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LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Conférences de Henri Guillemin
Série de 19 émissions présentées à la RTB entre le 4 juillet et le 19 novembre
1967
Transcription de Jean-Marie Flémale (Charleroi), 2006
CHAPITRE 1
(Il manque la transcription de la première de ces émissions, c'est-à-dire la
bibliographie et les origines lointaines de la R.F. Tous ces éléments sont repris dans
les 18 chapitres restants.)
CHAPITRE 2
... le livre de Daniel Mornay, 1932, et Mornay, a été mon maître de thèse, j'avais
préparé une thèse en 1936, mais son livre s'appelle précisément Les origines
intellectuelles de la Révolution française, eh bien, Mornay était très orienté du côté
de Michelet, vous savez, assez ami de l'Encyclopédie, et dans ce livre de 32, avec
une netteté absolue, Mornay reconnaît que du côté politique, l'Encyclopédie n'a eu
aucune influence dans la Révolution française.
Je ne vous avais pas parlé non plus des loges maçonniques. Il y a un spécialiste, en
France, Monsieur Bernard Failly, qui a écrit, en 59, si je ne me trompe pas, une
histoire qui s'appelle La grande Révolution. Il attribue une importance extraordinaire
à la préparation de la Révolution dans les loges maçonniques. J'en suis moins sûr
que lui. Les loges maçonniques, c'est très complexe, vous savez. Il y avait des
éléments antagonistes, aussi, dans les loges. Il y avait des gens qui étaient, au fond,
athées, et qui ne le disaient pas. Il y avait des gens qui étaient très dévots, Louis
XVI, le brave Louis XVI (il était même ultra-dévot), eh bien, il appartenait à une loge
maçonnique. Alors, il faut penser que quand on parle de l'influence de la franc-
maçonnerie, elle est réelle, mais s'exerce dans des sens multiples.
Une chose qu'il faut également noter, c'est l'influence étrangère. Voyez-vous, les
Français, nous avons un peu trop tendance à considérer que c'est nous qui avons
été les initiateurs, mais il y avait déjà de grands mouvements qui se préparaient en
dehors de la France.
D'abord, il y avait eu la révolution anglaise. Autrefois, il y a eu une fascination
d'une certaine partie de l'intelligentsia française du côté de ce qu'on appelle la
constitution britannique, qui n 'est d'ailleurs pas une constitution. Il y avait des
anglomanes qui disaient : « En France, il faudrait faire quelque chose à l'imitation de
l'Angleterre », c'est-à-dire avec un roi, deux Chambres, les Communes et puis les
Lords, et en particulier, les Lords, très importants. Mais ce n’est pas ça que je veux
souligner surtout, c'est que dans les trente dernières années du XVIIIe siècle, on
assiste à un très profond frémissement social dans l'Europe occidentale. Le
frémissement social, ici, a deux causes. Primo, la constitution d'une nouvelle classe,
d'une répartition de la fortune que je vous ai expliquée, et puis, deuxio, deux
phénomènes conjugués : une hausse constante des prix et une augmentation
démographique considérable. Ce n’est pas que la natalité augmente, mais les gens
meurent moins, étant donné qu'il y avait moins de famines et qu'il n'y avait pas eu de
grandes guerres exterminatrices. Cette hausse de la natalité est considérable,
puisque dans les cinquante ans à peu près du XVIIIe siècle, avant 1789, la hausse
de la population a été de 60% en France et de 100% en Angleterre.
Alors, on assiste à des choses comme celles-ci. Une révolution. Une révolution
assez terrible, une émeute qui ressemble à une révolution va se produire en 1780.
Du 2 au 6 juin, le centre de la Cité de Londres est en feu. Ça a commencé par des
problèmes religieux. En fait, ç'a été fini tout de suite, ç'a été une affaire sociale, les
petites gens des bourgs, les malheureux, la détresse - Dieu sait s'il y en avait, des
misérables à Londres - ont attaqué la Banque d'Angleterre. Alors, vous imaginez ce
qui s'est produit, enfin, la bourgeoisie était armée, et les miséreux n'ont eu qu'à
rentrer sous terre.
Vous avez, en 1781, dans les Pays-Bas un grand mouvement national de
protestation, qui est à la fois politique et social. Il s'intitule « Allez, Patriotes ! » et si,
en France, à partir de 1789, on appellera « patriotes » les révolutionnaires, c'est à
l'imitation de ce qui s'était passé dans les Pays-Bas. Ça a commencé en 1781, ça a
éclaté en 1787. A ce moment-là, le stadhouder, celui qui dirigeait les Pays-Bas, a fait
appel à des puissances étrangères. Ce sont des troupes anglaises, ce sont des
troupes prussiennes qui sont intervenues pour écraser les révolutionnaires.
Puis, il y a eu Genève, 1782, où il y a eu aussi une tentative des natifs, enfin, de
ceux qui n'étaient pas des « citoyens » de Genève, c'est-à-dire l'immense majorité de
la ville, contre ce petit conseil d'administration qui était composé de banquiers et qui
tenait absolument la ville. Ça n'a pas duré longtemps. Là aussi, les gens de bien
avaient fait appel à la puissance militaire étrangère. Ce sont les troupes françaises,
ce sont les troupes piémontaises qui sont arrivées à Genève pour remettre ce qu'on
appelle l'ordre établi.
Et puis, vous avez l'influence américaine. Ça, c'est assez intéressant. C'est en 1776,
vous le savez, que les Américains ont fait leur révolution, et ce sont eux qui ont lancé
la fameuse phrase - la voici - :
« Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont investis par le Créateur de certains
droits inaliénables : la vie, la liberté et la recherche du bonheur. » Ce sont des
phrases qui étaient inhabituelles, bien entendu, qui s'adressaient au-delà de
l'Atlantique, à l'univers, semblait-il. Elles ont eu un retentissement considérable.
Seulement, il faut bien faire attention, il y a chez les Américains un grand sens, un
sens très aigu de ce que j'appellerai la mise en scène, l'affabulation humanitaire.
Cette démocratie américaine est avant tout une démocratie mercantile. Ils avaient
envoyé en France un vieux malin, un vieux renard, qui s'appelait Franklin, qui allait là
chercher surtout de l'argent, mais bien reçu dans les salons, entouré d'hommages
par Voltaire. Lui-même travaillait très bien pour préparer sans le vouloir cette
Révolution française. Il s'est même passé la fameuse scène que vous connaissez.
C'est une scène qui oscille entre le burlesque et l'odieux. Lorsque Franklin a amené
son petit-fils à Voltaire et lui a demandé sa bénédiction, il y a le vieux Voltaire qui lui
dit : « Dieu et Liberté ». Alors que Dieu, il s'en fiche pas mal. Quant à la liberté, vous
savez ce qu'il veut. Il veut un despotisme éclairé. En 1792, la République française
s'apercevra du côté un peu mercantile, dont je viens de vous parler, de la base
américaine. Nous étions embarrassés horriblement par des questions financières.
Alors, on demande aux États-Unis de nous rembourser une partie de leur dette,
puisqu'on avait tout de même travaillé beaucoup pour leur indépendance. A ce
moment-là, les oreilles se ferment, pas question d'envoyer quoi que ce soit comme
argent. Mais enfin, c'est tout de même important de penser qu'il y avait une
république bien vivante qui existait là-bas, de l'autre côté de l'océan.
Maintenant, il faudrait que nous regardions quelle était la situation de la France
positivement, comment les classes se répartissaient. Eh bien, je voudrais vous
apporter une première citation qui est de cet historien dont je vous ai parlé, qui
s'appelle Monsieur Gaxotte, historien maurrassien : « La richesse s'était
considérablement accrue, en France, depuis un demi-siècle. En somme, l’ensemble
était cossu ». Pour juger de l'intérêt de cette déclaration, il faut connaître le
vocabulaire du dictionnaire de Monsieur Gaxotte. Dans son livre, il nous explique le
goût qu'il a pour l'honnête homme, l'honnête homme du XVIIe siècle dont, dit-il, la
caractéristique principale est le goût de la hiérarchie et de la discipline. Ce qui
signifie le sens très fort, très vif que l'on a du rang social auquel on appartient, et la
volonté que l'on a de se faire respecter. Alors, quand les gens de bien, enfin, les
honnêtes gens, sont riches, hé bien, tout va bien, la France est cossue. Parce que le
reste, ce qui n'est pas les honnêtes gens, la multitude, ça ne compte pas, même si la
multitude représente 95 à 98% de la France. Non, ce n'est pas intéressant. La
France réelle, « le pays réel » comme disait Monsieur Maurras, était cossu.
Qu'est-ce que c'est, le pays réel ? Eh bien, c'est justement une nouvelle
répartition de la richesse, dont je vous parlais il y a un instant. Au XVIIIe siècle, c'était
réellement une classe nouvelle. La bourgeoisie existait bien déjà au XVIIe siècle,
mais elle ne prend de densité, de réalité, elle ne prend conscience d'elle-même qu'à
partir du XVIIIe siècle. Pourquoi ? Parce qu'un certain nombre de roturiers qui ont de
l'argent arrivent à acheter des terres. Alors, ils font fructifier les terres. Ça n'est pas
que le paysan en profite, mais eux-mêmes en profitent largement, et surtout en
développant des manufactures sur lesquelles je n'avais pas du tout la moindre idée
avant de commencer cette étude. Comme la plupart des Français, enfin, je
m'imaginais que c'était sous la Restauration à peu près, que le développement de la
grande industrie avait commencé en France. Mais ce n'est pas vrai. Ça a commencé
au XVIIIe siècle. Je vous ai même apporté des chiffres. Évidemment, nous ne
sommes pas aux chiffres du XXe siècle, mais enfin, 1200 ouvriers aux tissages de
Vancy-Robin à Abbeville, et 4000, je dis bien 4000 ouvriers dans les filatures
Cambon, en Languedoc. (Cambon, c'est un nom qu'il va falloir retenir, parce qu'il est
très important pour la suite de l'histoire.) Vous avez 4 à 5000 mineurs à Anzin, vous
avez des savonniers, des maîtres de forges, au Creusot. (C'est en 1781 que le
Creusot est fondé par la famille De Wendel.) Et puis, les maîtres de forges de
Strasbourg, avec Dietrich, qui se fait appeler baron de Dietrich.
D'autre part, le commerce extérieur s'agrandit. D'autre part, les banques et les
assurances commencent à avoir un singulier développement. Autrement dit, là, toute
une équipe d'industrieux, au XVIIIe siècle, qui s'aperçoivent que l'on peut faire de
l'argent avec l'argent des autres et le travail des autres. Alors, se constitue un très
important groupe de pression. Et ce groupe de pression est d'autant plus furieux
contre ce qui se passe : premièrement, que tous les grands emplois sont réservés -
et de plus en plus à travers le XVIIIe siècle - à l'aristocratie, et deuxièmement, que la
banqueroute semble menaçante. Alors, comme ils tiennent absolument à affirmer
leur autorité, ils ont leurs théoriciens. Je vais vous en donner deux, des théoriciens
bourgeois. Il y a Necker. Necker, le 27 décembre 1788, prononce les phrases que
voici : « Il y a une multitude d'affaires, dont elle seule (elle, la nouvelle classe
bourgeoise), dont elle seule a instruction ». Dans son langage, instruction, ça signifie
la manutention. Quelles affaires ? Les transactions commerciales, les manufactures,
le crédit public, l'intérêt et la circulation de l'argent. C'est-à-dire qu'un État bien
ordonné doit admettre la participation, du moins la participation de ses éminents
citoyens. Or, justement, pas de participation, parce que les exigences de la noblesse
n'ont pas cessé de croître pendant le cours du XVIIIe siècle, que tous les emplois
militaires sont réservés, vous avez entendu, et qu'aussi ce que l'on avait vu au XVIIe
siècle, on ne le revoit plus au XVIIIe, à savoir des ministres, des grands ministres qui
sont bourgeois. Colbert avait été choisi parmi la bourgeoisie par Louis XIV. Chez
Louis XV et Louis XVI, c'est uniquement la grande noblesse. Alors, vous pensez que
cette nouvelle classe, qui est très riche, maintenant, et qui affirme sa richesse,
richesse mobilière, décide que c'est tout à fait intolérable que les grands emplois lui
soient interdits. Vous avez d'autre part Barnave, Barnave est quelqu'un qui va jouer
un grand rôle, et avant d'étudier la révolution comme je l'ai fait, je ne m'en rendais
pas compte, de l'importance de Barnave. On nous dit toujours Siéyès, on nous dit
Mirabeau, Danton, Robespierre. Il y a des gens très importants dont il faut que je
mette le nom en exergue, parce qu’ils ont beaucoup compté. Barnave en est un.
Barnave va écrire ceci : « Les nouveaux moyens de richesse provoquent une
révolution dans les lois politiques, une nouvelle distribution de la richesse qui,
d'uniquement immobilière qu'elle était avant, devient de plus en plus mobilière,
appelle une nouvelle distribution du pouvoir ». Parfois, ce n'est pas seulement des
gens qui sont exaspérés, parce qu'il y a les nobles devant eux, et que les grands
emplois leur sont interdits, mais ce sont des gens qui disent : « Nous sommes
réellement les plus forts, nous possédons réellement une richesse presque
supérieure à celle de la noblesse, nous voulons les leviers de commande ».
La répartition de la richesse en France, eh bien, c'est simple, on l'a faite par des
études qui sont encore en cours maintenant, et qui sont minutieuses à faire : par
l'examen des contrats de mariages. Ce n’est pas fait encore pour tous les
départements, c'est fait pour un certain nombre, et on arrive à peu près à ceci : 5 à
6% de la population française détiennent les trois quarts et demi de la fortune
française. Puis, il y a ce qu'il y a dessous, la cariatide, comme on dit, quoi... le
soubassement Eh bien, le soubassement, ce sont ces 95% de la population qui est
composée à 85% de paysans. La situation des paysans, elle est assez dramatique.
Bien entendu, il y a ceux qu'on appelle les laboureurs. C'est un mot qui a aujourd'hui
changé de sens. Au XVIIIe siècle, le laboureur, c'était le monsieur qui détenait un
domaine considérable, qui avait de grandes étendues de terre. Mais il y en avait très
peu, de ces laboureurs, et vous aviez une foule de ceux qu'on appelait les brassiers.
Brassiers, ça veut dire simplement ceux qui n'ont que leurs bras pour vivre. Les
brassiers, c'était le paysan sédentaire qui avait son petit lopin, qui avait une chèvre,
qui avait une vache, et, à côté, un nombre considérable, et accru au cours du XVIIIe
siècle, de journaliers, c'est-à-dire qui sont non pas sédentaires, ceux-là, mais
mobiles, parce qu'ils ne possèdent rien du tout, et qui vont comme ça, - si on mange
pas aujourd'hui, on reste pas là -, qui vont saisonnièrement proposer, enfin, proposer
leurs bras là où on a besoin d'eux.
La paysannerie est écrasée par toutes sortes de choses. Elle est écrasée, d'une part,
par le fisc, la taille en particulier, l'impôt que refusent de payer les nobles... la taille
pèse sur eux. Ca, c'est les finances de l'État. Ensuite, vous avez l'Église. L'Église
leur impose la dîme. C'est-à-dire que tous les paysans, étant tous forcément
catholiques, puisque le catholicisme est religion d'État, sont obligés de payer un
vingtième. Dîme, ça veut dire un dixième, n'est-ce pas ? alors vous pourriez dire, ça
pourrait être le dixième, non, mais en fait, c'était le vingtième de leur récolte annuelle.
Et puis, vous avez surtout les droits féodaux. Les droits féodaux, originairement, ça
s'expliquait. Autrefois, au Moyen Age, lorsqu'il y avait un grand désordre à travers la
France et que les paysans n'étaient jamais sûrs d'eux-mêmes, puisqu'il y avait des
bandes armées qui circulaient, le châtelain, c'était le monsieur qui avait le château,
défendait les paysans, il les protégeait contre les brigands, contre les pillards qui
arrivaient, il leur demandait en échange de sa protection, un certain nombre de
droits, ces droits s'appelaient grosso-modo les champarts et les lods. Champart, c'est
campi pars, la partie du champ, c'est-à-dire que le propriétaire, le châtelain, prélevait
une partie de la récolte. Les lods, c'était un prélèvement qui se faisait sur tout
changement de propriété, même quand il s'agissait d'un héritage. Pour un héritage,
le châtelain intervenait et prélevait une partie. Puis, vous avez les droits qu'il prélevait
sur toute vente, ainsi le père de Chateaubriand, c'est Chateaubriand qui le raconte
lui-même, le père de Chateaubriand s’enrichissait assez bien en prélevant une taxe
sur toutes les transactions commerciales, quand il y avait des foires, à Combourg ou
à côté de Combourg. Ça rapportait des sommes considérables. Alors, peu à peu, au
XVIIIe siècle, les paysans commencent à dire : « Enfin, quel sens ça a-t-il, ce
prélèvement que rien ne justifie, c'est-à-dire qu'on nous oblige à verser une partie de
notre récolte en échange de services qui ne sont plus rendus ? » Et même, il y avait
un certain nombre de ces services que, paraît-il, le châtelain prenait à sa charge,
c'est-à-dire l'entretien des chemins, la réédification des ponts, par exemple, lorsqu'un
petit pont s'écroulait. Le père de Chateaubriand, comme tant d'autres, ne s'occupait
absolument pas de la voirie ni des ponts. Par conséquent, la noblesse rurale ne
faisait rien pour les paysans, et tout ça prenait de plus en plus les proportions d'un
vol.
Alors, donc, il y a le drame des finances nationales. Pourquoi est-ce qu'elles vont si
mal, avec une France riche, une France dont la richesse s'est accrue ? Il faut citer
une phrase d'Edgar Faure, dans son livre de 1961, très remarquable bouquin sur
Turgot, il dit : « L'accroissement de la richesse nationale est, en fait, traduit par un
appauvrissement des pauvres ». Alors, pourquoi ça n'allait pas, la richesse nationale,
je veux dire les finances de l'État ? Tout simplement, parce que sur trois groupes, il y
en avait deux qui refusaient de participer aux charges de la nation : il y avait la
noblesse, il y avait le clergé, il y avait la roture. Les roturiers et les bourgeois étaient
assujettis à l'impôt, les riches nobles et les riches ecclésiastiques refusaient de le
payer. On en arrivait au bord de la banqueroute. Alors, cette fois, ça ne va plus ! Le
groupe de pression dont je vous ai parlé, primo, il est furieux parce qu'il n'accède pas
aux emplois, deuxièmement, il désire avoir les leviers de commande et en plus,
alors, c'est le comble, si on en arrive à la banqueroute, leurs rentes, car c'est
presque tous des rentiers, leurs rentes vont s'effondrer. Rivarol, qui est un écrivain
de droite, a eu une phrase intéressante, il a dit : « Ce sont les rentiers qui ont fait la
révolution ». Ça, je trouve que c'est assez vrai, et à ce propos, il faudrait que je vous
apporte une de ces phrases de Michelet qui font ma joie : « Il faut savoir, écrit
Michelet, il faut savoir à quel point les idées d'intérêt sont restées secondaires dans
la Révolution française. Oui, la Révolution française fut désintéressée. C'est son côté
sublime ». Ha ! Elle est bien bonne ! Bien. C'est une question d'argent, une question
de pouvoir. Et puis, par là-dessus, il y a la multitude, il y a la cariatide, comme dit
Victor Hugo, dont les gens ne veulent pas s'occuper.
Alors, les faits, maintenant. Les privilégiés, ils ont un auxiliaire considérable, c'est les
parlements. Qu'est-ce que les parlements ? C'est des groupements judiciaires. Il y a
le Parlement de Paris, qui a des juridictions extrêmement étendues. Ça comportait à
peu près un tiers de la France, et les parlements se sont octroyé des droits qui ne
leur étaient absolument pas fixés. Qu'est-ce que c'était, les parlements ? C'étaient à
la fois des chambres de justice et des chambres d'enregistrement. Lorsqu'un édit
royal paraissait - les gens des parlements étaient des conservateurs -, ils
colligeaient, comme on dit, si vous voulez, ces documents, ils les classaient. Et peu à
peu, ils s'étaient approprié le droit de faire des remontrances et ils en étaient même
venus à repousser les édits royaux. Les parlements bénéficiaient d'une espèce de
popularité en ce sens qu'ils s'y opposaient à l'absolutisme royal, et pourquoi
s'opposaient-ils ? Parce que le roi, désespérément, essayait de faire payer les
privilégiés, que les parlements refusaient que les privilégiés payassent quoi que ce
soit, parce qu'eux-mêmes en faisaient partie, et comme ils étaient dans l'opposition -
ils étaient même l'unique opposition - le petit peuple, les gens malheureux, les gens
écrasés, applaudissaient à ces parlements, qui étaient en réalité les instruments les
plus dociles et les plus bornés du conservatisme social.
Quels sont les faits ? En 1771, à la fin de son règne, Louis XV essaie un coup de
force contre les parlements. Et il y arrive. Et, comme dit dans une bonne phrase
Edgar Faure : « Au prix de la haine de toute une classe, la sienne, Maupeou était
arrivé à briser la fronde parlementaire ». 1771, mais c'est la fin du règne de Louis
XV, et voilà Louis XVI qui monte sur le trône en 1774. Pour Louis XVI, dont je vous
parlerai, c'est un brave homme : « Je veux que mon peuple m'aime ». Comme il sait
que le peuple applaudit toujours aux parlements, il fait revenir le parlement en 1774.
C'était une gaffe sans nom, puisque déjà très difficilement Louis XV y était arrivé, il
avait brisé les parlementaires, voilà le bon Louis XVI qui les ramène, et il fait venir au
pouvoir Turgot. Turgot, c'est encore un de ces cas où la légende l'emporte sur la
vérité. Et je ne saurais être assez reconnaissant à Edgar Faure de son bouquin de
61 dont je parlais. Ce Turgot, il nous dit, enfin, ce que c'était, Turgot. Turgot avait
l'appui de l'Encyclopédie. Pourquoi ? Parce qu'il n'allait pas à la messe. Alors, ça
suffisait pour être encyclopédiste. Et dès que Turgot est arrivé au pouvoir, on a bien
vu ce qu'il a fait, il a ramené les parlementaires, les parlementaires dont on s'était
débarrassé en 1771. Il les a ramenés. Il ne va absolument pas toucher aux
privilégiés. Il ne veut surtout pas importuner les nobles, et même lui qui est incroyant,
il a le chic, il a la gentillesse de ne pas non plus importuner le clergé. Il a une doctrine
économique extrêmement ferme. Il déclare d'une manière extrêmement précise :
« L'administration - l'administration, entendez bien - ne doit pas s'occuper du
commerce. L'administration ne s'occupe pas du commerce ». Pourquoi il dit ça ?
Parce qu'un de ses prédécesseurs, l'abbé Terray, avait essayé un pauvre dirigisme
économique. Il avait essayé d'empêcher la hausse des prix. Tandis que ce que
Turgot dit : « Ça n'a pas d'importance. La hausse des prix, eh bien, les gens
paieront. Et quant aux salariés, s'ils sont un peu malheureux, nous allons ouvrir pour
eux des ateliers de charité ». Les ateliers de charité, c'est une idée très noble,
humanitaire. En fait, c'était tout bénéfice pour la classe manufacturière, parce que
dans les ateliers de charité, il était entendu que les travailleurs devaient être moins
payés que dans les usines privées. Par conséquent, ils travaillaient autant, peut-être
même plus, mais ils étaient moins payés. Ainsi, hausse des prix, la bourgeoisie
manufacturière (les commerçants) n'était pas gênée. Mais d'autre part, s'il y a des
pauvres malheureux, il y a des ateliers de charité où ils travaillaient au rabais.
Pire, pire, entendez bien, résultat de la politique de Turgot, c'est la guerre des
farines, qui va éclater en 1775. La guerre des farines, c'est la première fois qu'on va
voir des paysans qui vont se soulever pour des questions de nourriture, parce qu'ils
crèvent, en particulier en avril, oui, en avril 1775, à Dijon, c'est-à-dire, ça remue
diablement. Les paysans sont là qui demandent la taxation : « C'est fini, il faut un
maximum. Ce prix du blé ne peut pas être dépassé, sans ça, on va mourir ». Ben, je
vous assure, Turgot, il ne plaisante pas. Il fait de la répression, une répression
furieuse. Il envoie là un général qui s'appelle La Tour du Pin, qui s'illustrera par une
phrase qui va courir toute la France. La Tour du Pin, une fois qu'il a eu fait tirer sur la
foule, dit à ces paysans : « Vous avez faim, eh bien, nous sommes en avril, l'herbe
commence à pousser, vous n'avez qu'à brouter comme les vaches ». Et puis, on va
faire deux exécutions, comment dirais-je, d'intimidation. On va prendre au hasard
deux types, qui s'étaient manifestés dans les violences contre les boulangers, et on
va les pendre à Paris, en grande pompe, en particulier un monsieur Jacques
Légaillez, qui avait seize ans, et comme acte d'accusation, il y avait ceci : « Il a
donné un coup de pied dans la porte d'une boulangerie ». Pendu haut et court,
comme on disait à Paris, parce que c'étaient des pendus pour l'exemple. Voilà le
résultat de l'émeute.
Enfin, va survenir Necker. Ça, c'est une histoire extraordinaire, l'histoire de Necker.
Faut que je vous en parle, faut deux ou trois minutes pour ça, mais ça vaut la peine.
Necker est un personnage pittoresque. Quand je dis pittoresque, c'est parce que je
veux employer un euphémisme. Necker est un monsieur qui avait réalisé un coup
éclatant - il est employé de banque à Montluçon, à Genève - il avait réalisé un coup
éclatant sur le Canada. Necker avait été averti d'une disposition secrète qui avait été
prise en novembre 62, entre le gouvernement français et le gouvernement anglais,
parce qu'il était déjà entendu que la France avait perdu le Canada, qu’en 1763,
l'année suivante, le Canada passerait sous régime britannique. Il faut savoir que les
autorités françaises du Canada avaient lancé un papier-monnaie. Alors, comme cet
effet canadien s'est écroulé quand le gouvernement français était en train de perdre
sa suprématie sur le Canada, on les vendait, ces malheureux effets canadiens, avec
une perte de 70 à 80%. Necker était arrivé, vous allez voir pourquoi, à faire une rafle
considérable, il avait acheté des quantités à très bas prix, des quantités d'effets
canadiens, mais il savait que dans la convention de novembre 62 passée entre le
gouvernement français et le gouvernement anglais, le gouvernement français s'était
engagé à rembourser au pair, à tout Canadien, un effet qu'il possédait. Vous
entendez, à tout Canadien. Mais alors, Necker, qui avait fait une rafle d'effets
canadiens, va fabriquer de sa main un certain nombre de fausses lettres
canadiennes, soi-disant écrites par quelqu'un qui était de Montréal, pour faire croire
que l'argent qu'il a entre les mains est un argent canadien. Il va remettre toute cette
somme, qui est considérable, au gouvernement britannique, en chargeant le
gouvernement britannique d’en demander remboursement au gouvernement
français. Par conséquent, il va faire une opération colossale. C'est le début de la
fortune de Necker : aux dépens du trésor français.
L'année suivante, il va faire une très jolie opération aussi, une belle spéculation sur
les blés. Enfin, c'est un monsieur qui a une grosse stature. Ce monsieur a de
grandes ambitions, il a épousé une femme qui a ouvert un salon à Paris, et cette
petite personne constitue avec son mari une espèce de tandem, de tandem
frénétique. Elle reçoit Voltaire chez elle, et quoiqu'elle soit une protestante très rigide,
elle donne dans les idées nouvelles, dans la mesure même où il s'agit
d'anticatholicisme. Alors, c'est parfait, elle est extrêmement contente, et
l'Encyclopédie constitue autour des Necker ce qu'on pourrait appeler une claque
travailleuse.
C'est d'Alembert lui-même qui va pousser Necker, dans un certain jour du 25 août,
du 25 août 1773, c'est d'Alembert, d'Alembert en personne qui, dans une séance
officielle de l'Académie française, va lire un éloge de Colbert rédigé par Necker. Je
ne peux pas me retenir de vous lire ce que Monsieur Edgar Faure appelle un
insupportable galimatias. « Il faut, disait Necker, à la tête des finances françaises, un
homme dont le génie étendu soit capable de parcourir toutes les circonstances, un
homme dont l'esprit flexible sache y conformer ses desseins, un homme doué d'une
âme ardente et d'une raison tranquille ». Tout le monde a compris, enfin, c'était lui-
même, qu'il était en train de proposer.
La correspondance littéraire de Grimm, correspondance littéraire qui était la grande
ennemie de Jean-Jacques Rousseau, vous savez, c'était un instrument de
l'Encyclopédie. Dans son tome 10, à la page 281, Grimm écrit à propos de cet éloge
de Colbert par Necker : « Monsieur Necker a deviné l'âme de Colbert par la seule
analyse de la sienne propre ».
Bon, alors, il a derrière lui le clan de l'Encyclopédie. Il arrive au mois d'août 1776, il
est nommé chef des finances françaises. C'est encore un coup formidable. Primo,
c'est la première fois qu'un banquier, et un banquier roturier, va devenir le chef des
finances françaises. Deuxièmement, comme Turgot, c'est la raison pour laquelle
l'Encyclopédie le servait, il n'était pas catholique, il était protestant. Alors, qu'est-ce
qu'il va faire, une fois qu'il est arrivé ? Eh bien, il va surtout ne pas importuner, pas
plus que Turgot, les privilégiés. Oh ! Pas question de les faire payer, il va faire une
politique systématique et furieuse d'emprunts. Chateaubriand, dans ses Mémoires
d'Outre-tombe, l'appelle « Necker l'emprunteur », mais c'est vrai, c'est prodigieux,
prodigieux, les emprunts que fait Necker. C'est une politique de douceur, vous
comprenez, c'était avoir l'argent qui ne coûtait rien, puisqu'il n'y avait pas d'impôts
nouveaux. Mais seulement, la France s'endettait d'une manière horrible, surtout que
Necker, avec les banquiers genevois, était arrivé à mettre au point un système
d'emprunts viagers extraordinaire. L'emprunt viager, c'était ceci : on trouvait des
petites filles, on appelait ça les jeunes filles de Genève, des jeunes filles, des petites
filles qui ont peut-être 7 ou 8 ans, mais qui avaient eu précédemment la petite vérole,
et qui étaient immunisées. Alors, on se disait, ces gamines, elles ont une très longue
vie devant elles, alors, on constitue des rentes sur elles, et les emprunts viagers de
la France à Necker étaient à 12%, 13%, 14%. Lui, Necker, à l'époque, qui est
genevois, misait sur des petites filles. Alors, comme il n'y avait pas dans les
dispositions légales de limitation d'âge, on pouvait prendre des rentes viagères sur
une jeune gamine de 8 ans, et comme il y en avait beaucoup qui allaient vivre
jusqu'à 80 ans, c'ést le trésor français qui allait en pâtir. Mais, comme Necker fait
semblant de ne plus appartenir à sa banque - oui, il a mis son frère à sa place, il lui
avait fait changer de nom, il ne s'appelait plus Necker, il s'appelait Germany, du nom
d'une terre roturière que Necker possédait du côté du Mans - alors, la banque
Montluçon-Germany, c'est-à-dire la banque toujours Necker, trouvait dans le
placement des emprunts des pourcentages nourrissants. Au point que quand Necker
va quitter le pouvoir français, après avoir publicitairement du reste prêté deux millions
au trésor - prêté, hein ? pas donnés, il y avait de l'intérêt -, il va être capable
d'acheter le château de Coppet, parce que ça l'a pas mal enrichi, d'avoir traversé les
finances françaises, mais le résultat, c'est que lorsque Necker quitte les finances
françaises, la moitié, vous m'entendez, la moitié du budget passe aux arrérages des
emprunts. C'est une grande catastrophe.
Le roi, qui était assez embêté, a congédié Necker en 1781. (Necker a publié à ce
moment-là un bilan absolument truqué, pour faire croire qu'il avait fait faire des
économies au trésor français). Il veut trouver autre chose. Alors, successivement, il
fait appel à Calonne, puis à Brienne. Le pauvre Calonne essaie une subvention
territoriale, c'est-à-dire l'impôt foncier, et il réunit les notables en se disant : « C'est
peut-être des gens qui seront compréhensifs ». Les notables répondent : « Pardon,
ça ne nous regarde pas, c'est le Parlement qui s'occupe des impôts ». Et le
Parlement refuse. L'évêque Brienne, Dominique Brienne, va essayer de leur faire le
coup de Maupeou. Maupeou, vous vous rappelez en 1771, il a brisé le Parlement. Le
8 mai 1788, Brienne recommence le coup, détruit le Parlement, met à sa place une
cour plénière, et dit : « On va faire payer tout le monde ». Alors ça, je vous assure
que ça ne marchait plus. Les parlements s'agitent, l'opinion publique elle-même,
toute la bourgeoisie, est folle furieuse. Attention aux dates, c'est le 8 mai 88 que
Brienne fait son coup contre les parlements, le 8 mai, et le 21 juillet 88, c'est ce qu'on
appelle les États de Vizille. Les États de Vizille, ça se passe à Vizille, c'est-à-dire
dans le Dauphiné, et je vous expliquerai pourquoi ça se passe en Dauphiné, et qui il
y a derrière, en particulier, des industriels : les Périer.
CHAPITRE 3
Elle est célèbre, cette réunion de Vizille dont je vous parlais la dernière fois. Le
château de Vizille, dans le Dauphiné, c'est donc le 21 juillet 1788, à la suite de ce
qu'avait fait Brienne, lorsqu'il avait renvoyé les parlements. Et je vous disais
également que c'étaient les Périer qui étaient là-dessous. Qu'est-ce que c'est que ça,
les Périer ? C'est un nom qui va beaucoup compter dans l'histoire de France. On va
trouver un Périer à la banque de France après le coup d'État de Brumaire. On va
trouver un Périer qui sera banquier et en même temps Premier ministre sous Louis-
Philippe. On va trouver un Casimir Périer, toujours la même famille, qui va être plus
tard président de la République. Enfin, une famille, comme vous le voyez,
considérable. Bien. C'est les Périer qui ont eu l'idée de cette réunion de Vizille en
juillet 88. Faut dire qu'ils ont des conseillers, des assesseurs, enfin, des auxiliaires de
bonne volonté. Il y en a deux en particulier, il y a un nommé Barnave, dont je vous ai
déjà parlé, qui est vraiment quelqu'un d'important, et puis, il y a Mounier, Mounier,
qui est avocat de la région, ici, c'est un garçon intelligent. Alors, quelle est l'idée de
Vizille ? Eh bien, ça s'était beaucoup agité. J'avais même employé un mot vulgaire,
la dernière fois, pour vous dire que ça avait bardé, à travers la France, lorsque
Brienne avait fait son coup du 8 mai. Et dans la région du Dauphiné, c'est-à-dire
Grenoble, ça avait bardé très particulièrement, puisque le 7 juin, une espèce
d'insurrection s'était produite, on avait appelé ça la Journée des Tuiles, les gens
étaient montés sur leurs maisons, avaient détuilé leurs maisons, et bombardé les
soldats qui étaient là pour rétablir l'ordre. Ça avait donné beaucoup à réfléchir, ça, à
la bourgeoisie, c'est-à-dire que le quatrième état, si je puis dire - c'est la multitude -,
se mettait à remuer. C'était très inquiétant. Il y a divers signes qui donnaient à penser
aux gens de bien. Par exemple, il y avait un dicton qui courait, une espèce
d'apologue très bref que voici, les gens se répétaient cette phrase-là : « Le roi dit : je
mange tout. Le noble dit : je pille tout. Le soldat dit : j'interdis tout. Le prêtre dit :
j'absous tout. Et l'homme en blouse dit : je paie tout ». Très mauvais, des choses
comme ça. Et puis, Sébastien Mercier, l'auteur des Tableaux de Paris, dans l'année
1788, ça nous intéresse particulièrement, il écrit ce qui suit : « De nos jours, le petit
peuple est sorti de sa subordination, à tel point que je puis prédire qu'avant un an, on
en verra les effets ». Diable, on commençait à voir que ça tournait mal, n'est-ce pas,
parce qu'il y avait dans ce groupe de pression, c'est-à-dire la bourgeoisie qui voulait
forcer le barrage que la noblesse mettait devant les grands emplois, qui voulait
accéder aux leviers de commande de l'État, mais tout ça, à condition naturellement
que la fameuse cariatide, le peuple, le peuple qui travaille, comme dit Voltaire, et qui
nourrit les autres, le peuple ne bouge pas. Il ne faut pas que le quart état puisse
déranger ces messieurs dans leur opération. Quelle est l'opération ? Ce sont des
gens qui veulent se substituer, partager avec la noblesse, s'asseoir avec elle au
festin national. Alors, les Mounier, les Barnave, les Périer, quand ils ont vu dans la
région de Grenoble que ça commençait à aller mal, ils se sont dit : Il faut agir vite. »
On a donc fait une espèce de réunion de notables, préfiguration, comme je vous ai
dit, des États Généraux. On a fait venir des aristocrates, on a fait venir un certain
nombre d'ecclésiastiques, enfin, ça ne comptait pas. On a fait venir surtout de la
bourgeoisie possédante. Et là, on leur a fait une proposition d'alliance. On a dit à
l'aristocratie : « Ecoutez, vous n'allez pas pouvoir y couper, hein, c'est forcé, c'est
fatal, un jour ou l'autre, vous serez obligés de payer des impôts, les curés aussi.
Alors, on va s'arranger. Vous voyez bien que nous avons un ennemi commun,
l'ennemi commun, c'est le peuple ». Enfin, le soubassement, la cariatide, c’est la
multitude, c’est-à-dire ceux qui travaillent. Par conséquent, alliance possible,
pourquoi pas ? Bon, vous allez payer les impôts, ça ne vous sera pas agréable. Mais
nous qui sommes la nouvelle classe, la puissance mobilière, on va s’arranger avec
vous, on va partager, si vous voulez, parce que vous garderez vos prérogatives, vos
titres, mais pas vos privilèges, hein vos titres. Et puis, on a des filles, nous. Alors, par
conséquent, vous pourrez épouser nos filles. Donc, tout le monde s’y retrouvera.
Nous, on sera très fiers d’avoir des gens qui s’appellent des marquis ou des ducs,
puis, vous, vous aurez nos écus, avec nos filles. » Alors, ça commence à intéresser
un certain nombre de gens de l'aristocratie, et quand les États Généraux vont se
réunir, ce sont des idées qui travaillent dans les têtes.
Les États Généraux, eh bien, c'est une idée qui avait été lancée en 1787. En 1787,
c'était Calonne qui avait essayé son coup des notables, je vous l'ai dit, il avait
proposé une subvention territoriale, c'est-à-dire un impôt foncier. Pas question. Et un
des notables avait dit : « Pourquoi est-ce qu'on ne réunirait pas les États Généraux
? ». Les États Généraux, ça ne s'était pas fait en France depuis 1614. Un certain
temps, comme vous voyez. Alors, c'était un alibi qu'on était en train de chercher. On
se disait : On va peut-être se dévaloriser, se dévaluer, enfin, dans l'opinion publique,
les gens vont s'apercevoir que c'est une duperie, d'applaudir ce Parlement qui ne
veut absolument pas de réforme, tandis que si on réunit les États Généraux avec les
trois ordres, c'est-à-dire les représentants des nobles, les représentants du clergé,
les représentants de la roture. Par conséquent, ce refus, ce refus de payer qui,
jusqu'alors, était réservé à l'aristocratie, ça sera toujours les trois qui seront dans le
coup, bien entendu, comme ça, nous serons deux contre un, le vote sera enlevé, et
on sera sûrs de ne pas avoir à abandonner nos privilèges. »
L'histoire était bien présentée. Néanmoins, Necker, qui vient d'être rappelé au
pouvoir, nous sommes en août 1788, Necker n'est pas très chaud, il se demande ce
que ça va donner, surtout qu'il y a une assez grande agitation, dans l'opinion
publique, où le Tiers État demande le doublement, le doublement, parce qu'ils disent
: « Bien, c'est nous les plus nombreux. Par conséquent, il ne faut pas qu'ont ait un
seul député, il faut que nous soyons deux contre un. » Oui, oui, mais ça ne change
rien si le vote aux États Généraux se fait par ordre, il y a toujours voix du clergé plus
voix de la noblesse contre voix de la roture. Alors, ça n'a aucune importance, qu'ils
soient plus nombreux, puisque si le vote continue à être par ordre, et non par tête, la
majorité est acquise aux premiers déjà.
Ça tracassait Necker. Necker était arrivé au pouvoir le 25 août, oui, je crois le 26,
non, le 25 août 1788, plus gonflé qu'eux-mêmes. Vous vous imaginez les
rengorgements de ce dindon, enfin, quand le voilà qui recommence, lui, Suisse, lui,
banquier suisse, à être à la tête des finances françaises. Il avait été du reste
acclamé, dans la foule. Enfin, les gens se persuadaient que c'était un magicien. Et il
réfléchit, retourne cette question des États Généraux, et il va lui-même conseiller au
roi en effet d'accepter ce doublement du Tiers État. Doublement qui n'engage
absolument à rien, tant que le vote par tête ne sera pas accepté.
Nous arrivons maintenant aux grandes années, aux grands moments
révolutionnaires, et la première idée qu'il faut que je vous soumette, c'est celle-ci, qui
est qu'une révolution n'arrive jamais à l'improviste. Regardez en Russie, par
exemple, la révolution de 1917 a été longuement précédée par les mouvements que
vous connaissez, en particulier ceux de 1905. Eh bien, chez nous, les Français, au
moment où la révolution tumultueuse a éclaté en 89, rendez-vous compte que ça
remuait depuis déjà pas mal de temps.
Je voudrais vous montrer d'abord les agitations de 87-88, c'était presque toujours à
propos du Parlement. Dans la nuit du 25 septembre, en 88, parce que le Parlement
avait été repoussé par le roi, enfin, écarté par le roi, il y avait déjà eu des troubles, il y
avait eu deux tués, puis il y avait eu, après le 8 mai, ce que je vous raconte. Ce que
je vous ai raconté, avec des agitations en province, dans plusieurs villes. Il y avait eu
à Pau, il y avait eu à Besançon, il y avait eu à Grenoble, la Journée des Tuiles. Il y
avait eu à Toulouse, il y avait eu à Rennes, des agitations.
Autres agitations moins révolutionnaires, plutôt acclamations hostiles, hostiles à la
cour, lorsque Necker arrive, le 25 août 1788. Mais ce qui ajoute à l'agitation
générale, c'est la situation économique. Et ça, c'est ce que Michelet ne voulait jamais
voir, c'est ce que Buchet et Hazéreau avaient vu dès leurs quarante volumes de
1837. La situation du peuple devenait vraiment intolérable, au début, à la fin de
l'année 88, et au début de 89. Pourquoi ? Eh bien, il y avait eu diverses choses, il y
avait eu une montée des prix dont je vous ai parlé, sur lesquels je vais vous apporter
maintenant des précisions, et que voici.
Entre 1730 et 1789, la hausse des prix, en France, avait été de 60%. Vous me
suivez bien, 60%. Et la hausse des salaires, dans la même période, avait été de 20%
seulement. Par conséquent, les gens étaient de plus en plus malheureux. Le prix du
pain, c'est un vrai problème : parce que le petit peuple se nourrissait de pain, les
travailleurs se nourrissaient de pain. Combien ça coûtait ? Normalement, avant 1750,
le pain, à peu près partout en France, était à deux sous, ça voulait dire deux sous la
livre. Et comme les gens mangeaient en principe quatre livres de pain par jour, ce
que nous appellerions aujourd'hui deux kilos, ils payaient donc ça huit sous. Eh bien,
graduellement, le pain augmentait de plus en plus. Il est arrivé à 10 sous, puis 11
sous, puis 13 sous, et au début de l'année 89, le pain à Paris était à 14 sous.
Combien gagne un ouvrier non qualifié ? Des ouvriers qualifiés gagnaient jusqu'à
2,50 F par jours, mais la plupart des ouvriers, mettons 80%, des ouvriers parisiens
gagnaient 20 sous par jour. Alors, est-ce que vous vous rendez compte de la
situation ? Un type qui, pour se nourrir, pour manger ses quatre livres de pain par
jour, et nourrir sa femme et ses gosses, est obligé de dépenser 14 sous, alors qu'il
en gagne 20, qu'est-ce qu'il lui reste pour s'habiller et se loger ?
Et d'autre part, est-ce qu'ils peuvent travailler tous les jours, les ouvriers ? Mais
naturellement pas, il y a d'une part les dimanches, puis il y avait en ce moment-là 29
fêtes chômées dans l'année. Par conséquent, l'ouvrier parisien était un garçon qui
n'arrivait pas à vivre, étant donné qu'il travaillait moins de 300 jours par an, qu'il
gagnait environ 20 sous par jour, et que le pain coûtait déjà 14 sous. Ajoutez
diverses choses. La France avait signé avec l'Angleterre, en 1786, un traité de
commerce, qui était très libéral et qui permettait aux produits anglais d'entrer en
France. Alors, à partir de 1787, un certain chômage s'établit surtout dans les
tissages. Et puis, du côté de Lyon, à cause des soyeux, parce que les manufactures
anglaises arrivent à vendre beaucoup moins cher que les manufactures françaises.
Vous avez, dès 1776, une crise de mévente des vins. La région productrice de vin,
c'était Bordeaux, c'était la Bourgogne, c'était le Languedoc. Le Bordelais est moins
touché, mais du côté du Languedoc et de la Bourgogne, il y a une crise à partir de
77, je vous dis, une crise de surproduction, un effondrement des cours.
Vous avez d'autre part la catastrophe atmosphérique, c'est bien le mot, le 13 juillet
88. Aujourd'hui, on pense toujours 14 juillet 89, mais je vous assure que les Français
se sont beaucoup rappelé, pendant des tas d'années, ce qui était arrivé et qui,
paraît-il, était tout à fait extraordinaire, le 13 juillet 88 : un ouragan, un orage
invraisemblable - des orages, d'habitude, c'est localisé -, or là, c'était un orage,
suivez-moi bien, qui s’était abattu sur toute la France, de Dunkerque à Bourges et du
Havre à Metz. Et là, il y avait les grandes régions productrices, hé bien, tout avait été
ravagé, dans cette journée du 13 juillet 88. Il y avait eu la foudre, il y avait eu la grêle,
il y avait eu des torrents de pluie, enfin, une catastrophe qui faisait encore une
hausse des prix.
Vous avez, d'autre part, depuis 1775, le mur des fermiers-généraux. C'est une chose
que j'aurais dû connaître depuis longtemps, c'est extraordinaire, vous savez qu'on
fait des découvertes quand on se met à étudier la révolution de près. Le mur,
aujourd'hui, c'est le mur de Berlin. Mais il y a un certain mur des fermiers-généraux
qui avait été construit autour de Paris, pour les octrois. Qu'est-ce que c'est, que les
fermiers-généraux ? C'étaient des banquiers, la plupart du temps, qui se proposaient
au roi pour faire rentrer une partie des contributions. Alors, l'arrangement était assez
sympathique. Le roi leur disait : « Vous allez me fournir tant de millions, et puis, vous
vous débrouillez personnellement. » Le roi ne s'intéressait pas à la manière dont on
se procurait ces millions. Supposez que les fermiers-généraux se soient engagés à
verser 30 millions au roi, hé bien, ils en faisaient cracher, enfin, 60 à 70 millions à la
population, et le reste, c'étaient entièrement des bénéfices. Et c'étaient les fermiers-
généraux qui s'étaient attribué les droits d'octroi dans Paris. Et pour que le droit
d'octroi, c'est-à-dire que toute la marchandise qui entrait de la campagne à Paris paie
une certaine taxe, pour que ces droits d'octroi soient respectés, et pour qu'il n'y ait
pas de contrebande, un mur, un mur de 3,50 m de haut avait été établi avec 40
ouvertures. Et aux 40 ouvertures, il y avait des gabelous, comme on disait, des
douaniers, qui étaient là et faisaient payer les gens. Qu'est-ce que ça rapportait ? Ça
extorquait à la population parisienne, pour pouvoir manger, environ 30 millions par
an. C'est le chiffre que je vous ai donné tout à l'heure. Sur ces 30 millions par an, je
ne sais pas ce que l'État touchait, mais les fermiers-généraux - c'était leur mur -
touchaient, eux, ces 30 millions. Ils en versaient peut-être une quinzaine au roi. Ça
leur permettait, vous comprenez, d'avoir de très beaux hôtels particuliers, place
Vendôme.
Alors, vous avez le traité de commerce de 86, vous avez les vins, vous avez le 13
juillet 88, avec la catastrophe atmosphérique, le mur des fermiers-généraux. Et puis
alors, la campagne, à travers toute la fin du siècle, depuis 1760 environ, est de plus
en plus malheureuse, parce qu'une grande partie de la noblesse de province, qui
n'avait pas les moyens de vivre à Paris, qui n'était pas des courtisans parisiens, vivait
quelquefois assez difficilement, et avait donc imaginé d'accroître ses droits féodaux
par des recours à ce qu'on appelait des feudistes. Les feudistes, c'étaient des gens
qui s'étaient spécialisés, enfin, des types de la basoche, dans la recherche de ce
qu'on appelait des terriers. Un terrier, c'était un document de base, un parchemin sur
lequel était établi le droit que le seigneur s'arrogeait sur un lod, sur un champart, etc.
Alors, la noblesse française du XVIIIe siècle avait engagé un certain nombre de
feudistes, qui inventaient de nouveaux droits féodaux, qui retrouvaient, ou faisaient
retrouver, d'anciens terriers, enfin, d'anciens parchemins, ce qui avait pour résultat
d'encore accroître les charges de la paysannerie. Ajoutez qu'au milieu du siècle, la
noblesse s'était fait accorder, tout à coup, un tiers des biens communaux. Les biens
communaux, ça appartenait aux communautés rurales. Eh bien, la noblesse s'en
était fait accorder un tiers. Troisièmement, elle s'était fait accorder le droit de clôture,
c'est-à-dire que les paysans pauvres, qui pouvaient faire pâturer leurs quelques
bêtes sur le sol du patron, enfin, sur le sol du seigneur, ne pouvaient plus,
maintenant que c'était clôturé. Et ce qu'on appelait le droit de vaine pâture était un
droit aboli.
Vous vous rendez compte qu'au début de l'année 89, ce ne sont plus seulement des
émeutes d'opinion, comme celles de 87-88, pour le soutien au Parlement, ce sont
des émeutes de famine, et des émeutes de famine que voici, au début de l'année 89,
en Bretagne, à Nantes, dans le Nord, et en Provence. Ça va évidemment de plus en
plus mal, au point qu'un phénomène inédit se produit, inédit en France, pas inédit en
Angleterre.
Tenez, rappelez-vous, l'autre jour, quand je vous racontais qu'il y avait eu des
journées très dramatiques à Londres, où la Cité était en feu. On avait attaqué la
Banque d'Angleterre, c'était entre le 2 et le 6 juin 1780. Et je vous avais dit à ce
moment-là ; « La bourgeoisie s'est armée, et les miséreux n'ont plus qu'à rentrer
sous terre. » Eh bien, au début de l'année 1789 se produit en France ce phénomène
jusqu'alors inédit, que la bourgeoisie s'arme. Les gens ont le droit en ce moment-là
d'acheter des armes comme ils le veulent. Alors, des propriétaires ruraux, des
propriétaires de manufactures, organisent déjà des milices parce qu'ils voient que le
petit peuple, affamé, se met à bouger.
Vous avez, d'autre part, à Paris, les 26, 27 et 28 avril 1789, une grosse émeute, c'est
ce qu'on appelle l'émeute Réveillon. Je vais vous en dire un mot. Réveillon, c'était un
marchand de papier peint, une grosse manufacture dans le faubourg Saint-Antoine.
Faut que je vous dise tout de suite, dans le Paris de cette époque, il y avait deux
grands faubourgs ouvriers, c'étaient le faubourg Saint-Antoine, et le faubourg Saint-
Marceau, qu'on appelait aussi le faubourg Saint-Marcel. Faubourg Saint-Antoine,
c'était surtout le meuble, puis il y avait aussi le papier peint, et le faubourg Saint-
Marcel, qui était de l'autre côté de la Seine, c'étaient les tanneries. Le 24 avril, le bruit
se répand que Réveillon, le patron, a prononcé une certaine phrase. Cette phrase,
ce serait celle-ci : « Après tout, mes ouvriers peuvent bien vivre avec 15 sous par
jour. » 15 sous. Alors que le pain est à 13 sous, 13 sous et demi. Alors, ça se répand
comme une traînée de poudre : « Mais c'est un épouvantable bonhomme, il veut
nous affamer. » C'était pas ça qu'il avait dit. Réveillon était un homme assez
honnête, je crois, et même, je sais. Il y a eu une enquête qui a été faite là-dessus,
par un nommé Jacques Godechot. Monsieur Godechot a publié, il y a deux ans, ou
l'année dernière peut-être, un livre sur la prise de la Bastille, qui est admirable
d'information. Bien, ce détail que je vais vous donner, je l'ai trouvé dans Godechot.
Réveillon était un homme qui, ayant été frappé d'une partie de chômage, à cause de
la concurrence britannique, avait payé le personnel, avait payé ses ouvriers en
chômage, peut-être un peu moins, mais les avait payés. Et il avait dit : « Il faudrait
arriver à une réduction des prix, de la vie, des denrées, à une réduction telle que
l'ouvrier puisse vivre avec quinze sous par jour. » Ça ne voulait pas dire du tout :
« Dans l'état où sont les prix, l'ouvrier peut vivre avec quinze sous par jour. » Mais
dans l'état où sont les nerfs, aussi, à ce moment-là, le bruit se répand que Réveillon
était un épouvantable bonhomme, il veut nous affamer, il veut ne nous donner que
quinze sous, et une émeute se produit, une émeute tellement violente, parce que des
ouvriers arrivent aussi pour soutenir ceux du faubourg Saint-Antoine, ils arrivent du
faubourg Saint-Marceau, la troupe est obligée de donner. Au début, le gouvernement
ne veut pas y aller trop fort, mais ça devient de plus en plus dramatique, si bien qu'on
tue, il y a une fusillade, et il y a au moins cent, Godechot n'est pas arrivé à établir le
chiffre, enfin, une centaine de tués. Cent tués dans Paris dans une émeute, c'est
quelque chose.
Alors, ce que je vais vous dire, c'est que les États Généraux, dont les élections sont
en train de s'opérer, elles ont commencé en janvier 1789, et vont se terminer au mois
de mai, ces élections aux États Généraux s'opèrent dans un climat de crise
économique violente. C'est très important à savoir. Et comment était-ce organisé ?
Qui est-ce qui va voter ? Bien, Necker, qui avait beaucoup réfléchi à ça et dont vous
connaissez l'état d'esprit, Necker s'était dit : « On ne peut absolument pas laisser
voter les non-possédants. » Un non-possédant, c'est un monsieur qui n'a rien. Et
l'ordre est établi par les possédants. Alors, il sera décidé que personne ne pourra
voter aux États Généraux s’il n'est pas inscrit aux registres des contributions. Il faut
qu'il soit taxé, il faut payer. Ça va exclure dans les 3 à 4 millions de Français. C'est
déjà pas mal.
Et deuxièmement, par un autre truc, un autre subterfuge, c'est qu'il y aura deux
degrés d'élection. En principe, pour pouvoir voler, les gens devraient payer une
somme d'impôts, équivalente à, vous m'entendez, équivalente à trois journées de
travail. Cependant, les municipalités ont le droit de fixer comme elles l'entendent, par
exemple, à Paris, on va décider que ce n'est pas trois journées de travail qui
serviront de critère, mais six journées de travail, c'est-à-dire une imposition égale à
ce que représenteraient six journées de travail. Et ça va permettre d'exclure les deux
tiers de la population masculine de Paris. Et puis, deuxième tirage - premier tirage :
ceux qui n'ont pas assez d'argent ne votent pas -, deuxième tirage, alors, il y aura
l'élection à deux degrés. Il y aura d'abord une première élection qui désignera ceux
qui vont désigner les députés. Ceux-là s'appelleront les véritables électeurs. Et ces
électeurs, ils devront payer, eux, une somme d'imposition égale à dix journées de
travail. Alors, pratiquement, qu'est-ce qu'il va se passer ?
Il va se passer, primo, que les malheureux, ceux qui n'ont pas le sou, ne votent pas,
que ceux qui ont un petit peu d'argent, vont essayer de se faire entendre et vont
rédiger, très souvent sous la conduite des curés - et les curés de campagne, je vous
l'ai dit, sont pour la masse, dans l'ensemble, ils sont pour la masse, pour le soutien
des paysans -, vont rédiger les premiers cahiers, qu'on appelait les cahiers des
paroisses. Et dans ces cahiers, il y aura très souvent des revendications sociales.
Mais ce sont les vrais électeurs, c'est-à-dire les gens bien, qui ont déjà une fortune
plus sérieuse, qui vont rédiger les cahiers définitifs, les cahiers que l'on va présenter
au roi, ces espèces de doléances. Alors, quels sont ces électeurs ? Bien, d'une part,
c'est les bourgeois riches, et d'autre part, c'est la clientèle de ces bourgeois riches,
de cette bourgeoisie riche. Qu'est-ce que je veux dire par la clientèle ? Ce sont des
gens que j'appellerai les déliés, si vous voulez, les déliés de la langue et de la plume.
Ce sont des gens qui savent écrire et qui savent parler, c'est-à-dire en particulier des
avocats. Et les avocats connaissent leurs devoirs, ils savent qui va les payer, ils
savent qu'ils sont au service de la bourgeoisie. Par conséquent, ils vont rédiger des
cahiers qui seront profondément différents des premiers cahiers, des cahiers des
paroisses. Mais la chose très importante à souligner, c'est que pas un, vous
m'entendez, pas un artisan ne sera élu aux États Généraux. Tous les députés qu'on
appellera les députés du Tiers, seront en réalité des gens bien, des gens dont la
fortune est sérieusement assise. Et là, c'est Jaurès qui a apporté ça, il y a un détail
qu'il faut que je vous fournisse, il a été fourni, apporté précisément par quelqu'un qui
est du côté hostile, un royaliste qui s'appelle Montjoie. Montjoie a fait, en 97, une
histoire de la révolution. Elle n'était pas finie, en 97, mais je vous ai dit qu'à partir de
94, ça ne comptait plus. Bien, dans l'histoire de Montjoie, qui est un réactionnaire, qui
était un homme favorable à l'ancien régime, il y a un petit détail intéressant - je crois
que j'ai pris une note là-dessus, oui : - Montjoie raconte qu'il a assisté à la rédaction
du cahier définitif de son district parisien. C'est le district Sainte-Marguerite. Et il y
avait là quelques artisans pas tout à fait pauvres, par exemple, le Duplay dont je
vous ai parlé, Duplay, c'est le menuisier chez qui Robespierre a habité. Duplay, il ne
faut pas vous le figurer comme un ouvrier, c'était un maître artisan, c'était un homme
qui avait une petite menuiserie avec 5 ou 6 ouvriers. Ces gens-là payaient assez
d'imposition pour avoir le droit de parler. Enfin, c'était un artisan. Alors, Montjoie
raconte qu'il a assisté à la rédaction de ces cahiers définitifs du district Sainte-
Marguerite, et que quelques artisans ont essayé de présenter des suggestions, et
ces suggestions, écoutez bien, je cite : « Les bourgeois écoutaient avec impatience,
d'un air de supériorité, et parlaient même à voix haute de l'importunité de ces gens-
là. » Ces gens-là, c'est les ouvriers, c'est les artisans.
Il y a eu quelques fausses notes, il faut dire, tout de même, au moment des réunions
des États Généraux. Je vais vous en donner deux, de ces fausses notes, trois, si
vous voulez. Il y en a une d'un nommé Dufourny. Ce Dufourny publie une brochure
intitulée Cahiers du quatrième ordre. C'est déjà révolutionnaire, de parler du
quatrième ordre. « Pourquoi, écrivait Dufourny, pourquoi une classe immense, celle
des salariés, est-elle rejetée du sein de la nation ? »
Un nommé La Haie, dont je ne sais rien, comme une haie, sort une brochure qui
s'appelle Ce que personne n'a dit ; je cite : « En faveur de la classe abandonnée,
quel est le district de Paris qui a fait la moindre motion pour elle ? » Vous voyez,
quand on essayait d'en faire une, on disait : « Ces gens-là n'ont pas voix au
chapitre. »
Et enfin, un chevalier de Morellet, dont je ne sais rien non plus, mais j'ai trouvé ce
renseignement dans Monsieur Morellet, Origines intellectuelles de la Révolution
française; un chevalier de Morellet, dans une brochure de 1789, écrit ce qui suit et
que je vais vous lire lentement, parce que c'est extrêmement important pour mon
histoire de la révolution : « On a tort de considérer le tiers comme une seule classe, il
se compose en réalité de deux classes, dont les intérêts sont si différents qu'on peut
même les déclarer opposés. « Retenez bien cette phrase pour la suite des choses.
Alors, voilà que les États Généraux sont réunis. Ça se passe le 4 mai 1789. Ça se
passe à Versailles, naturellement. Et voici les chiffres. Vous avez : Clergé, 291.
Noblesse, 270. Tiers, 578, parce que le tiers avait obtenu le doublement du tiers. Je
reprends, 291 plus 270, ça fait 561. 561 représentants des deux ordres privilégiés,
contre 578 du tiers. Par conséquent, si le tiers obtient le vote par tête, le vote
individuel, il est sûr d'avoir sa majorité, puisqu'ils sont 578 contre les 561 des deux
autres ordres réunis. D'autre part, il y a un certain nombre de députés du tiers, qui
comptent déjà sur les voix de la noblesse, ces aristocrates à qui les Perier, les
Barnave, les Mounier ont proposé l'astuce que je vous ai dite, à savoir d'accepter de
payer les impôts et puis, on fera alliance, vous pouvez épouser nos filles. Bien, on
pense, le tiers pense qu'il y aura un certain nombre de voix nobles qui pourront
s'adjoindre aux leurs. Oh, là là ! Et puis, dans le clergé, ce serait intéressant de voir
la composition du clergé, ça a même fait une assez grande rumeur, parce que les
évêques pensaient qu'ils allaient naturellement être désignés. Eh bien, ils ne l'étaient
pas du tout. Un très grand nombre de curés s'étaient opposés à ce que ce soit
l'évêque qui soit le représentant de telle ou telle paroisse. Si bien que c'était une
majorité de 208 curés de campagne, 208 sur 291. Alors, là aussi, quoiqu’avec un
peu d'inquiétude, les roturiers se disaient : « On va avoir les voix du côté des
curés. » Je dis « avec un peu d'inquiétude » parce que vous connaissez la
disposition de ces gens du tiers, vous connaissez la disposition des curés, les gens
du Tiers État plutôt dans la ligne Voltaire, les curés étaient plutôt dans la ligne
Rousseau, les curés défendaient les paysans opprimés, parce qu'ils appartenaient
socialement à cette classe-là, ils défendaient le Quart État. Quant au Tiers, en
réalité, il défendait la bourgeoisie. Enfin, toujours est-il qu'ils sont tous là, les 578 plus
561, le 4 mai.
C'est le 5 mai que commence l'opération proprement dite, réunion générale avec
deux discours, discours du roi, discours de Necker. Le discours du roi est
extrêmement décevant, parce qu'il fait surtout appel à la modération. Il dit : « Je vous
ai réunis pour que nous étudiions le problème ensemble. ». Et pour lui, c'est un
problème uniquement financier. Il faut trouver de l'argent. On est au bord de la
banqueroute, mais il n'est plus question de constitution. Il ne parle pas du tout de
réformer la constitution française. Aucune modification envisagée par le roi à son
régime d'absolutisme. D'autre part, pas un mot non plus sur le vote par tête, et les
gens du Tiers sont là tout tendus, est-ce qu'on va voter individuellement, ou par ordre
?
Bien, Necker parle après le roi. Il est intarissable. Tellement intarissable qu'il se
fatigue à parler et, qu'au milieu du discours, il refile ses feuillets à un secrétaire parce
qu'il n'en peut plus, il a déjà parlé une heure et demie. Et le discours de Necker, il est
exactement semblable à ce bilan truqué, fallacieux, qu'il avait présenté en 1781,
lorsqu'il avait été chassé du pouvoir. En somme, il dit : « Mais non, ce déficit, ce n’est
pas grand-chose, c'est une question de quelques millions, on peut s'arranger. »
Necker va dissimuler pendant longtemps, jusqu'en avril 1790, il va dissimuler le
chiffre des pensions que le roi distribue, parce que c'est sous sa responsabilité que
ça s'est fait, c'est quand Necker était chef des finances françaises que 15 millions ont
été donnés en un seul coup au frère du roi, le comte de Provence, et que 14 millions
ont été donnés à Artois, l'autre frère du roi, celui qui deviendra Charles X, alors que
le Provence va devenir plus tard Louis XVIII.
C'est sous Necker que la famille Polignac, parce que la reine était extrêmement bien
avec Madame de Polignac, c'est sous Necker que la famille Polignac va se faire
attribuer 700.000 francs de pension. 700.000 francs de pension, pour avoir ce chiffre,
il faut multiplier par 4 (en francs français de 1967, soit environ 200 francs belges
1993 - note JMF), enfin, vous voyez à peu près ce que ça donne. Et si on parlait en
dollars, hé bien, ce serait 700.000 dollars d'aujourd'hui. Tout ça, responsabilité de
Necker. Si bien que ce cahier rouge, comme on disait, le cahier des pensions,
Necker va le garder sous clef pour que personne ne le sache, jusqu'en 1790.
Ça fait très mauvais effet, son discours. Comment, le déficit n'est pas si grave que ça
? Mais il doit nous en conter, ce n'est pas vrai. Et c'est là où Mirabeau, pour la
première fois, va se faire entendre. Mirabeau va dire : « Mais le déficit, c'est notre
trésor national ! » Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? C'était une assez jolie formule.
Mirabeau était un homme qui trouvait des formules. Il y a un déficit, un déficit terrible,
beaucoup plus gros que Necker ne veut bien nous le dire. Le roi a besoin d'argent ?
Eh bien, nous sommes décidés à en trouver. Ho, ce n'est pas nous qui allons payer,
mais on va lui en trouver, de l'argent, au roi. Et nos conditions, vous savez ce
qu'elles sont. « C'est-à-dire autorisation à la roture d'entrer dans les pouvoirs, et
finalement, leviers de commande à la bourgeoisie ».
Mirabeau, notez bien, Mirabeau, ce n'est pas un homme du Tiers État, c'est un
homme de la noblesse. Seulement, il a essayé de se faire désigner par la noblesse,
et comme il avait une réputation impossible, les nobles n'en ont pas voulu. Si bien
que les gens du Tiers État l'avaient recueilli, de même que l'abbé Siéyès, dont je vais
vous parler dans un instant, l'abbé de Siéyès aurait dû être, puisqu'il était prêtre,
délégué du clergé, pas du tout. Le clergé n'en avait pas voulu pour des raisons trop
faciles à comprendre, et c'était le Tiers qui l'avait recueilli. Alors, Mirabeau fait cette
phrase formidable : « Pas question, nous donnerions de l'argent à Sa Majesté, mais
à condition que Sa Majesté passe par nos fourches caudines. »
Et nous allons ainsi au drame, très important, du 17 juin. Ce 17 juin, tout à coup,
voyant que rien ne se faisait, que la noblesse refusait de s'associer au Tiers pour la
vérification des pouvoirs, que le clergé faisait de même, qu'il y avait bien un certain
nombre de curés qui avaient rejoint, mais pas assez, le Tiers État va faire son coup
de force, et c'est ce 17 juin qu'il va se proclamer, vous entendez, va se proclamer
« Assemblée Nationale ». « Nous ne sommes que le Tiers État, mais nous sommes
toute la nation. »
Et Siéyès avait lancé sa fameuse phrase : « Qu'est-ce que le Tiers État ? Tout.
Qu'est-ce qu'il demande ? A être quelque chose. » Et c'est là, pour terminer cet
exposé, c'est là que je veux souligner l'imposture, la fourberie de Siéyès. « Qu'est-ce
que le Tiers État ? Tout. Qu'est-ce qu'il demande ? A être quelque chose. » Mais
quand Siéyès dit « Tiers État », qu'est-ce qu'il entend par là ? Est-ce qu'il entend les
24 millions et demi de mangeurs sur les 25 millions de Français ? Pas du tout. Il
entend la toute petite élite, ou écume, si vous voulez, comme vous voudrez, l'écume
du Tiers État, qui représente, qui est représentée par la bourgeoisie possédante. Il
fait semblant d'annoncer que c'est la nation qui parle, et que c'est l’Assemblée
Nationale, alors que c'est en réalité la bourgeoisie qui décide de prendre le pouvoir et
qui ne veut pas être importunée par la cariatide dont le rôle doit rester le même,
c'est-à-dire, celui d'esclaves nourriciers et muets.
CHAPITRE 4
Nous allons aujourd’hui nous trouver en présence d’événements considérables et
violents. C’est juillet 1789, c’est la prise de la Bastille. Et peut-être vous vous
rappelez vous que, dans mon premier exposé, je vous parlais de ce dressage que
j’ai subi comme tous les petits écoliers de France, les écoliers de la Troisième
République, où dans les manuels on nous présentait une certaine image convenable
de la Révolution française. C’était une mise en condition, quoi, les écoliers, c’est des
futurs électeurs, et il est important qu’ils soient orientés.
Alors, aujourd’hui, nous allons nous trouver en présence de phénomènes que je
voudrais bien regarder d’un oeil neuf et vous exposer comment, en vérité, ils se sont
produits. La dernière fois, j’en étais resté au 17 juin, c’est-à-dire au moment où, sous
l’impulsion de Siéyès, le Tiers État se proclame Assemblée Nationale. J’avais
employé un mot violent que je ne retire pas, le mot de fourberie. C’est un mot qui est
très gros, mais il a juste la taille qu’il faut. Pourquoi fourberie chez Siéyès et chez
Mirabeau ? Parce que, je le répète, ces gens font semblant de parler au nom de la
nation, mais ce qu’ils appellent « nation » - en fait vingt-quatre millions et demi de
gens -, c’est cette toute petite élite ou écume que représente la bourgeoisie
possédante.
Ce jour-là, le 17 juin, donc, l’Assemblée Nationale, qui vient de se proclamer telle,
prend des décisions à la face du roi. Elle dit premièrement : « Maintenant, il n’y aura
plus jamais d’impôts ni d’emprunts sans notre consentement. Deuxièmement, nous
autorisons - vous entendez le vocabulaire - nous autorisons la cour et le roi et le
gouvernement à percevoir pour l’instant les impôts. Et troisièmement, les dettes de
l’État, c’est-à-dire les rentes, elles sont sous la sauvegarde de la nation. » Eh bien,
ça veut dire que comme il y a une menace de banqueroute, et comme il faut
absolument que les rentiers soient payés, c’est la collectivité, c’est-à-dire
l’ensemble des 24 ou 25 millions de Français qui se chargera du règlement des
dettes, c’est-à-dire que se chargeront aussi de ce règlement ceux qui n’ont même
pas été invités à voter pour les États Généraux.
Qu’est-ce que va faire le roi devant un pareil état d’esprit ? C’est un fait terrible, vous
comprenez, c’est une partie de la nation qui se dresse devant le roi, puis qui lui dit :
« Stop ! C’est fini, c’est nous qui commandons. » Bien. Le roi, il était très ennuyé. Qui
est-il, ce pauvre roi ? C’est donc Louis XVI, vous savez, depuis 1774. Louis XVI,
c’est un brave homme. C’est quelqu’un qui n’avait pas du tout désiré accéder au
trône, qui avait cru qu’il y arriverait tardivement, et son père était mort jeune, et lui,
par conséquent, il est jeté subitement sur le trône, il est effrayé, il est timide, il a des
difficultés physiques. C’est un homme qui va se marier, enfin, que l’on marie, que l’on
a marié alors qu’il est encore incapable de rendre ses devoirs à sa femme. Cette
situation l’humilie beaucoup, et sa femme Marie-Antoinette, l’Autrichienne, est
quelqu’un qui le regarde d’assez haut. Et il y a une lettre célèbre de Marie-Antoinette
à sa mère, qui est l’impératrice d’Autriche, et où elle parle de son mari en l’appelant
« ce pauvre homme ». Alors, vous voyez, il y a un certain mépris de la part de la
femme pour le mari, et le mari qui est très admiratif devant sa femme - elle est très
belle, en effet - au bout de sept ans de mariage, à la suite d’une petite opération, il
est arrivé à lui faire un premier enfant. Mais c’est une gentille personne, Marie-
Antoinette, un peu légère, elle a un goût de la parure extraordinaire, elle dépense
follement pour des diamants. Il y a eu la fameuse histoire du collier. Il n’est pas très
sûr que son troisième enfant, le dauphin, maintenant, parce que le premier va mourir,
ce petit dauphin dont nous parlerons, celui qui va être enfermé au Temple, celui
qu’on appellera Louis XVII, on n’est pas très sûr que ce soit le fils de Louis XVI, il est
assez possible que ce soit le fils d’un des amants de Marie-Antoinette, qui s’appelait
Fersen, le Suédois Fersen.
Alors, quel peut être l’état d’esprit du roi et de la reine devant ce qui se passe, devant
cette espèce de révolte, d’insurrection d’une partie de la nation qui s’intitule le Tiers
État ? Exaspération chez la femme : Marie-Antoinette trouve ça inconcevable, elle se
demande quel drôle de mariage elle a fait, et quelle idée elle a eue d’aller se jeter
chez ces Français qui se mettent brusquement en révolution.
Quant au brave roi, il est là qui ne sait pas trop que faire. Il est déconcerté. Il est
surtout très dominé par sa femme, et résolu à essayer de freiner comme il pourra.
Alors, sa misérable, sa minable riposte à l’attitude des États Généraux le 17 juin,
c’est de fermer leur salle de réunion, de fermer la salle de réunion du Tiers État, le 20
juin.
Lorsque ces types arrivent, le 20 juin, il pleuvait. Le 20, il fait un temps épouvantable,
les députés se voient interdire l’accès de la salle, il y a des soldats qui sont là, on leur
dit : « Il y a des réparations, enfin, il n’y a pas moyen que vous entriez. » On n’ose
même pas leur dire d’une manière brutale : « Vous n’avez pas le droit de réunion ! »
On leut dit «Mais non, c’est pas possible, parce que la salle est en réfection .» Alors,
c’est ce jour-là, le 20, le 20 juin, que les députés du Tiers vont se réunir dans une
autre salle, dite la salle du Jeu de Paume. C’était vrai. A Versailles, il y avait une
salle où les courtisans, le roi parfois, jouaient au jeu de paume, et c’est dans cette
salle où personne ne peut s’asseoir, où ils sont là, debout, que le fameux serment du
20 juin a lieu. Qu’est-ce que c’est que ce serment ? C’est Mounier qui en est
l’initiateur. Je ne sais pas si ce nom vous dit quelque chose, je l’ai déjà prononcé,
Mounier, c’est quelqu’un qui vient de la région du Dauphiné. Mounier et Barnave, ce
sont, comment dirais-je, ce sont des hommes de main des Périer, vous savez, les
industriels Périer qui avaient organisé la réunion de Vizille. A. Alors, Mounier est un
des chefs de file de la bourgeoisie montante, et ce jour-là, c’est Mounier qui dit à ces
députés qui se sont réunis par hasard dans la salle du Jeu de Paumer, puisqu’on
leur a fermé leur salle, qui dit : « Nous allons prendre l’engagement solennel à main
levée, enfin, devant Dieu, on va jurer de ne jamais se séparer, avant que la
constitution de la France soit faite, soit établie. »
Le Tiers s’était choisi une sorte de doyen, pas tout à fait de président, c’était Bailly,
un astronome, un homme sage, vous savez, un homme pondéré, il n’y avait pas de
danger, avec lui. Alors, c’est Mounier qui propose le serment, et c’est Bailly, montant
sur une table, qui lève la main et qui dit : « Je jure au nom de l’Assemblée Nationale
qu’on ne se séparera pas avant d’avoir établi la constitution du royaume. »
Alors, qu’est-ce que va faire le roi ? Eh bien, le roi hésite encore beaucoup, et prend
conseil auprès de Necker. Necker, vous savez, au fond, il est très affolé, tout ça le
dépasse, il avait l’impression que c’était une erreur d’avoir lancé ces États Généraux.
Enfin, tout de même, le roi décide de faire une séance royale, il va réunir tous les
ordres le 23.
Dans l’histoire traditionnelle, la séance du 23 apparaît, est présentée comme un
coup de force du roi. Je n’en suis pas tellement convaincu. Si l’on écoute les propos
que va tenir le roi, ce 23, on voit qu’il cède pas mal de choses, qu’il recule sur bien
des points, c’est un ton, si vous voulez, autoritaire, autoritaire pour avouer les
concessions.
Eh bien, ce 23 juin, le roi annonce qu’il accepte et même qu’il ordonne l’égalité
fiscale. Ça, il n’avait jamais osé le faire. Vous savez qu’on avait tenté depuis des
années, depuis 1771, de vaincre l’opposition des parlements, on avait tenté d’obtenir
que les nobles se décident et qu’aussi le clergé se décide à payer. Jamais on n’avait
pu y arriver. Il y avait eu l’obstacle du parlement. Alors, le roi se dit : « Après tout, les
États Généraux sont utiles, en ce sens qu’ils sont, que les gens de la roture sont
assez nombreux pour imposer leur volonté aux nobles. Je ne veux pas dire, moi, le
roi, qu’ils sont nombreux et qu’ils imposent leur volonté, mais je m’en vais me servir
de ce levier pour faire payer ces nobles qui refusaient de payer. » Alors, un, égalité
fiscale. Deux, dans cette même séance du 23, le roi accepte quelque chose de très
important, la périodicité des États Généraux. Eh bien, ça veut dire que pratiquement,
maintenant il y aura une chambre. Ce n’est plus la monarchie absolue, c’est le roi qui
accepte, qui a à côté de lui une sorte de conseil de direction ou du moins consultatif.
Les États Généraux seront réunis périodiquement. Il ne dit pas quand, mais enfin, il
les consultera. Et trois, ce qui est vraiment important, il accorde à ces États
Généraux le droit de contrôle sur le budget. Ca, la roture pouvait être contente, le
Tiers État pouvait se dire : « C’est vraiment intéressant, pour la première fois, nous
avons notre mot à dire sur la répartition du budget national. »
Et puis, il annonce deux choses encore, il annonce la suppression des lettres de
cachet, c’est-à-dire qu’on ne pouvait plus brusquement, et sans procès, interner
quelqu’un, et il promet la liberté de la presse.
Voyez que ce n’est pas mal tout de même, il y avait un progrès considérable. Le
Tiers avait obtenu beaucoup de choses. Seulement, le roi continuait à refuser que
les délibérations se fassent par tête, il voulait toujours que ça soit par ordre. Par
conséquent, les bourgeois qui étaient là pour essayer de saisir les leviers de
commande de l’État, étaient furieux parce que rien n’était encore possible. La
noblesse continuait à occuper tous les emplois. Si bien qu’il réfléchit sur place avec
Mirabeau, Mirabeau qui, comme Siéyès, était en train de se pousser. Ils réfléchissent
à ce qu’il faut faire rapidement. Mirabeau avait fait une chose aussi fourbe que
Siéyès le 17. Mirabeau avait prononcé, je ne sais plus si c’est le 17 ou le 18, une
phrase sur laquelle j’attire votre attention, il avait parlé de ce Tiers État, dont il avait
dit : « Le Tiers État, pour être formidable, n’a qu’à se faire immobile. » Qu’est-ce que
ça veut dire, cela ? C’est l’idée de la grève générale, finalement. Ces gens n’ont qu’à
rester immobiles, c’est-à-dire ne plus travailler, pour que tout s’arrête. Oui, grève
générale. Seulement, ça, c’est une fourberie égale à celle de Siéyès, quand il avait
dit « Nation » alors qu’il pensait simplement aux deux cent mille profiteurs. Et l’astuce
de Mirabeau, c’est de faire semblant qu’il représente ces travailleurs, alors que la
bourgeoisie est absolument décidée, absolument résolue à les obliger de travailler.
Alors, qu’est-ce que va faire Mirabeau dans cette fameuse séance du 23 ? L’incident
est partout. Seulement, il a été raconté d’une curieuse façon. L’incident, le voici. Le
roi a prononcé son discours le 23. « Vous m’avez entendu, Messieurs ? Maintenant,
séparez-vous, hein ! Chacun, soit chaque ordre, ira dans sa salle. » Les nobles
sortent, le clergé sort, et le Tiers État reste. A ce moment-là, le maître des
cérémonies qui s’appelait le marquis de Dreux-Brézé, s’approche de Bailly, qui s’est
constitué le doyen - une sorte de président - du Tiers état, et lui dit, du reste assez
poliment : « Messieurs, vous avez entendu les ordres de Sa Majesté, veuillez vous
séparer. »
C’est alors que Mirabeau se précipite, et prononce une phrase qui a un
retentissement énorme. Enfin, on en parle toujours aujourd’hui comme d’une chose
extraordinaire.
Mirabeau va s’approcher du marquis de Dreux-Brézé et lui dire : « Nous sommes ici
de par la volonté du peuple - Mon Dieu, quel peuple ? - et nous n’en sortirons que
par la force des baïonnettes. » Force des baïonnettes, ça retentit comme quelque
chose, un cliquetis d’armes, et on se dit : « Tiens, c’est très énergique, ce que dit
Mirabeau. » Mais voulez-vous écouter de nouveau avec moi cette phrase de
Mirabeau ? « Nous sommes ici de par la volonté du peuple, et nous n’en sortirons
que par la force des baïonnettes. » Ce qui signifie : »Si le roi emploie les baïonnettes
contre nous, hé bien, nous céderons. » C’est-à-dire que c’est une soumission
conditionnelle. Tout aurait été différent si Mirabeau avait dit : « Nous sommes ici de
par la volonté du peuple, et si le roi utilise la force contre nous, nous appellerons à
notre secours le peuple, c’est-à-dire les bras nus et les gens à piques, et nous ne
sortirons pas. » Tandis qu’il n’en est pas question. Mirabeau, vous allez le voir de
plus en plus, Mirabeau est quelqu’un qui a une terreur et un dégoût du peuple et qui
se dit : « A aucun prix il ne faut faire appel à ce Quart État, c’est-à-dire à la multitude,
c’est-à-dire aux travailleurs. »
Le marquis de Dreux-Brézé a une réponse que je ne peux pas citer ici parce qu’elle
est extrêmement inconvenante, lorsque Mirabeau lui fait cette phrase, en disant
« Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes », il lui tourne les talons en
jetant une interjection inconvenante et il va trouver le roi pour lui dire : « Ces
messieurs ne veulent pas bouger. » Et le roi, qui est presque aussi inconvenant,
répond : « Ils ne veulent pas s’en aller, hé bien, foutre, qu’ils restent ! » Et il va céder.
Le roi va céder parce que le lendemain, le lendemain 24 juin, par conséquent, le
clergé, poussé par les petits curés, ils sont 208 sur 291, le clergé vient rejoindre ce
Tiers État qui s’est constitué en Assemblée Nationale, et une partie de la noblesse,
oh, pas beaucoup, 48, 48 nobles, qui sont conduits par le duc d’Orléans - le duc
d’Orléans, c’est le cousin du roi et il a des arrière-pensées, il serait très content que
le roi soit balancé pour prendre sa place - conduits par le duc d’Orléans et conduits
par un certain marquis de La Fayette, qui s’était illustré pendant la guerre
d’Indépendance, qui avait servi les révolutionnaires américains, qui a donc un certain
prestige, 48 nobles, ayant à leur tête le marquis de La Fayette et le duc d’Orléans
que j’aurais dû nommer le premier, et deux messieurs qui s’appellent les frères
Lameth, L-A-M-E-T-H, ces frères Lameth, qui sont aussi des « Américains », c’est-à-
dire qu’ils ont suivi La Fayette et qu’ils ont combattu pour l’indépendance américaine,
ce sont tous les deux des colonels de la cavalerie, ce sont tous les deux des
représentants de la noblesse, ils ont des gros intérêts aux colonies françaises, c’est-
à-dire à ce moment-là, les Antilles. Ce sont des gens qui ont une fortune
considérable, hé bien, ils vont penser que ce que faisait le Tiers État n’était pas
mauvais et qu’il fallait le rejoindre.
Alors, quand le roi voit que le clergé a lâché, qu’une partie de la noblesse le lâche
aussi, le 27 juin, le roi dit : « Eh bien, d’accord, je suis consentant, l’Assemblée
Nationale va comprendre le clergé, la noblesse et le Tiers État, et tout ça va essayer
de travailler au mieux pour la France. »
Vous croyez qu’il est sincère ? Eh bien, évidemment, qu’il n’est pas sincère. Lui,
peut-être, vous savez, Louis XVI, peut-être qu’il aurait accepté, il aurait dit : « On va
voir, on va peut-être s’arranger. » Mais sa femme, Marie-Antoinette, était absolument
résolue à ne pas s’arranger. Elle a du reste un conseiller, qui est Breteuil, le gros
Breteuil, c’est un personnage tonitruant. C’est Madame de Staël, je crois, qui raconte
dans ses souvenirs, ou considérations sur la France : « On l’entendait toujours
marcher, Breteuil. Il marchait en frappant des talons. Il avait un ventre considérable,
un poids très lourd et il poussait d’aussi grands cris que la force de ses talons le lui
permettait. » Alors, ce gros Breteuil était là à dire à Marie-Antoinette : « Vous savez,
c’est intolérable, faut pas faire ça, et puis, Necker est un personnage mou, il faut en
réalité agir par la force. » Alors, voici les chiffres qui sont assez intéressants. Les
dates, les chiffres. C’est le 27, hein ? Vous m’avez entendu ? C’est le 27 que le roi
fait semblant de céder, et il dit : « Eh bien, d’accord, on va, tout le monde va se réunir
dans l’Assemblée Nationale. Le 27. »
Mais c’est le 26, la veille, que le roi a commencé à donner des ordres à ses troupes,
faire venir des troupes de l’extérieur pour cerner Versailles. Le 26 juin, trois
régiments d’infanterie sont conviés et trois régiments de cavalerie sont appelés, du
nord et de l’est. Qu’est-ce qu’on choisit, parmi ces régiments ? On choisit des
mercenaires étrangers. Vous savez sans doute que la monarchie française avait à
son service un certain nombre d’Allemands et de Hongrois, et d’Autrichiens. Ces
régiments, et en particulier le Royal Allemand qui était très célèbre et qui va s’illustrer
dans les jours qui vont venir, sont priés par le roi, reçoivent du roi l’ordre de venir sur
Versailles. Le 1er juillet, le régiment suisse de Metz fait l’objet d’un ordre de marche
sur Versailles. Le 4 juillet, c’est un vieux maréchal, le maréchal de Broglie, qui se
trouve être le grand-père de ces deux Lameth dont je vous ai parlé, alors le maréchal
de Broglie reçoit le commandement suprême des forces qu’on est en train de
concentrer à Versailles, et il est entendu - il a pour lieutenant un Suisse qui s’appelle
Besenval - il est entendu que Broglie et Besenval doivent avoir terminé leur
concentration de troupes autour de Versailles et autour de Paris pour le 13 juillet.
Or, le 11 juillet au matin, le roi fait son petit coup de tête, et décide de renvoyer
Necker et de le remplacer par Breteuil. Breteuil, le baron de Breteuil, avait dit :
« Donnez-moi trois jours, et en trois jours, avec la force armée, je suis capable de
remettre toutes les choses en ordre. »
Trois jours. Nous sommes le 11. Necker est renvoyé le 11. Le 12 au matin, Breteuil
prend le pouvoir et dans deux jours, ce sera le 14 juillet, c’est-à-dire la prise de la
Bastille. Alors, c’est l’heure, qu’il faut bien regarder. C’est vers 9 heures du matin, le
12 juillet, que la nouvelle se répand dans Paris. Le roi a fait un coup de tête, le roi a
renvoyé Necker, il prend Breteuil et des troupes commencent à arriver. Émotion,
émotion considérable dans Paris. Les gens se mettent à courir les uns autour des
autres, enfin, place du Palais-Royal en particulier, on s’agite énormément.
Seulement, ce qui me frappe beaucoup, c’est qu’il y a une sorte d’enthousiasme
populaire sur le nom de Necker. Je comprends très bien, ah, je comprends très bien
que les rentiers, les financiers, les hommes d’argent, soient furieux du renvoi de
Necker, parce qu’ils se disaient : « Avec Necker, c’est nos rentes qui seront
certainement payées. » D’autant plus que Necker avait lui aussi des rentes sur l’État,
vous vous rappelez qu’il avait prêté deux millions au Trésor français en 1778.
Publicitairement, il avait fait un grand bruit sur ces deux millions, et il entendait
récupérer les arrérages naturels. Alors, je suis complètement convaincu, enfin, ça va
tout seul, que les rentiers parisiens, que la bourgeoisie financière de Paris est
furieuse du renvoi de Necker. Ce qui me frappe et me stupéfie, c’est que la petite
plèbe parisienne marche, mais nous avons déjà vu la petite plèbe parisienne
marcher lorsqu’on renvoyait les parlements, lesquels travaillaient contre elle. C’est
pas la première fois qu’elle prend, pardonnez-moi cette expression vulgaire, des
vessies pour des lanternes, mais l’expression vulgaire et traditionnelle a ici son plein
emploi. C’est en effet prendre une vessie pour une lanterne, puisque Necker, c’était
une panse, c’était un surgonflé et un boursouflé. Toujours est-il qu’effectivement les
bustes de Necker et du duc d’Orléans se trouvent dans la matinée du 12 promenés à
travers Paris. Où est-ce qu’on en a trouvé, des bustes ? Dans un musée, un musée
de cire, qui s’appelle le musée Curtius et qui était la préfiguration de ce qui est
aujourd’hui encore, je crois, le musée Grévin, un pareil musée de cire. Alors, des
industrieux, enfin, des types astucieux, sont allés chercher les bustes du duc
d’Orléans et le buste de Necker et on va promener ça glorieusement, entourés de
palmes, dans les rues de Paris. Le mouvement est parti du Palais Royal. Qu’est-ce
que c’est que le Palais
Royal ? Le Palais Royal, c’est un immense château qui appartenait au duc d’Orléans.
Le duc d’Orléans, c’était la plus grosse fortune de France, et c’était aussi un homme
qui dépensait tellement qu’il s’était terriblement endetté en très peu de temps. Pour
cette raison, trois ans avant la révolution, il avait décidé d’ouvrir au public une partie
de son Palais Royal, et en particulier, il avait fait établir autour de la grande cour
d’honneur des galeries. Il y en avait qui étaient des galeries en pierre, il y avait des
galeries en bois, et là s’étaient établies des sortes de maisons interlopes, enfin, il y
avait des tripots, il y avait des maisons de tolérance, qu’on n’appelait pas comme ça,
en ce moment-là, mais des lupanars. Il y en avait des quantités. Du moment que
c’était la propriété du duc d’Orléans, la police n’avait pas le droit d’y entrer, mais les
pauvres n’y entraient pas non plus. Il fallait être bien habillé , il fallait être correct,
dans ce Palais Royal. Or, le Palais Royal était le centre d’agitation parisien. C’est
une espèce de milieu d’eau trouble où tous les intrigants pouvaient s’agiter. Et
comme c’était sur le territoire du duc d’Orléans, le duc d’Orléans dirigeait tout ça
avec ses agents. Alors, comme l’agitation principale le 12 juillet au matin sort du
Palais Royal, nous pouvons être à peu près convaincus que le duc d’Orléans était
derrière et même qu’il avait probablement répandu de l’argent.
Quelqu’un va surgir, ce jour-là, c’est Camille Desmoulins. Camille Desmoulins, il
jouera un rôle dans notre histoire, il faut que nous le regardions un instant, c’est un
personnage complexe, vous savez, Camille Desmoulins. J’ai bien regardé les
visages. C’est tellement intéressant, étudier les visages, et nous avons pas mal de
portraits de Camille. Il était jaune, il était bilieux, il avait quelque chose de curieux
dans le regard, une sorte d’incertitude un peu louche, le regard, pas du tout louche
parce qu’il était bigleux, pas du tout, mais il y avait quelque chose de trouble dans ce
regard. C’était un garçon qui était capable de violents entraînements, et en même
temps qui était capable de tendresse et de gentillesse. A ce moment-là, Camille
Desmoulins, c’est un garçon qui n’a pas le sou. Il aura bientôt le sou, parce qu’il va
finir par épouser une petite Lucie du Mesnil, qui avait beaucoup d’argent, qui va lui
apporter d’un seul coup cent mille francs. Mais pour l’instant, il n’en a pas. Eh bien,
ce 12 juillet au matin, quand les Parisiens apprennent que Necker est renvoyé, qu’il y
aura peut-être un coup de force de la cour, Camille Desmoulins, au Palais Royal,
dans ce milieu grouillant, grimpe sur une table, sort des pistolets qu’il avait dans sa
poche, dresse ces pistolets, crie « Aux armes ! La cour va venir nous attaquer, il faut
que nous nous défendions. » Et comme il est sur une table, que c’est en juillet, que
cette table est à la hauteur des branches d’arbres, il arrache une feuille, une feuille
verte, il la met à son chapeau. Verte, parce que c’est la couleur de l’espérance, les
gens arrachent des feuilles, ce qui permet à Madame de Staël, plus tard, de raconter
que Camille Desmoulins avait choisi la couleur verte parce que c’était la couleur de la
livrée, c’est-à-dire les domestiques de Necker, je vous assure que personne n’y avait
pensé à ce moment-là. Vert, c’était simplement la feuille d’espérance. « Aux armes
! » il a crié.
Dans cette journée, le tumulte devient de plus en plus grave dans Paris, et en fin
d’après-midi, le régiment du Royal Allemand, c’étaient donc des Allemands qui
étaient là, qui étaient commandés par le prince de Lambesc, le Royal Allemand,
devant l’agitation de Paris, fait une charge. Attention, on a un peu exagéré dans
l’histoire. On a dit : « Ils ont chargé. » On se représente tout de suite, sabre au clair,
des cavaliers au galop, mais ce n’est pas tout à fait ça. Les dragons de Lambesc
étaient là, tout près du Palais Royal, et de la place qui est aujourd’hui la place de la
Concorde, la place Louis XV ; et ils ont avancé, ils ont avancé dans la foule, pour la
repousser. Il s’est trouvé qu’un vieillard a été piétiné, il n’est pas mort, mais enfin, il a
été piétiné. Alors, des Gardes Françaises, des Grades Françaises, c’étaient des
soldats qui étaient au service du roi et qui étaient cantonnés pour une part à Paris,
des Gardes Françaises prennent brusquement le parti de la foule, et se mettent à
combattre le Royal Allemand. C’est très mauvais, ça, ça donne l’impression d’une
indiscipline dans l’armée. Alors, la suite, retenez ce que je vais vous dire, la discipline
dans l’armée, ça se présente comme ça. Toute la journée du lendemain 13, les
Parisiens excités et poussés par un certain nombre de gens, sont là à chercher à se
procurer des armes. Et ce qu’ils disent : « Nous sommes cernés, il y a des troupes
qui sont déjà venues jusque dans le Champ de Mars - qui n’est pas tellement loin,
c’est près des Invalides - il y a d’autres troupes qui vont certainement arriver par
Vincennes, il nous faut des armes. » Ils vont vers l’Hôtel de Ville, bien sûr, l’Hôtel de
Ville était dirigé en ce moment-là par quelqu’un qu’on appelait le Prévôt des
Marchands, et pratiquement, c’était le maire, qui s’appelait Flesselles. Flesselles
n’aime pas beaucoup cette foule, un peu déguenillée, qui vient lui demander des
armes, mais ils sont très nombreux, les gens, alors, on leur donne les 350, 360 fusils
qui étaient conservés à l’Hôtel de Ville. On les leur donne sans joie. Flesselles a
même dit : « Je crois qu’il y a des armes chez les chartreux. » C’était une drôle
d’idée. Enfin, il y a un couvent qui était là. La foule se précipite chez les chartreux.
Non, il n’y a pas d’armes, il y a du blé qu’on va enlever chez les lazaristes aussi.
Enfin, il faut trouver des armes. Alors, les gens se précipitent au Garde-Meubles. Le
Garde-Meubles, c’était surtout un musée. Alors, là, il y avait des armes historiques. Il
y avait des hallebardes, il y avait des cuirasses et il y a certaines personnes qui se
mettent des hallebardes dans les mains et des cuirasses sur le corps, c’est un peu
ridicule, mais ça, ce n’est pas un armement.
Dans la même journée du 13 juillet, deux bateaux de poudre, pleins de barils de
poudre, sont trouvés, enfin, sont repérés. Et ils sont là sur la Seine. Les poudres
devaient être débarquées pour être envoyées à l’Arsenal, ou ailleurs. Le public le
sait. Je ne sais pas comment. C’est un prêtre, c’est l’abbé Lefebvre, qui organise la
distribution des poudres. Les gens reçoivent de petits sachets de poudre, mais il n’y
a toujours pas de fusils. Alors, où est-ce qu’ils sont, les fusils ? On est allé à
l’Arsenal, mais l’Arsenal est vide. Mais on sait qu’il y a deux endroits où sont des
fusils à Paris. D’un côté, c’est l’Hôtel des Invalides, et d’autre part, c’est la Bastille. La
Bastille, c’est un morceau. Vous savez, c’était une énorme forteresse qui était au
faubourg Saint-Antoine, avec des tours de trente mètres de haut, avec des canons
qui étaient braqués entre les créneaux, pas facile à enlever. Tandis que les Invalides,
ça semblait plus facile. Alors, le 14, le 14, il s’était produit dans la nuit du 13 au 14
quelque chose de très dangereux, de très redoutable. Le petit peuple s’était jeté sur
le mur des fermiers-généraux, vous savez, le mur de l’octroi, et avait incendié 40
octrois sur 54. Ça commençait à prendre une mauvaise allure, ce Quatrième État en
mouvement. Le 14 au matin, toujours conduits par ce prêtre, l’abbé Lefebvre, huit à
dix mille personnes se précipitent dans la direction des Invalides, pour prendre des
armes. Il y en a, en effet, il y a plus de trente mille fusils et quelques canons, aux
Invalides. Qui dirigeait les Invalides ? C’était le marquis de Sombreuil. Eh bien, le
marquis de Sombreuil se laisse faire, parce qu’il voit qu’il y a dix mille personnes, il y
a des gens qui sont absolument résolus à entrer par la force s’il le faut. Le marquis
de Sombreuil ne dit rien, enfin, il laisse passer les gens et le pillage, si vous voulez,
la saisie des fusils s’organise. Les Invalides, c’est à côté du Champ de Mars, et au
Champ de Mars, il y a les régiments qui sont commandés par Besenval, le Suisse
Besenval. Alors, comment ça se fait que ces régiments qui sont là et qui peuvent
LA RÉVOLUTION FRANÇAISE par H. GUILLEMIN
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LA RÉVOLUTION FRANÇAISE par H. GUILLEMIN

  • 1. LA RÉVOLUTION FRANÇAISE Conférences de Henri Guillemin Série de 19 émissions présentées à la RTB entre le 4 juillet et le 19 novembre 1967 Transcription de Jean-Marie Flémale (Charleroi), 2006 CHAPITRE 1 (Il manque la transcription de la première de ces émissions, c'est-à-dire la bibliographie et les origines lointaines de la R.F. Tous ces éléments sont repris dans les 18 chapitres restants.) CHAPITRE 2 ... le livre de Daniel Mornay, 1932, et Mornay, a été mon maître de thèse, j'avais préparé une thèse en 1936, mais son livre s'appelle précisément Les origines intellectuelles de la Révolution française, eh bien, Mornay était très orienté du côté de Michelet, vous savez, assez ami de l'Encyclopédie, et dans ce livre de 32, avec une netteté absolue, Mornay reconnaît que du côté politique, l'Encyclopédie n'a eu aucune influence dans la Révolution française. Je ne vous avais pas parlé non plus des loges maçonniques. Il y a un spécialiste, en France, Monsieur Bernard Failly, qui a écrit, en 59, si je ne me trompe pas, une histoire qui s'appelle La grande Révolution. Il attribue une importance extraordinaire à la préparation de la Révolution dans les loges maçonniques. J'en suis moins sûr que lui. Les loges maçonniques, c'est très complexe, vous savez. Il y avait des éléments antagonistes, aussi, dans les loges. Il y avait des gens qui étaient, au fond, athées, et qui ne le disaient pas. Il y avait des gens qui étaient très dévots, Louis XVI, le brave Louis XVI (il était même ultra-dévot), eh bien, il appartenait à une loge maçonnique. Alors, il faut penser que quand on parle de l'influence de la franc- maçonnerie, elle est réelle, mais s'exerce dans des sens multiples. Une chose qu'il faut également noter, c'est l'influence étrangère. Voyez-vous, les Français, nous avons un peu trop tendance à considérer que c'est nous qui avons été les initiateurs, mais il y avait déjà de grands mouvements qui se préparaient en dehors de la France. D'abord, il y avait eu la révolution anglaise. Autrefois, il y a eu une fascination d'une certaine partie de l'intelligentsia française du côté de ce qu'on appelle la constitution britannique, qui n 'est d'ailleurs pas une constitution. Il y avait des
  • 2. anglomanes qui disaient : « En France, il faudrait faire quelque chose à l'imitation de l'Angleterre », c'est-à-dire avec un roi, deux Chambres, les Communes et puis les Lords, et en particulier, les Lords, très importants. Mais ce n’est pas ça que je veux souligner surtout, c'est que dans les trente dernières années du XVIIIe siècle, on assiste à un très profond frémissement social dans l'Europe occidentale. Le frémissement social, ici, a deux causes. Primo, la constitution d'une nouvelle classe, d'une répartition de la fortune que je vous ai expliquée, et puis, deuxio, deux phénomènes conjugués : une hausse constante des prix et une augmentation démographique considérable. Ce n’est pas que la natalité augmente, mais les gens meurent moins, étant donné qu'il y avait moins de famines et qu'il n'y avait pas eu de grandes guerres exterminatrices. Cette hausse de la natalité est considérable, puisque dans les cinquante ans à peu près du XVIIIe siècle, avant 1789, la hausse de la population a été de 60% en France et de 100% en Angleterre. Alors, on assiste à des choses comme celles-ci. Une révolution. Une révolution assez terrible, une émeute qui ressemble à une révolution va se produire en 1780. Du 2 au 6 juin, le centre de la Cité de Londres est en feu. Ça a commencé par des problèmes religieux. En fait, ç'a été fini tout de suite, ç'a été une affaire sociale, les petites gens des bourgs, les malheureux, la détresse - Dieu sait s'il y en avait, des misérables à Londres - ont attaqué la Banque d'Angleterre. Alors, vous imaginez ce qui s'est produit, enfin, la bourgeoisie était armée, et les miséreux n'ont eu qu'à rentrer sous terre. Vous avez, en 1781, dans les Pays-Bas un grand mouvement national de protestation, qui est à la fois politique et social. Il s'intitule « Allez, Patriotes ! » et si, en France, à partir de 1789, on appellera « patriotes » les révolutionnaires, c'est à l'imitation de ce qui s'était passé dans les Pays-Bas. Ça a commencé en 1781, ça a éclaté en 1787. A ce moment-là, le stadhouder, celui qui dirigeait les Pays-Bas, a fait appel à des puissances étrangères. Ce sont des troupes anglaises, ce sont des troupes prussiennes qui sont intervenues pour écraser les révolutionnaires. Puis, il y a eu Genève, 1782, où il y a eu aussi une tentative des natifs, enfin, de ceux qui n'étaient pas des « citoyens » de Genève, c'est-à-dire l'immense majorité de la ville, contre ce petit conseil d'administration qui était composé de banquiers et qui tenait absolument la ville. Ça n'a pas duré longtemps. Là aussi, les gens de bien avaient fait appel à la puissance militaire étrangère. Ce sont les troupes françaises, ce sont les troupes piémontaises qui sont arrivées à Genève pour remettre ce qu'on appelle l'ordre établi. Et puis, vous avez l'influence américaine. Ça, c'est assez intéressant. C'est en 1776, vous le savez, que les Américains ont fait leur révolution, et ce sont eux qui ont lancé la fameuse phrase - la voici - : « Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont investis par le Créateur de certains droits inaliénables : la vie, la liberté et la recherche du bonheur. » Ce sont des phrases qui étaient inhabituelles, bien entendu, qui s'adressaient au-delà de l'Atlantique, à l'univers, semblait-il. Elles ont eu un retentissement considérable. Seulement, il faut bien faire attention, il y a chez les Américains un grand sens, un sens très aigu de ce que j'appellerai la mise en scène, l'affabulation humanitaire.
  • 3. Cette démocratie américaine est avant tout une démocratie mercantile. Ils avaient envoyé en France un vieux malin, un vieux renard, qui s'appelait Franklin, qui allait là chercher surtout de l'argent, mais bien reçu dans les salons, entouré d'hommages par Voltaire. Lui-même travaillait très bien pour préparer sans le vouloir cette Révolution française. Il s'est même passé la fameuse scène que vous connaissez. C'est une scène qui oscille entre le burlesque et l'odieux. Lorsque Franklin a amené son petit-fils à Voltaire et lui a demandé sa bénédiction, il y a le vieux Voltaire qui lui dit : « Dieu et Liberté ». Alors que Dieu, il s'en fiche pas mal. Quant à la liberté, vous savez ce qu'il veut. Il veut un despotisme éclairé. En 1792, la République française s'apercevra du côté un peu mercantile, dont je viens de vous parler, de la base américaine. Nous étions embarrassés horriblement par des questions financières. Alors, on demande aux États-Unis de nous rembourser une partie de leur dette, puisqu'on avait tout de même travaillé beaucoup pour leur indépendance. A ce moment-là, les oreilles se ferment, pas question d'envoyer quoi que ce soit comme argent. Mais enfin, c'est tout de même important de penser qu'il y avait une république bien vivante qui existait là-bas, de l'autre côté de l'océan. Maintenant, il faudrait que nous regardions quelle était la situation de la France positivement, comment les classes se répartissaient. Eh bien, je voudrais vous apporter une première citation qui est de cet historien dont je vous ai parlé, qui s'appelle Monsieur Gaxotte, historien maurrassien : « La richesse s'était considérablement accrue, en France, depuis un demi-siècle. En somme, l’ensemble était cossu ». Pour juger de l'intérêt de cette déclaration, il faut connaître le vocabulaire du dictionnaire de Monsieur Gaxotte. Dans son livre, il nous explique le goût qu'il a pour l'honnête homme, l'honnête homme du XVIIe siècle dont, dit-il, la caractéristique principale est le goût de la hiérarchie et de la discipline. Ce qui signifie le sens très fort, très vif que l'on a du rang social auquel on appartient, et la volonté que l'on a de se faire respecter. Alors, quand les gens de bien, enfin, les honnêtes gens, sont riches, hé bien, tout va bien, la France est cossue. Parce que le reste, ce qui n'est pas les honnêtes gens, la multitude, ça ne compte pas, même si la multitude représente 95 à 98% de la France. Non, ce n'est pas intéressant. La France réelle, « le pays réel » comme disait Monsieur Maurras, était cossu. Qu'est-ce que c'est, le pays réel ? Eh bien, c'est justement une nouvelle répartition de la richesse, dont je vous parlais il y a un instant. Au XVIIIe siècle, c'était réellement une classe nouvelle. La bourgeoisie existait bien déjà au XVIIe siècle, mais elle ne prend de densité, de réalité, elle ne prend conscience d'elle-même qu'à partir du XVIIIe siècle. Pourquoi ? Parce qu'un certain nombre de roturiers qui ont de l'argent arrivent à acheter des terres. Alors, ils font fructifier les terres. Ça n'est pas que le paysan en profite, mais eux-mêmes en profitent largement, et surtout en développant des manufactures sur lesquelles je n'avais pas du tout la moindre idée avant de commencer cette étude. Comme la plupart des Français, enfin, je m'imaginais que c'était sous la Restauration à peu près, que le développement de la grande industrie avait commencé en France. Mais ce n'est pas vrai. Ça a commencé au XVIIIe siècle. Je vous ai même apporté des chiffres. Évidemment, nous ne sommes pas aux chiffres du XXe siècle, mais enfin, 1200 ouvriers aux tissages de
  • 4. Vancy-Robin à Abbeville, et 4000, je dis bien 4000 ouvriers dans les filatures Cambon, en Languedoc. (Cambon, c'est un nom qu'il va falloir retenir, parce qu'il est très important pour la suite de l'histoire.) Vous avez 4 à 5000 mineurs à Anzin, vous avez des savonniers, des maîtres de forges, au Creusot. (C'est en 1781 que le Creusot est fondé par la famille De Wendel.) Et puis, les maîtres de forges de Strasbourg, avec Dietrich, qui se fait appeler baron de Dietrich. D'autre part, le commerce extérieur s'agrandit. D'autre part, les banques et les assurances commencent à avoir un singulier développement. Autrement dit, là, toute une équipe d'industrieux, au XVIIIe siècle, qui s'aperçoivent que l'on peut faire de l'argent avec l'argent des autres et le travail des autres. Alors, se constitue un très important groupe de pression. Et ce groupe de pression est d'autant plus furieux contre ce qui se passe : premièrement, que tous les grands emplois sont réservés - et de plus en plus à travers le XVIIIe siècle - à l'aristocratie, et deuxièmement, que la banqueroute semble menaçante. Alors, comme ils tiennent absolument à affirmer leur autorité, ils ont leurs théoriciens. Je vais vous en donner deux, des théoriciens bourgeois. Il y a Necker. Necker, le 27 décembre 1788, prononce les phrases que voici : « Il y a une multitude d'affaires, dont elle seule (elle, la nouvelle classe bourgeoise), dont elle seule a instruction ». Dans son langage, instruction, ça signifie la manutention. Quelles affaires ? Les transactions commerciales, les manufactures, le crédit public, l'intérêt et la circulation de l'argent. C'est-à-dire qu'un État bien ordonné doit admettre la participation, du moins la participation de ses éminents citoyens. Or, justement, pas de participation, parce que les exigences de la noblesse n'ont pas cessé de croître pendant le cours du XVIIIe siècle, que tous les emplois militaires sont réservés, vous avez entendu, et qu'aussi ce que l'on avait vu au XVIIe siècle, on ne le revoit plus au XVIIIe, à savoir des ministres, des grands ministres qui sont bourgeois. Colbert avait été choisi parmi la bourgeoisie par Louis XIV. Chez Louis XV et Louis XVI, c'est uniquement la grande noblesse. Alors, vous pensez que cette nouvelle classe, qui est très riche, maintenant, et qui affirme sa richesse, richesse mobilière, décide que c'est tout à fait intolérable que les grands emplois lui soient interdits. Vous avez d'autre part Barnave, Barnave est quelqu'un qui va jouer un grand rôle, et avant d'étudier la révolution comme je l'ai fait, je ne m'en rendais pas compte, de l'importance de Barnave. On nous dit toujours Siéyès, on nous dit Mirabeau, Danton, Robespierre. Il y a des gens très importants dont il faut que je mette le nom en exergue, parce qu’ils ont beaucoup compté. Barnave en est un. Barnave va écrire ceci : « Les nouveaux moyens de richesse provoquent une révolution dans les lois politiques, une nouvelle distribution de la richesse qui, d'uniquement immobilière qu'elle était avant, devient de plus en plus mobilière, appelle une nouvelle distribution du pouvoir ». Parfois, ce n'est pas seulement des gens qui sont exaspérés, parce qu'il y a les nobles devant eux, et que les grands emplois leur sont interdits, mais ce sont des gens qui disent : « Nous sommes réellement les plus forts, nous possédons réellement une richesse presque supérieure à celle de la noblesse, nous voulons les leviers de commande ». La répartition de la richesse en France, eh bien, c'est simple, on l'a faite par des études qui sont encore en cours maintenant, et qui sont minutieuses à faire : par
  • 5. l'examen des contrats de mariages. Ce n’est pas fait encore pour tous les départements, c'est fait pour un certain nombre, et on arrive à peu près à ceci : 5 à 6% de la population française détiennent les trois quarts et demi de la fortune française. Puis, il y a ce qu'il y a dessous, la cariatide, comme on dit, quoi... le soubassement Eh bien, le soubassement, ce sont ces 95% de la population qui est composée à 85% de paysans. La situation des paysans, elle est assez dramatique. Bien entendu, il y a ceux qu'on appelle les laboureurs. C'est un mot qui a aujourd'hui changé de sens. Au XVIIIe siècle, le laboureur, c'était le monsieur qui détenait un domaine considérable, qui avait de grandes étendues de terre. Mais il y en avait très peu, de ces laboureurs, et vous aviez une foule de ceux qu'on appelait les brassiers. Brassiers, ça veut dire simplement ceux qui n'ont que leurs bras pour vivre. Les brassiers, c'était le paysan sédentaire qui avait son petit lopin, qui avait une chèvre, qui avait une vache, et, à côté, un nombre considérable, et accru au cours du XVIIIe siècle, de journaliers, c'est-à-dire qui sont non pas sédentaires, ceux-là, mais mobiles, parce qu'ils ne possèdent rien du tout, et qui vont comme ça, - si on mange pas aujourd'hui, on reste pas là -, qui vont saisonnièrement proposer, enfin, proposer leurs bras là où on a besoin d'eux. La paysannerie est écrasée par toutes sortes de choses. Elle est écrasée, d'une part, par le fisc, la taille en particulier, l'impôt que refusent de payer les nobles... la taille pèse sur eux. Ca, c'est les finances de l'État. Ensuite, vous avez l'Église. L'Église leur impose la dîme. C'est-à-dire que tous les paysans, étant tous forcément catholiques, puisque le catholicisme est religion d'État, sont obligés de payer un vingtième. Dîme, ça veut dire un dixième, n'est-ce pas ? alors vous pourriez dire, ça pourrait être le dixième, non, mais en fait, c'était le vingtième de leur récolte annuelle. Et puis, vous avez surtout les droits féodaux. Les droits féodaux, originairement, ça s'expliquait. Autrefois, au Moyen Age, lorsqu'il y avait un grand désordre à travers la France et que les paysans n'étaient jamais sûrs d'eux-mêmes, puisqu'il y avait des bandes armées qui circulaient, le châtelain, c'était le monsieur qui avait le château, défendait les paysans, il les protégeait contre les brigands, contre les pillards qui arrivaient, il leur demandait en échange de sa protection, un certain nombre de droits, ces droits s'appelaient grosso-modo les champarts et les lods. Champart, c'est campi pars, la partie du champ, c'est-à-dire que le propriétaire, le châtelain, prélevait une partie de la récolte. Les lods, c'était un prélèvement qui se faisait sur tout changement de propriété, même quand il s'agissait d'un héritage. Pour un héritage, le châtelain intervenait et prélevait une partie. Puis, vous avez les droits qu'il prélevait sur toute vente, ainsi le père de Chateaubriand, c'est Chateaubriand qui le raconte lui-même, le père de Chateaubriand s’enrichissait assez bien en prélevant une taxe sur toutes les transactions commerciales, quand il y avait des foires, à Combourg ou à côté de Combourg. Ça rapportait des sommes considérables. Alors, peu à peu, au XVIIIe siècle, les paysans commencent à dire : « Enfin, quel sens ça a-t-il, ce prélèvement que rien ne justifie, c'est-à-dire qu'on nous oblige à verser une partie de notre récolte en échange de services qui ne sont plus rendus ? » Et même, il y avait un certain nombre de ces services que, paraît-il, le châtelain prenait à sa charge, c'est-à-dire l'entretien des chemins, la réédification des ponts, par exemple, lorsqu'un
  • 6. petit pont s'écroulait. Le père de Chateaubriand, comme tant d'autres, ne s'occupait absolument pas de la voirie ni des ponts. Par conséquent, la noblesse rurale ne faisait rien pour les paysans, et tout ça prenait de plus en plus les proportions d'un vol. Alors, donc, il y a le drame des finances nationales. Pourquoi est-ce qu'elles vont si mal, avec une France riche, une France dont la richesse s'est accrue ? Il faut citer une phrase d'Edgar Faure, dans son livre de 1961, très remarquable bouquin sur Turgot, il dit : « L'accroissement de la richesse nationale est, en fait, traduit par un appauvrissement des pauvres ». Alors, pourquoi ça n'allait pas, la richesse nationale, je veux dire les finances de l'État ? Tout simplement, parce que sur trois groupes, il y en avait deux qui refusaient de participer aux charges de la nation : il y avait la noblesse, il y avait le clergé, il y avait la roture. Les roturiers et les bourgeois étaient assujettis à l'impôt, les riches nobles et les riches ecclésiastiques refusaient de le payer. On en arrivait au bord de la banqueroute. Alors, cette fois, ça ne va plus ! Le groupe de pression dont je vous ai parlé, primo, il est furieux parce qu'il n'accède pas aux emplois, deuxièmement, il désire avoir les leviers de commande et en plus, alors, c'est le comble, si on en arrive à la banqueroute, leurs rentes, car c'est presque tous des rentiers, leurs rentes vont s'effondrer. Rivarol, qui est un écrivain de droite, a eu une phrase intéressante, il a dit : « Ce sont les rentiers qui ont fait la révolution ». Ça, je trouve que c'est assez vrai, et à ce propos, il faudrait que je vous apporte une de ces phrases de Michelet qui font ma joie : « Il faut savoir, écrit Michelet, il faut savoir à quel point les idées d'intérêt sont restées secondaires dans la Révolution française. Oui, la Révolution française fut désintéressée. C'est son côté sublime ». Ha ! Elle est bien bonne ! Bien. C'est une question d'argent, une question de pouvoir. Et puis, par là-dessus, il y a la multitude, il y a la cariatide, comme dit Victor Hugo, dont les gens ne veulent pas s'occuper. Alors, les faits, maintenant. Les privilégiés, ils ont un auxiliaire considérable, c'est les parlements. Qu'est-ce que les parlements ? C'est des groupements judiciaires. Il y a le Parlement de Paris, qui a des juridictions extrêmement étendues. Ça comportait à peu près un tiers de la France, et les parlements se sont octroyé des droits qui ne leur étaient absolument pas fixés. Qu'est-ce que c'était, les parlements ? C'étaient à la fois des chambres de justice et des chambres d'enregistrement. Lorsqu'un édit royal paraissait - les gens des parlements étaient des conservateurs -, ils colligeaient, comme on dit, si vous voulez, ces documents, ils les classaient. Et peu à peu, ils s'étaient approprié le droit de faire des remontrances et ils en étaient même venus à repousser les édits royaux. Les parlements bénéficiaient d'une espèce de popularité en ce sens qu'ils s'y opposaient à l'absolutisme royal, et pourquoi s'opposaient-ils ? Parce que le roi, désespérément, essayait de faire payer les privilégiés, que les parlements refusaient que les privilégiés payassent quoi que ce soit, parce qu'eux-mêmes en faisaient partie, et comme ils étaient dans l'opposition - ils étaient même l'unique opposition - le petit peuple, les gens malheureux, les gens écrasés, applaudissaient à ces parlements, qui étaient en réalité les instruments les plus dociles et les plus bornés du conservatisme social.
  • 7. Quels sont les faits ? En 1771, à la fin de son règne, Louis XV essaie un coup de force contre les parlements. Et il y arrive. Et, comme dit dans une bonne phrase Edgar Faure : « Au prix de la haine de toute une classe, la sienne, Maupeou était arrivé à briser la fronde parlementaire ». 1771, mais c'est la fin du règne de Louis XV, et voilà Louis XVI qui monte sur le trône en 1774. Pour Louis XVI, dont je vous parlerai, c'est un brave homme : « Je veux que mon peuple m'aime ». Comme il sait que le peuple applaudit toujours aux parlements, il fait revenir le parlement en 1774. C'était une gaffe sans nom, puisque déjà très difficilement Louis XV y était arrivé, il avait brisé les parlementaires, voilà le bon Louis XVI qui les ramène, et il fait venir au pouvoir Turgot. Turgot, c'est encore un de ces cas où la légende l'emporte sur la vérité. Et je ne saurais être assez reconnaissant à Edgar Faure de son bouquin de 61 dont je parlais. Ce Turgot, il nous dit, enfin, ce que c'était, Turgot. Turgot avait l'appui de l'Encyclopédie. Pourquoi ? Parce qu'il n'allait pas à la messe. Alors, ça suffisait pour être encyclopédiste. Et dès que Turgot est arrivé au pouvoir, on a bien vu ce qu'il a fait, il a ramené les parlementaires, les parlementaires dont on s'était débarrassé en 1771. Il les a ramenés. Il ne va absolument pas toucher aux privilégiés. Il ne veut surtout pas importuner les nobles, et même lui qui est incroyant, il a le chic, il a la gentillesse de ne pas non plus importuner le clergé. Il a une doctrine économique extrêmement ferme. Il déclare d'une manière extrêmement précise : « L'administration - l'administration, entendez bien - ne doit pas s'occuper du commerce. L'administration ne s'occupe pas du commerce ». Pourquoi il dit ça ? Parce qu'un de ses prédécesseurs, l'abbé Terray, avait essayé un pauvre dirigisme économique. Il avait essayé d'empêcher la hausse des prix. Tandis que ce que Turgot dit : « Ça n'a pas d'importance. La hausse des prix, eh bien, les gens paieront. Et quant aux salariés, s'ils sont un peu malheureux, nous allons ouvrir pour eux des ateliers de charité ». Les ateliers de charité, c'est une idée très noble, humanitaire. En fait, c'était tout bénéfice pour la classe manufacturière, parce que dans les ateliers de charité, il était entendu que les travailleurs devaient être moins payés que dans les usines privées. Par conséquent, ils travaillaient autant, peut-être même plus, mais ils étaient moins payés. Ainsi, hausse des prix, la bourgeoisie manufacturière (les commerçants) n'était pas gênée. Mais d'autre part, s'il y a des pauvres malheureux, il y a des ateliers de charité où ils travaillaient au rabais. Pire, pire, entendez bien, résultat de la politique de Turgot, c'est la guerre des farines, qui va éclater en 1775. La guerre des farines, c'est la première fois qu'on va voir des paysans qui vont se soulever pour des questions de nourriture, parce qu'ils crèvent, en particulier en avril, oui, en avril 1775, à Dijon, c'est-à-dire, ça remue diablement. Les paysans sont là qui demandent la taxation : « C'est fini, il faut un maximum. Ce prix du blé ne peut pas être dépassé, sans ça, on va mourir ». Ben, je vous assure, Turgot, il ne plaisante pas. Il fait de la répression, une répression furieuse. Il envoie là un général qui s'appelle La Tour du Pin, qui s'illustrera par une phrase qui va courir toute la France. La Tour du Pin, une fois qu'il a eu fait tirer sur la foule, dit à ces paysans : « Vous avez faim, eh bien, nous sommes en avril, l'herbe commence à pousser, vous n'avez qu'à brouter comme les vaches ». Et puis, on va faire deux exécutions, comment dirais-je, d'intimidation. On va prendre au hasard
  • 8. deux types, qui s'étaient manifestés dans les violences contre les boulangers, et on va les pendre à Paris, en grande pompe, en particulier un monsieur Jacques Légaillez, qui avait seize ans, et comme acte d'accusation, il y avait ceci : « Il a donné un coup de pied dans la porte d'une boulangerie ». Pendu haut et court, comme on disait à Paris, parce que c'étaient des pendus pour l'exemple. Voilà le résultat de l'émeute. Enfin, va survenir Necker. Ça, c'est une histoire extraordinaire, l'histoire de Necker. Faut que je vous en parle, faut deux ou trois minutes pour ça, mais ça vaut la peine. Necker est un personnage pittoresque. Quand je dis pittoresque, c'est parce que je veux employer un euphémisme. Necker est un monsieur qui avait réalisé un coup éclatant - il est employé de banque à Montluçon, à Genève - il avait réalisé un coup éclatant sur le Canada. Necker avait été averti d'une disposition secrète qui avait été prise en novembre 62, entre le gouvernement français et le gouvernement anglais, parce qu'il était déjà entendu que la France avait perdu le Canada, qu’en 1763, l'année suivante, le Canada passerait sous régime britannique. Il faut savoir que les autorités françaises du Canada avaient lancé un papier-monnaie. Alors, comme cet effet canadien s'est écroulé quand le gouvernement français était en train de perdre sa suprématie sur le Canada, on les vendait, ces malheureux effets canadiens, avec une perte de 70 à 80%. Necker était arrivé, vous allez voir pourquoi, à faire une rafle considérable, il avait acheté des quantités à très bas prix, des quantités d'effets canadiens, mais il savait que dans la convention de novembre 62 passée entre le gouvernement français et le gouvernement anglais, le gouvernement français s'était engagé à rembourser au pair, à tout Canadien, un effet qu'il possédait. Vous entendez, à tout Canadien. Mais alors, Necker, qui avait fait une rafle d'effets canadiens, va fabriquer de sa main un certain nombre de fausses lettres canadiennes, soi-disant écrites par quelqu'un qui était de Montréal, pour faire croire que l'argent qu'il a entre les mains est un argent canadien. Il va remettre toute cette somme, qui est considérable, au gouvernement britannique, en chargeant le gouvernement britannique d’en demander remboursement au gouvernement français. Par conséquent, il va faire une opération colossale. C'est le début de la fortune de Necker : aux dépens du trésor français. L'année suivante, il va faire une très jolie opération aussi, une belle spéculation sur les blés. Enfin, c'est un monsieur qui a une grosse stature. Ce monsieur a de grandes ambitions, il a épousé une femme qui a ouvert un salon à Paris, et cette petite personne constitue avec son mari une espèce de tandem, de tandem frénétique. Elle reçoit Voltaire chez elle, et quoiqu'elle soit une protestante très rigide, elle donne dans les idées nouvelles, dans la mesure même où il s'agit d'anticatholicisme. Alors, c'est parfait, elle est extrêmement contente, et l'Encyclopédie constitue autour des Necker ce qu'on pourrait appeler une claque travailleuse. C'est d'Alembert lui-même qui va pousser Necker, dans un certain jour du 25 août, du 25 août 1773, c'est d'Alembert, d'Alembert en personne qui, dans une séance officielle de l'Académie française, va lire un éloge de Colbert rédigé par Necker. Je ne peux pas me retenir de vous lire ce que Monsieur Edgar Faure appelle un
  • 9. insupportable galimatias. « Il faut, disait Necker, à la tête des finances françaises, un homme dont le génie étendu soit capable de parcourir toutes les circonstances, un homme dont l'esprit flexible sache y conformer ses desseins, un homme doué d'une âme ardente et d'une raison tranquille ». Tout le monde a compris, enfin, c'était lui- même, qu'il était en train de proposer. La correspondance littéraire de Grimm, correspondance littéraire qui était la grande ennemie de Jean-Jacques Rousseau, vous savez, c'était un instrument de l'Encyclopédie. Dans son tome 10, à la page 281, Grimm écrit à propos de cet éloge de Colbert par Necker : « Monsieur Necker a deviné l'âme de Colbert par la seule analyse de la sienne propre ». Bon, alors, il a derrière lui le clan de l'Encyclopédie. Il arrive au mois d'août 1776, il est nommé chef des finances françaises. C'est encore un coup formidable. Primo, c'est la première fois qu'un banquier, et un banquier roturier, va devenir le chef des finances françaises. Deuxièmement, comme Turgot, c'est la raison pour laquelle l'Encyclopédie le servait, il n'était pas catholique, il était protestant. Alors, qu'est-ce qu'il va faire, une fois qu'il est arrivé ? Eh bien, il va surtout ne pas importuner, pas plus que Turgot, les privilégiés. Oh ! Pas question de les faire payer, il va faire une politique systématique et furieuse d'emprunts. Chateaubriand, dans ses Mémoires d'Outre-tombe, l'appelle « Necker l'emprunteur », mais c'est vrai, c'est prodigieux, prodigieux, les emprunts que fait Necker. C'est une politique de douceur, vous comprenez, c'était avoir l'argent qui ne coûtait rien, puisqu'il n'y avait pas d'impôts nouveaux. Mais seulement, la France s'endettait d'une manière horrible, surtout que Necker, avec les banquiers genevois, était arrivé à mettre au point un système d'emprunts viagers extraordinaire. L'emprunt viager, c'était ceci : on trouvait des petites filles, on appelait ça les jeunes filles de Genève, des jeunes filles, des petites filles qui ont peut-être 7 ou 8 ans, mais qui avaient eu précédemment la petite vérole, et qui étaient immunisées. Alors, on se disait, ces gamines, elles ont une très longue vie devant elles, alors, on constitue des rentes sur elles, et les emprunts viagers de la France à Necker étaient à 12%, 13%, 14%. Lui, Necker, à l'époque, qui est genevois, misait sur des petites filles. Alors, comme il n'y avait pas dans les dispositions légales de limitation d'âge, on pouvait prendre des rentes viagères sur une jeune gamine de 8 ans, et comme il y en avait beaucoup qui allaient vivre jusqu'à 80 ans, c'ést le trésor français qui allait en pâtir. Mais, comme Necker fait semblant de ne plus appartenir à sa banque - oui, il a mis son frère à sa place, il lui avait fait changer de nom, il ne s'appelait plus Necker, il s'appelait Germany, du nom d'une terre roturière que Necker possédait du côté du Mans - alors, la banque Montluçon-Germany, c'est-à-dire la banque toujours Necker, trouvait dans le placement des emprunts des pourcentages nourrissants. Au point que quand Necker va quitter le pouvoir français, après avoir publicitairement du reste prêté deux millions au trésor - prêté, hein ? pas donnés, il y avait de l'intérêt -, il va être capable d'acheter le château de Coppet, parce que ça l'a pas mal enrichi, d'avoir traversé les finances françaises, mais le résultat, c'est que lorsque Necker quitte les finances françaises, la moitié, vous m'entendez, la moitié du budget passe aux arrérages des emprunts. C'est une grande catastrophe.
  • 10. Le roi, qui était assez embêté, a congédié Necker en 1781. (Necker a publié à ce moment-là un bilan absolument truqué, pour faire croire qu'il avait fait faire des économies au trésor français). Il veut trouver autre chose. Alors, successivement, il fait appel à Calonne, puis à Brienne. Le pauvre Calonne essaie une subvention territoriale, c'est-à-dire l'impôt foncier, et il réunit les notables en se disant : « C'est peut-être des gens qui seront compréhensifs ». Les notables répondent : « Pardon, ça ne nous regarde pas, c'est le Parlement qui s'occupe des impôts ». Et le Parlement refuse. L'évêque Brienne, Dominique Brienne, va essayer de leur faire le coup de Maupeou. Maupeou, vous vous rappelez en 1771, il a brisé le Parlement. Le 8 mai 1788, Brienne recommence le coup, détruit le Parlement, met à sa place une cour plénière, et dit : « On va faire payer tout le monde ». Alors ça, je vous assure que ça ne marchait plus. Les parlements s'agitent, l'opinion publique elle-même, toute la bourgeoisie, est folle furieuse. Attention aux dates, c'est le 8 mai 88 que Brienne fait son coup contre les parlements, le 8 mai, et le 21 juillet 88, c'est ce qu'on appelle les États de Vizille. Les États de Vizille, ça se passe à Vizille, c'est-à-dire dans le Dauphiné, et je vous expliquerai pourquoi ça se passe en Dauphiné, et qui il y a derrière, en particulier, des industriels : les Périer. CHAPITRE 3 Elle est célèbre, cette réunion de Vizille dont je vous parlais la dernière fois. Le château de Vizille, dans le Dauphiné, c'est donc le 21 juillet 1788, à la suite de ce qu'avait fait Brienne, lorsqu'il avait renvoyé les parlements. Et je vous disais également que c'étaient les Périer qui étaient là-dessous. Qu'est-ce que c'est que ça, les Périer ? C'est un nom qui va beaucoup compter dans l'histoire de France. On va trouver un Périer à la banque de France après le coup d'État de Brumaire. On va trouver un Périer qui sera banquier et en même temps Premier ministre sous Louis- Philippe. On va trouver un Casimir Périer, toujours la même famille, qui va être plus tard président de la République. Enfin, une famille, comme vous le voyez, considérable. Bien. C'est les Périer qui ont eu l'idée de cette réunion de Vizille en juillet 88. Faut dire qu'ils ont des conseillers, des assesseurs, enfin, des auxiliaires de bonne volonté. Il y en a deux en particulier, il y a un nommé Barnave, dont je vous ai déjà parlé, qui est vraiment quelqu'un d'important, et puis, il y a Mounier, Mounier, qui est avocat de la région, ici, c'est un garçon intelligent. Alors, quelle est l'idée de Vizille ? Eh bien, ça s'était beaucoup agité. J'avais même employé un mot vulgaire, la dernière fois, pour vous dire que ça avait bardé, à travers la France, lorsque Brienne avait fait son coup du 8 mai. Et dans la région du Dauphiné, c'est-à-dire Grenoble, ça avait bardé très particulièrement, puisque le 7 juin, une espèce d'insurrection s'était produite, on avait appelé ça la Journée des Tuiles, les gens étaient montés sur leurs maisons, avaient détuilé leurs maisons, et bombardé les soldats qui étaient là pour rétablir l'ordre. Ça avait donné beaucoup à réfléchir, ça, à la bourgeoisie, c'est-à-dire que le quatrième état, si je puis dire - c'est la multitude -, se mettait à remuer. C'était très inquiétant. Il y a divers signes qui donnaient à penser aux gens de bien. Par exemple, il y avait un dicton qui courait, une espèce
  • 11. d'apologue très bref que voici, les gens se répétaient cette phrase-là : « Le roi dit : je mange tout. Le noble dit : je pille tout. Le soldat dit : j'interdis tout. Le prêtre dit : j'absous tout. Et l'homme en blouse dit : je paie tout ». Très mauvais, des choses comme ça. Et puis, Sébastien Mercier, l'auteur des Tableaux de Paris, dans l'année 1788, ça nous intéresse particulièrement, il écrit ce qui suit : « De nos jours, le petit peuple est sorti de sa subordination, à tel point que je puis prédire qu'avant un an, on en verra les effets ». Diable, on commençait à voir que ça tournait mal, n'est-ce pas, parce qu'il y avait dans ce groupe de pression, c'est-à-dire la bourgeoisie qui voulait forcer le barrage que la noblesse mettait devant les grands emplois, qui voulait accéder aux leviers de commande de l'État, mais tout ça, à condition naturellement que la fameuse cariatide, le peuple, le peuple qui travaille, comme dit Voltaire, et qui nourrit les autres, le peuple ne bouge pas. Il ne faut pas que le quart état puisse déranger ces messieurs dans leur opération. Quelle est l'opération ? Ce sont des gens qui veulent se substituer, partager avec la noblesse, s'asseoir avec elle au festin national. Alors, les Mounier, les Barnave, les Périer, quand ils ont vu dans la région de Grenoble que ça commençait à aller mal, ils se sont dit : Il faut agir vite. » On a donc fait une espèce de réunion de notables, préfiguration, comme je vous ai dit, des États Généraux. On a fait venir des aristocrates, on a fait venir un certain nombre d'ecclésiastiques, enfin, ça ne comptait pas. On a fait venir surtout de la bourgeoisie possédante. Et là, on leur a fait une proposition d'alliance. On a dit à l'aristocratie : « Ecoutez, vous n'allez pas pouvoir y couper, hein, c'est forcé, c'est fatal, un jour ou l'autre, vous serez obligés de payer des impôts, les curés aussi. Alors, on va s'arranger. Vous voyez bien que nous avons un ennemi commun, l'ennemi commun, c'est le peuple ». Enfin, le soubassement, la cariatide, c’est la multitude, c’est-à-dire ceux qui travaillent. Par conséquent, alliance possible, pourquoi pas ? Bon, vous allez payer les impôts, ça ne vous sera pas agréable. Mais nous qui sommes la nouvelle classe, la puissance mobilière, on va s’arranger avec vous, on va partager, si vous voulez, parce que vous garderez vos prérogatives, vos titres, mais pas vos privilèges, hein vos titres. Et puis, on a des filles, nous. Alors, par conséquent, vous pourrez épouser nos filles. Donc, tout le monde s’y retrouvera. Nous, on sera très fiers d’avoir des gens qui s’appellent des marquis ou des ducs, puis, vous, vous aurez nos écus, avec nos filles. » Alors, ça commence à intéresser un certain nombre de gens de l'aristocratie, et quand les États Généraux vont se réunir, ce sont des idées qui travaillent dans les têtes. Les États Généraux, eh bien, c'est une idée qui avait été lancée en 1787. En 1787, c'était Calonne qui avait essayé son coup des notables, je vous l'ai dit, il avait proposé une subvention territoriale, c'est-à-dire un impôt foncier. Pas question. Et un des notables avait dit : « Pourquoi est-ce qu'on ne réunirait pas les États Généraux ? ». Les États Généraux, ça ne s'était pas fait en France depuis 1614. Un certain temps, comme vous voyez. Alors, c'était un alibi qu'on était en train de chercher. On se disait : On va peut-être se dévaloriser, se dévaluer, enfin, dans l'opinion publique, les gens vont s'apercevoir que c'est une duperie, d'applaudir ce Parlement qui ne veut absolument pas de réforme, tandis que si on réunit les États Généraux avec les trois ordres, c'est-à-dire les représentants des nobles, les représentants du clergé,
  • 12. les représentants de la roture. Par conséquent, ce refus, ce refus de payer qui, jusqu'alors, était réservé à l'aristocratie, ça sera toujours les trois qui seront dans le coup, bien entendu, comme ça, nous serons deux contre un, le vote sera enlevé, et on sera sûrs de ne pas avoir à abandonner nos privilèges. » L'histoire était bien présentée. Néanmoins, Necker, qui vient d'être rappelé au pouvoir, nous sommes en août 1788, Necker n'est pas très chaud, il se demande ce que ça va donner, surtout qu'il y a une assez grande agitation, dans l'opinion publique, où le Tiers État demande le doublement, le doublement, parce qu'ils disent : « Bien, c'est nous les plus nombreux. Par conséquent, il ne faut pas qu'ont ait un seul député, il faut que nous soyons deux contre un. » Oui, oui, mais ça ne change rien si le vote aux États Généraux se fait par ordre, il y a toujours voix du clergé plus voix de la noblesse contre voix de la roture. Alors, ça n'a aucune importance, qu'ils soient plus nombreux, puisque si le vote continue à être par ordre, et non par tête, la majorité est acquise aux premiers déjà. Ça tracassait Necker. Necker était arrivé au pouvoir le 25 août, oui, je crois le 26, non, le 25 août 1788, plus gonflé qu'eux-mêmes. Vous vous imaginez les rengorgements de ce dindon, enfin, quand le voilà qui recommence, lui, Suisse, lui, banquier suisse, à être à la tête des finances françaises. Il avait été du reste acclamé, dans la foule. Enfin, les gens se persuadaient que c'était un magicien. Et il réfléchit, retourne cette question des États Généraux, et il va lui-même conseiller au roi en effet d'accepter ce doublement du Tiers État. Doublement qui n'engage absolument à rien, tant que le vote par tête ne sera pas accepté. Nous arrivons maintenant aux grandes années, aux grands moments révolutionnaires, et la première idée qu'il faut que je vous soumette, c'est celle-ci, qui est qu'une révolution n'arrive jamais à l'improviste. Regardez en Russie, par exemple, la révolution de 1917 a été longuement précédée par les mouvements que vous connaissez, en particulier ceux de 1905. Eh bien, chez nous, les Français, au moment où la révolution tumultueuse a éclaté en 89, rendez-vous compte que ça remuait depuis déjà pas mal de temps. Je voudrais vous montrer d'abord les agitations de 87-88, c'était presque toujours à propos du Parlement. Dans la nuit du 25 septembre, en 88, parce que le Parlement avait été repoussé par le roi, enfin, écarté par le roi, il y avait déjà eu des troubles, il y avait eu deux tués, puis il y avait eu, après le 8 mai, ce que je vous raconte. Ce que je vous ai raconté, avec des agitations en province, dans plusieurs villes. Il y avait eu à Pau, il y avait eu à Besançon, il y avait eu à Grenoble, la Journée des Tuiles. Il y avait eu à Toulouse, il y avait eu à Rennes, des agitations. Autres agitations moins révolutionnaires, plutôt acclamations hostiles, hostiles à la cour, lorsque Necker arrive, le 25 août 1788. Mais ce qui ajoute à l'agitation générale, c'est la situation économique. Et ça, c'est ce que Michelet ne voulait jamais voir, c'est ce que Buchet et Hazéreau avaient vu dès leurs quarante volumes de 1837. La situation du peuple devenait vraiment intolérable, au début, à la fin de l'année 88, et au début de 89. Pourquoi ? Eh bien, il y avait eu diverses choses, il y avait eu une montée des prix dont je vous ai parlé, sur lesquels je vais vous apporter maintenant des précisions, et que voici.
  • 13. Entre 1730 et 1789, la hausse des prix, en France, avait été de 60%. Vous me suivez bien, 60%. Et la hausse des salaires, dans la même période, avait été de 20% seulement. Par conséquent, les gens étaient de plus en plus malheureux. Le prix du pain, c'est un vrai problème : parce que le petit peuple se nourrissait de pain, les travailleurs se nourrissaient de pain. Combien ça coûtait ? Normalement, avant 1750, le pain, à peu près partout en France, était à deux sous, ça voulait dire deux sous la livre. Et comme les gens mangeaient en principe quatre livres de pain par jour, ce que nous appellerions aujourd'hui deux kilos, ils payaient donc ça huit sous. Eh bien, graduellement, le pain augmentait de plus en plus. Il est arrivé à 10 sous, puis 11 sous, puis 13 sous, et au début de l'année 89, le pain à Paris était à 14 sous. Combien gagne un ouvrier non qualifié ? Des ouvriers qualifiés gagnaient jusqu'à 2,50 F par jours, mais la plupart des ouvriers, mettons 80%, des ouvriers parisiens gagnaient 20 sous par jour. Alors, est-ce que vous vous rendez compte de la situation ? Un type qui, pour se nourrir, pour manger ses quatre livres de pain par jour, et nourrir sa femme et ses gosses, est obligé de dépenser 14 sous, alors qu'il en gagne 20, qu'est-ce qu'il lui reste pour s'habiller et se loger ? Et d'autre part, est-ce qu'ils peuvent travailler tous les jours, les ouvriers ? Mais naturellement pas, il y a d'une part les dimanches, puis il y avait en ce moment-là 29 fêtes chômées dans l'année. Par conséquent, l'ouvrier parisien était un garçon qui n'arrivait pas à vivre, étant donné qu'il travaillait moins de 300 jours par an, qu'il gagnait environ 20 sous par jour, et que le pain coûtait déjà 14 sous. Ajoutez diverses choses. La France avait signé avec l'Angleterre, en 1786, un traité de commerce, qui était très libéral et qui permettait aux produits anglais d'entrer en France. Alors, à partir de 1787, un certain chômage s'établit surtout dans les tissages. Et puis, du côté de Lyon, à cause des soyeux, parce que les manufactures anglaises arrivent à vendre beaucoup moins cher que les manufactures françaises. Vous avez, dès 1776, une crise de mévente des vins. La région productrice de vin, c'était Bordeaux, c'était la Bourgogne, c'était le Languedoc. Le Bordelais est moins touché, mais du côté du Languedoc et de la Bourgogne, il y a une crise à partir de 77, je vous dis, une crise de surproduction, un effondrement des cours. Vous avez d'autre part la catastrophe atmosphérique, c'est bien le mot, le 13 juillet 88. Aujourd'hui, on pense toujours 14 juillet 89, mais je vous assure que les Français se sont beaucoup rappelé, pendant des tas d'années, ce qui était arrivé et qui, paraît-il, était tout à fait extraordinaire, le 13 juillet 88 : un ouragan, un orage invraisemblable - des orages, d'habitude, c'est localisé -, or là, c'était un orage, suivez-moi bien, qui s’était abattu sur toute la France, de Dunkerque à Bourges et du Havre à Metz. Et là, il y avait les grandes régions productrices, hé bien, tout avait été ravagé, dans cette journée du 13 juillet 88. Il y avait eu la foudre, il y avait eu la grêle, il y avait eu des torrents de pluie, enfin, une catastrophe qui faisait encore une hausse des prix. Vous avez, d'autre part, depuis 1775, le mur des fermiers-généraux. C'est une chose que j'aurais dû connaître depuis longtemps, c'est extraordinaire, vous savez qu'on fait des découvertes quand on se met à étudier la révolution de près. Le mur, aujourd'hui, c'est le mur de Berlin. Mais il y a un certain mur des fermiers-généraux
  • 14. qui avait été construit autour de Paris, pour les octrois. Qu'est-ce que c'est, que les fermiers-généraux ? C'étaient des banquiers, la plupart du temps, qui se proposaient au roi pour faire rentrer une partie des contributions. Alors, l'arrangement était assez sympathique. Le roi leur disait : « Vous allez me fournir tant de millions, et puis, vous vous débrouillez personnellement. » Le roi ne s'intéressait pas à la manière dont on se procurait ces millions. Supposez que les fermiers-généraux se soient engagés à verser 30 millions au roi, hé bien, ils en faisaient cracher, enfin, 60 à 70 millions à la population, et le reste, c'étaient entièrement des bénéfices. Et c'étaient les fermiers- généraux qui s'étaient attribué les droits d'octroi dans Paris. Et pour que le droit d'octroi, c'est-à-dire que toute la marchandise qui entrait de la campagne à Paris paie une certaine taxe, pour que ces droits d'octroi soient respectés, et pour qu'il n'y ait pas de contrebande, un mur, un mur de 3,50 m de haut avait été établi avec 40 ouvertures. Et aux 40 ouvertures, il y avait des gabelous, comme on disait, des douaniers, qui étaient là et faisaient payer les gens. Qu'est-ce que ça rapportait ? Ça extorquait à la population parisienne, pour pouvoir manger, environ 30 millions par an. C'est le chiffre que je vous ai donné tout à l'heure. Sur ces 30 millions par an, je ne sais pas ce que l'État touchait, mais les fermiers-généraux - c'était leur mur - touchaient, eux, ces 30 millions. Ils en versaient peut-être une quinzaine au roi. Ça leur permettait, vous comprenez, d'avoir de très beaux hôtels particuliers, place Vendôme. Alors, vous avez le traité de commerce de 86, vous avez les vins, vous avez le 13 juillet 88, avec la catastrophe atmosphérique, le mur des fermiers-généraux. Et puis alors, la campagne, à travers toute la fin du siècle, depuis 1760 environ, est de plus en plus malheureuse, parce qu'une grande partie de la noblesse de province, qui n'avait pas les moyens de vivre à Paris, qui n'était pas des courtisans parisiens, vivait quelquefois assez difficilement, et avait donc imaginé d'accroître ses droits féodaux par des recours à ce qu'on appelait des feudistes. Les feudistes, c'étaient des gens qui s'étaient spécialisés, enfin, des types de la basoche, dans la recherche de ce qu'on appelait des terriers. Un terrier, c'était un document de base, un parchemin sur lequel était établi le droit que le seigneur s'arrogeait sur un lod, sur un champart, etc. Alors, la noblesse française du XVIIIe siècle avait engagé un certain nombre de feudistes, qui inventaient de nouveaux droits féodaux, qui retrouvaient, ou faisaient retrouver, d'anciens terriers, enfin, d'anciens parchemins, ce qui avait pour résultat d'encore accroître les charges de la paysannerie. Ajoutez qu'au milieu du siècle, la noblesse s'était fait accorder, tout à coup, un tiers des biens communaux. Les biens communaux, ça appartenait aux communautés rurales. Eh bien, la noblesse s'en était fait accorder un tiers. Troisièmement, elle s'était fait accorder le droit de clôture, c'est-à-dire que les paysans pauvres, qui pouvaient faire pâturer leurs quelques bêtes sur le sol du patron, enfin, sur le sol du seigneur, ne pouvaient plus, maintenant que c'était clôturé. Et ce qu'on appelait le droit de vaine pâture était un droit aboli. Vous vous rendez compte qu'au début de l'année 89, ce ne sont plus seulement des émeutes d'opinion, comme celles de 87-88, pour le soutien au Parlement, ce sont des émeutes de famine, et des émeutes de famine que voici, au début de l'année 89,
  • 15. en Bretagne, à Nantes, dans le Nord, et en Provence. Ça va évidemment de plus en plus mal, au point qu'un phénomène inédit se produit, inédit en France, pas inédit en Angleterre. Tenez, rappelez-vous, l'autre jour, quand je vous racontais qu'il y avait eu des journées très dramatiques à Londres, où la Cité était en feu. On avait attaqué la Banque d'Angleterre, c'était entre le 2 et le 6 juin 1780. Et je vous avais dit à ce moment-là ; « La bourgeoisie s'est armée, et les miséreux n'ont plus qu'à rentrer sous terre. » Eh bien, au début de l'année 1789 se produit en France ce phénomène jusqu'alors inédit, que la bourgeoisie s'arme. Les gens ont le droit en ce moment-là d'acheter des armes comme ils le veulent. Alors, des propriétaires ruraux, des propriétaires de manufactures, organisent déjà des milices parce qu'ils voient que le petit peuple, affamé, se met à bouger. Vous avez, d'autre part, à Paris, les 26, 27 et 28 avril 1789, une grosse émeute, c'est ce qu'on appelle l'émeute Réveillon. Je vais vous en dire un mot. Réveillon, c'était un marchand de papier peint, une grosse manufacture dans le faubourg Saint-Antoine. Faut que je vous dise tout de suite, dans le Paris de cette époque, il y avait deux grands faubourgs ouvriers, c'étaient le faubourg Saint-Antoine, et le faubourg Saint- Marceau, qu'on appelait aussi le faubourg Saint-Marcel. Faubourg Saint-Antoine, c'était surtout le meuble, puis il y avait aussi le papier peint, et le faubourg Saint- Marcel, qui était de l'autre côté de la Seine, c'étaient les tanneries. Le 24 avril, le bruit se répand que Réveillon, le patron, a prononcé une certaine phrase. Cette phrase, ce serait celle-ci : « Après tout, mes ouvriers peuvent bien vivre avec 15 sous par jour. » 15 sous. Alors que le pain est à 13 sous, 13 sous et demi. Alors, ça se répand comme une traînée de poudre : « Mais c'est un épouvantable bonhomme, il veut nous affamer. » C'était pas ça qu'il avait dit. Réveillon était un homme assez honnête, je crois, et même, je sais. Il y a eu une enquête qui a été faite là-dessus, par un nommé Jacques Godechot. Monsieur Godechot a publié, il y a deux ans, ou l'année dernière peut-être, un livre sur la prise de la Bastille, qui est admirable d'information. Bien, ce détail que je vais vous donner, je l'ai trouvé dans Godechot. Réveillon était un homme qui, ayant été frappé d'une partie de chômage, à cause de la concurrence britannique, avait payé le personnel, avait payé ses ouvriers en chômage, peut-être un peu moins, mais les avait payés. Et il avait dit : « Il faudrait arriver à une réduction des prix, de la vie, des denrées, à une réduction telle que l'ouvrier puisse vivre avec quinze sous par jour. » Ça ne voulait pas dire du tout : « Dans l'état où sont les prix, l'ouvrier peut vivre avec quinze sous par jour. » Mais dans l'état où sont les nerfs, aussi, à ce moment-là, le bruit se répand que Réveillon était un épouvantable bonhomme, il veut nous affamer, il veut ne nous donner que quinze sous, et une émeute se produit, une émeute tellement violente, parce que des ouvriers arrivent aussi pour soutenir ceux du faubourg Saint-Antoine, ils arrivent du faubourg Saint-Marceau, la troupe est obligée de donner. Au début, le gouvernement ne veut pas y aller trop fort, mais ça devient de plus en plus dramatique, si bien qu'on tue, il y a une fusillade, et il y a au moins cent, Godechot n'est pas arrivé à établir le chiffre, enfin, une centaine de tués. Cent tués dans Paris dans une émeute, c'est quelque chose.
  • 16. Alors, ce que je vais vous dire, c'est que les États Généraux, dont les élections sont en train de s'opérer, elles ont commencé en janvier 1789, et vont se terminer au mois de mai, ces élections aux États Généraux s'opèrent dans un climat de crise économique violente. C'est très important à savoir. Et comment était-ce organisé ? Qui est-ce qui va voter ? Bien, Necker, qui avait beaucoup réfléchi à ça et dont vous connaissez l'état d'esprit, Necker s'était dit : « On ne peut absolument pas laisser voter les non-possédants. » Un non-possédant, c'est un monsieur qui n'a rien. Et l'ordre est établi par les possédants. Alors, il sera décidé que personne ne pourra voter aux États Généraux s’il n'est pas inscrit aux registres des contributions. Il faut qu'il soit taxé, il faut payer. Ça va exclure dans les 3 à 4 millions de Français. C'est déjà pas mal. Et deuxièmement, par un autre truc, un autre subterfuge, c'est qu'il y aura deux degrés d'élection. En principe, pour pouvoir voler, les gens devraient payer une somme d'impôts, équivalente à, vous m'entendez, équivalente à trois journées de travail. Cependant, les municipalités ont le droit de fixer comme elles l'entendent, par exemple, à Paris, on va décider que ce n'est pas trois journées de travail qui serviront de critère, mais six journées de travail, c'est-à-dire une imposition égale à ce que représenteraient six journées de travail. Et ça va permettre d'exclure les deux tiers de la population masculine de Paris. Et puis, deuxième tirage - premier tirage : ceux qui n'ont pas assez d'argent ne votent pas -, deuxième tirage, alors, il y aura l'élection à deux degrés. Il y aura d'abord une première élection qui désignera ceux qui vont désigner les députés. Ceux-là s'appelleront les véritables électeurs. Et ces électeurs, ils devront payer, eux, une somme d'imposition égale à dix journées de travail. Alors, pratiquement, qu'est-ce qu'il va se passer ? Il va se passer, primo, que les malheureux, ceux qui n'ont pas le sou, ne votent pas, que ceux qui ont un petit peu d'argent, vont essayer de se faire entendre et vont rédiger, très souvent sous la conduite des curés - et les curés de campagne, je vous l'ai dit, sont pour la masse, dans l'ensemble, ils sont pour la masse, pour le soutien des paysans -, vont rédiger les premiers cahiers, qu'on appelait les cahiers des paroisses. Et dans ces cahiers, il y aura très souvent des revendications sociales. Mais ce sont les vrais électeurs, c'est-à-dire les gens bien, qui ont déjà une fortune plus sérieuse, qui vont rédiger les cahiers définitifs, les cahiers que l'on va présenter au roi, ces espèces de doléances. Alors, quels sont ces électeurs ? Bien, d'une part, c'est les bourgeois riches, et d'autre part, c'est la clientèle de ces bourgeois riches, de cette bourgeoisie riche. Qu'est-ce que je veux dire par la clientèle ? Ce sont des gens que j'appellerai les déliés, si vous voulez, les déliés de la langue et de la plume. Ce sont des gens qui savent écrire et qui savent parler, c'est-à-dire en particulier des avocats. Et les avocats connaissent leurs devoirs, ils savent qui va les payer, ils savent qu'ils sont au service de la bourgeoisie. Par conséquent, ils vont rédiger des cahiers qui seront profondément différents des premiers cahiers, des cahiers des paroisses. Mais la chose très importante à souligner, c'est que pas un, vous m'entendez, pas un artisan ne sera élu aux États Généraux. Tous les députés qu'on appellera les députés du Tiers, seront en réalité des gens bien, des gens dont la fortune est sérieusement assise. Et là, c'est Jaurès qui a apporté ça, il y a un détail
  • 17. qu'il faut que je vous fournisse, il a été fourni, apporté précisément par quelqu'un qui est du côté hostile, un royaliste qui s'appelle Montjoie. Montjoie a fait, en 97, une histoire de la révolution. Elle n'était pas finie, en 97, mais je vous ai dit qu'à partir de 94, ça ne comptait plus. Bien, dans l'histoire de Montjoie, qui est un réactionnaire, qui était un homme favorable à l'ancien régime, il y a un petit détail intéressant - je crois que j'ai pris une note là-dessus, oui : - Montjoie raconte qu'il a assisté à la rédaction du cahier définitif de son district parisien. C'est le district Sainte-Marguerite. Et il y avait là quelques artisans pas tout à fait pauvres, par exemple, le Duplay dont je vous ai parlé, Duplay, c'est le menuisier chez qui Robespierre a habité. Duplay, il ne faut pas vous le figurer comme un ouvrier, c'était un maître artisan, c'était un homme qui avait une petite menuiserie avec 5 ou 6 ouvriers. Ces gens-là payaient assez d'imposition pour avoir le droit de parler. Enfin, c'était un artisan. Alors, Montjoie raconte qu'il a assisté à la rédaction de ces cahiers définitifs du district Sainte- Marguerite, et que quelques artisans ont essayé de présenter des suggestions, et ces suggestions, écoutez bien, je cite : « Les bourgeois écoutaient avec impatience, d'un air de supériorité, et parlaient même à voix haute de l'importunité de ces gens- là. » Ces gens-là, c'est les ouvriers, c'est les artisans. Il y a eu quelques fausses notes, il faut dire, tout de même, au moment des réunions des États Généraux. Je vais vous en donner deux, de ces fausses notes, trois, si vous voulez. Il y en a une d'un nommé Dufourny. Ce Dufourny publie une brochure intitulée Cahiers du quatrième ordre. C'est déjà révolutionnaire, de parler du quatrième ordre. « Pourquoi, écrivait Dufourny, pourquoi une classe immense, celle des salariés, est-elle rejetée du sein de la nation ? » Un nommé La Haie, dont je ne sais rien, comme une haie, sort une brochure qui s'appelle Ce que personne n'a dit ; je cite : « En faveur de la classe abandonnée, quel est le district de Paris qui a fait la moindre motion pour elle ? » Vous voyez, quand on essayait d'en faire une, on disait : « Ces gens-là n'ont pas voix au chapitre. » Et enfin, un chevalier de Morellet, dont je ne sais rien non plus, mais j'ai trouvé ce renseignement dans Monsieur Morellet, Origines intellectuelles de la Révolution française; un chevalier de Morellet, dans une brochure de 1789, écrit ce qui suit et que je vais vous lire lentement, parce que c'est extrêmement important pour mon histoire de la révolution : « On a tort de considérer le tiers comme une seule classe, il se compose en réalité de deux classes, dont les intérêts sont si différents qu'on peut même les déclarer opposés. « Retenez bien cette phrase pour la suite des choses. Alors, voilà que les États Généraux sont réunis. Ça se passe le 4 mai 1789. Ça se passe à Versailles, naturellement. Et voici les chiffres. Vous avez : Clergé, 291. Noblesse, 270. Tiers, 578, parce que le tiers avait obtenu le doublement du tiers. Je reprends, 291 plus 270, ça fait 561. 561 représentants des deux ordres privilégiés, contre 578 du tiers. Par conséquent, si le tiers obtient le vote par tête, le vote individuel, il est sûr d'avoir sa majorité, puisqu'ils sont 578 contre les 561 des deux autres ordres réunis. D'autre part, il y a un certain nombre de députés du tiers, qui comptent déjà sur les voix de la noblesse, ces aristocrates à qui les Perier, les Barnave, les Mounier ont proposé l'astuce que je vous ai dite, à savoir d'accepter de
  • 18. payer les impôts et puis, on fera alliance, vous pouvez épouser nos filles. Bien, on pense, le tiers pense qu'il y aura un certain nombre de voix nobles qui pourront s'adjoindre aux leurs. Oh, là là ! Et puis, dans le clergé, ce serait intéressant de voir la composition du clergé, ça a même fait une assez grande rumeur, parce que les évêques pensaient qu'ils allaient naturellement être désignés. Eh bien, ils ne l'étaient pas du tout. Un très grand nombre de curés s'étaient opposés à ce que ce soit l'évêque qui soit le représentant de telle ou telle paroisse. Si bien que c'était une majorité de 208 curés de campagne, 208 sur 291. Alors, là aussi, quoiqu’avec un peu d'inquiétude, les roturiers se disaient : « On va avoir les voix du côté des curés. » Je dis « avec un peu d'inquiétude » parce que vous connaissez la disposition de ces gens du tiers, vous connaissez la disposition des curés, les gens du Tiers État plutôt dans la ligne Voltaire, les curés étaient plutôt dans la ligne Rousseau, les curés défendaient les paysans opprimés, parce qu'ils appartenaient socialement à cette classe-là, ils défendaient le Quart État. Quant au Tiers, en réalité, il défendait la bourgeoisie. Enfin, toujours est-il qu'ils sont tous là, les 578 plus 561, le 4 mai. C'est le 5 mai que commence l'opération proprement dite, réunion générale avec deux discours, discours du roi, discours de Necker. Le discours du roi est extrêmement décevant, parce qu'il fait surtout appel à la modération. Il dit : « Je vous ai réunis pour que nous étudiions le problème ensemble. ». Et pour lui, c'est un problème uniquement financier. Il faut trouver de l'argent. On est au bord de la banqueroute, mais il n'est plus question de constitution. Il ne parle pas du tout de réformer la constitution française. Aucune modification envisagée par le roi à son régime d'absolutisme. D'autre part, pas un mot non plus sur le vote par tête, et les gens du Tiers sont là tout tendus, est-ce qu'on va voter individuellement, ou par ordre ? Bien, Necker parle après le roi. Il est intarissable. Tellement intarissable qu'il se fatigue à parler et, qu'au milieu du discours, il refile ses feuillets à un secrétaire parce qu'il n'en peut plus, il a déjà parlé une heure et demie. Et le discours de Necker, il est exactement semblable à ce bilan truqué, fallacieux, qu'il avait présenté en 1781, lorsqu'il avait été chassé du pouvoir. En somme, il dit : « Mais non, ce déficit, ce n’est pas grand-chose, c'est une question de quelques millions, on peut s'arranger. » Necker va dissimuler pendant longtemps, jusqu'en avril 1790, il va dissimuler le chiffre des pensions que le roi distribue, parce que c'est sous sa responsabilité que ça s'est fait, c'est quand Necker était chef des finances françaises que 15 millions ont été donnés en un seul coup au frère du roi, le comte de Provence, et que 14 millions ont été donnés à Artois, l'autre frère du roi, celui qui deviendra Charles X, alors que le Provence va devenir plus tard Louis XVIII. C'est sous Necker que la famille Polignac, parce que la reine était extrêmement bien avec Madame de Polignac, c'est sous Necker que la famille Polignac va se faire attribuer 700.000 francs de pension. 700.000 francs de pension, pour avoir ce chiffre, il faut multiplier par 4 (en francs français de 1967, soit environ 200 francs belges 1993 - note JMF), enfin, vous voyez à peu près ce que ça donne. Et si on parlait en dollars, hé bien, ce serait 700.000 dollars d'aujourd'hui. Tout ça, responsabilité de
  • 19. Necker. Si bien que ce cahier rouge, comme on disait, le cahier des pensions, Necker va le garder sous clef pour que personne ne le sache, jusqu'en 1790. Ça fait très mauvais effet, son discours. Comment, le déficit n'est pas si grave que ça ? Mais il doit nous en conter, ce n'est pas vrai. Et c'est là où Mirabeau, pour la première fois, va se faire entendre. Mirabeau va dire : « Mais le déficit, c'est notre trésor national ! » Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? C'était une assez jolie formule. Mirabeau était un homme qui trouvait des formules. Il y a un déficit, un déficit terrible, beaucoup plus gros que Necker ne veut bien nous le dire. Le roi a besoin d'argent ? Eh bien, nous sommes décidés à en trouver. Ho, ce n'est pas nous qui allons payer, mais on va lui en trouver, de l'argent, au roi. Et nos conditions, vous savez ce qu'elles sont. « C'est-à-dire autorisation à la roture d'entrer dans les pouvoirs, et finalement, leviers de commande à la bourgeoisie ». Mirabeau, notez bien, Mirabeau, ce n'est pas un homme du Tiers État, c'est un homme de la noblesse. Seulement, il a essayé de se faire désigner par la noblesse, et comme il avait une réputation impossible, les nobles n'en ont pas voulu. Si bien que les gens du Tiers État l'avaient recueilli, de même que l'abbé Siéyès, dont je vais vous parler dans un instant, l'abbé de Siéyès aurait dû être, puisqu'il était prêtre, délégué du clergé, pas du tout. Le clergé n'en avait pas voulu pour des raisons trop faciles à comprendre, et c'était le Tiers qui l'avait recueilli. Alors, Mirabeau fait cette phrase formidable : « Pas question, nous donnerions de l'argent à Sa Majesté, mais à condition que Sa Majesté passe par nos fourches caudines. » Et nous allons ainsi au drame, très important, du 17 juin. Ce 17 juin, tout à coup, voyant que rien ne se faisait, que la noblesse refusait de s'associer au Tiers pour la vérification des pouvoirs, que le clergé faisait de même, qu'il y avait bien un certain nombre de curés qui avaient rejoint, mais pas assez, le Tiers État va faire son coup de force, et c'est ce 17 juin qu'il va se proclamer, vous entendez, va se proclamer « Assemblée Nationale ». « Nous ne sommes que le Tiers État, mais nous sommes toute la nation. » Et Siéyès avait lancé sa fameuse phrase : « Qu'est-ce que le Tiers État ? Tout. Qu'est-ce qu'il demande ? A être quelque chose. » Et c'est là, pour terminer cet exposé, c'est là que je veux souligner l'imposture, la fourberie de Siéyès. « Qu'est-ce que le Tiers État ? Tout. Qu'est-ce qu'il demande ? A être quelque chose. » Mais quand Siéyès dit « Tiers État », qu'est-ce qu'il entend par là ? Est-ce qu'il entend les 24 millions et demi de mangeurs sur les 25 millions de Français ? Pas du tout. Il entend la toute petite élite, ou écume, si vous voulez, comme vous voudrez, l'écume du Tiers État, qui représente, qui est représentée par la bourgeoisie possédante. Il fait semblant d'annoncer que c'est la nation qui parle, et que c'est l’Assemblée Nationale, alors que c'est en réalité la bourgeoisie qui décide de prendre le pouvoir et qui ne veut pas être importunée par la cariatide dont le rôle doit rester le même, c'est-à-dire, celui d'esclaves nourriciers et muets. CHAPITRE 4
  • 20. Nous allons aujourd’hui nous trouver en présence d’événements considérables et violents. C’est juillet 1789, c’est la prise de la Bastille. Et peut-être vous vous rappelez vous que, dans mon premier exposé, je vous parlais de ce dressage que j’ai subi comme tous les petits écoliers de France, les écoliers de la Troisième République, où dans les manuels on nous présentait une certaine image convenable de la Révolution française. C’était une mise en condition, quoi, les écoliers, c’est des futurs électeurs, et il est important qu’ils soient orientés. Alors, aujourd’hui, nous allons nous trouver en présence de phénomènes que je voudrais bien regarder d’un oeil neuf et vous exposer comment, en vérité, ils se sont produits. La dernière fois, j’en étais resté au 17 juin, c’est-à-dire au moment où, sous l’impulsion de Siéyès, le Tiers État se proclame Assemblée Nationale. J’avais employé un mot violent que je ne retire pas, le mot de fourberie. C’est un mot qui est très gros, mais il a juste la taille qu’il faut. Pourquoi fourberie chez Siéyès et chez Mirabeau ? Parce que, je le répète, ces gens font semblant de parler au nom de la nation, mais ce qu’ils appellent « nation » - en fait vingt-quatre millions et demi de gens -, c’est cette toute petite élite ou écume que représente la bourgeoisie possédante. Ce jour-là, le 17 juin, donc, l’Assemblée Nationale, qui vient de se proclamer telle, prend des décisions à la face du roi. Elle dit premièrement : « Maintenant, il n’y aura plus jamais d’impôts ni d’emprunts sans notre consentement. Deuxièmement, nous autorisons - vous entendez le vocabulaire - nous autorisons la cour et le roi et le gouvernement à percevoir pour l’instant les impôts. Et troisièmement, les dettes de l’État, c’est-à-dire les rentes, elles sont sous la sauvegarde de la nation. » Eh bien, ça veut dire que comme il y a une menace de banqueroute, et comme il faut absolument que les rentiers soient payés, c’est la collectivité, c’est-à-dire l’ensemble des 24 ou 25 millions de Français qui se chargera du règlement des dettes, c’est-à-dire que se chargeront aussi de ce règlement ceux qui n’ont même pas été invités à voter pour les États Généraux. Qu’est-ce que va faire le roi devant un pareil état d’esprit ? C’est un fait terrible, vous comprenez, c’est une partie de la nation qui se dresse devant le roi, puis qui lui dit : « Stop ! C’est fini, c’est nous qui commandons. » Bien. Le roi, il était très ennuyé. Qui est-il, ce pauvre roi ? C’est donc Louis XVI, vous savez, depuis 1774. Louis XVI, c’est un brave homme. C’est quelqu’un qui n’avait pas du tout désiré accéder au trône, qui avait cru qu’il y arriverait tardivement, et son père était mort jeune, et lui, par conséquent, il est jeté subitement sur le trône, il est effrayé, il est timide, il a des difficultés physiques. C’est un homme qui va se marier, enfin, que l’on marie, que l’on a marié alors qu’il est encore incapable de rendre ses devoirs à sa femme. Cette situation l’humilie beaucoup, et sa femme Marie-Antoinette, l’Autrichienne, est quelqu’un qui le regarde d’assez haut. Et il y a une lettre célèbre de Marie-Antoinette à sa mère, qui est l’impératrice d’Autriche, et où elle parle de son mari en l’appelant « ce pauvre homme ». Alors, vous voyez, il y a un certain mépris de la part de la femme pour le mari, et le mari qui est très admiratif devant sa femme - elle est très belle, en effet - au bout de sept ans de mariage, à la suite d’une petite opération, il est arrivé à lui faire un premier enfant. Mais c’est une gentille personne, Marie-
  • 21. Antoinette, un peu légère, elle a un goût de la parure extraordinaire, elle dépense follement pour des diamants. Il y a eu la fameuse histoire du collier. Il n’est pas très sûr que son troisième enfant, le dauphin, maintenant, parce que le premier va mourir, ce petit dauphin dont nous parlerons, celui qui va être enfermé au Temple, celui qu’on appellera Louis XVII, on n’est pas très sûr que ce soit le fils de Louis XVI, il est assez possible que ce soit le fils d’un des amants de Marie-Antoinette, qui s’appelait Fersen, le Suédois Fersen. Alors, quel peut être l’état d’esprit du roi et de la reine devant ce qui se passe, devant cette espèce de révolte, d’insurrection d’une partie de la nation qui s’intitule le Tiers État ? Exaspération chez la femme : Marie-Antoinette trouve ça inconcevable, elle se demande quel drôle de mariage elle a fait, et quelle idée elle a eue d’aller se jeter chez ces Français qui se mettent brusquement en révolution. Quant au brave roi, il est là qui ne sait pas trop que faire. Il est déconcerté. Il est surtout très dominé par sa femme, et résolu à essayer de freiner comme il pourra. Alors, sa misérable, sa minable riposte à l’attitude des États Généraux le 17 juin, c’est de fermer leur salle de réunion, de fermer la salle de réunion du Tiers État, le 20 juin. Lorsque ces types arrivent, le 20 juin, il pleuvait. Le 20, il fait un temps épouvantable, les députés se voient interdire l’accès de la salle, il y a des soldats qui sont là, on leur dit : « Il y a des réparations, enfin, il n’y a pas moyen que vous entriez. » On n’ose même pas leur dire d’une manière brutale : « Vous n’avez pas le droit de réunion ! » On leut dit «Mais non, c’est pas possible, parce que la salle est en réfection .» Alors, c’est ce jour-là, le 20, le 20 juin, que les députés du Tiers vont se réunir dans une autre salle, dite la salle du Jeu de Paume. C’était vrai. A Versailles, il y avait une salle où les courtisans, le roi parfois, jouaient au jeu de paume, et c’est dans cette salle où personne ne peut s’asseoir, où ils sont là, debout, que le fameux serment du 20 juin a lieu. Qu’est-ce que c’est que ce serment ? C’est Mounier qui en est l’initiateur. Je ne sais pas si ce nom vous dit quelque chose, je l’ai déjà prononcé, Mounier, c’est quelqu’un qui vient de la région du Dauphiné. Mounier et Barnave, ce sont, comment dirais-je, ce sont des hommes de main des Périer, vous savez, les industriels Périer qui avaient organisé la réunion de Vizille. A. Alors, Mounier est un des chefs de file de la bourgeoisie montante, et ce jour-là, c’est Mounier qui dit à ces députés qui se sont réunis par hasard dans la salle du Jeu de Paumer, puisqu’on leur a fermé leur salle, qui dit : « Nous allons prendre l’engagement solennel à main levée, enfin, devant Dieu, on va jurer de ne jamais se séparer, avant que la constitution de la France soit faite, soit établie. » Le Tiers s’était choisi une sorte de doyen, pas tout à fait de président, c’était Bailly, un astronome, un homme sage, vous savez, un homme pondéré, il n’y avait pas de danger, avec lui. Alors, c’est Mounier qui propose le serment, et c’est Bailly, montant sur une table, qui lève la main et qui dit : « Je jure au nom de l’Assemblée Nationale qu’on ne se séparera pas avant d’avoir établi la constitution du royaume. » Alors, qu’est-ce que va faire le roi ? Eh bien, le roi hésite encore beaucoup, et prend conseil auprès de Necker. Necker, vous savez, au fond, il est très affolé, tout ça le dépasse, il avait l’impression que c’était une erreur d’avoir lancé ces États Généraux.
  • 22. Enfin, tout de même, le roi décide de faire une séance royale, il va réunir tous les ordres le 23. Dans l’histoire traditionnelle, la séance du 23 apparaît, est présentée comme un coup de force du roi. Je n’en suis pas tellement convaincu. Si l’on écoute les propos que va tenir le roi, ce 23, on voit qu’il cède pas mal de choses, qu’il recule sur bien des points, c’est un ton, si vous voulez, autoritaire, autoritaire pour avouer les concessions. Eh bien, ce 23 juin, le roi annonce qu’il accepte et même qu’il ordonne l’égalité fiscale. Ça, il n’avait jamais osé le faire. Vous savez qu’on avait tenté depuis des années, depuis 1771, de vaincre l’opposition des parlements, on avait tenté d’obtenir que les nobles se décident et qu’aussi le clergé se décide à payer. Jamais on n’avait pu y arriver. Il y avait eu l’obstacle du parlement. Alors, le roi se dit : « Après tout, les États Généraux sont utiles, en ce sens qu’ils sont, que les gens de la roture sont assez nombreux pour imposer leur volonté aux nobles. Je ne veux pas dire, moi, le roi, qu’ils sont nombreux et qu’ils imposent leur volonté, mais je m’en vais me servir de ce levier pour faire payer ces nobles qui refusaient de payer. » Alors, un, égalité fiscale. Deux, dans cette même séance du 23, le roi accepte quelque chose de très important, la périodicité des États Généraux. Eh bien, ça veut dire que pratiquement, maintenant il y aura une chambre. Ce n’est plus la monarchie absolue, c’est le roi qui accepte, qui a à côté de lui une sorte de conseil de direction ou du moins consultatif. Les États Généraux seront réunis périodiquement. Il ne dit pas quand, mais enfin, il les consultera. Et trois, ce qui est vraiment important, il accorde à ces États Généraux le droit de contrôle sur le budget. Ca, la roture pouvait être contente, le Tiers État pouvait se dire : « C’est vraiment intéressant, pour la première fois, nous avons notre mot à dire sur la répartition du budget national. » Et puis, il annonce deux choses encore, il annonce la suppression des lettres de cachet, c’est-à-dire qu’on ne pouvait plus brusquement, et sans procès, interner quelqu’un, et il promet la liberté de la presse. Voyez que ce n’est pas mal tout de même, il y avait un progrès considérable. Le Tiers avait obtenu beaucoup de choses. Seulement, le roi continuait à refuser que les délibérations se fassent par tête, il voulait toujours que ça soit par ordre. Par conséquent, les bourgeois qui étaient là pour essayer de saisir les leviers de commande de l’État, étaient furieux parce que rien n’était encore possible. La noblesse continuait à occuper tous les emplois. Si bien qu’il réfléchit sur place avec Mirabeau, Mirabeau qui, comme Siéyès, était en train de se pousser. Ils réfléchissent à ce qu’il faut faire rapidement. Mirabeau avait fait une chose aussi fourbe que Siéyès le 17. Mirabeau avait prononcé, je ne sais plus si c’est le 17 ou le 18, une phrase sur laquelle j’attire votre attention, il avait parlé de ce Tiers État, dont il avait dit : « Le Tiers État, pour être formidable, n’a qu’à se faire immobile. » Qu’est-ce que ça veut dire, cela ? C’est l’idée de la grève générale, finalement. Ces gens n’ont qu’à rester immobiles, c’est-à-dire ne plus travailler, pour que tout s’arrête. Oui, grève générale. Seulement, ça, c’est une fourberie égale à celle de Siéyès, quand il avait dit « Nation » alors qu’il pensait simplement aux deux cent mille profiteurs. Et l’astuce
  • 23. de Mirabeau, c’est de faire semblant qu’il représente ces travailleurs, alors que la bourgeoisie est absolument décidée, absolument résolue à les obliger de travailler. Alors, qu’est-ce que va faire Mirabeau dans cette fameuse séance du 23 ? L’incident est partout. Seulement, il a été raconté d’une curieuse façon. L’incident, le voici. Le roi a prononcé son discours le 23. « Vous m’avez entendu, Messieurs ? Maintenant, séparez-vous, hein ! Chacun, soit chaque ordre, ira dans sa salle. » Les nobles sortent, le clergé sort, et le Tiers État reste. A ce moment-là, le maître des cérémonies qui s’appelait le marquis de Dreux-Brézé, s’approche de Bailly, qui s’est constitué le doyen - une sorte de président - du Tiers état, et lui dit, du reste assez poliment : « Messieurs, vous avez entendu les ordres de Sa Majesté, veuillez vous séparer. » C’est alors que Mirabeau se précipite, et prononce une phrase qui a un retentissement énorme. Enfin, on en parle toujours aujourd’hui comme d’une chose extraordinaire. Mirabeau va s’approcher du marquis de Dreux-Brézé et lui dire : « Nous sommes ici de par la volonté du peuple - Mon Dieu, quel peuple ? - et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. » Force des baïonnettes, ça retentit comme quelque chose, un cliquetis d’armes, et on se dit : « Tiens, c’est très énergique, ce que dit Mirabeau. » Mais voulez-vous écouter de nouveau avec moi cette phrase de Mirabeau ? « Nous sommes ici de par la volonté du peuple, et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. » Ce qui signifie : »Si le roi emploie les baïonnettes contre nous, hé bien, nous céderons. » C’est-à-dire que c’est une soumission conditionnelle. Tout aurait été différent si Mirabeau avait dit : « Nous sommes ici de par la volonté du peuple, et si le roi utilise la force contre nous, nous appellerons à notre secours le peuple, c’est-à-dire les bras nus et les gens à piques, et nous ne sortirons pas. » Tandis qu’il n’en est pas question. Mirabeau, vous allez le voir de plus en plus, Mirabeau est quelqu’un qui a une terreur et un dégoût du peuple et qui se dit : « A aucun prix il ne faut faire appel à ce Quart État, c’est-à-dire à la multitude, c’est-à-dire aux travailleurs. » Le marquis de Dreux-Brézé a une réponse que je ne peux pas citer ici parce qu’elle est extrêmement inconvenante, lorsque Mirabeau lui fait cette phrase, en disant « Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes », il lui tourne les talons en jetant une interjection inconvenante et il va trouver le roi pour lui dire : « Ces messieurs ne veulent pas bouger. » Et le roi, qui est presque aussi inconvenant, répond : « Ils ne veulent pas s’en aller, hé bien, foutre, qu’ils restent ! » Et il va céder. Le roi va céder parce que le lendemain, le lendemain 24 juin, par conséquent, le clergé, poussé par les petits curés, ils sont 208 sur 291, le clergé vient rejoindre ce Tiers État qui s’est constitué en Assemblée Nationale, et une partie de la noblesse, oh, pas beaucoup, 48, 48 nobles, qui sont conduits par le duc d’Orléans - le duc d’Orléans, c’est le cousin du roi et il a des arrière-pensées, il serait très content que le roi soit balancé pour prendre sa place - conduits par le duc d’Orléans et conduits par un certain marquis de La Fayette, qui s’était illustré pendant la guerre d’Indépendance, qui avait servi les révolutionnaires américains, qui a donc un certain prestige, 48 nobles, ayant à leur tête le marquis de La Fayette et le duc d’Orléans
  • 24. que j’aurais dû nommer le premier, et deux messieurs qui s’appellent les frères Lameth, L-A-M-E-T-H, ces frères Lameth, qui sont aussi des « Américains », c’est-à- dire qu’ils ont suivi La Fayette et qu’ils ont combattu pour l’indépendance américaine, ce sont tous les deux des colonels de la cavalerie, ce sont tous les deux des représentants de la noblesse, ils ont des gros intérêts aux colonies françaises, c’est- à-dire à ce moment-là, les Antilles. Ce sont des gens qui ont une fortune considérable, hé bien, ils vont penser que ce que faisait le Tiers État n’était pas mauvais et qu’il fallait le rejoindre. Alors, quand le roi voit que le clergé a lâché, qu’une partie de la noblesse le lâche aussi, le 27 juin, le roi dit : « Eh bien, d’accord, je suis consentant, l’Assemblée Nationale va comprendre le clergé, la noblesse et le Tiers État, et tout ça va essayer de travailler au mieux pour la France. » Vous croyez qu’il est sincère ? Eh bien, évidemment, qu’il n’est pas sincère. Lui, peut-être, vous savez, Louis XVI, peut-être qu’il aurait accepté, il aurait dit : « On va voir, on va peut-être s’arranger. » Mais sa femme, Marie-Antoinette, était absolument résolue à ne pas s’arranger. Elle a du reste un conseiller, qui est Breteuil, le gros Breteuil, c’est un personnage tonitruant. C’est Madame de Staël, je crois, qui raconte dans ses souvenirs, ou considérations sur la France : « On l’entendait toujours marcher, Breteuil. Il marchait en frappant des talons. Il avait un ventre considérable, un poids très lourd et il poussait d’aussi grands cris que la force de ses talons le lui permettait. » Alors, ce gros Breteuil était là à dire à Marie-Antoinette : « Vous savez, c’est intolérable, faut pas faire ça, et puis, Necker est un personnage mou, il faut en réalité agir par la force. » Alors, voici les chiffres qui sont assez intéressants. Les dates, les chiffres. C’est le 27, hein ? Vous m’avez entendu ? C’est le 27 que le roi fait semblant de céder, et il dit : « Eh bien, d’accord, on va, tout le monde va se réunir dans l’Assemblée Nationale. Le 27. » Mais c’est le 26, la veille, que le roi a commencé à donner des ordres à ses troupes, faire venir des troupes de l’extérieur pour cerner Versailles. Le 26 juin, trois régiments d’infanterie sont conviés et trois régiments de cavalerie sont appelés, du nord et de l’est. Qu’est-ce qu’on choisit, parmi ces régiments ? On choisit des mercenaires étrangers. Vous savez sans doute que la monarchie française avait à son service un certain nombre d’Allemands et de Hongrois, et d’Autrichiens. Ces régiments, et en particulier le Royal Allemand qui était très célèbre et qui va s’illustrer dans les jours qui vont venir, sont priés par le roi, reçoivent du roi l’ordre de venir sur Versailles. Le 1er juillet, le régiment suisse de Metz fait l’objet d’un ordre de marche sur Versailles. Le 4 juillet, c’est un vieux maréchal, le maréchal de Broglie, qui se trouve être le grand-père de ces deux Lameth dont je vous ai parlé, alors le maréchal de Broglie reçoit le commandement suprême des forces qu’on est en train de concentrer à Versailles, et il est entendu - il a pour lieutenant un Suisse qui s’appelle Besenval - il est entendu que Broglie et Besenval doivent avoir terminé leur concentration de troupes autour de Versailles et autour de Paris pour le 13 juillet. Or, le 11 juillet au matin, le roi fait son petit coup de tête, et décide de renvoyer Necker et de le remplacer par Breteuil. Breteuil, le baron de Breteuil, avait dit :
  • 25. « Donnez-moi trois jours, et en trois jours, avec la force armée, je suis capable de remettre toutes les choses en ordre. » Trois jours. Nous sommes le 11. Necker est renvoyé le 11. Le 12 au matin, Breteuil prend le pouvoir et dans deux jours, ce sera le 14 juillet, c’est-à-dire la prise de la Bastille. Alors, c’est l’heure, qu’il faut bien regarder. C’est vers 9 heures du matin, le 12 juillet, que la nouvelle se répand dans Paris. Le roi a fait un coup de tête, le roi a renvoyé Necker, il prend Breteuil et des troupes commencent à arriver. Émotion, émotion considérable dans Paris. Les gens se mettent à courir les uns autour des autres, enfin, place du Palais-Royal en particulier, on s’agite énormément. Seulement, ce qui me frappe beaucoup, c’est qu’il y a une sorte d’enthousiasme populaire sur le nom de Necker. Je comprends très bien, ah, je comprends très bien que les rentiers, les financiers, les hommes d’argent, soient furieux du renvoi de Necker, parce qu’ils se disaient : « Avec Necker, c’est nos rentes qui seront certainement payées. » D’autant plus que Necker avait lui aussi des rentes sur l’État, vous vous rappelez qu’il avait prêté deux millions au Trésor français en 1778. Publicitairement, il avait fait un grand bruit sur ces deux millions, et il entendait récupérer les arrérages naturels. Alors, je suis complètement convaincu, enfin, ça va tout seul, que les rentiers parisiens, que la bourgeoisie financière de Paris est furieuse du renvoi de Necker. Ce qui me frappe et me stupéfie, c’est que la petite plèbe parisienne marche, mais nous avons déjà vu la petite plèbe parisienne marcher lorsqu’on renvoyait les parlements, lesquels travaillaient contre elle. C’est pas la première fois qu’elle prend, pardonnez-moi cette expression vulgaire, des vessies pour des lanternes, mais l’expression vulgaire et traditionnelle a ici son plein emploi. C’est en effet prendre une vessie pour une lanterne, puisque Necker, c’était une panse, c’était un surgonflé et un boursouflé. Toujours est-il qu’effectivement les bustes de Necker et du duc d’Orléans se trouvent dans la matinée du 12 promenés à travers Paris. Où est-ce qu’on en a trouvé, des bustes ? Dans un musée, un musée de cire, qui s’appelle le musée Curtius et qui était la préfiguration de ce qui est aujourd’hui encore, je crois, le musée Grévin, un pareil musée de cire. Alors, des industrieux, enfin, des types astucieux, sont allés chercher les bustes du duc d’Orléans et le buste de Necker et on va promener ça glorieusement, entourés de palmes, dans les rues de Paris. Le mouvement est parti du Palais Royal. Qu’est-ce que c’est que le Palais Royal ? Le Palais Royal, c’est un immense château qui appartenait au duc d’Orléans. Le duc d’Orléans, c’était la plus grosse fortune de France, et c’était aussi un homme qui dépensait tellement qu’il s’était terriblement endetté en très peu de temps. Pour cette raison, trois ans avant la révolution, il avait décidé d’ouvrir au public une partie de son Palais Royal, et en particulier, il avait fait établir autour de la grande cour d’honneur des galeries. Il y en avait qui étaient des galeries en pierre, il y avait des galeries en bois, et là s’étaient établies des sortes de maisons interlopes, enfin, il y avait des tripots, il y avait des maisons de tolérance, qu’on n’appelait pas comme ça, en ce moment-là, mais des lupanars. Il y en avait des quantités. Du moment que c’était la propriété du duc d’Orléans, la police n’avait pas le droit d’y entrer, mais les pauvres n’y entraient pas non plus. Il fallait être bien habillé , il fallait être correct,
  • 26. dans ce Palais Royal. Or, le Palais Royal était le centre d’agitation parisien. C’est une espèce de milieu d’eau trouble où tous les intrigants pouvaient s’agiter. Et comme c’était sur le territoire du duc d’Orléans, le duc d’Orléans dirigeait tout ça avec ses agents. Alors, comme l’agitation principale le 12 juillet au matin sort du Palais Royal, nous pouvons être à peu près convaincus que le duc d’Orléans était derrière et même qu’il avait probablement répandu de l’argent. Quelqu’un va surgir, ce jour-là, c’est Camille Desmoulins. Camille Desmoulins, il jouera un rôle dans notre histoire, il faut que nous le regardions un instant, c’est un personnage complexe, vous savez, Camille Desmoulins. J’ai bien regardé les visages. C’est tellement intéressant, étudier les visages, et nous avons pas mal de portraits de Camille. Il était jaune, il était bilieux, il avait quelque chose de curieux dans le regard, une sorte d’incertitude un peu louche, le regard, pas du tout louche parce qu’il était bigleux, pas du tout, mais il y avait quelque chose de trouble dans ce regard. C’était un garçon qui était capable de violents entraînements, et en même temps qui était capable de tendresse et de gentillesse. A ce moment-là, Camille Desmoulins, c’est un garçon qui n’a pas le sou. Il aura bientôt le sou, parce qu’il va finir par épouser une petite Lucie du Mesnil, qui avait beaucoup d’argent, qui va lui apporter d’un seul coup cent mille francs. Mais pour l’instant, il n’en a pas. Eh bien, ce 12 juillet au matin, quand les Parisiens apprennent que Necker est renvoyé, qu’il y aura peut-être un coup de force de la cour, Camille Desmoulins, au Palais Royal, dans ce milieu grouillant, grimpe sur une table, sort des pistolets qu’il avait dans sa poche, dresse ces pistolets, crie « Aux armes ! La cour va venir nous attaquer, il faut que nous nous défendions. » Et comme il est sur une table, que c’est en juillet, que cette table est à la hauteur des branches d’arbres, il arrache une feuille, une feuille verte, il la met à son chapeau. Verte, parce que c’est la couleur de l’espérance, les gens arrachent des feuilles, ce qui permet à Madame de Staël, plus tard, de raconter que Camille Desmoulins avait choisi la couleur verte parce que c’était la couleur de la livrée, c’est-à-dire les domestiques de Necker, je vous assure que personne n’y avait pensé à ce moment-là. Vert, c’était simplement la feuille d’espérance. « Aux armes ! » il a crié. Dans cette journée, le tumulte devient de plus en plus grave dans Paris, et en fin d’après-midi, le régiment du Royal Allemand, c’étaient donc des Allemands qui étaient là, qui étaient commandés par le prince de Lambesc, le Royal Allemand, devant l’agitation de Paris, fait une charge. Attention, on a un peu exagéré dans l’histoire. On a dit : « Ils ont chargé. » On se représente tout de suite, sabre au clair, des cavaliers au galop, mais ce n’est pas tout à fait ça. Les dragons de Lambesc étaient là, tout près du Palais Royal, et de la place qui est aujourd’hui la place de la Concorde, la place Louis XV ; et ils ont avancé, ils ont avancé dans la foule, pour la repousser. Il s’est trouvé qu’un vieillard a été piétiné, il n’est pas mort, mais enfin, il a été piétiné. Alors, des Gardes Françaises, des Grades Françaises, c’étaient des soldats qui étaient au service du roi et qui étaient cantonnés pour une part à Paris, des Gardes Françaises prennent brusquement le parti de la foule, et se mettent à combattre le Royal Allemand. C’est très mauvais, ça, ça donne l’impression d’une indiscipline dans l’armée. Alors, la suite, retenez ce que je vais vous dire, la discipline
  • 27. dans l’armée, ça se présente comme ça. Toute la journée du lendemain 13, les Parisiens excités et poussés par un certain nombre de gens, sont là à chercher à se procurer des armes. Et ce qu’ils disent : « Nous sommes cernés, il y a des troupes qui sont déjà venues jusque dans le Champ de Mars - qui n’est pas tellement loin, c’est près des Invalides - il y a d’autres troupes qui vont certainement arriver par Vincennes, il nous faut des armes. » Ils vont vers l’Hôtel de Ville, bien sûr, l’Hôtel de Ville était dirigé en ce moment-là par quelqu’un qu’on appelait le Prévôt des Marchands, et pratiquement, c’était le maire, qui s’appelait Flesselles. Flesselles n’aime pas beaucoup cette foule, un peu déguenillée, qui vient lui demander des armes, mais ils sont très nombreux, les gens, alors, on leur donne les 350, 360 fusils qui étaient conservés à l’Hôtel de Ville. On les leur donne sans joie. Flesselles a même dit : « Je crois qu’il y a des armes chez les chartreux. » C’était une drôle d’idée. Enfin, il y a un couvent qui était là. La foule se précipite chez les chartreux. Non, il n’y a pas d’armes, il y a du blé qu’on va enlever chez les lazaristes aussi. Enfin, il faut trouver des armes. Alors, les gens se précipitent au Garde-Meubles. Le Garde-Meubles, c’était surtout un musée. Alors, là, il y avait des armes historiques. Il y avait des hallebardes, il y avait des cuirasses et il y a certaines personnes qui se mettent des hallebardes dans les mains et des cuirasses sur le corps, c’est un peu ridicule, mais ça, ce n’est pas un armement. Dans la même journée du 13 juillet, deux bateaux de poudre, pleins de barils de poudre, sont trouvés, enfin, sont repérés. Et ils sont là sur la Seine. Les poudres devaient être débarquées pour être envoyées à l’Arsenal, ou ailleurs. Le public le sait. Je ne sais pas comment. C’est un prêtre, c’est l’abbé Lefebvre, qui organise la distribution des poudres. Les gens reçoivent de petits sachets de poudre, mais il n’y a toujours pas de fusils. Alors, où est-ce qu’ils sont, les fusils ? On est allé à l’Arsenal, mais l’Arsenal est vide. Mais on sait qu’il y a deux endroits où sont des fusils à Paris. D’un côté, c’est l’Hôtel des Invalides, et d’autre part, c’est la Bastille. La Bastille, c’est un morceau. Vous savez, c’était une énorme forteresse qui était au faubourg Saint-Antoine, avec des tours de trente mètres de haut, avec des canons qui étaient braqués entre les créneaux, pas facile à enlever. Tandis que les Invalides, ça semblait plus facile. Alors, le 14, le 14, il s’était produit dans la nuit du 13 au 14 quelque chose de très dangereux, de très redoutable. Le petit peuple s’était jeté sur le mur des fermiers-généraux, vous savez, le mur de l’octroi, et avait incendié 40 octrois sur 54. Ça commençait à prendre une mauvaise allure, ce Quatrième État en mouvement. Le 14 au matin, toujours conduits par ce prêtre, l’abbé Lefebvre, huit à dix mille personnes se précipitent dans la direction des Invalides, pour prendre des armes. Il y en a, en effet, il y a plus de trente mille fusils et quelques canons, aux Invalides. Qui dirigeait les Invalides ? C’était le marquis de Sombreuil. Eh bien, le marquis de Sombreuil se laisse faire, parce qu’il voit qu’il y a dix mille personnes, il y a des gens qui sont absolument résolus à entrer par la force s’il le faut. Le marquis de Sombreuil ne dit rien, enfin, il laisse passer les gens et le pillage, si vous voulez, la saisie des fusils s’organise. Les Invalides, c’est à côté du Champ de Mars, et au Champ de Mars, il y a les régiments qui sont commandés par Besenval, le Suisse Besenval. Alors, comment ça se fait que ces régiments qui sont là et qui peuvent