Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Publicité
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)
Prochain SlideShare
Quelle place pour le Storytelling dans les stratégies de communication des en...Quelle place pour le Storytelling dans les stratégies de communication des en...
Chargement dans ... 3
1 sur 55
Publicité

Contenu connexe

Présentations pour vous(20)

Publicité

Similaire à 50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)(20)

Publicité

50 pages - Radiohead In Rainbows : La gratuite ou l'art de bien vendre. (Un choix artistique, levier marketing ou représentation politique ?)

  1. École des hautes études en sciences de l'information et de la communication Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) MASTER 1re année (Maîtrise de l’information et de la communication) Mention : Information et Communication Spécialité : Marketing & Communication « La gratuité ou l’art de bien vendre?» La valorisation de la gratuité à travers l’analyse d’une stratégie de communication. L’exemple du site de téléchargement légal de musique : www.inrainbows.com par Radiohead. préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD BASDEVANT Martin __mbasdevant@gmail.com Promotion : 2006-2007 Soutenu le : Note au mémoire : conditions d'utilisations
  2. quot;Le clonage et la dissémination de fichiers à l’infini ont entraîné depuis 5 ans la ruine progressive de l’économie musicale (…) en donnant cette impression fausse que tout se vaut, que tout est gratuit.quot; Nicolas Sarkozy. Préambule au rendu du rapport Olivennes. 26 novembre 2007 quot;Le premier combat à mener, c’est contre le commerce illicite de produits culturels, pas contre leur gratuité. L’expérience historique a montré qu’on ne résiste pas à une révolution technologique.quot; Jacques Attali. Mars 2007 2
  3. REMERCIEMENTS Mes premiers remerciements s’adressent à mon rapporteur universitaire, Caroline de Montety, qui a fait preuve d’une grande disponibilité durant l’année qu’a duré l’écriture de ce mémoire. Je la remercie sincèrement pour son accompagnement, sa générosité et sa capacité à m’avoir fait me poser les bonnes questions. Je remercie également Alban Martin, qui a accepté d’être mon rapporteur professionnel, de m’avoir transmis sa confiance et d’avoir partagé ses connaissances sur les thèmes-clefs de ce mémoire. Je souhaite remercier Mikaïl Osmany, Hugo Fromont, Patrick Maruejouls et particulièrement Fredérique-Gérard Lévêque membres du service Planning Stratégique de Nextedia pour leurs nombreux articles, études et analyses qui m’ont permis d'approfondir mon expertise des NTIC. Je remercie Caroline Krauze et Sophie Giret, anciennes élèves du Celsa, pour leurs premiers conseils stimulants et leur première relecture. Je remercie enfin Cloé, ma dernière relectrice, pour sa patience, ses encouragements et son précieux soutien durant cette année. 3
  4. SOMMAIRE Citations .................................................................................................................................................. 2 Remerciements........................................................................................................................................ 3 Introduction ............................................................................................................................................ 6 CHAPITRE 1 – L’AFFICHAGE DE LA GRATUITÉ STIMULE LA NOTORIÉTÉ ................. 12 A – Le contexte du lancement ............................................................................................................. 13 a – L’innovation permanente : règle de conduite de Radiohead............................................. 13 b – Un buzz orchestré en amont de la sortie ........................................................................... 13 c – Une initiative inattendue dans un contexte hostile ........................................................... 15 B – Afficher la gratuité et l’amplifier ................................................................................................. 16 a – La démarche sémiologique ou que communiquent les signes ? ...................................... 16 b – Donner un visage de la gratuité ........................................................................................ 17 1 - un parcours utilisateur optimisé ............................................................................. 17 2 - un graphisme porteur de sens ................................................................................. 19 3 – L’absence de son .................................................................................................... 20 c – La reprise des codes amateurs du blog.............................................................................. 21 d – Un site non conforme aux codes standard ........................................................................ 22 C - Une expérience inédite et valorisante ........................................................................................... 22 a – Voler en toute légalité : une expérience inédite ................................................................ 22 b – Une ré-intermédiation créatrice de valeurs ....................................................................... 23 c – une réponse aux attentes actuelles des consommateurs .................................................... 25 D - La gratuité, une valeur pour émerger .......................................................................................... 25 a – Gratuit…pour vendre plus ................................................................................................ 26 1 – La constitution et l’exploitation d’une base de données ........................................ 26 2 – L’échantillonnage d’un produit d’appel................................................................. 26 3 – Des produits dérivés survalorisés........................................................................... 27 4 – la gratuité, point de départ d’une opération promotionnelle gagnante ................. 28 b – Répondre aux nouveaux modes de consommation........................................................... 30 1 – Nouveaux usages et multiplication de l’offre ......................................................... 30 2 – La gratuité pour attirer et retenir l’attention ......................................................... 31 CHAPITRE II- LA GRATUITÉ VÉHICULE UNE IMAGE ANTIMARKETING ..................... 33 A– Du lancement d’album au fait de société...................................................................................... 34 a – Le choix de la presse généraliste....................................................................................... 34 1 – L’écho sociétal de la presse généraliste................................................................. 34 2 – L’absence de jugement esthétique .......................................................................... 34 b – Le contexte de production des messages .......................................................................... 35 Qui parle à qui ? .......................................................................................... 35 Dans quelles circonstances ? ....................................................................... 36 Quel est le moment de la communication ? ................................................. 36 Quels sont les évènements antérieurs ? ....................................................... 36 c – La gratuité, une valeur riche de sens................................................................................. 36 1 – L’analyse de contenu .............................................................................................. 36 2 – Les outils d’analyse ................................................................................................ 37 Le nuage de tags ........................................................................................... 37 La catégorisation .......................................................................................... 39 Grille d’analyse des représentations de la gratuité...................................... 39 4
  5. B– Au-delà du geste artistique : un acte politique............................................................................. 40 a – La gratuité, élément constitutif de l’ADN de marque de Radiohead................................ 40 1 – Un pouvoir d’influence........................................................................................... 40 2 – Une volonté de bouger les lignes............................................................................ 40 b – Une part de l’identité artistique ........................................................................................ 41 1 – La quête de soi........................................................................................................ 41 2 – Jouer un rôle........................................................................................................... 42 c – Se positionner à contre-courant......................................................................................... 42 d – Une lecture économique à double sens............................................................................. 43 1 – S’exclure de la sphère économique ........................................................................ 43 2 – L’anti-marketing entant que stratégie marketing................................................... 44 Conclusion............................................................................................................................................. 46 Bibliographie......................................................................................................................................... 49 Annexes.................................................................................................................................................. 50 Annexe 1 : L’expérience utilisateur sur www.inrainbows.com ............................................................ 51 Annexe 2 : Ensemble des occurrences du corpus analysé...................................................................... 52 Annexe 3 : Corpus Analysé, 19 articles de presse classés par ordre chronologique ............................. 54 Résumé .................................................................................................................................................. 78 Mots-clés................................................................................................................................................ 79 5
  6. 2001 a été une année charnière dans l’histoire du marché du disque. Elle est marquée par le début de la popularisation de l’accès haut débit sur Internet ainsi que par le développement de l’usage des logiciels d’échanges de fichiers basés sur le protocole Peer-to-Peer dont le plus populaire fut Napster. Cette convergence de technologies permet de télécharger un fichier musical contenu sur le disque dur d’un ordinateur vers un autre ordinateur en moins de 1 minute. Cette opération s’effectue en dehors de la sphère marchande et sans verser le moindre centime en échange. En d’autres mots, 2001 a marqué l’explosion du téléchargement illégal de musique sur Internet. Cette évolution des mœurs a non seulement précipité l’inusité du CD entant que support d’écoute mais elle a aussi profondément modifié la valeur que les consommateurs accordent à la musique. Il est aujourd’hui acquis que nous vivons une rupture technologique symbolisée par la numérisation des biens culturels en contenus et par l’apparition de nouveaux modes de consommation. Depuis l’affaire Napster, Internet véhicule l’image d’une source d’information gratuite, illimitée et universelle. Fortement lié au sentiment de liberté inhérent à ce réseau mondial, le téléchargement illégal de musique s’est donc progressivement installé comme une évidence chez la majorité des jeunes internautes : quot;pourquoi continuer à dépenser 15 euros pour l’achat d’un CD dont je ne suis même pas sûr que la totalité des morceaux me plaira, alors que je peux, pour le même coût mensuel, télécharger gratuitement et de façon illimitée de la musique sur Internet, avec un risque de poursuite judiciaires très faible ?quot; En effet, le téléchargement illégal de musique a toujours semblé bénéficier d’une quasi-absence de répression des autorités publiques puisqu’on ne compte à ce jour qu’une seule condamnation pour téléchargement illégal de musique. C’est bien faible face aux millions d’internautes téléchargeant dans l’illégalité. Deux faits peuvent expliquer cette inertie : le refus des Fournisseurs d’Accès à Internet (F.A.I.) de fournir l’identité des internautes réfractaires (un tel acte pourrait être assimilé à de la délation et ternir l’image du quot;dénonciateurquot;), et d’une façon plus politique, la complexité d’établir des lois visant à restreindre l’accès à la culture et à la connaissance. Les conséquences pour l’industrie de la musique sont dramatiques : en France, les ventes de CD en magasins ont chuté de - 50% en 5 ans, passant d’un chiffre d’affaires de 1,3 milliards d’euros en 2002 à 662 millions d’euros en 2007 (source SNEP 2008). Les prévisions des observateurs pour les années à venir ne sont guère optimistes. Quels que soient les résultats à venir, la pratique du téléchargement illégal a prouvé que l’industrie du disque devait repenser son modèle économique basé sur la vente de 6
  7. disques. Mais il a aussi mis en valeur un nouveau mode de distribution très performant : le téléchargement. Dans le contexte concurrentiel de la consommation numérique, les industriels de la musique doivent s’adapter et trouver de nouvelles perspectives d’innovation pour survivre. En signant des partenariats d’exclusivité avec des plateformes de téléchargement légales comme Itunes, amazonmp3.com ou fnacmusic.com, les maisons de disques proposent désormais le téléchargement de chansons à l’unité pour un coût moyen de 0,99 euros. Cette offre permet à l’internaute de télécharger sa musique en toute légalité en lui assurant l’quot;authenticitéquot; du fichier. Mais face à la diversité et la gratuité des titres musicaux disponibles en téléchargement illégal, le téléchargement légal demeure trop peu concurrentiel. Bien que les ventes en 2007 témoignent de résultats prometteurs avec 1,9 millions de titres et 500 000 albums téléchargés (+ 30 % vs 2006, Nielsen Sound Scan 2007), ce volume ne représente, selon la même source, que 15 % des ventes totales de musiques dans l’année. La vente de musique numérique est donc encore loin de compenser le déclin des ventes de CD. Cette morosité des ventes physiques et numériques de musique paraît paradoxale au regard de l’engouement actuel de notre société pour la musique. En effet, la musique n’a jamais paru être aussi ancrée dans la vie des gens : on n’a jamais entendu autant de musique dans la rue et dans les commerces, il ne s’est jamais vendu autant d’instruments de musique, les programmes musicaux diffusés à la télévision récoltent les meilleures audiences (Star Academy, Nouvelle Star). Nous arrivons à l’étonnant constat que si les consommateurs écoutent de plus en plus de musique, il se vend pourtant de moins en moins de disques. Il existe une véritable passion pour cet art que les consommateurs ne semblent désormais plus disposés à payer sous la forme du CD. La gratuité de la musique est progressivement devenue une attente forte des consommateurs à laquelle il faudra apporter une réponse marchande. Ainsi, initialement fustigée par les professionnels de la musique en raison de son caractère destructeur voir immoral, la gratuité s’impose progressivement comme une donnée marketing incontournable. À la fin de l’année 2007, des offres d’accès gratuit et légal à la musique se sont développées avec la création de sites permettant l’écoute illimitée (et non pas le téléchargement) de gigantesques bases de données musicales. Réticentes et adversaires à ce modèle économique, les majors du disque ont rapidement compris l’intérêt financier de ces sites à la fois rémunérateurs –grâce à la vente d’espaces publicitaires- et pouvant servir de plateforme de promotion bon marché auprès d’un public idéalement qualifié. Certaines majors ont donc mis à disposition sur ces sites une partie de leurs catalogues musicaux en l’échange du partage des recettes publicitaires : citons l’exemple de Warner Music Group qui met en écoute gratuite l’ensemble de son catalogue sur les sites deezer.com et radioblogclub.com. 7
  8. A la même période, des partenariats similaires se développent entre les majors du disque et des fournisseurs d’accès à Internet (les F.A.I). Remarquons l’accord entre Universal Music Group et Neuf Telecom qui autorise un accès illimité au catalogue de la major pour toute souscription à un abonnement chez l’industriel et sans surcoût. En plus de satisfaire l’auditeur, la musique sert aussi de produit d’appel dont le but est d’attirer le maximum de consommateurs vers les offres de Neuf Telecom. Des partenariats analogues permettant une écoute sélective et gratuite de la musique ont été réalisés entre Alice et EMI, Orange et Sony BMG. Il aura été dur pour quot;les majors du disquequot; d’accepter de vendre moins de disques au profit d’un partage d’exploitation de leurs catalogues avec de nouveaux intermédiaires. C’est aujourd’hui un fait avéré : l’univers de la musique en ligne force les maisons de disques à restructurer leurs activités et à ne plus considérer plus la gratuité de la musique comme une hérésie. En 2008, la gratuité de l’accès à la musique fait donc entièrement partie de la vie du consommateur, que ce soit sous la forme des offres commerciales vues précédemment, mais aussi au travers de l’écoute des blogs musicaux, du téléchargement illégal sur les réseaux Peer2Peer, des réseaux sociaux de type myspace, des consultations de quot;playlists tendancesquot; du type Lastfm.com ou encore sous la forme d’expérience particulière à l’initiative des artistes. Il paraît cependant précipité d’affirmer que la gratuité de la musique soit devenue un consensus établi auprès de l’ensemble des parties prenantes du secteur de la musique. En effet, les avis des experts entrent en contradiction quant à l’impact de la gratuité sur la valeur de la musique. Lorsque l’économiste Jacques Attali défend l’idée que quot;la musique doit par nature devenir gratuitequot;1, le dirigeant d’entreprises culturelles Denis Olivennes y prédit lui quot;la mort de la diversité culturelle et de la créationquot;2. La technologie grand public actuelle permet de dupliquer la musique à l’infini et sans altération de sa qualité. Or pour le champ économique, quot;ce qui est indéfiniment reproductible à bas prix ne vaut plus rienquot;3 . En effet, la consommation d’un fichier numérique par un consommateur ne s’oppose nullement à la consommation de sa copie par quelqu’un d’autre. Comme le théorisent les économistes, les biens numérisées dupliqués quot;constituent des biens collectifs, et il convient de fixer le prix unitaire au niveau du coût marginal qui est nulquot;4. Amputer la musique de son coût d’achat la dévalorise économiquement puisque son coût d’acquisition disparaît. Mais en devient-elle pour autant accessible à tous ? L’accès et l’écoute de la musique ont eux toujours un coût (le forfait Internet, l’achat d’un ordinateur ou d’un lecteur mp3). La gratuité de la musique n’est donc pas totale même si, comme le souligne Jeremy Rifkin, quot;la volatilité et le rythme effréné de la nouvelle économie rendent parfaitement 1 Jacques Attali, Discours d’ouverture au Midem Net, Cannes, 2006. 2 Denis Olivennes, La gratuité, c'est le vol : Quand le piratage tue la culture, Grasset, 2007, p 102-103 3 Alain Finkielkraut et Paul Soriano, Internet l’inquiétante extase, Mille et Une Nuit, 2001. 4 François Moreau, Marc Bourreau et Michel Gensollen, Quel avenir pour la distribution des biens collectifs ?, www.internetactu.net, 2006. 8
  9. désuète et inadéquate la possession de biensquot;5. La valeur économique de la musique résiderait donc plus dans l’accès à son écoute et des expériences innovantes liées à l’artiste que dans le fait de la posséder. Dans ce cas-là, la gratuité de la musique témoigne-elle, comme l’avance le même auteur, quot;d’un passage de l’âge de la propriété comme grand concept orienteur de l’économie et de la société, à l’âge de l’accèsquot; 6 ? La valeur que l’on accorde à la musique provient également de la qualité artistique qu’on lui reconnaît. Tout auditeur est capable de juger de la vertu du travail de l’artiste, de la qualité de la production sonore ou de l’originalité du style musical. Mais obtenir une musique gratuitement, sans quot;récompenserquot; le talent de l’artiste entraîne-t-il une dévalorisation de sa musique ? Comment une offre de téléchargement légal parvient-elle alors à valoriser la gratuité ? Le questionnement central de notre travail de recherche réside donc dans la valeur communicationnelle que l’on peut reconnaître à la gratuité et dans les leviers mis en place pour la valoriser. Le 10 octobre 2007, le groupe de rock anglais Radiohead a organisé le lancement de son nouvel album quot;Inrainbowsquot; en exclusivité sur le site éponyme : www.inrainbows.com. L’originalité supplémentaire de ce lancement d’album a été de laisser les internautes fixer eux-mêmes le prix d’achat de l’album. Aucun résultat officiel n’est encore connu mais le cabinet d’études Comscore annonce que 2/3 des personnes ayant téléchargé l’album ont choisi de ne rien débourser. 800 000 albums auraient été téléchargés gratuitement et en toute légalité. Quel que soit l’exactitude des résultats, cette démarche anti-commerciale semble surprenante de la part d’un groupe habitué à vendre, en temps normal, plusieurs centaines de milliers de disques à travers le monde. Radiohead a-t-il pris le risque inconsidéré de ne pas gagner d’argent sur la vente de son nouvel album et de voir sa propre musique dévalorisée par cette offre que l’on peut qualifier de quot;donquot; ? En première lecture, cette initiative peut paraître dénuée de sens tant l’état morose du marché du disque et la nécessité de trouver de nouvelles sources de revenus sont pressantes. Face au téléchargement illégal généralisé, ce geste n’était-il que symbolique au point de préférer donner sa musique plutôt que de se la faire voler ? Ou au contraire était-ce un quot;levier communicationnelquot; s’inscrivant dans stratégie marketing de lancement d’album ? Dans le but de tirer les enseignements pertinents de cette démarche inédite dans l’univers de la distribution musicale, il convient d’analyser les valeurs de la gratuité et ses différentes représentations à partir d’une étude du site www.inrainbows.com et des retombées presse de l’opération. Nous reviendrons sur l’orchestration du lancement de l’album, le récit du dispositif de communication mis en place et nous insisterons sur la relation spécifique qui unit le groupe à ses fans. Plus précisément, nous verrons dans quelles mesures la gratuité a été la clef de voûte d’une stratégie de communication. Enfin, mettre en perspective le désintérêt marchand démontré par Radiohead (et visiblement prisé des 5 Jeremy Rifkin, L'âge de l'accès : la vérité sur la nouvelle économie, La Découverte, 2000, p 11. 6 Idem 9
  10. fans) nous permettra de déterminer l’enjeu de la gratuité au sein des échanges marchands et sur la scène publique. Car si, par définition, toute offre marchande doit générer des profits, dans ce cas précis la gratuité devient source d’enjeux contradictoires. Problématique La gratuité peut-elle être un argument de vente ? L’utilisation de la gratuité dans une offre de téléchargement légal de musique nous conduit à nous interroger sur sa valeur communicationnelle et sa valorisation. Hypothèses Afin de répondre à cette problématique, nous avons forgé deux hypothèses de travail. Cette démarche nous permettra de tirer des enseignements sur les questionnements soulevés par la problématique énoncée. H1 : L’affichage de la gratuité stimule la notoriété H2 : La gratuité véhicule une image anti-marketing L’intérêt d’étudier les valeurs et la valorisation de la gratuité se situe dans les controverses qu’elle suscite aujourd’hui au sein du débat public. Tantôt désignée comme complice de la « piraterie », tantôt reconnue moteur d’un progrès social et technologique, son jugement est toujours en attente. Il était donc perspicace de fonder un travail de recherche sur une notion contradictoire. L’autre intérêt de cette étude réside dans l’ambiguïté des valeurs que véhicule la gratuité. Si le dictionnaire des synonymes nous indique comme équivalent de la gratuité : rien, valeur nulle, désintéressé…il devient alors pertinent de s’interroger les leviers communicationnels mis en place pour valoriser la gratuité dans une stratégie marketing, ainsi que l’influence qu’elle peut avoir sur celui qui la quot;maniequot;. Enfin, situer cette problématique dans la sphère de la musique vise à appréhender l’influence des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) dans l’accès à l’art et à s’interroger sur l’évolution des modes de consommation. Méthodologie À l’heure où les principaux acteurs du disque citent quot;la reconnaissance du travail de l’artistequot; comme justification de la monétisation de sa musique, Radiohead a choisi de sortir son nouvel album en laissant au consommateur la liberté de fixer son prix d’achat. Quelle logique communicationnelle a conduit cette initiative anti-commerciale ? Par sa singularité et la polémique qu’il a suscité, Inrainbows.com s’est donc imposé comme choix de corpus afin d’étudier les valeurs de la gratuité et ses représentations dans l’univers musical. 10
  11. Tout d’abord, nous procéderons à une analyse sémiologique du site Inrainbows.com. Ceci nous permettra, à partir d’une analyse du système des signes constitué par ce site, de décoder la stratégie de communication mise en œuvre autour de la gratuité et de valider ou invalider l’hypothèse de l’affichage de la gratuité comme producteur de notoriété. Ensuite, grâce à une analyse du contenu des retombées presses sur une période de 3 mois à compter du lancement d’Inrainbows, nous mesurerons l’impact de cet événement sur l’image de marque de Radiohead. Si Inrainbows a fait couler beaucoup d’encre (et de pixels) son relais médiatique a largement dépassé la sphère artistique. Nous avons donc construit un corpus d’étude constitué de 10 articles parus dans les supports de presse généraliste suivants : Le Monde, Le Figaro, Libération et Les Echos. Le parti pris de restreindre le champ de l’analyse à la presse généraliste vise à démontrer en quoi le très médiatique Inrainbows a été, plus qu’un évènement musical, un véritable fait d’actualité du fait de sa distribution gratuite. Nous tenterons ainsi de mettre en valeur les différentes représentations de la gratuité dans notre société. L’autre intérêt réside le constat d’évolution de l’image de marque de Radiohead vers une image de leader culturel prenant le contre-pied des règles du marketing pour mieux répondre aux attentes des consommateurs. Nous tenterons ainsi de valider ou invalider l’hypothèse du caractère anti-marketing de la gratuité. 11
  12. CHAPITRE 1 L’affichage de la gratuité stimule la notoriété Pour mieux aborder la problématique de notre recherche, à savoir la valeur communicationnelle de la gratuité, il est nécessaire de préciser le contexte situationnel qui a entouré le lancement du site Inrainbows.com. Un détour analytique sur la stratégie de communication opérée en amont du lancement de inrainbows.com se révèle donc nécessaire. Dans un premier temps, nous pourrons constater que Radiohead a toujours accompagné la sortie de chacun de ses albums d’une innovation artistique en rupture avec l’album précédent. Aussi, nous comprendrons de quelle manière le groupe a lui-même nourri la rumeur de la sortie de son nouvel album et entretenu une forte attente de la part de son public. Enfin, nous tenterons de mettre en évidence l’incidence communicationnelle de la gratuité dans la stratégie marketing de Radiohead. En outre, l’objectif de cette première partie restera de déterminer si l’affichage de la gratuité représente un levier de communication performant et riche en représentations. Nous reviendrons sur le récit du dispositif de promotion de l’album à travers une analyse sémiotique du site. Cette démarche analytique consistera à mettre en exergue les contrats de communication induits par la gratuité à partir d’une lecture interprétative du langage communicationnel développé sur le site. Cette interprétation des partis pris graphiques et du quot;parcours utilisateurquot;7 se réalisera selon une rigueur et une objectivité nécessaire à un discours scientifique. Notre volonté sera de se laisser guider par ce que Laurence Bardin désigne comme quot;une attirance vers le caché, le non-apparentquot;8. Nous insisterons sur le rôle unifiant joué par la gratuité dans l’interaction entre Radiohead et l’utilisateur à travers l’expérience inédite du téléchargement de l’album. Pour conclure, nous nous attacherons à définir les champs marketing pour lesquels la gratuité a été une source de valeur communicationnelle. Dès lors, nous pourrons statuer sur l’enjeu promotionnel de la gratuité à travers les valeurs qu’elle véhicule. 7 Le terme Parcours Utilisateur désigne la succession d'écrans chronologiques que va rencontrer un internaute depuis l’arrivée sur un site jusqu’à son départ. 8 Laurence Bardin, l’analyse de contenu, PUF, 2003, p 10. 12
  13. A – Le contexte du lancement a – L’innovation permanente : règle de conduite de Radiohead Radiohead a débuté sa carrière sur la scène internationale en 1997. Son premier album OK Computer est immédiatement acclamé par le public. La critique est unanime : Les Inrockuptibles, Rock&Folk, et LeMonde le consacrent tous les trois : meilleur album, meilleur groupe, meilleur concert et meilleur chanteur de l’année 1997. A sa sortie cet album bouleverse littéralement l’écoute du rock à tel point que le très pointu et populaire magazine Les Inrockuptibles le qualifie immédiatement d’album quot; déjà classique des années 90.quot; 9 Dès lors, Radiohead n’aura de cesse de surprendre son public, capable de proposer un album aux instrumentalisations douces et acoustiques (sortie de Kid A en 2000) puis d’enchaîner sur un album aux sonorités électroniques et expérimentales radicalement opposées (sortie d’Amnesiac en 2001). A chaque sortie de nouvel album, la démarche artistique du groupe semble suivre une dialectique de rupture et d’innovation. Ce parti pris artistique surprenant et toujours risqué aux yeux du public peut traduire une volonté de revendiquer un statut d’artiste authentique dont la raison d’être se situe entre la prise de risque et l’innovation créative. Avant la sortie de l’album Inrainbows, il n’aura donc pas échappé aux fans que leur groupe fétiche allait réapparaître après 3 ans de silence là où personne ne les attendait. Peu d’indices présageaient que cela se produirait en exclusivité sur Internet et sous la forme de la gratuité. b – Un buzz orchestré en amont de la sortie Radiohead commença à communiquer sur son nouvel album dès l’été 2005. Par l’intermédiaire du blog www.deadairspace.com10, le groupe publiait de nouveaux textes puis de nouveaux thèmes musicaux sans jamais proposer l’écoute des chansons finies. Tom Yorke, chanteur et leader charismatique de Radiohead, livrait régulièrement sur ce même site ses états d’âme d’artistes et ses difficultés à avancer dans la réalisation d’un nouvel album. Il accompagnait ses confidences de photos exclusives du groupe en pleine séance d’enregistrement. Cette façon de ne jamais couper le lien avec ses fans et d’alimenter leurs attentes en contenus exclusifs eut aussi pour effet de les tenir en haleine. En adoptant une posture de proximité, les internautes purent suivre la progression de la création du nouvel album et avoir le sentiment privilégié d’y participer en jouant un rôle. 9 Christophe Conte, Les Inrockuptibles, 11 juin 1997. 10 Deadairspace.com est un blog géré par Radiohead. C’est le groupe lui-même qui l’alimente en contenus. Cela permet à Radiohead non seulement d’entretenir une relation originale et privilégiée avec ses fans, mais aussi de garder le contrôle sur l’information relative à Radiohead qui va circuler sur le net. 13
  14. Cette relation exclusive avec le groupe fut renforcée par la communication exclusive liée au média Internet puisque aucune publicité ne mentionnant la sortie de l’album ni aucun interview sur des médias dits de masse tels que la télévision et la presse ne furent accordées par le groupe. Le jour de la sortie de l’album, on peut donc imaginer l’impatience d’une audience rendue captive après deux années de divulgations d’informations exclusives sur le groupe. Comme en témoigne ce graphique extrait du site www.blogpulse.com11, un effet de buzz gigantesque accompagne la sortie de l’album. Le 1er octobre 2007, jour où le groupe annonce la sortie imminente de son album, on constate un premier pic de conversations lié au mot-clé Radiohead dans la blogosphère. Puis le 10 octobre 2007, jour de la sortie exclusive d’In Rainbows sur Internet, ce pic de conversations atteint un sommet. Comme nous le démontre le graphique ci-dessus, nous constatons un effet dit de buzz : c'est-à-dire la forte propagation d’un message (publicitaire) entre les consommateurs qui en deviennent de fait les vecteurs. Ce pic témoigne de l’intérêt porté envers Radiohead dans les discussions sur Internet. En comparaison, ce pic dépasse le niveau des conversations ayant comme sujet l’actualité de Britney Spears (ligne jaune), l’une des stars planétaires les plus médiatiques. La notoriété de Radiohead s’envole. Enfin vers le 22 octobre 2007, le buzz retombe. Mais la moyenne des conversations liées à Radiohead sur la blogosphère reste régulière et nettement supérieure à la période précédant la sortie de l’album. En centralisant sa communication sur Internet, et à moindre coût en comparaison du prix des espaces publicitaires sur les médias de masse, Radiohead a réussi à provoquer un véritable quot;coup de pubquot; autour de la sortie à prix libre de son album. Ce développement de leur notoriété témoigne donc d’une efficacité certaine de la gratuité entant que levier communicationnel. 11 Blogpulse est un outil d’étude qui se définit lui-même comme quot;une fenêtre ouverte sur la blogosphèrequot;. A partir de l’indexation de plusieurs milliers de blogs, il est effectuer des classements des sujets les plus abordées chaque jour dans la blogosphère. 14
  15. c – Une initiative inattendue dans un contexte hostile Afin d’analyser au mieux les différentes notions mises en perspective par l’analyse sémiotique du site, il est essentiel de décrire le contexte particulier dans lequel se sont orchestrés les échanges communicationnels entre Radiohead et les internautes. En effet, des variables extérieures à l’évènement (variables d’ordres psychologiques, sociologiques, politiques, culturelles…) peuvent influencer l’interprétation de l’évènement. Nous avons donc cherché à mettre en évidence les quot;contrats de communicationquot; mis en place entre la plate-forme de téléchargement et les internautes en insistant sur le cadre singulier de la médiation tel que Daniel Bougnoux le préconise : quot;déchiffrer un message, ou comprendre un comportement, présuppose que l’on sache dans quel cadre entre celui-ci, c'est-à- dire dans quel type de relation il s’inscrit.quot; 12 Le jour de sa mise en ligne Inrainbows.com a provoqué un tel choc émotionnel dans le milieu industriel du disque au point que Guy Hands, PDG d’EMI (l’ancienne maison de disque de Radiohead) reconnaisse le mois suivant que quot;plutôt qu’adopter la numérisation l’industrie du disque s’est mise la tête dans le sable. Les actions de Radiohead constituent un avertissement auquel nous devrions répondre avec énergie et créativité.quot; 13 Au regard de l’image anticonformiste que véhicule Radiohead, une relecture en surface de l’évènement nous inciterait à considérer la démarche du groupe comme commercialement désintéressée et provocateur envers les maisons de disques. Remémorons-nous le récit de ce quot;coup de théâtrequot; : le 10 octobre 2007, la crise du disque semble irréversible, les ventes ont été divisées par deux en cinq ans. Une pratique est systématiquement montrée du doigt : le téléchargement illégal sur Internet. Dans l’inconscient collectif, la notion de gratuité est forcément liée au téléchargement illégal car il s’effectue sans payer les fichiers musicaux téléchargés. La gratuité et le téléchargement sur Internet attisent les débats politiques et économiques au point que Denis Olivennes, médiatique patron de la Fnac, donne pour titre à son essai sur la marchandisation et l’accès à la culture :quot;La gratuité c’est le vol 14quot; : l’amalgame avec l’effondrement du marché disque, et plus globalement le marché des biens culturels, est largement développé dans cet ouvrage. Si, pour une minorité de personnes, la gratuité représente un progrès social permettant le partage et le libre accès à la connaissance, elle reste pour la majorité une source de dévalorisation économique et morale. Dans un discours portant sur les actions à mener par le gouvernement pour lutter contre le piratage sur Internet, Nicolas Sarkozy semble voir dans la gratuité la représentation d’idéaux libertaires utopiques et condamnables : quot;Le clonage et la dissémination de fichiers à l’infini ont entraîné depuis 5 ans la ruine progressive de l’économie musicale (…) en donnant cette impression 12 Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, 2001, p 18 13 Opération réussie pour Radiohead, Le Figaro, 08/11/2007. 14 Denis Olivennes, La gratuité c’est du vol, Grasset, 2007. 15
  16. fausse que tout se vaut, que tout est gratuit15quot;. Le 10 octobre 2007, toute initiative offrant un téléchargement gratuit paraît donc forcément suspicieuse. Sans juger ici de la moralité de l’action menée par le groupe, il est indéniable que la valeur de gratuité donnée à l’album aura suscité une polémique à sa sortie entraînant le groupe dans une dynamique de notoriété. Cette éclaircie contextuelle nous a permis de souligner le caractère quot;subversifquot; du cadre de communication dans lequel s’inscrit inrainbows.com et de qualifier la démarche promotionnelle du 16 groupe d’hors norme. quot;La langue n’existe pas en dehors du fait social quot; nous précise Ferdinand de Saussure : le dialogue est ouvert ! B – Afficher la gratuité et l’amplifier a – La démarche sémiotique, ou que communiquent les signes ? Notre démarche sémiotique consiste en un travail de définition du langage visuel du site et d’identification de la grammaire générale de l’image. Elle vise à analyser la vie des signes et d’en donner une interprétation au sein du site Inrainbows.com. Notre approche se focalise donc sur le système de signes constitué par ce site. La notion de signe est prise dans l’appréciation de la définition donnée par Charles Sander Pierce : le signe est un processus dynamique qui produit une présence à l’esprit et déclenche la cognition. Il se définit ainsi comme quot;l’association conventionnelle et solidaire d’une image conceptuelle appelée signifié représentant l’archétype sémantique dont émanent des sens particuliers et d’une image acoustique appelé signifiant représentant sa forme idéale et théoriquequot;17.Nous considérons donc chaque signe présent sur inrainbows.com entant qu’unité expressive formée d’une face matérielle et perçue : le signifiant renvoyant à un concept : le signifié. Ce cheminement intellectuel permet de guider notre réflexion et de mieux appréhender l’existence du site inrainbows.com Pour résumer, cette approche sémiotique nous aidera à démontrer en quoi inrainbows.com est un outil de communication pour le groupe. Nous démontrerons en quoi son image et ses représentations répondent à un véritable choix qui met en jeu des convictions artistiques mais aussi politiques. Sur la plateforme de téléchargement Inrainbows.com, nous considérons l’ensemble des signes exprimés non seulement comme l’expression d’un système de communication mais aussi comme les déterminants d’une relation singulière entre un émetteur et des récepteurs. Nous nous sommes arrêtés sur le contexte discursif des objets médiatiques au travers d’une part l’interprétation de son aspect général (couleurs et parti pris graphique) et d’autre part à travers 15 Nicolas Sarkozy. Préambule au rendu du rapport Olivennes. 26 novembre 2007 16 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, éd. Payot, 1913. 17 Jacques Lerot, Précis de linguistique générale, Collection « Propositions »,1993 16
  17. l’analyse de l’expérience utilisateur proposé. Cette approche a pour intérêt de prendre en compte le relief de la communication, l’implication du récepteur (ici l’internaute) et le contexte de l’énonciation. Les questions centrales de l’analyse, eu égard à l’idéal d’accessibilité et de partage de la gratuité, sont les suivantes : Qui parle ? Quel est le message ? A qui s’adresse-t-il ? De quelle façon ? Dans quels buts ? Avec quels résultats ? N’ayant pas de point de comparaison avec des sites équivalents puisque la démarche de Radiohead est une première, nous avons pris l’initiative de confronter la structure et l’interface graphique de inrainbows.com à celle d’une plateforme de téléchargement légal www.fnacmusic.com, et à celle d’une plateforme de téléchargement illégale : www.limewire.com. Cette idée s’est imposée en constatant, au fur et à mesure de notre travail de recherche, que Radiohead reprenait sur son site certains codes propres au téléchargement illégal, voir à la piraterie informatique, tout en restant dans un cadre juridique légal. Cette comparaison nous permet avec plus de certitudes de définir en quoi la gratuité se conforme ou non à un enjeu promotionnel. b – Donner un visage à la gratuité Inrainbows.com permet le téléchargement gratuit d’une production musicale qui est, de fait, le résultat d’un travail de réflexion artistique. Nous pouvons donc affirmer avec certitude que la création du site a elle aussi été guidée par une réflexion stratégique. L’enjeu aura été d’offrir un habillage à la gratuité et de proposer une expérience particulière à l’utilisateur en le motivant à télécharger l’album. Débutons à présent l’analyse sémiotique : 1 – Un parcours utilisateur optimisé Au-delà du cheminement classique d’un parcours utilisateur qui balise la navigation de l’internaute à travers son site favori, nous constatons qu' inrainbows.com est structuré tel un tunnel de conversion basique et efficace. Dans le jargon de l’e-commerce, on entend par conversion le fait de convertir un internaute en client, c'est-à-dire de le faire passer à l’acte d’achat sur le site. Sur inrainbows.com, un seul cheminement est possible tout au long du site : celui qui mène au téléchargement de l’album (payant ou non). L’internaute arrive en home page du site. Il clique sur un imposant bouton quot;ENTERquot; puis atterrit sur la page d’accueil qui annonce la disponibilité exclusive du nouvel album de Radiohead. Il est ensuite demandé à l’internaute de fixer son prix d’achat (quot;It’s up to youquot; lui indique le site). Même au moment de la prise de coordonnées, l’internaute reste immergé dans l’univers du site : il n’est pas sollicité par l’ouverture d’une pop up externe au site dans laquelle il remplirait des champs de saisies. Son 17
  18. attention n’est donc jamais relâchée. Une fois les coordonnées confirmées par l’internaute, le téléchargement de l’album démarre automatiquement. Chaque action effectuée sur le site mène à un seul et unique but : la conversion du prospect en client : c’est la logique d’un tunnel de conversion efficace. Par cet aspect, ce site d’apparence anti- marchande utilise les règles d’efficacité de l’e-commerce. Cela démontre clairement que la gratuité possède un potentiel incitatif et directif qui participe à la constitution de sa valeur Pourtant, à l’inverse des sites e-commerce qui mettent en exergue un produit puis incitent à son achat, Inrainbows.com ne propose pas l’écoute du disque avant son téléchargement. Il paraît impensable de la part d’un groupe de la notoriété de Radiohead de proposer un album gratuit qui soit de piètre qualité. Ce site peut donc être interprété comme une expression artistique visuelle de l’album à laquelle il est demandé à l’internaute d’adhérer ou non. En ce sens Radiohead semble capitaliser sur le sentiment de confiance qui le lie à l’internaute et l’orientera vers l’adhésion au concept. La valeur de la gratuité de l’album semble résider dans la relation de confiance engagée avec l’internaute plus que dans sa valeur marchande. Par bien des similitudes avec la cérémonie culturelle ancestrale du Potlatch18 décrite par Marcel Mauss dans son ouvrage ethnologique Essai sur le don, le principe du téléchargement d’In Rainbows laisse transparaître la dimension sociale du don entant que marque de reconnaissance de l’alter ego. La gratuité génère donc ici du lien social. 18 MAUSS Marcel, Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, Puf, 2007, Chap I, p 77. 18
  19. 2 - Un graphisme porteur de sens Le graphisme général du site met en scène les mouvements d’une masse protéiforme et multicolore au sein d’un espace sombre. Dès la page d’accueil, cette masse s’impose sur plus de la moitié de l’écran. L’internaute se situe littéralement au cœur d’un arc-en-ciel. Si l’on s’attache au titre de l’album InRainbows, en français : Dans l’Arc en ciel, il y a donc une vraie promesse tenue : ce site amène l’internaute au cœur de l’univers musical de Radiohead. Le premier contact expérientiel est franc et direct : sans intermédiaires interférents, les internautes sont plongés dès le premier contact au cœur du nouvel album de Radiohead. Page d’accueil du site www.rainbows.com L’autre caractéristique de cette masse de couleurs provient de sa texture pixélisée. Ce détail incarne l’aspect informatique du fichier numérisé. En effet, une image numérisée est composée de millions de petits carrés que sont les pixels, tout comme un fichier mp3 est composé de millions de petits signaux numériques. Il est donc permis à l’internaute de voir le fichier mp3 de l’album s’animer et vivre devant ses yeux. Cette expérience unique aux allures de performance artistique vidéaste, offre une plongée immédiate, et sans obstacle, au cœur de l’album de Radiohead. Néanmoins cette masse quot;couleur arc-en-cielquot; en mouvement n’offre pas de repères visuels à l’internaute. Elle est en évolution permanente et ses couleurs changent sans cesse. Elle semble presque être insaisissable comme voguant à la dérive. Au cours de cette expérience, aucun arrêt ou pause n’est permis, l’internaute ne peut pas agir directement sur la mise en scène du site. Il n’en est que le témoin. 19
  20. L’internaute fixe lui-même son prix d’achat Cette magie colorée non maîtrisée prend ici des allures de mystère, quelque chose semble échapper au contrôle de l’internaute. Ce sentiment s’accentue par l’omniprésence de couleur noire anxiogène et infinie dans laquelle évolue l’arc-en-ciel. Dans l’imaginaire collectif, l’arc-en-ciel renvoie à de nombreux mystères : il symbolise une apparition magique presque divine mais éphémère. Il est un spectacle opportun dont il faut savoir profiter. Les écrits mythologiques l’ont souvent présenté comme un chemin d’accès vers des univers fantasmagoriques ou paradisiaques. Inrainbows.com peut donc être interprété comme le chemin d’accès vers un trésor caché qui est ici une œuvre artistique : le nouvel album de Radiohead. 3 - L’Absence de son Plus surprenant encore est l’absence de source sonore sur le site. Ce site est muet, il ne chante pas, il ne s’écoute pas. Quelle part de création artistique met-il alors en scène ? L’animation graphique du site (la masse multicolore mouvante) peut-être vue comme quot;l’échographie numériquequot; de la musique : une interprétation visuelle de la musique qui évolue au rythme des morceaux qui composent l’album. Dans ce cas Radiohead donne à voir un aperçu visuel de sa nouvelle création musicale qui suscite une envie chez l’internaute d’en connaître un peu plus sur le nouvel album. Cette expression artistique vidéaste compense clairement l’absence de musique sur le site. Son but est de maintenir une présence et une intensité artistique sur le site. Mais combien de sites musicaux ne proposent pas l’écoute de musique ? Aucun si l’on considère les sites promotionnels tels que myspace.com, facebook.com, youtube.com et surtout les sites officiels des artistes pour ce qu’ils sont : c’est-à-dire des plateformes de promotion offrant une fenêtre sur l’actualité commerciales des artistes. Et pourtant inrainbows.com a décidé de couper le son ce qui rend le téléchargement par l’internaute obligatoire pour écouter l’album. 20
  21. Symboliquement, le téléchargement devient l’unique acte à accomplir pour connaître le fruit d’un travail esthétique élevé au rang de vérité artistique. Cet acte qui permet l’accès direct à la création de Radiohead est d’autant plus valorisé que le groupe ne demande pas de contrepartie financière en échange. Cette gratuité du produit magnifie l’album InRainbows en le présentant comme une œuvre artistique éternelle et accessible à tous. c – La reprise des codes amateurs du blog Sur le site, tout semble être mis en scène afin de valoriser la gratuité du coût du téléchargement en exploitant les codes, biens connus des internautes, du web 2.0 et son idéal de partage de la connaissance. Nous observons que le parti pris graphique d’inrainbows.com se rapproche plus de la page personnelle réalisée par un blogger que d’un site de marque à l’esthétique chiadée et soigneusement organisée. Il est étonnant de constater que les blogs musicaux, comme ceux développés sur www.myspace.com, présentent des interfaces graphiques assez peu évoluées et toujours sur un fond de couleur noir. On y assiste souvent à des mélanges de couleurs criardes et sans cohérence esthétique. L’intérêt est de mettre en valeur l’importance du contenu du blog (textes, musiques ou vidéos) plus que sa mise en forme. Le graphisme de inrainbows.com semble être calqué sur ce modèle. On y reconnaît presque une maladresse dans son aspect visuel qui renvoie à l’esthétisme grossier des blogs. On remarque par exemple les lettrages de couleur sur fond noir ce qui rend difficile la lecture du message délivré par ces lettres. Inrainbows.com incarne donc une naïveté dans son exécution graphique, presque un amateurisme cher à l’idéal du Web 2.0. En cela, Inrainbows montre une volonté de s’éloigner clairement des sites marchands de type Itunes.com ou fnac.com et de leurs esthétismes très travaillés pour ce rapprocher des sites amateurs et non commerciaux. L’insouciance graphique du site renvoie à un aspect proche du quot;bricolage esthético-identitairequot; des pages personnelles telles que le ressentent Laurence Allard et Frédéric Vandenberghe : quot;ces sites élaborés par de simples particuliers usagers ordinaires d’Internet autour de leurs centres d’intérêt, hobbies, passions” 19. Inrainbows.com peut donc être vu comme la page personnelle d’un groupe de musique amateur cherchant à communiquer, de façon la plus citoyenne possible, avec de nouveaux fans. Ce parti pris graphique simple et accessible installe les internautes dans une relation privilégiée de proximité avec Radiohead. 19 Laurence Allard Frédéric Vandenberghe, Express yourself! Les pages perso, CAIRN 2007 21
  22. d – Un site non conforme aux codes standard Enfin, dans une considération plus politique, deux éléments semblent traduire une volonté de situer à contre-courant des codes attendus des sites musicaux classiques. L’omniprésence de la couleur noire ne fait-elle pas sens avec les valeurs anarchiques reconnaissables dans le caractère anticonformiste de la gratuité ? En proposant l’acquisition gratuite de son album, Radiohead n’écarte-il pas toute idée de pouvoir, de hiérarchie et d’autorité que peut symboliser l’emprise des maisons de disques sur la chaîne de distribution du disque voir sur les décisions artistiques des musiciens ? Dans son interview au magazine culturel Télérama, Tom Yorke évoquait son plaisir de quot;garder le contrôlequot; sur la sortie d’In Rainbows, et aussi son soulagement quot;ne pas se 20 retrouver dans la position de l'homme-sandwich pré-vendant sa came.quot; c'est-à-dire de se voir imposer une campagne de promotion par sa maison de disque. La gratuité semble donc garantir une attitude permettant à Radiohead de garder sa liberté morale et physique. Ce sentiment d’anticonformisme est renforcé par l’absence totale de publicité sur Inrainbows. Ce manque de messages publicitaires sur un site destiné à être vu par des millions de personnes peut paraître contradictoire tant la manne financière promise peut paraître évidente. Un aller rapide sur fnacmusic.com ou virginmega.com met en évidence l’usage promotionnel de ces sites tant les photos et les messages promotionnelles sont nombreux dès la page d’accueil. Cette initiative anti-business laisse transparaître l’idée d’un désintérêt de Radiohead pour la sphère marchande et d’une volonté de satisfaction de ses fans et des amateurs de musique avant tout. Sur Inrainbows.com, Radiohead réussit donc à se mettre en scène à travers une relation de confiance et de générosité caractérisée par le don de l’album. Cette authenticité des rapports trouve une résonance dans le désintéressement lié à la notion de gratuité. C - une expérience inédite et valorisante En permettant de télécharger leur dernier album à un prix libre, voir nul, Radiohead réussit non seulement à donner un sens particulier à leur démarche mais aussi à générer du lien social autour d’une relation exclusive. a – Voler en toute légalité : une expérience inédite Comme nous l’avons déjà décrit dans le sous-chapitre C de partie 1 – une initiative inattendue dans un contexte hostile-, le téléchargement gratuit d’Inrainbows.com prend un sens hautement 20 Hugo Cassavetti, Rencontre avec Radiohead, Télérama n° 3026, mai 2008 22
  23. symbolique dans le contexte médiatique de la lutte contre le téléchargement illégal. L’internaute qui décide de télécharger l’album délivre un message de contestation quant au bien-fondé de la lutte contre ce téléchargement illégal et les pirates21. Radiohead invite donc les internautes à voler leur propre album et à les impliquer dans une démarche hors norme totalement inédite. Tom Yorke, le leader du groupe, fait écho à ce parti pris quand il décrit le rôle joué par les internautes sur son site : quot;Pour moi, (Inrainbows.com) c’était comme faire circuler une cassette ou émettre un programme pirate. On diffuse les chansons et les gens en font ce qu’ils veulent : ils les écoutent, les copient, les donnent ou les revendent.quot; 22 Cette démarche est une première dans l’histoire de la distribution commerciale de la musique. Inrainbows.com offre aux consommateurs la liberté de télécharger gratuitement un album puis de décider eux-mêmes de la valeur qu’ils vont lui donner. Le pouvoir se retrouve entre les mains du consommateur : Quel prix vaut cet album ? Vais-je l’écouter en entier ? Vais-je l’effacer de mon disque dur ou le copier sur un CD ? L’appropriation de l’album par le consommateur est donc totale. Le fan se retrouve impliquer dans un processus de co-création de valeur de l’album. Cette expérience aux allures d’avant-première représente alors une opportunité immanquable pour les fans du groupe de s’approprier l’album et de participer à une expérience impliquante dans la vie du groupe. b – une ré-intermédiation créatrice de valeurs Plus les fans auront téléchargé l’album plus le nombre de téléchargement sera signe de valorisation de Radiohead. La valeur de l’album ne dépend plus seulement du travail musical de l’artiste mais aussi de l’implication de ses fans. Les fans se retrouvent impliqués dans un processus de co-création de valeur. Radiohead place les fondements de son initiative dans la volonté de réduire l’espace qui les sépare de leurs fans. Comme le précise Tom Yorke : quot;le téléchargement permet une connexion plus directe avec les gens et d’avoir la satisfaction de finir quelque chose et de le rendre disponible dans l’instant 23quot;. En adoptant le modèle direct et gratuit du téléchargement, Radiohead supprime tout intermédiaire : journaliste, critiques, publicité, distributeurs et magasins. Ce rapprochement moral entre le groupe et ses fans installe une relation de confiance et de reconnaissance mutuelle. En effet, à travers cette ré- intermédiation Radiohead semble quot;confierquot; son disque à ses fans bien avant de le confier aux professionnels de la communication et du commerce. Les fans -ces nouveaux intermédiaires- endossent alors la responsabilité de faire vivre médiatiquement l’album en servant eux-mêmes de 21 On désigne par le terme Pirates les internautes qui téléchargent de la musique par le biais de sites illégaux et sans rétribuer financièrement les artistes. 22 quot;Radiohead, prix de l’excellencequot;, Télérama, 9 janvier 2008 23 Stéphane Davet, Radiohead s’explique sur son disque téléchargeable au prix fixé par l’acheteur, Le Monde, 19 décembre 2007 23
  24. relais médiatiques grâce au phénomène de bouche-à-oreille. Cette valorisation de l’individu entant qu’acteur reconnu et impliqué dans la promotion de l’album modifie totalement le rapport à Radiohead. Et cette reconnaissance est à double sens. En effet, nous pouvons percevoir dans cette relation singulière, la stimulation de lien social entre Radiohead et ses fans. Le don de l’album peut être considéré comme l’acte fondateur d’un lien entre Radiohead et ses fans tel que Marcel Mauss le conçoit: En effet, le don en tant qu’acte social suppose que le bonheur personnel passe par le bonheur des autres, il sous-entend les règles : donner, recevoir et rendre. 24 En théorisant cette mécanique des rapports sociaux, Marcel Mauss reconnaît dans le don les fondements d’une relation interpersonnelle. Le fan de Radiohead qui télécharge l’album accepte le don et lui reconnaît une valeur fortement symbolique en l’acceptant. Le fan entre ainsi dans une relation de dépendance vis-à-vis du donneur puisqu’il s’engage moralement à lui rendre un contre-don en échange du don accepté. Ce contre-don peut se matérialiser, dans le cas de Radiohead, par l’achat d’un disque, d’une place de concert ou des nombreux objets dérivés existants. En deux mois, les 1 300 000 internautes téléchargeurs ont donc reconnu la valeur de l’album et donner une importance particulière à la relation. Si un tiers des internautes décidèrent de payer 6 $ en 25 moyenne en contrepartie du téléchargement, deux tiers décidèrent de ne rien payer. Ces 900 000 fans non payeurs se sont donc placés en situation de redevables. Le choix d’acheter plus tard le CD Inrainbows, ou une place de concert de Radiohead, peut être aussi ressenti comme la décision de rétribuer l’artiste ou de lui montrer sa reconnaissance –Tu me donnes ta musique, je te montre ma reconnaissance en venant à ton concert-. À ce sujet, Séverine Misset nous éclaire sur certains comportements passionnels des fans de musique : quot;On peut souligner que le fait d'aller acheter le CD d'un artiste ou d'un groupe que l'on aime est perçu comme un soutien financier et une gratification, pour celui-ci. Plusieurs enquêtes ont désigné cela comme une éthique musicienne qui consiste à vouloir faire marcher le groupe ou l’artiste que l’on aime.26quot; Nul doute que le caractère novateur de l’initiative de Radiohead, située à un mi-chemin entre l’audace et la prise de risque, aura motivé les fans à gratifier leur groupe préféré pour leur créativité extra- artistique. La gratuité donne donc à la relation fan-Radiohead toute sa valeur. 24 Marcel Mauss, Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, Puf, 2007, Chap. II, p 147 25 Source Comscore, novembre 2007 26 Séverine Misset, Le téléchargement de musique par Internet : itinéraire d’une pratique sociale, Consommations et Sociétés n°4, 2004, www.consommations-societes.com 24
  25. c – une réponse aux attentes actuelles des consommateurs Au regard du changement de paradigme économique qu’entraîne aujourd’hui le développement des usages d’Internet, cette façon de se procurer un album semble être en parfaite adéquation avec les modes de consommation innovants. Dans son ouvrage Marketing 2.0, l’intelligence collective, François Laurent constate que le monde change radicalement du fait des nouveaux usages du web, le marketing doit en conséquence changer radicalement. Ici, c’est autant le produit (un nouvel album musical) que la démarche pour se le procurer (l’acte de téléchargement légal et gratuit) qui porte inrainbows.com au rang de concept innovant en résonance avec les pratiques des internautes. En englobant sous le terme d’intelligence collective les nouveaux comportements des consommateurs, François Laurent représente un marketing où l’humain gagne en influence et prime sur les structures marchandes et politiques. Il dépeint une nouvelle civilisation où les conversations entre consommateurs priment sur la communication verticale (une marque vers son public) en matière d’influence, où les consommateurs ont repris le pouvoir et discutent des produits entre eux, où ils réclament d’être associés au développement des produits. L’auteur dépeint quot;une civilisation 2.0quot; 27 mettant en scène de nouveaux comportements autour de valeurs attribuées à la Culture et de la dématérialisation des produits culturels. Le concept global de Inrainbows peut s’illustrer par une distribution en avant-première sur Internet, l’absence d’intermédiaire commercial et la gratuité de l’album. Ces trois caractéristiques ne sont-elles pas les symboles de l’avènement d’une rupture technologique assumée par les consommateurs et tant décriée par les maisons des disques ? C’est bien ce parti pris innovant qui aura été source de valeur pour Inrainbows au regard de l’opinion publique. L’investissement moral (et pas forcément financier) de chacun des internautes ayant téléchargé Inrainbows donne toute sa valeur à l’album. Chaque téléchargement de l’album représente 28 tant une preuve d’implication qu’un signe d’adhésion au concept. En ce sens, les 1 300 000 de fans ayant téléchargés l’album peuvent symboliser la reconnaissance de l’audace et du travail artistique de Radiohead, valeur absolue pour un artiste. D - La gratuité, une valeur pour émerger. À ce niveau de notre analyse, la notion non-marchande rattachée par définition à la gratuité 29 semble donc s’estomper au profit de valeurs riches en symboles et en représentations communicationnelles et même marchandes. 27 François Laurent Marketing 2.0, l’intelligence collective, M21 Editions, mai 2008 28 Source Comscore, novembre 2007 29 Def. quot;Que l’on donne sans faire payer ; dont on jouit sans payerquot; Petit Robert, éd. 2004 25
  26. a- Gratuit…pour vendre plus. 1 – La constitution et l’exploitation d’une base de données Si la gratuité n’apporte aucune contrepartie financière immédiate, elle a pourtant permis à Radiohead de profiter indirectement de la passion et de la fidélité des fans entant que valeurs exploitables. En effet, le téléchargement d’in Rainbows ne pouvait s’effectuer sans la saisie des données personnelles de l’internaute : nom, prénom, âge, sexe, adresse physique, adresse mail, pays. Cela représente autant de données, dites qualifiantes, relatives à l’internaute et permettant de construire une base de données des fans de Radiohead. Rappelons ainsi que 1 300 000 d’internautes ont téléchargés l’album. Dans un article intitulé Sur la Toile, les données personnelles valent de l’or, Laurence Girard insiste sur l’importance des constitutions des bases de données comme sources de valeurs. Qualifier les internautes permet de leur envoyer ensuite des publicités ciblées au profil exact du consommateur. Yahoo collectant chaque mois quot;110 milliards d’informationsquot; sur les internautes qui visitent l’ensemble de ses sites quot;on comprend que Microsoft soit prêt à débourser 41 milliards de dollars pour 30 s’emparer de Yahoo ! quot;. Les 1 300 000 d’opt-in31 collectés quot;gratuitementquot; représentent donc une valeur financière considérable. Cette base de données constituée, on peut imaginer tout l’intérêt pour Radiohead à alimenter ses fans en newsletter relative à l’actualité du groupe et entretenir ainsi la notoriété du groupe. 2 – L’échantillonnage d’un produit d’appel Nous remarquons une certaine montée en gamme dans la qualité des produits proposées et vendus par Radiohead. La gratuité semble être intégrée dans une véritable stratégie marketing visant à magnifier le quot;produitquot; Radiohead dont elle constituerait le produit d’appel voir même un spécimen du produit final (tel un échantillon de parfum donné gratuitement et visant à faire acheter au consommateur le flacon entier). Nous reconnaissons l’outil marketing de l’échantillonnage : faire connaître et essayer un produit aux consommateurs en en distribuant gratuitement des petites quantités. Ainsi, l’opération du téléchargement gratuit prit fin au bout de deux mois d’expérience, puis l’album In Rainbows sorti finalement en magasin au prix moyen de 14,90 euros. La semaine de sa sortie (5 janvier 2008), le CD s’est classé directement en tête des ventes en France avec 45000 32 exemplaires vendus durant le mois de janvier 2008 . Le même constat de succès commercial 30 On qualifie d’opt-in une adresse mail obtenue par le consentement de l’internaute et qui peut donc être légalement utilisée à des fins commerciales par un annonceur 31 Laurence Girard, Sur la Toile, les données personnelles valent de l’or , Le Monde, 13 mars 2008 32 Source : disqueenfrance.com, 2008 26
  27. s’observe à peu près partout dans le monde avec, par exemple, 122000 albums vendus aux Etats-Unis durant le mois de janvier 2008 33 et 46000 albums vendus en Angleterre propulsant l’album en tête des charts34. On peut donc se demander dans quelle mesure l’album téléchargeable sur inrainbows.com n’était-il pas un objet promotionnel plutôt qu’un véritable produit de consommation. Et comme si l’initiative de Radiohead avait valeur de modèle dans l’industrie du disque, Ludovic Leu, président de Music Me, troisième plateforme de vente de musique en ligne, place aujourd’hui quot;la découverte gratuite et la consommation payante35quot; comme business modèle de son entreprise. 3 – Des produits dérivés survalorisés En observant également les différents produits mis en vente par Radiohead, nous remarquons les caractéristiques spécifiques d’une stratégie commerciale dite d’up-selling. Cette technique de vente permet au vendeur d'amener le consommateur vers l'achat d'un produit plus cher ou non prévu. En effet, le site inrainbows.com proposait, en plus du téléchargement gratuit de l’album, l’achat d’un produit exclusif : la Disc Box. Ce produit soigneusement packagé contenait des photos exclusives du groupe, la version double CD de l’album agrémenté de 8 titres musicaux supplémentaires, ainsi qu’une version de l’album en format vinyle. Présenté tel un objet collector, c’est-à-dire produit dans une quantité limitée et achetable uniquement sur le site inrainbows.com, ce produit unique était payable immédiatement mais livrable à une date postérieure. L’attente et l’envoi du produit prenaient donc eux aussi un caractère événementiel comme pour cultiver un esprit d’exclusivité du produit à forte valeur ajoutée. On peut imaginer la tentation pour le fan de Radiohead ou les collectionneurs de disques d’acheter un produit aussi rare et exceptionnel. Disc Box vendue 40 livres (soit 60 euros) sur inrainbows.com 33 Source : Nielsen Soundscan, 2008 34 Idem 35 Philippe Astor, quot;Musique cherche à articuler découverte gratuite et consommation payantequot;, Musique Info Hebdo, mai 2008 27
  28. Un débat portant sur la qualité sonore du fichier téléchargé sur inrainbows.com anima ainsi les discussions sur la toile et les articles dans la presse écrite. En effet, il est connu des spécialistes de musique numérisée (et de certains mélomanes) que les fichiers mp3 sont encodés à une qualité sonore de 128 kbit/s alors que les CD le sont généralement à 192 kbit/s36. Cette baisse de qualité d’encodage entraîne une baisse de poids du fichier et donc une meilleure maniabilité du fichier : son format devient optimisés pour le téléchargement et l’échange sur Internet sous une connexion haut débit. Mais pour certains, cette baisse de la qualité d’écoute est donc la contrepartie du téléchargement gratuit. Ce débat sur la moindre qualité de la version téléchargeable et gratuite d’In Rainbows eut pour effet de valoriser la possession de la fameuse Disc Box contenant le CD et le disque vinyle, produit d’écoute le plus quot;noblequot;. Tom Yorke déclarait lui-même lors d’un entretien au journal Le Monde le 19 décembre 2007, soit 12 jours avant la sortie en magasin de la version CD d’In Rainbows, quot;le mp3 est évidemment inférieur à la qualité d’un CD.37quot; La gratuité de l’album a donc ici un double effet : elle vulgarise le produit téléchargeable et elle valorise la Disc Box et le CD au rang d’objet d’écoute authentique. Le coût d’achat de la Disc Box étant de 60 euros, la gratuité valorise donc ici le payant. À l’heure de la mondialisation de l’usage d’Internet et de la rupture numérique, il peut paraître paradoxal de valoriser le support disque plutôt que le fichier mp3. Mais cette distinction qualitative entre le fichier mp3 et le disque peut aussi être interprétée comme une invitation à réfléchir sur la valeur que l’on porte à la musique à une époque où sa consommation n’a jamais été aussi forte : l’institut d’étude GfK Group estime à 1 milliard le nombre de fichiers musicaux téléchargés illégalement en France en 2006. Le gratuit possède donc la faculté d’amener le consommateur à réfléchir sur sa façon de consommer : en proposant à l’internaute de payer ce qu’il veut pour acquérir l’album, le site tend à faire réfléchir le consommateur sur la valeur qu’il donne à la musique. 4 – la gratuité, point de départ d’une opération promotionnelle gagnante En élargissant notre champ de vision marketing de cette opération, le lancement du site inrainbows.com semble marquer le début d’une campagne promotionnelle mondiale avec comme évènements majeurs : 1. Le 10 octobre 2007 : lancement du site inrainbows.com 2. Le 10 décembre 2007 : fin de l’opération inrainbows.com 35 Le kilobit par seconde (symbole : kbit/s) est une unité permettant de mesurer un débit binaire (ou vitesse de transfert de données). De ce débit binaire dépend la qualité auditive du fichier. 37 Stéphane Davet, Radiohead s’explique sur son disque téléchargeable au prix fixe par l’acheteur, Le Monde, 19/12/2007 28
  29. 3. Le 31 décembre 2007 : concert gratuit de Radiohead en direct sur le site www.current.tv, site du très médiatique Al Gore 4. Le 1er janvier 2008 : sortie mondiale de In Rainbows en CD 5. Le 5 mai 2008 : premier concert de Radiohead en Floride marquant le début d’une tournée mondiale de 48 concerts. Signalons que la totalité des places des 4 concerts de Radiohead en France (à Paris et à Nîmes) a été vendue en une matinée. Pour une moyenne de 55 euros la place38 et un nombre total de billets estimés à 6000039 le produit Radiohead aurait donc généré un chiffe d’affaire français d’environ 3 300 000 euros en une matinée. La gratuité de l’album a été la base d’une chaîne de valeurs croissantes et aura participé à la stimulation considérable de la notoriété du groupe. Les effets se mesurent encore aujourd’hui : leurs places de concerts ainsi que la Disc Box se vendent le double de leurs prix d’origine sur les sites d’enchères: Disc Box vendue 130 euros (prix d’origine 60 euros), priceminister.com, 20 mai 2008 2 places de concerts vendues 201 euros (prix d’origine 100 euros), ebay.fr, 20 mai 2008 38 Source : Fnac.com 39 Source : arenes-de-nimes.com et bercy.com 29
  30. b – Répondre aux nouveaux modes de consommation 1 – Nouveaux usages et multiplication de l’offre La consommation des médias est aujourd’hui en pleine évolution. Alors que l’audience télévisuelle à tendance à stagner, l’audience d’Internet est en progression constante. Ces 2 graphiques extraits du site www.internetworldstats.com démontrent l’étendue mondiale de cette tendance. L’usage d’Internet est majoritaire parmi la population dans 3 régions mondiales sur 7, et les 4 régions minoritaires possèdent les 4 plus forts taux de croissance (jusqu’à + 1177 % pour le Moyen-Orient entre 2000 et 2008) : www.internetworldstats.com, mai 2008. L’essor actuel de la fréquentation d’Internet mais aussi des réseaux dits de sociabilisation (de types skyblog.fr, facebook.com ou myspace.com) témoignent d’une évolution profonde des modes de consommation. Selon une étude conduite par le groupe de communication Universal McCann, 33 % des internautes français entre 16 et 54 ans appartiennent à un réseau social40. Toujours selon la même étude, la Musique est le loisir le plus populaire auprès des internautes qui lui consacrent 33 % de leurs recherches, avant les sites d’informations (29,1%), les sites de comparateur de prix (26,9%) et les sites relatifs à la vidéo (26,4%). En surfant sur Internet, le fan de musique est de plus en plus soumis à une abondance de messages publicitaires mais aussi de productions de musicales. Le nombre croissant de musique disponible sur ces réseaux d’écoute force inévitablement les artistes à se devoir se distinguer les uns des autres s’ils veulent émerger de cette cacophonie. 40 Next Things Now – Waves 3, Universal McCann, Mars 2008 30
  31. 2 – La gratuité pour attirer et retenir l’attention L’économiste américain Jeremy Rifkin se prononce sur un changement actuel de paradigme : quot;C'est la capacité d'attention des consommateurs plutôt que les matières premières qui devient une ressource rare. Les stratèges du marketing auront de plus en plus recours à la distribution gratuite de 41 produits pour capter cette attention. quot;. L’initiative de Radiohead semble s’inscrire dans une perspective de mutation des enjeux économiques liés aux nouveaux modes de consommations des individus : parce que l’attention des consommateurs devient difficile à capter pour une marque, le parti pris surprenant de la distribution gratuite de l’album aura permis à Radiohead d’émerger face aux autres artistes et d’augmenter la présence à l’esprit du groupe chez les consommateurs, c'est-à-dire stimuler sa notoriété. Au-delà de la notoriété du groupe, nous distinguons cinq autres quot;bénéfices consommateursquot; que nous pensons directement liés à la valeur communicationnelle de la gratuité : Le privilège de l’avant-première : obtenir l’album In Rainbows trois mois avant sa sortie mondiale en CD, seulement 10 jours après le mastering42 par l’artiste, en 90 secondes (temps moyen pour télécharger les 45 mégaoctets que pèsent l’album In Rainbows grâce à une connexion haut débit) et sans se déplacer en magasin. La curiosité de l’interprétation : A la vue des excellents chiffres des ventes des places de concert de la tournée mondiale de Radiohead, la gratuité semble avoir motivé le public à découvrir l’artiste sur scène. L’implication de la personnalisation : bien que les 1 300 000 fichiers musicaux téléchargés sur Inrainbows.com soient strictement le même fichier, chacun de ces téléchargements a été personnalisé par chaque internaute en inscrivant ses données. Cette signature peut symboliser un acte d’implication de l’internaute au côté du groupe et contribuer ainsi à la valorisation de l’album. La valeur d’authenticité : Le téléchargement gratuit d’In Rainbows provient du site officiel du groupe. Ceci représente un gage d’authenticité au regard de tous les autres fichiers mp3 de Radiohead qui s’échangent anonymement sur les plateformes Peer2Peer avec les risques de mauvaise qualité, d’erreurs de titres, de contamination par virus. 41 Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès, La Découverte, 2000. 42 Le mastering désigne les derniers traitements audio appliqués à un morceau de musique avant sa commercialisation. 31
  32. La récompense du mécénat : bien que distribué gratuitement, 400 000 internautes ont décidé de payer une somme en contrepartie de l’album. Le mécénat peut être interprété comme une récompense des consommateurs à l’initiative audacieuse de Radiohead. 32
  33. CHAPITRE 2 La gratuité véhicule une image anti-marketing Nous entamons ici un virage dans notre travail de recherche dans une voie analytique plus qualitative que quantitative. En effet, au regard de la très riche couverture médiatique dont a bénéficié Radiohead le temps de son opération, il nous est paru judicieux d’effecteur un travail d’analyse de contenu des articles parus dans la presse généraliste. Ce travail d’analyse s’est imposé comme une évidence afin de cerner précisément l’évolution de l’image de marque de Radiohead au travers des représentations de la gratuité dans l’espace public. En posant notre corpus comme plot de départ de notre analyse, nous analyserons la valeur et le sens communicationnels d’Inrainbows. Nous constaterons que, bien au-delà d’une sortie d’album, le sujet a été traité par les médias généralistes comme un fait de société. Puis nous déduirons dans quelles mesures la gratuité a permis à Radiohead de nourrir son image et de revendiquer son statut d’artiste authentique. Nous pourrons ainsi présenter nos inférences sur la valeur marketing ou anti-marketing de la gratuité. 33
  34. A – Du lancement d’album au fait de société. a – Le choix de la presse généraliste comme corpus 1 – L’écho sociétal de la presse généraliste La presse écrite généraliste est la plus ancienne presse en France. Elle est aussi la presse la plus lue. A ce titre, elle jouit d’une crédibilité et d’un pouvoir d’influence sur les prises de décisions des consommateurs finaux. En faisant le choix d’une presse populaire et réputée, nous souhaitions donc nous situer dans la continuité de la validation de notre première hypothèse à savoir : la gratuité stimule la notoriété. Pour constituer notre corpus, nous avons choisi les articles traitant de Radiohead dans 4 des principaux titres de presse payants : Le Monde (312265 exemplaires de moyenne en 2007), Le Figaro (322497 exemplaires de moyenne en 2007), Libération (127229 exemplaires de moyenne en 2007) et Les Echos (177935 exemplaires de moyenne en 2007) 43. Sans juger de la qualité de la ligne éditoriale de ces quatre supports, nous les considérons représentatifs de l’ensemble des sensibilités politiques de l’opinion française. Libération est un journal qui se situe clairement à gauche quand Le Figaro se réclame volontiers proche de la politique gouvernementale actuelle. Le Monde se positionne lui plutôt au niveau du quot;centre politiquequot; tentant de prendre le moins possible partie pour un courant politique. Enfin, le choix des Echos est lui aussi stratégique : nous souhaitions intégrer un journal économique grand public à notre corpus car il nous est rapidement apparu que les problématiques liées à la gratuité trouvaient une résonance particulière dans la sphère économique. Considéré comme un journal proche de la pensée libérale, Les Echos reste néanmoins un média destiné au grand public sensible aux questions économiques qui influencent les courants de pensées dans notre société. 2 – L’absence de jugement esthétique Dès sa sortie, l’album In Rainbows s’est paradoxalement retrouvé en dehors de la sphère artistique. En effet, quot;l’évènementquot; In Rainbows a immédiatement dépassé la sphère musicale pour trouver un large écho dans la sphère publique. Signalons par exemple qu’aucun des articles qui composent notre corpus ne traite de la qualité musicale du disque. Cette caractéristique ne fut pas un critère de sélection pour nous mais un constat a posteriori. Nous remarquons aussi l’absence systématique des titres des morceaux de l’album dans tous ces articles. Ceci démontre que ce n’est pas l’aspect artistique qui a été matière à réflexion pour les journalistes mais bien les représentations 43 Source, diffusion 2007, OJD. 34
  35. sociales de l’album. Ce type de presse représente pour nous le corpus idéal à l’analyse pour inférer sur les représentations de la gratuité. Cette même logique nous a contraint a éliminer la presse musicale de notre corpus. Si l’on a pu trouver quantité d’articles et de critiques sur l’aspect artistique d’InRainbows dans ce type de presse, il n’est pas de notre chef d’inférer ici sur les critiques artistiques d’un album musical quels que soient son prix et son mode de distribution. Nous avons également exclu de notre corpus les articles parus sur les sites d’informations interactifs tels que lejournaldunet.com, O1net.com, techcruch.com ou ratatium.com. Nous avons pu mesurer que ces médias prenaient généralement partie en faveur des technologies innovantes liées à Internet. Ce manque d’objectivité aurait donc pu biaiser notre interprétation et notre analyse des représentations de la gratuité. Notre sélection finale et exhaustive des articles évitant écueils et redondances dans les notions abordées nous conforte donc dans la constitution d’un corpus d’étude objectif et pertinent par rapport à la formulation de notre seconde hypothèse : la gratuité véhicule une image anti-marketing. b – Le contexte de production des articles Comme nous l’avons déjà décrit en introduction du chapitre intitulé – Une initiative inattendue dans un contexte hostile – la compréhension du contexte de la communication d’In Rainbows est capitale pour comprendre le sens exact des messages analysés. Nous avons donc choisi de mener une réflexion de pré-analyse de notre corpus en se laissant guider par les quatre questions- clefs posées par Laurence Bardin avant de débuter toute analyse de contenu. A savoir : quot;Qui parle à qui ? Dans quelles circonstances ? Quel est le moment de la communication ? Quels sont les évènements antérieures/parallèles ?quot; 44 Les réponses à ces interrogations permettent de mieux appréhender notre problématique : Qui parle à qui ? Ici, la prise de parole est attribuée à des journalistes de presse quotidienne. L’écriture journalistique de ce type de support rend plus compte de l'immédiateté de l’information que d’un véritable travail d’analyse. En effet une parution quotidienne implique une rapidité du traitement de l’information et parfois sans références antérieures à celle-ci. Elle implique aussi que l’information parue dans l’édition du jour sera considérée caduque dès le lendemain puisque l’actualité évolue. Cette spontanéité de l’information implique une rigueur sans faille des journalistes dans le traitement de l’information. Ceci fait d’elle la presse la plus réputée et jouissant d’un pouvoir d’influence sur le 44 Laurence Bardin, l’analyse de contenu, PUF, 2003.p.148 35
  36. consommateur final. Ainsi les lecteurs de la presse quotidienne sont fidèles et accordent une grande confiance à leur journal. Dans quelles circonstances ? Comme nous l’avons précédemment évoqué, les circonstances de la communication qui entoure Radiohead sont particulièrement marquées par deux facteurs : d’une part, la notion de gratuité encore mal appréciée renvoie spontanément à des notions péjoratives telles que la piraterie et l’illégalité ; d’autre part il existe un constat d’impuissance, tant des pouvoirs politiques qu’économiques, face à l’effondrement de l’industrie du disque Quel est le moment de la communication ? C’est donc dans ce contexte anxiogène et de crise latente que paraissent nos articles. Il est donc nécessaire de se demander dans quelles mesures l’initiative de Radiohead n’est pas présentée hâtivement par les journalistes comme la solution quot;miraclequot; aux problèmes du moment. La poussée d’enthousiasme provoqué par le mode de distribution d’In Rainbows a notamment entraînée Astrid Girardeau à qualifier l’initiative de Radiohead de quot;Révolutionquot; dès le jour du lancement de l’opération45. Quels sont les évènements antérieures/parallèles ? Enfin, il n’existe aucune initiative antérieure semblable qui puisse servir de référence et de point de comparaison à inrainbows.com. Cette absence doit être prise en compte dans l’interprétation des articles portant sur le caractère inédit et le sens révolutionnaire attaché à Radiohead et à la gratuité. c – La gratuité, une valeur riche de sens. 1 – l’Analyse de contenu La définition du contexte de notre travail de recherche, motivée par l’interrogation de notre problématique, la rédaction de nos hypothèses et le contexte de communication dans lequel évolue Radiohead, possède la qualité de borner et orienter précisément notre analyse de contenu. Les déductions que nous avons tirées s’inscrivent donc dans le contexte précis de la valeur communicationnelle de la gratuité. La notion d’analyse de contenu est prise dans l’appréciation de la définition donnée par Laurence Bardin : quot;L’analyse de contenu apparaît comme un ensemble de techniques d’analyse des communications utilisant des procédures systématiques et objectives de description du contenu du message.quot; L’objectif de notre analyse est de mettre en évidence les représentations sociales de la gratuité à travers le contenu des articles de presse. Ces articles sont considérés comme des objets de 45 Astrid Girardeau, quot;Musique sur Internet : la révolution In Rainbowsquot;, Libération, 10 oct. 2007 36
  37. communications types dans le sens où ils transportent des significations d’un émetteur vers un récepteur. Une fois ce travail accompli nous pourrons mettre les représentations de la gratuité en perspective avec l’image de marque de Radiohead. La lecture attentive et approfondie des articles nous a permis de mettre en évidence différents langages et champs lexicaux propre à la gratuité. Nous avons pris en compte les différents thèmes abordés, la récurrence du vocabulaire utilisé et leurs portées cognitives. Chaque article a été décrypté et son contenu désossé. Une fois ce travail de quot;mise à nuquot; accompli nous avons mis en œuvre une nouvelle catégorisation du contenu des articles à travers une grille d’analyse. Cette nouvelle indexation a pour but de faciliter la lecture du corpus en donnant plus de hauteur et de pertinence à la masse d’information recueillie. 2 – Les outils d’analyse Nous souhaitons présenter ici les deux techniques qui nous ont permis d’extraire des articles l’essence de notre réflexion analytique. Le nuage de tags Nous avons souhaité intégrer les occurrences de notre corpus sous la forme d’un nuage de tags. Nous 46 l’avons réalisé grâce à un outil de S.E.O. dont la fonction première est l’optimisation du référencement des sites dans les moteurs de recherche. Nuage de tags réalisé grâce à l’outil gratuit : http://outils.yagoort.org/ 46 Search Engine Optimization 37
Publicité