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LA CONVENCTION DE ROM.doc
1. 1
Centre de Droit Maritime et des Transports
UNIVERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES
SCIENCES D'AIX-MARSEILLE III
FACULTE DE DROIT
__________________________________________________________________________
_
LA CONVENTION DE ROME ET LES CONTRATS
MARITIMES
__________________________________________________________________________
_
Mémoire de Master 2 pofessionnel de Droit Maritime et des Transports
Présenté par Mlle Chérifa BEN FADHEL
Sous la direction du Professeur Christian SCAPEL
3. 3
REMERCIEMENTS
Que les professeurs Pierre Bonassies et Christian Scapel trouvent ici
l’expression de ma profonde reconnaissance ; M. Bonassies pour sa disponibilité
et ses encouragements tout au long de cette année, M. Scapel pour m’avoir reçu
au sein du CDMT ainsi que pour sa sollicitude lors de l’encadrement de mes
travaux de recherches.
Je souhaite également exprimer mes sincères remerciements à tous mes
Professeurs pour leurs précieux enseignements.
4. 4
INTRODUCTION
Voilà que peu à peu se réalise la prophétie de Montesquieu : « L’Europe est un Etat
composé de plusieurs provinces »1
. L’Europe a besoin de constructions juridiques pour
consolider son rêve d’unification. La construction de l’édifice européen nécessite
l’harmonisation des diverses branches du droit (à défaut de les unifier) notamment celles qui
régissent le commerce international. L’unification du droit international privé2
semble être un
bon moyen pour arriver à cette harmonie. Cette unification peut avoir des conséquences sur le
droit maritime3
.
Comme deux frères ennemis, ces deux branches du droit ont injustement tendance à
s’ignorer. Chacune d’elle évolue en faisant presque abstraction de l’autre. Et pourtant, le droit
maritime n’est il pas international par nature ?
Ne soyons pas pessimiste, le divorce n’est pas encore prononcé ! DIP et droit maritime
se côtoient encore et toujours ; il est vrai, plus souvent lors de litiges devant les juges ou les
arbitres que sur les bancs des facultés de droit. Mais qu’y a-t-il de si étonnant, dans ce monde
matérialiste où le pragmatisme est roi ? Le recours au droit international privé peut être
l’ultime chance pour gagner un litige relatif au commerce maritime.
Des résultats intéressants et décisifs naissent de la rencontre du droit maritime et du
DIP. L’arrêt « American Trading Company » de 1910 en est le meilleur exemple4
. Il est
révélateur de l’interférence entre ces deux matières et de leur enrichissement mutuel. C’est à
l’occasion de ce litige relatif à un contrat de transport maritime de marchandises que fut
affirmé le principe selon lequel les contrats internationaux relèvent de la loi expressément ou
implicitement choisie par les parties. Aujourd’hui, la loi d’autonomie est un principe universel
du droit des contrats internationaux.
1
Robert Maillard (rédacteur en chef), « La construction européenne », in « Chronique de l’humanité »,
p. 1095, Belgique 1990.
2
« Le droit international privé est la branche du droit privé dont l’objet est d’apporter un règlement
approprié aux relations privées présentant un caractère international », Dictionnaire de la culture juridique,
PUF, 2003, p.491
3
« Le droit maritime peut être défini comme l’ensemble des règles juridiques spécifiques directement
applicables aux activités que la mer détermine », P. Bonassies et Ch. Scapel, « Traité de droit maritime », LGDJ,
2006, p.1.
4
B. Ancel et Y. Lequette, « Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé »,
Dalloz, 5ème
édition, 2006, n°11, p.94.
5. 5
Les faits d’espèce de cette affaire révèlent qu’en 1905 la société maritime « Québec
Steamship Co. » a effectué un transport maritime de sacs de farine de froment entre le port de
New York et le port de Pointe-à-Pitre. La marchandise est arrivée avariée parce qu’elle a été
chargée à côté d’engrais chimiques transportés sur le même navire (faute d’arrimage). Le
destinataire de la marchandise a assigné le transporteur devant les tribunaux français et a
invoqué en 1ère
instance l’application du droit américain et plus exactement la mise en œuvre
du « Harter Act » de 1893 (qui prohibe et déclare nulles les clauses d’exonération de
responsabilité) au motif que le contrat est régi par la loi du lieu de sa conclusion (locus regit
actum). Le destinataire a eu gain de cause en 1ère
instance, mais fut débouté en appel à cause
de la clause d’irresponsabilité qui figurait dans la charte partie. La Cour de cassation française
a rejeté le pourvoi interjeté par le destinataire au motif que « la loi applicable aux contrats,
soit en ce qui concerne leurs formations, soit quant à leurs effets et conditions, est celle que
les parties ont adoptées ». L’arrêt de la Cour de cassation affirmait aussi que le destinataire
« n’ignorait pas que cette clause (c’est-à-dire la clause d’exonération de responsabilité) devait
être exécutée sur le territoire français où elle est considérée comme licite ».
L’arrêt « American trading Co.» aurait pu être connu, selon la coutume maritime, sous
le nom du navire qui transportait la marchandise, le Korona. Il atteste du lien étroit qui existe
entre DIP et droit maritime ; ou plus exactement entre DIP et contrats maritimes.
Le droit maritime connaît depuis la haute antiquité de nombreux contrats : le contrat
de vente de navire, le contrat d’engagement maritime, les chartes parties. Avec le
développement du commerce maritime sont nés d’autres contrats tels que le contrat de
transport maritime de marchandises, le contrat d’assistance, le contrat de remorquage, le
contrat d’assurance, le contrat de manutention, de commission…5
L’étude de l’histoire du droit maritime témoigne aussi du rapport intime que cette
branche du droit entretient avec le DIP. La première lex mercatoria du Moyen age ne fut-elle
pas une lex maritima ?6
De même, le problème du contrat sans loi ne s’est-il pas posé d’abord
à l’occasion de la mise en œuvre des Paramount clauses dans des contrats de transport
maritime 7
?
Les contrats maritimes que nous nous proposons d’examiner attestent aussi du rapport
étroit entre DIP et droit maritime.
5
Ph. Délebecque, « le particularisme des contrats maritimes », in. «Etude de droit maritime à l’aube du
XXIème siècle. Mélanges offerts à Pierre Bonassies », édit. Moreux, p.127.
6
William Tetley, « Marine cargo claims », 3ème éd., éditeur Yvon Blais, Montréal 1988.
7
Grands arrêts, n°22.
6. 6
Pour le besoin de cette recherche, seront étudiés quatre contrats maritimes en
particulier : le contrat de transport maritime de marchandises, le contrat d’affrètement, le
contrat d’engagement maritime et le contrat de vente de navires.
Cet échantillonnage se
justifie d’abord par l’impossibilité matérielle d’étudier tous les contrats maritimes. Ensuite,
ces quatre contrats ont un rapport ambivalent avec le DIP. L’intérêt est de voir les différentes
possibilités d’application de la Convention de Rome à ces contrats maritimes.
Cette étude portera sur ces contrats maritimes quand ils sont des contrats
internationaux. La définition du contrat international a fait couler beaucoup d’encre. Tous les
critères de définition du contrat international retenus peuvent être réduit à deux. D’abord,
celui de l’existence d’un élément d’extranéité8
. Le deuxième critère, (ou plutôt définition), est
celui retenu par l’article 1492 du NCPC : le contrat est international lorsqu’il met en cause les
intérêts du commerce international9
.
Malgré son importance, la problématique de la définition du contrat international ne
sera pas traitée dans ce mémoire. C’est pour des raisons pratiques que seront retenues les deux
définitions exposées ci-dessus. Par ailleurs, en maritime, l’hésitation quant à la qualification
du contrat d’international ou d’interne se pose rarement. En plus, la Convention de Rome
parle « d’obligations contractuelles », évitant ainsi toute controverse quant à la définition du
contrat international.
Tous ces contrats maritimes ont pour but commun de faciliter et d’organiser le
commerce maritime. Comme on l’a déjà mentionné, ils sont fréquemment, voire même très
souvent des contrats internationaux. Ils sont aussi des contrats spéciaux en raison du
particularisme du domaine dans lequel ils interviennent. C’est pour cette raison qu’ils
obéissent à des règles spéciales, généralement des règles matérielles qui relèvent de la
branche du droit maritime. Toutefois, ils restent des contrats internationaux soumis donc au
DIP et plus précisément aux règles de conflit de lois.
En France, les contrats internationaux sont soumis à la Convention de Rome de 1980
sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Il s’agit d’une convention internationale
d’unification de règles de conflit de loi. Elle ne donne pas la solution matérielle à un litige
mais désigne la loi qui doit lui être appliquée.
8
On donne le même sens à l’adjectif « international » que celui dans la définition du DIP.
9
Sur la question de la définition du contrat international, V. notamment Antoine Kassis, « Le nouveau
droit européen des contrats internationaux », LGDJ, 1993, Titre 1er
.
J-M Jacquet, « Principe d’autonomie et contrats internationaux », Economica, 1983.
7. 7
La Convention de Rome a été signée par les Etats européens le 19 juin 1980 et est
entrée en vigueur le 1er
avril 1991. Selon son article premier, elle est applicable « dans les
situations présentant un conflit de lois, aux obligations contractuelles ». Le paragraphe 2 du
même article exclut une liste de matière du champ d’application de la convention10
.
Il s’agit d’une convention ayant un caractère universel, en ce sens qu’elle s’applique
même si la loi qu’elle désigne est celle d’un Etat qui n’est pas partie à la convention11
.
L’originalité de l’instrument tient au fait que, même si élaboré entre Etats européens
(ou plus exactement entre Etats appartenant à la Communauté Economique Européenne) et
dans le but d’éviter le forum shopping au sein de la CEE, le texte est adopté sous la forme
d’une convention internationale. C’est pour des raisons institutionnelles que les grands textes
en matière de « coopération judiciaire en matière civile » ont été élaborés sous la forme de
conventions internationales et non sous la forme de textes communautaires12
.
Les choses ont évoluées depuis. La CEE, devenue Union Européenne, s’est vue
développer son domaine d’action, particulièrement en matière de coopération judiciaire.
D’abord, le Traité de Maastricht, du 7 février 1992, a placé cette matière sous le troisième
pilier, c'est-à-dire la coopération intergouvernementale. Le Traité d’Amsterdam a fait basculer
la matière du troisième au premier pilier. On est donc passé de la coopération
intergouvernementale à la communautarisation pure et dure.
Le Traité d’Amsterdam a considérablement modifié la donne institutionnelle en ce qui
concerne la coopération judiciaire en matière civile. C’est désormais une matière à légiférer
pour l’UE. Usant de ses nouveaux pouvoirs, plusieurs textes communautaires ont vu le jour.
C’est ainsi que la Convention de Bruxelles de 1968 a été remplacée par le règlement dit
« Bruxelles I »13
; les règles de conflit de juridictions sont aujourd’hui de source européenne.
Le 22 juillet 2003, la Commission a soumis une proposition de règlement sur la loi applicable
aux obligations non contractuelles, connue sous le nom de projet « Rome II »14
.
10
Exclusion de la matière de l’état de la capacité, des situations relevant du droit de la famille, du droit
cambiaire, du droit des sociétés et du droit des assurances.
11
Article 2 de la Convention de Rome : « la loi désignée par la présente convention s’applique même si
cette loi est celle d’un Etat non contractant ».
12
Convention de Bruxelles de 1968 relative à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des
jugements en matière civile et commerciale (aujourd’hui règlement 44/2001).
Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
13
Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22/12/2000.
14
COM(2003) 427final.
8. 8
C’est dans ce contexte d’uniformisation du DIP que le projet Rome I est né. Il s’agit
du projet de communautarisation de la Convention de Rome de 1980. La Commission des
communautés européennes a présenté en janvier 2003 un « Livre vert sur la transformation de
la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles en
instrument communautaire ainsi que sa modernisation »15
. Il s’agit là de la première étape du
projet Rome I.
Le livre vert a pour objet de lancer une large consultation des milieux intéressés sur un
certain nombre de questions d’ordre juridique relatives à la communautarisation de la
Convention de Rome de 1980. Les acteurs économiques intéressés peuvent exposer leur point
de vue sur les vingt questions posées par la Commission ainsi que leurs commentaires quant à
une éventuelle communautarisation et modernisation de la Convention de Rome.
Plusieurs acteurs économiques ont répondu à la consultation lancée par la
Commission. Ainsi, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris a présenté son rapport
dans lequel elle a exprimé sa volonté de voir transformer la Convention de Rome en
instrument communautaire16
. Elle a aussi exposé les différents points sur lesquels la
modernisation de la Convention devrait porter.
La doctrine s’est aussi intéressée au projet Rome I. M. Paul Lagarde a justifié
l’éventuelle transformation de la Convention de Rome en instrument communautaire par
l’évolution de la construction communautaire essentiellement sur deux points. D’abord, le fait
que la Convention de Rome soit une convention classique sur les conflits de lois qui fait
abstraction de la fédération progressive de l’UE et du rapprochement des législations. Ensuite,
le principe de libre circulation (des personnes, des marchandises, des services et des capitaux)
a pour effet de faire considérer comme une entrave injustifiée, toute règle de conflit de lois
conduisant à l’application d’une loi autre que celle du fournisseur. L’éminent auteur finit son
exposé en se posant la question de savoir si cette révision devra ou non distinguer selon que
les relations considérées sont intra ou extracommunautaire. Selon lui, la réponse logique, suite
à l’exposé des motifs de transformer la Convention en instrument communautaire, est
positive17
.
15
Livre vert présenté par la Commission le 14/01/2003. COM(2002) 654 final.
16
Réaction de la CCIP au livre vert de la Commission européenne. Rapport présenté par M. Guy
Pallaruelo et adopté par l’Assemblée Générale du 3 juillet 2003.
17
P. Lagarde, « Vers une révision de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations
contractuelles ? », in. « Aspects actuels du droit des affaires », Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Dalloz,
2003, p.571.
9. 9
Après avoir recueilli les réponses des acteurs intéressés, la Commission des
Communautés Européennes a présenté le 15/12/2005 une proposition de règlement du
Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome
I)18
. Dans son exposé des motifs de la proposition, la Commission rappelle le contexte
historique de ce projet. La Convention de Rome, les instruments « Bruxelles I » et « Rome
II » forment un ensemble inséparable ; les trois textes devraient tous être de même source,
c'est-à-dire européenne.
Pour motiver son projet, la Commission met l’accent sur l’importance de la
compatibilité des règles de conflits de lois pour la réalisation de l’objectif de la
reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. Elle précise que « la proposition ne vise
pas à créer un nouveau corps de règles juridiques, mais à transformer une convention
existante en instrument communautaire. Par ailleurs, les modifications apportées permettent
de moderniser certaines dispositions de la Convention de Rome ainsi que de les améliorer en
termes de clarté et de précision du texte, renforçant ainsi la sécurité juridique »19
.
Le choix du règlement comme instrument s’avère le plus approprié. La Commission
va donc dans le sens de la doctrine20
ainsi que celui de certains opérateurs économiques21
.
Les questions et hésitations rencontrées lors du projet de communautarisation de la
Convention de Rome font partie d’un problème plus général, celui de la difficulté de
l’harmonisation ou l’unification du droit des contrats dans l’UE22
. Un droit européen des
contrats, voire un code européen de droit des contrats, sont-ils nécessaires ?23
La question de l’utilité de la communautarisation de la Convention de Rome reste
posée surtout quand on sait que le protocole relatif à l’interprétation de la convention par la
CJCE est entré en vigueur le 1er
Août 2004. Ainsi disparaît l’un des principaux arguments en
faveur du « reformatage » de la convention en règlement24
. En plus, est-t-il opportun de
modifier une convention relativement jeune et qui a fait ses preuves ?
18
COM(2005) 650 final.
19
COM (2005) 650 final, p.3.
20
Telle que le professeur Paul Lagarde, op. cit.
21
Position conforme au rapport fait par la CCIP, op. cit.
22
V. communication de la Commission de Bruxelles sur l’européanisation du droit des contrats.
COM(2001) 398 final
23
Hans Jûrgen Sonnenberger, « L’harmonisation ou l’uniformisation européenne du droit des contrats
sont elles nécessaires ? Quels problèmes suscitent-elles ? », RCDIP, juillet-septembre 2002, p.405.
24
P. Lagarde, « Remarques sur la proposition de règlement de la Commission européenne sur la loi
applicable aux obligations contractuelles (Rome I) », RCDIP, Avril-juin 2006, p.330.
10. 1
0
L’uniformisation du droit pose, en général, problème indépendamment de la branche
du droit en question. Le droit maritime en est aussi la preuve. Plusieurs tentatives
d’uniformisation internationale du droit maritime ont échoué. La lourde tâche a été confiée
d’abord au CMI ; des institutions internationales lui ont succédé telles que la CNUCED, la
CNUDCI ou encore l’OMI. Comme l’a si bien écrit la professeur Antoine Viallard : « Force
est de constater que la poursuite de cette uniformité internationale s’apparente à un labeur
auquel Sisyphe lui-même aurait très bien pu être condamné au lieu et place de son obligation
de pousser sans fin, au sommet de la montagne, le rocher qui, à l’approche du sommet, ne
manque jamais de retomber à son point de départ. Car l’uniformité internationale du droit
maritime est comme cette pierre expiatoire : elle paraît toujours devoir revenir à son point de
départ »25
.
L’uniformisation internationale du droit, et celle du droit maritime en particulier, est
utopique. Actuellement, faute d’uniformisation, sont en concurrence pour s’appliquer à un
même contrat maritime plusieurs règles juridiques voire même plusieurs normes. C’est pour
cette raison que les règles de conflit de lois ont toutes leur place dans le monde maritime.
Elles sont l’une des solutions majeures pour l’articulation de toutes ces normes qui prétendent
s’appliquer à un même contrat.
La Convention de Rome doit trouver sa place au milieu de toutes les règles de droit
maritime ; la concurrence est rude ! Un élément vient encore plus compliquer les choses :
deux méthodes différentes se trouvent face à face.
Le droit maritime utilise la méthode matérielle qui consiste à donner directement la
règle applicable au contrat26
. Cette méthode est considérée comme la meilleure solution pour
éviter les conflits de lois car elle présente la solution directe au problème. Cependant, son
inconvénient majeur est la difficulté de mettre d’accord de tous les Etats. C’est ce qui
explique aussi que ces conventions de droit matériel unifié portent souvent sur un sujet
restreint27
. A défaut de consensus, il faut faire appel à la deuxième méthode.
La méthode conflictuelle consiste à désigner le système juridique dont la règle doit
s’appliquer à la situation en question. Le choix de la loi applicable se fait suivant un critère de
rattachement. La méthode conflictuelle aboutit donc au choix d’une loi applicable et ne donne
25
A. Viallard, « Sisyphe et l’uniformisation internationale du droit maritime », DMF, mars, 1999, p.213.
26
H. Batiffol, « Le pluralisme des méthodes en droit international privé », RCADI, vol V, Tome 139,
1973, p. 107.
27
Exemple : la convention de Bruxelles de 1924 sur l’unification de certaines règles en matière de
transport maritime sous connaissement.
11. 1
1
pas directement la solution au problème28
. La Convention de Rome en est l’exemple, c’est
une convention internationale (bientôt règlement) d’unification de règles de conflit de loi.
La problématique qui se pose est alors de savoir dans quelle mesure s’applique la
Convention de Rome de 1980 aux contrats maritimes ?
La réponse à cette problématique n’est pas aisée. La Convention de Rome repose sur
trois principes. Le premier, et sans doute le plus important, c’est celui de la loi d’autonomie.
Ce principe est confirmé et renforcé par le projet Rome I. Il permet aux parties de choisir la
loi qui régira leurs rapports29
. Le second est le principe de proximité. Il tend à soumettre un
contrat à l’ordre juridique qui présente avec lui les liens les plus étroits. Aujourd’hui, on peut
considérer que la Convention de Rome et le projet Rome I, reposent sur un troisième
principe : celui de la protection de la partie faible au contrat30
.
La place de la Convention de Rome diffère d’un contrat à un autre. Son application
dépendra en grande partie de la place qu’a le principe de la loi d’autonomie dans le contrat en
question. La réponse sera très différente selon qu’on parle par exemple de contrat
d’affrètement (contrat soumis à la liberté contractuelle) ou de contrat de transport maritime de
marchandises (contrat soumis à des règles impératives).
Afin de mener à bien l’étude du sujet « la Convention de Rome sur la loi applicable
aux obligations contractuelles et les contrats maritimes », il nous a paru plus opportun de
suivre le raisonnement « conflictuel » (celui de la Convention de Rome). Pour schématiser,
cette méthode consiste à déterminer la loi normalement applicable au contrat selon la règle de
conflit. Toutefois, cette loi peut être évincée au profit d’une autre par la mise en jeu des
mécanismes de lois de police ou de l’ordre public.
Cette méthode n’est pas toujours évidente à appliquer aux contrats maritimes. La
Convention de Rome est en concurrence avec plusieurs conventions internationales de droit
matériel unifié qui s’appliquent en priorité. Néanmoins, la Convention de Rome garde son
importance dans le monde du commerce maritime, les conflits de lois existent toujours.
28
P. Mayer et V. Heuzé, « Droit international privé », Montchrestien, 8ème
édition, 2004, p.107.
29
Avec le projet Rome I, les parties pourront même soumettre leur contrat à « des principes et règles de
droit matériel des contrats, reconnus au niveau international ou communautaire », Article 3 parag.2 Rome I.
30
A. Kassis, op. cit, p.285 et s.
12. 1
2
L’intérêt du sujet est de voir quand et comment la Convention de Rome s’applique aux
différents contrats maritimes à étudier. Avec l’actualité du projet de règlement Rome I, le
sujet acquiert un regain d’intérêt.
Suivant la méthode conflictuelle, sera donc traité en première partie la loi applicable
aux contrats maritimes31
(partie 1) avant d’analyser en seconde partie les limites de
l’application de cette loi (partie 2).
31
C'est-à-dire la loi désignée applicable par les règles de conflit de lois.
13. 1
3
PREMIERE PARTIE : LA LOI APPLICABLE AUX CONTRATS
MARITIMES
L’originalité de la Convention de Rome réside dans la mise en place d’un dispositif
nuancé pour déterminer la loi applicable aux contrats et plus particulièrement aux contrats
maritimes. Ce dispositif repose tout d’abord sur la loi d’autonomie (chapitre1). Cependant, il
arrive que les parties n’usent pas de ce droit de choisir la loi applicable à leur contrat. Dans ce
cas, il faut faire appel à l’article 4 de la Convention pour déterminer la loi applicable au
contrat. L’étude de la loi applicable en cas d’absence de choix des parties nous montre parfois
la spécificité de l’application de la Convention de Rome aux contrats maritimes (chapitre2).
La Convention de Rome réussit ainsi une parfaite articulation entre loi d’autonomie et
rattachement objectif du contrat en l’absence de choix des parties.
CHAPITRE 1 : LA LOI D’AUTONOMIE
Dans la mesure où l’autonomie de la volonté régit la matière contractuelle, le principe
est qu’en DIP, la loi applicable au contrat international dépend de la volonté des parties. La
Convention de Rome ne déroge pas à ce principe. Elle prolonge largement les solutions
adoptées antérieurement. Devenu aujourd’hui universel, le principe de la loi d’autonomie est
consacré par l’article 3. C’est la pierre angulaire de la Convention de Rome ainsi que du
projet Rome I (section 1). Pour les contrats maritimes, l’application de ce principe présente
quelques spécificités et fera même l’objet de quelques adaptations (section 2).
Section 1 : La loi d’autonomie : Pierre angulaire de la Convention de
Rome
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la Convention de Rome, le principe de la loi
d’autonomie en France était d’origine jurisprudentielle. Il fut consacré pour la première fois
par l’arrêt « American Trading »32
. Par la suite, il fut confirmé dans l’arrêt « Fourrures
32
Grands arrêts, n°11.
14. 1
4
Renel »33
. Une partie de la doctrine française a vu dans la loi d’autonomie une consécration de
la théorie de la localisation. Selon cette théorie, développée principalement par H. Batiffol, le
choix des parties est un moyen de localiser le contrat. Et selon lui, ce n’est d’ailleurs pas un
moyen absolu, il faut qu’il soit corroboré par des éléments objectifs34
.
Aujourd’hui, après l’entrée en vigueur de la Convention de Rome, le doute n’est plus
permis : le contrat est régi par la loi choisie par les parties35
. L’article 3.1 est la règle de
conflit de loi en matière de contrats internationaux36
. Le choix des parties détermine la loi
applicable. Il n’est pas seulement un moyen de localisation; ce qui implique l’abandon de
cette théorie par le droit positif. La Convention de Rome a ainsi mis fin au débat concernant la
place de la théorie de localisation en DIP français.
La Convention de Rome détermine avec précision l’étendue du principe (A). Le projet
de règlement Rome 1, nous montre l’avenir qui lui est promis (B).
A- L’étendue du choix des parties
La volonté des parties se voit reconnaître une place importante dans la Convention de
Rome. En effet, elles peuvent exprimer leur choix même de manière tacite (1), choisir une loi
sans lien avec le contrat (2), modifier leur choix de loi (3) et enfin dépecer le contrat (4). Le
choix des parties aussi large qu’il peut l’être ; n’est, toutefois, pas absolu (5).
1- Choix exprès ou implicite :
D’abord, l’article 3.1 de la Convention de Rome dispose : « le contrat est régi par la
loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des
dispositions du contrat ou des circonstances de la clause » ; ce qui implique que la même
force est reconnue à la volonté implicite du moment où elle ne fait aucun doute. Tel pourrait
être le cas, par exemple, quand un contrat-type est rédigé conformément à un système
juridique donné37
.
Le choix des parties peut donc être exprès ou implicite. Le juge, même en l’absence de
clause contractuelle de choix de loi, peut fonder le choix de la loi applicable sur la loi
33
Arrêt « Fourrures Renel », C. Cass, 6 juillet 1959 : « la loi applicable au contrat, en ce qui concerne
leur formation, leurs conditions ou leurs effets, est celle que les parties ont adoptée… ». Grands arrêts n°35.
34
H. Batiffol et P. Lagarde, « Traité de droit international privé », LGDJ, Tome 1, 1993, n°573.
35
P. Lagarde, « Le nouveau droit international privé des contrats après l’entrée en vigueur de la
Convention de Rome du 19 juin 1980 », RCDIP 1991, p.287.
36
A. Kassis, op. cit, p.349.
37
Daniel Gutmann, « Droit international privé », Dalloz, 5ème
édition, 2007, n°239.
15. 1
5
d’autonomie. La condition est que le choix soit certain. Cette condition de certitude a été
jugée insatisfaisante par une partie de la doctrine pour assurer la sécurité juridique38
.
2- Choix d’une loi sans lien avec le contrat :
La Convention de Rome a mis fin au débat doctrinal quant à l’étendu de la liberté de
choix des parties. Désormais, les parties peuvent choisir une loi qui n’a aucun lien avec le
contrat39
. Comme l’écrit M. P. Mayer, quand un contrat est véritablement international aucune
loi nationale n’a de vocation inéluctable à le régir40
. La notion de lien entre le contrat et la loi
choisie n’a plus aucun intérêt ; c’est encore une preuve de l’abandon définitif de la théorie de
localisation.
3- Le dépeçage du contrat :
L’article 3.1 dans sa dernière phrase précise que « par ce choix (de loi) les parties
peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ».
Ainsi, les parties ont la possibilité de diviser le contrat en plusieurs éléments qui seront
soumis à des lois différentes41
. Cette possibilité de morcellement du contrat est dans la
logique du principe de l’autonomie de la volonté42
.
Même si la Convention n’apporte aucune condition restrictive à cette possibilité de
dépeçage, la doctrine s’accorde pour dire qu’elle n’est pas illimitée. En effet, les parties ne
peuvent pas écarter une règle impérative de la loi choisie. C’est donc, quand le contrat
comporte « des aspects objectivement détachables » que le dépeçage est permis43
.
4- Changement de loi :
L’article 3.2 dispose que « les parties peuvent convenir à tout moment, de faire régir
le contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant ». Le principe de la loi
d’autonomie a pour conséquence, selon la Convention de Rome, de permettre aux parties de
réviser leur choix de loi applicable. La possibilité de modifier le choix initial nous renvoie à
l’impératif de souplesse qui imprègne la Convention. Toutefois, certaines limites sont posées
à la loi d’autonomie.
38
P. Lagarde, « Le nouveau droit international privé des contrats après l’entrée en vigueur de la
Convention de Rome du 19 juin 1980 », RCDIP 1991, p.287.
39
A. Kassis, op. cit, n°329, p.351.
40
P. Mayer, op. cit, n°699.
41
A. Kassis, op. cit, n°331, p.355.
42
Yvon Loussouarn, Pierre Bourel et Pascal de Vareilles-Sommières, « Droit international privé », Précis
Dalloz, 8ème
édition, 2004, n°378, p.498.
43
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit, n°710, p.525.
16. 1
6
5- Les limites à la liberté de choix des parties :
La liberté de choix de loi consacrée par la Convention de Rome n’est pas absolue ; elle
est assortie de bémols.
D’abord, l’article 3.3 dispose que « le choix par les parties d’une loi étrangère ne
peut, lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés au moment de ce choix
dans un même pays, porter atteinte aux dispositions auxquelles la loi de ce pays ne permet
pas de déroger par contrat ». Ainsi, les parties ne pourront pas se soustraire aux dispositions
impératives d’un pays dont la situation est manifestement très proche.
Les parties ne pourront pas non plus soumettre exclusivement leur contrat à une loi
non étatique. La Convention de Rome condamne le contrat sans loi. Elle rejoint ainsi la
jurisprudence française qui déclara dans le célèbre arrêt des « Messageries maritimes » que le
contrat international doit nécessairement être rattaché à la loi d’un Etat44
(jurisprudence
confirmée notamment par l’arrêt Valenciana45
).
En employant le terme « loi d’un pays », la Convention est très claire. Elle entend
exclure toute possibilité de soumettre le contrat à un droit non étatique. Le terme « loi » aurait
pu suffire. En effet, une loi est nécessairement celle d’un Etat contrairement à une règle de
droit46
, mais les rédacteurs de la Convention ont voulu être précis, éliminant ainsi tout doute
possible.
En pratique, cette interdiction est atténuée par la possibilité de soumettre le litige à
l’arbitrage47
. Le projet Rome I atténue encore plus cette interdiction en permettant aux parties
de soumettre leur contrat à un droit non étatique donnant ainsi un nouvel élan au principe de
la loi d’autonomie.
B- Avenir de la loi d’autonomie
Le projet de règlement Rome I procède à un « remodelage » du principe de la loi
d’autonomie48
. Il élargit, d’une part, le choix des parties aux règles non étatiques (1). Il
44
Grands arrêts, n°22.
45
Civ. 1ère
, 22 oct. 1991, Grands arrêts, n°22, §10.
46
A. Kassis, op.cit, p.373.
47
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit, p.519 et s.
48
P. Lagarde, « Remarques sur la proposition de règlement de la Commission européenne sur la loi
applicable aux obligations contractuelles (Rome I), RCDIP, avril-juin, 2006, p.335.
17. 1
7
précise le cas du choix tacite des parties (2). Il ajoute enfin une nouvelle limite à la loi
d’autonomie en prévoyant le cas de la fraude au droit communautaire (3).
1- Le choix d’un droit non étatique :
L’article 3.2 du projet Rome I dispose que « les parties peuvent également choisir
comme loi applicable des principes et règles de droit matériel des contrats, reconnus au
niveau international ou communautaire ». Ainsi, l’interdiction du contrat sans loi sera levée.
C’est la preuve de l’expansion du principe de la loi d’autonomie.
Il existe sur le plan international des règles matérielles qui ne sont pas contraignantes
et qui n’émanent pas d’ordres juridiques étatiques. Elles sont élaborées par des professionnels
ou des spécialistes du commerce international. Elles tirent leur force de la liberté de choix
laissée aux parties. Tel est le cas des lois types, contrats types, clauses types… telles les règles
et usances en matière de crédit documentaire de la CCI ; droit savant, tels les principes
d’UNIDROIT en matière de contrats internationaux… Ce droit est qualifié par certains
auteurs de « droit spontané »49
, par d’autres de « droit transnational »50
ou encore de « soft
law » (droit mou)51
en raison de sa souplesse par rapport au caractère contraignant du droit
classique ou « hard law ».
Avec le projet Rome I, la « soft law » se voit reconnaître une place importante dans le
droit des contrats européens. Désormais, les parties pourront soumettre leur contrat à un
ensemble de règles d’origine non étatique, à condition que ces règles soient reconnues au
niveau international ou communautaire. La question qui se pose est alors de savoir à partir de
quel moment cette condition est remplie ?
Dans l’exposé des motifs la Commission précise que « le paragraphe 2 autorise les
parties à choisir, comme droit applicable, un droit non étatique. La formulation retenue vise
49
M. Batiffol parle de « Droit spontané » car ce droit est créée et suivi par les usagers même du
commerce international.
50
V. Jean Robert : « Le phénomène transnational », LGDJ, éd. de l’AFA, 1988.
51
« Soft law » ou « droit mou » : Le terme soft-law a d’abord été utilisé en droit international public pour
désigner: « des règles de droit international (public) non obligatoires laissant à leurs destinataires (les Etats) une
marge d’appréciation telle que le non respect de celles-ci n’engage pas la responsabilité du destinataire
défaillant » (H. Tierry : « L’évolution du droit international public ». RCADI, 1990-III, tome2, p. 222, cité in
DMF, Av. 2000, p. 310).
Mme Hélène Gaudemet-Tallon fait la distinction entre les diverses sources non conventionnelles du
droit international : principes généraux, usages, lex mercatoria, travaux des experts… Pour elle, ces sources
peuvent donner naissance à des normes obligatoires ou à un droit mou (soft-law) dépourvu de ce caractère. (H.
Gaudemet-Tallon, « Le pluralisme en droit international privé : richesse et faiblesse (Le funambule et l’arc-en-
ciel »), RCADI, tome312, 2006, p54).
18. 1
8
à autoriser notamment le choix des principes UNIDROIT, des Principles of European
Contract Law ou d’un éventuel futur instrument communautaire optionnel, tout en interdisant
le choix de la lex mercatoria, insuffisamment précise, ou de codifications privées qui ne
seraient pas reconnues par la communauté internationale »52
.
Ce qui est clair et évident, c’est que les parties ne pourront pas soumettre leur contrat à
la lex mercatoria53
. Le projet n’entend nullement autoriser dans l’absolu le contrat sans loi.
Qualifier de « droit transnational ou anational »54
, la lex mercatoria est jugée insuffisamment
précise pour pouvoir régir le contrat. Composée par les usages, notamment codifiés, et par les
principes généraux dégagés par les sentences arbitrales ou énoncés par les organisations
internationales55
, la lex mercatoria ne présente pas les conditions suffisantes pour garantir la
sécurité juridique.
A part les deux exemples de règles non étatiques reconnues au niveau international ou
communautaire donnés par la Commission (à savoir les principes Unidroit et les principles of
european contract law), la doctrine n’en donne pas d’autres. A notre humble avis, on peut
donner comme autres exemples les lois types ainsi que les conventions élaborées au niveau
international mais qui ne sont pas entrées en vigueur faute de ratification. On pense
notamment à la Convention des Nations Unies sur le transport multimodal de marchandise de
1980. Peut être que Rome I donnerait une nouvelle vie aux conventions mort-nées !
Malgré la condition émise par le projet pour choisir une règle non étatique, la place du
principe de la loi d’autonomie est renforcée. Le choix des parties ne se limite plus aux lois
étatiques. M. Lagarde atténue toutefois l’effet de cette innovation du projet Rome I. Il écrit à
ce propos : « On peut se demander quelle est la portée de cette nouvelle donnée aux parties.
La Convention de Rome ne considérait pas comme illicite le choix d’un droit non étatique.
Elle considérait simplement qu’un tel choix n’était pas un choix de droit international privé et
qu’il appartenait donc à la loi objectivement applicable de définir la place qu’elle pouvait
accorder aux règles non étatiques choisies par les parties »56
.
52
COM(2005) 650 final, p.5.
53
V. Filali Osman, « Les principes généraux de la lex mercatoria », LGDJ, 1992.
54
Jean Robert, op. cit. supra.
55
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit, p.15.
56
P. Lagarde, RCDIP, op. cit, p.336.
19. 1
9
En théorie, l’apport du projet Rome I reste indéniable: si le nouveau texte sera adopté
le choix d’une règle non étatique deviendrait un choix de DIP, c’est à dire une règle de conflit
de lois en matière contractuelle. La Commission renforce ainsi le principe clé de la
Convention de Rome. Par ailleurs, elle tente d’harmoniser le droit des contrats à défaut de
l’unifier. Suite à l’échec du projet du Code Européen des Contrats, ne semble-t-il pas
opportun de tenter d’harmoniser cette matière de manière souple en laissant le choix aux
différents acteurs économiques, s’ils en éprouvent le besoin ?
La Commission cherche aussi, à travers le projet Rome I, à assurer la sécurité
juridique au sein de l’UE. Elle tente d’y parvenir notamment en précisant la notion de choix
tacite des parties.
2- Précision du choix tacite des parties :
L’article 1.1 du projet Rome I dispose que « si les parties sont convenues d’un
tribunal ou des tribunaux d’un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître
relatifs au contrat, il est présumé que les parties ont également entendu choisir la loi de cet
Etat membre ». Ce qui implique que le choix de la juridiction compétente implique le choix
de la loi de cet Etat. La règle pouvait se déduire du texte de la Convention en tant que loi
choisie implicitement par les parties. Avec le projet Rome I, l’hésitation n’est plus permise.
La loi applicable est celle du juge désigné par une clause d’élection du for ; ce qui renforce la
prévisibilité et par suite la sécurité juridique.
Cette proposition est critiquée par M. Lagarde. Pour lui, la désignation du tribunal
dénote la volonté des parties de soumettre leur contrat aux règles de conflits de lois de ce
tribunal et non pas aux règles matérielles. C’est donc le DIP de ce for qui doit s’appliquer au
contrat et non les règles de droit substantiel de celui-ci57
.
La dernière remarque relative au « remodelage de la loi d’autonomie » par le projet
Rome I concerne une limite apportée à ce principe.
3-La loi d’autonomie n’est pas au dessus du droit communautaire :
L’article 3.5 prévoit le cas de la fraude au droit communautaire. Au terme de cet
article, « le choix par les parties de la loi d’un Etat non membre ne peut pas porter atteinte à
57
op. cit, p.335.
20. 2
0
l’application des dispositions impératives du droit communautaire lorsqu’elles seraient
applicables au cas d’espèce ».
Cette formulation a été jugée excessive par M. Lagarde. Selon lui, « il n’y a pas fraude
à éluder une disposition simplement impérative du droit objectivement applicable, en faisant
le choix d’une loi qui ne la connaît pas »58
. Cet éminent auteur en tire la conséquence que
toute disposition impérative du droit communautaire serait érigée en loi de police.
Dans son examen des dispositions de la proposition, la Commission précise que
l’article 3.5 vise à prévenir la fraude au droit communautaire. Espérons que, si le règlement
Rome I entre en vigueur, l’application de cet article n’altérera pas le choix des parties et ne
concernera que le cas de la fraude au droit communautaire.
Après avoir analysé la loi d’autonomie en tant que principe consacré par la
Convention de Rome et après avoir examiné sa signification ainsi que son avenir, il convient
d’étudier son application aux contrats maritimes.
Section2 : La loi d’autonomie appliquée aux contrats maritimes
La portée de la loi d’autonomie diffère d’un contrat maritime à un autre. Pour le
contrat de vente de navire et le contrat d’affrètement, le principe de la loi d’autonomie
s’applique sans aucune restriction particulière.
Ainsi le contrat de vente de navire, n’est pas soumis aux dispositions de la Convention
de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 59
; ce qui
implique que c’est la Convention de Rome qui régit ce contrat.
Pour les contrats d’affrètement60
, le principe est aussi celui de la liberté contractuelle.
La loi du 18 juin 1966 énonce ce principe dans son article 1er
: « les conditions et les effets de
l’affrètement sont définis par les parties au contrat, et à défaut, par les dispositions du
présent titre et celles du décret pris pour son application ». Ce principe se retrouve dans la
plupart des législations maritimes61
. Le principe de la loi d’autonomie a toute sa place dans ce
contrat et la pratique le confirme. La plupart des chartes parties prévoient la loi applicable au
58
op. cit supra, p.337.
59
Article 2.b de Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises :
« La présente Convention ne régit pas les ventes…de navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs ».
60
Article 1er
de la loi du 18 juin 1966 : le contrat d’affrètement est le contrat par lequel « le fréteur
s’engage, moyennant rémunération, à mettre un navire à la disposition d’un affréteur ».
61
P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit, p.485 et s.
21. 2
1
contrat. Quelles soient à temps, au voyage ou coque nue, les parties prévoient les règles
applicables à leur contrat. Ils peuvent convenir de l’étendu de la responsabilité du fréteur, de
l’objet du contrat, de la durée de prescription… La loi d’autonomie s’applique pleinement,
même des clauses de non responsabilité plus ou moins larges peuvent être incluses dans le
contrat d’affrètement. Ce qui n’est pas le cas pour les autres contrats maritimes.
Pour les contrats de transport et d’engagement maritime, le principe de la loi
d’autonomie a une signification particulière. Il subit quelques restrictions concernant le
contrat de transport maritime de marchandises (A), et il est aménagé pour le contrat
d’engagement maritime (B).
A- La loi d’autonomie et le contrat de transport maritime de marchandises
Afin d’étudier l’application de la loi d’autonomie au contrat de transport maritime de
marchandises, une question préalable doit être résolue : quand la Convention de Rome régit-
elle ce contrat ? (1)
Lorsque la Convention de Rome est applicable au contrat de transport maritime de
marchandises, le principe de la loi d’autonomie s’impose. Il convient alors de vérifier si les
parties ont choisi une loi applicable à leur contrat. Si une clause Paramount62
figure dans le
contrat, les obligations contractuelles découlant de celui-ci doivent être soumises à la loi
désignée par cette clause. Théoriquement la solution semble simple. En présence d’une clause
Paramount, il suffit d’appliquer la loi à laquelle renvoie cette clause.
Seulement en pratique, les choses peuvent se compliquer. Il faut tout d’abord vérifier
l’opposabilité de la clause à tous les co-contractants (2). Il faudra, ensuite, étudier la clause
Paramount proprement dite (3).
Afin de bien examiner l’application de la loi d’autonomie au contrat de transport de
marchandises, il nous semble intéressant d’analyser l’impact que pourrait avoir le projet
Rome I sur ce contrat (4).
1- Les cas d’application de la Convention de Rome
Il convient de rappeler que le contrat de transport international est soumis à des règles
impératives. En France, il est soumis à la Convention de Bruxelles de 1924 (telle que
62
Dans les contrats de transport maritime, la clause Paramount est la clause par laquelle les parties
soumettent volontairement le contrat de transport à une autre loi que celle qui a normalement vocation à le régir.
DMF, juillet août 2002, p.613.
22. 2
2
amendée par les protocoles de 1968 et 1979) et à la loi de 1966. La Convention de Bruxelles
est une convention internationale de droit matériel unifié, ce qui signifie qu’elle constitue un
procédé de règlement direct des relations internationales63
. En l’absence de conflit de loi, la
Convention de Rome n’a pas vocation à s’appliquer. La Convention de Bruxelles s’applique
en priorité par rapport à la Convention de Rome de 1980 dont l’application n’évite pas le
passage par une loi étatique (de source interne) pour résoudre les litiges64
. Le but final de cette
dernière est d’harmoniser les solutions adoptées par les Etats tandis que celui de la
Convention de Bruxelles est d’unifier le droit applicable.
Il va sans dire que lorsqu’il s’agit d’un transport soumis à la Convention de Bruxelles,
le juge français appliquera automatiquement cette convention. Au sens de l’article 10, celle-ci
s’applique « à tout connaissement créé dans un des Etats contractant ». Par la suite, le champ
d’application de la convention a été élargi par le Protocole du 23 février 1968 à tout transport
au départ d’un Etat contractant (article 5). Mais, ces règles impératives ne régissent pas tous
les contrats de transports. La question se pose alors quant à la loi applicable pour un contrat
de transport de marchandises par mer soumis au juge français et qui est en dehors du champ
d’application des Règles de La Haye/Visby. C’est la Convention de Rome qui donnera la
réponse à cette question.
C’est la Convention de Rome qui déterminera aussi la loi applicable à certains types
de contrats de transport maritime de marchandises exclus du champ d’application de la
Convention de Bruxelles ; tel que le transport d’animaux vivants ou encore le transport des
marchandises arrimées en pontée. Le transport de marchandises dangereuses est aussi soumis
à un régime dérogatoire. Enfin, la Convention de Bruxelles exclut de son champ d’application
les transports sous convention spéciale65
.
Dans ces cas, c'est-à-dire quand le transport n’est pas couvert par la Convention de
Bruxelles, la Convention de Rome régira le contrat de transport dans son ensemble. Il en est
ainsi par exemple pour un transport au départ d’un port d’un pays non lié par la Convention
de Bruxelles et un port français ou bien entre deux ports situés dans deux Etats non liés par la
Convention de Bruxelles 1924 ou encore lorsqu’il s’agit de transport d’animaux vivants ou de
transports spéciaux...
63
P. Mayer et V. Heuzé, op. cit, n°21.
64
Il faut noter que si le projet Rome 1 tel que présenté par la Commission Européenne est adopté, son
application n’aboutira pas nécessairement à l’application d’une loi étatique. En effet, l’article 3, § 2 autorise les
parties à choisir comme droit applicable un droit non étatique ; Commission des Communautés Européennes,
Bruxelles le 15/12/2005, COM (2005)650 final, 2005/0261 (COD), proposition de règlement du Parlement
Européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome 1), p.4.
Il s’agit de la communautarisation de la Convention de Rome.
65
P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit, p. 594 et s.
23. 2
3
Par ailleurs, la Convention de Bruxelles ne traite pas tous les aspects du contrat de
transport de marchandises par mer. Elle s’applique du chargement au déchargement66
. Dans
ce cas, pour déterminer la loi applicable aux obligations qui pèsent sur le transporteur avant
les opérations de chargement et après les opérations de déchargement, on fera appel à la
Convention de Rome. Celle-ci n’a pas pour effet de remettre en cause les règles matérielles
applicables aux contrats de transport mais de combler le vide juridique laissé par la
Convention de Bruxelles67
. Ceci veut dire qu’un contrat de transport soumis obligatoirement à
la Convention de Bruxelles de 1924 le restera68
. La Convention de Rome s’appliquera en
second lieu de manière subsidiaire aux questions non traitées par la convention de Bruxelles
telles que la question de la constatation des préjudices ou leur évaluation ; ou bien aux
opérations annexes, telles les opérations de manutention69
.
A ce propos, le professeur P. Bonassies remarque que « pour déterminer la loi
applicable aux dommages subis postérieurement au déchargement, il faut se référer aux
règles de conflits de lois, c'est-à-dire, aujourd’hui, non plus à l’article 16 de la loi du 18 juin
1966, mais d’abord à la Convention de Rome »70
.
Après avoir déterminé les cas d’application de la Convention de Rome au contrat de
transport maritime de marchandises, il convient d'analyser les difficultés que peuvent poser
l’application du principe de la loi d’autonomie à un tel contrat.
2- Opposabilité de la clause Paramount :
Le contrat de transport de marchandises par mer se matérialise souvent sous la forme
de connaissement. Il est rédigé par la compagnie de transport. La question de l’opposabilité
d’une clause Paramount ne se pose pas pour le transporteur. S’agissant d’un contrat
d’adhésion rédigé par le transporteur71
, cette question se pose pour les autres parties au
66
Comme la Convention de Bruxelles ne s’applique pas c’est la convention de Rome qui déterminera la
loi applicable à ces phases du contrat. (P. Bonassies, « Droit positif français en 1999 », Hors série n°4, mars
2000, p.50.)
67
Lamy transport ; Tome 2, Commission de transport mer, Fer, Air, commerce extérieur, 2006, p 302, n°
567.
68
P. Bonassies, DMF, janvier, 1992, p.4.
69
P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit, p. 487, n° 755.
70
P. Bonassies, « Le droit positif en 1999 », op. cit, note 63, p.50.
71
Sur cette notion, Vincent Heuzé : « La réglementation française des contrats internationaux, étude
critique des méthodes », préface P. Lagarde, n° 510, GLN 1990.
24. 2
4
contrat. La réponse sera différente qu’on parle du chargeur ou du destinataire de
marchandises.
2.a : Opposabilité au chargeur :
La jurisprudence exige la signature du connaissement par le chargeur pour que lui soit
opposable la clause Paramount. En effet, même si la signature du connaissement par le
chargeur n’a aucune incidence sur la validité du contrat de transport, celle-ci a des
implications quant aux clauses qui peuvent lui être opposables. Le problème se situe sur un
plan plus général : celui de l’opposabilité au chargeur des clauses du connaissement
dérogatoires au droit commun.
Pour ces clauses, la signature du chargeur est exigée ; à défaut de signature, elles ne lui
sont pas opposables. C’est ainsi que la Cour de cassation déclare que « en retenant, pour
décider que les clauses figurant sur le contrat avaient été acceptées par le chargeur, que la
convention de transport avait été formalisée par la signature du titre, alors que la signature
du chargeur n’apparaît pas sur le connaissement, la Cour d’appel a violé les dispositions de
l’article 1134 du code civil »72
.
Même si cet arrêt ne concernait pas la clause Paramount, le même raisonnement peut
lui être appliqué. Si le chargeur n’a pas signé le connaissement, il n’est pas supposé avoir eu
connaissance de la clause au moment de la conclusion du contrat et elle ne peut donc pas lui
être opposée. Il faut qu’il l’ait expressément accepté. Cela implique que la signature faite par
le chargeur pour endosser le connaissement ne vaut pas acceptation73
. Une acceptation
expresse ne saurait se déduire d’une signature qui a un objet tout autre.
La Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 30 novembre 1993 va dans ce sens. Elle
déclare que « pour être opposable au chargeur, la clause Paramount qui renvoie à la
Convention de Bruxelles de 1924 qui n’est pas applicable de plein droit faute pour l’Etat de
l’émission du connaissement et pour l’Etat du lieu de destination de l’avoir ratifiée et qui, de
ce fait, est dérogatoire au droit commun, doit avoir été connue et acceptée par lui »74
.
72
DMF, février, 1994, p.116, note Le Bayon.
73
DMF, 2001, 313, navire AN HE, note Yves Tassel. Notons que le commentateur a critiqué cet arrêt et
la rigueur de la jurisprudence quant à la preuve de l’acceptation de la clause par le chargeur.
DMF, juillet août 2003, p.665 : L’endossement du connaissement ne vaut pas acceptation des clauses
contractuelles.
74
DMF, septembre 1994, p.554, note Y. Tassel.
25. 2
5
Le chargeur, partie faible au contrat de transport, bénéficie d’une protection
particulière des juges français. Une protection plus forte est apportée au destinataire.
2.b : Opposabilité au destinataire :
Le contrat de transport de marchandises par mer implique trois parties : le chargeur, le
transporteur et le destinataire. C’est un contrat tripartite75
. Ce contrat implique des parties qui
n’y adhèrent pas toutes au même moment, ni dans les mêmes termes et conditions. Le contrat
est d’abord réputé être conclu entre un « chargeur » et un « transporteur » qui va émettre un
titre de transport (un connaissement) qu’il va remettre au chargeur. Plus tard, le chargeur va
remettre le connaissement au destinataire généralement à travers le circuit bancaire.
Le destinataire est le bénéficiaire final du contrat de transport. Mais est-il vraiment une
partie au contrat ? La question est légitime lorsqu’on sait que le contrat est effectivement
conclu entre le chargeur et le transporteur. Le destinataire n’intervient pas au moment de la
conclusion du contrat. Sa qualité est ambiguë et suscite le questionnement quant à sa place au
sein du contrat de transport76
.
A ce propos, la jurisprudence française a longtemps associé le destinataire au contrat
de transport par la technique de la « stipulation pour autrui »77
. Cette qualification du
destinataire comme un tiers par rapport au contrat de transport a été critiquée par la doctrine et
par d’éminents auteurs tel Georges Ripert78
.
Cependant, il faut noter que le destinataire de marchandises est tenu à certaines
obligations, telle que la réception de la marchandise ou dans certains cas le paiement du fret
lorsque le connaissement mentionne que le fret n’a pas été payé.
Ces obligations découlent du contrat de transport dès que le bénéficiaire prend
livraison de la marchandise79
. Il est plus logique de parler d’un contrat tripartite comme le
concevait le Doyen Rodière. Pour lui « le contrat de transport est normalement voué pour
amener la marchandise chez le destinataire : ce serait donc un contresens que de ne pas y
voir naturellement un contrat à trois personnes »80
.
75
R. Rodière et E. du Pontavice, « Droit maritime », 12ème
éd., Précis Dalloz 1997, n° 359.
76
Ph. Delebecque, « Le destinataire de la marchandise : tiers ou partie au contrat de transport? », Dalloz
affaire, n°9, 1995, p.189.
77
Exemple : cass. Com, 1er
Février 1955, D 1956.338, note P. Durant.
78
Ripert, « Droit maritime », Tome 2, n°1583.
79
Ph. Delebecque, op. cit. supra, p. 191.
80
R. Rodière et du Pontavice, Op. cit, n° 359.
26. 2
6
Même s’il fait partie intégrante du contrat de transport, le destinataire en est absent
lors de sa conclusion. Peut-on déduire son acceptation de toutes les clauses du contrat pour la
simple raison qu’il a accepté de réceptionner la marchandise? Cette acceptation ne veut pas
dire pour autant qu’il a accepté toutes les clauses insérées au connaissement telles que les
clauses Paramount.
Selon le Professeur P. Bonassies « en adhérant au contrat de transport, le destinataire
entend d’abord adhérer au statut de destinataire»81
. Et comme cela a été si bien dit par le
professeur Ph. Delebecque, « le destinataire de la marchandise s’intègre au contrat de
transport maritime plus qu’il ne l’épouse »82
. Aussi, il faut plus que la réception de la
marchandise pour déduire l’acceptation du destinataire de toutes les clauses du connaissement
et en conclure qu’elles lui sont opposables.
Le destinataire, partie au contrat de transport, adhère à l’économie générale de ce
contrat83
. La question est alors de savoir si la clause Paramount fait partie de l’économie
générale du contrat de transport maritime de marchandises. On l’a déjà vu pour le chargeur, la
clause Paramount est une clause dérogatoire au droit commun.
Dans l’affaire du navire Catharina, la Cour d’appel de Paris avait déclaré que « la
clause Paramount du connaissement n’est pas opposable au destinataire endosseur du titre,
alors qu’au surplus elle n’est pas opposable au chargeur qui n’a pas signé le connaissement,
une telle acceptation ne pouvant se déduire de l’économie du contrat »84
.
Cette position limite encore les cas d’application de la clause Paramount. C’est sans
doute pour cette raison qu’une partie de la doctrine critique la position de jurisprudence
française85
. Mais dans les cas où elle est opposable, il faut faire produire à la clause
Paramount tous ses effets.
3- Application de la clause Paramount
A l’origine, la clause Paramount désignait l’adhésion contractuelle à la Convention de
Bruxelles de 1924. Si elle est opposable aux parties, il convient d’analyser les conséquences
81
P. Bonassies, « Commentaire de l’arrêt de la cour de cassation du 29 Novembre 1994 », DMF, 1995. p.
209.
82
Ph. Delebecque, obs. sous cassation, 1ère
Chambre civ., 12 juillet 2001, RTD com. 2001, 1O63.
DMF 667, Fév. 2006, p. 154, note 16.
83
P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit, n° 981 et s. et 905.
84
Navire Catharina , DMF, juillet août 2003, 639, p.665, note Y. Tassel.
85
V. notamment Yves Tassel, op. cit.
27. 2
7
de son application (3.a). Aujourd’hui, la clause Paramount figure dans tous les
connaissements rédigés en anglais et dans nombreux contrats rédigés en français86
. La
rédaction de la clause a évolué,87
ce qui a eu pour conséquence l’apparition de nouvelles
difficultés quant à sa signification (3.b).
3.a : Conséquences de l’application de la clause
Quand la clause Paramount désigne clairement la loi applicable, il suffit alors de
l’appliquer pour résoudre le litige. L’arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 9 septembre 2004
est un remarquable cas de démonstration simple et sans complications de la loi d’autonomie.
Il s’agissait dans cette affaire d’un transport de crevettes crues congelées provenant de la
Colombie à destination du Havre. Arrivée à destination, la marchandise fut déclarée avariée.
Pour résoudre le litige, les juges se réfèrent directement à la loi d’autonomie. Ils déclarent
que : « la Convention de Rome du 19 juin 1980 relative à la loi applicable aux obligations
contractuelles est applicable au litige…Attendu que selon l’article 3.1 de cette Convention, le
contrat est régi par la loi choisie par les parties… qu’il résulte que les parties au
connaissement ont expressément entendu soumettre le contrat de transport aux dispositions
de la loi allemande… »88
.
Quand la clause Paramount est claire et qu’elle désigne la Convention de Bruxelles,
elle entraîne impérativement l’application de toutes les dispositions de cette convention. C’est
dans l’arrêt Hilaire-Maurel du 4 avril 1992 que la Cour de cassation a déclaré ce principe89
.
Même si les faits traités dans cet arrêt n’étaient pas soumis à la Convention de Rome (pas
encore en vigueur), cet arrêt demeure intéressant pour sa valeur pédagogique. La Convention
lui conserve toute sa valeur scientifique dans la mesure où elle reprend les principes qu’il
consacre. L’arrêt nous montre dans la pratique comment s’applique le principe de la loi
d’autonomie au contrat de transport maritime.
Il s’agissait, dans cette affaire, d’un transport entre le Liberia (lieu d’émission du
connaissement) et la Guinée (de ce fait, un transport non soumis de plein droit à la
Convention de Bruxelles) couvert par un connaissement dans lequel figure une clause
Paramount classique. Mais, il était précisé dans ce connaissement que sera retenue comme
86
P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit, n°903, p.580.
87
La clause Paramount est promue par la BIMCO.
88
BTL, n°3076 du 4 avril 2005, p.251.
89
DMF, mai 1992, p. 289, note P. Lemaitre.
DMF, février 1993, p.90, n°52.
28. 2
8
unité de compte pour le calcul de la limitation de responsabilité la livre sterling en monnaie
courante et non la livre or de la Convention.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait considéré
valable la clause dérogeant aux dispositions de la Convention de Bruxelles90
. Les juges ont
déclaré que « les parties qui conviennent de soumettre le contrat qu’elles concluent à une
convention internationale ne peuvent écarter celles de ses prescriptions auxquelles, si la
convention était applicable de plein droit, il ne saurait être dérogé à peine de nullité ».
Dans sa note relative à cet arrêt, M. Lemaitre précise la portée de l’arrêt. Il écrit :
« Ainsi énoncé, ce principe est général ; il dépasse le cadre de la Convention de Bruxelles
mais son application s’étendra certainement, pour la plus grande part, au droit maritime »91
.
Voilà encore un autre exemple de l’enrichissement mutuel du DIP et du droit maritime. Il
s’agit d’un autre principe de DIP dégagé lors d’un litige relatif au contrat de transport
maritime.
L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Rouen. Celle-ci s’aligne au principe
dégagé par les juges de la haute cour92
dont elle reprend mot pour mot la formulation. Il ne
fait aucun doute, la loi d’autonomie subit une restriction importante. Les parties en choisissant
de se soumettre à une convention internationale ne peuvent pas faire le tri parmi ses
dispositions impératives. Même si elle tire sa force du choix des parties (exprimé par une
clause Paramount), la Convention s’applique de la même manière que si elle l’était de plein
droit.
Le professeur P. Bonassies, en critiquant l’arrêt de la cour d’appel de Paris, donne un
premier fondement à cette restriction. Pour lui la justification réside dans le fait que « la
France ayant ratifiée le Protocole de 1968, tout tribunal français est tenu d’appliquer
strictement les dispositions de ce protocole »93
.
90
Arrêt de la Cour d’appel du 9 janvier 1990, DMF 1991, p.116 et DMF février 1992 p.99.
La cour avait déclarée que « la référence à la convention, purement contractuelle, ne saurait transposer
dans les rapports entres les parties le caractère d’ordre public des dispositions de la convention (non applicable
de plein droit) ni s’entendre aux prescriptions non expressément visées dans le connaissement ».
91
Op. cit, p.292.
92
« Il est de règle que les parties qui conviennent de soumettre le contrat qu’elles concluent à une
convention internationale ne peuvent écarter celles de ses prescriptions auxquelles, si la convention
internationale était applicable de plein droit, il ne saurait être dérogé à peine de nullité ». DMF, septembre
1994, p.568, note Yves Tassel.
DMF, mars 1995, « le droit positif français en 1994 », P. Bonassies, p.179, n°49.
93
DMF, février 1992, p.99, n°46.
29. 2
9
D’un autre point de vue, M. Tassel avance une justification se fondant sur le principe
même de la loi d’autonomie. Selon lui, l’interdiction de déroger aux dispositions impératives
de la Convention de Bruxelles est la conséquence du choix de cette loi par les parties. En
effet, en acceptant de se soumettre à cette convention les parties ont accepté ses dispositions
impératives et les conséquences qui peuvent en découler (telle que la nullité d’une disposition
contractuelle)94
.
Cette explication est en conformité avec la Convention de Rome. M. Kassis, en
analysant le principe de la loi d’autonomie dans cette Convention en tire la conséquence que
« le fait que le contrat soit soumis à la loi choisie entraîne la nullité de toute stipulation
contractuelle qui ne serait pas en accord avec cette loi, et même la nullité de tout le contrat
s’il est dans son ensemble incompatible avec elle »95
.
3.b- Evolution de la clause Paramount
Comme cela a été déjà signalé, à l’origine la clause Paramount renvoyait à la
Convention de Bruxelles. Le premier problème est né du fait que nombreux Etats, qui ont
ratifié la Convention de 1924 sans pour autant ratifier le Protocole de 196896
. Quel texte faut-
il alors appliquer ?
Ce sont les praticiens, par la modification de la rédaction de la clause, qui ont résolu
cette difficulté. Désormais, c’est la Convention telle « qu’adoptée dans le pays d’expédition
de la marchandise » qui sera appliquée97
.
Avec l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies sur le transport de
marchandises par mer le 1er
novembre 1992 (Règles de Hambourg), un nouveau problème est
apparu. En fait, le problème est autant lié à la rédaction complexe de ces clauses qu’à l’entrée
en vigueur des RH.
Le débat est né en particulier à l’occasion de l’interprétation de la clause Paramount
suivante proposée notamment dans les clausiers type de la BIMCO: « The Hague Rules
contained in the International Convention for the Unification of certain rules relating to Bills
of Lading, dated Brussels the 25th
August 1924 as enacted in the country of shipment shall
apply to this contract. When no such enactment is in force in the country of shipment, the
94
Op. cit, p.570.
95
A. Kassis, op. cit, p.350, n°326.
96
Guillaume Tarin, « Les conflits de conventions internationales en droit du transport maritime de
marchandises », Mémoire de D.E.S.S. droit des transports maritimes, 1999/2000.
97
P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit, p.580, n°903.
30. 3
0
corresponding legislation of the country of destination shall apply, but in respect of shipments
to which no such enactments are compulsory applicable, the terms of the said Convention
shall apply”98
. Cette clause malgré son ambiguïté est devenue une clause standard du droit
maritime. L’ambiguïté réside dans le sens de la « corresponding legislation ».
La Cour d’appel d’Aix en Provence, dans l’arrêt « Klim Voroshilov » du 7 mai 1997, a
déclaré que « Lorsque la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 et la loi française ne sont
pas applicables de plein droit, les Règles de Hambourg en vigueur dans le pays de destination
doivent recevoir application en présence d’une clause Paramount soumettant le transport
litigieux aux Règles de La Haye et à la corresponding legislation of the country »99
.
Il s’agissait dans ce cas d’un transport de riz de l’Inde vers le Sierra Leone. A
l’arrivée, des manquants et des avaries par mouille ont été constatés. Le connaissement
comportait la clause Paramount telle que rédigée par la BIMCO. La Cour d’appel d’Aix en
Provence avait traduit le terme « corresponding » par correspondante. La législation
correspondante à la Convention de Bruxelles dans le pays de destination est la Convention de
Hambourg.
Malgré les critiques de la doctrine100
, la Cour de cassation adopte la même position.
Dans deux arrêts relatifs aux navires « Vassili Klochkov » et « Klim Voroshilov », les juges de
la haute juridiction ont déclaré : « La clause Paramount du connaissement, qui se référait à la
« corresponding legislation » du pays de destination, expression qui nécessite
l’interprétation, pouvait être interprétée comme désignant comme loi du contrat de transport
le droit maritime du pays de déchargement, soit la Convention Hambourg appliquée non en
tant que dispositions d’un Traité international, mais comme faisant partie de la législation
maritime choisie par les parties »101
. Ainsi, la clause Paramount peut aboutir à l’application
des RH, et c’est là apparemment une des rares possibilités de voir s’appliquer ces règles par
les juges français102
.
Cette position de la jurisprudence a fait l’objet de vives critiques. M. P-Y Nicolas a
écrit en commentant l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence : « cette position pourra
surprendre, en fait, tant elle semble éloignée de l’objet de la clause, tel que nous le
98
Clause Paramount rédigée par la Bimco et empruntée au Congenbill ou au Conlinebill.
99
DMF, janvier 1998, p.28, note P-Y Nicolas.
100
P-Y Nicolas, op. cit. supra.
101
DMF, novembre 2000, p.903, note François Le louer.
102
Sur la question de l’application des RH en France voir notamment P-Y Nicolas « Les Règles
de Hambourg devant les tribunaux français », DMF, juin 1998, p.547.
31. 3
1
comprenons, qui est de soumettre le contrat aux Règles de La Haye quand elles font partie
intégrante de l’ordre juridique du pays de l’embarquement ou de celui du pays de destination,
alors même qu’elles n’y seraient pas applicables de plein droit ».
La « corresponding » législation de clause Paramount semble correspondre, comme
l’écrit M. Le Louer, à « toute autre législation les appliquant ou leur donnant effet » de
l’article 10.c des Règles de La Haye Visby.
En réalité, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a consacré une
interprétation souveraine des termes « corresponding legislation ». L’interprétation
souveraine peut emmener les juges du fond à donner une signification différente à la clause
Paramount d’un litige à un autre. C’est ainsi que dans l’arrêt du « World Appolo », la Cour de
Cassation a rejeté le pourvoi fait à l’encontre de l’arrêt d’appel103
. Il s’agissait dans cette
affaire d’un transport de marchandises entre la Thaïlande et le Sénégal. Les juges du fond ont
interprété la Clause Paramount figurant dans ce contrat comme renvoyant à la Convention de
Bruxelles. La Cour de Cassation approuve et déclare : « La Convention de Bruxelles du 25
août 1924 doit s’appliquer au contrat de transport maritime de marchandises, à l’exclusion
des Règles de Hambourg en vigueur dans le port du déchargement, lorsque les parties ont fait
choix de la dite Convention et qu’aucune règle impérative ne s’oppose à un tel choix ».
Cet arrêt est salué par la doctrine qui estime que le choix des parties a été respecté. Le
principe de la loi d’autonomie est donc observé. D’autres difficultés, quant à l’application de
ce principe au contrat de transport de marchandises, peuvent naître suite à l’adoption du projet
Rome I.
4- Conséquences du projet Rome I :
Les dispositions du projet Rome 1 concernant le principe de la loi d’autonomie (tel
qu’exposé dans la première section), peuvent avoir des conséquences sur la loi applicable au
contrat de transport.
D’abord, la présomption de l’article 3.1 peut trouver application dans le contrat de
transport de marchandises. En effet, souvent les connaissements comportent des clauses
d’élection du for. Généralement, elle renvoie au tribunal du lieu d’établissement du
103
Revue Scapel, 2002, p.96
DMF, juillet-août, 2002, p.613, note P-Y Nicolas.
32. 3
2
transporteur. Désormais, cette clause impliquerait la soumission automatique de ce contrat à
la loi du tribunal choisi.
Concernant la possibilité de choisir des règles non étatiques, on ne pense pas que cette
possibilité puisse avoir des conséquences importantes sur la loi choisie par les parties au
contrat de transport maritime. D’après M. J-P Rémery, la pratique nous montre le rôle
restreint de la lex mercatoria sur ce contrat. En effet, il a écrit à ce propos que « malgré les
apparences, le contrat international de transport maritime de marchandises, contrat pourtant
fondamental du commerce international avec la vente, relève, sans doute, moins qu’un autre
de cette notion (lex mercatoria) » 104
. L’explication réside sans doute dans le fait que dans ce
contrat les intérêts sont si divergents que c’est par la voie de la coopération interétatique que
les règles les plus importantes du transport maritime naissent. N’oublions pas que la
Convention de Bruxelles était une réaction contre la pratique des « negligence clause ». Ce
qui implique que les règles aujourd’hui applicables au contrat de transport n’ont pas pour
origine la pratique mais la volonté des Etats. M. Rémery fait remarquer qu’il y a une
insuffisance matérielle et institutionnelle pour considérer qu’il existe un ordre juridique
marchand concernant le contrat de transport maritime de marchandises. D’abord, une
insuffisance matérielle, car en dehors des traité internationaux il n’existe que quelques règles
incapables de constituer un ensemble structuré et cohérent de solutions. Ensuite, une
insuffisance institutionnelle, puisqu’on ne peut pas parler d’une société maritime, homogène
et solidaire. La concurrence de deux conventions internationales (la Convention de Bruxelles
et les RH) en est la preuve.
Même si le projet Rome I ne vise pas la lex mercatoria, on ne voit pas à quel ensemble
de règles non étatiques les parties pourront soumettre leur contrat. Il est vrai que les usages
ont une place importante en matière de transport. Mais, aujourd’hui, à notre connaissance il
n’existe pas un ensemble de règles non étatique qui pourrait se substituer à l’application d’une
loi. C’est pour cette raison que l’impact de l’article 3.2 du projet Rome 1 ne nous semble pas
important sur le contrat de transport. On ne voit pas quelles sont les règles spécifiques à la
matière et reconnues par la communauté internationale ou communautaire que les parties
pourront choisir. On peut envisager, théoriquement, l’application des principes UNIDROIT.
Mais vu la spécificité du contrat de transport, on n’en voit pas l’intérêt.
104
Jean Pierre Rémery, « Remarques sur le droit applicable au contrat international de transport
maritime de marchandises », Mélanges offerts à Pierre Bonassies, op.cit, p.279.
33. 3
3
Ainsi, nous avons tenté d’étudier dans cette partie toutes les difficultés que peut poser
l’application du principe de la loi d’autonomie au contrat de transport maritime de
marchandises. Qu’en est-t-il pour le contrat d’engagement maritime ?
B- La loi d’autonomie et le contrat d’engagement maritime
Appliqué au contrat de travail et au contrat d’engagement maritime en particulier, le
principe de la loi d’autonomie est aménagé afin de faire bénéficier le travailleur, partie faible
au contrat de travail, d’une protection particulière (1). Le même mécanisme de protection
contenu dans la Convention de Rome est préconisé par le projet Rome I et par la loi sur le
registre international français (2).
1- Nécessité de protéger le travailleur
La protection de la partie faible au contrat international est le troisième principe sur
lequel repose la Convention de Rome. Celui-ci est appelé à cohabiter avec le principe de la loi
d’autonomie.
Classiquement, une des caractéristiques des règles de conflits de lois est leur
neutralité. On entend par neutralité le fait que l’objet des règles de D.I.P. n’est pas de résoudre
directement les litiges mais de désigner objectivement la loi applicable à cette fin.105
.
Dans la conception classique, la neutralité de la règle de conflit fait figure de postulat.
Cette affirmation trouve son origine dans la méthode de Savigny106
enrichie par celle de
Bartin. Dans le système Savignien, l’application d’une loi est le résultat de son rapport étroit
avec le litige et non le résultat de la volonté de l’auteur de la règle de conflit ; et donc
« l’application d’une loi n’est pas un but en soi, mais simplement un moyen de fournir au
rapport sa solution la plus convenable »107
.
105
Travaux du Comité Français de Droit International Privé, Doit international privé, Années
1980-1981, Edition du CNRS, Communication de M. Y. Loussouarn, « La règle de conflit est-elle neutre », p.42.
106
Savigny, « Traité de droit romain », Tome VIII.
La méthode de Savigny consiste en 2 étapes :
1- Analyser le rapport de droit privé ;
2- Le rattacher à la loi avec laquelle il a le plus de liens significatifs.
Cette démarche est neutre et objective puisqu’elle ne prend en considération que le rapport de droit.
107
P. Mayer et V. Heuzé, « Doit international privé », p.50, n°68, Montchrestien, 8ème
édition,
2004.
34. 3
4
Il faut noter que cette neutralité n’a pas été entachée par l’apport de Bartin108
. En effet,
même si Bartin concevait le DIP comme une projection du droit interne sur le plan
international, la détermination des catégories de rattachement ainsi que la manière de qualifier
sont le résultat d’un raisonnement rigoureux ; ce qui confirme la neutralité de la règle de
conflit.
La preuve de cette neutralité dans la Convention de Rome est le caractère bilatéral de
ses règles. Le caractère bilatéral signifie qu’une règle de conflit peut indifféremment désigner
la loi du for ou la loi étrangère comme applicable109
Cette caractéristique de la règle de conflit vaut aussi pour la loi d’autonomie. Le
professeur Mohamed Mahmoud écrit à ce sujet : « c’est un truisme que d’affirmer que le
principe de l’autonomie de volonté repose sur une conception abstraite de la liberté
contractuelle qui ignore les conditions concrètes de détermination de la volonté des sujets de
droit »110
.
Cette conception classique du DIP comme « droit de classement » (n’ayant pour objet
que la détermination du domaine de l’application dans l’espace des règles de droit privé) a été
critiquée, notamment lorsque ce classement porte sur la matière contractuelle111
. Certains
contrats internationaux nécessitent en effet une adaptation de la loi d’autonomie. La partie
faible au contrat doit être protégée. Il en ainsi pour le travailleur et plus précisément le marin
appelé à voguer sur des mers sans frontières et dans des ports sans fin. Il est impossible pour
le DIP d’ignorer, en dépit de sa neutralité, l’impératif de protection de cette partie faible112
.
Le DIP est investit d’une fonction nouvelle de régulation des rapports contractuels à
coté de sa fonction traditionnelle de classification113
. Cette fonction, même si d’apparence
contradictoire avec la loi d’autonomie, ne l’est pas vraiment. Dans le contrat d’engagement
108
Bartin, Etudes, p. II.
109
Y.Loussouarn, P.Bourrel et P.De Vareilles-Sommières, « Droit international privé », Dalloz,
8ème
édition, p.112, n°108
110
Mohamed Salah Mohamed Mahmoud, « Loi d’autonomie et méthode de protection de la partie
faible en DIP », RCADI, tome 315, 2005, p.153.
111
V. H.Watt, Thèse « la fonction de la règle de conflit de lois », Paris II, 1986
Dans sa thèse M.Watt, après avoir expliqué cette fonction répartitrice de la règle de conflit de lois, il l’a
sévèrement critiqué.
-V. Y.loussouarn, chronique précitée, p.47
112
V. notamment : F. Pocar « La protection de la partie faible en droit international privé »,
RCADI, tome 188, 1984, p.339 ; F. Leclerc, « La protection de la partie faible dans les contrats internationaux
(étude de conflits de lois) », Bruylant, Bruxelles, 1995.
113
La conception classique du DIP : droit de classement n’ayant pour objet que la détermination
du domaine de l’application dans l’espace des règles de droit privé.
35. 3
5
maritime, il y a une grande disparité de puissance entre les contractants. S’en tenir à la loi
d’autonomie, c’est en réalité accepter de donner effet à la volonté d’une seule partie, en
l’occurrence, celle qui est la plus forte (c'est-à-dire le transporteur ou armateur). Comme
l’écrit le professeur Mohamed Mahmoud, « le droit international privé ne saurait justifier
cette position par la neutralité de la règle de conflit car c’est cette neutralité même qui
conduit à un résultat manifestement contraire au postulat de cette règle »114
. La loi choisie
par la partie la plus forte et ayant pour but de soustraire le travailleur à un droit plus protecteur
rend la référence à la loi d’autonomie pure fiction. Ignorer cette réalité c’est accepter la
consécration de la loi du plus fort.
Afin de protéger le marin, partie faible au contrat d’engagement maritime, la
Convention de Rome a prévue une règle de conflit qui, tout en affirmant le principe de la loi
d’autonomie, tient compte de la finalité protectrice du droit substantiel.
2- Mécanisme de protection du marin
On retrouve le même mécanisme de protection dans la Convention de Rome, dans le
projet Rome I et même dans la loi du RIF115
L’article 6.1 de la Convention de Rome dispose que : « nonobstant les dispositions de
l’article 3, dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir
pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions
impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du
présent article ». Il ressort de la lecture de cet article que le principe de la loi d’autonomie
régit le contrat de travail dans la mesure où il ne prive pas le travailleur de la protection de la
loi qui aurait été applicable à défaut de choix des parties.
La rédaction de cet article valorise le rôle de la loi d’autonomie. Cette même rédaction
est retenue par le projet Rome I.
Le même mécanisme de protection est retenu dans la loi RIF116
mais dans des termes
différents. Le but de cette loi est d’encourager les armateurs à immatriculer leurs navires sous
« pavillon international français » plutôt que sous pavillon de complaisance. L’intérêt est de
114
Mohamed Salah Mohamed Mahmoud, op. cit, p.164.
115
Pour la loi RIF, notre recherche portera sur le contrat d’engagement maritime concernant les
navigants non résidant en France.
116
Loi n°2005-412 du 3 mai 2005 relative à la création du registre international français. JORF
n°103 du 4 mai 2005, p.7697.
36. 3
6
faire échapper les armateurs français à une réglementation sociale onéreuse et très lourde pour
l’armateur tout en enregistrant leurs navires sous pavillon d’origine117
. La différence
fondamentale entre le RIF et le registre français classique est que la législation sociale
française ne s’applique pas aux marins navigant sous pavillon français bis qui résident en
dehors du territoire français118
.
On s’intéressera dans cette étude à l’impact que peut avoir la loi du RIF sur les règles
de conflit de lois en matière de contrat d’engagement maritime. La loi RIF contient toute une
série de normes relatives au droit du travail applicables aux marins qui résident à l’étranger et
qui travaillent à bord de navires RIF. Il s’agit en quelque sorte d’un code du travail maritime
spécifique à cette catégorie de marins puisque ces normes s’appliquent exclusivement et
rejettent l’intervention du droit social français. Sera donc traité, dans le cadre de ce mémoire
uniquement le contrat international d’engagement maritime conclu par les navigants résidant
en dehors de la France et travaillant sur un navire immatriculé au RIF.
L’article 12 de cette loi dispose : « les contrats d’engagement et le régime de
protection sociale des navigants résidant hors de France sont soumis à la loi choisie par les
parties, sous réserve des dispositions de la présente loi et sans préjudice de dispositions plus
favorables des conventions ou accords collectifs applicables aux non résidents, dans le
respect des engagements internationaux régulièrement ratifiés et approuvés, et
communautaires, de la France ». Comme dans la Convention de Rome, c’est le principe de la
loi d’autonomie qui est consacré mais celui-ci est aménagé afin de fournir une protection,
certes minimale, au travailleur. La loi choisie par les parties ne doit pas priver le navigant de
la loi qui aurait du être applicable en cas d’absence de choix c'est-à-dire la loi RIF. En effet,
l’article 3 de cette loi pose le principe selon lequel les marins employés sur des navires RIF
sont soumis aux seules règles de la loi du 3 mai 2005 en non au droit commun.
Néanmoins, malgré cette similitude les deux règles de conflit de loi ne sont pas
identiques. Ce même mécanisme aboutit-il à la même protection ? Afin de répondre à cette
question, il faut analyser la loi applicable en cas d’absence de choix des parties.
117
DMF, juin 2005, Spécial : « RIF- loi du 3 mai 2005 ».
Pierre Angelellin, « RIF : les premiers mois à Marseille », DMF, octobre 2006, p.755.
118
Patrick Chaumette, « Le RIF : le particularisme maritime généré », DMF, juin 2005, p.467 ; et
« Le marin entre le navire et sa résidence. Le registre international français », RCDIP, avril-juin, 2006, p.275
37. 3
7
CHAPITRE 2 : LA LOI APPLICABLE EN L’ABSENCE DE CHOIX DES
PARTIES
Malgré la possibilité donnée aux parties de choisir la loi applicable à leur contrat, ces
dernières peuvent ne pas user de cette liberté. A défaut de choix des parties, la Convention de
Rome cesse de s’attacher à la loi d’autonomie pour tenter une localisation objective du
contrat. Le dispositif combine sécurité et souplesse.
En l’absence de choix des parties, c’est la théorie de la localisation objective qui
reprend le dessus119
. La base du dispositif de la Convention est le principe de proximité : le
contrat est régi par la loi qui entretient les liens les plus étroits avec lui (section 1). La
Convention met, ensuite, en place un système de présomptions afin de guider le juge dans sa
recherche de la loi applicable. L’article 4.2 énonce à cet effet une présomption générale
(section 2) ; certains contrats, en raison de leur spécificité, font l’objet d’une présomption
spéciale (section 3). Ces présomptions peuvent être écartées au profit de la « clause
d’exception ».
Section 1 : Le principe de proximité
L’article 4.1 de la Convention de Rome dispose que : « Dans la mesure où la loi
applicable au contrat n’a pas été choisie conformément aux dispositions de l’article3, le
contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ». C’est la
consécration du principe de proximité par la Convention de Rome. Le juge est appelé à
rechercher le centre de gravité de la relation contractuelle en tenant compte de tous les
facteurs de rattachement, qu’ils soient d’ordre juridique, économique ou sociologique120
.
Malgré sa pertinence, ce rattachement est très vague. Il fait prévaloir la souplesse au
détriment de l’impératif de prévisibilité. Ce rattachement a été considéré à par la doctrine
unanime de « fondement vague et lâche »121
.
119
Yvon Loussourn, Pierre Bourel et Psacal de Vareilles-Sommières, op. cit, p.501.
120
Certains auteur, on vu dans cet article la preuve du développement de la doctrine telles de la
« proper law ». Cette doctrine est le résultat de la critique du caractère mécanique de la règle de conflit. D’après
le Doyen Cavers, il faut prendre tout au long du processus de raisonnement pour le choix de juridiction ainsi que
de loi applicable l’idée de justice. Ce qui implique une négation systématique de la neutralité.
V. P. Mayer et V. Heuzé, op.cit, p101, n°138.
121
A. Kassis, op. cit, p.285, n°254.
38. 3
8
Les rédacteurs du nouveau texte ont probablement entendu ces critiques. Le projet
Rome1 renforce la sécurité juridique. Le principe de proximité est relégué au second plan122
.
En cas d’absence de choix des parties, le projet Rome I met en place un système de règles de
conflits spéciales pour certains contrats. La présomption générale de la Convention de Rome
est transformée en une règle de conflit de lois pour les autres contrats (non soumis à une règle
spéciale). Mais la doctrine n’est pas non plus satisfaite de cette nouvelle proposition et l’a
considérée comme trop rigide123
. Afin de comprendre cette critique, il faut analyser tout le
système mis en place par la Convention d’une part et celui préconisé par le nouveau projet
d’autre part.
Section 2 : La présomption générale
Sont concernés par cette présomption, les contrats non soumis à une présomption
spéciale. Il s’agit pour les contrats maritimes objet de cette étude du contrat de vente de
navires et du contrat d’affrètement (à l’exclusion de l’affrètement au voyage assimilé par la
Convention de Rome au contrat de transport). Afin d’aider le juge à rechercher la loi
applicable au contrat, la Convention de Rome a prévu une présomption (A). Ce système n’a
pas été retenu par le projet Rome1 qui propose de transformer la présomption en règle de
conflit (B).
A- L’article 4.2 de la Convention de Rome
L’article 4.2 dispose qu’ « il est présumé que le contrat présente les liens les plus
étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de
la conclusion du contrat sa résidence habituelle… ».
La Convention de Rome a retenu le lieu d’établissement de la personne qui fournit la
prestation caractéristique comme élément de rattachement au contrat. Plusieurs rattachements
étaient possibles tel que le lieu d’exécution de la prestation caractéristique ou encore lieu de
conclusion du contrat. Le rattachement choisi est relativement simple. Il évite le problème du
lien fictif du lieu de conclusion du contrat ainsi que les difficultés qui peuvent naître si
l’exécution du contrat est faite dans plusieurs pays. Néanmoins, une difficulté subsiste ; la
122
Article 4.2 dernière phrase du projet Rome I : « Lorsque la prestation caractéristique ne peut
être déterminée, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ».
123
P. Lagarde, RCDIP, avril-juin, 2006, p.339.
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notion de prestation caractéristique n’est pas toujours facile à cerner. Cependant, pour les
contrats maritimes, cette notion ne présente pas de difficultés particulières.
Quant au contrat d’affrètement, il est soumis à la loi du lieu d’établissement du
fréteur124
. « Le fréteur étant incontestablement la partie qui fournit la prestation
caractéristique »125
. Une petite distinction doit être faite concernant les contrats
d’affrètement. La Convention de Rome assimile le contrat d’affrètement au voyage au contrat
de transport maritime et le soumet par conséquent à une présomption spéciale. Sont donc
concerné par cette présomption générale les chartes parties à temps et coque nue.
Pour le contrat de vente internationale, la prestation caractéristique est celle du
vendeur. Donc, le contrat de vente de navire est soumis à la loi du lieu d’établissement du
vendeur. En général, le seul fait de verser une somme d’argent ne constitue pas la prestation
caractéristique dans un contrat synallagmatique.
La loi désignée par cette présomption générale peut être écartée par le juge au profit
d’une autre loi en application de l’article 4.5 de la Convention. C’est ce que M. Lagarde
appelle « la clause d’exception » et M. Wengler « la clause échappatoire ». Le juge pourra
mettre en œuvre la clause d’exception si la prestation caractéristique ne peut pas être
déterminée ou lorsqu’il « résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des
liens plus étroits avec un autre pays ».
Donc le juge pourra écarter les solutions exposées ci-dessus concernant le contrat de
vente de navire et le contrat d’affrètement en appliquant la clause d’exception. Le but de
celle-ci est de corriger un rattachement à une loi qui n’a pas les liens les plus étroits avec le
contrat. L’objectif est louable mais il remet en cause la prévisibilité des solutions quant à la
loi applicable.
Ce dispositif a fait l’objet de vives critiques car il rend inutile les présomptions
consacrées par la Convention. M. Kassis s’est même posé la question de savoir si une règle de
124
L’article 3 de la loi du 18 juin 1966 soumet le contrat international d’affrètement, à défaut de
choix des parties, à la loi du pavillon du navire. Mais, selon le principe de supériorité des conventions
internationales au droit interne, c’est les dispositions de la Convention de Rome qui priment et s’appliquent en
priorité.
125
P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit, p.488, n°755.
40. 4
0
conflit qui n’est qu’une présomption qui admet la preuve contraire, est une véritable règle de
conflit, « une règle de conflit sérieuse »126
.
Quant à M. Lagarde, il critique la rédaction de la Convention sur ce point mais il ne
condamne pas la clause d’exception127
. Pour lui, cette clause est utile car elle est susceptible
de donner une solution satisfaisante « dans les cas où les indices de localisation du contrat
sont répartis à peu prés également entre deux ou plusieurs pays »128
. Pour lui, l’essentiel est
que cette clause reste l’exception, les présomptions consacrées par la Convention constituant
les principes.
Le projet Rome I simplifie la situation. Même s’il garde le principe de proximité
comme fondement du rattachement général, il retient d’une part des règles de conflit de lois et
non des présomptions. Il élimine d’autre part la clause d’exception.
B- Les modifications prévues par le projet Rome I
Avec Rome I, il n’y a plus de présomption mais des règles de conflit de lois. L’article
4.1 édicte une règle de rattachement fixe pour huit contrats nommés. Le contrat de vente est
soumis à une règle de conflit spéciale. En effet, l’article 4.1 dispose « qu’à défaut de choix
exercé conformément à l’article 3, la loi applicable aux contrats suivants est déterminée
comme suit : le contrat de vente est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa
résidence habituelle ». La solution au fond n’est pas différente de celle de la Convention de
Rome. Néanmoins, la modification est importante. D’abord, il ne s’agit plus de présomption
mais de règle fixe. Ensuite, l’hésitation n’est plus possible quant à la détermination de la
prestation caractéristique. Désormais, à défaut de choix des parties, le contrat de vente de
navire sera obligatoirement soumis à la loi où le vendeur a sa résidence habituelle.
Le contrat d’affrètement ne fait pas l’objet d’une règle spécifique, il est soumis à la
règle de rattachement générale édictée par l’article 4.2 du projet Rome I qui dispose « les
contrats qui ne sont pas visés au paragraphe 1 sont régis par la loi du pays dans lequel la
partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat
sa résidence habituelle ». La solution préconisée par la Convention est maintenue cependant,
il ne s’agit plus de présomption mais de règle fixe. Les dispositions du projet ne précisent pas
126
A. Kassis, op. cit, p.303, n°272.
127
P. Lagarde, « Commentaire de l’ouvrage de Reithmann et Martiny », RCDIP, 1989, p.838.
128
P. Lagarde, RCDIP, 1991, p.310.