These professionnelle mba mci pt 2010 2011 - pauline latil
Memoire toustou laurent Internationalisation des musées
1. 2010
Mémoire de fin d’étude
Institut d’Etudes Politiques de TOULOUSE
Master 2, spécialité Affaires Internationales et Stratégie d’Entreprise
| Directeur de mémoire : Jean-Marc Décaudin
LAURENT
TOUSTOU
QUELLES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT
POUR LES MUSÉES D’ART INTERNATIONAUX ?
2.
3. QUELLES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT
POUR LES MUSÉES D’ART INTERNATIONAUX ?
MÉMOIRE DE RECHERCHE PRÉSENTÉ PAR M. LAURENT TOUSTOU
SOUS LA DIRECTION DE M. JEAN-MARC DÉCAUDIN
INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE TOULOUSE
AFFAIRES INTERNATIONALES ET STRATÉGIE D’ENTREPRISE
2010
4. Je souhaiterais remercier,
Jean-Marc Décaudin pour avoir accepté d’être le directeur de ce mémoire;
m’avoir aidé à explorer de nouvelles pistes de recherche,
et m’avoir accordé une certaine liberté dans le traitement du sujet.
5. Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni
improbation dans les rapports de stage. Ces opinions doivent
être considérées comme propres à leur auteur(e).
6. ABRÉVIATIONS
AAMD : Association of Art Museums’ Directors
ICOM : International Council Of Museums
Met : Metropolitan Museum of Art of New-York
MOCA : Museum Of Contemporary Art of California
MOMA : Museum Of Modern Art
RMN : Réunion des Musées Nationaux
SFMOMA San Francisco Museum Of Modern Art
TIC : Technologies de l’Information et de la Communication
7. TABLE DES MATIÈRES
Introduction............................................................................................................................................. 1
Qu’est-ce qu’un musée ?..................................................................................................................... 3
Quelle place dans la littérature pour les stratégies de développement des musées ? ...................... 6
Méthodologie de recherche................................................................................................................ 8
Première partie - Une adaptation nécessaire à l’environnement ........................................................ 10
Chapitre 1 - Un statut bouleversé..................................................................................................... 10
Section 1 - Nouvel Ancrage ........................................................................................................... 10
Section 2 - De Nouvelles Missions................................................................................................ 17
Section 3 - Les évolutions du Public .............................................................................................. 25
Chapitre 2 - Une structure redéfinie ................................................................................................. 33
Section 1 - La recherche de financements .................................................................................... 34
Section 2 - Le marketing comme outil........................................................................................... 49
Section 3 - Une gestion professionnalisée .................................................................................... 54
Deuxième partie - Les Stratégies de développement des super-musées............................................. 59
Chapitre 1 - Le développement par l’expansion ............................................................................... 59
Section 1 - Les stratégies expansionnistes .................................................................................... 59
Section 2 - L’exemple Guggenheim............................................................................................... 64
Section 3 - L’exemple du Louvre ................................................................................................... 67
Chapitre 2 - Le développement par l’attraction................................................................................ 72
Section 1 - Les stratégies d’attraction........................................................................................... 72
Section 2 - L’exemple du centre Georges Pompidou.................................................................... 76
Section 3 - Le Grand Palais, musée sans collection ?.................................................................... 79
Chapitre 3 - Le développement par la socialisation.......................................................................... 82
Section 1 - Les stratégies de socialisations.................................................................................... 82
Section 2 - L’exemple de la Pinacothèque de Paris....................................................................... 86
Section 3 - L’exemple du MET ....................................................................................................... 89
Troisième partie – Quelles stratégies de développement futur ? ........................................................ 93
Chapitre 1 - Le Super-musée d’art futur : L’hyper-musée média ..................................................... 93
Section 1 - Le développement de l’Hyper-musée......................................................................... 93
Section 2 - Le musée, un nouveau-média comme un autre ?..................................................... 101
8. Chapitre 2 - Un développement risqué........................................................................................... 108
Section 1 - La vulgarisation du musée, vers un musée vulgaire ?............................................... 108
Section 2 - Conservation de l’œuvre ou conservation du statut du musée?.............................. 109
Section 3 - Le musée Boursier..................................................................................................... 110
Conclusion........................................................................................................................................... 111
ANNEXES.............................................................................................................................................. 114
Annexe 1 : Les trois âges des musées ............................................................................................. 115
Annexe 2 : Musée et entreprise : une comparaison....................................................................... 116
Annexe 3 : Enquête sur les pratiques culturelles des français........................................................ 117
Annexe 4 : Choisir la bonne technique d’étude marketing............................................................. 120
Annexe 5 : Organigramme du Musée du Louvre ............................................................................ 121
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................... 122
Ouvrages.......................................................................................................................................... 122
Articles............................................................................................................................................. 123
Table des Matières.............................................................................................................................. 130
9. INTRODUCTION
« Dans les années soixante, au début de ma carrière, le musée occupait une place
marginale dans la société, à Paris comme en province. Les artistes le fuyaient, la classe
politique le méprisait, les « élites » le considéraient comme démodé, « dépassé », archaïque,
pour tout dire une survivance du XIXème siècle « bourgeois » et honni. J’ai eu le bonheur
d’assister et de parfois participer à cette radicale mutation. Les musées ont conquis dans
toutes les classes de la société une place enviable (et souvent enviée). Ne dormons pas sur nos
lauriers »1
.
En rappelant cette évolution dans l’Avant-propos de l’ouvrage de Jean-Michel Tobelem,
Pierre Rosenberg, membre de l’Académie Française, Président-directeur honoraire du musée
du Louvre, souligne l’importance qu’a prise le musée au cours des 20 dernières années. Alors
que le musée était souvent perçu comme une institution sacrée, immobile et « poussiéreuse »
pendant les années 1960-1970, son évolution l’a conduit 30 ans plus tard au rang de lieu de
mémoire, d’archive, de culte, nécessaire à tous les pans de la société. Ainsi, alors que les
premiers musées ne concernaient que l’art, nous assistons aujourd’hui à une multiplication
des domaines pour lesquels sont créés des musées. Chaque entreprise historique et
représentative d’une région en veut un en son honneur, le premier musée du jeu vidéo a
ouvert ses portes le 14 avril 2010 à Paris2
, et, comme le souligne Jean-Michel Tobelem, « il
semble établi aujourd’hui qu’aucun aspect du monde contemporain n’échappe aux musées
[comme] un musée national de l’Histoire des funérailles à Houston, un musée de l’Asperge
en Allemagne et même un musée international des toilettes à New Delhi »3
. Cette
multiplication des musées et de leurs thèmes n’est pas le seul signe de cette réussite. Certaines
institutions muséales sont aujourd’hui devenues des institutions reconnues et incontestées tout
autour du monde. Ainsi, Centre Pompidou, Louvre, Guggenheim, MOMA, Met, ou encore
Tate ; sont des noms, des marques qui sont aujourd’hui reconnues par la plupart des habitants
du monde occidental, bien au-delà du musée qu’elles représentent ou des œuvres que ceux-ci
abritent.
Cependant, la citation de Pierre Rosenberg s’achève sur une note moins positive et qui,
bien qu’elle ne soit en rien alarmante, rappelle que les métamorphoses qu’ont subies les
1
TOBELEM, 2010. p.7.
2
www.museedujeuvideo.com
3
TOBELEM, 2010, p.13.
10. 2
musées ne sont pas terminées et que ces institutions n’ont pas fini de s’adapter à ces
évolutions. L’année 2009 a d’ailleurs été le théâtre, en France, une grève des musées
nationaux qui illustre parfaitement les étapes qu’il reste à franchir pour que la réussite des
musées soit considérée comme totale. Cette grève a été un bras de fer auparavant imprévu
entre le gouvernement français, représenté par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et
de la communication, et les employés des musées et monuments nationaux français tels le
Centre Pompidou, le musée d’Orsay, le musée du Louvre, ou encore le château de Versailles.
L’élément déclencheur de ce mouvement a été l’annonce par le gouvernement d’une
réduction d’effectifs à venir suite à une révision générale des politiques publiques. Bien
qu’assez peu suivie, cette grève a entrainé la fermeture de certains établissements et a, dans le
même temps, alerté l’opinion publique sur les évolutions qui touchent les musées aujourd’hui.
En effet, alors que les pouvoirs publics avaient pris une place importante dans le financement
et la gestion des grands musées, la réussite de ces derniers pousse les institutions politiques à
réduire leur participation dans le fonctionnement des musées et se dessaisir de ces
problématiques. C’est d’ailleurs ce que sous-entend Frédéric Mitterrand lorsqu’il justifie sa
réforme de la manière suivante : « Le Centre Pompidou, qui est le navire amiral des musées
français, avec le Louvre, est un établissement magnifique d'architecture contemporaine, un
bâtiment qui a été construit pour accueillir cinq cent mille personnes par an. Il y en a trois
millions. Il y a un nombre d'agents tel qu'on peut réorganiser, trouver des économies
d'échelle qui font que cette réforme des départs à la retraite soit applicable normalement »4
.
Cette vision du musée comme un établissement au sein duquel il est possible voire conseillé
de poursuivre l’objectif de réaliser des économies d’échelles, semble aller à l’encontre même
d’un rôle de service public du musée, qui n’aurait alors qu’à enseigner les dimensions
artistiques, historiques, sociales, de ses œuvres au peuple.
Ainsi, au cours des dernières années, une opposition a longtemps existé eu égard aux
musées entre ceux qui soulignaient la nécessité du musée de s’adapter à l’importance qu’il
était en train de prendre en implémentant une réelle stratégie d’entreprise dans ses politiques
de gestion et ceux qui rappelaient l’existence d’une institution muséale comme une institution
de service public. On peut d’ailleurs, à ce sujet, rappeler le propos Martin Feldstein en 1991 :
« Although museums are a small part of our economy, they are a vital part of our national
life. Those who are responsible for museums rightly see themselves as the protectors of the
treasures that our generation has inherited from the past, as the collectors of the creative
4
LeMonde.fr, 3 décembre 2009
11. 3
activity of the current time, and as the teachers who help the broad public to know and
appreciate these works of art »5
. Cette opposition a, au départ, conduit les professionnels de
musées à rejeter totalement les instruments de l’entreprise ; on peut à ce titre rappeler que le
Metropolitan Museum of Art à New York, avait décidé, au début des années 1990, de ne plus
utiliser le mot « marketing » dans ses services6
. Néanmoins, force est de constater qu’au début
des années 2010, la stratégie d’entreprise a pris une place prépondérante dans la gestion des
musées. Avec, en exergue, les musées d’arts internationaux tels le musée du Louvre, le centre
Georges Pompidou ou plus encore le MOMA et le musée Guggenheim. Alors que ces débats
ne sont plus d’actualité, d’autres émergent déjà au sujet d’une mauvaise mise en place de ces
politiques qui pourrait mener à la perte des musées.
Ainsi, alors que le musée du Louvre se demandait en 2000 « Quel est l’avenir des
musées ? »7
, cette question demeure, à ce jour encore, sans réponse consensuelle et, bien que
nombre de chercheurs s’attachent à analyser et juger les politiques mises en place dans les
musées, principalement les musées d’Art internationaux, peu d’entre eux essaient d’anticiper
cette évolution. Dès lors, il convient de se demander quels sont et seront les développements
stratégiques des musées, et plus particulièrement des musées d’Art internationaux – à l’avant-
garde des évolutions.
Pour être en mesure de répondre à cette question, il convient de nous accorder tout
d’abord sur la définition de notre sujet d’étude : les musées d’art internationaux.
QU’EST-CE QU’UN MUSÉE ?
Avant d’aller plus avant, il convient de s’attarder sur la définition d’un musée. Selon le
Larousse interactif, un musée est un « Lieu, édifice où sont réunies, en vue de leur
conservation et de leur présentation au public, des collections d'œuvres d'art, de biens
culturels, scientifiques ou techniques. »8
. Cette définition souligne le fait que, pour le public,
le musée n’a pas de but précis ; c’est avant tout un lieu. La relation du public à ce lieu se
précise lorsque Bernard Deloche considère qu’il apporte au geste artistique « une dimension
supplémentaire en conférant un statut institutionnel à cette fonction d’exhibition »9
. La
définition donnée par l’ICOM (Conseil International des Musées) approfondit cette réflexion
5
FELDSTEIN, 1991. p.10.
6
Ibid., p.57.
7
GALARD, 2001
8
LAROUSSE.fr
9
DELOCHE, 2001. p.83.
12. 4
philosophique en attribuant un rôle de service public aux musées. Selon cette définition, « Le
musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son
développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le
patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d'études,
d'éducation et de délectation. »10
. Le musée a donc des missions d’étude, d’exposition et de
transmission d’un patrimoine pour le développement de la société. C’est d’ailleurs par cette
mission que le musée a gagné, au cours du XXème siècle, un soutien important de la part des
pouvoirs publics. Bien qu’ayant précisé les missions de l’institution muséale, ces définitions
ne donnent que peu d’informations quant à sa structure et son mode de fonctionnement. Les
apports de Jean-Michel Tobelem à ce sujet permettent de mieux comprendre le musée
d’aujourd’hui.
Tobelem appréhende le musée comme une institution dirigée par des hommes. C’est
d’ailleurs au travers de ce prisme que le chercheur tend à définir l’institution muséale comme
une institution « dont les évolutions sont la marque d’une intégration croissante du monde
des musées dans les mécanismes de marché »11
. Cette évolution des musées a été selon lui
effectuée en 3 « âges ». Le « temps des propriétaires », avant 1950, qui représente l’époque de
création des musées par des particuliers passionnés, le « temps des managers », jusqu’en
1990-2000, qui correspond à une professionnalisation des personnels de musée spécialistes, le
« temps des actionnaires », à la période actuelle, où les musées sont « pleinement intégrés
dans le corps social »12
et pour lequel un ensemble de parties prenantes (publics,
investisseurs, institutions politiques, etc.) « expriment des attentes, des besoins, voire des
exigences »13
. A chacun de ces âges, Tobelem associe des caractéristiques bien précises au
musée qu’il résume dans le tableau « Les trois âges des musées »14
.
Fort de ce constat, Tobelem explique que cette intégration dans le monde des marchés a
conduit l’institution muséale à se complexifier et à requérir une réelle gestion entrepreneuriale
de son développement. C’est d’ailleurs pour souligner cette métamorphose qu’un grand
nombre d’universitaires et de professionnels ont, depuis les années 1980, considéré le musée
comme une « entreprise culturelle ». Cette dénomination semble cependant galvaudée dès sa
première analyse puisque, alors qu’une entreprise a pour objectif premier de dégager des
10
ICOM, 24 août 2007
11
TOBELEM, 2010. p.15.
12
Ibid. p.16
13
Ibid. p.16
14
Cf. Annexe 1
13. 5
bénéfices, le musée est, à quelques exceptions près, comme le rappelle la définition de
l’ICOM, « une institution permanente sans but lucratif »15
. De plus, alors qu’une entreprise
redistribue une grande partie de ses profits à ses actionnaires, dans le cas où un musée
parviendrait à réaliser quelques bénéfices, ils seraient « réinvestis dans les activités du musée
ou reversés à la collectivité de tutelle »16
. Enfin, Tobelem souligne une opposition marquante
entre l’entreprise, dont les produits résultent d’une réponse à la demande, et l’institution
muséale, dont les programmes « résultent avant tout d’une politique de l’offre »17
(volonté
culturelle, pédagogique, sociale, intellectuelle, etc.). Ces différences marquantes entre
l’entreprise et le musée sont d’ailleurs répertoriées par le chercheur dans un tableau intitulé
« Musée et entreprise : une comparaison »18
.
Face aux difficultés pour trouver dans la littérature une définition permettant
d’appréhender l’organisation des musées, Tobelem en crée une : « l’organisation culturelle de
marché ». Cette dénomination permet de rappeler que le musée demeure une organisation
culturelle aux spécificités claires (mission pédagogique, but non lucratif, etc.) mais qu’elle
s’adapte de plus en plus aux marchés avec lesquels elle est en contact : marché de la culture et
de l’industrie de loisir suite à la multiplication de l’offre muséale, la commercialisation
d’expositions, et la mise en concurrence du musée avec les autres activités de loisir ; marchés
de consommation par l’installation de services de vente au sein du musée ; marché du travail
pour recruter des professionnels compétents ; ou encore marché des financements suite à
l’augmentation des budgets de fonctionnement des musées et à la baisse de la participation
publique dans ces budgets. Tobelem résume parfaitement cette adaptation au marché en
rappelant qu’elle consiste pour le musée en « la prise en compte des publics, une approche
stratégique visant à agir de façon plus « proactive » que réactive, et au mode d’organisation
visant efficacité managériale et réactivité à l’environnement du musée »19
.
Maintenant que nous avons une image précise de l’institution muséale, il convient de
recentrer cette définition en précisant que nous ne nous intéressons qu’aux musées d’art
internationaux. Ainsi, cela signifie que nous considèrerons les musées qui exposent des
œuvres d’arts, comme des tableaux ou des photographies. De plus, nous focaliserons notre
attention sur les plus importants d’entre eux, c'est-à-dire ceux qui reçoivent plus de 500 000
15
ICOM, 24 août 2007
16
TOBELEM, 2010. p.20.
17
Ibid. p.20.
18
Cf. Annexe 2
19
TOBELEM, 2010. p. 23.
14. 6
visiteurs par an. C’est musées sont aussi appelés Super-musées du fait de la différence entre
leurs structures complexes et celles des musées les plus restreints, fonctionnant
principalement sous forme d’association de passionnés. Ces structures à taille parfois
inhumaine sont celles qui ont les premières eu recours à des stratégies de développement et, à
ce titre, nous permettent dès aujourd’hui de tirer les conclusions de leur implémentation.
QUELLE PLACE DANS LA LITTÉRATURE POUR LES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT
DES MUSÉES ?
Les premiers ouvrages concernant l’économie de la culture datent de la fin des années
1960. On peut notamment citer l’ouvrage Performing Arts – The Economic Dilemma20
comme un ouvrage clef. Cependant, les ouvrages ne s’intéressent pas encore au statut des
musées mais seulement à celui de l’art en général. La prise en compte du développement de la
gestion des musées comme une problématique complexe, est un phénomène récent. Dès lors,
il n’existe que très peu d’ouvrages concernant cette thématique avant les années 1990. De
plus, les musées américains ayant de tous temps eu une logique plus entrepreneuriale que
leurs homologues européens, les premiers ouvrages de référence sont des ouvrages
américains. Ainsi, Martin Feldstein publie The economy of arts Museums21
en 1991. Ce livre
est une publication majeure car il retranscrit une conférence qui a eu lieu en 1989 et qui
regroupait les principaux conservateurs et responsables de musées des Etats-Unis avec pour
mission de caractériser au mieux chaque pan de la stratégie d’entreprise des musées
américains (collections, finances, publics, communication, rapport au politique, etc.). Il faudra
attendre 10 ans pour retrouver le pendant Européen de ce livre. En effet, en 2001 paraît sous
la direction de Jean Galard, chef du service culturel du musée, l’ouvrage L’avenir des
musées22
. Cet ouvrage retranscrit une conférence éponyme qui a regroupé en 2000, sous
l’égide du musée du Louvre, les représentants des plus grands musées européens. Malgré
l’existence préalable d’une littérature sur l’institution muséale, ces deux ouvrages ont été,
chacun dans son ère d’influence respective, des « déclencheurs » de la réflexion universitaire
concernant la gestion des musées. En effet, ces colloques ont eu un impact inattendu sur les
divers publics des musées et on contribué à l’implication de ceux-ci dans le débat, entraînant
les universitaires avec eux. Il convient d’ailleurs de noter que cette décennie d’écart entre
Etats-Unis et Europe ne reflète pas un retard des professionnels et universitaires européens sur
20
BAUMOL et BOWEN, 1966
21
FELDSTEIN, 1991
22
GALARD, 2001
15. 7
leurs homologues américains, mais est la conséquence d’une évolution différente entre les
musées américains, historiquement encouragés à la privatisation, et les musées européens,
historiquement soutenus et gérés par les pouvoirs publics.
On peut déterminer trois sources de réflexions dans la littérature concernant la gestion des
musées. La première est celle apportée par les universitaires de la muséologie. Souvent
historiens de l’art, spécialisés dans l’étude du patrimoine et des musées, ces universitaires, à
l’image de Dominique Poulot, auteur notamment de l’ouvrage Musée et muséologie23
, ou
encore de Richard Sandell, directeur de la School of Museum Studies à l’Université de
Leicester, questionnent objectivement le musée en tant qu’institution. Une deuxième source
d’information a longtemps émané des professionnels des musées eux même. Cependant, ces
auteurs, comme le sont Henri Loyrette, Président Directeur Général du musée du Louvre, ou
Richard Armstrong, Directeur de la fondation Solomon R. Guggenheim et de son musée à
New York, restent avant tout des conservateurs qui axent plus naturellement leur réflexion et
leurs publications sur les collections des musées et sur des ouvrages d’histoire de l’art que sur
des problématiques de gestion. Une troisième voie est celle des universitaires ou
professionnels spécialisés dans les domaines auxquels doit recourir la stratégie muséale
moderne comme le Marketing, le Droit, l’Economie, etc. Ces auteurs « entrepreneurs » –
comme Dominique Bourgeon-Renault ou Philip Kotler pour le marketing, Robert R. Janes
pour le management, ou encore Claude Ménard pour l’économie – ont tout d’abord essayé
d’appliquer les connaissances qu’ils avaient préalablement développées dans d’autres
secteurs, directement sur celui des musées. Longtemps, ces trois sources d’informations n’ont
pas réussi à s’entendre et ont été considérées comme imperméables les unes aux autres.
Cependant, les années 2000 ont vu les stratégies d’entreprises implémentées, éprouvées,
adaptées dans les musées. Dès lors, les muséologues, les conservateurs et les entrepreneurs
ont vu leurs sujets d’étude se confondre et de nouveaux auteurs, imprégnés à la fois de
logiques culturelles et de compétences stratégiques ont fait leur apparition comme Jean-
Michel Tobelem, auteur reconnu du Nouvel Age des Musées, ou encore Glen D. Lowry,
directeur du MOMA24
et auteur d’ouvrages sur la modernisation des musées25
.
Tout d’abord confidentielles, les recherches concernant la stratégie des musées ont été en
grande majorité publiées dans des revues spécialisées comme The International Journal of
Museum Management and Curatorship, Museum News, Culture et Musées ou encore Les
23
POULOT, 2005
24
Museum Of Modern Art, à New York
25
LOWRY, 2004
16. 8
nouvelles de l’ICOM. Au fur et à mesure de la popularisation de ces problématiques, les
publications d’ouvrages se sont multipliées. Cependant, c’est surtout dans les magazines et
journaux que la multiplication d’articles sur le sujet est la plus frappante. En effet, des
magazines spécialisés grand public comme Connaissance des Arts ont donné une part
grandissante à ces problématiques, entrainant dans leurs sillages des hebdomadaires ou
quotidiens de la presse généraliste comme The New York Times ou Le Monde.
La littérature concernant la stratégie des musées est une littérature récente, dont la
discipline universitaire n’est pas encore installée. En effet, la muséologie, qui étudie le musée
et par conséquent, sa stratégie, est une discipline en pleine construction. De ce fait, encore très
peu de place lui est consacrée dans les bibliothèques. Ainsi, bien que nous ayons connaissance
de l’existence des ouvrages, il est plus compliqué de pouvoir les consulter, notamment les
ouvrages anglo-saxons. De plus, alors que ce sujet figure régulièrement dans la presse
quotidienne, il convient de rappeler que cette presse ne permet pas toujours d’approfondir un
sujet de manière scientifique et, surtout, que la profusion d’articles parus chaque jour dans
cette presse présente souvent le risque de noyer certains articles intéressants.
MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
Notre recherche se fonde sur une approche déductive. En effet, pour comprendre les
stratégies de développement des musées, nous allons tout d’abord devoir analyser, au cours
d’une première partie, ce que la littérature nous apprend au sujet des modes de gestion et de
fonctionnement des musées de nos jours. Il n’y a que de cette analyse que nous pourrons
ensuite déduire des modèles-type de stratégies adoptées par les musées. Ces stratégies
pourront alors être scientifiquement expliquées. Cependant, pour bien comprendre leur
signification dans le concret, des exemples seront pris, des études de cas seront faites, de
manière à ancrer ces stratégies dans la pratique quotidienne du musée. Enfin, lorsque ces
stratégies seront définies, nous aurons la possibilité de développer une vision plus prospective
sur leur devenir, notamment en les comparant à des stratégies mises en place dans des
industries similaires. Il convient de préciser à ce stade que la réalisation d’entretiens avec des
responsables de Super-musées français avait été envisagée de manière à obtenir leurs
conclusions sur les pratiques mises à jour et les stratégies qu’ils pensent développer.
Cependant, la grève de décembre 2009 et le développement de projets comme Beaubourg
Metz n’ont pas permis à cette volonté de se réaliser.
17. 9
Notre étude se composera donc de trois parties principales. La première partie nous
permettra de comprendre comment les musées se sont adaptés aux évolutions de leur
environnement et à leur nouveau statut dans la société. Ainsi, en analysant d’une part les
bouleversements de la place du musée dans la société ainsi que les modifications structurelles,
financières et organisationnelles des musées, et d’autre part la modification de leur place tant
face à leurs publics que dans la société toute entière, nous pourrons cerner les différentes
techniques des musées pour assister leur développement. Dans une deuxième partie, nous en
déduirons les trois stratégies de développement clefs des institutions muséales. Ces stratégies,
répondant à trois objectifs principaux – assurer le développement du musée par la croissance,
assurer le développement du musée par l’attraction, assurer le développement du musée par la
communion – nous permettront alors de comparer les stratégies de développement des musées
à celles d’industries similaires comme celles des loisirs ou des médias. Ainsi, lors de la
troisième partie, nous tenterons d’anticiper les développements du marché des musées afin
d’en prévoir les évolutions et d’en prévenir les risques.
18. 10
PREMIÈRE PARTIE - UNE ADAPTATION NÉCESSAIRE À L’ENVIRONNEMENT
L’environnement des musées s’est beaucoup modifié pendant les 20 dernières années. En
effet, la mondialisation et l’arrivée des nouvelles technologies ont bouleversé le rapport des
organisations avec leur public comme avec leur patrimoine. De plus, la difficulté de l’Etat à
assumer seul les missions de service public sans cesse plus nombreuses alors que dans le
même temps son budget était toujours plus contrôlé a entrainé une modification du
fonctionnement des organismes à vocation de service public. Ceux-ci passant d’un statut
d’organisme public à financement public à des statuts mixtes, aux financements multiples.
Les musées se sont bien malgré eux retrouvés au cœur de ces évolutions et ont par conséquent
été contraints de s’y adapter. Cette adaptation s’est faite petit à petit. Les évolutions des
musées se sont faites à chaque fois pour répondre à un problème précis qui s’est posé à eux
dans l’exercice de leur activité. C’est la somme de ces évolutions qui a conduit, de nos jours,
à la définition de politiques stratégiques à long terme. Appréhender les stratégies de
développement des musées internationaux nécessite donc de comprendre les problématiques
qu’ont dû résoudre les musées face à leur environnement puis, les solutions pratiques qu’ils
ont implémentées, tant au niveau de leur fonctionnement interne que de leur activité externe.
CHAPITRE 1 - UN STATUT BOULEVERSÉ
Comme nous venons de le souligner, l’environnement des musées a été fortement
bouleversé au cours des trente dernières années. Ces modifications ont entraîné les évolutions
des modes de gestion des musées de nos jours. Ainsi, afin de bien comprendre les raisons qui
ont poussé à ces évolutions, il convient d’étudier la manière dont leur environnement a touché
les musées. Trois axes seront privilégiés dans cette étude : l’axe d’un nouvel ancrage des
musées, celui de nouvelles missions attribuées aux musées et enfin celui d’un nouveau public
pour les musées.
Section 1 - Nouvel Ancrage
Le nouvel ancrage des musées permet d’analyser la manière dont les musées se
perçoivent aujourd’hui. Ainsi, si un musée est ancré sur un territoire localisé et qu’il se sent
en concurrence sur cet ancrage géographique avec un autre musée, il orientera ses actions
dans le sens de cette concurrence. Ainsi, pour mieux cerner la manière dont les musées
perçoivent leur ancrage il conviendra d’analyser les évolutions dans leur ancrage
19. 11
géographique, c'est-à-dire « à quel territoire pensent-ils appartenir ? », les évolutions dans leur
ancrage hiérarchique, c'est-à-dire « à qui se sentent-ils obligés d’obéir ? », et enfin celles dans
leur ancrage de marché, c’est à dire « avec quelles institutions pensent-ils être en
concurrence ? ».
I - Un nouvel ancrage géographique
Avant d’étudier les évolutions dans les ancrages géographiques des musées, il est
essentiel de rappeler leur ancrage initial. Bien que les grands musées aient toujours eu une
vocation internationale, cette vocation était majoritairement portée par l’activité de recherche
de ces musées. Ainsi, les musées internationaux échangeaient leurs résultats, et travaillaient
parfois de concert à l’élaboration d’ouvrages ou d’expositions. Cependant, chaque musée
conservait dans ces collaborations une appartenance géographique forte et leurs témoignages
étaient reçus comme le témoignage d’un musée Français ou d’un musée Américain. En effet,
leur ancrage géographique était national. Peu de musées avaient une réelle portée
internationale et leur public était majoritairement issu de leur pays d’implantation.
Deux évolutions ont totalement remis en question cet ancrage géographique. Ce sont la
mondialisation et l’avènement des technologies de l’information et de la communication
(TIC).
A- Les effets de la mondialisation : un ancrage international
La mondialisation qui ne cesse de s’accroitre a présenté et présente toujours deux
caractéristiques essentielles. Tout d’abord le développement des moyens de transport et
d’information et, par conséquent, la facilité des populations à ce déplacer tout autour de la
planète et à s’informer sur les évènements ayant cours sur chaque point du globe. Mais la
mondialisation représente aussi l’accession de nouveaux pays aux richesses mondiales, parmi
lesquels les pays émergents – et notamment les BRIC(SM) (Brésil, Russie, Inde, Chine,
Singapour, Mexique)- mais aussi les pays du Moyen-Orient enrichis grâce au commerce du
pétrole.
Ce phénomène a tout d’abord été un atout pour les musées ; sa première conséquence
ayant été l’ouverture des musées au monde entier. Ainsi, la population mondiale, profitant de
nouvelles opportunités de voyager, s’est ruée dans les musées les plus importants qui
devenaient une partie essentielle de ses visites dans les grandes villes touristiques (New-York,
Paris, Londres, Rome, etc.). Pour exemple, les musées d’Avignon, pourtant secondaires, ont
vu leur fréquentation augmenter de 60% entre 1992 et 2007, parallèlement a une
20. 12
augmentation du tourisme au sein de la ville de 35% sur la même période26
. En parallèle, les
nouveaux pays émergents sont devenus demandeurs d’expositions internationales. Dès lors,
les Super-musées occidentaux ont développé des expositions itinérantes qui ont rencontré un
fort succès. Le British Museum a ainsi implanté en 2006 une exposition, consacrée aux arts de
la Chine tels qu'ils étaient perçus lors de la révolution industrielle britannique, au musée de la
Cité interdite à Pékin27
. Enfin, la mondialisation a aussi offert un appel d’air sans précédent
au marché de l’art avec l’apparition de nouveaux artistes issus de pays émergents. Le musée
du Quai Branly à Paris étant un symbole fort de cette ouverture du marché aux arts du monde
entier. En effet, ce musée présente des collections d'objets des civilisations d'Afrique, d'Asie,
d'Océanie et des Amériques comprenant notamment des œuvres d’artistes aborigènes28
.
Le développement de la mondialisation a cependant apporté son lot de menaces aux
musées. Ainsi, certains musées comme le Musée National des Beaux Arts de Rio de Janeiro
deviennent des concurrents sérieux pour les Super-musées internationaux. Pourtant, la
principale menace apportée par la mondialisation est le développement des politiques
culturelles dans les pays émergents qui, fort de leur rôle leader dans la croissance économique
mondiale, revendiquent la restitution des œuvres que les puissances coloniales ont ramenées
de leurs anciennes colonies et qui sont désormais exposées dans les musées occidentaux.
Ainsi, Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali justifie cette requête, à l’heure
de l’ouverture du Musée du Quai Branly, de la manière suivante : « Les œuvres d’art, qui sont
aujourd’hui à l’honneur au Musée du Quai Branly, appartiennent d’abord et avant tout aux
peuples déshérités. A l’heure où le Musée du Quai Branly ouvre ses portes au public, je
continue de me demander jusqu’où iront les puissants de ce monde dans l’arrogance et le viol
de notre imaginaire. Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un profond
et douloureux paradoxe, à partir du moment où la quasi-totalité des Africains, des
Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent et la créativité sont célèbres, n’en
franchiront jamais le seuil compte tenu de la loi sur l’immigration choisie »29
. Cette volonté
des pays émergents de présenter eux-mêmes les œuvres d’art qu’ils ont produites et qu’ils
pensent avoir été volées par les occidentaux est aujourd’hui une réelle menace prise très au
sérieux par les musées qui essaient de négocier au cas par cas la restitution d’objet pour
assurer la pérennité de leurs galeries concernant ces thématiques. Ces évènements, comme le
26
TRINQUIER, 2008. p.7
27
JAMES, 2007.
28
QUAI BRANLY, 2008.
29
CHITOUR, 2009.
21. 13
souligne Tanneeru, ont déplacé le centre de gravité du monde de l’art qui se trouvait autrefois
au cœur des relations Europe-Etats-Unis30
. Dès lors, les musées tentent notamment de lutter
contre ces menaces en s’implantant dans les pays émergents comme le Brésil, la Chine, ou
encore les Emirats du Golfe31
. Nous reviendrons plus tard sur ces implantations.
Profitant des opportunités que la mondialisation présente et subissant ses menaces ;
s’implantant dans les pays émergents les plus développés ; organisant des expositions
itinérantes mondiales, les musées se sont ainsi développé un ancrage international qui semble
aujourd’hui indiscutable. Cependant, un autre facteur a eu un impact sur l’ancrage
géographique des musées, il s’agit de l’avènement des TIC.
B- Les effets de l’avènement des TIC, un musée sans ancrage
L’avènement des TIC est symbolisé par la généralisation d’internet dans les sociétés
contemporaines. Les musées ayant pour mission d’être une interface pédagogique avec le
monde se sont vus obligés de s’adapter aux développements de ces technologies. Ainsi sont
apparus les « e-musées », expression utilisée pour caractériser des musées connectés à internet
et actifs sur les réseaux créés par les TIC.
Dans une brochure d’explication d’internet aux dirigeants de musées, l’ICOM explique
les avantages d’internet pour les musées32
. Bien que cette brochure soit aujourd’hui obsolète,
elle résume les atouts majeurs des musées en terme d’accès aux informations, de
communication avec ses confrères come avec le public, ou encore la numérisation des œuvres
du musée. Cette dernière étape est encore en cours de réalisation comme le révèle l’exemple
de la France qui a mis en place fin 2009 un Programme français de numérisation des œuvres
doté de 750 millions d’euros33
.
Cependant, les e-musées sont apparus, déterritorialisant des collections et des visites
numérisées et libres d’accès - comme le montre l’exemple du San Francisco Museum Of
Modern Art (SFMOMA) et son « SFMOMA ARTSCOPE »34
, véritable mur numérique de ses
œuvres- ou encore s’implantant directement dans les foyers du monde entier à l’aide,
principalement, des réseaux sociaux35
.
30
TANNEERU. 2006.
31
BENSAHEL. 2007.
32
ICOM. 1996.
33
GUERRIN. 2009
34
http://www.sfmoma.org/projects/artscope/index.html
35
MUSEUM ID. 2009
22. 14
Les TIC ont ainsi révolutionné l’ancrage géographique des musées. A la fois
dématérialisés et donc sans ancrage, et à la fois en contact potentiel avec chaque individu et
donc ancré dans chaque foyer, les Super-musées se retrouvent dans un ancrage géographique
international, et hyper-localisé, c’est à dire universel.
II - Un nouvel ancrage hiérarchique
L’ancrage hiérarchique d’une organisation est sa situation d’autonomie vis-à-vis de sa
hiérarchie. Traditionnellement les musées ont eu un rapport de dépendance très fort vis-à-vis
de l’Etat. Bien que ce lien soit proportionnellement moins fort aux Etats-Unis, le reste du
monde des musées était gouverné et financé par les Etats.
La déterritorialisation des musées s’accompagne pourtant d’un relatif désengagement de
l’Etat à leur encontre. Les musées sont en effet subventionnés par les Etats. Dans certains
pays, comme en France, ces subventions ont longtemps été le seul et unique mode de
financement des instituions muséales. Cependant, ces subventions se font de plus en plus
maigres, synonymes d’un désengagement étatique. Cette situation touche certains pays plus
que d’autres, les Etats-Unis, par exemple, sont moins marqués par ce phénomène que la
France dans la mesure ou le premier a pour tradition de conserver un état éloigné du marché
alors que le second a toujours privilégié un Etat interventionniste. Néanmoins, cette situation
est observable aujourd’hui dans tous les pays En effet, l’Etat se trouve, depuis les années
1980, dans l’incapacité d’assumer son rôle de financeur des organismes à vocation de service
public. Ce problème est dû à quatre causes majeures. Premièrement, la tradition de l’Etat
providence a entraîné la multiplication des causes déclarées d’intérêt général et, par là même,
des organismes de service public. Deuxièmement, les budgets de fonctionnement de ces
organismes ont fortement augmenté au cours des deux dernières décennies. Cette explosion
des budgets est principalement due à la politique de résultat inculquée à ces organismes par
une vague d’influence de l’entreprise sur elles. Dès lors, elles ont nécessité plus de personnel,
plus de publicité, plus de moyens, et ont donc demandé plus de budget. On peut à ce titre citer
l’exemple du Louvre dont le budget de fonctionnement est passé de 26 millions d’euros en
1989 à 186 millions d’euros en 200636
. Troisièmement, le récent phénomène de
responsabilisation de l’Etat face à ses dépenses. Margareth Thatcher, et sa privatisation à
outrance des services publics anglais, apparaissent comme un exemple idéal-typique de ce
phénomène. De plus, dans les années 2000, la révélation du manque d’éthique et de
conscience environnementale des individus a provoqué un contrôle toujours plus fort des
36
PAAUD CELERIER, 2007.
23. 15
grandes entreprises et institutions par la population mondiale. Les Etats sont depuis forcés de
réduire leurs dépenses budgétaires pour ne pas accroître la dette. Enfin, la quatrième raison
exposée est le fait que les musées se soient trouvé un public. Alors que les musées devenaient
des lieux visités et courus par les touristes, s’est développée dans les sphères politiques l’idée
que les musées, en acquérant une audience, engrangeraient des bénéfices et que, par là même,
ils auraient moins besoin des subventions de l’Etat. Le désengagement de l’Etat s’observe
aisément. Ainsi, la part des subventions publiques dans le budget du Louvre ne s’élève plus
qu’à 60% aujourd’hui37
. Aux Etats-Unis, ces rations sont encore moindres. De même, les
subventions accordées par la Direction des Musées de France (DMF) s’élèvent en moyenne à
667 000 euros par an de janvier 2001 à décembre 2003, alors qu’elles ne s’élèvent plus qu’à
496 000 euros par an en moyenne entre janvier 2005 et décembre 200738
. Enfin, les Etats ont
souvent modifié les statuts des musées pour leur accorder une plus grande autonomie de
gestion tout en les maintenant sous tutelle de l’Etat. C’est le cas de l’Etat français par exemple
qui a transformé les grands musées nationaux en établissements publics administratifs (EPA).
Ce statut a été adopté par les grands musées dans les années 1990. Ces mêmes musées sont
allés plus loin aujourd’hui puisqu’ils signent avec l’Etat des « contrats de performance » qui
sont, selon le Louvre, devenus « la véritable colonne vertébrale de son mode de management
par objectifs, impliquant suivi d’indicateurs de gestion et reporting régulier »39
.
Ainsi, les Etats, et l’Etat français en est un bon exemple, tendent à laisser plus
d’autonomie aux musées qui ne s’ancrent plus dans un rapport hiérarchique mais dans un
fonctionnement en autonomie croissante.
III - Un nouvel ancrage concurrentiel
Les musées d’arts s’ancrent jusqu’aux années 1980 dans un marché quasiment inexistant.
En effet, le secteur des musées d’arts est relativement réduit. De plus, l’éloignement des
musées entre eux et l’existence de différentes spécialités dans l’art permettent aux musées
d’exister dans un marché sans réelle dynamique concurrentielle. Le seul point de concurrence
des musées d’art se situant dans le marché de l’Art, lors de l’acquisition d’œuvres.
A- Une concurrence qui s’intensifie…
Comme nous venons de le développer, la mondialisation a renforcé les liens entre
instituions muséales. Dès lors, la concurrence s’est intensifiée. En effet, ce phénomène a à la
37
Ibid.
38
Ministère de la Culture et de la Communication, 2010. p.36.
39
Ibid.
24. 16
fois augmenté la taille des publics que le musée est susceptible de toucher, mais aussi ancré
celui-ci sur un plan mondial où des publics de tous pays deviennent un seul et même public
prêt à visiter les musées du monde entier. La mondialisation, en rapprochant les musées
internationaux entre eux, a donc plongé l’institution muséale dans une situation de
concurrence internationale qu’elle ne connaissait pas auparavant. De plus, elle a encouragé
l’émergence de nouveaux pays et, avec eux, de leur musées, multipliant par là même le
nombre de concurrents.
S’ajoutent à cette évolution sur le plan mondial des évolutions localisées. Au sein de
chaque ville du monde, le nombre de musées d’art a considérablement augmenté au cours des
25 dernières années ; et avec lui le nombre d’expositions. Ainsi, alors que le nombre
d’expositions déclarées d’intérêt national en France du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2003
s’élèvent à 28, ce nombre s’élève à 35 entre le 1er
janvier 2007 et le 31 décembre 200940
.
Cette multiplication du nombre de concurrents sur un plan local, bien qu’ils ne soient pas des
menaces face à la puissance des Super-musées, est synonyme de concurrents supplémentaires
qui contribuent à densifier et intensifier la compétition sur le marché.
B- Dans un secteur qui s’élargit.
Cette augmentation de la concurrence au sein du marché du musée d’art se retrouve
développée de façon exponentielle avec l’élargissement du secteur auquel le musée d’art
appartient. En effet, comme l’exprime Gintz : « Une institution comme le Guggenheim fait
désormais partie intégrante de l’industrie des loisirs culturels qui s’est développé aux Etats-
Unis d’abord dans l’industrie cinématographique ou les parcs à thème avant d’investir
d’autres champs comme celui des arts plastiques dont on aurait pu penser qu’ils avaient
précisément vocation d’y échapper »41
Cette perception du musée comme un membre à part
entière du marché de l’industrie de loisir a entraîné une explosion de la concurrence des
Super-musées. Considérés par le public des musées d’Art comme des produits de substitution
directs, l’ensemble des musées – dont le nombre est en constante augmentation-, les parcs
d’attraction, le cinéma, et l’ensemble de l’industrie du divertissement se dressent face à des
institutions peu habituées à mener une concurrence acharnée42
. Cette concurrence acharnée et
soudaine a alors obligé les musées à sortir du lot et à devenir de plus en plus attractifs. Pour
cela, ils ont été contraints d’acquérir des œuvres plus reconnues, s’agrandir, produire plus
40
Ministère de la Culture et de la Communication, 2010. p.36.
41
GINTZ, 2001.
42
RIFKIN, 2000. p.341.
25. 17
d’expositions ou encore organiser des évènements médiatiques. Cependant, ces opérations ne
sont pas qu’une source d’audience pour le musée, elles sont aussi une source de dépenses que
le musée devra savoir gérer.
Section 2 - De Nouvelles Missions
Les missions d’une organisation sont le deuxième indicateur clef de leur développement.
En effet, les missions qui sont confiées aux musées déterminent leurs objectifs et sont la base
de construction de leurs stratégies. Là encore, les évolutions de l’environnement des musées
ont également très significativement la définition de leurs missions. Il convient dès lors
d’analyser ce phénomène.
I - Une mission scientifique et pédagogique questionnée
La mission traditionnelle et fondamentale des musées est donnée par les organismes
internationaux en charge du développement des institutions muséales. Il est donc important
d’analyser les définitions des missions qu’ils proposent. Selon l’ICOM « la mission d’un
musée est d’acquérir, de préserver et de valoriser ses collections afin de contribuer à la
sauvegarde du patrimoine naturel, culturel et scientifique. Ses collections constituent un
important patrimoine public, occupent une position particulière au regard de la loi et
jouissent de la protection du droit international. À cette mission d’intérêt public est inhérente
la notion de gestion raisonnée, qui recouvre les idées de propriété légitime, de permanence,
de documentation, d’accessibilité et de cession responsable. »43
. L’Association of Art
Museum Directors (AAMD), qui regroupe près de 200 directeurs de musées sur le continent
américain, résume ces missions ainsi : « acquisition, preservation, conservation, exhibition,
scholarly study, and public education that fosters the understanding of works of art »44
.
Ainsi, les institutions internationales défendent une vision traditionnelle des missions du
musée. Le musée a tout d’abord une mission scientifique de collecte, conservation, étude et
explication des œuvres. A cette mission s’ajoute une deuxième mission de pédagogie, c’est-à-
dire de mise à la disposition du public des œuvres, et des explications permettant de les
comprendre. Ces missions ont longtemps été les seules des musées. Il convient cependant de
se demander si elles sont toujours d’actualité aujourd’hui.
La question d’une dissipation de la mission pédagogique du musée ne se pose pas. En
effet, le développement des technologies de l’information et de la communication ont favorisé
43
ICOM. 2004. Art.2.
44
AAMD. 2010. Art.8
26. 18
la numérisation des collections et la dématérialisation des publications des musées. Elles ont
par conséquent facilité et encouragé la dimension de transmission au sein de l’institution
muséale. La permanence d’une mission de recherche est cependant posée en 2001 par Jochen
Sander. Alors conservateur du Städelsches Kunstinstitut de Francfort- sur-le-Main, il
intervient lors du colloque « l’avenir des musées », organisé par le musée du Louvre, pour
questionner les missions des musées. Lors de son intervention, il développe trois idées
principales. Premièrement, l’idée qu’ « en exagérant volontairement, on peut dire que, pour
la majorité des expositions temporaires, l’ « intérêt scientifique » s’achève le plus souvent
avec la conclusion positive de l’accord de prêt : si l’on fait exception des colloques parfois
proposés en marge de l’évènement, les musées organisateurs renoncent habituellement à
« exploiter » les possibilités de l’exposition elle-même de manière systématique et profitable
pour la recherche »45
. Par ce propos, il souligne que bien que les justifications de construction
d’une exposition temporaire et la demande de prêts d’œuvre doivent être systématiquement
justifiées par un argument scientifique, ce fonctionnement en reste là et le profit reste le
moteur d’organisation des expositions. La deuxième idée qu’il développe est l’idée selon
laquelle la recherche fondamentale dans les collections permanentes des musées n’est plus
aujourd’hui réalisée par les musées mais que soit le musée « fait appel, pour des projets
particuliers, à des collaborateurs temporaires selon le principe de l’outsourcing et se
considère alors comme un organe de transmission des résultats au public », soit il « joue le
rôle de pur « prestataire de services » (...) et permets aux universitaires d’étudier ses fonds
permanents »46
. Enfin, dans un troisième argument, il rappelle que les recherches
scientifiques demandent aujourd’hui tellement de moyens que seuls les Super-musées
pourraient être aujourd’hui en mesure de les financer. Ces dénonciations volontairement
alarmistes furent atténuées par le débat qui suivit l’intervention de Jochen Sander. Cependant,
il demeure souvent évoqué que les musées, obligés de remplir de nouvelles missions,
rencontrent beaucoup plus de difficulté aujourd’hui à financer et mener les recherches qu’ils
devraient mener. Dès lors, si le musée rencontre des difficultés à remplir certaines de ses
missions pour en privilégier d’autres, il convient d’étudier ces nouvelles missions.
II - Une nouvelle mission politique
La dimension politique des musées a toujours été présente dans leur quotidien.
Cependant, elle se résumait à assurer le prestige d’un Etat par la mise en place de qualité.
45
GALARD. 2001. p.350
46
Ibid. p.352.
27. 19
Ainsi, Francine Mariani-Ducray, Directrice des Musées de France, considère que « cette
curiosité des étrangers à l’égard de la culture française, c’est un grand atout pour notre
pays »47
. Le rôle de représentation des musées dans le rayonnement international de leur pays
d’origine n’était cependant pas à proprement parler une mission des institutions muséales.
Aujourd’hui, cette considération a changé. Le musée joue un rôle politique fort dans la
société, qu’il convient d’analyser.
A- Le musée moderne, un centre culturel et social
Le musée n’est plus aujourd’hui seulement un musée. Il se doit d’être un centre
névralgique de l’action culturelle comme sociale au sein de son quartier, de sa ville, de sa
région, de son pays, du monde. Le musée n’est plus une institution, c’est un lieu ; un lieu au
sein duquel se retrouvent les artistes, les touristes, les habitants de la ville. Il est l’espace des
échanges, des réflexions, des innovations culturelles et sociales au sein de la ville. Ainsi, pour
la création du centre Georges Pompidou, en 1969, le président de la république appelait de ses
vœux la création d’un immense centre culturel : « Je voudrais passionnément que Paris
possède un centre culturel (...) qui soit à la fois un musée et un centre de création, où les arts
plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audio-visuelle,
etc. Le musée ne peut être que d’art moderne, puisque nous avons le Louvre. La création,
évidemment, serait moderne et évoluerait sans cesse. La bibliothèque attirerait des milliers de
lecteurs qui du même coup seraient mis en contact avec les arts.»48
. Le succès de ce musée,
souvent considéré comme le levier du succès des musées en France, a entraîné la volonté des
politiques de voir chaque musée jouer ce rôle de « melting-pot » culturel.
De plus, le musée doit de surcroit être un centre de développement social. Jean-Paul
Kounougou, président de l’ICOM Burkina, souligne cette nécessité politique dans le monde
entier lors de la Journée Internationale des Musées : « les musées doivent se positionner
comme de puissants moteurs de l’harmonie sociale »49
. Ainsi, les musées sont dans
l’obligation de mettre en place des programmes sociaux. Le Musée des Beaux-arts de Lyon,
par exemple, s’est fortement engagé avec son quartier environnant qu’il qualifie de
« territoire métis, riche d'une grande diversité sociale et culturelle »50
. Le musée développe
ainsi des projets avec les malades de l’hôpital de Lyon, les jeunes en difficultés, ou pour les
personnes handicapées. Le musée se félicite ainsi sur son site Internet d’avoir « développé une
47
DURAND. 6 mars 2007
48
CENTRE POMPIDOU. 2010
49
OUEDRAOGO. 2010.
50
MBA-LYON. 2010
28. 20
expertise dans l'accueil et l'accompagnement culturel des personnes en difficulté économique,
sociale, physique, ou psychique (…) également à l'écoute des projets culturels menés par des
structures sociales, des associations ou des institutions de soins »51
.
B- Le musée, acteur à part entière des politiques d’urbanisation
Ces rôles donnés aux musées en ont fait des acteurs centraux des politiques
d’urbanisation et, notamment, dans le cadre de la réhabilitation de quartiers, de villes ou
encore de régions. Le centre Georges Pompidou, déjà, participait de cette mouvance. En effet,
comme le rappelle David Navarrete : « En termes urbanistiques, le centre Pompidou a
répondu aux priorités de la crise de logement et à celles de redynamisation urbaine de l’aire
centrale de la capitale française. Avec l’implantation de ce nouveau musée dans l’îlot
insalubre no
1 de Paris, l’État répondait à l’urgence de substituer plusieurs unités de
logements qui ne satisfaisaient pas les conditions minimales d’habitabilité et d’hygiène. Le
projet (…) visait aussi la régénération spatiale et l’animation du secteur de Beaubourg »52
.
Comme nous le verrons plus tard, lors de son implantation à Metz, l’inscription du centre
Georges Pompidou dans un projet global d’urbanisme ressortait là encore fortement. D’autres
musées semblent même recevoir cette mission d’urbanisation sans pour autant intégrer un réel
projet. C’est notamment le cas du Mac/Val. Ce musée d’art contemporain, implanté à Vitry-
sur-Seine, en banlieue parisienne, a pour vocation de réconcilier l’art et la banlieue, et, par là
même, la banlieue (stigmatisée dans les médias internationaux depuis les émeutes de 200553
)
et le monde. Le musée justifie ainsi son engageant et souligne sa volonté de « mettre en
évidence que l’art contemporain, au même titre que la culture et la connaissance, peut
devenir un moyen d’émancipation. Chacun peut se l’approprier à sa manière, chacun peut y
trouver un sens »54
.
Cette mission politique du musée et le rôle que les Super-musées vont réussir à jouer dans
certains quartiers vont lui conférer une nouvelle mission, celle de la réussite économique.
III - Une nouvelle mission économique
La réussite politique des musées a eu un impact fort sur leur environnement. En effet, en
jouant ce rôle de centre culturel, vecteur de dynamisme et de création, de centre social,
vecteur de cohésion et de communication, et de cœur d’urbanisation, vecteur de renouveau et
51
MBA-LYON. 2010
52
NAVARRETE. 2008
53
http://www.rfi.fr/actufr/pages/001/page_121.asp
54
MAC/VAL. 2005.
29. 21
de développement ; les musées ont permis une création de richesses indéniable avec, comme
exemple symbolique le musée Guggenheim à Bilbao grâce à qui le « Pays-basque s’est
réinventé »55
. Cette création de richesse est, dès lors, devenue une mission clef du musée.
A- Le musée et son environnement, étude d’impact
La mission économique du musée s’est tout d’abord exprimée par une nécessité pour
celui-ci d’impacter positivement l’économie du territoire sur lequel il été implanté. Tobelem
rappelle dans son ouvrage Le nouvel âge des musées56
, comment les études d’impact ont
favorisé la définitive acceptation de cette mission économique. Les études d’impact ont été
créées à la demande des investisseurs qui devaient justifier leurs choix de subventionner et
soutenir la création d’une institution culturelle. Ainsi, elles ont développé une technique
d’évaluation de cet impact économique de façon monétaire, en le segmentant en trois
catégories : l’impact direct, l’impact indirect, l’impact induit. Ces trois catégories
fonctionnent à la manière de trois cercles concentriques de rayon différent. Ainsi, l’impact
direct concerne la richesse produite au centre, c'est-à-dire celle qui est produit directement par
le musée. L’impact indirect, lui, correspond à la richesse produite en périphérie, il regroupe
alors les dépenses réalisées par le musées dans le cadre de son fonctionnement ainsi que celles
que ses visiteurs font à l’occasion de leur accession au musée (hôtellerie, commerces divers,
transports, etc.). Enfin, l’impact induit est un impact concernant les flux additionnels
engendrés par l’enrichissement précédent.
Ces études ont notamment aidé à montrer la meilleure rentabilité des expositions
temporaires, dont la dimension évènementielle renforçait l’impact. Ainsi, une étude d’impact
a été menée en 1993 au sujet de quatre grandes expositions quasi simultanées à New-York :
Ribera, Magritte, Matisse, et l’Avant-garde russe ; les deux premières ayant été réalisées par
le Metropolitan Museum of Art, et les deux autres respectivement par le MOMA et le musée
Guggenheim. Ces expositions ont attiré 1,75 millions de visiteurs au total. Parmi eux, 1,3
millions étaient extérieurs à la ville de New-York, dont un sur deux ayant réalisé le voyage
dans le but de visiter une de ces expositions. L’étude de rentabilité fut alors menée sur ces
voyageurs. Un panel de 25% d’entre eux répondit. Les dépenses de ce panel furent évaluées à
368 millions de dollars57
.
55
MARCELLIN. 2007
56
TOBELEM. 2010.
57
SMITH. 1993.
30. 22
Ces études d’impact ne sont pas exemptes de toute critique. Peter Johnson et Barry
Thomas se sont d’ailleurs attachés à remettre en question ces études58
. Et leur principale
critique résulte de l’absence de comparaison possible avec l’impact qu’aurait pu avoir une
autre organisation, installée à la place du musée, sur son environnement. La typologie des
études d’impact a cependant imprimé sa logique dans la définition des missions des musées,
obligés d’assurer leur financement direct, mais aussi celui, indirect, de leurs lieux d’accueils.
B- Le musée comme étendard dans la bataille du tourisme
Le tourisme est aujourd’hui un marché dans lequel les villes, les territoires sont
concurrents. Ce phénomène a renforcé la définition des villes comme des marques. En effet,
toutes les villes ont développé une identité au cours des siècles. Cette identité étant
notamment définie par un nom et des armoiries mais aussi souvent par les spécialités et
productions locales. Ces identités étaient de l’ordre de la tradition ; ressenties par le peuple,
elles se définissaient pourtant de manière spontanée et non-contrôlée par les institutions
municipales. Or, aujourd’hui, les villes et les territoires se sont impliqués fortement dans la
construction de ces identités. Telles de vraies marques, ils développent des logos, des slogans,
citons pour exemple le plus célèbre d’entre eux : , mais aussi de réelles stratégies
permettant à l’institution « d’organiser ses discours et ses actions » de manière à définir et
promouvoir unilatéralement ses valeurs, « et ainsi bénéficier de la puissance de cette
cohérence »59
. Ce phénomène est alors exacerbé lorsque les territoires vont être rapprochés
les uns des autres par une circulation mondiale de l’information et une augmentation des
mouvements de population. Les territoires ou les villes en concurrence vont pourtant
présenter un processus de développement identique, dans la mesure où ils vont, pour la
plupart, vouloir fonder leur économie sur l’implantation d’entreprises du secteur tertiaire et,
dans le même temps, attirer un maximum de visiteurs pour bénéficier de l’explosion du
tourisme international. Les touristes étant plus mobiles, les entreprises moins ancrées sur un
territoire, les villes vont tenter de se différencier par la mise en place d’un environnement plus
attirant, plus accueillant, pour ces deux acteurs. Trois cibles vont être privilégiées dans cette
compétition : les entreprises à forte identité, qui génèrent le plus souvent des emplois
qualifiants et innovants, les membres de la « Creative Class », comme la définit Richard
Florida60
, et les touristes culturels, dont le nombre est en augmentation constante et dont les
58
JOHNSON & THOMAS. 2000
59
Maynadier Boris, « Marque de Ville ? »
60
FLORIDA. 2004
31. 23
dépenses sont plus importantes61
. Pour ce faire, les villes vont devoir se redynamiser, devenir
des références internationales. Dès lors, des projets de réhabilitation de quartiers vont être
initiés pour doter la ville d’un cadre de vie agréable mais aussi de lieux, de bâtiments hors du
commun. Les musées vont être un outil majeur de ce développement.
Les musées permettent avant tout à la ville d’assurer sa notoriété à l’international. En
effet, l’importance qu’aura le musée au niveau mondial va en faire un lieu de passage
privilégié des touristes culturels augmentant par là même sa réputation et sa situation
économique. Le rôle du musée dans l’image de la ville est ainsi de plus en plus perceptible,
comme le soulignent les slogans « un des plus grands musées d’Europe »62
ou encore
« Francfort, la ville aux 40 musées »63
.
L’exemple le plus significatif de l’attente des territoires face aux musées est sans doute le
projet Saadiyat Island, ce qui signifie l’île du bonheur, au large d'Abou Dhabi. Son dirigeant,
le cheikh Sultan ben Tahnoun al-Nahyan, responsable du projet, le résume ainsi : «Ce sera
une destination de carte postale, comme l'est Capri pour l'Italie»64
. En effet, Abu Dhabi, pour
concurrencer ses voisins, a mis en place un projet d’île luxueuse. Ainsi : « Là où il n'y avait
que sable et mangrove, les Emirats sont en train de faire pousser (…) : une trentaine d'hôtels
de luxe, 8 000 villas de grand standing, 19 km de plages immaculées, trois marinas pouvant
accueillir jusqu'à 1 000 bateaux, deux parcours de golf »65
. L’originalité de cette île, par
rapport à ses concurrents émiratis, c’est qu’au lieu d’une piste de ski ou d’une « cité
informatique » - éléments décisif pour attirer les touristes il y a dix ans-, Abu Dhabi a engagé
la construction, le long de sa baie, d’un musée d’art moderne : Guggenheim Abu Dhabi, d’un
musée des Beaux-arts : Louvre Abu Dhabi, d’un musée national : Sheikh Zayed, d’une cité
des arts : Performing Art Center, d’un musée maritime, d’un hall de concert, et d’un campus
universitaire : New York University Abu Dhabi. Les musées semblent donc être devenus les
lieux les plus recherchés par les touristes et les territoires comme les villes s’en saisissent
pour soutenir leur développement économique. Il convient cependant d’évaluer les risques
d’une telle mission de création de richesse accordée aux musées, et, principalement, celui de
transformer le musée en entreprise, « réduisant Guggenheim et le Louvre à des marques
concurrentes de Ralph Lauren ou Gucci »66
.
61
RESEAU DE VEILLE EN TOURISME. 2010
62
MONTPELLIER AGLO. 2007. p.2
63
D’AGOSTINO. 2007. p.28
64
LAUNET. 2007
65
Ibid.
66
PERRIN. 2007.
32. 24
IV - Une nouvelle mission d’attraction du public ?
Les attentes face aux musées sont donc immenses. Le musée doit jouer, en plus de son
rôle scientifique et pédagogique, un rôle politique et un rôle économique forts. Ce rôle
politique, il le joue en effet par sa mutation en centre culturel et son implication dans les
projets sociaux. Ce lieu de vie et de cohésion a ainsi acquis une place forte dans les projets
d’urbanisation. Or, ces projets requérant des études d’impact, les territoires se sont aperçus de
l’impact économique que pouvait avoir un musée, tant dans l’économie locale que dans la
course au tourisme culturel. Le musée est ainsi devenu la solution miracle pour faire renaître
une région ou une ville, allant parfois jusqu’à l’excès. Cette sacralisation de la culture et de
l’institution muséale comme un messie est révélée par Ernst Hubeli qui débute son article
« Stadt-Kultur versus Kultur-Stadt »67
(« La ville culture versus la ville de la culture ») par le
paradigme selon lequel « Mit Kultur, glaubt man, könne eine Stadt sowohl Identität als auch
Geld generieren » (« on pense qu’avec la culture une ville peut créer en même temps une
identité et de l’argent »). Il est intéressant de remarquer à ce stade que ces nouvelles missions
des musées les positionnent comme interfaces essentielles entre les institutions et les
populations.
Dès lors, la tendance générale a été de pousser toujours plus le musée vers le public et, au
final, de lui donner comme mission supplémentaire d’attirer le public. Cette évolution a été
une mutation significative pour les musées. En effet, alors que jusqu’alors celui-ci avait pour
objectif premier d’étudier et de mettre à disposition ses œuvres, et travaillait donc centré sur
lui-même, le musée a té contraint de s’adapter à ce nouvel objectif qu’était le public et
s’ouvrir toujours plus. Son rôle n’a plus uniquement été d’étudier l’œuvre mais de la faire
comprendre à la population ; il n’a plus été non plus de mettre l’œuvre à disposition du public
mais d’amener l’œuvre au public et d’attirer le public vers l’œuvre. Ainsi, le gouvernement
français demande aux institutions culturelles d’ « inviter les publics et les accompagner dans
une démarche de découverte des œuvres et des lieux culturels »68
. Ce mouvement politique
vers la « médiation culturelle », l’encouragement de la « démocratisation de la culture » ou
encore de la « culture pour tous » a conduit les musées à une mission d’attraction, et donc de
séduction d’un public toujours plus large69
. Il convient alors, pour comprendre les stratégies
mises en place par les musées, d’analyser ce ou ces nouveaux publics.
67
HUBELI, 2005
68
TRAUTMANN, 1999
69
CAUNE. 2006
33. 25
Section 3 - Les évolutions du Public
Le musée a ainsi vu son public changer. Ce changement, cette évolution, il la doit à deux
phénomènes concomitants et intimement liés. Les missions politiques et économiques qui ont
été confiées aux musées ont tout d’abord, comme nous l’avons précédemment évoqué,
entrainé l’apparition d’une nouvelle mission : la démocratisation de la culture. En réalisant
cette mission, le musée a dû modifier son public cible et renforcer son interaction avec le
musée. Le public a donc été modifié de manière extérieure puisque les instances politiques
ont décidé de son élargissant maximum. Ces missions ont cependant entrainé une autre
évolution. En devenant un acteur politique et économique, un lieu de vie au centre de la cité,
le musée a modifié sa place face au public et, par là même, la vision que le public avait de lui.
Dès lors, le public a évolué de manière interne en modifiant ses attentes et sa relation avec le
musée. Ce sont ces évolutions que le musée doit prendre en compte. Cependant, ces
évolutions étant bien réelles, il convient tout d’abord de rappeler qu’elles s’effectuent à la
marge et que le cœur du public semble, dans sa composition en tous cas, relativement stable.
I - La permanence d’une audience traditionnelle
L’audience traditionnelle des musées est une audience cultivée et intéressée par l’art.
Ainsi, le public des musées a principalement été composé des catégories
socioprofessionnelles élevées et, au sein de ces catégories, des universitaires, des étudiants et
des retraités, qui disposent de plus de temps pour effectuer une visite.
Le rapport de 2009 remis par Olivier Donnat au Ministère français de la Culture et de la
Communication au sujet des pratiques culturelles des Français à l'ère numérique70
souligne
une permanence des classes les plus aisées dans le public des musées. En effet, selon cette
étude, les membres de la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures sont
ceux qui sont allés le plus au musée en 2008. Ce public étant suivi par les étudiants, les
anciens cadres, et les professions intermédiaires71
. On constate que le lieu de résidence est un
autre facteur de segmentation puisque plus le territoire de résidence est peuplé, plus la
pratique d’activités culturelles s’accroît, l’Ile de France et Paris demeurant très largement au
dessus des autres agglomérations. Ce phénomène tend d’ailleurs à s’accentuer fortement
lorsqu’on augmente le nombre de visites effectuées par an. Ce phénomène révèle notamment
que si la fréquentation des équipements culturels augmente, elle peut s’expliquer par une
augmentation des populations les plus susceptibles de pratiquer une activité culturelle, et, par
70
DONNAT. 2009
71
Cf. Annexe 3
34. 26
une relative augmentation des pratiques culturelles de ces populations. Il convient de préciser
que ce phénomène que nous étudions au niveau de la France est semblable dans tous les pays
occidentaux. La politique de démocratisation de la culture semble ainsi moins efficace que
prévu.
Tobelem pousse un peu plus l’analyse en essayant d’utiliser ces résultats pour esquisser
des tendances dans la pratique muséale. Dans un premier temps il divise les pratiques
individuelles en trois tendances. La première, composée principalement d’une population non
diplômée, rurale, et âgée, n’a aucune pratique culturelle au cours de l’année. Elle représente
25% de la population française. La deuxième, composée d’une population très diplômée et
vivant dans de grandes agglomérations, fréquente les équipements culturels de manière
diversifiée et régulière. Elle représente 10% de la population. Enfin, la dernière tendance est
constituée de divers profils de public qui se rejoignent par le fait que malgré une certaine
« disponibilité » à l’égard de la consommation culturelle, elle n’est pas considérée comme
prioritaire dans l’organisation de leur temps libre.
Dans un deuxième temps, soulignant la place des musées, « dans une situation
intermédiaire entre la fréquentation des salles de spectacle – plus élitaire – et celle du
cinéma, qui concerne environ la moitié de la population »72
, l’universitaire essaie d’expliquer
le discours majoritaire selon lequel la fréquentation des musées « explose ». L’auteur
confirme l’augmentation du nombre de visiteurs tout en rappelant que ces visites demeurent
majoritairement liées à un évènement, comme un voyage, la venue d’amis, une exposition
temporaire, ou des vacances. Ayant ainsi montré une persistance dans l’approche de la visite,
Tobelem souligne que les feins à cette consommation muséale demeurent les mêmes :
éloignement géographique, barrières tarifaires et horaires, manque d’aide à la visite,
procrastination, caractère intimidant des bâtiments et des collections, etc. Dès lors,
l’augmentation de la fréquentation des musées ne pouvant pas s’expliquer par une réduction
de ces freins, le chercheur l’attribue à l’augmentation de la population mondiale et, en son
sein, à une croissance de la part des catégories sensibles aux équipements culturels (cadres,
étudiants, etc.) ; complétée par une offre plus nombreuse et une meilleure médiatisation des
institutions. Il précise néanmoins que les disparités auraient pu être beaucoup plus grandes
sans une action de médiation culturelle.
Dès lors, bien que le public des musées n’ait, dans sa répartition statistique que peu
évolué, il n’en demeure pas mois que l’institution muséale mène une activité de médiation
72
TOBELEM. 2010. p.234
35. 27
culturelle et élargit son public cible. Il convient ainsi d’analyser la modification de la
composition de ce public cible.
II - De nouveaux publics à conquérir : le musée pour tous
Le public potentiel des musées s’élargit considérablement. Cet élargissement des publics
cibles entraine de la part des musées une nécessité d’adaptation de leurs stratégies et de leurs
prestations qu’il convient alors d’analyser.
A- Le musée et les visiteurs multiculturels
Le premier enjeu des musées est le traitement des visiteurs multiculturels. Essence même
du tourisme culturel et conséquence directe de la mondialisation, les touristes étrangers sont
de plus en plus présents dans les musées et dans les villes elles-mêmes. Et, surtout, alors que
par le passé ils étaient principalement originaires des pays de la triade (Europe, Etats-Unis,
Japon), leur origine se diversifie fortement avec l’augmentation de visiteurs d’Amérique
latine, d’Asie, ou encore du Moyen Orient. Deux positions sont alors à prendre pour le musée.
Comment accueillir les visiteurs étrangers, et comment les prendre en charge.
La question de l’accueil des visiteurs étrangers est un problème qui se pose régulièrement
aux institutions muséales et qui se résume souvent à un choix d’assimilation ou non aux
visiteurs locaux. Ainsi, la question de leur autoriser l’accès semble, concernant les musées
d’art, amener logiquement une réponse positive. Il convient de préciser néanmoins que
certains musées, comme le musée de l’espionnage de Pékin, aient fait le choix d’interdire
l’accès des visiteurs étrangers aux collections73
. De même, il ne faut pas négliger l’importance
dans certains pays de la tenue vestimentaire ou des pratiques traditionnelles comme le port du
voile obligatoire pour les femmes dans certains pays. C’est cependant plus la dimension du
tarif applicable aux étrangers qui fait débat. Ainsi, les étrangers représentent une manne
financière importante pour les établissements culturels. Ces publics viennent en effet en
vacances et ont donc un budget de dépense élevé dont les musées souhaitent profiter. Deux
politiques s’opposent : la première consiste à dire que les étrangers ne font pas partie des
objectifs des missions politiques des musées mais plutôt de leur mission économique et, dans
ce cas là, il convient de ne pas accorder aux étrangers les réductions destinées aux populations
locales (tarifs étudiants, professions artistiques, etc.). Ainsi, alors que le Louvre, est gratuit
pour les moins de 26 ans français, cette politique tarifaire ne s’applique pas aux jeunes
73
MSNBC.COM. 30 avril 2009
36. 28
étrangers74
. La seconde consiste à intégrer l’attraction de touristes étrangers comme une
mission politique du musée et de lui accorder les mêmes avantages que le visiteur local. Les
Super-musées considèrent généralement que les visiteurs étrangers n’entrent pas dans leur
zone de médiation culturelle et préfèrent profiter de la manne financière qu’ils représentent.
Concernant l’accueil de ces visiteurs, le musée doit s’assurer que les visiteurs connaissent
le musée, pourront s’y rendre, et que leur visite sera bien accompagnée. Ainsi, le musée doit
investir dans une communication internationale. De plus, sa localisation est importante. Ainsi,
la proximité du musée du quai Branly avec la Tour Eiffel a joué un grand rôle dans son choix
de localisation75
. Enfin, le musée doit pouvoir assurer que les explications fournies par les
inscriptions, guides, audio-guides, brochures seront compréhensibles par chaque visiteur, peut
importe son origine géographique. Ce besoin existe aussi dans les commerces du musée qui
doivent adapter leurs librairies et leurs menus.
Certains musées développent en parallèle de réels programmes en direction des visiteurs
étrangers comme le MET et son programme « Multicultural Audience Development
Initiative »76
.
B- Le musée et les populations défavorisées
Les populations défavorisées sont souvent intimidées face à l’institution muséale et ses
collections. De plus, ces populations n’ont habituellement pas été sensibilisées à la culture.
Elles sont pourtant au cœur de la mission de démocratisation de la culture qu’exerce le musée.
Ainsi, les politiques des Super-musées sont souvent dirigées en leur faveur. Face à ces
populations, le musée doit d’abord aller à leur rencontre pour pouvoir ensuite les attirer vers
lui. Deux exemples de rencontre peuvent être donnés. Le premier est la rencontre lors de
l’action sociale. Nous avons déjà donné un exemple d’une telle action avec le Musée des
Beaux-arts de Lyon. Le deuxième est la « descente du musée dans la rue ». Ainsi, depuis
2000, le Sénat français expose sur les grilles du jardin du Luxembourg des collections
photographiques77
. Cette opération permet de montrer l’art à ceux qui n’y ont pas accès mais
elle permet aussi de guider le public vers le Musée du Luxembourg, au bout de la rue, qui
était jusqu’à juin 2010 propriété du Sénat.
74
LOUVREPOURTOUS. 2008.
75
NAVARETTE. 2008
76
RAFFERTY. 2010.
77
SENAT. 2010
37. 29
Une fois que les populations défavorisées sont attirées vers le musée, il convient
d’assurer le bon déroulement de leur visite. Cela signifie que le prix de la visite ne doit pas
constituer un frein à celle-ci, et que les explications et brochures doivent être adaptées à un
public qui ne maîtrise pas tous les codes et le vocabulaire de l’art.
C- Le musée et les populations handicapées
Lorsqu’on pense aux populations handicapées, les personnes à mobilité réduites sont
souvent les premières à nous venir en tête. Leurs difficultés dans la visite d’un musée nous
apparaissent clairement ; certains musées par exemple, notamment ceux installés dans des
bâtiments centenaires, peuvent leur être totalement inaccessibles (trop d’escaliers, portes et
couloirs trop étroits pour un fauteuil roulant, etc.) Il convient donc que le musée fasse les
aménagements nécessaires afin de garantir un bon accès des populations à mobilité réduite à
l’ensemble des collections. La mairie de Caracas, au Venezuela, a ainsi lancé en 2007 un
programme de remise à niveau de ses musées pour faciliter l’accès aux personnes
handicapées78
.
Cependant, les populations handicapées sont bien plus nombreuses et ont des handicaps
bien différents. On peut citer à ce titre les personnes malvoyantes ou non-voyantes pour qui
l’accès aux musées d’art est énormément difficile. Il appartient aux musées de développer des
solutions rendant possible cet échange. Un exemple intéressant est celui de Erin Narloch,
conservateur responsable du secteur de l’éducation du Woodson Art Museum. En travaillant avec
une association de soutien des malvoyants, il a permis que le musée mette en œuvre « des
expériences de création artistique gratuites ou à faible coût destinées à un large public. Le
jardin de sculptures du musée, la création d’œuvres d’art, les descriptions verbales d’œuvres
en deux dimensions et les interactions avec les artistes en résidence ont été utilisés afin de
mettre le musée à la portée de ce public laissé pour compte »79
.
D- Le musée et les enfants
L’enfant est un enjeu très important pour les musées et il devient par là même un public
cible à part entière. L’explication de l’importance des enfants est triple. Tout d’abord, la visite
de l’enfant s’effectue le plus souvent en famille, et donc en compagnie de ses parents.
Lorsqu’ils deviennent parents, les couples accordent quasiment l’intégralité de leur temps
libre à des activités qu’ils peuvent partager avec leurs enfants. Si le musée n’est pas adapté à
la visite de l’enfant, il risque donc de perdre une clientèle importante. Ensuite, l’éducation
78
MARQUEZ. 2007
79
UNESCO. 2008.
38. 30
artistique n’est pas une priorité des systèmes d’enseignements traditionnels ; le musée a donc
pour mission de jouer un rôle essentiel dans cet apprentissage. Enfin, les pratiques culturelles
des adultes sont fortement influencées par des habitudes prises dès l’enfance. Ainsi, dans sa
mission de démocratisation de la culture ; le musée a l’obligation d’attirer l’enfant au musée.
Ce dernier point est analysé par Chloé Tavan80
, analyste à l’Insee, en 2003. Elle met
notamment en relief le fait que le niveau scolaire et l’éducation jouent plus que les contraintes
financières comme discriminant des pratiques culturelles des adultes. Ainsi, il est essentiel,
pour développer les pratiques culturelles, que les musées soient visités par les enfants de tous
milieux dès leur plus jeune âge.
Face à ces besoins, les musées sont dans l’obligation de mettre en place des solutions
globales. C’est dans cette optique que le Metropolitan Museum of Art de New York a mis un
place un programme comme le MuseumKids dont le slogan est « explore & learn »81
. Ce
programme met en place des stages d’été pour confronter les enfants à l’art, des activités
familiales au sein du musée, mais aussi une série de jeux, livrets, audio-guides, permettant
aux enfants d’appréhender la collection du musée. De plus, des actions sociales sont menées
pour permettre aux enfants de quartiers défavorisés de rencontrer les collections permanentes,
notamment par le biais de visites scolaires. Enfin, ces programmes sont adaptés à un
environnement multiculturel, et aux populations handicapées.
Les publics potentiels de l’institution muséale se sont ainsi diversifiés, entrainant des
nécessités d’adaptation de la part des musées. Cependant, ce n’est pas seulement la répartition
statistique du public qui a évolué mais aussi ses attentes qu’il convient d’analyser.
III - Un nouveau type de consommation culturelle
La consommation culturelle des publics que nous venons de décrire dépend fortement des
évolutions de la société. Le musée, ayant pour mission d’attirer ces publics, est dans
l’obligation de connaître leurs attentes. Ainsi, il convient de détailler ici l’évolution de leurs
aspirations.
A- La consommation culturelle, de la connaissance à l’expérience
La visite des musées a pour but original la passation des connaissances du musée au
public. Ainsi, le public allait tout d’abord visiter les musées pour apprendre. Connaître
l’œuvre d’un artiste, l’évolution des techniques, ou encore les tendances d’une époque étaient
80
TAVAN. 2003
81
MET. 2010.
39. 31
les maîtres mots lors de la pratique muséale. L’émotion n’était pas bannie, loin de là, mais
elle se devait de coïncider avec un apprentissage. Le public, élève, prenait plaisir à apprendre
de l’institution muséale, le sage. Deux évolutions sont venues effacer cette approche.
La première de ces évolutions est l’émergence des Technologies de l’Information et de la
Communication qui a favorisé un monde d’hyper-communication et, par là même, d’hyper-
accessibilité. Les sociétés ont gagné du pouvoir, chacun est devenu libre de s’exprimer sur
Internet, à la télévision, ou à la radio et surtout, il est devenu certain d’avoir un public. Les
individus ont alors développé des blogs, des réseaux sociaux, des messageries instantanées,
pour donner à chacun une place centrale dans la société et lui permettre de devenir une source
d’information et de partage. Les entreprises comme les institutions ont donc été contraintes de
s’adapter à une volonté naissante, celle de l’implication du consommateur dans son acte
d’achat comme dans sa relation à l’institution. Les musées, eux, ont connu un développement
beaucoup plus fort de cette demande des publics. En effet leur cœur de cible principal, en tant
que centre culturel est social est ce que Florida appelle la « creative class »82
. La « creative
class » est composée des professionnels des industries de la connaissance et, principalement
les cadres des entreprises qui composent ce secteur : le design, la publicité, l'architecture, la
musique, la télévision, l'art, etc. Selon Florida, ces « trendmakers », ou faiseurs de tendance,
sont le poumon de l’activité économique et ce sont eux que les villes cherchent à faire venir
lorsqu’ils implantent un musée dans un projet d’urbanisation. Les membres de cette nouvelle
classe sociale sont passionnés par l’art et les nouvelles technologies et sont dotés d’une forte
volonté d’implication dans les projets créatifs. Leur présence au sein des musées est le moteur
de leur rôle comme centre culturel. Dès lors, l’envie d’impliquer le public dans le musée et la
visite leur est venue à eux en premier, permettant aux musées de développer des solutions
efficaces. Ainsi, la démarche participative au sein du musée a été poussée à son extrême
lorsque le Brooklyn Museum permet aux internautes de participer à la création de l’exposition
« Click »83
.
La seconde de ces évolutions est la place centrale donnée à l’émotion. Cette importance
de l’émotion est explicable par l’addition de plusieurs phénomènes comme la place centrale
accordée à l’individu dans les sociétés modernes et l’augmentation quotidienne de l’offre
culturelle. La combinaison de ces phénomènes a entraîné un déplacement des musées dans le
marché des loisirs. Dès lors, le visiteur consomme sa visite en privilégiant son émotion. Le
82
FLORIDA. 2004.
83
BROOKLYN MUSEUM. 2008
40. 32
rôle pédagogique du musée est, pour le visiteur, contenu dans ses publications tant sur
Internet qu’en librairie. La visite doit donc apporter plus que cette simple connaissance et le
visiteur veut qu’elle lui apporte, du point de vue des sensations et des émotions, au moins
autant qu’une séance de cinéma ou encore un concert.
Ce dernier n’a en effet plus besoin d’une visite pour apprendre, il peut le faire en achetant
un livre ou en lisant les publications des musées sur Internet. Il demande donc une approche
de la visite beaucoup plus focalisée sur son émotion et sa participation. Il ne recherche plus la
connaissance mais l’expérience. Consommant à l’impulsion, le visiteur choisira l’exposition
qui l’attire le plus, celle dont il a le plus entendu parler. Anderson souligne à ce titre que la
littérature présente aujourd’hui la qualité de l’expérience vécue par le visiteur comme le
premier critère de mesure du succès des expositions84
. Cela renforce la concurrence entre les
institutions muséales qui doivent s’adapter et rivaliser d’ingéniosité pour le séduire.
B- Le musée : du sacré à la vie
Pour s’adapter à ces évolutions, le musée, autrefois lieu sacré, intemporel et immuable,
s’est attaché à développer une vie en son sein. Deux axes majeurs ont été favorisés :
considérer le musée comme une œuvre, et le considérer comme un spectacle.
Le concept de musée-œuvre est notamment défendu par Stefan Kraus, conservateur du
Diözesnanmuseum de Cologne, dans l’intervention qu’il a effectuée lors du colloque « Quel
avenir pour les musées ? » organisé par le musée du Louvre en 2001. Cette présentation,
intitulée « Plaidoyer pour un musée vivant »85
, reproche aux musées d’avoir fait évoluer leur
« emballage » en modernisant les salles d’expositions sans pour autant avoir fait l’effort de
faire évoluer leurs intentions. Ainsi, selon Kraus, le musée devrait être capable de « faire
percevoir l’acte artistique comme une expérience et une aventure hasardeuse défiant toute
limite ». Pour cela il conseille aux responsables de musées de « placer au cœur de leur travail
l’expérience individuelle de l’œuvre, comme révélatrice de son sens et de sa signification
réelle »86
. Ainsi, il prône dans l’exposition de mettre en œuvre la créativité du public comme
faculté de perception centrale. Bien que très développé théoriquement, le concept de musée
vivant n’est pas expliqué plus concrètement.
Une autre évolution majeure est le développement des musées spectacles. Tobelem
dénonce ce phénomène comme une « Dysneylandisation » de l’institution muséale. Ce
84
ANDERSON. 2004.
85
GALARD. 2001. pp. 95-119.
86
Ibid. p.101
41. 33
développement est fondé sur le principe de l’edutainment qui consiste en la mise en place de
projets éducatifs à l’aide d’outils du divertissement (entertainment). Ainsi, les conservateurs
de musée veulent rendre la visite plus ludique, plus sensationnelle. Pour cela, nombre de
solutions sont déployées. On peut citer à titre d’exemple les partenariats entre différents arts
comme par exemple l’intervention de danseurs, de musiciens, d’étudiants des beaux arts, etc.
au sein des collections. De ce phénomène viennent aussi les expositions temporaires, aussi
appelées expositions évènement. Ces expositions présentent l’avantage d’attirer le public de
part leur temporalité mais aussi souvent de part les moyens qu’elles mettent en place pour
constituer des expositions extraordinaires soutenues par une communication agressive. Un
exemple de ces développements est donné par les nocturnes organisées dans les musées
français où, un soir par semaine, après l’heure normale de fermeture du musée, une
intervention extérieure est faite dans le musée, souvent en partenariat avec d’autres arts.
Cependant, c’est la nuit européenne des musées87
qui semble le mieux résumer cet aspect de
l’institution muséale. En effet, une nuit par an, l’intégralité des musées européens restent
ouverts jusqu’à minuit et proposent gratuitement pendant toute la soirée des animations dans
les collections, conférences, expositions évènementielles. En 2010 par exemple, le Palais de
Tokyo proposait une visite des collections à la lampe torche ainsi que l’intervention dans le
musée des danseuses du Crazy Horse ; alors qu’à côté le Musée d’Art Moderne de la ville de
Paris accueillait, à l’accueil, des musiciens de jazz, et dans ses collections permanentes, des
musiciens de musique classique. En parallèle de ce que proposait chaque musée, chaque
visiteur pouvait poster ses impressions sur le réseau social Twitter et les voir publiées sur
différents écrans positionnés dans les musées clefs de la ville. Enfin, un concours de la
meilleure vidéo faite pendant la soirée était organisé. Cette débauche d’énergie pour faire de
chaque visite un spectacle peut parfois mener à la situation extrême où l’art n’est plus
considéré que comme un bien de consommation similaire à ceux distribués par l’industrie
culturelle.
CHAPITRE 2 - UNE STRUCTURE REDÉFINIE
Une grande partie des débats concernant le statut des musées aujourd’hui et, notamment,
leur assimilation à des entreprises, repose sur les évolutions que les musées ont connu au
niveau de leurs structures. En effet, d’organisations publiques très hiérarchisées et peuplées
exclusivement de hauts fonctionnaires et de personnes de la Culture, ils sont devenus des
87
http://nuitdesmusees.culture.fr/index.php?l=FRA
42. 34
organisations qui doivent remplir des objectifs de rentabilité et surtout d’audience, qui ont été
colonisés par les managers et le monde entrepreneurial. Ces évolutions sont majoritairement
dues aux évolutions conjoncturelles que nous avons évoquées précédemment. Ainsi, afin de
bien cerner ces nouvelles organisations et de ne pas céder à la facilité de l’exagération, il
conviendra d’analyser dans un premier temps leurs modes de financement, dans un deuxième
temps leur politiques de gestion, et dans un dernier temps l’utilisation du marketing comme
un outil clef de leur développement.
Section 1 - La recherche de financements
Les évolutions qui ont marqué le financement des musées sont multiples. Les apparitions
conjointes d’une intense concurrence face aux musées, d’un Etat qui tend à se désengager du
financement des institutions muséales, et de nouvelles missions qui réclament des
investissements à la fois lourds et soutenus sont à l’origine des besoins des musées de
conquérir toujours plus de financements.
Le musée cherche donc à solidifier et assurer son financement. Il faut alors qu’il envisage
un maximum de solutions de financement possibles et qu’il les combine afin de se prémunir
contre tout risque de défaut d’une ou plusieurs de ses sources de financement. Cependant, il
lui est impératif de réfléchir à la manière dont il compte financer son activité. En effet, il peut
se faire financer au titre de son action globale ou faire financer les opérations
individuellement. Il est toujours plus facile de financer une opération qu’un fonctionnement
général. En effet, la promotion d’un évènement, sa médiatisation et le nombre conséquent de
visiteurs attendus assurent un retour sur investissement considérable pour les investisseurs ;
ne serait-ce qu’en terme d’image. Cependant, comme le souligne Bernd Lindemann, ancien
conservateur en chef du Kunstmuseum de Bâle, certaines activités des musées sont des
activités « silencieuses »88
. Or ce sont justement ces activités qui sont considérées par les
conservateurs comme le fondement de leur activité. Ce sont par exemple les activités internes
de conservation des œuvres, ou encore celles de recherche. Ces activités semblent peu
finançables par l’extérieur dans la mesure où elles n’attirent pas l’investisseur, à moins de
faire partie d’un projet à grande échelle qui sera alors médiatisé. De plus, les conservateurs
sont souvent réticents à faire financer ces activités sensibles par l’extérieur. Dès lors, il
convient de trouver une juste répartition des financements entre trois axes : la création de
richesses propres, la recherche de participations extérieures, la capitalisation du patrimoine.
88
GALARD, 2001. p. 131