre à dix francs le kilogramme. Y a t-il insuffisance de monnaies métalliques à la veille de 1914 ? En 1914 quelles sont les masses métalliques en circulation ? L’encours or est de l’ordre de quatre à six milliards en pièces de cent, vingt, dix et cinq francs frappées sous le Second Empire et la IIIe République. L’encours argent est évalué de six millions à un milliard pour les pièces de cinq francs qui toutes ont cours légal et libératoire de même que les pièces d’argent de l’Union latine21 et d’environ deux cent quarante millions pour les pièces divisionnaires sans compter celles en circulation dans les colonies et à l’étranger. Pour les pièces de bronze l’encours est d’environ soixante dix millions de francs en pièces de un, deux, cinq et dix centimes. De 1852 à 1914, un milliard cent cinquante sept mille pièces de bronze sont frappées dont 440,6 millions de 10 centimes et 717 millions de cinq centimes. Par ailleurs, quarante millions de pièces en nickel pur de 25 centimes « Patey » sont émises en 1903, 1904, 1905. Puis la loi du 4 août 1913, un an donc avant le conflit, prescrit l’émission de monnaie de nickel d’un type nouveau, du graveur Lindauer, au flanc troué pour éviter la confusion avec les pièces d’argent. La nouvelle série commence en 1914 avec quelques exemplaires rarissimes de 10 et 5 centimes et 941.133 exemplaires de 25 centimes. Globalement l’encours de monnaie divisionnaire est donc satisfaisant pour les besoins du temps de paix ; mais on peut estimer que l’Etat, devant la montée des tensions avec l’Allemagne, engage trop timidement et trop lentement les émissions qu’autorise la loi du 4 août 1913. 21 La France, la Suisse, la Belgique et l’Italie se regroupent au sein d’une communauté monétaire le 23 décembre 1865, sous le nom de l’Union latine. Cet accord permet la libre circulation des monnaies au sein de cette zone, mais ne concerne que les pièces. Vaslin (Jacques-Marie), Le franc et l’Union latine, Le Monde, 22 janvier 2002.
  • 9. 9 Thésaurisation et première pénurie de l’été 1914 L'annonce de la déclaration de guerre et la mobilisation de l'été 1914 ont provoqué diverses réactions très significatives de la psychologie des Français : devant beaucoup de banques des queues se forment et un mouvement de retrait de grande ampleur met temporairement en difficulté certaines banques comme le Crédit Lyonnais ou le Comptoir National d'Escompte, tandis que le ministère des Finances prend un arrêté limitant à 50 francs les remboursements des Caisses d'Epargne22. Cette réaction faite à la fois de panique et de prévoyance, dictée par la crainte du manque d'argent et la fuite devant le papier monnaie, met en évidence la sensibilité de l'indicateur que constitue l'attitude du public à l'égard des problèmes de monnaie. Dès le mois d'août 1914, une pénurie de petites monnaies touche la région parisienne et les régions du nord de la France. Le Matin journal parisien signale dans son édition du 2 août23 que les billets de 5 et 20 francs se cachent et que bien des jeunes soldats partent au front sans un sou. Pourtant dès son édition du 7 août ce même journal se veut rassurant : « Le jour, Paris a un air de fête. Foule sur les boulevards … On commence à revoir de la monnaie et le change d’un billet de 50 francs n’est plus une opération qui, lundi semblait irréalisable».24 En avril 1915, le rapport du conseil d'administration du Comptoir National d'Escompte présenté à l'assemblée générale annuelle relate qu'en juillet et août 1914, outre un important retrait de fonds, une panique a saisi la clientèle, "panique encore accrue par la raréfaction de la monnaie conséquence d'un dangereux mouvement de thésaurisation"25. La pénurie de monnaie accélère la thésaurisation ; la crainte de manquer d’appoint est comme contagieuse, particuliers et commerçants tentent d’en faire des stocks, des spéculateurs drainent le numéraire avec l’espoir d’en tirer bénéfice. Les régions proches du front sont particulièrement affectées. A Amiens la situation monétaire prend un tour dramatique à la fin de l’été 1914, d’autant plus que la ville a été occupée par les troupes allemandes. Le 6 septembre 1914, les membres de la Chambre de Commerce entendent le président qui, d’après le registre de délibérations, « expose la situation pleine de péril qui est faite actuellement au commerce et à l’industrie depuis le premier jour de la mobilisation époque à laquelle la vie industrielle et commerciale a été presque complètement arrêtée par suite de la difficulté de se procurer des fonds en banque pour la paiement des salaires de ouvriers. » 26 Mais le sud de la France est aussi très vite touché par la pénurie. Les archives du ministère du Commerce et de l'Industrie ont gardé la trace des multiples difficultés liées à la circulation monétaire dès août 1914 et des sollicitations faites auprès des Chambres de Commerce. Au fil des mois, les problèmes vont en augmentant. 22 Becker (Jean-Jacques), 1914. Comment les Français sont entrés en guerre, Paris, Presse de la FNSP, 1977, 638 pages index et bibliographie, pages 513-514. Voir aussi Pourcher (Yves), Les jours de guerre. La vie des Français au jour le jour 1914-1918, Paris, Ed. Plon, Collection Pluriel, 1994, pages 57-58. 23 Cité par Darmon (Pierre), Vivre à Paris pendant la grande guerre, Paris Ed. Fayard, 2002, p.9. 24 Idem p. 14 25 Becker (Jean-Jacques), op. cit., page 515. Voir aussi Pourcher (Yves), op. cit., pages 58-59 et 116- 117. 26 Chambre de commerce d’Amiens. Registre de délibérations dépouillé par H.H. Thickett.
  • 10. 10 Dans sa séance plénière du 12 août 1914, la commission permanente de la Chambre de Commerce de Nîmes entreprend auprès du ministre des Finances une démarche appuyée par Gaston Doumergue, sénateur du Gard, et ministre des Colonies afin d’obtenir «l’envoi immédiat de monnaies de nickel et de bronze pour faciliter les paiements des salaires des ouvriers du commerce, de l’industrie et de l’agriculture ainsi que les transactions en général.» La réponse arrive le 8 septembre par le télégraphe : « Impossible actuellement envoyer monnaies »27. Le télégramme est envoyé de Bordeaux où le gouvernement s’est replié sur l’insistance du général Joffre face à l’arrivée de l’armée allemande jusqu’à la Marne. La Chambre de Commerce de Nîmes s'inquiète aussi spécifiquement pour le paiement des vendangeurs. Elle délibère dès le 5 septembre 1914 pour demander 50 000 F en monnaie de billon afin de "remédier à la raréfaction monétaire dans sa circonscription". Le ministre rappelle alors qu'il n'est "pas possible d'approvisionner en monnaie de nickel et bronze", mais demande à la Banque de France du Gard de prendre des mesures28. Comme à Nîmes, à Bordeaux, l'approche des vendanges et les frais liés à la récolte inquiètent aussi la chambre de commerce qui, en septembre 1914, propose de donner sa garantie à la Banque de France pour débloquer les sommes nécessaires29. Le témoignage d'un petit commerçant de Saint-Jean-d'Angély qui écrit au ministre du Commerce replié à Bordeaux le 9 décembre 1914, est précieux. "Je me permets de venir attirer votre attention sur la crise terrible qui surgit en ce moment-ci, concernant la petite monnaie de 5 centimes à 50 centimes. Elle a été complètement retirée de la circulation, ce qui nous cause, à nous commerçants, un préjudice considérable. Nous sommes soumis à manquer la vente à crédit, ce qui n'est pas le moment ..."30. Même loin du front et des opérations militaires, la pénurie de monnaies divisionnaires se fait sentir. A Mostaganem en Algérie, les salaires des moissonneurs puis des vendangeurs ont nécessité une grande quantité de petites monnaies. Mais là, en septembre 1914, la Chambre de Commerce fait appel à la Banque de l'Algérie même "si certaines Chambres de Commerce de la métropole suivies par la Chambre de Commerce d'Alger, ont pris la très louable initiative d'émettre des petites coupures ..."31. Des crises monétaires qui se succèdent de 1914 à 1920 La déclaration de guerre passée la pénurie persiste. Une chronologie des crises est proposée par Guy Corvol32 qui détecte une crise générale d'accès à la petite monnaie dès août 1914, puis entre août et novembre 1915 et à nouveau au mois d'août en 1916 jusqu'à la fin 1918. La crise la plus forte est celle d'octobre 1919 à mars 1920. C'est la plus intense et la dernière. Faute de dépouillement d'archives à travers toute la France, il est encore impossible de valider cette chronologie de manière certaine. Pour éviter une crise monétaire liée à l'état de guerre, la Banque de France, dès le décret de cours forcé du 5 août 1914, fait sortir de ses réserves et met en circulation des billets de "20 F bicolore" imprimés de 1874 à 1905 et de 1906 à 1913, encore jamais utilisés33. Par ailleurs, elle ressort un stock de billets de "5 F bleu" émis et ayant circulé entre 1871 et 1874 ainsi qu'un nouveau tirage de ces billets imprimés. 27 CCI de Nîmes 28 AN F12/8042. 29 AN F12/8042. 30 AN F12/8042. 31 AN F12/8042. 32 Corvol (Guy), L'émission des bons de monnaie par les chambres de commerce, thèse pour le doctorat, Ed. Rousseau et Cie, Paris, 1930, 288 pages, bibliographie. 33 Habrekorn (Raymond), Au secours de la circulation monétaire. Les chambres de commerce émettrices de monnaie de nécessité, document dactylographié, APCCI, 1970, page 1.
  • 11. 11 Les premières émissions de billets, mais aussi de petites monnaies par la Banque de France (en août 1914, puis d'août à novembre 1915) permettent de ralentir un peu le phénomène de thésaurisation. Dès février 1915, la Chambre de Commerce de Valence est saisie des doléances de petits commerçants qui manquent de petite monnaie34. A l'automne 1915, les Français prennent conscience d'une guerre longue35. En octobre 1915, par exemple, Charles Huguenel, Président de la Chambre de Commerce de Valence note : "Nous ne sommes pas au bout des hostilités, la monnaie divisionnaire n'est pas prête de reparaître ..."36. La pénurie fait l’objet d’échos dans la presse et n’a pas été étrangère à la représentation nationale. Dans un rapport de 1915 à l’Assemblée nationale, un député dénonce les atteintes à la circulation de la monnaie et « ceux qui amassaient une quantité de monnaie supérieure à leurs besoins ». Il indique que la crise provoquée par la disparition d’une partie de la petite monnaie jetée dans la vie économique du pays un grave trouble et provoque dans l’esprit du public une « vive et légitime émotion ». Il ajoute que « cette crise pourrait avoir demain des conséquences particulièrement graves si l’on ne s’empressait d’y porter remède.37 » Une pénurie persistante de la guerre à la paix En 1916, la Banque de France met en circulation des billets de 10 F. Mais ces émissions n'ont donc pas concerné les petites valeurs de 0,25 F à 2 F. Néanmoins, une pénurie moins rigoureuse s'étend à l'ensemble du pays. En mars 1916, le soyeux Lambert de Saillans petite cité de la vallée de la Drôme, conseiller général et membre de la Chambre de Commerce de Valence souligne que "malgré la vaillance de nos officiers et soldats, il est difficile de prévoir dès maintenant la fin des hostilités"38. A partir de l'automne 1916, jusqu'en 1918, la pénurie latente de petite monnaie s'aggrave. En septembre 1916, le Préfet de la Drôme, Charles Maulmond, déjà conscient du phénomène, décide de l'envoi d'une circulaire à tous les maires du département : "Je suis avisé que dans certaines communes, la pénurie de monnaie divisionnaire continue à se faire sentir"39. La rareté a pénalisé d’abord les petits commerçants incapables de rendre la monnaie puis les entreprises agricoles ou industrielles dont les salariés sont souvent payés à la semaine ou à la quinzaine. En octobre 1920 la pénurie n’a pas fini de se faire sentir dans la circonscription de la Chambre de Commerce d'Amiens : " Le commerce de détail et l'industrie éprouvent encore des difficultés dans les paiements, surtout les jours de paie.40" Bien plus tard que le petit commerce et l’industrie, le secteur des transports urbains longtemps pourvoyeur de petites monnaies finit aussi par être affecté. A Paris, des receveuses du tramway prétextent l’insuffisance d’éclairage pour n’accepter que les voyageurs capables de présenter l’appoint. Dans le métro, la vente de billets individuels devient impossible. Mais les carnets de dix billets sont trop onéreux pour les petites bourses. 34 BCCVD 1 1915. 35 Becker (Jean-Jacques), Les Français dans la Grande Guerre, Paris, Ed. Robert Laffont, 1980, pages 101 à 105. L'auteur ne s'est pas intéressé aux problèmes monétaires, pourtant très révélateurs de la psychologie des Français (approche privilégiée dans ses ouvrages) et essentiels pour comprendre comment le pays "a tenu". De même, Yves Pourcher n'évoque pratiquement pas la question des monnaies de nécessité. 36 BCCVD 2 1915. 37 Nice 38 BCCVD 1 1916. 39 ADD 200 M 603 (circulaire du 6 septembre 1916). 40 CCI d’Amiens 12 octobre 1920
  • 12. 12 Les statistiques de la Compagnie des tramways de Nice révèlent la gravité de la situation locale. Les encaissements hebdomadaires en monnaies divisionnaires de billons et d’argent qui avaient sensiblement fléchi depuis 1914 se réduisent considérablement à partir d’août 191641. Les surveillances de la police détectent quelques trafics illicites comme le fait apparaître par exemple un rapport des policiers parisiens du 10 janvier 1918 : « A la station d’autobus place de la Madeleine, quatre receveuses ont été vues remettant de la monnaie à un garçon du restaurant Weber, rue Royale, qui les attendait sous une baraque du marché aux fleurs.42» Mais c'est après l'armistice, entre octobre 1919 et novembre 1920, que la crise est la plus intense : le Journal de Valence, en octobre 1919, alerte ainsi les autorités par un long article reproduit de la Dépêche de Toulouse. En 1920, un journaliste drômois de l'Avenir s'émeut de cette pénurie qui s'est étendue aux petits billets de banque : "du papier de grâce, du papier pour l'amour de Dieu !"43. La presse et les autorités n’en finissent pas de s'interroger sur les raisons de cette pénurie qui persiste en temps de paix. 41 Nice 42 Darmon (Pierre), op. cit., p. 195 43 CORVOL (Guy), op. cit., page 70.
  • 13. 13 Les Chambres de Commerce face aux questions monétaires Les Chambres de Commerce, lieu d’observation des désordres monétaires Des difficultés d'origines psychologiques autant qu'économiques, financières et sociales 11 138 signes +1 477 = 12 615 Pages 10-11 Les analyses du phénomène par les observateurs mettent d’abord en avant des causes psychologiques. D'après le préfet de la Drôme, dans sa circulaire de 1916 aux maires du département : "cette pénurie est provoquée en grande partie par la thésaurisation abusive et irréfléchie, pratiquée par certaines personnes". Cette accumulation stérile de valeurs semble d'abord un réflexe de prévoyance naturel, personnel et définitif : tout ce qui pouvait servir de moyens de paiement était bon, pensait-on, à conserver en attendant des jours meilleurs, c'est-à- dire monnaies d'or, pièces d'argent et même billets. On explique ainsi aisément la thésaurisation des pièces d’or et d’argent même si pour ces dernières la valeur réelle est en 1914 depuis longtemps inférieure à la valeur nominale. Le stockage de métaux précieux même avec un risque de dépréciation est toujours un réflexe de défiance, de crainte dans un avenir incertain. On comprend beaucoup moins bien l’éclipse des pièces de billon de 5 ou 10 centimes communément appelées un ou deux sous qui n’ont pas de valeur intrinsèque. Y a t il confusion de la part du public ? assimilation de tout ce qui brille aux métaux précieux ? Pour certains, « il faut attribuer probablement cette dissimulation à la méfiance du paysan et du petit commerçant qui croyaient mettre en réserve une forme de richesse ; prenant le signe pour la chose. 44» La rumeur n’est pas étrangère aux pratiques de thésaurisation. Ainsi en juin 1918, d'après un télégramme codé du ministère de l'Intérieur très méfiant au préfet de la Drôme, le réflexe est provoqué : "En certaines régions, notamment dans le Sud-Ouest, une campagne est menée en vue d'ébranler la confiance du public dans les billets de Banque"45. D'après le ministère, une campagne de ce type est menée dans l'arrondissement de Montélimar, ce qui laisse l’historien perplexe, le préfet et la presse locale restant muets à ce sujet46. 44 Dormoy (Jacques), Les émissions de billets de banque à bordeaux, Actes de l’Académie de Bordeaux, tome XXIX, 1974, p.52. Document signalé par Josiane Chirol, responsable « archives courriers » à la chambre de commerce de Bordeaux. 45 ADD 200 M 603. Circulaire du ministère de l'Intérieur aux Préfets. 46 Pas de mention aux ADD, ni dans les sondages effectués dans le Journal de Montélimar et le Journal de Valence ; la note a été transmise au commissariat de police dont les rapports n'ont pu être retrouvés.
  • 14. 14 Toutefois, déjà en 1915, on dénonçait la présence d'étrangers à la recherche d'or pour le compte des Austro-Hongrois. En 1916 puis surtout 1917 et 1918, on demande aussi au sous-préfet de Montélimar de "surveiller activement la propagation de nouvelles fausses et tendancieuses". L'arrondissement de Montélimar situé sur un axe de circulation important de la vallée du Rhône semble donc avoir été une zone sensible, même si les preuves manquent47. A Belfort, on met en cause l’occupant allemand. D’après la Chambre de Commerce, le billon est « raflé par les agents de l’Allemagne où cette monnaie est transformée en étui de cartouches.48» En revanche, le rapprochement de la chronologie des pénuries (aggravation de l'automne 1916) et des campagnes d'emprunt ou de collectes de l'or (intensification de la propagande, dans la Drôme, et lancement du deuxième emprunt à l'automne 1916), met en évidence le fait que la thésaurisation est aggravée par la collecte officielle et la réquisition des pièces d’or et d’argent mais aussi de certaines pièces en nickel. Les thésaurisateurs se trouvaient ainsi confirmés dans l'idée que les pièces même de petites valeurs conserveraient toujours leur valeur dans l'éventualité d'une guerre longue. A l'explication psychologique s'ajoutent néanmoins des causes proprement financières et économiques mal connues. Tout d'abord, malgré l'expérience de 1870-1871, la Banque de France n'a officiellement rien prévu pour accroître la circulation ou éviter la thésaurisation des pièces divisionnaires, croyant à une crise passagère. Certes, à l'issue du décret de cours forcé du 5 août 1914, la Banque de France fait sortir de ses réserves et met en circulation des billets de 20, 10 et 5 F. Imprimés entre 1871 et 1913, ces billets avaient été stockés49. Mais rien n'est fait en ce qui concerne la petite monnaie pendant l'année 1914 et même après. Le rapport présenté par le gouverneur de la Banque de France, Georges Pallain, le 28 janvier 1915, évoque pourtant la question, mais semble la considérer comme résolue avec des émissions de nouveaux billets de 20 et 5 F. "Nous devions penser aussi que la thésaurisation privée de toutes les espèces en circulation aurait pour résultat de provoquer, dès la veille du conflit, une crise monétaire particulièrement gênante pour toutes les petites transactions. Le Conseil Général (de la Banque de France) avait voté en temps utile tous les crédits permettant de constituer un approvisionnement considérable de billets de 20 F et de 5 F"50. De plus, à partir de 1916, de nouveaux billets de 10 F sont imprimés. Ces mesures ne contentent pas les besoins accrus spécifiquement en petite monnaie : la solde des militaires, les envois des parents de mobilisés, la fin des ventes à crédit, le paiement comptant systématique dès le 1er août 1914 ..., sont à l'origine d'une très forte consommation de petites pièces. Certes la thésaurisation est réelle mais elle concerne surtout les monnaies d'argent de 20, 50 F, de 1 F ou 2 F. L'aggravation de la thésaurisation est aussi liée à la réquisition des pièces de nickel et à la collecte officielle de l'or. La monnaie d'argent a disparu elle aussi assez rapidement51. Même pour les ménages aux petits budgets, les espèces métalliques de bronze et de nickel de petite valeur, 1, 2,5 ,10, et 25 centimes n'ont qu'un intérêt limité à être rangées dans un bas de laine, en attendant des jours meilleurs. Pourtant ces espèces, tout comme les pièces d'argent, se font rares, voire disparaissent. Elles sont certes concernées par la thésaurisation, mais d'autres facteurs ont joué. 47 ADD 200 M603 et 200 M951 (arrondissement de Montélimar). 48 D’après Guillaume (Gérard), Petite histoire partielle de la chambre de commerce et d’industrie du territoire de Belfort, Ed. CC du Territoire de Belfort, 1998, p.77. 49 CORVOL (Guy), op. cit., page 109 et HABREKORN (Raymond), op. cit., page 1. 50 BECKER (Jean-Jacques), 1914 comment les Français entrent en guerre, op. cit., pages 128 et 129, note n° 22. 51 HABREKORN (Raymond), op. cit., p. 1.
  • 15. 15 A propos des origines de la crise on accuse pêle-mêle la sempiternelle avarice des paysans, la manie des soldats qui garderaient les petites pièces pour jouer à la manille et les ouvriers qui perdent une partie de leurs salaires dans les machines à sous !52 Chacun y va ainsi de son explication au nom d’une morale méprisante pour les classes populaires accusées de bien des vices, mais tous constatent impuissants qu’une grande quantité de pièces est immobilisée. Ainsi, parmi les explications avancées, en particulier pour la carence de petites monnaies, il convient d'insister sur le phénomène de multiplication des portefeuilles. Armand Lacroix souligne "le fait que brusquement, toute la population valide de France, bourgeoise et paysanne, soit environ 15 millions d'âmes, chez qui l'écu était la règle et qui vivait surtout dans les campagnes, en collectivité familiale et où un porte-monnaie suffisait souvent pour 6 à 8 personnes se soit tout à coup trouvée disséminée à la ferme, dans les mines et dans les armées. Les porte-monnaie se sont multipliés en conséquence"53. Mais la pénurie ayant persisté après le retour des soldats du front, il y a d'autres explications encore qui sont entrées en jeu. On peut toutefois penser que la multiplication des portefeuilles est devenue une habitude. De plus, après la première expérience, les émetteurs (chambres de commerce ou petits commerçants désormais connus) ont trouvé des avantages à ces émissions : intérêt financier, prestige ... Les raisons économiques et monétaires ne sont pas non plus à exclure. La hausse des prix et l'inflation d'abord limitée et rampante (depuis les années 1900 puis surtout dans les années 1920) ont nécessité une plus grande utilisation de la monnaie. Les problèmes de change ont peut-être influencé aussi la circulation monétaire ; à l'issue de la stabilisation de 1917, les fluctuations du change sont très fortes entre mai 1919 et 1920, période d'intense pénurie de petite monnaie. La presse dénonce à plusieurs reprises des spéculateurs malhonnêtes qui exporteraient du numéraire dans les pays au change avantageux54. De la gêne au retour du troc Les conséquences de cette pénurie de petite monnaie sont multiples : localement elle se traduit par la gêne pour les transactions quotidiennes du petit commerce. En 1910 déjà, la Chambre de Commerce de Valence prenait connaissance de plaintes de petits commerçants drômois sur le manque de pièces de 5 et 10 centimes55. En 1916, le préfet de la Drôme insiste auprès des maires sur "les inconvénients pour les transactions commerciales de la thésaurisation de la monnaie divisionnaire »56. Une nouvelle note du préfet, de 1917, rappelle que le décret de l'Assemblée nationale du 22 Avril 1790 précise que "le débiteur sera toujours obligé de faire l'appoint et par conséquent de se procurer le numéraire nécessaire pour solder exactement la somme dont il est redevable"57. 52 Explications relevées par Darmon (Pierre), op. cit., p.194. 53 Lacroix (Armand), Les billets des Chambres de Commerce de France, document dactylographié, op. cit., page 2. 54 CORVOL (Guy), op. cit., pages 70 à 88. 55 BCCVD 4 1910. 56 ADD 200 M602. 57 ADD 200 M603.
  • 16. 16 En 1918, encore, le Journal de Valence s'interroge : "d'où vient donc la gêne que nous éprouvons pour effectuer nos transactions ? En serait-il de la petite monnaie comme de l'or et de l'argent ? Se cacherait-elle ?"58. Dans certaines régions, un arrêt total des menues transactions est constaté par les chambres de commerce 59. Les pièces de valeur d'or ou d'argent disparaissant pour toujours de la circulation, la masse monétaire est simplifiée et se partage entre chèques et billets. D'après le Journal de Valence en 1919, les pièces de valeur entrent dans les bas de laine, attirent spéculateurs et collectionneurs, sont fondues en lingots60 ou transformées par des bijoutiers61. Ainsi le romancier René Barjavel, dont les parents étaient boulangers à Nyons, illustre ce fait dans ses mémoires : "Mon père piquait parfois le dimanche dans sa cravate une épingle que ma mère lui avait offerte, faite d'une pièce de 10 F, un "demi-louis" découpé autour du geste de la semeuse"62. Mais c'est la gêne quotidienne dans les transactions qui pousse les Chambres de Commerce à intervenir même si quelques solutions pratiques ont été peut-être parfois trouvées pour payer le litre de lait (30 c), le timbre poste (15c) ou le journal (15 c). Face à cette situation de pénurie de petites monnaies, des solutions temporaires ont sans doute été trouvées avant même l’émission des bons de monnaies de nécessité et même après. Il faudrait en savoir plus sur ces pratiques peut-être déjà usitées en temps normal mais qui ont dû se répandre ; groupement des commandes chez les commerçants, pratique de l'ardoise (c'est-à-dire enregistrement des petits achats successifs chez le commerçant), notes et bouts de papiers et même retour du troc. Produits alimentaires du jardin, temps de travail, petits services, ont été échangés contre des cartes pour le pain, du lait, le journal ... Mais le troc est lui mal adapté à de très petits achats et il reste toujours difficile d'équilibrer l'offre et la demande dans un système manquant de souplesse. Yves Pourcher évoque les difficultés du petit commerce français et les clients excédés par la vie chère comme par le manque de denrées et de monnaies. "La crise de la monnaie de billon aggrave encore les incessantes querelles qui opposent les commerçants et leurs clients. Le refus de rendre la monnaie sur les billets de 5 et 20 F oblige souvent les ménagères à patienter près des étalages en attendant que les commerçants aient réuni assez de monnaie pour leur rendre l'appoint. Le ton monte dans ces groupes de femmes qui se forment : contre la rigueur du temps, contre les gens du commerce et contre le Gouvernement"63. Les Chambres de Commerce sont parmi les premières institutions à être informées de ces difficultés. 58 J de V 31/01/1918. 59 Corvol (Guy), op. cit. 60 ADD 200 M602 : une loi d'octobre 1919 interdit la fusion et la refonte des pièces d'or ou d'argent en lingots et prévoit des sanctions. 61 J de V 24/10/1919. 62 Barjavel (René), La charrette bleue, Paris ed. Denoël 1980, p 202. La mémoire du romancier est ici défaillante car la semeuse n’a jamais figuré sur les pièces d’or, mais seulement sur les faibles valeurs de 50 centimes ou 1 francs, justement remplacées par les billets de nécessité. 63 Pourcher (Yves), op. cit., page 167.
  • 17. 17 Des monnaies consulaires salvatrices Les Chambres de Commerce, entre revendications et acquis … 12591 signes + 1218 notes de bas de pages = 13 809 Pages 12 -13-14 La place des commerçants est prépondérante dans la revendication monétaire. Certes la gêne est également réelle pour les industriels employeurs de main d’œuvre payée à la semaine ou à la quinzaine plus encore que pour les négociants que le niveau des transactions et les habitudes de paiements (chèques etc.) mettent à l’abri des pénuries de petites monnaies. La montée des revendications des petits commerçants Même s’ils ne sont pas entrés en force dans toutes les Chambres de Commerce à l’occasion de la réforme électorale de 1908, les petits commerçants sont largement présents au sein des institutions consulaires pour faire entendre leurs revendications spécifiques. Leurs organisations professionnelles et tout particulièrement les UCI (Unions Commerciales et Industrielles) sont devenues en bien des endroits puissantes et organisées. Mobilisées sur des revendications fiscales et de réglementation du travail, les UCI sont souvent à l’écoute des plaintes relatives aux pénuries monétaires. De plus industriels et négociants ont objectivement intérêt à éviter que la pénurie de petites monnaies ne comprime l’activité par le canal d’une contraction de la consommation. Voici par exemple les commerçants de la circonscription de Montluçon-Gannat qui adressent une pétition à la chambre dès le 11 août 1914. Dans sa délibération du même jour la chambre une des toutes premières à émettre lance le principe de mise en service de petites coupures de 0,50 centimes.64 Une pétition est aussi adressée le 21 octobre 1915 à la Chambre de Commerce de La Rochelle par 198 commerçants de la circonscription qui font part de leurs difficultés.65 A Sète, la persistance de la pénurie tout au long de l’année 1916, incite les petits commerçants à solliciter la Chambre de Commerce pour une nouvelle émission. On apprend à cette occasion que « le commerce bitterois, avec l’appui de la chambre de commerce (de Béziers), a fondé une société qui aura pour objet de frapper des jetons de en aluminium »66. Au mois de mars 1917, la Chambre de Commerce de Nice se trouve interpellée par des commerçants de la ville et notamment Les Galeries Lafayette qui déplorent les conséquences qualifiées de très graves causées par l’impossibilité de plus en plus grande de se procurer de la monnaie de billon. Les antécédents et acquis de la guerre de 1870 Pour répondre aux injonctions pressantes du petit commerce en particulier, les premières demandes d'émissions sont faites par les Chambres de Commerce sur des bases acquises pendant la guerre de 1870. 64 Paynat, Quand la planche à billet tournait à Montluçon, Centre économique, décembre 1981, Document transmis par Bruno Paugam, chef du service communication et technologies de l’information. 65 CC de La Rochelle 66 BCC Sète 29 novembre 1916
  • 18. 18 Cette guerre de 1870 a été, il est vrai, l’occasion pour un certain nombre de Chambres de Commerce de s’initier aux émissions de monnaies. Dans un premier temps, il s’est agit de pallier la thésaurisation et la pénurie liées au fait que la Banque de France n'est pas autorisée à baisser à 10 puis à 5 F sa coupure minimum avant 187167. A partir de la fin de l'année 1871, l'objectif est de permettre la reprise économique, particulièrement dans le nord-ouest de la France68. Une réponse du ministre des Finances du 15 novembre 1871 à la Chambre de Commerce de Lyon (elle n'émettra pas de billets et la première chambre à réaliser une émission est celle d'Amiens le 21 septembre 1870) sert de base juridique aux émissions consulaires de la Grande Guerre et situe bien l'esprit de l'accord des autorités. "L'émission de bons par ... les Chambres de Commerce ... ne comporte pas en principe l'autorisation officielle. En fait la mesure, toute d'expérience, trouve sa justification dans les circonstances actuelles. La nécessité fait loi, mais son application reste sous la responsabilité des corps ou associations qui en prennent l'initiative"69. Au total la circulation de ces bons de monnaie, consulaires, municipaux, ou ayant d'autres origines, s'est élevée à 30 millions de francs et a été résorbée totalement en 187670. Les premières initiatives consulaires, des chambres initiatrices : Limoges, Lille … et le retard de Paris Très vite, dans le cadre de leur mission visant à préserver le potentiel économique et à organiser la vie de l'arrière, les chambres de commerce ont pris des initiatives dans le domaine monétaire. La première chambre à émettre est celle de Limoges le 10 août 1914 ; elle profite ainsi de son expérience acquise en 1870. Pendant ce temps, la chambre de Lille décide, le 8 août 1914, de ressusciter sa banque d'émission de 1870 et les premiers bons de 1 et 2 F apparaissent dès le 17 août. La métropole du Nord étant occupée à partir d'octobre 1914, la chambre cesse ses émissions à la fin de l'année 1915. Précoce et instruite par l’expérience acquise en 1870, la chambre de Bordeaux décide d’une première émission dès le 12 août 1914 pour 500 000 francs en 4000 000 coupures La Chambre de Commerce de Paris avait donné le ton mais sans pouvoir concrétiser ses intentions. Dès le 6 août 1914, lors d'une séance extraordinaire tenue sous la présidence de David Mennet la Chambre de Commerce de Paris demande au gouvernement l'autorisation d'émettre des petites coupures. Dans une lettre du 14 août publiée au Journal Officiel du 15 août 1914, le ministre des Finances Noulens écrit : "Le principe d'une telle émission ne comporte pas d'autorisation officielle, mais ne peut être qu'approuvé par le Gouvernement"71. L’opération de lancement des monnaies est prévue pour le 1er septembre 1914, trois semaines seulement après la délibération consulaire. Il s’agit d’émettre pour une valeur de 10 millions de francs en coupures de 2, 1 et 0,50 francs. Le délai de remboursement est fixé après le 1er janvier 1916 et ne doit pas être inférieur à 5 ans. La chambre procède à l’embauche de « petites mains » pour un salaire de 5 francs par jour tandis qu’au ministère du Commerce, le directeur de l’Office national du commerce met à disposition quelques une de « ses dames » à temps partagé.72 67 Saint-Marc (Michèle), Histoire monétaire de la France 1880-1980, Paris, ed. PUF, 1983, page 158. 68 Habrekorn (Raymond), op. cit., p. 3. 69 CORVOL (Guy), op. cit., page 28. 70 SEDILLOT (René), op. cit., page 203. 71 HABREKORN (Raymond), op. cit., page 7. 72 A partir de l’article de Boudry ( ), CCI Paris
  • 19. 19 Le 2 septembre l’opération est brusquement suspendue. Paris menacé par l'avancée allemande, l'émission réalisée par l’imprimerie Chaix et les planches sont détruites afin de ne pas tomber entre les mains de l’ennemi. La bataille de la Marne passée, l’opération est remise à plus tard et la Chambre de Commerce de la capitale sera la dernière à faire imprimer des petites coupures, en 1920. Mais cette tentative d’émission ne constitue pas un échec total car l’élan est donné ; la réponse ministérielle ne mettant pas de conditions particulières à l’émission a été largement diffusée et incite nombre de chambres à se pencher sur ce dossier d’autant que le ministre ajoute : « Je m’empresse d’ajouter d’accord avec M. le ministre du commerce de l’industrie et des postes et des télégraphes qu’en présence de l’insuffisance momentanée de numéraires et des inconvénients qui en résultent tant pour les transactions commerciales que pour le paiement des petits traitements, l’initiative prise par la chambre de commerce de Paris ne peut être qu’approuvée par le gouvernement. »73 Des hésitations En bien des lieux les hésitations des Chambres de Commerce retardent des décisions. A Cholet dans le Maine et Loire, par exemple, la chambre cherche d’abord une entente avec les chambres d’Angers, qui se lance dès 1915, et celle de Saumur qui finalement s’abstient.74 Bien souvent, jusqu’en 1915, c’est l’espérance d’une guerre courte et l’optimisme qui prévalent comme à La Rochelle. Ainsi le 20 août 1914 le trésorier de la Chambre de Commerce rappelle l’initiative parisienne et l’encouragement donné par le ministre des Finances. Le président et d’autres membres estiment cette initiative un peu hâtive. Selon eux le numéraire existe. Caché au moment de la mobilisation, il recommencera à circuler.75 La Chambre de Commerce de Sète pèse longuement les avantages et les inconvénients d’une émission en août 1915 : « Ce système de remplacement de petites monnaies est une mesure d’exception dont les conséquences sur la santé du crédit public risquent d’être plutôt fâcheuses, car elles constituent un aveu patent du malaise économique et par conséquent ne peuvent que contribuer à l’augmenter. Par contre, ses bons effets sont certains puisque les petites coupures ainsi émises jouissent tout de suite dans le rayon d’action de l’établissement public qui les émet, d’une confiance absolue, et remplace les pièces d’argent qui se cachent. »76 Le plus souvent, après le temps des hésitations, vient celui de l’action et des parades pour les Chambres de Commerce conscientes de la gravité de la situation. La recherche de parades L’information du public est d’abord faite pour rassurer et calmer la thésaurisation. Rappelant son action durant les premiers mois de la guerre, la Chambre de Commerce de Sète indique, « qu’il convenait tout d’abord de rassurer le public plutôt que de souligner et d’aggraver par là même, les difficultés qu’une raréfaction de monnaie, qu’on pouvait espérer passagère, apportait aux petites transactions. C’est ce que nous fîmes en publiant ou en inspirant des notes dans la presse locale. »77 Le premier réflexe est ensuite de se retourner vers les banques et la Banque de France. La Chambre de Commerce d’Amiens interroge d’abord les banques privées pour la réalisation d’émissions qui seraient garanties par la municipalité78. A Cholet la Chambre de Commerce sollicite la Banque de France dès octobre 1914. De petites pièces d’argent sont effectivement mises 73 Cette lettre est par exemple largement citée dans les délibérations de la chambre de commerce d’Amiens du 21 octobre 1915. 74 Beaumon (Dominque), p.4 75 Chambre de commerce de La Rochelle Texte de Christophe Bertrand archiviste. 76 BCC Sète 11 août 1915 77 BCC Sète 11 août 1915 78 CC Amiens 6 septembre 1914
  • 20. 20 en circulation en janvier 191579. Quelques semaines plus tard c’est cette même Banque de France qui incite la chambre à se lancer dans une émission : « Le meilleur moyen écrit le directeur au président de la chambre, serait la création d’une monnaie n’ayant qu’un cours local, c'est-à-dire l’émission de bons de monnaie de la chambre. »80La Chambre de Commerce toujours pas décidée se tourne ensuite vers sa banque le Crédit Industriel de l’Ouest. Parfois la Banque de France a pu répondre un temps aux besoins comme à Sète où la Chambre de Commerce a dans un premier temps écarté le principe d’une émission en décembre 1914, le directeur de la Banque de France ayant « assuré … qu’il pouvait mettre en circulation par petites quantités à la foi, un certain stock de petites monnaies » … et qu’il était «disposé à faciliter l’échange des billets aux commerçants qui manquent de petits numéraires. »81 L’idée de devenir émetteur de petites monnaies n’est pas du goût de tous. Le procès-verbal de la séance du 28 décembre 1916 de la Chambre de Commerce de Saint-Nazaire est un bon témoignage. Il est affirmé que « ces pratiques constituent un retour fâcheux aux anciens droits de frapper monnaie, droit abolis à juste titre en raison de l’incommodité des échanges et de nécessité qui s’impose d’un système monétaire unique ». En conséquence, il est demandé que la Banque de France « seule autorisée à créer un système fiduciaire ayant cours légal, soit invitée par l’Etat à établir d’urgence des coupures de cinquante centimes, d’un franc et au besoin de deux francs. »82 Après les appels souvent restés infructueux auprès de la Banque de France, les chambres se tournent vers les compagnies de transports en commun. C’est le cas à Cholet, dont la chambre sollicite La Compagnie de chemin de fer du Métropolitain de Paris83 et de La Rochelle qui voyant la situation monétaire se dégrader fait appel à la même compagnie qui adresse en janvier 1915 à la Banque de France la somme de 200 000 francs. Trois mois plus tard les commerçants de l’Ile de Ré manquent totalement de monnaies, et en mai 1915, une nouvelle somme de 90 000 francs est allouée par le Métro qui a du réduire ses envois pour servir d’autres chambres comme celle de Rennes. En août, la source du métro s’est tarie et la Chambre de Commerce de La Rochelle demande sans succès que l’appoint soit fait aux divers bureaux d’octroi de la ville. 84. A Saint Malo les commerçants regroupés sous l’égide de la chambre de commerce se font approvisionner jusqu’au mois de mai 1915. Les réserves du métro sont ensuite épuisées.85 Quels sont les effets de ces premières initiatives ? La Chambre de Commerce de Sète qui utilise les monnaies du métropolitain s’interroge en août 1915. « L’efficacité du remède se manifesta pendant six mois. Au commencement de juillet, en présence des plaintes du petit commerce qui recommençait nous avons procédé à une nouvelle distribution, mais cette fois, l’efficacité a été très faible ».86 Face à une pénurie aggravée, durable et généralisée, surtout à partir de l’été 1915, il faut trouver d’autres solutions « le commerce et l’industrie étant absolument paralysés »87 comme le déclare le président de la Chambre de Commerce de Belfort. 79 Beaumon (Dominique), Les monnaies de nécessité, Revue d’histoire consulaire, novembre 1999, p.3. 80 Idem p.4 81 BCC de Sète décembre 1914 (document recueilli par Claude Bonfils) 82 Cité par Menard ( ), p.7 83 Beaumon (Dominique), op. cit., p.4. 84 CC de La Rochelle 85 Documents transmis par D Queinnel responsable CCI info à Saint Malo 86 BCC Sète 11 août 1915 87 Guillaume (Gérard), p.78
  • 21. 21 Des monnaies consulaires salvatrices Les Chambres de Commerce, créatrices de monnaies 22 878 signes + 2 784 notes de bas de pages = 25662 Pages 15-16-17-18-19 Quels sont les processus de décision mis en œuvre dans les Chambres de Commerce ? L’émission de monnaies constitue une décision lourde de conséquences, qui implique des connaissances techniques des questions financières et monétaires et une bonne appréhension du contexte local et institutionnel. Il convient de rappeler que dans un grand nombre de chambres, des banquiers à la tête d’établissements locaux ou régionaux tiennent une place importante. La décision de battre monnaie : entre réactivité et lenteur Par ailleurs, très souvent, les présidents, trésoriers ou d’autres membres des chambres sont bien introduits auprès des succursales de la Banque de France et des banques locales dont ils sont administrateurs ou qu’ils contrôlent, ce qui facilite la mise en place et le déroulement des opérations. Pour gérer la mise en place des émissions et suivre le fonctionnement de ce système fiduciaire supplétif, les chambres organisent le plus souvent des commissions ad hoc. A Amiens, en septembre 1915, une commission de papier monnaie est constituée avec des membres de la Chambre de Commerce, le sénateur-maire et le député. Ensemble les deux élus locaux ont rencontré le ministre des Finances Alexandre Ribot. Pour organiser le travail, on crée à la chambre de Cherbourg la « commission spéciale des petites coupures » qui présente régulièrement des rapports et reste en contact étroit avec le président et le trésorier.88 Ces commissions assurent un travail de suivi une fois les émissions lancées. Les séances plénières des chambres sont aussi très fréquentes pour entériner les décisions des commissions. Ainsi, la Chambre de commerce de Montluçon-Gannat est largement occupée par la question des monnaies de nécessité. Pour procéder à 9 émissions différentes soit 3 millions de francs, il lui faut consacrer 42 séances de travail entre 1914 et 1925.89 Le plus souvent, les chambres sont appelées à travailler très vite. La rapidité de réaction est le fait de la chambre de Rouen. Dès sa séance du 13 août 1914, elle décide d’émettre des bons. Les choses ne traînent pas car il y a urgence et le lendemain une réunion qui a lieu à la mairie de Rouen débouche sur la décision de lancer un tirage de bons de monnaie de 2 millions de francs. Une commission est ainsi mise sur pied avec des représentants de la ville et de la Banque de France.90 En 1920, l’urgence est encore le maître mot à la Chambre de Commerce de Cherbourg qui « constate qu’il est nécessaire que le public puisse obtenir ces coupures le plus tôt possible 91» 88 BCC Cherbourg 1920-1921 89 Paynat 90 Tanguy (Jacques) 91 BCC Cherbourg mai 1920
  • 22. 22 Si dans nombres de chambre la décision d’émettre est prise rapidement et la réalisation des coupures est prompte, il arrive que les délais s’allongent. A Cholet, en 1915, on est d’abord attentif aux démarches des chambres voisines en particulier de celle d’Angers et aux discussions de l’assemblée des présidents. En 1917, le dossier revient à l’ordre, du jour la chambre « estime devoir faire elle même cette émission », mais elle ne prend aucune décision d’exécution. On attend aussi les échantillons demandés à un fabricant de Lyon. Une délibération est prise le 14 novembre 1917. Un mois plus tard les jetons de 25 centimes sont en circulation.92 Les échanges d’informations entre Chambres de Commerce et d'autres émetteurs vont bon train sur la question de monnaies de nécessité. Ainsi, la Chambre de Commerce de Nice correspond avec la ville de Nantes qui avait fait fabriquer des jetons pour les besoins des entreprises de transports publics ; la Chambre de la Rochelle envoie son secrétaire archiviste à Angers. Il est accompagné de l'imprimeur et du graveur. Mais c'est surtout au sein de l'assemblée des présidents que se nouent les contacts et que fructifient les échanges. L’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce : entre pragmatisme et légalisme, ou comment la nécessité fait loi L’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce a fonctionné comme une caisse de résonance nationale pour traiter des multiples questions et initiatives relatives aux monnaies de nécessité. C’est le 2 octobre 189993 que se constitue légalement l’assemblée des présidents de chambres de commerce. Dès le mois de mai, dix présidents de chambres s’étaient réunis à Paris à l’hôtel Continental. L’initiative de cette rencontre revient au président de la Chambre d’Angers et à son vice-président et successeur Dominique Delahaye qui deviendra sénateur monarchiste du Maine et Loire. Dès son origine cette institution est marquée par un souci de légalisme. Certes la création de cette assemblée est souvent présentée comme l’acte audacieux de notables se réunissant le 22 mai 1899 en dehors de la loi et bravant l’interdiction formelle du ministre du Commerce. En fait en 1896 déjà une initiative de réunion est lancée par la Chambre de Commerce de Paris, après que le Sénat l’ai désapprouvé. En 1899, c’est sous le régime de la loi du 9 avril 1898, véritable charte consulaire organisant les Chambres de Commerce qu’un nouveau projet de réunion est proposé. Mais cette loi n’a pas prévu explicitement d’assemblée de présidents. Millerand, ministre du Commerce s’en remet alors au Conseil d’Etat qui ne rend son avis favorable qu’après la fameuse réunion du 22 mai. Cet avis du Conseil d’Etat permet au ministre de préciser dans une circulaire du 23 septembre 1899 les prérogatives des présidents réunis de nouveau dès le 2 octobre 1889 pour mettre en place cette nouvelle institution qu’est l’Assemblée des Présidents des Chambres de Commerce. Circulaire interprétative, le texte du 23 septembre reconnaît que la loi de 1898 confère «aux présidents une nouvelle prérogative autre que le droit de correspondance directe ; que ce droit est évidemment d’intervenir personnellement pour se réunir à leurs collègues en vue de se préparer les décisions à soumettre à leur chambres respectives ; que cette faculté de réunions préparatoires des présidents doit porter non plus sur les objets spéciaux d’intérêt général mais bien sur tous objets rentrant dans les attributions des chambres de commerce et intervenant à la fois leurs circonscriptions respectives ». 92 Beaumon (Dominique), p.5 93 Sur les débuts de l’APCC (Assemblée des présidents de chambres de commerce) voir Conquet (André), Si les Chambres de commerce m’étaient contées, APCCI, Lyon, Audin, 1972 et le de l’avis du Conseil d’Etat dans la Revue d’Histoire Consulaire n° 13, novembre 1997, p 31, et sur la loi de 1898 voir Delecluse (Jacques), Revue d’Histoire Consulaire, n°11, novembre 1996, p 14.
  • 23. 23 Rassemblant les présidents de chambre pour lancer des discussions sur des thèmes communs l’assemblée des présidents ne s’est intéressée à l’émission de leur monnaie qu’à partir de mars 1915. 94 La première mention de la question des monnaies de nécessité figure au procès verbal de la réunion du 28 mars 1915 et la dernière est au compte rendu de la réunion du 12 novembre 1924. Au total une vingtaine de séances de cette assemblée ont été consacrées à la question des monnaies de nécessité. Cela représente environ une centaine des pages de comptes rendus imprimés. Ces comptes-rendus reprennent les dialogues des présidents des chambres. De façon générale les présidents de l’APCC ouvrent les débats en faisant le point de la situation, souvent à la demande d’une chambre. Parmi les plus actives à prendre part aux discussions on note les chambres de Paris, Lyon, Marseille mais aussi une multitude de chambres de localités ou départements de moindre importance. Le style «parlé », les nombreux jeux de questions réponses, la présence dans le texte de mention des réactions de l’assemblée (avec les «ah ! Ah ! », « Applaudissements »,«protestations »), les points d’exclamations, les interruptions des intervenants chacun étant mentionné par son titre (le président de la chambre de commerce de…) font penser que ces comptes rendus constituent une trace très vivante et fidèle des discussions qui n’ont été que peu retravaillés par le rédacteur. C’est presque une transcription mot à mot. Dans ces comptes-rendus s’ajoutent aux dialogues des textes (comptes rendu de séance, vœux de Chambres de Commerce, textes officiels de type circulaire, échanges de lettres, etc.) lus par les intervenants en séances. Il est d’ailleurs fréquent que copies de ces textes soient remis en séance, le rédacteur des comptes-rendus les reprenant ensuite. Suspendant leurs discussions, les présidents accueillent parfois un intervenant extérieur comme en novembre 1920, avec Fighièra le directeur des affaires commerciales et industrielles du ministère du Commerce. Mais précise le président de l’assemblée des chambres de commerce, « hors séance M. Fighèra nous donnera quelques explications. La question est complexe, il faut la connaître »95. Soumis à l’approbation des participants d’une séance à l’autre ces comptes rendus ne font presque jamais l’objet de rectifications et sont transmis rapidement semble t-il aux Chambres de Commerce. Atermoiements de l'administration et divergences des intérêts consulaires apparaissent très tôt. La question des monnaies de nécessité est évoquée pour la première fois à l’occasion de la séance du 28 mars 1915 de l’assemblée. Le président de la Chambre de Commerce de Lyon fait le constat qu’"il y a une douzaine de chambres de commerce qui ont émis des billets de monnaies divisionnaires». La force des Chambres de Ccommerce réside dans l’initiative et l’action locale, dans la créativité. Dès lors, leurs représentants sont mal à l’aise face à un système financier centralisé des ministères et administrations. Le dialogue est parfois difficile avec les représentants des ministères ou de la Banque de France, alors même que l’exigence d'agir sur le terrain se fait tous les jours plus pressante. Du côté de l’Etat, l’improvisation face à une situation quasi inédite est souvent de mise tant pour les services centraux des ministères et les cabinets ministériels que pour les administrations locales. 94 Les procès verbaux imprimés de l'Assemblée des présidents de chambres de commerce sont disponibles sous formes de microfilms au service des archives la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, rue Chateaubriand. Archives de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. Procès verbaux de l'Assemblée des présidents de chambres de commerce (APCC). Les micros films 5MI 5 à 5MI 10 ont été dépouillés et feront l’objet d’une analyse en cours de rédaction. Cette source d’information précieuse a été utilisée par Guy Corvol auteur d’une thèse les monnaies de nécessité consulaires. Mais cet auteur ne procède pas à une analyse de l’attitude de l’APCC ni de sa stratégie dans les négociations avec les ministères. 94 APCC 8/11/1920 95 APCC 8/11/1920
  • 24. 24 Le tour d’horizon effectué par les présidents à l’occasion de la séance du 28 mars 1915 de l’Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce est édifiant ! La chambre d’Agen a pu déposer et échanger de ses émissions « des bons du trésor sur lesquels elle révèlerait un intérêt de 5 pour 100 ». Le président de la Chambre de Commerce de Limoges s’est lui rallié à la position du ministère des Finances avançant le risque d’inflation : après tout, s’exclame t il, les chambres sont « gardiennes des intérêts publics ». Pour le président de la chambre de Clermont Ferrand, sa compagnie a été contrainte d’aller de l’avant pour conjurer la crise monétaire. « Nous nous sommes trouvés dans la circonscription de la chambre… dans l’impossibilité absolue de nous procurer de la monnaie divisionnaire et des maisons comme Michelin, Bergougnon et autres nous ont déclaré catégoriquement que devant la crise monétaire, elles ne pouvaient pas tenir. Nous sommes cependant arrivés à conjurer la crise monétaire, crise très interne chez nous à cause des manufactures de caoutchouc et autres » A Angoulême, le directeur de la Banque de France, favorable à la contre partie en bons du trésor s’est vu opposé une fin de non recevoir par son administration. Cette séance du 28 mars 1915 sur la question des contre parties des monnaies de nécessité aborde également le problème de la légitimité de l’assemblée des présidents à émettre un vœu sur ce point. Pour certains élus consulaires, il vaut mieux partir en ordre dispersé et bénéficier des atermoiements et des dispositions parfois contradictoires du ministère et surtout de la souplesse locale d’application. Le centralisme a tôt fait de produire des textes contraignants redoutés par certains présidents. Initiative décentralisée, l’émission des monnaies de nécessité suscite de vigoureuses controverses entre les Chambres de Commerce déjà engagées qui ont bénéficié d’autorisations de placements en bons de la défense nationale et celles qui veulent que les règles nationales soient édictées pour lancer leur émission. Les chambres pragmatiques s’opposent alors aux légalistes ! Faute de consensus, le président de l’assemblée conclut par un constat d’impuissance : « Messieurs, la question ne peut pas être mise à l’étude devant l’Assemblée ; il est entendu que les chambres de commerce intéressées s’entendront entre elles. » Il en sera ainsi à de multiples reprises. Des débats et échanges très nourris et approfondis sur les questions des monnaies de nécessité ont ainsi lieu de 1915 à 1924. Il ressort de ces débats 96une impression d’improvisation et d’anarchie dans les méthodes et la gestion de ces questions de monnaies de nécessité tant de la part des services fiscaux locaux de l’Etat (receveurs, contrôleurs …), que de la Banque de France ou des trésorier payeurs généraux ou même encore des services centraux du ministère des Finances. Si bien des problèmes rencontrés par les Chambres de Commerce dans leur circonscription sont communs les solutions et réponses apportées varient d’un département à l’autre en fonction des initiatives des fonctionnaires et des responsables locaux mais aussi des rapports de force politiques entre les chambres de commerce, les élus locaux, les administrations, la Banque de France …. C’est sous la pression des événements que les pouvoirs publics réglementent progressivement les émissions puis surtout les conditions de retrait des bons de monnaie. Un exemple : les émissions de la Chambre de Commerce de Valence en quatre étapes. Le cas d'intervention de la Chambre de Valence permet d'illustrer le processus de décision et de mise en œuvre technique. Quatre étapes distinctes sont nécessaires : information, montage et préparation, délibération et demande, autorisation et émission. 96 Archives de l’APPCCI microfilmées au service des archives de la chambre de commerce de Paris ( 5MI 5 et suivantes).
  • 25. 25 Saisie par plusieurs groupes de commerçants au début de l'année 1915, la Chambre de Valence s'informe d'abord auprès de la Banque de France97, du Trésorier payeur général et de plusieurs Chambres de Commerce, souvent proches (Lyon, Annonay en Ardèche, cette dernière ayant déjà réalisé des émissions en 1872). Elle enquête sur les formalités et les modalités techniques de fabrication des monnaies. De plus, des garanties sont prises par la Chambre de Commerce de Valence auprès de la Compagnie PLM et de l’administration des PTT pour qu'elles acceptent dans leurs guichets du département, de prendre les billets98. Ces assurances obtenues, des modalités techniques précises sont à régler. Le banquier valentinois Auguste Giraud, trésorier de la Chambre, dispose de plusieurs possibilités. Les émissions peuvent être réalisées par la Chambre de Commerce seule ou en association avec la ville (sur l’exemple de la Chambre de Commerce de Castres)99 ou avec d'autres chambres (cas du Nord). Il est vrai que les initiatives ont foisonné, de multiples organismes, seuls ou associés, ont émis des bons de monnaie : municipalités, banques locales (caisses d'épargne, sociétés de crédit ...), sociétés industrielles, groupements commerciaux non officiels et même bureaux de bienfaisance100. Deux problèmes essentiels sont posés : les frais à engager et les gages à fournir. En général, les Chambres de Commerce prélèvent les frais sur le fonds de réserve de leurs recettes, comme l'autorise l'article 26 de la loi du 9 avril 1898. La Chambre de Valence, dès 1915, a pris : "des bons de la Défense Nationale pour se procurer les fonds nécessaires", mais le ministère refuse cette procédure adoptée pour les premières émissions de 1915 et 1916. A la présentation des comptes consulaires de l'année 1916, Auguste Giraud le trésorier, précise : "notre Chambre de Commerce a été victime du trop d'empressement qu'elle a mis à faciliter nos concitoyens dans leurs paiements ; le Gouvernement n'a pas admis pour nos premières émissions le mode adopté plus tard, de faire face aux dépenses d'émissions par le placement de sommes suffisantes en Bons du Trésor. C'est donc notre budget qui a dû payer". Sept mille francs de frais sont inscrits à ce poste pour les premières émissions de 1915101. Pour ce qui concerne les garanties fournies par la Chambre de Commerce, Auguste Giraud résume le principe adopté. "L'administration supérieure veut que les Chambres de Commerce déposent en nantissement dans les Trésoreries Générales, le montant des contre valeurs qui constituent le gage de la Banque et qui permettent à celle-ci de rembourser les petites coupures sur présentation"102. 97 La consultation des livres de procès verbaux des séances des conseils d’administration n’a pas permis de retrouver trace de prises de position de la Banque de France de Valence sur cette question des monnaies de nécessité. Archives de la Banque de France de Valence IV e Livre des PV des séances des conseils d’administration (3 volumes de 1874 à 1952). 98 BCCVD 1 1915 et ACCVD ID 400. 99 CCI de Castres, Centenaire 1871-1971, brochure éditée à Lavou, 1971, pages 151 et 152. 100 CORVOL (Guy), op. cit. 101 BCCVD 1 1917. 102 BCCVD 3 1916. CORVOL (Guy), op. cit., page 163.
  • 26. 26 Une fois ces modalités techniques réglées, les délibérations officielles de la Chambre et les accords du Gouvernement103 pour chacune des émissions, constituent l'étape suivante. Au total, la chambre de Valence réalise ainsi entre avril 1915 et avril 1923 18 tirages successifs (de 95 000 au minimum à 500 000 F au maximum), soit un total de 4 950 000 F en 59 399 200 coupures (soit en moyenne 0,85 F par coupure)104. Ces petites coupures rectangulaires, d'environ 5 centimètres, de 0,50, ou 1 F, réalisées par l'imprimerie Céas de Valence, comportent au recto les armes de la ville de Valence, entourées par deux muses, le montant et la signature du Président et du Trésorier de la chambre. Au verso, figurent la liste des membres de la chambre et la date de la libération du 23 Février 1915105. Les créateurs de monnaies, imprimeurs et typographes Le plus souvent des imprimeurs locaux sont sollicités pour procéder aux émissions. Mais certains grands centres d'imprimerie comme Paris, Lyon et Marseille ont acquis une bonne spécialité avec des imprimeurs renommés. Plusieurs Chambres de Commerce comme celle de Nice procèdent à un appel d'offre. A Nice les conditions sont connues précisément : "Prix identique pour toutes les coupures, papier parcheminé, exécution des vignettes et du texte en lithographie, dessins fournis par la chambre, tirage des vignettes en trois couleurs dont une en noire, numérotation des billets par série de 50 000, la série commençant par 00.001 pour se terminer par 50 000, délai d'exécution : 45 jours." A Bordeaux on change d'imprimeur au fil des émissions Les premiers billets ont été tirés par Gounouilhou qui fabrique encore les deux émissions suivantes. En 1917, le travail est confié à l'imprimerie Arnaud et en 1920 à l'imprimerie Wetterwald frères avec des vignettes du peintre Roganeau. A Montluçon, c'est une imprimerie de la ville qui est retenue. Herbin et Bouché impriment dès le mois d’octobre 1914 l'émission décidée le 30 septembre 1914 car il a fallu faire très vite106. Les billets sont mis en circulation dans les premiers jours de novembre. A Marseille les coupures bleues de 1915 sont dessinées par Valère Bernard et imprimées par Moullot dans les locaux même de la bibliothèque de la Chambre de commerce. C'est le même imprimeur qui est retenu en 1917, mais il imprime alors les billets dans ses propres locaux107. Il réalise aussi l'impression des billets de Cette. Il semble que pour les émissions plus tardives l'urgence étant moindre, les chambres ont pu prendre le temps de solliciter d'autres imprimeurs que ceux du crû. En 1920, la chambre de La Rochelle décide de procéder dans des conditions analogues à celles prévues en 1915, à une nouvelle émission Les billets différents par leur taille et leurs illustrations sont réalisés par la maison Devambez à Paris. Les techniques d’impression ont dû évoluer pour améliorer la qualité des papiers et de l’encre, limiter les contrefaçons tout en réduisant les coûts souvent pour des quantités plus importantes. Ainsi l'imprimeur de la Chambre de Commerce de Nice indique qu'il retient le procédé photomécanique et non lithographique pour reproduire plus fidèlement le dessin des billets. Avec le passage des coupures de papier aux jetons métalliques, d'autres métiers que celui d'imprimeurs sont sollicités. La Chambre de Commerce d'Amiens s'entend par exemple avec Borg, "un ingénieur mécanicien graveur 21 rue du Temple à Paris qui pourrait livrer régulièrement 50 000 jetons de 25 centimes par semaines "108 103 ACCVD ID 400 et 401. 104 ADD 200 M602. 105 Archives privées de Mme TEZIER à Valence, de M. CEAS, imprimeur et consultation de M. VANNIER, numismate professionnel. 106 Paynat 107 Boulanger (Patrick) 108 CC Amiens 24 mars 1920
  • 27. 27 La mise en service de la petite monnaie Une fois édités, il faut mettre en circulation les bons de monnaie. C’est le rôle de la Banque de France qui procède à l’échange de petites coupures consulaires contre des pièces d’or et d’argent, des billets de fortes valeurs ou des chèques. Le détail comptable de l'opération de mise en circulation est simple. Mais c'est un travail au quotidien qui est nécessaire comme le rappelle une note administrative du secrétariat général de la Banque de France en date du 9 juillet 1915 qui précise les conditions dans lesquelles la Banque apportera son concours à la Chambre de Commerce d'Orléans pour la mise en circulation de ces coupures : "Chaque jour, au fur et à mesure des besoins, vous comprendrez dans vos recettes , paiements et échanges , un certain nombre de bons prélevés sur le stock déposé entre vos mains , en sorte qu'il se produira dans votre caisse un excédent au crédit d'un compte de dépôt de fonds ouvert à cet effet sur vos livres au nom de la chambre de commerce. Ce compte, dont le solde représentera la garantie même de l'émission, ne pourra être débité qu'ultérieurement du montant des coupures retirées de la circulation sans jamais faire l'objet d'un prélèvement effectif de la chambre de commerce.109" Plus de 100 chambres émettrices dès 1916 et 124 en 1924 Fin 1916, au cœur de la guerre dans toutes les régions de France, jusqu'à la limite du front, 100 Chambres de Commerce, même dans les colonies, ont lancé des émissions. Elles ont été réalisées surtout après le premier semestre 1916, car à l'issue d'une réunion du 5 avril des présidents des chambres de commerce, il est apparu clairement que le gouvernement ne prendrait pas à son compte ce type de tâche110. Ce refus d'intervenir qui vaut délégation, s'appuie sur trois principaux arguments. D'une part, dans ce contexte de crise, l'initiative consulaire soulage l'Etat assailli par les problèmes. «La décentralisation de l’émission de petites coupures destinées à suppléer l’insuffisance de la monnaie divisionnaire présente l’avantage, écrivait en 1915 le gouverneur de la Banque de France, de conserver à la crise son caractère local et, normalement, passager ! »111 D'autre part, les Chambres de Commerce reconnues comme représentatives (depuis la réforme de 1908, tous les patentés sont électeurs), sont les premières à recueillir les doléances des petits commerçants et donc à pouvoir répondre localement aux besoins. Enfin, la nature de ces institutions, devenues établissements publics depuis la loi du 9 avril 1898 favorise une délégation de ce type : organismes indépendants et locaux, "leur crédit ne risquait pas de se confondre avec celui de l'Etat"112. Ce statut d'établissement public inspire confiance et facilite les contrôles du ministère du Commerce. Entre le 8 août 1914 et le 15 mai 1924 dates de la première et de la dernière émission soit un peu moins de 10 ans les Chambres de Commerce ont imprimé pour près de 700 millions de francs de bons de papier.113 Carte Le nombre de chambres émettrices est passé de 100 exactement en 1916 à 124 en 1924. Paris avec son émission tardive du 1er juin 1920 de 200 millions représente ainsi près de 30% du total. Viennent ensuite les chambres de Lille (50 millions pour le groupement économique régional), Lyon (48 millions), Nancy (16,450 millions), Marseille (16 millions), Brest Quimper (12, 850 millions), Bordeaux (11 millions) etc. Vie et mort d’un outil de l’échange original 109 Vautravers (Alain), p.3 110 CORVOL (Guy), op. cit., page 116 et surtout compte-rendu microfilmé de l'APCCI 5 avril 1916. 111 Cité par Delécluse (Jacques), Les consuls de Rouen. Histoire de la chambre de commerce de Rouen, Rouen ed. du Pe’tit Normand, 1985, p 249. 112 CORVOL (Guy), op. cit., page 116. 113 Le montant exact est de 668 millions de francs émissions initiales et émissions de remplacement. Par ailleurs 975 millions de jetons ont été émis pour remplacer progressivement les billets. D'après le rapport à la chambre des députés du 22 janvier 1925.
  • 28. 28 Le crédit des monnaies consulaires Pages 20 -21 8107 signes Il semble que partout les monnaies consulaires aient été bien acceptées par le public114. Comment expliquer autrement la multiplication de ces opérations ? Comment expliquer les émissions à répétition, presque partout systématiques, si le public avait été si réticent ? Partout les émissions se sont répétées, le record français étant de 23 tirages pour la Chambre de Commerce de Nancy 115 Des monnaies bien acceptées Les problèmes de circulation des bons de monnaie ont toutefois été bien repérés dès l’origine par les Chambres de Commerce émettrices. La cohabitation de deux monnaies interroge. Le Trésor a longtemps craint les effets de la loi dite de Gresham. Cet économiste anglais (1519-1579) avait mis en évidence, que lorsque deux monnaies circulent sur un même territoire, l'une est considérée par le public comme bonne, l'autre comme mauvaise, la mauvaise chassant la bonne. En novembre 1915, le président de l'Assemblée des Présidents de Chambres de Commerce formule les mêmes craintes et souligne l'importance qu'il y a à rétablir la circulation de la monnaie de billon : "Malheureusement, nous nous trouvons toujours en présence de ce fait que la mauvaise monnaie chasse la bonne et que le papier qui, aux yeux du cultivateur est une mauvaise monnaie, empêche la circulation de la monnaie divisionnaire préférée par certaines classes de la population"116. Preuve du succès de ses monnaies de papier, à Cahors, on précise que la première émission de coupures divisionnaire de 100 000 francs décidée le 16 janvier 1915 est épuisée en quelques … heures seulement. Au total cette chambre procède à 12 émissions entre février 1915 et décembre 1920 pour des montants de 100 à 300 000 francs. 117 Il en est partout de même. Dans la circonscription de la Chambre de Commerce de Montluçon les émissions sont très favorablement accueillies par les commerçants, annonce la chambre. Mais les billets sont au départ boudés par les caisses de l'Etat, recettes des finances, postes, perceptions sous prétexte que ces coupures sont encombrantes et donnent un surcroît de travail lors des arrêtés de caisses. La chambre demande au ministre qu'il donne des instructions pour que ce papier monnaie soit accepté par toutes les caisses de l'Etat et de la commune de Montluçon. 114 A noter que d’après Pierre Darmon traitant de la situation de Paris, Alexandre Ribot, ministre des Finances "autorise les chambres de commerce à émettre des petites coupures, dont personne ne veut." Son affirmation ne renvoie à aucune source précise et ne peut être reprise pour la province ou nulle part les sources n'apportent d'indication sur un accueil défavorable. Darmon (Pierre), p. 194 115 HABREKORN (Raymond), op. cit., page 11. 116 Archives de l'Assemblée permanente des chambres de commerce, 8 novembre 1915, 5 MI 5. 117 Histoire de la chambre de commerce du Lot