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Master 2 à finalité Recherche
« Droit européen et international de la propriété intellectuelle »
Année universitaire 2014/2015
La déchéance de la marque devenue trompeuse
Une lecture européenne à partir des expériences française et italienne
Emanuele FAVA
sous la direction de M. Adrien BOUVEL
21 Septembre 2015
i
L’Université de Strasbourg n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions
émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas
d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
ii
Remerciements
à Adrien Bouvel pour m’avoir guidé dans le choix du sujet ;
à Marco Ricolfi pour m’avoir transmis son traité à paraitre ;
à Natalia Kapyrina pour son soutien tout au long de l’année ;
à Cécile pour avoir trouvé le temps de relire mon mémoire ;
à Oksana pour en avoir rendu plus légère la rédaction estivale
iii
Sommaire
Introduction
Chapitre I - La déceptivité de la marque en tant que cause de déchéance
Section I – La superposition entre caractère trompeur comme cause d’invalidité de la
marque et caractère trompeur comme cause de sa déchéance
Section II – La limitation par l’exigence de caractère arbitraire des cas de déchéance de la
marque devenue trompeuse
Chapitre II - La survenance de la déceptivité de la marque
Section I - La marque devenue intrinsèquement trompeuse
Section II - La marque devenue extrinsèquement trompeuse
Chapitre III - Le sort de la marque devenue trompeuse
Section I – La marque qui n’est pas devenue trompeuse du fait de son titulaire
Section II - La déchéance de la marque devenue trompeuse du fait de son titulaire
Conclusion
iv
Abréviations
Ann. Annales
Ann. propr. ind. Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire
Bull. civ Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles
Bull. inf. Cour. cass Bulletin d'information de la Cour de cassation
C. cass. Corte di cassazione italienne
CA Cour d’appel
Cass. com. Cour de cassation française, chambre commerciale
CEIPI Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Intellectuelle
civ., sez. I Prima sezione civile
CJCE Cour de justice des Communautés Européennes
CJUE Cour de justice de l’Union Européenne
Comm. com. électr. Communication Commerce électronique
D. Dalloz
Dir. comm. int. Diritto del commercio internazionale
Dir. ind. Il Diritto industriale
DM Directive européenne sur les marques
Foro it. Il Foro italiano
Gaz. Pal. La Gazette du Palais
Giur. ann. dir. ind. Giurisprudenza annotata di diritto industriale
Giur. comm. Giurisprudenza commerciale
Giur. it. Giurisprudenza italiana
INPI Institut national de la propriété industrielle
J.-Cl. JurisClasseur
JCP E La Semaine juridique - Entreprise et affaires
OHMI Office de l'harmonisation dans le marché intérieur
PIBD Bulletin de la propriété industrielle
Propr. ind Revue Propriété Industrielle
Propr. intell. Propriétés intellectuelles
Riv. dir. ind. Rivista di diritto industriale
RJDA Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires
RLDI Revue Lamy Droit de l'Immatériel
RMC Règlement sur la marque communautaire
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
Sez. Sezione
TGI Tribunal de grande instance
TPICE Tribunal de première instance des Communautés Européennes
1
Introduction
« LE MARQUIS : Quelle femme précieuse vous êtes !
DEJANIRA : J’ai mes petits talents. Ce flacon est-il en or ?
LE MARQUIS : Naturellement. (il retient un sourire) Naturellement.
DEJANIRA : Il est à vous ?
LE MARQUIS : Il l’était
DEJANIRA : Comment cela ?
LE MARQUIS : Maintenant, il est à vous, si vous le désirez »1
En 1997, peu de temps avant de devenir Directeur Général du CEIPI, le Professeur Reboul
écrivait que la déchéance de la marque devenue trompeuse est prévue par un « texte, dont on
aperçoit encore mal la portée, [qui] n’est pas sans soulever des interrogations ».2
Plus d’un quart de siècle après son introduction par la première Directive européenne sur
les marques (ci-après DM),3
la déchéance de la marque devenue trompeuse - dite également
déceptive4
- est encore un dispositif juridique assez cryptique. S’agissant des systèmes
juridiques français et italien en particulier, à notre connaissance aucune déchéance de marque
pour caractère déceptif n’a jamais été prononcée de façon définitive.
Ce mémoire a donc pour but d’étudier la signification et la portée de cette sanction. Plus
spécifiquement, l’objectif est d’aboutir à une lecture européenne de la déchéance de la marque
devenue trompeuse, à partir des expériences française et italienne.
Outre la Directive sur les marque et ses transpositions nationales, la déchéance de la
marque devenue trompeuse est également prévue – de manière substantiellement identique -
par le Règlement sur les marques communautaires (ci- après RMC).5
C’est pourquoi, en
étudiant la déchéance de la marque devenue trompeuse, il serait infructueux de se limiter à un
examen du droit national : il est nécessaire d’adopter une optique européenne.
Cela étant, même en cas de marques communautaires, les juges nationaux gardent le plus
souvent leur rôle d'interprètes des textes en tant que « tribunaux des marques communautaires
1
GOLDONI (C.), La locandiera, 1753, adaptation et traduction DES PRESLES (C.), L'Harmattan, 2001.
2
REBOUL (Y.), « La déchéance de la marque depuis la réforme législative du 4 janvier 1991 (Article L. 714-5 du
CPI) », Mélanges Jean Foyer, PUF, 1997, p. 285.
3
Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les
marques, remplacée par la Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008
rapprochant les législations des États membres sur les marques.
4
Anglicisme formé à partir du verbe « to deceive ».
5
Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, remplacé par le
Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire.
2
»6
(infra, Ch. III, Sect. II, §I). De ce point de vue, une étude des expériences française et
italienne n’est qu’une limitation des prétentions de ce travail : une analyse exhaustive devrait
en effet prendre en considération les expériences juridiques de tous les Etats membres de
l’Union européenne.
Néanmoins, le choix des systèmes français et italien n’est pas qu’une limitation par rapport
à une véritable lecture européenne de la déchéance de la marque devenue trompeuse. Ce choix
a un vrai intérêt comparatiste faisant preuve de son autonomie conceptuelle. En effet on verra
que, même en cas d’une similarité apparente entre la lettre des articles, les différentes
traditions juridiques ont porté à des interprétations considérablement différentes des textes
transposant la Directive sur les marques (infra, Ch. II, Sect. II).
De plus, même lorsqu’on est en présence de dispositions rapprochées par le droit européen,
tout n’est pas harmonisé. Par définition, une directive européenne ne touche qu’à certains
aspects du droit, en laissant aux Etats membres une certaine marge de manœuvre. Certes,
s’agissant du droit des marques, le Législateur européen a toujours été assez précis et cette
marge relativement restreinte. Il n’en demeure pas moins que les Etats membres gardent «
toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement, la
déchéance ou la nullité des marques acquises par l’enregistrement. […] Les États membres
devraient conserver la faculté de déterminer les effets de la déchéance ou de la nullité des
marques ».7
S’agissant donc de la procédure et des effets de la déchéance de la marque devenue
trompeuse, le choix d’une approche comparatiste maintient intacte son intérêt (infra, Ch. III,
Sect. II, §I-II).
En gardant à l’esprit ces précisions, avant d’aborder le premier chapitre de cet écrit il
convient alors de rappeler brièvement quelles sont les sources normatives européennes et
nationales qui envisagent la déchéance de la marque devenue trompeuse.
Selon l’art. 12 DM et l’art. 51 RMC, le titulaire d’une marque enregistrée n’est déchu de
son droit que dans trois cas énumérés par la loi : il s’agit d’abord du cas où « la marque n’a
pas fait l’objet d’un usage sérieux […] pour les produits ou les services pour lesquels elle est
enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non usage » ; ensuite du cas où elle «
est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle
dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée » ; enfin, du
cas où « par suite de l'usage qui en est fait par le titulaire de la marque ou avec son
6
Cf. art. 95 RMC.
7
6ème
considérant DM.
3
consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est
propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance
géographique de ces produits ou de ces services ».8
Ce n’est pas dans l’objet de ce mémoire de considérer les deux premières hypothèses qui
portent sur la déchéance par non usage de la marque et sur la déchéance par dégénérescence
de la marque au sens strict. En effet, par rapport au deuxième cas de figure, il s’agit de
dispositions justifiées par des rationes legis différentes est indépendantes. Par ailleurs,
l’introduction des trois cas de déchéance dans le corpus juridique des Etats membres n’a pas
été effectuée au même temps.9
Il convient alors de limiter notre analyse à la lettre b) de l’art. 12 DM et à la lettre c) de
l’art. 51 RMC. Ces textes restent d’ailleurs inaltérés dans le projet de réforme du « paquet
marques », visant à modifier à la fois la Directive et le Règlement.10
L’art. 12 de la directive a bien été transposé par les différents droits nationaux des Etats
membres de l’Union Européenne et notamment, en ce qui nous concerne, par les Législateurs
français et italien.
Ainsi, en droit français, l’art. L. 714-6, al. 1, b) du Code de la propriété intellectuelle (ci-
après, CPI) prévoit que « [e]ncourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque
devenue de son fait […] [p]ropre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la
provenance géographique du produit ou du service ».
De la même manière, la lettre a) de l’art. 14, al. 2, du Code de la propriété industrielle
italien11
prévoit que « la marque est caduque lorsqu’elle est devenue propre à induire en erreur
le public, notamment sur la nature, qualité ou provenance des produits ou services, à cause de
8
Le texte cité en dernier est celui du règlement sur la marque communautaire. La lettre de l’art. 12 al. 2 b) DM
est légèrement différente de celle de l’art. 51 al. 1 c) : « le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits
lorsque, après la date de son enregistrement, la marque […] est propre, par suite de l’usage qui en est fait par le
titulaire ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, à induire le
public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces
services ». De toute évidence, il n’est pas possible de voir des divergences quant à la substance des deux articles.
9
En France, la cause de déchéance la plus ancienne est le défaut d’exploitation de la marque. Elle a été
introduite en droit français par l’art. 11 de la loi du 31 décembre 1964. Les deux autres causes de déchéance ont
été introduites par la loi du 4 janvier 1991, transposant la première directive européenne sur les marques de
1988.
En droit italien, la legge marchi n. 929 du 21 juin 1942 prévoyait initialement à la fois une déchéance pour
défaut d’exploitation (art. 42) et une déchéance pour dégénérescence stricto sensu (art. 41). La déchéance de la
marque trompeuse n’a été introduite dans la même loi que par effet de la directive 89/104.
10
Cf. « Réforme du système de marques: le Conseil confirme l'accord avec le Parlement », communiqué de
presse du Conseil de l’Union européenne, disponible à http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-
releases/2015/06/10-div-trade-marks/ ; lien consulté le 16 aout 2015.
11
Decreto legislativo n. 30 du 10 février 2010.
4
la façon ou du contexte dans lequel elle est utilisée par le titulaire ou avec son consentement,
pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistré ».12
Afin d’analyser la déchéance de la marque devenue trompeuse, il convient à notre sens de
structurer le discours selon une démarche en trois étapes : d’abord on étudiera la déceptivité
de la marque en tant que cause de déchéance (Chapitre I), ensuite la survenance de la
déceptivité (Chapitre II) et enfin, le sort de la marque devenue trompeuse (Chapitre III).
12
« Il marchio d'impresa decade […] se sia divenuto idoneo ad indurre in inganno il pubblico, in particolare
circa la natura, qualità o provenienza dei prodotti o servizi, a causa di modo e del contesto in cui viene utilizzato
dal titolare o con il suo consenso, per i prodotti o servizi per i quali è registrato ».
5
Chapitre I
–
La déceptivité de la marque en tant que cause de déchéance
Afin de déterminer en quoi réside le caractère déceptif d’une marque, susceptible d’en
entrainer la déchéance, on se servira d’autres dispositions présentes dans les textes
communautaires ainsi que dans les droits français et italien. D’abord on se demandera quel est
son rapport avec le caractère trompeur considéré en tant que cause d’invalidité de la marque
(Section I) ; ensuite, on envisagera les relations entre l’exigence de non-déceptivité de la
marque et l’exigence du caractère arbitraire de celle-ci (Section II).
Section I – La superposition entre caractère trompeur comme cause d’invalidité de la
marque et caractère trompeur comme cause de sa déchéance
Une marque peut être déceptive dès son enregistrement ou le devenir dans un deuxième
temps. Dans la deuxième partie de ce travail, on s’interrogera sur la survenance du caractère
trompeur ; dans la troisième partie, on analysera les sanctions que le Législateur a prévues
contre les marques devenues trompeuses : dans ce paragraphe il est question de savoir ce qu’il
faut entendre par déceptivité de la marque, qu’elle soit prise en tant que cause de déchéance
ou en tant que cause de nullité.
En quoi une marque peut-elle être déceptive ? Pour essayer de répondre à cette question il
convient de donner des précisions sur les façons dans lesquelles une marque peut tromper
(§I). Une marque n’est d’ailleurs jamais déceptive de façon absolue : son caractère trompeur
doit être apprécie au cas par cas par, en fonction de certains facteurs (§II).
§I - L’unité de la notion de déceptivité de la marque
L’objet de ce travail est de s’interroger sur les particularités de la déceptivité survenue
comme cause de déchéance d’une marque enregistrée. Pour faire cela, il est pourtant
nécessaire de rappeler brièvement la définition de la déceptivité tout court. Brièvement, car
une analyse trop détaillé tomberait vraisemblablement hors de sujet et manquerait d’un intérêt
spécifique.
6
La doctrine a souligné la symétrie entre le caractère trompeur comme condition de validité
de la marque et le caractère trompeur comme condition de sa pérennité : « La déchéance de la
marque devenue déceptive ne fait que prolonger dans le temps la prohibition des marques
déceptives de l’article L 711-3, c du CPI. La nullité de la marque déceptive au jour du dépôt
et la déchéance de la marque devenue déceptive servent donc un même objectif ».13
Les deux
situations sont sanctionnées par le Législateur et concourent à former ce qui a été appelé par
la doctrine italienne le « statut de non-déceptivité de la marque ».14
Selon l’art. 3, al. 1, g), DM, « [s]ont refusé[e]s à l’enregistrement ou sont susceptibles
d’être déclaré[e]s nul[le]s s[i elles] sont enregistré[e]s […] les marques qui sont de nature à
tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique ».
En comparant cet article à l’art. 12, al. 2, b), de la même Directive, la confusion du
caractère trompeur en tant que obstacle à la naissance du droit de marque et du caractère
trompeur en tant que cause de déchéance de celui-ci est donc claire : est trompeuse toute
marque « de nature à induire en erreur le public sur une caractéristique quelconque du produit
ou du service ».15
La doctrine se livre souvent à une analyse casuistique des cas de tromperie retenus par la
jurisprudence. Ainsi, la tromperie peut porter sur les « éléments intrinsèques » d’un produit
(ou plus rarement d’un service), tels que sa nature ou sa qualité, aussi bien que sur les
« éléments extrinsèques », tels qu’origine, garantie et contrôle.16
La tromperie peut découler d’une marque verbale, d’une marque complexe mais aussi
d’une marque purement figurative.17
Tout signe susceptible de constituer une marque peut
être trompeur, dans la mesure où il est suffisamment évocateur pour le public d’un élément
quelconque du produit ou service marqué en raison de règles lexicales, linguistiques ou
sémantiques.18
Cela dit, force est de constater que dans les affaires portant sur une marque trompeuse la
déceptivité survenue a été rarement contestée et, à notre connaissance, la déchéance du droit
13
BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », RJDA, 2002, n. 3, p. 184.
14
FRASSI (P. A. E.), « Lo statuto di non decettività del marchio tra diritto interno, diritto comunitario ed alla luce
della disciplina sulle pratiche commerciali ingannevoli », Riv. dir. ind., 2009, I, p. 29.
En droit italien, le statut de non-déceptivité est composé également de l’interdiction des cessions trompeuses de
la marque (infra, Ch. II, Sect. I, §II, A2) et de l’interdiction d’usage déceptif d’une marque (infra, Ch. II, Sec. II,
§II).
15
BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 184.
16
MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives – Droit français, Droit communautaire, Droit
comparé, Litec, 1992, p. 98.
17
En France, par exemple, la marque constituée d’un dessin de chamois pour des articles qui n’étaient pas en
cuir a été refusée à l’enregistrement (INPI, déc. dir. gén., avril 1979 : PIBD, 1981, III, p. 228).
18
GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, Giuffré, 2012, p. 9.
7
n’a jamais été définitivement prononcée par un juge communautaire, français ou italien. On
cherchera ici à en expliquer les raisons.
§II - L’unité de l’appréciation de la déceptivité de la marque
Une fois établie sans grandes difficultés l’unité de la notion de marque trompeuse, il faut se
demander si les facteurs pris en compte pour apprécier la déceptivité du signe peuvent
changer en fonction de la sanction demandée.
Il convient de répondre par la négative : il sera toujours possible de prendre en compte à la
fois l’usage in concreto de la marque (A) et le public concerné (B) pour en apprécier la
déceptivité.
A – La prise en compte de l’usage in concreto de la marque
La notion de déceptivité de la marque est bien une notion unitaire. S’agissant de la
déceptivité en tant que cause de déchéance, pourtant, la déceptivité nait « par suite de l’usage
qui en est fait par le titulaire ou avec son consentement pour les produits ou les services pour
lesquels elle est enregistrée ».
Dans ce cas, la déceptivité elle-même est à notre sens générée suite à l’usage en question :
le caractère trompeur de la marque n’est pas simplement révélé par cet usage.19
A l’appui de cette affirmation, on peut invoquer les textes français et italiens transposant la
directive : est susceptible d’entrainer la déchéance la marque devenue trompeuse. La marque
qui devient trompeuse a bien été, dans un premier temps, véridique (rectius, elle n’était pas
propre à induire en erreur le public).
Il s’agit d’une distinction délicate, qui pourtant est cruciale pour tracer les frontières entre
la sanction de la nullité et celle de la déchéance. En effet, en adoptant l’interprétation que l’on
propose – et qui semble encore correspondre à l’approche majoritaire de la jurisprudence - la
déceptivité en tant que cause de déchéance ne sera retenue par le juge que dans des cas bien
spécifiques.
Dans la plupart des cas, au contraire, la tromperie sera tout simplement contestée et - le cas
échéant - retenue par le juge dans un moment postérieur à l’enregistrement, mais la sanction
sera l’invalidité de la marque ab initio. Pour annuler une marque, en effet, le juge est tenu de
19
En ce sens, BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 186, qui distingue
entre marque devenue déceptive et marque révélée déceptive.
8
se placer au moment de l’enregistrement pour vérifier si le signe était susceptible d’induire en
erreur le public, mais il peut très bien tenir compte d’éléments postérieurs à la date du dépôt.
Dès lors, dans tous ces cas, la déceptivité existait déjà – au moins en puissance- au jour du
dépôt. Ainsi, l’usage concret de la marque n’est pas un élément constitutif d’une pathologie
survenue, mais un indice d’une invalidité déjà existante.20
Prenons à titre d’exemple une marque enregistrée pour des vêtements qui évoquerait la
laine : elle serait trompeuse ab initio si le titulaire l’utilisait dès son enregistrement – ou
même avant - pour des vêtements en microfibre. La marque serait donc invalide ab initio.
Cette lecture n’est pas partagée par la majorité la doctrine italienne à la parution de la
directive 89/104 : en effet, selon cette doctrine, la nullité ne pourrait s’appliquer qu’aux cas de
tromperie qui font abstraction de toute exploitation de la marque.21
Dans ces cas, le caractère
déceptif de la marque devrait s’apprécier en faisant référence tout simplement aux services et
produits tels que désignés dans l’acte de dépôt. Ainsi, par exemple, une marque qui énoncerait
une promesse objectivement impossible (telle que, par exemple, un fromage sans gras ou un
gâteau sans aucune calorie22
) serait invalide.23
Une partie de la doctrine française a adopté la même interprétation dès que la sanction de
la déchéance a fait son début24
: « La nullité s’apprécie exclusivement en considération de la
20
GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit, p. 69.
21
GHIDINI (G.), « Decadenza del marchio per “decettività sopravvenuta’», Riv. dir. ind., 1993, I, p. 213 ; SENA
(G.), « Veridicità e decettività del marchio », Riv. dir. ind., 1993, I, p. 331 ; GHIDINI (G.) et GUTIERREZ (B. M.), «
Marchio decettivo e uso decettivo del marchio », Dir. ind., 1994, n. 2, p. 130 ; SENA (G.), « Ancora sulla
decettività del marchio », Riv. dir. ind., 1994, II, p. 9 ; VANZETTI (A.), « Commento alla prima direttiva del
Consiglio delle Comunità Europee sul ravvicinamento delle legislazioni degli Stati membri in materia di marchi
d’impresa », Le nuove leggi civili commentate, 1989, p. 1463; VANZETTI (A.), La nuova legge marchi- Codice e
commento alla riforma, Giuffré, 1993, p. 96.
22
GHIDINI (G.) et GUTIERREZ (B. M.), « Marchio decettivo e uso decettivo del marchio », précité, p. 130.
23
En France la jurisprudence a parfois retenu le caractère trompeur d’une marque pour tout produit. Ainsi, dans
une affaire de 1978 (CA Paris, 3 mai 1978 : Ann., 1979, p. 201) la marque « Carrefour Produits Libres » a été
jugée comme étant trompeuse pour toutes les 34 classes puisque « la dénomination produits libres associé au
terme Carrefour désigne uniquement des produits sans marques de fabrique, vendus simplement sous une
marque de distribution, dans un emballage économique et sans aucune recherche de séduction ». Dans une
affaire de 1980 (CA Paris, 6 octobre 1980 : Ann., 1981, p. 28), la marque « Produit sincère » a été jugée
trompeuse indépendamment des produits marqués, parce qu’elle aurait induit le consommateur à penser que les
qualités desdits produits auraient été meilleures que celles des produits des concurrents.
24
Cf. MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives, op. cit, p. 189 : « Une marque, apparemment
valable lors du dépôt peut, en effet, s’avérer déceptive au bout d’un certain temps. Si l’usage fait apparaitre le
caractère trompeur d’une marque, elle tombe sous le coup de l’article 12 de la directive […] ».
Dans le même sens aussi HUMBLOT (B.), « Marques trompeuses : la CJCE au milieu du gué », RLDI, novembre
2006, n. 21, p. 8 : « [L]ors de l’enregistrement, ce n’est pas une marque qui est examinée, mais – par principe –
un projet de marque. L’installation du signe dans la pratique sociale, les conditions de son emploi, l’effectivité
ou non de son usage sont indifférents » ; LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque : transformation de la
marque en « res nullius » », J.-Cl. « Marques – Dessins et modèles », fasc. 7405-2, à jour au 13 avril 2014, p.
40 ; PASSA (J.), Droit de la propriété industrielle, L.G.D.J., 2009, n. 230, p. 274 ; BASIRE (Y.), Les fonctions de
la marque. Essai sur la cohérence du régime juridique d’un signe distinctif, LexisNexis, 2015, n. 664, p. 500 : «
Dans le cadre du refus ou de l’annulation de l’enregistrement, le caractère trompeur est apprécié in abstracto,
9
marque telle que déposée (vice qui affecte la marque ab initio). De son côté, la déchéance
s’apprécie en considération du contexte d’exploitation de la marque ».25
Une telle lecture, que l’on peut qualifier de moderne, aurait pour conséquence de rendre la
nullité de la marque une sanction très rare, alors que la déchéance serait la sanction
habituelle : « [U]n pan entier des utilités accordées à la disposition sanctionnant la déceptivité
intrinsèque du dépôt par la nullité, doit basculer dans le giron de la disposition sanctionnant la
déceptivité des usages de la marque par la déchéance. Au terme de ce renversement, ce n’est
plus sur « l’espace » dévolu à l’article L. 714-6 que l’on devra s’interroger, mais sur celui
restant à l’article L. 711-3 ».26
Cela est dû à un constat : les déposants vont demander l’enregistrement des marques de
façon génériques, souvent en faisant référence à la classe ou aux classes des produits ou
services à marquer27
: « Les produits ou services énumérés dans la demande d’enregistrement
le sont souvent de façon abstraite et générique, sans indication précise sur leurs
caractéristiques propres ».28
On dépose une marque pour des vêtements, et non pas pour des
pulls en laine. Par conséquent, il serait très rare de pouvoir apprécier la déceptivité d’une
marque en se référant aux catégories de produits ou services pour lesquelles elle est
enregistrée
La déchéance, au contraire, aurait vocation à s’appliquer plus fréquemment, puisque les
dispositions pertinentes se réfèrent expressément à l’usage de la marque. Selon le texte italien,
notamment, la tromperie se produit « à cause de la façon ou du contexte dans lequel [la
marque] est utilisée ».
L’introduction même de la déchéance aurait été nécessaire pour éviter de sanctionner avec
la nullité ab initio (ou avec le refus de renouvellement) les marques révélées trompeuses par
leur usage, comme le faisaient les juges français et italiens en l’absence d’un texte plus
c’est-à-dire, non pas en fonction de l’usage qui en est fait, mais uniquement au regard des produits ou services
désignés dans l’enregistrement ».
Les deux derniers auteurs s’appuient sur l’appréciation que la jurisprudence communautaire fait du caractère
illicite de la marque et transposent le même raisonnement au caractère trompeur (Cf. TPICE, 13 septembre 2005,
affaire Sportwetten (T-140/02), §28 ; TPICE, 9 avril 2003, affaire Durferrit (T-224/01), §76). Cette démarche est
critiquable, dans la mesure où c’est l’exploitation de la marque qui en révèle souvent la déceptivité intrinsèque
dont les germes étaient présents dès l’enregistrement (infra, passim). En revanche, s’agissant de l’illicéité du
signe, une appréciation in abstracto sera dans la grande majorité des cas suffisante. L’exclusion de la prise en
compte de l’usage in concreto de la marque pour en apprécier la validité est d’ailleurs souvent justifiée en
réservant cette prise en compte à la sanction de la déchéance. S’agissant de l’illicéité, pourtant, aucune déhanche
n’est prévue par le Législateur : il faut en déduire qu’en tout état de cause l’usage in concreto d’une marque
n’aurait pas de véritable incidence sur la licéité de la marque. Celle-ci étant une différence importante par
rapport à la déceptivité de la marque, le parallèle entre les deux catégories de sanction doit être évité.
25
LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque », précité, p. 40.
26
HUMBLOT (B.), « Marques trompeuses : la CJCE au milieu du gué », précité, p. 10.
27
GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 63.
28
PASSA (J.), Droit de la propriété industrielle, op. cit., n. 230, p. 273.
10
approprié. Cette pratique jurisprudentielle était fondée, selon la doctrine "moderne", sur des «
véritables erreurs de droit », bien que « compréhensibles ».29
La déchéance aurait ainsi permis
d’arrêter de commettre ce type d’erreurs.
Cette interprétation a parfois été expressément adoptée par la jurisprudence. Dans les
années 1970 déjà,30
la Corte di Cassazione italienne estimait que « [l]’aptitude à induire en
erreur […] doit résider dans l’intrinsèque des éléments constitutifs de la marque, la norme
[sur la nullité] ayant égard à l’objet de la marque […]»31
et que « l’usage de mots, figures, ou
signes […] susceptibles d’induire en erreur dans le choix des produits […] doit être
considérée par rapport au signes en soi et non pas aux produits ou à la façon d’utilisation de la
marque […], c’est-à-dire à l’intrinsèque des éléments constitutifs de la marque ».32
Plus récemment, dans une affaire portant sur la marque « Premier sur le matin », la Cour
d’appel de Paris a énoncé que « peu importe le contexte factuel dans lequel la marque a été
déposée puisque […] le caractère déceptif d’une marque doit être apprécié en considération de
la marque en elle-même, indépendamment du contexte et de l’usage qui en est fait ».33
Il s’agit d’un arrêt ensuite confirmé par la Cour de cassation,34
dans lequel une partie de la
doctrine française a voulu voire la consécration d’une interprétation moderne de la déceptivité
de la marque.35
Cette vision est critiquable puisque dans la même affaire la Cour d’appel a bien pris en
considération des éléments relatifs à l’exploitation in concreto que la société titulaire de la
marque en a fait suite à l’enregistrement. En l’espèce, en effet, « la marque Premier sur le
matin, en ce qu'elle désigne des émissions radiophoniques, est de nature à faire accroire aux
29
GHIDINI (G.) et GUTIERREZ (B. M.), « Marchio decettivo e uso decettivo del marchio », précité, p. 130.
30
Mais à l’avis d’une partie de la doctrine il s’agit d’un arrêt d’espèce, trop conditionné par des faits particuliers
et irrépétibles. En ce sens, BARBUTO (M.), « Marchio ingannevole ed uso ingannevole del marchio », Segni e
forme distintive. La nuova disciplina, 2001, p. 127.
En tout état de cause, le même principe a ensuite été repris par la même juridiction dans l’affaire Cotonelle (C.
Cass., 9 avril 1996, n. 3276 : Foro. it, 1996, vol. 119, n. 5, p. 1605).
31
« L’attitudine a trarre comunque in inganno (art. 18, n. 5 r.d. cit.) deve risiedere nell’intrinseco degli elementi
costitutivi del marchio avendo riguardo la previsione della norma citata all’oggetto del brevetto che, nella
disciplina legislativa, è distinta dall’uso del marchio diretto “comunque” a trarre in inganno nella scelta dei
prodotti (art. 11 l.m.) » (C. Cass., 31 mars 1972, n. 1023 : Giur. ann. dir. ind, 6).
32
« [L’]uso di parole, figure, o segni comunque atte a trarre in inganno nella scelta dei prodotti (art. 18 n. 5 l.m.)
deve essere riguardato con riferimento ai segni in sé e non ai prodotti o al modo dell’uso del marchio (art. 11
l.m.) e, cioè, all’intrinseco degli elementi costitutivi del marchio » (ibidem).
33
CA Paris, 19 octobre 2005, n. 04/19319 : JurisData n. 2005-284133 ; Propr. industr., 2006, comm. 3,
TREFIGNY (P.) ; Propr. intell., 2006, p. 217, obs. BUFFET DELMAS (X.) ; ivi, n. 96, p. 42, note RAYMOND (G.)
34
Cass. com., 2 mai 2007, n. 05-22.029 : JurisData n. 2007-038852, Gaz. Pal., 2008, p. 2003, note STAEFFEN
(V.), Propr. intell., 2006, n. 96, p. 42, note RAYMOND (G.).
35
PASSA (J.), Droit de la propriété industrielle, op. cit., n. 230, p. 275 ; LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la
marque », précité, p. 40.
11
auditeurs que la station Skyrock […] est la station la plus écoutée sur la tranche horaire du
matin, alors qu'il résulte des études […] versées aux débats, que tel n'est pas le cas […] ».36
Or, il est clair que le succès commercial de l’émission ne pouvait pas s’apprécier en
considérant le service désigné par la marque tel que décrit dans l’acte de dépôt. En effet, «
[s’]'agissant de services, dans la mesure où il est malaisé d'en apprécier lors du dépôt la
qualité, on voit mal comment une marque pourrait être considérée à ce stade comme
trompeuse sur la qualité des services désignés. En revanche, il est permis de penser qu’une
marque de services qui se révèle, à l’usage, déceptive sur ce point, peut faire l’objet d’une
action en déchéance ».37
Pourtant il s’avère que la Cour d’appel – et la Cour de cassation ensuite - appliquent la
nullité, et non pas la déchéance, à une hypothèse de déceptivité révélée par l’usage de la
marque. Par conséquent, les propos de ces décisions sont contraires à ceux qu’une partie de la
doctrine leur a attribués.38
Revenons donc à nos moutons : force est en effet de constater que – nonobstant les
affirmations de principe de la jurisprudence italienne et de la doctrine - même après la
transposition de la directive, en France comme en Italie, les juges ont souvent continué à
s’appuyer sur l’utilisation in concreto de la marque pour en relever la nullité dès
l’enregistrement.
Comme est obligé de remarquer un auteur, « une certaine ambiguïté doit en effet être
révélée sur ce thème. Ceci est probablement le résultat de l’amalgame qui existait sous
l’emprise de la loi de 1964 lorsque le motif de déchéance pour cause de déceptivité n’existait
encore ».39
Ainsi, en cas d’une marque révélée trompeuse par son exploitation, c’est la nullité,
et non pas la déchéance, qui reste pour l’instant la sanction privilégiée par la jurisprudence.40
36
CA Paris, 19 octobre 2005, precité.
37
MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables », J.-Cl. «
Marques – Dessins et modèles », fasc. 7115, à jour au 16 septembre 2013, p. 24.
38
Comment interpréter alors le passage cité ? De toute évidence, il faut donner aux termes « contexte et usage »
de la marque une signification différente de celle proposée par certains commentateurs. A notre sens ces
décisions doivent être interprétées en ce sens qu’il faut s’abstenir de la prise en compte d’éléments extrinsèques à
la signification littérale du signe pour en apprécier le caractère déceptif. On s’attardera sur ces aspects lorsqu’on
se demandera si la déceptivité survenue de la marque peut résulter de sa présentation (infra, Ch. II, Sect. II, §II,
A).
39
LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque », précité, p. 40.
40
On se limitera à rappeler certaines affaires postérieures à la Directive 89/104 ayant suivi une approche
"classique".
Quant à l’expérience française : Cass. com., 2 mai 2007, précité ; Cass. com., 30 novembre 2004, n. 02-13.561 :
JurisData n. 2004-025929, Bull. civ., 2004, IV, n. 208, p. 234 ; CA Metz, 28 février 2012, n. 09/03758 : PIBD,
2012, n. 963, III, p. 385 ; TGI Paris, 14 octobre 2007, n. 06/08250 ; TGI Paris, 6 juin 2007, n. 05/6891 ; CA
Paris, 9 février 2000 : PIBD, 2000, n. 699, III, p. 287 ; CA Paris, 17 septembre 1999 : PIBD, 1999, n. 689, III, p.
17.
12
De plus, la Cour de justice de l’Union européenne a elle aussi adopté une approche
classique à la question, dans une affaire que l’on va analyser plus amplement (infra, Ch. II,
Sect. I, §II, A2).41
La Cour a en effet suivi les conclusions présentées par l’avocat général, selon lesquelles,
pour annuler l’enregistrement d’une marque, « le signe doit induire le public en erreur du fait
de ses qualités, car il contient une information erronée qui peut s'avérer trompeuse d'un point
de vue objectif, à savoir provoquer cette tromperie dans tout cas d'utilisation raisonnablement
imaginable ».42
Des lors, la Cour a mis en débat des éléments totalement étrangers aux
informations exigées et examinées lors du dépôt de la marque pour en apprécier la validité.43
C’est pourquoi – pour distinguer entre déceptivité en tant que cause de nullité et
déceptivité en tant que cause de déchéance - on a fait le choix de suivre l’interprétation que
l’on peut appeler "classique", par opposition à l’interprétation "moderne".44
Finalement, il semble alors que le critère pour savoir si la déceptivité est cause de nullité
ou de déchéance est de se demander s’il y a eu une exploitation de la marque, postérieure à
l’enregistrement, qui n’a révélé aucun caractère trompeur de ladite marque.45
Si un tel usage
"véridique" a eu lieu, mais la situation a changé et la marque est devenue trompeuse dans un
deuxième temps, alors son titulaire est susceptible d’encourir la déchéance de son droit.
Comme on l’a déjà souligné, en effet, « le terme « devenue » ne peut se comprendre que
comme une évolution intervenue après l’enregistrement de la marque : un début
d’exploitation non déceptif suivi d’une modification des conditions d’exploitation conduisant
à rendre le signe déceptif ».46
Quant à l’expérience italienne : C. Cass. 13 mars 2009, n. 6234 : Giur. ann. dir. ind., p. 6348 ; Tribunale di
Torino, 9 décembre 2004 : Giur. ann. dir. ind,, 2004, p. 484, Giur. it., 2006, p. 1408, note LUCIFERO (N.), Giur.
comm., 2007, II, p. 490, obs. SARACENO (A.).; Corte d’appello di Milano, 1 octobre 1993, Riv. dir. ind., 1994, II,
p. 5.
41
CJCE, 30 mars 2006, affaire Emanuel (C-259/04) : RTD com., 2007, p. 341, note AZÉMA (J.) ; D., 2006, p.
2109, note PORACCHIA (D.) et MAETZ (C.-A.) ; D., 2006, p. 1455, note DALEAU (J.) ; RLDI, 2006, p. 6, comm.
HUMBLOT (B.).
42
Conclusions de l’AG COLOMER (D. R.-J.), présentées le 19 janvier 2006, affaire C-259/04, §57. Soulignement
ajouté.
43
HUMBLOT (B.), « Marques trompeuses : la CJCE au milieu du gué », précité, p. 8.
En l’espèce, il s’agissait de la présence ou non dans l’entreprise du déposant de la couturière dont le patronyme
constituait la marque.
44
On peut apparenter à la doctrine "classique", en France, BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue
déceptive », précité p. 186 ; en Italie, GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit, p. 60 et ss.
45
BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 186.
46
LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque », précité, p. 40. L’affirmation nous parait pourtant
contradictoire si on prend en considération sa source, dans la mesure où l’auteur cité adopte une conception
"moderne" de la distinction entre déceptivité en tant que cause de nullité et déceptivité en tant que cause de
déchéance.
13
Il s’agit donc tout simplement d’un critère chronologique, qui ne fait que confirmer notre
postulat de départ quant à l’unité de le la notion et de l’appréciation de la déceptivité. Ce
postulat a d’ailleurs été expressément confirmé par la Cour de justice dans l’affaire
susmentionnée : « les conditions de la déchéance […] [sont] identiques à celles du refus
d'enregistrement »47
et, par conséquent, à celle de la nullité aussi.
On ne manquera pas de souligner, par ailleurs, que les requérants demandent – le plus
souvent - à la fois la sanction de la nullité de la marque et celle de la déchéance.48
De toute
évidence ce phénomène est dû, au moins en partie, aux incertitudes interprétatives quant à la
frontière entre la déceptivité en tant que cause de nullité et la déceptivité en tant que cause de
déchéance.
Cela dit, les conséquences de la déchéance de la marque sont radicalement différentes des
conséquences de la nullité. C’est pourquoi, lorsqu’on étudiera les effets de la déchéance il
conviendra de justifier l’opportunité du choix d’une exégèse "classique" des textes (infra, Ch.
III, Sect. II, §II).
B – La prise en compte du public de la marque
Toute déceptivité s’apprécie par rapport à un public. On demande au juge de vérifier si le
public peut vraisemblablement être trompé par la marque en question. On rappellera donc très
brièvement comment les interprètes apprécient la déceptivité d’une marque, qu’elle soit
originaire ou survenue.
Le public est composé par les consommateurs du produit ou par les usagers du service
marqué. Ainsi, « l’éventualité d’une erreur de l’acheteur est appréciée par le juge en fonction
du type de clientèle auquel le produit ou le service est destiné, et en fonction des réactions que
l’on suppose être celles de la plupart des consommateurs ».49
Lorsqu’il s’agit de produits
destinés à un public spécialisé, le consommateur sera donc averti.50
Lorsque la marque n’a de
47
CJCE, 30 mars 2006, affaire Emanuel, précité, §53.
48
BARBIER (P.-H), LALOST (R.) et GRISON (C.), « La déchéance de la marque. Etude réalisée par le service de
documentation, d’études et du rapport, bureau chargé du suivi du contentieux de la chambre commerciale de la
Cour de cassation », Bull. inf. Cour. cass., 2010, n. 723, p. 12.
49
MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables », précité, p.
20.
50
Par exemple la marque « ATP advantage », déposée pour des compléments nutritionnels a été considéré
trompeuse « pour des sportifs, dont les culturistes » (TGI Paris, 28 novembre 2008, inédit).
14
signification que pour une partie des consommateurs, c’est pour ces consommateurs qu’il faut
se demander si un risque de tromperie existe.51
Un aspect plus intéressant touche au public concerné d’un point de vue géographique. Il
s’agit d’abord de savoir quel est le public intéressé en cas de marque d’exportation : celui de
la zone qui correspond à la territorialité du titre ou aussi le public d’autres territoires, et
notamment celui du territoire de destination ?
La réponse parait assez évidente, puisque « [l]a situation des consommateurs à l’étranger
sera […] beaucoup plus efficacement traitée par une déchéance du droit de la marque dans
leur pays ».52
Pourtant il faut signaler que, dans une affaire portant sur une marque enregistrée
en France pour des produits exportés au Moyen Orient, la Cour d’appel de Paris a bien connu
d’un litige portant sur la tromperie du public étranger, en rejetant la déchéance pour
insuffisance de la preuve.53
Dans l’hypothèse où une marque enregistrée sur base nationale est utilisée pour des
produits exportés dans le territoire d’un autre Etat membre de l’UE, on pourrait ensuite se
demander si une interdiction d’importation serait légitime lorsque la marque est trompeuse
pour le public de destination. Sur ce point, la Cour de Justice a en effet énoncé à plusieurs
occasions que l’interdiction d’importation, si elle est possible, doit également être nécessaire à
protéger les consommateurs contre un risque de tromperie « suffisamment grave » et que, en
tout état de cause, la mesure doit être proportionnée à l’objectif poursuivi.54
Les problèmes s’intensifient lorsqu’on est en présence d’une marque communautaire. Quel
est le public concerné ? Suffit-il que la marque soit déceptive sur une moindre partie du
territoire de l’Union Européenne – un Etat peut être ? - pour qu’elle soit susceptible d’être
déclarée nulle ou d’entrainer la déchéance ?
Sur cette question, l’art. 7 al. 2 RMC prévoit expressément que l’enregistrement d’une
marque est refusé « même si les motifs de refus n'existent que dans une partie de la
Communauté ». Une interprétation cohérente et systémique impose donc d’appliquer le même
raisonnement aux motifs (de nullité et) de déchéance tels que la déceptivité de la marque, car
on a postulé une symétrie entre déceptivité en tant que cause d’invalidité de la marque et
déceptivité en tant que cause de déchéance.
51
Ainsi une marque écrite en caractère cyrilliques s’adresse à un public qui comprend ces caractères et peut être
déceptive pour ce public (CA Paris, 25 avril 2007, n. 06/03001 : JurisData n. 2007-347615).
52
BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 184.
53
TGI Brest, 26 janvier 2000 : PIBD, 2001, III, p. 11.
54
Cf. CJCE, 2 février 1994, affaire Clinique (C-315/92) ; CJCE, 26 novembre 1996, affaire Cotonelle (C-
313/94).
15
Une application rigoureuse de ce principe d’unité conduirait donc à interdire la possibilité
d’obtenir un enregistrement valable et durable même dans les cas où la marque n’est
déceptive que dans un seul Etat - voire dans une partie d’un Etat - où la marque ne sera peut-
être jamais exploitée.
C’est ce qui se passe, depuis longtemps, dans les systèmes ayant une tradition de
plurilinguisme, tels que le Benelux ou la Suisse. Pourtant, force est de constater qu’il existe
une différence entre un système ayant 3 ou 4 langues officielles et un système qui en a 24 !
Dans un organisme comme celui de l’Union Européenne, le risque d’enregistrer de bonne foi
une marque ayant une signification trompeuse dans une langue peu ou très peu parlée est
beaucoup plus important.
L’équilibre entre ces deux exigences n’est donc pas simple à trouver. La doctrine estime
qu’il serait souhaitable d’introduire un tempérament au principe d’unité dans l’appréciation
du caractère trompeur de la marque.55
Pourtant, cette doctrine ne se prononce pas sur la
méthode par laquelle appliquer ce tempérament.
Faudrait-il limiter l’application du principe d’unité aux langues (rectius, aux grilles de
lecture sémantiques) suffisamment diffusées sur le territoire de l’UE ? Si on adoptait cette
solution, comment établir alors l’étendue de ce qui est suffisamment diffusé ? De plus, une
telle solution serait – en principe - susceptible de donner lieu à des abus, dans la mesure où
l’obtention d’un droit de marque pourrait en favoriser l’exploitation là où le signe est
effectivement trompeur.
A notre sens, il suffit de pousser les réflexions formulées jusqu’ici pour proposer une
solution au problème. En effet, on a vu que la jurisprudence n’hésite pas à prendre en
considération l’usage concret de la marque pour en établir le caractère trompeur, sans
distinguer selon qu’il s’agit d’apprécier ce caractère au stade de la naissance du droit ou à
celui de son exploitation. Ainsi, même pour la détermination du public pertinent, il serait
cohérent de considérer l’exploitation in concreto de la marque communautaire pour établir
quel est le public susceptible d’être trompé.
La sanction serait alors soit la nullité ab initio soit la déchéance de la marque : le choix
entre les deux options devrait se faire en se demandant s’il y a eu une première exploitation de
la marque n’ayant pas atteint un public susceptible d’être induit en erreur par le signe.
55
GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 42.
16
Section II – La limitation par l’exigence de caractère arbitraire des cas de déchéance de
la marque devenue trompeuse
Il convient maintenant d’analyser les rapports théoriques entre marques déceptives et
marques dépourvues de caractère arbitraire (§I) ; on s’intéressera ensuite aux cas de figure
dans lesquels une marque non arbitraire a pu être valablement enregistrée, devenant ainsi
potentiellement susceptible d’encourir la déchéance du droit pour déceptivité survenue (§II).
§I – Le rapport entre déceptivité et absence de caractère arbitraire de la marque
Une fois établie la parfaite confusion entre la déceptivité au moment de la naissance de la
marque et la déceptivité au cours de sa vie, il convient de se demander quel est le rapport
entre l’exigence de non déceptivité (au moment de la genèse de la marque tout comme
successivement) et l’exigence de caractère arbitraire du signe.
On rappellera brièvement que, par exigence de caractère arbitraire de la marque, il faut
entendre la nécessité que le signe choisi ne contienne per se aucun aspect de liaison avec le
produit ou service désigné ; il s’agit d’exclure tout lien sémantique entre la marque et les
produits et services pour lesquelles elle est enregistrée.
Ainsi, l’art. 3, al. 1, DM et - de façon identique - l’art. 7, al. 1 RMC, prévoient que sont
refusées à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarés nulles si enregistrées « les
marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le
commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la
provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du
service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci » et «les marques qui sont composées
exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les
habitudes loyales et constantes du commerce ».
L’art. L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle français adopte par ailleurs une
quadripartition et précise que, outre les signes composés par des "indications descriptives",56
sont invalides « [l]es signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel,
56
Cf. art. L711-2 al. 1, qui prévoit la nullité des «signes ou dénominations pouvant servir à désigner une
caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la
provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ».
De la même manière, le Code de la propriété industrielle italien à son art. 13, al. 1, b), prévoit que « [n]on
possono costituire oggetto di registrazione come marchio d'impresa i segni […] costituiti esclusivamente […] da
indicazioni descrittive che ad essi si riferiscono, come i segni che in commercio possono servire a designare la
specie, la qualità, la quantità, la destinazione, il valore, la provenienza geografica ovvero l'epoca di fabbricazione
del prodotto o della prestazione del servizio o altre caratteristiche del prodotto o servizio ».
17
sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ».
Une disposition analogue est présente en droit italien.57
Il s’agit d’une précision qui est
absente dans les textes européens, mais qui découle logiquement de l’invalidité des marques
usuelles lato sensu et qui ne présente aucun intérêt pratique.58
Il faut alors se demander quelle est la relation entre la marque dépourvue de caractère
arbitraire (ci-après appelée par simplicité aussi marque descriptive59
) et la marque déceptive.
A priori, on serait tenté d’affirmer que toute marque trompeuse est nécessairement une
marque descriptive. En effet, pour que le public soit induit en erreur, il devrait y avoir un
aspect de description du produit ou service marqué qui sert d’élément trompeur60
; une
indication sur son espèce, qualité, quantité, provenance, etc. qui se révèle être fausse et qui
trompe ainsi le consommateur. La marque trompeuse ne serait qu’une sous-catégorie de la
marque descriptive. Ainsi, serait par exemple dépourvue d’arbitraire la marque « Dorée »
pour des montres en laiton.
Cette lecture doit pourtant être écartée. En effet, on peut très bien envisager des cas de
marques trompeuses qui ne sont pas pour autant descriptives. Il s’agit de marques
extrinsèquement trompeuses, susceptibles de tromper le consommateur sans que cette
tromperie passe par une « désignation » au sens des articles 3, al. 1, c) DM et 7, al. 1, c) RMC
(infra, Ch. II, Sect. II).
La marque trompeuse est donc une catégorie juridique qui peut se superposer à celle de la
marque descriptive, mais qui a également un espace indépendant et autonome. On verra,
cependant, que les sanctions portant sur l’existence du titre n’intéressent que les marques
trompeuses et descriptives, c’est-à-dire les marques intrinsèquement trompeuses. Ainsi, seule
l’exploitation d’un signe dont la signification intrinsèque est propre à tromper sur les
caractéristiques des produits ou services désignés pourra notamment entrainer la déchéance du
droit de marque.
Quel est donc l’intérêt de prévoir la sanction de l’invalidité pour les marques
trompeuses en question ? Pourquoi le Législateur européen a introduit une sanction autonome
pour la déceptivité de la marque, alors que la marque trompeuse est forcément une marque
57
Cf. art. 13, al. 1, b), Code de la propriété industrielle italien: «Non possono costituire oggetto di registrazione
come marchio d'impresa i segni […] costituiti esclusivamente dalle denominazioni generiche di prodotti o servizi
[…].
58
BOUVEL (A.), Le principe de spécialité dans le droit des signes distinctif – contribution à l’étude de la liberté
du commerce et de l’industrie, Thèse Paris II, 2002, dir. BONET (G.), n. 185.
59
La doctrine italienne adopte souvent cette terminologie pour désigner toute marque dénuée de caractère
arbitraire. Il s’agit, de toute évidence, d’une descriptivité au sens large du terme.
60
SENA (G.), Il nuovo diritto dei marchi. Marchio nazionale e comunitario, Giuffré, 2007, p. 45 et 102.
18
dépourvue de caractère arbitraire et, par conséquent, déjà susceptible d’entrainer l’invalidité
du titre ?
Une première réponse consiste à dire que la marque trompeuse ne pourrait jamais être une
sous-catégorie de marque descriptive mais, au contraire, constituerait une catégorie juridique
diamétralement opposée. Ainsi, il est tout à fait possible de soutenir que la marque n’est
descriptive que lorsque les caractéristiques qu’elle décrit correspondent effectivement à celles
des produits ou services pour lequel son titulaire l’a enregistrée (ou en demande
l’enregistrement). Par opposition, la marque déceptive serait la marque désignant des
caractéristiques qui ne correspondent pas à celles du produit ou service marqué. Une marque
contenant des indications sur les caractéristiques du produit ou service serait donc soit
dépourvue d’arbitraire soit trompeuse : les deux possibilités étant alternatives, il serait
nécessaire de prévoir des sanctions autonomes pour chacune d’elles. 61
Cette lecture, qui n’est pas nécessairement fausse, est néanmoins insuffisante pour
expliquer la prévision d’une sanction autonome pour la marque déceptive. Pour s’en rendre
compte il suffit de considérer l’hypothèse de la déceptivité survenue de la marque.
Quelle serait l’utilité de sanctionner un tel cas de figure ? Par hypothèse, on considère ici
que la marque déceptive n’est pas descriptive. Pour autant une marque susceptible d’entrainer
la déchéance pour déceptivité a nécessairement été, au moment de la demande
d’enregistrement, descriptive. Cela parce que, comme anticipé, seules les marques
intrinsèquement trompeuses peuvent entrainer la sanction de la déchéance. La possibilité de
révoquer le droit sur un signe devenu déceptif se relèverait ainsi redondante, car l’invalidité
de la marque descriptive suffirait pour empêcher ab initio la naissance d’une telle marque.62
En réalité, la marque intrinsèquement déceptive peut parfaitement être considérée une
sous-catégorie de la marque dépourvue d’arbitraire. La sanction autonome des marques
déceptives doit en effet se justifier par un constat : toute marque descriptive n’est pas invalide.
On admet la validité et la pérennité de certaines marques ayant un lien sémantique avec les
produits ou services désignés.
61
Cf. BONET (G.) et BOUVEL (A.) «Distinctivité du signe », J.-Cl. « Marques – Dessins et modèles », fasc. 7112,
à jour au 16 avril 2013, n. 18 : « Dans un certain nombre de décisions, les juges invalident la marque parce
qu'elle n'est pas distinctive, en précisant que, s'ils l'avaient estimée distinctive elle aurait été jugée déceptive,
donc annulable de toute façon ».
62
La possibilité de faire application de la déchéance serait très réduite et concrètement inexistante. Seulement en
cas de changement de la signification du signe (infra, Ch. II, Sect. I, §I) la marque pourraient en effet échapper à
la sanction de l’invalidité pour absence de caractère arbitraire : le Législateur n’a pas envisagé, dans ce cas, une
sanction générale ayant vocation à réprimer toute descriptivité survenue de la marque, seules les signes devenus
génériques par le fait de leur titulaire étant susceptibles d’entrainer la déchéance du titulaire de son droit.
19
§II - Les marques dépourvues de caractère arbitraire susceptibles d’encourir la déchéance
du droit
C’est d’abord la lecture des textes qui nous révèle que seule la marque exclusivement
dénuée d’arbitraire est tachée d’invalidité. A contrario, une marque qui n’est que
partiellement dépourvue de caractère arbitraire est bien valable. C’est le cas des marques dites
complexes, qui se composeraient d’un élément descriptif et d’un élément arbitraire. Ainsi, la
marque « XYZ Cola » pour des sodas de type cola serait considérée valable.63
Un deuxième cas de marque dénuée d’arbitraire dont la validité est admise par le(s)
Législateur(s) est celui de la marque patronymique. S’agissant de cette catégorie de marques,
force est de constater qu’il s’agit bien de marques descriptives. En effet, ce type de marque
correspond souvent au patronyme d’une personne réelle et cette personne sera, en règle
générale, économiquement liée au produit ou service marqué (en tant que patron de la maison
de production, en tant que créateur du produit, etc.).
Dans ces cas de figure, on est bien en présence de marques qui décrivent l’origine des
produits ou services marqués. Cependant leur validité est expressément admise par l’art. L.
711-1 al. 2 CPI.64
Une disposition semblable est absente dans les textes européens ainsi qu’en
droit italien, mais elle découle des principes généraux du droit. Le principe est le droit
d’exercer le commerce sous son nom : « toute personne a la liberté d’utiliser son nom
patronymique à titre de signe distinctif ».65
Aucun problème ne se pose quant à la liberté de concurrence, vu qu’a priori le nom
patronymique identifie un sujet précis et n’empêche en rien les concurrents de conduire leurs
affaires sous leurs patronymes respectifs. Des problèmes quant à la véridicité du signe
peuvent cependant se poser lorsque, suite au transfert de la marque, le titulaire du nom perd
son lien avec l’exploitation du titre (infra, Ch. II, Sect. I, §II, A2).
Un troisième groupe de marques descriptives dont la validité est admise est celui des
marques dites évocatrices. La marque évocatrice est « un signe exclusivement ou presque
composé d’éléments ayant un lien avec la spécialité, mais qui est néanmoins valable dans la
63
Cf. BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », Légicom, 2010, I, n.
44, p. 30.
64
« La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique
servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale.
Peuvent notamment constituer un tel signe […] [l]es dénominations sous toutes les formes telles que […] noms
patronymiques et géographiques […] ».
65
LOISEAU (G.), Le nom objet d’un contrat, LGDJ, 1997, p. 121.
20
mesure où ce lien est judicieux et subtil ».66
Or, cette marque est par définition dénuée
d’arbitraire puisque « tous ou presque tous les éléments entrant dans sa composition sont liés
plus ou moins immédiatement au produit ou au service qu’elle désigne ».67
Il s’agit dans ce cas d’une possibilité d’origine prétorienne, avalisée par la jurisprudence de
la Cour de Justice de l’Union Européenne au cours des dernières décennies. Cette exception à
l’exigence de caractère arbitraire, consacrée en l’absence de toute base légale, a fait l’objet de
nombreuses critiques doctrinales, puisque « il n’est pas rare de voir qualifiées d’évocatrices
des marques évoquant leur spécialité avec une subtilité toute discutable ».68
Suite à une plus grande ouverture en la matière,69
la Cour de Justice a finalement été
obligée de modérer ses propos. Ainsi, il faut désormais que la marque évocatrice crée une
« impression suffisamment éloignée » de celle que donnerait une indication purement
descriptive.70
Aujourd’hui, la possibilité d’enregistrer valablement une marquée évocatrice
parait donc un objectif plus difficile à atteindre qu’auparavant, mais toujours bien possible.
D’ailleurs, « l’exigence d’un caractère arbitraire n’en reste pas moins très subjective ».71
Un quatrième cas de marque dénuée d’arbitraire susceptible d’encourir la déchéance est
celui de la marque ayant acquis un secondary meaning. Il s’agit, dans ce cas, d’une marque
(extrinsèquement) non distinctive qui a pourtant acquis une distinctivité (intrinsèque) suite à
l’usage qui en a été fait. Le Législateur européen admet, en effet, la validité et la pérennité
d’un signe qui, initialement, n’était pas perçu à titre de marque mais qui l’est devenu dans un
deuxième temps.72
Ainsi, par exemple, « une marque composée d’éléments descriptifs peut
être distinctive en soi si le mot est entré dans le langage courant ».73
66
BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », précité, p. 29.
67
BONET (G.) et BOUVEL (A.) «Distinctivité du signe », précité, n. 44.
68
BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », précité, p. 29.
69
Cf. CJCE, 20 septembre 2001, affaire Baby Dry (C-383/99), §40 : « Tout écart perceptible dans la formulation
du syntagme proposé à l'enregistrement par rapport à la terminologie employée, dans le langage courant de la
catégorie de consommateurs concernée, pour désigner le produit ou le service ou leurs caractéristiques
essentielles est propre à conférer à ce syntagme un caractère distinctif lui permettant d'être enregistré comme
marque ».
70
Cf. CJCE, 25 février 2012, affaire Color Edition (C‑408/08), §62 : « [U]ne marque constituée d’un mot
composé d’éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels
l’enregistrement est demandé est elle-même descriptive desdites caractéristiques, sauf s’il existe un écart
perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose que, en raison du
caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression
suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le
composent, en sorte qu’il prime la somme desdits éléments ».
71
BOUVEL (A.), « La distinctivité de la marque, un standard en devenir », Légicom, 2014, II, n. 53 p. 34.
72
Cf. art. 7, al. 3, RMC : «Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas
susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1, points b), c) ou d), si, avant la date de la
demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les
États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a
été acquis après la demande d’enregistrement ; art. 3, al. 3, DM : « Une marque n’est pas refusée à
21
Dans ces hypothèses, à côté de sa nouvelle acception, le signe garde sa première
signification dans le langage courant et reste donc dénué de caractère arbitraire. Dès lors, le
signe pourrait devenir trompeur dans la mesure où les conditions d’exploitation de la marque
contrediraient sa signification originaire.74
Un cinquième et dernière cas est enfin celui du signe devenu une désignation usuelle pour
des raisons indépendantes de la volonté du titulaire du droit de marque. Comme on l’a vu
dans l’introduction de ce travail, en effet, s’expose à la déchéance pour dégénérescence
seulement le titulaire d’une marque « devenue, par le fait de [son] activité ou de [son]
inactivité […], la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour
lequel elle est enregistrée ».75
Par conséquent, si une marque a perdu son caractère arbitraire en dépit des diligences de
son titulaire, il convient de traiter cette marque comme toute autre signe lato sensu descriptif.
Ainsi, une fois esquivée une cause de déchéance de la marque, le titulaire du droit deviendra
potentiellement susceptible d’encourir la déchéance pour déceptivité survenue (infra, Ch. II,
Sect. I, §II, B).76
En conclusion, c’est dans un espace relativement réduit que se place déchéance de la
marque devenue trompeuse. Il s’agit d’une sanction qui n’a vocation à s’appliquer qu’aux
marques descriptives ayant passé le test du caractère arbitraire au moment de
l’enregistrement : les marques partiellement dénuées de caractère arbitraire ; les marques
patronymiques77
; les marques évocatrices ; les marques ayant acquis un secondary meaning ;
les marques dégénérées nonobstant l’activité de leurs titulaires.
Il convient d’ailleurs de souligner que la jurisprudence pourrait dans le futur apprécier avec
une plus grande souplesse les conditions de validité de ces catégories de marques, comme la
l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du
paragraphe 1, points b), c) ou d), si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été
fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition
s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après
l’enregistrement » ; ou après l’enregistrement » ; art. L. 711-2, al. 2, CPI : « Le caractère distinctif peut […] être
acquis par l’usage » ; art. 23, al. 2-3, Codice della propriétà industiale : « [P]ossono costituire oggetto di
registrazione come marchio d'impresa i segni che prima della domanda di registrazione, a seguito dell'uso che ne
sia stato fatto, abbiano acquistato carattere distintivo. Il marchio non può essere dichiarato o considerato nullo se
prima della proposizione della domanda o dell'eccezione di nullità, il segno che ne forma oggetto, a seguito
dell'uso che ne è stato fatto, ha acquistato carattere distintivo. ».
73
BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », précité, p. 34, à propos
de l’arrêt CJCE, 8 mai 2008, affaire Eurohypo (C-304/06).
74
SENA (G.), « Veridicità e decettività del marchio », précité, p. 335.
75
Art. 12, al. 2, a) DM et art. 51, al. 1, b) RMC (transposé en droit français par l’art. L. 714-6, al. 1, a) CPI et en
droit italien par l’art. 13, al. 4, Codice di propriétà industriale).
76
GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 123. L’auteure imagine par exemple que la société Bayer utilise
sa marque « Aspirine » pour désigner des produits ne contenant pas d’acide acétylsalicylique.
77
Bien que, pour ce cas de figure, on sera obligé de nuancer nos propos (infra, Ch. II, Sect. I, §II, A2).
22
Cour de justice de l’Union européenne l’a déjà fait pour les marques évocatrices. Dans ce cas
il y aurait – inversement - un plus grand gisement de marques potentiellement susceptibles
d’encourir la sanction de la déchéance pour déceptivité survenue.
23
Chapitre II
–
La survenance de la déceptivité de la marque
Une fois exposé ce qu’il faut entendre par marque trompeuse, il est nécessaire de se
demander comment une marque, initialement non trompeuse, peut le devenir dans un
deuxième temps. Ainsi, une marque peut devenir intrinsèquement trompeuse (Section I) ou
bien extrinsèquement trompeuse (Section I).
Section I - La marque devenue intrinsèquement trompeuse
Toute marque est constituée par un signe dont la signification - et donc le caractère
trompeur - s’apprécie par rapport au "signifié", c’est-à-dire par rapport aux produits et
services marqués. La déceptivité survenue présuppose donc un changement de l’un des deux
éléments de la relation, voire des deux. Ainsi, une marque peut devenir (intrinsèquement)
trompeuse tout d’abord par effet du changement de la teneur sémantique du signe (§I). Mais
la marque peut également devenir trompeuse suite au changement des caractéristiques du
produit ou service marqué (§II).
§I - La déceptivité survenue résultant du changement de la teneur sémantique du signe
Il se peut, à notre sens, que la signification d’un signe - et notamment la signification d’un
mot - change dans deux cas de figure. Soit il s’agit d’un changement de la perception du signe
dû à l’évolution normale de la langue et de la communication dans la société (A) ; soit il s’agit
d’un changement de teneur sémantique causé par l’attribution d’une signification juridique
bien précise au signe (B).
A - La déceptivité résultant du changement de la signification du signe dans le langage
courant
La signification d’un signe, et notamment celle d’un signe verbal, est susceptible de
changer par effet de l’évolution de la langue dans le temps. Il s’en suit qu’une marque
nominale initialement dépourvue de caractère trompeur peut devenir déceptive si les
24
consommateurs, après un certain temps, y attribuent une signification différente de celle
originaire.
La jurisprudence n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur un cas qui entrait
directement dans ce cas de figure. Pourtant, dans une des rares affaires où les juges du fond
italiens ont pu se prononcer sur une demande de déchéance de la marque, on retrouve un
obiter dictum intéressant : « tant les modifications concernant le signe que celles concernant
l’objet […] pourraient compromettre la véridicité du message transmis par la marque et donc
constituer une tromperie. Quant à la modification de la signification du signe, il est considéré
qu’elle est abstraitement toujours possible, étant donné que les règles sémantiques et le
langage peuvent subir des mutations dans le cours du temps ».78
Les juristes qui s’occupent du droit des marques connaissent bien ce phénomène, et
l’étudient souvent sous plusieurs angles.
En effet, il se peut tout d’abord qu’une marque devienne générique : victime de son propre
succès, une marque peut finalement être perçue par le public comme désignant non seulement
les produits marqués, mais aussi les produits similaires qui ne proviennent pas du titulaire de
la marque. Mais il se peut aussi qu’une marque, qui dans un premier moment n’était que
purement descriptive, acquière une signification secondaire dans l’esprit du public et soit
donc perçue dans son rôle distinctif. S’agissant des questions relatives aux marques devenues
déceptives, on reviendra brièvement sur ces types de signes lorsqu’on s’interrogera sur la
possibilité pour le titulaire d’une marque de changer les caractéristiques des produits ou
services marqués (infra, §II, B). Par ailleurs, on y a déjà fait brièvement référence dans la
première partie de ce mémoire (supra, Ch. I, Sect. II, §II).
Plus simplement, la signification d’un mot pourrait changer par effet de la mutation des
usages et des coutumes de la société, sans que l’utilisation de la marque faite par son titulaire
joue un rôle direct dans ce changement de signification. On peut penser par exemple à la
démocratisation des mots anglais dans la langue courante, aux néologismes, à l’attribution de
nouvelles nuances sémantiques à la signification originaire d’un mot, et cætera desunt.79
Ainsi, pour ne faire qu’un exemple, au début des années 1990 la doctrine française
remarquait que « les termes "Euro" et "Europe" […] [avaient] acquis, ces dernières années un
78
« [T]anto le modifiche riguardanti il segno quanto le modifiche riguardanti l’oggetto, e cioè appunto i prodotti
o i servizi che il marchio contraddistingue potrebbero compromettere la veridicità del messaggio trasmesso dal
marchio e quindi integrare una fattispecie di inganno. Quanto alla modifica del significato del segno, si ritiene
che essa sia astrattamente sempre possibile, dato che le regole semantiche e il linguaggio possono subire
mutamenti nel sorso del tempo » (Tribunale di Napoli, 14 janvier 2013 : Dir. ind., 2013, n. 2, p. 181, comm.
CASABURI (G.) ).
79
Cf. GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 121.
25
sens particulier en raison de la construction de la Communauté économique européenne. Dix
ans auparavant, ils n’avaient qu’une signification assez vague, se référant simplement au
continent européen sans qu’on puisse y attacher une signification particulière. Aujourd’hui, le
Marché commun vient spontanément à l’esprit dès que l’on utilise ces termes ».80
De la même manière, par exemple, des préfixes tels que « Bio-» sont aujourd’hui un
symbole pour indiquer l’origine biologique et naturelle du produit en question, alors que le
consommateur moyen n’y aurait pas attribué une telle signification avant la diffusion de
l’agriculture biologique.
B - La déceptivité résultant de l’attribution ex lege d’une signification au signe
Si la signification d’un mot peut changer par effet de la normale évolution d’une langue, il
reste qu’il s’agit souvent d’un procès lent, qui ne s’achève pas d’un jour à l’autre. De plus, la
perception de certains mots peut varier selon le public concerné, en restant floue et difficile à
déterminer avec précision.
Ainsi, c’est le Législateur qui va parfois intervenir de façon directe pour établir la
signification précise qu’il faut attribuer à certains termes, notamment afin d’éviter qu’ils
induisent en erreur les consommateurs.
En effet, on a vu qu’une marque peut bien être composée, au moins en partie, par un
élément non arbitraire. Ces types de marque, que la doctrine italienne appelle souvent
« marques faibles », doivent ainsi respecter les textes juridiques qui règlementent l’utilisation
de certains signes et dénominations.
C’est tout d’abord le cas pour les indications géographiques.81
Selon l’art. 13 du
Règlement 1151/2012,82
« les indications géographiques sont protégées contre […] toute
utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée à l’égard des
produits non couverts par l’enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux
enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la
80
MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives, op. cit., p. 255.
81
Une partie de la doctrine italienne estime que les marques collectives poseraient le même ordre de problèmes.
Ainsi, une marque individuelle susceptible d’être associée par le consommateur à une marque collective serait
déceptive (GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 47). A notre humble avis, dans ce genre de situations il
vaudrait mieux parler tout simplement de contrefaçon de la marque collective. La marque contrefaisante serait
donc affecté de nullité relative, et non pas de déceptivité : l’intérêt du public à ne pas être induit en erreur ne
serait protégée qu’indirectement, par l’action du titulaire de la marque collective. C’est ce qui découle de la
transposition aux marques collectives des règles prévue en matière de marque individuelle (cf. art. 66, al. 3,
RMC ; art. L. 715-2, al. 1, CPI ; art. 11, al. 5, du Code de propriété industrielle italien).
82
Règlement (UE) n. 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes
de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires.
26
réputation de la dénomination protégée […] ; [contre] toute usurpation, imitation ou
évocation […] ; [contre] toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance,
l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit […] » ; [contre] toute autre pratique
susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ».
De toute évidence, une marque qui évoquerait une indication géographique - et qui serait
utilisée pour des produits non couverts par l’enregistrement de la dite IG - constituerait un
acte interdit par ce même art. 13. Une marque qui "usurperait" d’une telle façon une
indication géographique sera d’ailleurs normalement trompeuse pour le consommateur.
Il s’agit, dans la plupart des cas, d’une pathologie qui affecte la marque dès son
enregistrement : l’article 14, al. 2, du même règlement établit expressis verbis les sanctions du
refus à l’enregistrement et de la nullité de la marque pour ces hypothèses "d’usurpation". De
la même manière, selon l’art. 7 al. 1 j-k) RMC, le conflit avec une indication géographique
antérieure est un motif absolu de refus à l’enregistrement (et donc de nullité aussi) de la
marque.
En droit interne, l’art. L. 711-4 d) CPI prévoit que les appellations d’origine constituent
des droits antérieurs faisant obstacle à l’enregistrement d’une marque.83
Une disposition
similaire n’est pas présente dans le droit des marques italien, mais s’impose – bien entendu –
au regard du droit des indications géographiques.
Mais qu’en est-il si la marque a été enregistrée antérieurement à la demande de protection
d’une indication d’origine ?
L’art. 14, al. 2, du règlement 1151/2012 envisage expressément la question et prévoit que «
une marque dont l’utilisation enfreint l’article 13, paragraphe 1, et qui a été déposée,
enregistrée, ou acquise par l’usage dans les cas où cela est prévu par la législation concernée,
de bonne foi sur le territoire de l’Union, avant la date du dépôt auprès de la Commission de la
demande de protection relative à l’appellation d’origine ou à l’indication géographique, peut
continuer à être utilisée et renouvelée pour ce produit nonobstant l’enregistrement d’une
appellation d’origine ou d’une indication géographique, pour autant qu’aucun motif de nullité
ou de déchéance, au titre du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la
marque communautaire ou de la directive 2008/95/CE, ne pèse sur la marque. […] ».
83
Mais elles donnent lieu à un motif absolu de refus d’enregistrement, qui doit donc faire l’objet d’un refus ex
officio. En ce sens, DURRANDE (S.), « Disponibilité des signes », J.-Cl. « Marques – Dessins et modèles », fasc.
7110, à jour au 20 décembre 2010, p. 11.
27
Il parait assez évident que la cause (de nullité et) de déchéance d’une marque qui est ici la
plus pertinente est le caractère trompeur de celle-ci.84
En effet, même si les règles qui
régissent le droit des indications géographiques admettent en principe une coexistence entre
une marque antérieure et une IG postérieure, une limite ultérieure est représentée par le
« statut de non déceptivité de la marque » tel qu’il résulte des textes expressément cités par le
règlement 1151/2012.85
Ainsi, la survenance d’une indication géographique n’entraine pas automatiquement la
déchéance pour caractère trompeur de la marque qui l’évoquerait86
: il sera nécessaire de
vérifier dans le cas d’espèce si les consommateurs peuvent être induits en erreur sur la
provenance géographique, la qualité ou la nature des produits marqués. Certes, l’existence
d’une indication géographique aura un rôle important dans l’appréciation des juges, mais elle
ne sera pas déterminante. L’enregistrement d’une indication géographique sera, dans la
plupart des cas, un simple indice qui confirme un risque de tromperie préexistant.
La Corte di cassazione italienne, par exemple, a retenu la déceptivité de la marque «
Budweiser » pour des bières de production américaine.87
En prononçant la nullité de ladite
marque, pourtant, la Cour suprême italienne n’a fait qu’une référence tout à fait marginale à la
survenance de l’enregistrement de trois indications géographiques similaires à la marque
concernée (« Budějovické pivo », « Českobudějovické pivo » et « Budějovický měšťanský
var ») : en tout état de cause, c’est la perception du public qui conduit la Cour à retenir le
risque de tromperie sur l’origine du produit.
De la même manière, la Cour d’appel de Paris n’a pas prononcé la déchéance pour
déceptivité de la marque « Salakis », enregistrée et utilisée pour des produits au lait de
brebis.88
Le fromage Feta était devenu - après l’enregistrement de la marque - une appellation
d’origine protégée et la société française ne produisait pas de fromages pouvant bénéficier de
84
Mais on peut également très bien imaginer qu’à cause de la survenance d’une indication géographique une
marque devienne dépourvue de caractère arbitraire.
85
GIOVE (L.) et COMELLI (A.), « La Corte di giustizia sul conflitto tra marchi e indicazioni geografiche », comm.
sous CJCE, 22 décembre 2010, affaire Bavaria II (C-120/08) , Dir. ind., 2011, n. 4, p. 362.
Cf. aussi CJCE, 2 juillet 2009, affaire Bavaria I (C-343/07) : « [L]’article 14, paragraphe 2, du règlement nº
2081/92 vise une situation de conflit entre une AOP ou une IGP enregistrée et une marque préexistante lorsque
l’usage de cette dernière correspond à l’une des situations visées à l’article 13 du règlement nº 2081/92, et que la
marque a été enregistrée de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’AOP ou de
l’IGP. L’effet prévu dans cette hypothèse est de permettre de poursuivre l’usage nonobstant l’enregistrement de
la dénomination, lorsque la marque n’encourt pas les motifs de nullité ou de déchéance prévus respectivement
aux articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), ainsi que 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104. Il
s’agit donc d’une règle impliquant une analyse postérieure à l’enregistrement et destinée, notamment, aux
administrations et juridictions appelées à appliquer les dispositions en cause ».
86
Et qui – bien entendu- serait utilisée pour des produits ne pouvant pas bénéficier de l’indication géographique
en question.
87
C. Cass. civ., sez. I, 13 septembre 2013, n. 21023 : Giur. it., juillet 2014, p. 1670.
88
CA Paris, 22 octobre 2010, n. 09/11691 : PIBD, 2010, n. 930, III, p. 825.
28
cette indication géographique. La Cour a admis un certain rapprochement du signe par le
public à « l’univers de la Grèce », en estimant toutefois que les consommateurs ne
percevraient pas la marque « Salakis » comme désignant des produits d’origine grecque et
conformes au règlement de l’AOP Feta : de ce point de vue, l’octroi d’une protection à la
dénomination Feta, que la société française a par conséquent dû arrêter d’utiliser, n’a en rien
changé la perception du public intéressé.89
Il faut estimer que le test de la non-déceptivité est plus souple que celui découlant de
l’article 14, al. 2. En effet, une marque peut avoir beaucoup d’éléments en commun avec une
indication géographique et, pour autant, ne pas tromper les consommateurs, désormais
habitués à interpréter correctement la valeur sémantique de la marque.
C’est ce qui semble ressortir d’une affaire portant sur la marque « Aoste », utilisée pour
des jambons français et donc potentiellement en conflit avec les AOP italiennes « Valle
d'Aosta Jambon de Bosses » et « Valle d'Aosta Lard d'Arnad ». La Cour de cassation
française a effectivement estimé que la marque « Aoste Excellence » usurpait l’indication
géographique italienne.90
La marque « Aoste Kids » a connu le même sort.91
Et pourtant, la
marque « Aoste », antérieure à l’enregistrement des indications géographiques, peut continuer
à être utilisée pour des produits de charcuterie : apparemment, le public serait conscient que
les jambons commercialisés sous cette marque proviennent de la ville d’Aoste en Isère. La
survenance de l’indication géographique ne donne pas lieu à la survenance de la déceptivité
de la marque.92
L’enregistrement d’une indication géographique est donc un simple indice, et non pas un
facteur déterminant : cela signifie également que, même si le dépôt de la demande
d’enregistrement d’une indication géographique est postérieur à l’enregistrement de la
marque, les juges auront la tendance à prononcer la nullité pour caractère trompeur de la
89
Notre raisonnement est compliqué par le fait que, dans l’affaire en question, la tromperie contestée n’aurait pas
été générée par la signification intrinsèque la marque. Le vecteur de la tromperie était la perception du public
telle que influencée par la politique commerciale des titulaires de la marque. Il faudra donc revenir sur ces
aspects (infra, Sect. II, §II, A).
90
Cass. comm., 31 janvier 2006, n. 04-13.676 : JCP E, 2006, n. 1392 ; PIBD, 2006, n. 826, III, p. 214 ; D., 2006,
p. 581, obs. DALEAU (J.) ; ibidem, p. 2324, obs. DURRANDE (S.) ; Propr. industr., 2006, comm. 32 TREFIGNY
(P.) ; Comm. com. électr., 2006, comm. 59 CARON (CH.).
91
CA Lyon, 10 mai 2007 : PIBD, 2007, n. 858, III, 482.
92
Mais cf., contra, LE GOFFIC (C.), « Indications géographiques en droit européen », J.-Cl « Marques – Dessins
et modèles », fasc. 270, à jour au 10 janvier 2011, p. 25 : « Si la règle de coexistence est louable sans son
principe […], elle permet […] de laisser subsister des usages de marques de nature à entraîner la confusion, dans
l’esprit des consommateurs, avec l’indication géographique postérieure ». A titre d’exemple, on peut citer la
marque Aoste, enregistrée en 1976, […] qui […] peut continuer à être utilisée malgré l’enregistrement en 1996
d’AOP similaires, tandis que d’autres marques comparables, déposées postérieurement, ont été logiquement
annulée, en tant qu’évocations illicites des AOP ».
Dans ce même sens, DURRANDE (S.), obs. sous Cass. comm., 31 janvier 2006, précité.
29
marque ab initio, et non pas la déchéance de celle-ci. Ce qui est déterminant est la perception
du public intéressé ; et la perception du public – on a déjà eu l’occasion de le remarquer - ne
change pas d’un jour à l’autre.93
A ce propos on peut citer la décision du Tribunal de Turin qui a annulé pour déceptivité la
marque « Bavaria ».94
La marque, dont le titulaire est un producteur de bières belges, était en
conflit avec l’indication géographique protégée « Bayerisches Bier », désignant la bière
d’origine bavaroise. Bien que l’indication géographique ait été postérieure à l’enregistrement
de la marque, le juge turinois n’a pas prononcé la déchéance de la marque à partir du moment
de l’octroi de la protection à l’indication géographique allemande,95
mais a déclaré la marque
« Bavaria » nulle dès son enregistrement.96
Outre les indications géographiques, il faut enfin citer d’autres cas dans lesquels c’est
l’autorité du Législateur qui donne une signification juridique à des mots utilisés dans le
langage courant. En effet, au cours du temps le Législateur – et notamment le Législateur
communautaire - est fréquemment intervenu pour déterminer la signification précise qu’il faut
attribuer à certains produits, notamment afin de régler l'étiquetage, la présentation et la
publicité des denrées alimentaires.
Ainsi, la marque « Extra YXZ » ne pourrait pas être valablement choisie pour désigner une
huile d’olive que la législation communautaire ne qualifie pas d’extra vierge.
De la même manière, pour reprendre un exemple qu’on a fait pour illustrer d’autres propos,
la législation européenne règlemente aujourd’hui avec précision la signification qu’il faut
attribuer à l’agriculture biologique97
: une marque qui utiliserait le préfix « Bio- » serait ainsi
trompeuse si le produit marqué ne respectait pas les standards pertinents.98
93
De plus, selon une partie de la doctrine française, la condition du fait du titulaire de la marque ferait défaut
(infra, Ch. III, Sect. I).
94
Tribunale di Torino, 30 novembre 2006 : Giur. ann. dir. ind., 2006, p. 5121, réformé par Corte d’appello di
Torino, 28 février 2011, inédit, à son tour confirmé par C. Cass., 9 juillet 2012, n. 16958, inédit.
95
Selon le texte en vigueur à l’époque, en effet, le moment déterminant était la publication de la demande de
délivrance du titre, et non pas le dépôt de la demande comme il résulte aujourd’hui de la dernière version du
règlement sur les indications géographiques.
96
La Cour suprême espagnole, au contraire, n’avait pas retenu la déceptivité de la même marque dans une affaire
parallèle (citée par GIOVE (L.) et COMELLI (A.), « La Corte di giustizia sul conflitto tra marchi e indicazioni
geografiche », precité, p. 362 sub note 20). Selon la Cour espagnole, le consommateur moyen perçoit la
dénomination « Bavaria » comme une marque de fantaisie ou, en tout état de cause, comme une marque sans
aucun lien avec le land allemand. Cette même lecture a été par ailleurs suivie par la Corte d’appello de Turin
(approuvé par la C. Cass.) dans la suite de l’affaire. Cette interprétation plus libérale confirme donc que le critère
du risque de tromperie est moins rigide que celui qui découlerait de l’application des règles de l’art. 13 du
Règlement 1151/2012 sur les indications géographiques.
97
Règlement (CEE) n. 2092/91 du Conseil du 24 juin 1991 concernant le mode de production biologique de
produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires.
98
En 2006, par exemple, la société Danone a dû renoncer à sa marque « Bio » pour des yaourts non issus de
l’agriculture biologique.
30
Encore, au début des années 1990, le droit communautaire a introduit un Ecolabel afin de «
promouvoir la conception, la production, la commercialisation et l’utilisation de produits
ayant une incidence moindre sur l’environnement pendant tout leur cycle de vie »99
: une
marque qui pourrait être associée à ce type de signe devrait ainsi être considérée trompeuse,
dans la mesure où elle était utilisée pour des produits n’ayant pas reçu le label écologique de
l’UE.100
Les mêmes considérations devraient enfin être valables, au moins en France, pour les
mentions valorisantes « fermier », « montagne », « produit pays », et cætera desunt.
Par conséquent, il va de soi que la (nouvelle) règlementation de la dénomination d’un
produit donné - ou d’un autre symbole - pourrait entrainer la déceptivité survenue d’un certain
nombre de marques.101
Il s’agit des marques comprenant un élément non arbitraire qui, en
raison de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, ne correspond plus exactement aux
caractéristiques du produit marqué. Dans ces cas il faut estimer que la marque devient
trompeuse, et cela même si les consommateurs ne sont pas forcément à connaissance du
contenu exacte des textes qui règlent la signification des mots ou symboles en question.102
Ainsi, la jurisprudence française a bien jugé que la marque « Napoléon » était trompeuse
pour des cognacs n’ayant pas vieilli pendant plus de cinq ans,103
alors que le premier
enregistrement de la marque était antérieur à la règlementation réservant le terme « Napoléon
» aux eaux-de-vie de plus de cinq ans : « on est en droit de considérer, en effet, que la marque
était intrinsèquement devenue déceptive ».104
§II - La déceptivité survenue résultant du changement des caractéristiques du
produit/service marqué (en cas de signe non arbitraire par rapport auxdites
caractéristiques)
Si la mutation de la teneur sémantique d’une marque est relativement peu courante, le
changement des caractéristiques des produits ou des services désignés par une marque est un
99
Règlement (CE) n. 66/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 établissant le label
écologique de l’UE.
100
GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 49.
101
Ibidem, p. 126.
102
Cf. MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables »,
précité, p. 20 : « Le consommateur moyen connait […] l’existence de certaines réglementations, mais il n’est pas
toujours en mesure d’en apprécier la portée ».
103
Cass. com. 4 octobre 1983 : Ann. propr. ind., 1984, p. 35.
104
MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables », précité, p.
20.
31
phénomène connaturel à la vie des affaires. Il s’agit ici de se demander si une déceptivité peut
être causée tout d’abord pour les changements les plus stables, c’est-à-dire ceux qui portent
sur la provenance du produit ou du service marqué (A).105
Ensuite on envisagera, plus en
général, le changement des autres caractéristiques qui rendent le produit ou service marqué
attractif pour le public (B).
A - La déceptivité résultant du changement de provenance du produit/service
S’agissant de la déceptivité résultant du changement de provenance des produits et services
marqués, il peut s’agir d’un changement quant à la provenance géographique (1) ou -
lorsqu’on est en présence d’une marque patronymique - d’un changement quant à l’origine
entrepreneuriale (2). Il s’agit, dans les deux cas, de changements relativement stables et qui,
par conséquent, méritent d’être traités séparément du changement des caractéristiques des
produits ou services plus en général.
1 - Le changement de la provenance géographique
En principe – on l’a vu - une marque ne peut pas être descriptive. Par conséquent, une
marque ne pourrait pas être simplement constituée d’un toponyme susceptible d’être perçu par
le public comme indiquant l’origine du produit marqué. Cependant il est commun de
demander l’enregistrement de marques complexes, contenant à la fois des éléments arbitraires
et des éléments relatifs à l’origine géographique du produit marqué.
Il s’en suit que, si cette provenance devait changer, la marque deviendrait trompeuse.106
Cela, bien entendu, dans la mesure où la provenance géographique du produit marqué joue un
rôle dans le choix des consommateurs : il nous semble que ce sera souvent le cas lorsque cette
provenance est directement indiquée par la marque.
La tromperie sur la provenance géographique est d’ailleurs une des causes de nullité et
déchéance de la marque expressément mentionnées par le Législateur. Ainsi, dans les années
1990, la doctrine française pronostiquait que la tromperie sur la provenance aurait été la cause
105
La doctrine appelle parfois « éléments extrinsèques » la provenance, le contrôle et la garantie du produit. Cf.
MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives, op. cit. p. 98.
106
BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 187 : «S’il s’agit […] d’une
marque initialement valable au jour du dépôt, mais qui par la suite est « devenue » déceptive, le droit de marque
a pu valablement prendre naissance mais il encourt désormais la déchéance. Tel aurait été le cas de la marque «
Bressot » si son titulaire, après l’avoir initialement utilisée pour des fromages bressans, l’avait utilisée ensuite
pour des produits d’une autre origine ».
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  • 1. Master 2 à finalité Recherche « Droit européen et international de la propriété intellectuelle » Année universitaire 2014/2015 La déchéance de la marque devenue trompeuse Une lecture européenne à partir des expériences française et italienne Emanuele FAVA sous la direction de M. Adrien BOUVEL 21 Septembre 2015
  • 2. i L’Université de Strasbourg n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
  • 3. ii Remerciements à Adrien Bouvel pour m’avoir guidé dans le choix du sujet ; à Marco Ricolfi pour m’avoir transmis son traité à paraitre ; à Natalia Kapyrina pour son soutien tout au long de l’année ; à Cécile pour avoir trouvé le temps de relire mon mémoire ; à Oksana pour en avoir rendu plus légère la rédaction estivale
  • 4. iii Sommaire Introduction Chapitre I - La déceptivité de la marque en tant que cause de déchéance Section I – La superposition entre caractère trompeur comme cause d’invalidité de la marque et caractère trompeur comme cause de sa déchéance Section II – La limitation par l’exigence de caractère arbitraire des cas de déchéance de la marque devenue trompeuse Chapitre II - La survenance de la déceptivité de la marque Section I - La marque devenue intrinsèquement trompeuse Section II - La marque devenue extrinsèquement trompeuse Chapitre III - Le sort de la marque devenue trompeuse Section I – La marque qui n’est pas devenue trompeuse du fait de son titulaire Section II - La déchéance de la marque devenue trompeuse du fait de son titulaire Conclusion
  • 5. iv Abréviations Ann. Annales Ann. propr. ind. Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire Bull. civ Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles Bull. inf. Cour. cass Bulletin d'information de la Cour de cassation C. cass. Corte di cassazione italienne CA Cour d’appel Cass. com. Cour de cassation française, chambre commerciale CEIPI Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Intellectuelle civ., sez. I Prima sezione civile CJCE Cour de justice des Communautés Européennes CJUE Cour de justice de l’Union Européenne Comm. com. électr. Communication Commerce électronique D. Dalloz Dir. comm. int. Diritto del commercio internazionale Dir. ind. Il Diritto industriale DM Directive européenne sur les marques Foro it. Il Foro italiano Gaz. Pal. La Gazette du Palais Giur. ann. dir. ind. Giurisprudenza annotata di diritto industriale Giur. comm. Giurisprudenza commerciale Giur. it. Giurisprudenza italiana INPI Institut national de la propriété industrielle J.-Cl. JurisClasseur JCP E La Semaine juridique - Entreprise et affaires OHMI Office de l'harmonisation dans le marché intérieur PIBD Bulletin de la propriété industrielle Propr. ind Revue Propriété Industrielle Propr. intell. Propriétés intellectuelles Riv. dir. ind. Rivista di diritto industriale RJDA Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires RLDI Revue Lamy Droit de l'Immatériel RMC Règlement sur la marque communautaire RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial Sez. Sezione TGI Tribunal de grande instance TPICE Tribunal de première instance des Communautés Européennes
  • 6. 1 Introduction « LE MARQUIS : Quelle femme précieuse vous êtes ! DEJANIRA : J’ai mes petits talents. Ce flacon est-il en or ? LE MARQUIS : Naturellement. (il retient un sourire) Naturellement. DEJANIRA : Il est à vous ? LE MARQUIS : Il l’était DEJANIRA : Comment cela ? LE MARQUIS : Maintenant, il est à vous, si vous le désirez »1 En 1997, peu de temps avant de devenir Directeur Général du CEIPI, le Professeur Reboul écrivait que la déchéance de la marque devenue trompeuse est prévue par un « texte, dont on aperçoit encore mal la portée, [qui] n’est pas sans soulever des interrogations ».2 Plus d’un quart de siècle après son introduction par la première Directive européenne sur les marques (ci-après DM),3 la déchéance de la marque devenue trompeuse - dite également déceptive4 - est encore un dispositif juridique assez cryptique. S’agissant des systèmes juridiques français et italien en particulier, à notre connaissance aucune déchéance de marque pour caractère déceptif n’a jamais été prononcée de façon définitive. Ce mémoire a donc pour but d’étudier la signification et la portée de cette sanction. Plus spécifiquement, l’objectif est d’aboutir à une lecture européenne de la déchéance de la marque devenue trompeuse, à partir des expériences française et italienne. Outre la Directive sur les marque et ses transpositions nationales, la déchéance de la marque devenue trompeuse est également prévue – de manière substantiellement identique - par le Règlement sur les marques communautaires (ci- après RMC).5 C’est pourquoi, en étudiant la déchéance de la marque devenue trompeuse, il serait infructueux de se limiter à un examen du droit national : il est nécessaire d’adopter une optique européenne. Cela étant, même en cas de marques communautaires, les juges nationaux gardent le plus souvent leur rôle d'interprètes des textes en tant que « tribunaux des marques communautaires 1 GOLDONI (C.), La locandiera, 1753, adaptation et traduction DES PRESLES (C.), L'Harmattan, 2001. 2 REBOUL (Y.), « La déchéance de la marque depuis la réforme législative du 4 janvier 1991 (Article L. 714-5 du CPI) », Mélanges Jean Foyer, PUF, 1997, p. 285. 3 Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, remplacée par la Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques. 4 Anglicisme formé à partir du verbe « to deceive ». 5 Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, remplacé par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire.
  • 7. 2 »6 (infra, Ch. III, Sect. II, §I). De ce point de vue, une étude des expériences française et italienne n’est qu’une limitation des prétentions de ce travail : une analyse exhaustive devrait en effet prendre en considération les expériences juridiques de tous les Etats membres de l’Union européenne. Néanmoins, le choix des systèmes français et italien n’est pas qu’une limitation par rapport à une véritable lecture européenne de la déchéance de la marque devenue trompeuse. Ce choix a un vrai intérêt comparatiste faisant preuve de son autonomie conceptuelle. En effet on verra que, même en cas d’une similarité apparente entre la lettre des articles, les différentes traditions juridiques ont porté à des interprétations considérablement différentes des textes transposant la Directive sur les marques (infra, Ch. II, Sect. II). De plus, même lorsqu’on est en présence de dispositions rapprochées par le droit européen, tout n’est pas harmonisé. Par définition, une directive européenne ne touche qu’à certains aspects du droit, en laissant aux Etats membres une certaine marge de manœuvre. Certes, s’agissant du droit des marques, le Législateur européen a toujours été assez précis et cette marge relativement restreinte. Il n’en demeure pas moins que les Etats membres gardent « toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement, la déchéance ou la nullité des marques acquises par l’enregistrement. […] Les États membres devraient conserver la faculté de déterminer les effets de la déchéance ou de la nullité des marques ».7 S’agissant donc de la procédure et des effets de la déchéance de la marque devenue trompeuse, le choix d’une approche comparatiste maintient intacte son intérêt (infra, Ch. III, Sect. II, §I-II). En gardant à l’esprit ces précisions, avant d’aborder le premier chapitre de cet écrit il convient alors de rappeler brièvement quelles sont les sources normatives européennes et nationales qui envisagent la déchéance de la marque devenue trompeuse. Selon l’art. 12 DM et l’art. 51 RMC, le titulaire d’une marque enregistrée n’est déchu de son droit que dans trois cas énumérés par la loi : il s’agit d’abord du cas où « la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux […] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non usage » ; ensuite du cas où elle « est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée » ; enfin, du cas où « par suite de l'usage qui en est fait par le titulaire de la marque ou avec son 6 Cf. art. 95 RMC. 7 6ème considérant DM.
  • 8. 3 consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services ».8 Ce n’est pas dans l’objet de ce mémoire de considérer les deux premières hypothèses qui portent sur la déchéance par non usage de la marque et sur la déchéance par dégénérescence de la marque au sens strict. En effet, par rapport au deuxième cas de figure, il s’agit de dispositions justifiées par des rationes legis différentes est indépendantes. Par ailleurs, l’introduction des trois cas de déchéance dans le corpus juridique des Etats membres n’a pas été effectuée au même temps.9 Il convient alors de limiter notre analyse à la lettre b) de l’art. 12 DM et à la lettre c) de l’art. 51 RMC. Ces textes restent d’ailleurs inaltérés dans le projet de réforme du « paquet marques », visant à modifier à la fois la Directive et le Règlement.10 L’art. 12 de la directive a bien été transposé par les différents droits nationaux des Etats membres de l’Union Européenne et notamment, en ce qui nous concerne, par les Législateurs français et italien. Ainsi, en droit français, l’art. L. 714-6, al. 1, b) du Code de la propriété intellectuelle (ci- après, CPI) prévoit que « [e]ncourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait […] [p]ropre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ». De la même manière, la lettre a) de l’art. 14, al. 2, du Code de la propriété industrielle italien11 prévoit que « la marque est caduque lorsqu’elle est devenue propre à induire en erreur le public, notamment sur la nature, qualité ou provenance des produits ou services, à cause de 8 Le texte cité en dernier est celui du règlement sur la marque communautaire. La lettre de l’art. 12 al. 2 b) DM est légèrement différente de celle de l’art. 51 al. 1 c) : « le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque […] est propre, par suite de l’usage qui en est fait par le titulaire ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services ». De toute évidence, il n’est pas possible de voir des divergences quant à la substance des deux articles. 9 En France, la cause de déchéance la plus ancienne est le défaut d’exploitation de la marque. Elle a été introduite en droit français par l’art. 11 de la loi du 31 décembre 1964. Les deux autres causes de déchéance ont été introduites par la loi du 4 janvier 1991, transposant la première directive européenne sur les marques de 1988. En droit italien, la legge marchi n. 929 du 21 juin 1942 prévoyait initialement à la fois une déchéance pour défaut d’exploitation (art. 42) et une déchéance pour dégénérescence stricto sensu (art. 41). La déchéance de la marque trompeuse n’a été introduite dans la même loi que par effet de la directive 89/104. 10 Cf. « Réforme du système de marques: le Conseil confirme l'accord avec le Parlement », communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne, disponible à http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press- releases/2015/06/10-div-trade-marks/ ; lien consulté le 16 aout 2015. 11 Decreto legislativo n. 30 du 10 février 2010.
  • 9. 4 la façon ou du contexte dans lequel elle est utilisée par le titulaire ou avec son consentement, pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistré ».12 Afin d’analyser la déchéance de la marque devenue trompeuse, il convient à notre sens de structurer le discours selon une démarche en trois étapes : d’abord on étudiera la déceptivité de la marque en tant que cause de déchéance (Chapitre I), ensuite la survenance de la déceptivité (Chapitre II) et enfin, le sort de la marque devenue trompeuse (Chapitre III). 12 « Il marchio d'impresa decade […] se sia divenuto idoneo ad indurre in inganno il pubblico, in particolare circa la natura, qualità o provenienza dei prodotti o servizi, a causa di modo e del contesto in cui viene utilizzato dal titolare o con il suo consenso, per i prodotti o servizi per i quali è registrato ».
  • 10. 5 Chapitre I – La déceptivité de la marque en tant que cause de déchéance Afin de déterminer en quoi réside le caractère déceptif d’une marque, susceptible d’en entrainer la déchéance, on se servira d’autres dispositions présentes dans les textes communautaires ainsi que dans les droits français et italien. D’abord on se demandera quel est son rapport avec le caractère trompeur considéré en tant que cause d’invalidité de la marque (Section I) ; ensuite, on envisagera les relations entre l’exigence de non-déceptivité de la marque et l’exigence du caractère arbitraire de celle-ci (Section II). Section I – La superposition entre caractère trompeur comme cause d’invalidité de la marque et caractère trompeur comme cause de sa déchéance Une marque peut être déceptive dès son enregistrement ou le devenir dans un deuxième temps. Dans la deuxième partie de ce travail, on s’interrogera sur la survenance du caractère trompeur ; dans la troisième partie, on analysera les sanctions que le Législateur a prévues contre les marques devenues trompeuses : dans ce paragraphe il est question de savoir ce qu’il faut entendre par déceptivité de la marque, qu’elle soit prise en tant que cause de déchéance ou en tant que cause de nullité. En quoi une marque peut-elle être déceptive ? Pour essayer de répondre à cette question il convient de donner des précisions sur les façons dans lesquelles une marque peut tromper (§I). Une marque n’est d’ailleurs jamais déceptive de façon absolue : son caractère trompeur doit être apprécie au cas par cas par, en fonction de certains facteurs (§II). §I - L’unité de la notion de déceptivité de la marque L’objet de ce travail est de s’interroger sur les particularités de la déceptivité survenue comme cause de déchéance d’une marque enregistrée. Pour faire cela, il est pourtant nécessaire de rappeler brièvement la définition de la déceptivité tout court. Brièvement, car une analyse trop détaillé tomberait vraisemblablement hors de sujet et manquerait d’un intérêt spécifique.
  • 11. 6 La doctrine a souligné la symétrie entre le caractère trompeur comme condition de validité de la marque et le caractère trompeur comme condition de sa pérennité : « La déchéance de la marque devenue déceptive ne fait que prolonger dans le temps la prohibition des marques déceptives de l’article L 711-3, c du CPI. La nullité de la marque déceptive au jour du dépôt et la déchéance de la marque devenue déceptive servent donc un même objectif ».13 Les deux situations sont sanctionnées par le Législateur et concourent à former ce qui a été appelé par la doctrine italienne le « statut de non-déceptivité de la marque ».14 Selon l’art. 3, al. 1, g), DM, « [s]ont refusé[e]s à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclaré[e]s nul[le]s s[i elles] sont enregistré[e]s […] les marques qui sont de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique ». En comparant cet article à l’art. 12, al. 2, b), de la même Directive, la confusion du caractère trompeur en tant que obstacle à la naissance du droit de marque et du caractère trompeur en tant que cause de déchéance de celui-ci est donc claire : est trompeuse toute marque « de nature à induire en erreur le public sur une caractéristique quelconque du produit ou du service ».15 La doctrine se livre souvent à une analyse casuistique des cas de tromperie retenus par la jurisprudence. Ainsi, la tromperie peut porter sur les « éléments intrinsèques » d’un produit (ou plus rarement d’un service), tels que sa nature ou sa qualité, aussi bien que sur les « éléments extrinsèques », tels qu’origine, garantie et contrôle.16 La tromperie peut découler d’une marque verbale, d’une marque complexe mais aussi d’une marque purement figurative.17 Tout signe susceptible de constituer une marque peut être trompeur, dans la mesure où il est suffisamment évocateur pour le public d’un élément quelconque du produit ou service marqué en raison de règles lexicales, linguistiques ou sémantiques.18 Cela dit, force est de constater que dans les affaires portant sur une marque trompeuse la déceptivité survenue a été rarement contestée et, à notre connaissance, la déchéance du droit 13 BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », RJDA, 2002, n. 3, p. 184. 14 FRASSI (P. A. E.), « Lo statuto di non decettività del marchio tra diritto interno, diritto comunitario ed alla luce della disciplina sulle pratiche commerciali ingannevoli », Riv. dir. ind., 2009, I, p. 29. En droit italien, le statut de non-déceptivité est composé également de l’interdiction des cessions trompeuses de la marque (infra, Ch. II, Sect. I, §II, A2) et de l’interdiction d’usage déceptif d’une marque (infra, Ch. II, Sec. II, §II). 15 BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 184. 16 MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives – Droit français, Droit communautaire, Droit comparé, Litec, 1992, p. 98. 17 En France, par exemple, la marque constituée d’un dessin de chamois pour des articles qui n’étaient pas en cuir a été refusée à l’enregistrement (INPI, déc. dir. gén., avril 1979 : PIBD, 1981, III, p. 228). 18 GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, Giuffré, 2012, p. 9.
  • 12. 7 n’a jamais été définitivement prononcée par un juge communautaire, français ou italien. On cherchera ici à en expliquer les raisons. §II - L’unité de l’appréciation de la déceptivité de la marque Une fois établie sans grandes difficultés l’unité de la notion de marque trompeuse, il faut se demander si les facteurs pris en compte pour apprécier la déceptivité du signe peuvent changer en fonction de la sanction demandée. Il convient de répondre par la négative : il sera toujours possible de prendre en compte à la fois l’usage in concreto de la marque (A) et le public concerné (B) pour en apprécier la déceptivité. A – La prise en compte de l’usage in concreto de la marque La notion de déceptivité de la marque est bien une notion unitaire. S’agissant de la déceptivité en tant que cause de déchéance, pourtant, la déceptivité nait « par suite de l’usage qui en est fait par le titulaire ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée ». Dans ce cas, la déceptivité elle-même est à notre sens générée suite à l’usage en question : le caractère trompeur de la marque n’est pas simplement révélé par cet usage.19 A l’appui de cette affirmation, on peut invoquer les textes français et italiens transposant la directive : est susceptible d’entrainer la déchéance la marque devenue trompeuse. La marque qui devient trompeuse a bien été, dans un premier temps, véridique (rectius, elle n’était pas propre à induire en erreur le public). Il s’agit d’une distinction délicate, qui pourtant est cruciale pour tracer les frontières entre la sanction de la nullité et celle de la déchéance. En effet, en adoptant l’interprétation que l’on propose – et qui semble encore correspondre à l’approche majoritaire de la jurisprudence - la déceptivité en tant que cause de déchéance ne sera retenue par le juge que dans des cas bien spécifiques. Dans la plupart des cas, au contraire, la tromperie sera tout simplement contestée et - le cas échéant - retenue par le juge dans un moment postérieur à l’enregistrement, mais la sanction sera l’invalidité de la marque ab initio. Pour annuler une marque, en effet, le juge est tenu de 19 En ce sens, BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 186, qui distingue entre marque devenue déceptive et marque révélée déceptive.
  • 13. 8 se placer au moment de l’enregistrement pour vérifier si le signe était susceptible d’induire en erreur le public, mais il peut très bien tenir compte d’éléments postérieurs à la date du dépôt. Dès lors, dans tous ces cas, la déceptivité existait déjà – au moins en puissance- au jour du dépôt. Ainsi, l’usage concret de la marque n’est pas un élément constitutif d’une pathologie survenue, mais un indice d’une invalidité déjà existante.20 Prenons à titre d’exemple une marque enregistrée pour des vêtements qui évoquerait la laine : elle serait trompeuse ab initio si le titulaire l’utilisait dès son enregistrement – ou même avant - pour des vêtements en microfibre. La marque serait donc invalide ab initio. Cette lecture n’est pas partagée par la majorité la doctrine italienne à la parution de la directive 89/104 : en effet, selon cette doctrine, la nullité ne pourrait s’appliquer qu’aux cas de tromperie qui font abstraction de toute exploitation de la marque.21 Dans ces cas, le caractère déceptif de la marque devrait s’apprécier en faisant référence tout simplement aux services et produits tels que désignés dans l’acte de dépôt. Ainsi, par exemple, une marque qui énoncerait une promesse objectivement impossible (telle que, par exemple, un fromage sans gras ou un gâteau sans aucune calorie22 ) serait invalide.23 Une partie de la doctrine française a adopté la même interprétation dès que la sanction de la déchéance a fait son début24 : « La nullité s’apprécie exclusivement en considération de la 20 GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit, p. 69. 21 GHIDINI (G.), « Decadenza del marchio per “decettività sopravvenuta’», Riv. dir. ind., 1993, I, p. 213 ; SENA (G.), « Veridicità e decettività del marchio », Riv. dir. ind., 1993, I, p. 331 ; GHIDINI (G.) et GUTIERREZ (B. M.), « Marchio decettivo e uso decettivo del marchio », Dir. ind., 1994, n. 2, p. 130 ; SENA (G.), « Ancora sulla decettività del marchio », Riv. dir. ind., 1994, II, p. 9 ; VANZETTI (A.), « Commento alla prima direttiva del Consiglio delle Comunità Europee sul ravvicinamento delle legislazioni degli Stati membri in materia di marchi d’impresa », Le nuove leggi civili commentate, 1989, p. 1463; VANZETTI (A.), La nuova legge marchi- Codice e commento alla riforma, Giuffré, 1993, p. 96. 22 GHIDINI (G.) et GUTIERREZ (B. M.), « Marchio decettivo e uso decettivo del marchio », précité, p. 130. 23 En France la jurisprudence a parfois retenu le caractère trompeur d’une marque pour tout produit. Ainsi, dans une affaire de 1978 (CA Paris, 3 mai 1978 : Ann., 1979, p. 201) la marque « Carrefour Produits Libres » a été jugée comme étant trompeuse pour toutes les 34 classes puisque « la dénomination produits libres associé au terme Carrefour désigne uniquement des produits sans marques de fabrique, vendus simplement sous une marque de distribution, dans un emballage économique et sans aucune recherche de séduction ». Dans une affaire de 1980 (CA Paris, 6 octobre 1980 : Ann., 1981, p. 28), la marque « Produit sincère » a été jugée trompeuse indépendamment des produits marqués, parce qu’elle aurait induit le consommateur à penser que les qualités desdits produits auraient été meilleures que celles des produits des concurrents. 24 Cf. MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives, op. cit, p. 189 : « Une marque, apparemment valable lors du dépôt peut, en effet, s’avérer déceptive au bout d’un certain temps. Si l’usage fait apparaitre le caractère trompeur d’une marque, elle tombe sous le coup de l’article 12 de la directive […] ». Dans le même sens aussi HUMBLOT (B.), « Marques trompeuses : la CJCE au milieu du gué », RLDI, novembre 2006, n. 21, p. 8 : « [L]ors de l’enregistrement, ce n’est pas une marque qui est examinée, mais – par principe – un projet de marque. L’installation du signe dans la pratique sociale, les conditions de son emploi, l’effectivité ou non de son usage sont indifférents » ; LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque : transformation de la marque en « res nullius » », J.-Cl. « Marques – Dessins et modèles », fasc. 7405-2, à jour au 13 avril 2014, p. 40 ; PASSA (J.), Droit de la propriété industrielle, L.G.D.J., 2009, n. 230, p. 274 ; BASIRE (Y.), Les fonctions de la marque. Essai sur la cohérence du régime juridique d’un signe distinctif, LexisNexis, 2015, n. 664, p. 500 : « Dans le cadre du refus ou de l’annulation de l’enregistrement, le caractère trompeur est apprécié in abstracto,
  • 14. 9 marque telle que déposée (vice qui affecte la marque ab initio). De son côté, la déchéance s’apprécie en considération du contexte d’exploitation de la marque ».25 Une telle lecture, que l’on peut qualifier de moderne, aurait pour conséquence de rendre la nullité de la marque une sanction très rare, alors que la déchéance serait la sanction habituelle : « [U]n pan entier des utilités accordées à la disposition sanctionnant la déceptivité intrinsèque du dépôt par la nullité, doit basculer dans le giron de la disposition sanctionnant la déceptivité des usages de la marque par la déchéance. Au terme de ce renversement, ce n’est plus sur « l’espace » dévolu à l’article L. 714-6 que l’on devra s’interroger, mais sur celui restant à l’article L. 711-3 ».26 Cela est dû à un constat : les déposants vont demander l’enregistrement des marques de façon génériques, souvent en faisant référence à la classe ou aux classes des produits ou services à marquer27 : « Les produits ou services énumérés dans la demande d’enregistrement le sont souvent de façon abstraite et générique, sans indication précise sur leurs caractéristiques propres ».28 On dépose une marque pour des vêtements, et non pas pour des pulls en laine. Par conséquent, il serait très rare de pouvoir apprécier la déceptivité d’une marque en se référant aux catégories de produits ou services pour lesquelles elle est enregistrée La déchéance, au contraire, aurait vocation à s’appliquer plus fréquemment, puisque les dispositions pertinentes se réfèrent expressément à l’usage de la marque. Selon le texte italien, notamment, la tromperie se produit « à cause de la façon ou du contexte dans lequel [la marque] est utilisée ». L’introduction même de la déchéance aurait été nécessaire pour éviter de sanctionner avec la nullité ab initio (ou avec le refus de renouvellement) les marques révélées trompeuses par leur usage, comme le faisaient les juges français et italiens en l’absence d’un texte plus c’est-à-dire, non pas en fonction de l’usage qui en est fait, mais uniquement au regard des produits ou services désignés dans l’enregistrement ». Les deux derniers auteurs s’appuient sur l’appréciation que la jurisprudence communautaire fait du caractère illicite de la marque et transposent le même raisonnement au caractère trompeur (Cf. TPICE, 13 septembre 2005, affaire Sportwetten (T-140/02), §28 ; TPICE, 9 avril 2003, affaire Durferrit (T-224/01), §76). Cette démarche est critiquable, dans la mesure où c’est l’exploitation de la marque qui en révèle souvent la déceptivité intrinsèque dont les germes étaient présents dès l’enregistrement (infra, passim). En revanche, s’agissant de l’illicéité du signe, une appréciation in abstracto sera dans la grande majorité des cas suffisante. L’exclusion de la prise en compte de l’usage in concreto de la marque pour en apprécier la validité est d’ailleurs souvent justifiée en réservant cette prise en compte à la sanction de la déchéance. S’agissant de l’illicéité, pourtant, aucune déhanche n’est prévue par le Législateur : il faut en déduire qu’en tout état de cause l’usage in concreto d’une marque n’aurait pas de véritable incidence sur la licéité de la marque. Celle-ci étant une différence importante par rapport à la déceptivité de la marque, le parallèle entre les deux catégories de sanction doit être évité. 25 LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque », précité, p. 40. 26 HUMBLOT (B.), « Marques trompeuses : la CJCE au milieu du gué », précité, p. 10. 27 GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 63. 28 PASSA (J.), Droit de la propriété industrielle, op. cit., n. 230, p. 273.
  • 15. 10 approprié. Cette pratique jurisprudentielle était fondée, selon la doctrine "moderne", sur des « véritables erreurs de droit », bien que « compréhensibles ».29 La déchéance aurait ainsi permis d’arrêter de commettre ce type d’erreurs. Cette interprétation a parfois été expressément adoptée par la jurisprudence. Dans les années 1970 déjà,30 la Corte di Cassazione italienne estimait que « [l]’aptitude à induire en erreur […] doit résider dans l’intrinsèque des éléments constitutifs de la marque, la norme [sur la nullité] ayant égard à l’objet de la marque […]»31 et que « l’usage de mots, figures, ou signes […] susceptibles d’induire en erreur dans le choix des produits […] doit être considérée par rapport au signes en soi et non pas aux produits ou à la façon d’utilisation de la marque […], c’est-à-dire à l’intrinsèque des éléments constitutifs de la marque ».32 Plus récemment, dans une affaire portant sur la marque « Premier sur le matin », la Cour d’appel de Paris a énoncé que « peu importe le contexte factuel dans lequel la marque a été déposée puisque […] le caractère déceptif d’une marque doit être apprécié en considération de la marque en elle-même, indépendamment du contexte et de l’usage qui en est fait ».33 Il s’agit d’un arrêt ensuite confirmé par la Cour de cassation,34 dans lequel une partie de la doctrine française a voulu voire la consécration d’une interprétation moderne de la déceptivité de la marque.35 Cette vision est critiquable puisque dans la même affaire la Cour d’appel a bien pris en considération des éléments relatifs à l’exploitation in concreto que la société titulaire de la marque en a fait suite à l’enregistrement. En l’espèce, en effet, « la marque Premier sur le matin, en ce qu'elle désigne des émissions radiophoniques, est de nature à faire accroire aux 29 GHIDINI (G.) et GUTIERREZ (B. M.), « Marchio decettivo e uso decettivo del marchio », précité, p. 130. 30 Mais à l’avis d’une partie de la doctrine il s’agit d’un arrêt d’espèce, trop conditionné par des faits particuliers et irrépétibles. En ce sens, BARBUTO (M.), « Marchio ingannevole ed uso ingannevole del marchio », Segni e forme distintive. La nuova disciplina, 2001, p. 127. En tout état de cause, le même principe a ensuite été repris par la même juridiction dans l’affaire Cotonelle (C. Cass., 9 avril 1996, n. 3276 : Foro. it, 1996, vol. 119, n. 5, p. 1605). 31 « L’attitudine a trarre comunque in inganno (art. 18, n. 5 r.d. cit.) deve risiedere nell’intrinseco degli elementi costitutivi del marchio avendo riguardo la previsione della norma citata all’oggetto del brevetto che, nella disciplina legislativa, è distinta dall’uso del marchio diretto “comunque” a trarre in inganno nella scelta dei prodotti (art. 11 l.m.) » (C. Cass., 31 mars 1972, n. 1023 : Giur. ann. dir. ind, 6). 32 « [L’]uso di parole, figure, o segni comunque atte a trarre in inganno nella scelta dei prodotti (art. 18 n. 5 l.m.) deve essere riguardato con riferimento ai segni in sé e non ai prodotti o al modo dell’uso del marchio (art. 11 l.m.) e, cioè, all’intrinseco degli elementi costitutivi del marchio » (ibidem). 33 CA Paris, 19 octobre 2005, n. 04/19319 : JurisData n. 2005-284133 ; Propr. industr., 2006, comm. 3, TREFIGNY (P.) ; Propr. intell., 2006, p. 217, obs. BUFFET DELMAS (X.) ; ivi, n. 96, p. 42, note RAYMOND (G.) 34 Cass. com., 2 mai 2007, n. 05-22.029 : JurisData n. 2007-038852, Gaz. Pal., 2008, p. 2003, note STAEFFEN (V.), Propr. intell., 2006, n. 96, p. 42, note RAYMOND (G.). 35 PASSA (J.), Droit de la propriété industrielle, op. cit., n. 230, p. 275 ; LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque », précité, p. 40.
  • 16. 11 auditeurs que la station Skyrock […] est la station la plus écoutée sur la tranche horaire du matin, alors qu'il résulte des études […] versées aux débats, que tel n'est pas le cas […] ».36 Or, il est clair que le succès commercial de l’émission ne pouvait pas s’apprécier en considérant le service désigné par la marque tel que décrit dans l’acte de dépôt. En effet, « [s’]'agissant de services, dans la mesure où il est malaisé d'en apprécier lors du dépôt la qualité, on voit mal comment une marque pourrait être considérée à ce stade comme trompeuse sur la qualité des services désignés. En revanche, il est permis de penser qu’une marque de services qui se révèle, à l’usage, déceptive sur ce point, peut faire l’objet d’une action en déchéance ».37 Pourtant il s’avère que la Cour d’appel – et la Cour de cassation ensuite - appliquent la nullité, et non pas la déchéance, à une hypothèse de déceptivité révélée par l’usage de la marque. Par conséquent, les propos de ces décisions sont contraires à ceux qu’une partie de la doctrine leur a attribués.38 Revenons donc à nos moutons : force est en effet de constater que – nonobstant les affirmations de principe de la jurisprudence italienne et de la doctrine - même après la transposition de la directive, en France comme en Italie, les juges ont souvent continué à s’appuyer sur l’utilisation in concreto de la marque pour en relever la nullité dès l’enregistrement. Comme est obligé de remarquer un auteur, « une certaine ambiguïté doit en effet être révélée sur ce thème. Ceci est probablement le résultat de l’amalgame qui existait sous l’emprise de la loi de 1964 lorsque le motif de déchéance pour cause de déceptivité n’existait encore ».39 Ainsi, en cas d’une marque révélée trompeuse par son exploitation, c’est la nullité, et non pas la déchéance, qui reste pour l’instant la sanction privilégiée par la jurisprudence.40 36 CA Paris, 19 octobre 2005, precité. 37 MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables », J.-Cl. « Marques – Dessins et modèles », fasc. 7115, à jour au 16 septembre 2013, p. 24. 38 Comment interpréter alors le passage cité ? De toute évidence, il faut donner aux termes « contexte et usage » de la marque une signification différente de celle proposée par certains commentateurs. A notre sens ces décisions doivent être interprétées en ce sens qu’il faut s’abstenir de la prise en compte d’éléments extrinsèques à la signification littérale du signe pour en apprécier le caractère déceptif. On s’attardera sur ces aspects lorsqu’on se demandera si la déceptivité survenue de la marque peut résulter de sa présentation (infra, Ch. II, Sect. II, §II, A). 39 LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque », précité, p. 40. 40 On se limitera à rappeler certaines affaires postérieures à la Directive 89/104 ayant suivi une approche "classique". Quant à l’expérience française : Cass. com., 2 mai 2007, précité ; Cass. com., 30 novembre 2004, n. 02-13.561 : JurisData n. 2004-025929, Bull. civ., 2004, IV, n. 208, p. 234 ; CA Metz, 28 février 2012, n. 09/03758 : PIBD, 2012, n. 963, III, p. 385 ; TGI Paris, 14 octobre 2007, n. 06/08250 ; TGI Paris, 6 juin 2007, n. 05/6891 ; CA Paris, 9 février 2000 : PIBD, 2000, n. 699, III, p. 287 ; CA Paris, 17 septembre 1999 : PIBD, 1999, n. 689, III, p. 17.
  • 17. 12 De plus, la Cour de justice de l’Union européenne a elle aussi adopté une approche classique à la question, dans une affaire que l’on va analyser plus amplement (infra, Ch. II, Sect. I, §II, A2).41 La Cour a en effet suivi les conclusions présentées par l’avocat général, selon lesquelles, pour annuler l’enregistrement d’une marque, « le signe doit induire le public en erreur du fait de ses qualités, car il contient une information erronée qui peut s'avérer trompeuse d'un point de vue objectif, à savoir provoquer cette tromperie dans tout cas d'utilisation raisonnablement imaginable ».42 Des lors, la Cour a mis en débat des éléments totalement étrangers aux informations exigées et examinées lors du dépôt de la marque pour en apprécier la validité.43 C’est pourquoi – pour distinguer entre déceptivité en tant que cause de nullité et déceptivité en tant que cause de déchéance - on a fait le choix de suivre l’interprétation que l’on peut appeler "classique", par opposition à l’interprétation "moderne".44 Finalement, il semble alors que le critère pour savoir si la déceptivité est cause de nullité ou de déchéance est de se demander s’il y a eu une exploitation de la marque, postérieure à l’enregistrement, qui n’a révélé aucun caractère trompeur de ladite marque.45 Si un tel usage "véridique" a eu lieu, mais la situation a changé et la marque est devenue trompeuse dans un deuxième temps, alors son titulaire est susceptible d’encourir la déchéance de son droit. Comme on l’a déjà souligné, en effet, « le terme « devenue » ne peut se comprendre que comme une évolution intervenue après l’enregistrement de la marque : un début d’exploitation non déceptif suivi d’une modification des conditions d’exploitation conduisant à rendre le signe déceptif ».46 Quant à l’expérience italienne : C. Cass. 13 mars 2009, n. 6234 : Giur. ann. dir. ind., p. 6348 ; Tribunale di Torino, 9 décembre 2004 : Giur. ann. dir. ind,, 2004, p. 484, Giur. it., 2006, p. 1408, note LUCIFERO (N.), Giur. comm., 2007, II, p. 490, obs. SARACENO (A.).; Corte d’appello di Milano, 1 octobre 1993, Riv. dir. ind., 1994, II, p. 5. 41 CJCE, 30 mars 2006, affaire Emanuel (C-259/04) : RTD com., 2007, p. 341, note AZÉMA (J.) ; D., 2006, p. 2109, note PORACCHIA (D.) et MAETZ (C.-A.) ; D., 2006, p. 1455, note DALEAU (J.) ; RLDI, 2006, p. 6, comm. HUMBLOT (B.). 42 Conclusions de l’AG COLOMER (D. R.-J.), présentées le 19 janvier 2006, affaire C-259/04, §57. Soulignement ajouté. 43 HUMBLOT (B.), « Marques trompeuses : la CJCE au milieu du gué », précité, p. 8. En l’espèce, il s’agissait de la présence ou non dans l’entreprise du déposant de la couturière dont le patronyme constituait la marque. 44 On peut apparenter à la doctrine "classique", en France, BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité p. 186 ; en Italie, GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit, p. 60 et ss. 45 BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 186. 46 LE BIHAN (E.), « Perte du droit sur la marque », précité, p. 40. L’affirmation nous parait pourtant contradictoire si on prend en considération sa source, dans la mesure où l’auteur cité adopte une conception "moderne" de la distinction entre déceptivité en tant que cause de nullité et déceptivité en tant que cause de déchéance.
  • 18. 13 Il s’agit donc tout simplement d’un critère chronologique, qui ne fait que confirmer notre postulat de départ quant à l’unité de le la notion et de l’appréciation de la déceptivité. Ce postulat a d’ailleurs été expressément confirmé par la Cour de justice dans l’affaire susmentionnée : « les conditions de la déchéance […] [sont] identiques à celles du refus d'enregistrement »47 et, par conséquent, à celle de la nullité aussi. On ne manquera pas de souligner, par ailleurs, que les requérants demandent – le plus souvent - à la fois la sanction de la nullité de la marque et celle de la déchéance.48 De toute évidence ce phénomène est dû, au moins en partie, aux incertitudes interprétatives quant à la frontière entre la déceptivité en tant que cause de nullité et la déceptivité en tant que cause de déchéance. Cela dit, les conséquences de la déchéance de la marque sont radicalement différentes des conséquences de la nullité. C’est pourquoi, lorsqu’on étudiera les effets de la déchéance il conviendra de justifier l’opportunité du choix d’une exégèse "classique" des textes (infra, Ch. III, Sect. II, §II). B – La prise en compte du public de la marque Toute déceptivité s’apprécie par rapport à un public. On demande au juge de vérifier si le public peut vraisemblablement être trompé par la marque en question. On rappellera donc très brièvement comment les interprètes apprécient la déceptivité d’une marque, qu’elle soit originaire ou survenue. Le public est composé par les consommateurs du produit ou par les usagers du service marqué. Ainsi, « l’éventualité d’une erreur de l’acheteur est appréciée par le juge en fonction du type de clientèle auquel le produit ou le service est destiné, et en fonction des réactions que l’on suppose être celles de la plupart des consommateurs ».49 Lorsqu’il s’agit de produits destinés à un public spécialisé, le consommateur sera donc averti.50 Lorsque la marque n’a de 47 CJCE, 30 mars 2006, affaire Emanuel, précité, §53. 48 BARBIER (P.-H), LALOST (R.) et GRISON (C.), « La déchéance de la marque. Etude réalisée par le service de documentation, d’études et du rapport, bureau chargé du suivi du contentieux de la chambre commerciale de la Cour de cassation », Bull. inf. Cour. cass., 2010, n. 723, p. 12. 49 MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables », précité, p. 20. 50 Par exemple la marque « ATP advantage », déposée pour des compléments nutritionnels a été considéré trompeuse « pour des sportifs, dont les culturistes » (TGI Paris, 28 novembre 2008, inédit).
  • 19. 14 signification que pour une partie des consommateurs, c’est pour ces consommateurs qu’il faut se demander si un risque de tromperie existe.51 Un aspect plus intéressant touche au public concerné d’un point de vue géographique. Il s’agit d’abord de savoir quel est le public intéressé en cas de marque d’exportation : celui de la zone qui correspond à la territorialité du titre ou aussi le public d’autres territoires, et notamment celui du territoire de destination ? La réponse parait assez évidente, puisque « [l]a situation des consommateurs à l’étranger sera […] beaucoup plus efficacement traitée par une déchéance du droit de la marque dans leur pays ».52 Pourtant il faut signaler que, dans une affaire portant sur une marque enregistrée en France pour des produits exportés au Moyen Orient, la Cour d’appel de Paris a bien connu d’un litige portant sur la tromperie du public étranger, en rejetant la déchéance pour insuffisance de la preuve.53 Dans l’hypothèse où une marque enregistrée sur base nationale est utilisée pour des produits exportés dans le territoire d’un autre Etat membre de l’UE, on pourrait ensuite se demander si une interdiction d’importation serait légitime lorsque la marque est trompeuse pour le public de destination. Sur ce point, la Cour de Justice a en effet énoncé à plusieurs occasions que l’interdiction d’importation, si elle est possible, doit également être nécessaire à protéger les consommateurs contre un risque de tromperie « suffisamment grave » et que, en tout état de cause, la mesure doit être proportionnée à l’objectif poursuivi.54 Les problèmes s’intensifient lorsqu’on est en présence d’une marque communautaire. Quel est le public concerné ? Suffit-il que la marque soit déceptive sur une moindre partie du territoire de l’Union Européenne – un Etat peut être ? - pour qu’elle soit susceptible d’être déclarée nulle ou d’entrainer la déchéance ? Sur cette question, l’art. 7 al. 2 RMC prévoit expressément que l’enregistrement d’une marque est refusé « même si les motifs de refus n'existent que dans une partie de la Communauté ». Une interprétation cohérente et systémique impose donc d’appliquer le même raisonnement aux motifs (de nullité et) de déchéance tels que la déceptivité de la marque, car on a postulé une symétrie entre déceptivité en tant que cause d’invalidité de la marque et déceptivité en tant que cause de déchéance. 51 Ainsi une marque écrite en caractère cyrilliques s’adresse à un public qui comprend ces caractères et peut être déceptive pour ce public (CA Paris, 25 avril 2007, n. 06/03001 : JurisData n. 2007-347615). 52 BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 184. 53 TGI Brest, 26 janvier 2000 : PIBD, 2001, III, p. 11. 54 Cf. CJCE, 2 février 1994, affaire Clinique (C-315/92) ; CJCE, 26 novembre 1996, affaire Cotonelle (C- 313/94).
  • 20. 15 Une application rigoureuse de ce principe d’unité conduirait donc à interdire la possibilité d’obtenir un enregistrement valable et durable même dans les cas où la marque n’est déceptive que dans un seul Etat - voire dans une partie d’un Etat - où la marque ne sera peut- être jamais exploitée. C’est ce qui se passe, depuis longtemps, dans les systèmes ayant une tradition de plurilinguisme, tels que le Benelux ou la Suisse. Pourtant, force est de constater qu’il existe une différence entre un système ayant 3 ou 4 langues officielles et un système qui en a 24 ! Dans un organisme comme celui de l’Union Européenne, le risque d’enregistrer de bonne foi une marque ayant une signification trompeuse dans une langue peu ou très peu parlée est beaucoup plus important. L’équilibre entre ces deux exigences n’est donc pas simple à trouver. La doctrine estime qu’il serait souhaitable d’introduire un tempérament au principe d’unité dans l’appréciation du caractère trompeur de la marque.55 Pourtant, cette doctrine ne se prononce pas sur la méthode par laquelle appliquer ce tempérament. Faudrait-il limiter l’application du principe d’unité aux langues (rectius, aux grilles de lecture sémantiques) suffisamment diffusées sur le territoire de l’UE ? Si on adoptait cette solution, comment établir alors l’étendue de ce qui est suffisamment diffusé ? De plus, une telle solution serait – en principe - susceptible de donner lieu à des abus, dans la mesure où l’obtention d’un droit de marque pourrait en favoriser l’exploitation là où le signe est effectivement trompeur. A notre sens, il suffit de pousser les réflexions formulées jusqu’ici pour proposer une solution au problème. En effet, on a vu que la jurisprudence n’hésite pas à prendre en considération l’usage concret de la marque pour en établir le caractère trompeur, sans distinguer selon qu’il s’agit d’apprécier ce caractère au stade de la naissance du droit ou à celui de son exploitation. Ainsi, même pour la détermination du public pertinent, il serait cohérent de considérer l’exploitation in concreto de la marque communautaire pour établir quel est le public susceptible d’être trompé. La sanction serait alors soit la nullité ab initio soit la déchéance de la marque : le choix entre les deux options devrait se faire en se demandant s’il y a eu une première exploitation de la marque n’ayant pas atteint un public susceptible d’être induit en erreur par le signe. 55 GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 42.
  • 21. 16 Section II – La limitation par l’exigence de caractère arbitraire des cas de déchéance de la marque devenue trompeuse Il convient maintenant d’analyser les rapports théoriques entre marques déceptives et marques dépourvues de caractère arbitraire (§I) ; on s’intéressera ensuite aux cas de figure dans lesquels une marque non arbitraire a pu être valablement enregistrée, devenant ainsi potentiellement susceptible d’encourir la déchéance du droit pour déceptivité survenue (§II). §I – Le rapport entre déceptivité et absence de caractère arbitraire de la marque Une fois établie la parfaite confusion entre la déceptivité au moment de la naissance de la marque et la déceptivité au cours de sa vie, il convient de se demander quel est le rapport entre l’exigence de non déceptivité (au moment de la genèse de la marque tout comme successivement) et l’exigence de caractère arbitraire du signe. On rappellera brièvement que, par exigence de caractère arbitraire de la marque, il faut entendre la nécessité que le signe choisi ne contienne per se aucun aspect de liaison avec le produit ou service désigné ; il s’agit d’exclure tout lien sémantique entre la marque et les produits et services pour lesquelles elle est enregistrée. Ainsi, l’art. 3, al. 1, DM et - de façon identique - l’art. 7, al. 1 RMC, prévoient que sont refusées à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarés nulles si enregistrées « les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci » et «les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ». L’art. L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle français adopte par ailleurs une quadripartition et précise que, outre les signes composés par des "indications descriptives",56 sont invalides « [l]es signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, 56 Cf. art. L711-2 al. 1, qui prévoit la nullité des «signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ». De la même manière, le Code de la propriété industrielle italien à son art. 13, al. 1, b), prévoit que « [n]on possono costituire oggetto di registrazione come marchio d'impresa i segni […] costituiti esclusivamente […] da indicazioni descrittive che ad essi si riferiscono, come i segni che in commercio possono servire a designare la specie, la qualità, la quantità, la destinazione, il valore, la provenienza geografica ovvero l'epoca di fabbricazione del prodotto o della prestazione del servizio o altre caratteristiche del prodotto o servizio ».
  • 22. 17 sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ». Une disposition analogue est présente en droit italien.57 Il s’agit d’une précision qui est absente dans les textes européens, mais qui découle logiquement de l’invalidité des marques usuelles lato sensu et qui ne présente aucun intérêt pratique.58 Il faut alors se demander quelle est la relation entre la marque dépourvue de caractère arbitraire (ci-après appelée par simplicité aussi marque descriptive59 ) et la marque déceptive. A priori, on serait tenté d’affirmer que toute marque trompeuse est nécessairement une marque descriptive. En effet, pour que le public soit induit en erreur, il devrait y avoir un aspect de description du produit ou service marqué qui sert d’élément trompeur60 ; une indication sur son espèce, qualité, quantité, provenance, etc. qui se révèle être fausse et qui trompe ainsi le consommateur. La marque trompeuse ne serait qu’une sous-catégorie de la marque descriptive. Ainsi, serait par exemple dépourvue d’arbitraire la marque « Dorée » pour des montres en laiton. Cette lecture doit pourtant être écartée. En effet, on peut très bien envisager des cas de marques trompeuses qui ne sont pas pour autant descriptives. Il s’agit de marques extrinsèquement trompeuses, susceptibles de tromper le consommateur sans que cette tromperie passe par une « désignation » au sens des articles 3, al. 1, c) DM et 7, al. 1, c) RMC (infra, Ch. II, Sect. II). La marque trompeuse est donc une catégorie juridique qui peut se superposer à celle de la marque descriptive, mais qui a également un espace indépendant et autonome. On verra, cependant, que les sanctions portant sur l’existence du titre n’intéressent que les marques trompeuses et descriptives, c’est-à-dire les marques intrinsèquement trompeuses. Ainsi, seule l’exploitation d’un signe dont la signification intrinsèque est propre à tromper sur les caractéristiques des produits ou services désignés pourra notamment entrainer la déchéance du droit de marque. Quel est donc l’intérêt de prévoir la sanction de l’invalidité pour les marques trompeuses en question ? Pourquoi le Législateur européen a introduit une sanction autonome pour la déceptivité de la marque, alors que la marque trompeuse est forcément une marque 57 Cf. art. 13, al. 1, b), Code de la propriété industrielle italien: «Non possono costituire oggetto di registrazione come marchio d'impresa i segni […] costituiti esclusivamente dalle denominazioni generiche di prodotti o servizi […]. 58 BOUVEL (A.), Le principe de spécialité dans le droit des signes distinctif – contribution à l’étude de la liberté du commerce et de l’industrie, Thèse Paris II, 2002, dir. BONET (G.), n. 185. 59 La doctrine italienne adopte souvent cette terminologie pour désigner toute marque dénuée de caractère arbitraire. Il s’agit, de toute évidence, d’une descriptivité au sens large du terme. 60 SENA (G.), Il nuovo diritto dei marchi. Marchio nazionale e comunitario, Giuffré, 2007, p. 45 et 102.
  • 23. 18 dépourvue de caractère arbitraire et, par conséquent, déjà susceptible d’entrainer l’invalidité du titre ? Une première réponse consiste à dire que la marque trompeuse ne pourrait jamais être une sous-catégorie de marque descriptive mais, au contraire, constituerait une catégorie juridique diamétralement opposée. Ainsi, il est tout à fait possible de soutenir que la marque n’est descriptive que lorsque les caractéristiques qu’elle décrit correspondent effectivement à celles des produits ou services pour lequel son titulaire l’a enregistrée (ou en demande l’enregistrement). Par opposition, la marque déceptive serait la marque désignant des caractéristiques qui ne correspondent pas à celles du produit ou service marqué. Une marque contenant des indications sur les caractéristiques du produit ou service serait donc soit dépourvue d’arbitraire soit trompeuse : les deux possibilités étant alternatives, il serait nécessaire de prévoir des sanctions autonomes pour chacune d’elles. 61 Cette lecture, qui n’est pas nécessairement fausse, est néanmoins insuffisante pour expliquer la prévision d’une sanction autonome pour la marque déceptive. Pour s’en rendre compte il suffit de considérer l’hypothèse de la déceptivité survenue de la marque. Quelle serait l’utilité de sanctionner un tel cas de figure ? Par hypothèse, on considère ici que la marque déceptive n’est pas descriptive. Pour autant une marque susceptible d’entrainer la déchéance pour déceptivité a nécessairement été, au moment de la demande d’enregistrement, descriptive. Cela parce que, comme anticipé, seules les marques intrinsèquement trompeuses peuvent entrainer la sanction de la déchéance. La possibilité de révoquer le droit sur un signe devenu déceptif se relèverait ainsi redondante, car l’invalidité de la marque descriptive suffirait pour empêcher ab initio la naissance d’une telle marque.62 En réalité, la marque intrinsèquement déceptive peut parfaitement être considérée une sous-catégorie de la marque dépourvue d’arbitraire. La sanction autonome des marques déceptives doit en effet se justifier par un constat : toute marque descriptive n’est pas invalide. On admet la validité et la pérennité de certaines marques ayant un lien sémantique avec les produits ou services désignés. 61 Cf. BONET (G.) et BOUVEL (A.) «Distinctivité du signe », J.-Cl. « Marques – Dessins et modèles », fasc. 7112, à jour au 16 avril 2013, n. 18 : « Dans un certain nombre de décisions, les juges invalident la marque parce qu'elle n'est pas distinctive, en précisant que, s'ils l'avaient estimée distinctive elle aurait été jugée déceptive, donc annulable de toute façon ». 62 La possibilité de faire application de la déchéance serait très réduite et concrètement inexistante. Seulement en cas de changement de la signification du signe (infra, Ch. II, Sect. I, §I) la marque pourraient en effet échapper à la sanction de l’invalidité pour absence de caractère arbitraire : le Législateur n’a pas envisagé, dans ce cas, une sanction générale ayant vocation à réprimer toute descriptivité survenue de la marque, seules les signes devenus génériques par le fait de leur titulaire étant susceptibles d’entrainer la déchéance du titulaire de son droit.
  • 24. 19 §II - Les marques dépourvues de caractère arbitraire susceptibles d’encourir la déchéance du droit C’est d’abord la lecture des textes qui nous révèle que seule la marque exclusivement dénuée d’arbitraire est tachée d’invalidité. A contrario, une marque qui n’est que partiellement dépourvue de caractère arbitraire est bien valable. C’est le cas des marques dites complexes, qui se composeraient d’un élément descriptif et d’un élément arbitraire. Ainsi, la marque « XYZ Cola » pour des sodas de type cola serait considérée valable.63 Un deuxième cas de marque dénuée d’arbitraire dont la validité est admise par le(s) Législateur(s) est celui de la marque patronymique. S’agissant de cette catégorie de marques, force est de constater qu’il s’agit bien de marques descriptives. En effet, ce type de marque correspond souvent au patronyme d’une personne réelle et cette personne sera, en règle générale, économiquement liée au produit ou service marqué (en tant que patron de la maison de production, en tant que créateur du produit, etc.). Dans ces cas de figure, on est bien en présence de marques qui décrivent l’origine des produits ou services marqués. Cependant leur validité est expressément admise par l’art. L. 711-1 al. 2 CPI.64 Une disposition semblable est absente dans les textes européens ainsi qu’en droit italien, mais elle découle des principes généraux du droit. Le principe est le droit d’exercer le commerce sous son nom : « toute personne a la liberté d’utiliser son nom patronymique à titre de signe distinctif ».65 Aucun problème ne se pose quant à la liberté de concurrence, vu qu’a priori le nom patronymique identifie un sujet précis et n’empêche en rien les concurrents de conduire leurs affaires sous leurs patronymes respectifs. Des problèmes quant à la véridicité du signe peuvent cependant se poser lorsque, suite au transfert de la marque, le titulaire du nom perd son lien avec l’exploitation du titre (infra, Ch. II, Sect. I, §II, A2). Un troisième groupe de marques descriptives dont la validité est admise est celui des marques dites évocatrices. La marque évocatrice est « un signe exclusivement ou presque composé d’éléments ayant un lien avec la spécialité, mais qui est néanmoins valable dans la 63 Cf. BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », Légicom, 2010, I, n. 44, p. 30. 64 « La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale. Peuvent notamment constituer un tel signe […] [l]es dénominations sous toutes les formes telles que […] noms patronymiques et géographiques […] ». 65 LOISEAU (G.), Le nom objet d’un contrat, LGDJ, 1997, p. 121.
  • 25. 20 mesure où ce lien est judicieux et subtil ».66 Or, cette marque est par définition dénuée d’arbitraire puisque « tous ou presque tous les éléments entrant dans sa composition sont liés plus ou moins immédiatement au produit ou au service qu’elle désigne ».67 Il s’agit dans ce cas d’une possibilité d’origine prétorienne, avalisée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne au cours des dernières décennies. Cette exception à l’exigence de caractère arbitraire, consacrée en l’absence de toute base légale, a fait l’objet de nombreuses critiques doctrinales, puisque « il n’est pas rare de voir qualifiées d’évocatrices des marques évoquant leur spécialité avec une subtilité toute discutable ».68 Suite à une plus grande ouverture en la matière,69 la Cour de Justice a finalement été obligée de modérer ses propos. Ainsi, il faut désormais que la marque évocatrice crée une « impression suffisamment éloignée » de celle que donnerait une indication purement descriptive.70 Aujourd’hui, la possibilité d’enregistrer valablement une marquée évocatrice parait donc un objectif plus difficile à atteindre qu’auparavant, mais toujours bien possible. D’ailleurs, « l’exigence d’un caractère arbitraire n’en reste pas moins très subjective ».71 Un quatrième cas de marque dénuée d’arbitraire susceptible d’encourir la déchéance est celui de la marque ayant acquis un secondary meaning. Il s’agit, dans ce cas, d’une marque (extrinsèquement) non distinctive qui a pourtant acquis une distinctivité (intrinsèque) suite à l’usage qui en a été fait. Le Législateur européen admet, en effet, la validité et la pérennité d’un signe qui, initialement, n’était pas perçu à titre de marque mais qui l’est devenu dans un deuxième temps.72 Ainsi, par exemple, « une marque composée d’éléments descriptifs peut être distinctive en soi si le mot est entré dans le langage courant ».73 66 BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », précité, p. 29. 67 BONET (G.) et BOUVEL (A.) «Distinctivité du signe », précité, n. 44. 68 BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », précité, p. 29. 69 Cf. CJCE, 20 septembre 2001, affaire Baby Dry (C-383/99), §40 : « Tout écart perceptible dans la formulation du syntagme proposé à l'enregistrement par rapport à la terminologie employée, dans le langage courant de la catégorie de consommateurs concernée, pour désigner le produit ou le service ou leurs caractéristiques essentielles est propre à conférer à ce syntagme un caractère distinctif lui permettant d'être enregistré comme marque ». 70 Cf. CJCE, 25 février 2012, affaire Color Edition (C‑408/08), §62 : « [U]ne marque constituée d’un mot composé d’éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé est elle-même descriptive desdites caractéristiques, sauf s’il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu’il prime la somme desdits éléments ». 71 BOUVEL (A.), « La distinctivité de la marque, un standard en devenir », Légicom, 2014, II, n. 53 p. 34. 72 Cf. art. 7, al. 3, RMC : «Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1, points b), c) ou d), si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ; art. 3, al. 3, DM : « Une marque n’est pas refusée à
  • 26. 21 Dans ces hypothèses, à côté de sa nouvelle acception, le signe garde sa première signification dans le langage courant et reste donc dénué de caractère arbitraire. Dès lors, le signe pourrait devenir trompeur dans la mesure où les conditions d’exploitation de la marque contrediraient sa signification originaire.74 Un cinquième et dernière cas est enfin celui du signe devenu une désignation usuelle pour des raisons indépendantes de la volonté du titulaire du droit de marque. Comme on l’a vu dans l’introduction de ce travail, en effet, s’expose à la déchéance pour dégénérescence seulement le titulaire d’une marque « devenue, par le fait de [son] activité ou de [son] inactivité […], la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée ».75 Par conséquent, si une marque a perdu son caractère arbitraire en dépit des diligences de son titulaire, il convient de traiter cette marque comme toute autre signe lato sensu descriptif. Ainsi, une fois esquivée une cause de déchéance de la marque, le titulaire du droit deviendra potentiellement susceptible d’encourir la déchéance pour déceptivité survenue (infra, Ch. II, Sect. I, §II, B).76 En conclusion, c’est dans un espace relativement réduit que se place déchéance de la marque devenue trompeuse. Il s’agit d’une sanction qui n’a vocation à s’appliquer qu’aux marques descriptives ayant passé le test du caractère arbitraire au moment de l’enregistrement : les marques partiellement dénuées de caractère arbitraire ; les marques patronymiques77 ; les marques évocatrices ; les marques ayant acquis un secondary meaning ; les marques dégénérées nonobstant l’activité de leurs titulaires. Il convient d’ailleurs de souligner que la jurisprudence pourrait dans le futur apprécier avec une plus grande souplesse les conditions de validité de ces catégories de marques, comme la l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1, points b), c) ou d), si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement » ; ou après l’enregistrement » ; art. L. 711-2, al. 2, CPI : « Le caractère distinctif peut […] être acquis par l’usage » ; art. 23, al. 2-3, Codice della propriétà industiale : « [P]ossono costituire oggetto di registrazione come marchio d'impresa i segni che prima della domanda di registrazione, a seguito dell'uso che ne sia stato fatto, abbiano acquistato carattere distintivo. Il marchio non può essere dichiarato o considerato nullo se prima della proposizione della domanda o dell'eccezione di nullità, il segno che ne forma oggetto, a seguito dell'uso che ne è stato fatto, ha acquistato carattere distintivo. ». 73 BOUVEL (A.), « L’appréciation de la distinctivité des marques verbales évocatrices », précité, p. 34, à propos de l’arrêt CJCE, 8 mai 2008, affaire Eurohypo (C-304/06). 74 SENA (G.), « Veridicità e decettività del marchio », précité, p. 335. 75 Art. 12, al. 2, a) DM et art. 51, al. 1, b) RMC (transposé en droit français par l’art. L. 714-6, al. 1, a) CPI et en droit italien par l’art. 13, al. 4, Codice di propriétà industriale). 76 GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 123. L’auteure imagine par exemple que la société Bayer utilise sa marque « Aspirine » pour désigner des produits ne contenant pas d’acide acétylsalicylique. 77 Bien que, pour ce cas de figure, on sera obligé de nuancer nos propos (infra, Ch. II, Sect. I, §II, A2).
  • 27. 22 Cour de justice de l’Union européenne l’a déjà fait pour les marques évocatrices. Dans ce cas il y aurait – inversement - un plus grand gisement de marques potentiellement susceptibles d’encourir la sanction de la déchéance pour déceptivité survenue.
  • 28. 23 Chapitre II – La survenance de la déceptivité de la marque Une fois exposé ce qu’il faut entendre par marque trompeuse, il est nécessaire de se demander comment une marque, initialement non trompeuse, peut le devenir dans un deuxième temps. Ainsi, une marque peut devenir intrinsèquement trompeuse (Section I) ou bien extrinsèquement trompeuse (Section I). Section I - La marque devenue intrinsèquement trompeuse Toute marque est constituée par un signe dont la signification - et donc le caractère trompeur - s’apprécie par rapport au "signifié", c’est-à-dire par rapport aux produits et services marqués. La déceptivité survenue présuppose donc un changement de l’un des deux éléments de la relation, voire des deux. Ainsi, une marque peut devenir (intrinsèquement) trompeuse tout d’abord par effet du changement de la teneur sémantique du signe (§I). Mais la marque peut également devenir trompeuse suite au changement des caractéristiques du produit ou service marqué (§II). §I - La déceptivité survenue résultant du changement de la teneur sémantique du signe Il se peut, à notre sens, que la signification d’un signe - et notamment la signification d’un mot - change dans deux cas de figure. Soit il s’agit d’un changement de la perception du signe dû à l’évolution normale de la langue et de la communication dans la société (A) ; soit il s’agit d’un changement de teneur sémantique causé par l’attribution d’une signification juridique bien précise au signe (B). A - La déceptivité résultant du changement de la signification du signe dans le langage courant La signification d’un signe, et notamment celle d’un signe verbal, est susceptible de changer par effet de l’évolution de la langue dans le temps. Il s’en suit qu’une marque nominale initialement dépourvue de caractère trompeur peut devenir déceptive si les
  • 29. 24 consommateurs, après un certain temps, y attribuent une signification différente de celle originaire. La jurisprudence n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur un cas qui entrait directement dans ce cas de figure. Pourtant, dans une des rares affaires où les juges du fond italiens ont pu se prononcer sur une demande de déchéance de la marque, on retrouve un obiter dictum intéressant : « tant les modifications concernant le signe que celles concernant l’objet […] pourraient compromettre la véridicité du message transmis par la marque et donc constituer une tromperie. Quant à la modification de la signification du signe, il est considéré qu’elle est abstraitement toujours possible, étant donné que les règles sémantiques et le langage peuvent subir des mutations dans le cours du temps ».78 Les juristes qui s’occupent du droit des marques connaissent bien ce phénomène, et l’étudient souvent sous plusieurs angles. En effet, il se peut tout d’abord qu’une marque devienne générique : victime de son propre succès, une marque peut finalement être perçue par le public comme désignant non seulement les produits marqués, mais aussi les produits similaires qui ne proviennent pas du titulaire de la marque. Mais il se peut aussi qu’une marque, qui dans un premier moment n’était que purement descriptive, acquière une signification secondaire dans l’esprit du public et soit donc perçue dans son rôle distinctif. S’agissant des questions relatives aux marques devenues déceptives, on reviendra brièvement sur ces types de signes lorsqu’on s’interrogera sur la possibilité pour le titulaire d’une marque de changer les caractéristiques des produits ou services marqués (infra, §II, B). Par ailleurs, on y a déjà fait brièvement référence dans la première partie de ce mémoire (supra, Ch. I, Sect. II, §II). Plus simplement, la signification d’un mot pourrait changer par effet de la mutation des usages et des coutumes de la société, sans que l’utilisation de la marque faite par son titulaire joue un rôle direct dans ce changement de signification. On peut penser par exemple à la démocratisation des mots anglais dans la langue courante, aux néologismes, à l’attribution de nouvelles nuances sémantiques à la signification originaire d’un mot, et cætera desunt.79 Ainsi, pour ne faire qu’un exemple, au début des années 1990 la doctrine française remarquait que « les termes "Euro" et "Europe" […] [avaient] acquis, ces dernières années un 78 « [T]anto le modifiche riguardanti il segno quanto le modifiche riguardanti l’oggetto, e cioè appunto i prodotti o i servizi che il marchio contraddistingue potrebbero compromettere la veridicità del messaggio trasmesso dal marchio e quindi integrare una fattispecie di inganno. Quanto alla modifica del significato del segno, si ritiene che essa sia astrattamente sempre possibile, dato che le regole semantiche e il linguaggio possono subire mutamenti nel sorso del tempo » (Tribunale di Napoli, 14 janvier 2013 : Dir. ind., 2013, n. 2, p. 181, comm. CASABURI (G.) ). 79 Cf. GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 121.
  • 30. 25 sens particulier en raison de la construction de la Communauté économique européenne. Dix ans auparavant, ils n’avaient qu’une signification assez vague, se référant simplement au continent européen sans qu’on puisse y attacher une signification particulière. Aujourd’hui, le Marché commun vient spontanément à l’esprit dès que l’on utilise ces termes ».80 De la même manière, par exemple, des préfixes tels que « Bio-» sont aujourd’hui un symbole pour indiquer l’origine biologique et naturelle du produit en question, alors que le consommateur moyen n’y aurait pas attribué une telle signification avant la diffusion de l’agriculture biologique. B - La déceptivité résultant de l’attribution ex lege d’une signification au signe Si la signification d’un mot peut changer par effet de la normale évolution d’une langue, il reste qu’il s’agit souvent d’un procès lent, qui ne s’achève pas d’un jour à l’autre. De plus, la perception de certains mots peut varier selon le public concerné, en restant floue et difficile à déterminer avec précision. Ainsi, c’est le Législateur qui va parfois intervenir de façon directe pour établir la signification précise qu’il faut attribuer à certains termes, notamment afin d’éviter qu’ils induisent en erreur les consommateurs. En effet, on a vu qu’une marque peut bien être composée, au moins en partie, par un élément non arbitraire. Ces types de marque, que la doctrine italienne appelle souvent « marques faibles », doivent ainsi respecter les textes juridiques qui règlementent l’utilisation de certains signes et dénominations. C’est tout d’abord le cas pour les indications géographiques.81 Selon l’art. 13 du Règlement 1151/2012,82 « les indications géographiques sont protégées contre […] toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée à l’égard des produits non couverts par l’enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la 80 MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives, op. cit., p. 255. 81 Une partie de la doctrine italienne estime que les marques collectives poseraient le même ordre de problèmes. Ainsi, une marque individuelle susceptible d’être associée par le consommateur à une marque collective serait déceptive (GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 47). A notre humble avis, dans ce genre de situations il vaudrait mieux parler tout simplement de contrefaçon de la marque collective. La marque contrefaisante serait donc affecté de nullité relative, et non pas de déceptivité : l’intérêt du public à ne pas être induit en erreur ne serait protégée qu’indirectement, par l’action du titulaire de la marque collective. C’est ce qui découle de la transposition aux marques collectives des règles prévue en matière de marque individuelle (cf. art. 66, al. 3, RMC ; art. L. 715-2, al. 1, CPI ; art. 11, al. 5, du Code de propriété industrielle italien). 82 Règlement (UE) n. 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires.
  • 31. 26 réputation de la dénomination protégée […] ; [contre] toute usurpation, imitation ou évocation […] ; [contre] toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit […] » ; [contre] toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ». De toute évidence, une marque qui évoquerait une indication géographique - et qui serait utilisée pour des produits non couverts par l’enregistrement de la dite IG - constituerait un acte interdit par ce même art. 13. Une marque qui "usurperait" d’une telle façon une indication géographique sera d’ailleurs normalement trompeuse pour le consommateur. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’une pathologie qui affecte la marque dès son enregistrement : l’article 14, al. 2, du même règlement établit expressis verbis les sanctions du refus à l’enregistrement et de la nullité de la marque pour ces hypothèses "d’usurpation". De la même manière, selon l’art. 7 al. 1 j-k) RMC, le conflit avec une indication géographique antérieure est un motif absolu de refus à l’enregistrement (et donc de nullité aussi) de la marque. En droit interne, l’art. L. 711-4 d) CPI prévoit que les appellations d’origine constituent des droits antérieurs faisant obstacle à l’enregistrement d’une marque.83 Une disposition similaire n’est pas présente dans le droit des marques italien, mais s’impose – bien entendu – au regard du droit des indications géographiques. Mais qu’en est-il si la marque a été enregistrée antérieurement à la demande de protection d’une indication d’origine ? L’art. 14, al. 2, du règlement 1151/2012 envisage expressément la question et prévoit que « une marque dont l’utilisation enfreint l’article 13, paragraphe 1, et qui a été déposée, enregistrée, ou acquise par l’usage dans les cas où cela est prévu par la législation concernée, de bonne foi sur le territoire de l’Union, avant la date du dépôt auprès de la Commission de la demande de protection relative à l’appellation d’origine ou à l’indication géographique, peut continuer à être utilisée et renouvelée pour ce produit nonobstant l’enregistrement d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, pour autant qu’aucun motif de nullité ou de déchéance, au titre du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire ou de la directive 2008/95/CE, ne pèse sur la marque. […] ». 83 Mais elles donnent lieu à un motif absolu de refus d’enregistrement, qui doit donc faire l’objet d’un refus ex officio. En ce sens, DURRANDE (S.), « Disponibilité des signes », J.-Cl. « Marques – Dessins et modèles », fasc. 7110, à jour au 20 décembre 2010, p. 11.
  • 32. 27 Il parait assez évident que la cause (de nullité et) de déchéance d’une marque qui est ici la plus pertinente est le caractère trompeur de celle-ci.84 En effet, même si les règles qui régissent le droit des indications géographiques admettent en principe une coexistence entre une marque antérieure et une IG postérieure, une limite ultérieure est représentée par le « statut de non déceptivité de la marque » tel qu’il résulte des textes expressément cités par le règlement 1151/2012.85 Ainsi, la survenance d’une indication géographique n’entraine pas automatiquement la déchéance pour caractère trompeur de la marque qui l’évoquerait86 : il sera nécessaire de vérifier dans le cas d’espèce si les consommateurs peuvent être induits en erreur sur la provenance géographique, la qualité ou la nature des produits marqués. Certes, l’existence d’une indication géographique aura un rôle important dans l’appréciation des juges, mais elle ne sera pas déterminante. L’enregistrement d’une indication géographique sera, dans la plupart des cas, un simple indice qui confirme un risque de tromperie préexistant. La Corte di cassazione italienne, par exemple, a retenu la déceptivité de la marque « Budweiser » pour des bières de production américaine.87 En prononçant la nullité de ladite marque, pourtant, la Cour suprême italienne n’a fait qu’une référence tout à fait marginale à la survenance de l’enregistrement de trois indications géographiques similaires à la marque concernée (« Budějovické pivo », « Českobudějovické pivo » et « Budějovický měšťanský var ») : en tout état de cause, c’est la perception du public qui conduit la Cour à retenir le risque de tromperie sur l’origine du produit. De la même manière, la Cour d’appel de Paris n’a pas prononcé la déchéance pour déceptivité de la marque « Salakis », enregistrée et utilisée pour des produits au lait de brebis.88 Le fromage Feta était devenu - après l’enregistrement de la marque - une appellation d’origine protégée et la société française ne produisait pas de fromages pouvant bénéficier de 84 Mais on peut également très bien imaginer qu’à cause de la survenance d’une indication géographique une marque devienne dépourvue de caractère arbitraire. 85 GIOVE (L.) et COMELLI (A.), « La Corte di giustizia sul conflitto tra marchi e indicazioni geografiche », comm. sous CJCE, 22 décembre 2010, affaire Bavaria II (C-120/08) , Dir. ind., 2011, n. 4, p. 362. Cf. aussi CJCE, 2 juillet 2009, affaire Bavaria I (C-343/07) : « [L]’article 14, paragraphe 2, du règlement nº 2081/92 vise une situation de conflit entre une AOP ou une IGP enregistrée et une marque préexistante lorsque l’usage de cette dernière correspond à l’une des situations visées à l’article 13 du règlement nº 2081/92, et que la marque a été enregistrée de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’AOP ou de l’IGP. L’effet prévu dans cette hypothèse est de permettre de poursuivre l’usage nonobstant l’enregistrement de la dénomination, lorsque la marque n’encourt pas les motifs de nullité ou de déchéance prévus respectivement aux articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), ainsi que 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104. Il s’agit donc d’une règle impliquant une analyse postérieure à l’enregistrement et destinée, notamment, aux administrations et juridictions appelées à appliquer les dispositions en cause ». 86 Et qui – bien entendu- serait utilisée pour des produits ne pouvant pas bénéficier de l’indication géographique en question. 87 C. Cass. civ., sez. I, 13 septembre 2013, n. 21023 : Giur. it., juillet 2014, p. 1670. 88 CA Paris, 22 octobre 2010, n. 09/11691 : PIBD, 2010, n. 930, III, p. 825.
  • 33. 28 cette indication géographique. La Cour a admis un certain rapprochement du signe par le public à « l’univers de la Grèce », en estimant toutefois que les consommateurs ne percevraient pas la marque « Salakis » comme désignant des produits d’origine grecque et conformes au règlement de l’AOP Feta : de ce point de vue, l’octroi d’une protection à la dénomination Feta, que la société française a par conséquent dû arrêter d’utiliser, n’a en rien changé la perception du public intéressé.89 Il faut estimer que le test de la non-déceptivité est plus souple que celui découlant de l’article 14, al. 2. En effet, une marque peut avoir beaucoup d’éléments en commun avec une indication géographique et, pour autant, ne pas tromper les consommateurs, désormais habitués à interpréter correctement la valeur sémantique de la marque. C’est ce qui semble ressortir d’une affaire portant sur la marque « Aoste », utilisée pour des jambons français et donc potentiellement en conflit avec les AOP italiennes « Valle d'Aosta Jambon de Bosses » et « Valle d'Aosta Lard d'Arnad ». La Cour de cassation française a effectivement estimé que la marque « Aoste Excellence » usurpait l’indication géographique italienne.90 La marque « Aoste Kids » a connu le même sort.91 Et pourtant, la marque « Aoste », antérieure à l’enregistrement des indications géographiques, peut continuer à être utilisée pour des produits de charcuterie : apparemment, le public serait conscient que les jambons commercialisés sous cette marque proviennent de la ville d’Aoste en Isère. La survenance de l’indication géographique ne donne pas lieu à la survenance de la déceptivité de la marque.92 L’enregistrement d’une indication géographique est donc un simple indice, et non pas un facteur déterminant : cela signifie également que, même si le dépôt de la demande d’enregistrement d’une indication géographique est postérieur à l’enregistrement de la marque, les juges auront la tendance à prononcer la nullité pour caractère trompeur de la 89 Notre raisonnement est compliqué par le fait que, dans l’affaire en question, la tromperie contestée n’aurait pas été générée par la signification intrinsèque la marque. Le vecteur de la tromperie était la perception du public telle que influencée par la politique commerciale des titulaires de la marque. Il faudra donc revenir sur ces aspects (infra, Sect. II, §II, A). 90 Cass. comm., 31 janvier 2006, n. 04-13.676 : JCP E, 2006, n. 1392 ; PIBD, 2006, n. 826, III, p. 214 ; D., 2006, p. 581, obs. DALEAU (J.) ; ibidem, p. 2324, obs. DURRANDE (S.) ; Propr. industr., 2006, comm. 32 TREFIGNY (P.) ; Comm. com. électr., 2006, comm. 59 CARON (CH.). 91 CA Lyon, 10 mai 2007 : PIBD, 2007, n. 858, III, 482. 92 Mais cf., contra, LE GOFFIC (C.), « Indications géographiques en droit européen », J.-Cl « Marques – Dessins et modèles », fasc. 270, à jour au 10 janvier 2011, p. 25 : « Si la règle de coexistence est louable sans son principe […], elle permet […] de laisser subsister des usages de marques de nature à entraîner la confusion, dans l’esprit des consommateurs, avec l’indication géographique postérieure ». A titre d’exemple, on peut citer la marque Aoste, enregistrée en 1976, […] qui […] peut continuer à être utilisée malgré l’enregistrement en 1996 d’AOP similaires, tandis que d’autres marques comparables, déposées postérieurement, ont été logiquement annulée, en tant qu’évocations illicites des AOP ». Dans ce même sens, DURRANDE (S.), obs. sous Cass. comm., 31 janvier 2006, précité.
  • 34. 29 marque ab initio, et non pas la déchéance de celle-ci. Ce qui est déterminant est la perception du public intéressé ; et la perception du public – on a déjà eu l’occasion de le remarquer - ne change pas d’un jour à l’autre.93 A ce propos on peut citer la décision du Tribunal de Turin qui a annulé pour déceptivité la marque « Bavaria ».94 La marque, dont le titulaire est un producteur de bières belges, était en conflit avec l’indication géographique protégée « Bayerisches Bier », désignant la bière d’origine bavaroise. Bien que l’indication géographique ait été postérieure à l’enregistrement de la marque, le juge turinois n’a pas prononcé la déchéance de la marque à partir du moment de l’octroi de la protection à l’indication géographique allemande,95 mais a déclaré la marque « Bavaria » nulle dès son enregistrement.96 Outre les indications géographiques, il faut enfin citer d’autres cas dans lesquels c’est l’autorité du Législateur qui donne une signification juridique à des mots utilisés dans le langage courant. En effet, au cours du temps le Législateur – et notamment le Législateur communautaire - est fréquemment intervenu pour déterminer la signification précise qu’il faut attribuer à certains produits, notamment afin de régler l'étiquetage, la présentation et la publicité des denrées alimentaires. Ainsi, la marque « Extra YXZ » ne pourrait pas être valablement choisie pour désigner une huile d’olive que la législation communautaire ne qualifie pas d’extra vierge. De la même manière, pour reprendre un exemple qu’on a fait pour illustrer d’autres propos, la législation européenne règlemente aujourd’hui avec précision la signification qu’il faut attribuer à l’agriculture biologique97 : une marque qui utiliserait le préfix « Bio- » serait ainsi trompeuse si le produit marqué ne respectait pas les standards pertinents.98 93 De plus, selon une partie de la doctrine française, la condition du fait du titulaire de la marque ferait défaut (infra, Ch. III, Sect. I). 94 Tribunale di Torino, 30 novembre 2006 : Giur. ann. dir. ind., 2006, p. 5121, réformé par Corte d’appello di Torino, 28 février 2011, inédit, à son tour confirmé par C. Cass., 9 juillet 2012, n. 16958, inédit. 95 Selon le texte en vigueur à l’époque, en effet, le moment déterminant était la publication de la demande de délivrance du titre, et non pas le dépôt de la demande comme il résulte aujourd’hui de la dernière version du règlement sur les indications géographiques. 96 La Cour suprême espagnole, au contraire, n’avait pas retenu la déceptivité de la même marque dans une affaire parallèle (citée par GIOVE (L.) et COMELLI (A.), « La Corte di giustizia sul conflitto tra marchi e indicazioni geografiche », precité, p. 362 sub note 20). Selon la Cour espagnole, le consommateur moyen perçoit la dénomination « Bavaria » comme une marque de fantaisie ou, en tout état de cause, comme une marque sans aucun lien avec le land allemand. Cette même lecture a été par ailleurs suivie par la Corte d’appello de Turin (approuvé par la C. Cass.) dans la suite de l’affaire. Cette interprétation plus libérale confirme donc que le critère du risque de tromperie est moins rigide que celui qui découlerait de l’application des règles de l’art. 13 du Règlement 1151/2012 sur les indications géographiques. 97 Règlement (CEE) n. 2092/91 du Conseil du 24 juin 1991 concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires. 98 En 2006, par exemple, la société Danone a dû renoncer à sa marque « Bio » pour des yaourts non issus de l’agriculture biologique.
  • 35. 30 Encore, au début des années 1990, le droit communautaire a introduit un Ecolabel afin de « promouvoir la conception, la production, la commercialisation et l’utilisation de produits ayant une incidence moindre sur l’environnement pendant tout leur cycle de vie »99 : une marque qui pourrait être associée à ce type de signe devrait ainsi être considérée trompeuse, dans la mesure où elle était utilisée pour des produits n’ayant pas reçu le label écologique de l’UE.100 Les mêmes considérations devraient enfin être valables, au moins en France, pour les mentions valorisantes « fermier », « montagne », « produit pays », et cætera desunt. Par conséquent, il va de soi que la (nouvelle) règlementation de la dénomination d’un produit donné - ou d’un autre symbole - pourrait entrainer la déceptivité survenue d’un certain nombre de marques.101 Il s’agit des marques comprenant un élément non arbitraire qui, en raison de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, ne correspond plus exactement aux caractéristiques du produit marqué. Dans ces cas il faut estimer que la marque devient trompeuse, et cela même si les consommateurs ne sont pas forcément à connaissance du contenu exacte des textes qui règlent la signification des mots ou symboles en question.102 Ainsi, la jurisprudence française a bien jugé que la marque « Napoléon » était trompeuse pour des cognacs n’ayant pas vieilli pendant plus de cinq ans,103 alors que le premier enregistrement de la marque était antérieur à la règlementation réservant le terme « Napoléon » aux eaux-de-vie de plus de cinq ans : « on est en droit de considérer, en effet, que la marque était intrinsèquement devenue déceptive ».104 §II - La déceptivité survenue résultant du changement des caractéristiques du produit/service marqué (en cas de signe non arbitraire par rapport auxdites caractéristiques) Si la mutation de la teneur sémantique d’une marque est relativement peu courante, le changement des caractéristiques des produits ou des services désignés par une marque est un 99 Règlement (CE) n. 66/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 établissant le label écologique de l’UE. 100 GIUDICI (S.), Il marchio decettivo, op. cit., p. 49. 101 Ibidem, p. 126. 102 Cf. MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables », précité, p. 20 : « Le consommateur moyen connait […] l’existence de certaines réglementations, mais il n’est pas toujours en mesure d’en apprécier la portée ». 103 Cass. com. 4 octobre 1983 : Ann. propr. ind., 1984, p. 35. 104 MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), « Signes illicites ne pouvant constituer des marques valables », précité, p. 20.
  • 36. 31 phénomène connaturel à la vie des affaires. Il s’agit ici de se demander si une déceptivité peut être causée tout d’abord pour les changements les plus stables, c’est-à-dire ceux qui portent sur la provenance du produit ou du service marqué (A).105 Ensuite on envisagera, plus en général, le changement des autres caractéristiques qui rendent le produit ou service marqué attractif pour le public (B). A - La déceptivité résultant du changement de provenance du produit/service S’agissant de la déceptivité résultant du changement de provenance des produits et services marqués, il peut s’agir d’un changement quant à la provenance géographique (1) ou - lorsqu’on est en présence d’une marque patronymique - d’un changement quant à l’origine entrepreneuriale (2). Il s’agit, dans les deux cas, de changements relativement stables et qui, par conséquent, méritent d’être traités séparément du changement des caractéristiques des produits ou services plus en général. 1 - Le changement de la provenance géographique En principe – on l’a vu - une marque ne peut pas être descriptive. Par conséquent, une marque ne pourrait pas être simplement constituée d’un toponyme susceptible d’être perçu par le public comme indiquant l’origine du produit marqué. Cependant il est commun de demander l’enregistrement de marques complexes, contenant à la fois des éléments arbitraires et des éléments relatifs à l’origine géographique du produit marqué. Il s’en suit que, si cette provenance devait changer, la marque deviendrait trompeuse.106 Cela, bien entendu, dans la mesure où la provenance géographique du produit marqué joue un rôle dans le choix des consommateurs : il nous semble que ce sera souvent le cas lorsque cette provenance est directement indiquée par la marque. La tromperie sur la provenance géographique est d’ailleurs une des causes de nullité et déchéance de la marque expressément mentionnées par le Législateur. Ainsi, dans les années 1990, la doctrine française pronostiquait que la tromperie sur la provenance aurait été la cause 105 La doctrine appelle parfois « éléments extrinsèques » la provenance, le contrôle et la garantie du produit. Cf. MARTEAU-ROUJOU DE BOUBEE (I.), Les marques déceptives, op. cit. p. 98. 106 BOUCHE (N.), « La déchéance de la marque devenue déceptive », précité, p. 187 : «S’il s’agit […] d’une marque initialement valable au jour du dépôt, mais qui par la suite est « devenue » déceptive, le droit de marque a pu valablement prendre naissance mais il encourt désormais la déchéance. Tel aurait été le cas de la marque « Bressot » si son titulaire, après l’avoir initialement utilisée pour des fromages bressans, l’avait utilisée ensuite pour des produits d’une autre origine ».