1. Hélène-Rose KINSEY-GRUMBACH, DIH. M1
La responsabilité de protéger à l’épreuve de la Lybie
« Il faudrait que ce qui est juste soit fort ou ce qui est fort soit juste (…) Ne pouvant faire que
ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fut juste » écrivait Pascal. Si la Charte des
Nations unies interdit formellement la guerre au service de la paix il s’ensuit logiquement que
la communauté internationale doit, par tous moyens, régler les différends de manière
pacifique. Mais lorsque ces moyens se voient insuffisants, que les acteurs belligérants ne
cantonnent pas la guerre au service de la paix et continuent à perpétrer des violations massives
des droits humains il incombe alors à la communauté internationale de réagir par la force pour
faire cesser ces violations. C’est dans ce contexte, et plaçant l’humanitaire au premier plan
que le Conseil de sécurité donne son aval par la résolution 1973 à une action militaire contre
le régime libyen, le 17 mars 2011.
Et puisqu’il s’agit de rendre ce qui est fort en juste, la doctrine internationale notamment dans
plusieurs résolutions depuis 2006 du Conseil de sécurité évoque la « responsabilité de
protéger ». Il s’agit d’une nouvelle obligation plus adaptée au contexte international actuel où
les États qui sévissent un conflit armé ont pour obligation de protéger leur population civile.
S’ils manquent à leur obligation la communauté internationale peut désormais réfléchir à des
moyens d’avantage coercitifs dont l’intervention militaire au nom de l’humanitaire.
La responsabilité de protéger a t-elle été instrumentalisée pour intervenir en Lybie ? Serait-ce
possible que cette notion représente une innovation pour le jus ad bellum ? (I).La Lybie serait
alors le premier terrain de mise en œuvre pratique de la responsabilité de protéger. Deux
résolutions à propos de la Lybie, la résolution 1973/2011 et la résolution1970/2011 au sein
desquelles le Conseil de sécurité affirme que les autorités Libyennes ont la responsabilité de
protéger leur population ; leur incapacité à le faire justifie l’intervention onusienne (II).
I. La responsabilité de protéger : une innovation pour le jus ad bellum ?
Depuis les années 1980, la tendance est celle de rendre l’ingérence plus juste aux yeux des
médias sans doute parce qu’il est moins facile de justifier une intervention dans les affaires
intérieures d’un État lointain en disant qu’il s’agit d’un « droit ». C’est ainsi que peu à peu la
formule « droit d’ingérence » se transforme en « responsabilité de protéger » (A). Depuis, la
nouvelle « parure »1
du droit d’ingérence, c’est à dire la responsabilité de protéger, permet des
infléchissements à l’interdiction de l’ingérence (B) justifiée par une cause bien plus noble que
le « droit de » : la morale.
A. Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger
Depuis que, dans les années 1980’s, les deux théoriciens de la responsabilité de protéger, le
français Bernard Kouchner2
et l’italien Mario Bettati ont introduit cette notion, la
communauté internationale œuvre pour la rendre officielle. Et c’est justement ce qu’il advient
lorsqu’en 2001 le Rapport de la Commission Internationale de l’intervention et de la
souveraineté des États (ci après la CIISE)3
détermine que la responsabilité de protéger est la
1
Boisson de Chazournes, Laurence, Condorelli, Luigi. De la « responsabilité de protéger », ou d’une nouvelle parure
pour une notion déjà bien établie. Revue générale de droit internationale public, 2006, no. 1, p. 11-18
2
« Quand un gouvernement n’est plus à même de protéger sa population, c’est à la communauté internationale qu’il
revient de le faire ».
3
http://www.er.uqam.ca/nobel/k14331/jur7635/instruments/Rapport-de-la-Commission.Resp_de_Proteger.pdf?
bcsi_scan_1fe59ba8c561fa18=0&bcsi_scan_filename=Rapport-de-la-
2. nouvelle solution au dilemme qui se posait jusqu’à lors à savoir la légitimité des interventions
militaires (ou encore l’inaction) dans des pays tels que le Rwanda, le Kosovo, la Somalie, ou
encore Srebrenica4
. Cette formule permettrais donc de créer une passerelle entre la morale-
qui est la nécessité d’une action au niveau international comme l’a prouvé le génocide
rwandais face auquel la communauté internationale est restée inactive- et le droit qui jusqu’à
lors ne pouvait être justifié par aucun moyen autre qu’un « droit d’ingérence »5
. Enfin, la
notion est avalisée par l’Assemblée Générale des Nations –unies (ci après AGNU) en 2005 à
la suite du Sommet Mondial6
. Depuis, les interventions militaires d’États tiers aux conflits
ayant lieu à l’intérieur des frontières étatiques d’un seul et même État est une obligation dès
lors que l’État dans lequel se déroule le conflit armé manque à son obligation de protection de
ses civils.
Pour certains auteurs ce changement terminologique n’est rien d’autre que cela : un simple
changement de parure7
qui n’est en réalité que le reflet de ce qui existait depuis longtemps
déjà sous le nom de « droit d’ingérence ».8
Alors pourquoi changer de formule si elle n’est le
contenant nouveau de l’ancien contenu ? C’est parce que pour beaucoup de pays, l’ancienne
formule était de mauvais goût rappellent les interventions colonialistes d’autres fois et sans
doute une forme nouvelle d’impérialisme. On pourrait alors s’interroger sur la réelle portée de
cette théorie de « responsabilité de protéger ». Pour l’heure, il conviendra d’analyser les
apports de ce changement qui d’apparence ne relève que d’une « politique linguistique »9
car
bien que cette nouvelle (du moins en apparence !) notion soit critiquée elle a peut-être permis
de légaliser ce qui dans le passé semblait être proscrit.
B. la responsabilité de protéger : un infléchissement aux interdictions posées par la Charte des
Commission.Resp_de_Proteger.pdf&bcsi_scan_96404f7f6439614d=1&bcsi_scan_76859af71b923077=0&bcsi_scan_file
name=Rapport-de-la-Commission.Resp_de_Proteger.pdf
4
“Ces quatre cas – Rwanda,Kosovo, Bosnie et Somalie – ont tous eu de profondes répercussions sur la manière dont le
problème de l’intervention est perçu, analysé et défini.” Rapport de la Commission Internationale de l’intervention et
de la souveraineté des États, décembre 2001. Ibid
5
« … Sans ouvrir complètement la boîte de Pandore de l’ingérence, s’agit-il tout d’abord d’un droit ou d’un devoir ? La
CIISE contourne la question. La responsabilité de protéger tente de jeter le pont entre l’éthique et le juridique, et pour
ce faire le qualificatif humanitaire devient indispensable pour justifier l’ingérence fondée sur de nobles intentions… »
Éric Marclay, La Responsabilité de Protéger, Un nouveau paradigme ou une boîte à outils ?, Chaire Raoul- Dandurand
en études stratégiques et diplomatiques. Pp. 1-30
6
« …C’est à chaque État qu’il incombe de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage
éthnique, et des crimes contre l’humanité (…) lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les
autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leur
population… » Document final du Sommet mondial de 2005, UN. Doc. A/60/L.I. 20 septembre 2005
7
ibid 1
8
« La formule « responsabilité de protéger » est indéniablement une brillante invention diplomatique, dont le succès
auprès des cercles internationaux et la fulgurante carrière doivent sans doute beaucoup au fait qu’elle apparaît moins
difficile à ‘gober’ que l’ancienne formule très médiatisée du « droit (ou devoir) d’ingérence ». Nombre d’États de toutes
régions du monde, en effet, n’apprécient guère cette expression, la ressentant comme hautement dangereuse en soi
(tout au moins au vu de ses possibles dérives), du fait qu’elle apparaissait comme contredisant de front le dogme de la
souveraineté et l’un de ses principaux corollaires, le principe de non intervention. Pourtant, la notion visée par les
formules de « responsabilité de protéger » ou de « droit (ou devoir) d’ingérence » est loin d’être nouvelle : ses
composantes juridiques se sont largement consolidées depuis 1945. Il n’y a, en somme, pas d’innovation véritable,
sauf pour ce qui est de la terminologie… » L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, De la « responsabilité de
protéger », ou d’une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie, Revue générale de droit international public,
2006, no.1, p. 11-18
9
ibid 6
3. Nations –unies
La responsabilité de protéger est elle en train de légaliser, au nom de l’humanitaire, ce qui à
priori est illicite : l’interdiction d’ingérence ?
« En 1944, les puissances alliées proclamaient dans la Charte des Nations-unies l’égalité
souveraine des États et le principe de non intervention, ainsi que l’interdiction du recours à la
force et la sécurité collective en cas de menace à la paix et à la sécurité internationale »10
Aujourd’hui l’intervention au nom de l’humanitaire permettrai au contraire d’aller au delà de
ces interdictions11
qui avaient pourtant été jugées nécessaires à la pérennité de la paix à la fin
de la deuxième guerre mondiale. La Charte dispose à son article 2 d’ailleurs d’une exclusivité
de la souveraineté étatique sur les affaires intérieures.
Dans un speech donné par Koffi Annan, il semblerait que l’intervention militaire au nom de la
protection des populations civiles prendrait le dessus sur l’interdiction d’intervention posée
par l’article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations- unies. Il s’agirait donc bel et bien d’un
infléchissement aux interdictions posées par la Charte des Nations –unies mais est-elle
conforme aux obligations qu’incombent aux États membres de l’ONU ? Ce que préconise la
Charte c’est de maintenir la paix et la sécurité internationale : « les violations massives et à
large échelle des droits de l’homme et du droit humanitaire sont constitutives de menaces
contre la paix et la sécurité internationale au sens du chapitre VII de la Charte. Il s’ensuit
logiquement qu’elles enclenchent ce que l’article 24 appelle la « responsabilité principale »
(…) pour maintenir et rétablir la paix, en faisant donc cesser ce qui la met en péril. »12
Ce
serait donc outrepasser les interdictions pour en réalité respecter la lettre de la Charte.
L’intervention humanitaire ne serait donc rien d’autre que l’outil de maintient de la paix ; une
mise en œuvre de la solidarité internationale.13
S’agissant du respect de la souveraineté étatique, le corollaire de l’ingérence, le rapport de la
commission souligne dans ses « principes fondamentaux » que « la responsabilité
internationale de protéger prend le pas sur le principe de non- intervention »14
. Il faut ajouter
qu’aujourd’hui il ne s’agit plus de « laisser faire » des États sous prétexte qu’ils agissent à
10
Jean Marie Crouzatier, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou
ultime avatar de l’impérialisme ? », Revue Aspects, n°2- 2008, pages 13-32
11
« Le rapport sur la responsabilité de protéger souligne qu’un État souverain est certes habilité en droit
international à exercer une compétence exclusive et totale à l’intérieur des frontières de son territoire, et les autres
États ont l’obligation correspondante de ne pas intervenir dans les affaires intérieures d’un État souverain. Mais
l’intervention à des fins de protection humaine, y compris l’intervention militaire dans des cas extrêmes, est
admissible lorsque des civils sont en grand péril ou risquent de l’être et que l’État en question ne peut pas ou ne veut
pas mettre fin à ce péril ou en est lui même l’auteur. (…) ». ibid 10
12
L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, De la « responsabilité de protéger », ou d’une nouvelle parure pour une
notion déjà bien établie, Revue générale de droit international public, 2006, no.1, p. 11-18
13
« La ferme volonté de la Cour de mettre en pleine lumière toutes les implications de l’obligation solidaire pesant, en
matière de droit international humanitaire, sur l’ensemble de la communauté internationale et sur tous les États ; il ne
s’agit pas seulement de ne pas reconnaître les situations illégales, mais il faut aussi que chacun agisse positivement
pour les faires cesser, en utilisant dans ce but tous les moyens disponibles et juridiquement admissibles ». L. Boisson
de Chazournes et L. Condorelli, De la « responsabilité de protéger », ou d’une nouvelle parure pour une notion déjà
bien établie, Revue générale de droit international public, 2006, no.1, p. 11-18
14
Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États, « La responsabilité de
protéger » , Décembre 2001, pp.xi-xii
4. l’intérieur de leurs frontières.15
Enfin concernant la souveraineté, en 2009 dans son Rapport
sur la Responsabilité de Protéger, Ban Ki-Moon le Secrétaire général des Nations Unies avait
qualifié la Responsabilité de Protéger comme « l'alliée de la Souveraineté ».
D’autre part, la coutume internationale humanitaire impose des obligations impérieuses aux
États. Dans un avis consultatif de la Cour internationale de justice datent du 9 juillet 2004, la
Cour rappelle que « nombre de règles du droit humanitaire applicable dans les conflits armés
sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des ((considérations
élémentaires d’humanité))…)), qu’elles ((s’imposent à tous les États, qu’ils aient ou non
ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des
principes intransgressibles du droit international coutumier. »16
Pourtant, pour certains auteurs
tels que Jean-Marie Crouzatier ce principe ne serait en réalité qu’une excuse pour masquer les
moyens pacifiques dont disposent déjà les États par le biais de la Charte de l’ONU. En effet,
cet auteur pense que le principe de « responsabilité de protéger » permettrai en réalité de
légaliser un manquement de la part des États belligérants (qui ont le plus souvent tendance à
recourir à la force que pas, au lieu d’user de moyens pacifiques).17
En tout état de cause voilà un nouvel outil qui permet à la communauté internationale avec à
l’appui le Conseil de sécurité, d’intervenir lorsqu’elle juge que le seuil de la cause juste est
atteint. Mais cela serait-il qu’une question de volonté ? En effet, si en Lybie le Conseil n’a pas
manqué de donner son aval à une intervention militaire (peut-être justement parce qu’il
s’agissait d’user du nouvel outil cliquant neuf) en Syrie – situation pourtant pratiquement
identique-, le Conseil se contente de condamner une crise qui pourrait « s’avérer un crime
contre l’humanité ».
II. L’intervention en Lybie justifiée par une responsabilité de protéger qui incombe à la
communauté internationale
L’intervention en Lybie a été encadrée juridiquement par une procédure régulière puisqu’il
incombe désormais à la communauté internationale de protéger les civils lorsque leur État ne
peut ou ne veut le faire. C’était donc un terrain propice pour mettre en pratique la théorie de la
« responsabilité de protéger » bien que certaines dérives aient eu lieu (A). Face à ces dérives,
l’intervention en Lybie qui ne devait être qu’humanitaire a été largement critiquée. Outre cette
interprétation large de la résolution 1973, certains auteurs y voient une fois de plus une mise
en œuvre des intérêts économiques des États occidentaux : une course au pétrole (B).
15
« Plus aucun État- on le savait depuis longtemps- ne peut s’abriter derrière le bouclier de sa souveraineté pour
commettre, voire laisser perpétrer de graves violations des droits des personnes placées sous sa juridiction : il est
acquis que les principes de droit international relatifs aux droits de l’homme jus in bello l’interdisent. Il est également
acquis que de tels comportements violent des obligations erga omnes et que de ce fait tous les États, ainsi que toutes
les organisations internationales compétentes, sont habilités à agir pour protéger les victimes de ces exactions. (…) ».
L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, De la « responsabilité de protéger », ou d’une nouvelle parure pour une
notion déjà bien établie, Revue générale de droit international public, 2006, no.1, p. 11-18
16
CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9
juillet 2004.
17
« Officialiser une « responsabilité de protéger » par la force ne sert qu’à masquer l’existence bien réelle d’une
obligation de réaction non-armée de la communauté internationale face à des violations des droits de la personne et
du droit humanitaire, et l’inexécution de cette obligation par les États le plus souvent. Dans la plupart des cas, le
problème est moins le manque de moyens juridiques que l’absence de volonté politique d’utiliser les mécanismes
existants ». Jean Marie Crouzatier, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité
internationale ou ultime avatar de l’impérialisme ? », Revue Aspects, n°2- 2008, pages 13-32
5. A. La Lybie : un terrain propice à la consécration d’une responsabilité de protéger et les
dérives de l’OTAN
La résolution 1970/2011 prise par le Conseil de sécurité rappel que « les autorités libyennes
ont la responsabilité de protéger le peuple libyen ». Sans la défaillance de l’État libyen et la
folle course aux opposants menée par Kadhafi durant ses derniers mois au pouvoirs aucune
intervention n’aurait été possible18
. Dans un blog tenu par Philippe Leymarie il est clairement
écrit que « Le régime libyen, qui a perdu le contrôle de la Cyrénaïque, dans l’Est, et
notamment des villes de Benghazi et Tobrouk, mais aussi de plusieurs cités de l’Ouest, et
quelques quartiers de Tripoli, n’avait pas hésité à bombarder des zones où se trouvaient des
civils, et à faire tirer à balles réelles sur les manifestants. (…) »19
. Il est donc transparent qu’il
faillait agir au nom de l’humanitaire si c’est de cela que relève la responsabilité de protéger.
Mais bien que cette responsabilité ait été mise en œuvre dans les règles de l’art ce même
auteur met le doigt sur un point intéressent : « … Si tous les opposants ont été traités de
« terroristes d’Al Quaida » ou de « bandits », il n’y a pas eu ensuite de politique de massacre
délibéré de civils. Si cela avait été le cas, la résolution de l’ONU aurait sans doute été adoptée
beaucoup plus tôt… ». Serait-ce possible alors que cette intervention au nom de la solidarité
internationale ait été prise non pas pour pallier au manque de protection civile que les
autorités libyennes daignaient offrir à leur population civile20
comme le prétendait la
communauté internationale mais plutôt pour renverser un certain Mouammar Kadhafi jugé
désormais gênant ?21
Il ne fait l’ombre d’un doute qu’en ce qui concerne l’application du droit international, les
critères ont été remplis : sanctions économiques à l’encontre de Kadhafi et sa famille,
embargo sur les armes…en somme tous les moyens prévus par le chapitre VII de la Charte de
l’ONU qui n’a pas pour autant freiné le chef libyen ce qui à terme entraîna la résolution 1973.
En effet, le Conseil a permis par le biais de cette résolution que la communauté internationale
puisse prendre « toutes les mesures » pour protéger la population libyenne. Mais quand on y
regarde de plus près on se rend compte à quel point il s’agissait en réalité d’une campagne
menée de front contre un tyran qui pourtant était il y a si peu de temps ami avec nos leaders
européens.22
Les comptes bancaires en Europe de l’ancien chef d’État libyen ont d’ailleurs
18
« L’intervention militaire franco-anglo-américaine menace de faire d’eux les obligés de puissances qui ne se sont
jamais souciés de leur liberté. Mais la responsabilité de cette exception régionale incombe au premier chef à Kadhafi.
Sans la furie répressive de son régime, passé en quarante ans de la dictature anti-impérialiste au despotisme pro-
occidentale, sans ses philippiques assimilant ses opposants à des « agents Al-Qaida » des « rats qui reçoivent de
l’argent et servent les services de renseignement étrangers » le destin du soulèvement libyen n’aurait dépendu que de
son peuple ». Serge Halimi, « Les révoltes arabes et le chaos libyen », Manière de voir, Le Monde diplomatique n°120,
Kosovo, Irak, Libye…Ces guerres qu’on dit humanitaires, décembre 2011-janvier 2012, pp 8-12.
19
Philippe Leymarie, “Au nom de la protection des populations”, In Guerre civile et options militaires (25 février
2011). Manière de voir, Le Monde diplomatique n°120, Kosovo, Irak, Libye…Ces guerres qu’on dit humanitaires,
décembre 2011-janvier 2012, pp 8-12.
20
« … L’expérience prouve qu’il ne faut pas trop s’attacher à la lettre des résolutions, dont l’application se fait sur un
mode glissant, en fonction des intentions de ceux qui sont chargés de les interpréter et de les mettre en œuvre. »
Philippe Leymarie, “Au nom de la protection des populations”, In”Furia française” ( 19 mars 2011). Manière de voir,
Le Monde diplomatique n°120, Kosovo, Irak, Libye…Ces guerres qu’on dit humanitaires, décembre 2011-janvier 2012,
pp 8-12.
21
« L’objectif n’est pas seulement de mettre des civils à l’abri : il est de renverser le cours de la bataille en permettent
aux insurgés de ne pas la perdre ; et d’obtenir dans la foulée la chute du régime (…). » Philippe Leymarie, “Au nom de
la protection des populations”, In”Furia française” ( 19 mars 2011). Manière de voir, Le Monde diplomatique n°120,
Kosovo, Irak, Libye…Ces guerres qu’on dit humanitaires, décembre 2011-janvier 2012, pp 8-12.
22
« Membre d’un gouvernement qui a beaucoup à se faire pardonner sur ce dossier libyen –après avoir accueilli en
grande pompe le colonel Mouammar Kadhafi en 2007, et signé dans la foulée un accord de défense avec Tripoli-, le
ministre français des affaires étrangères, M. Alain Juppé, aura sans doute à cœur d’incarner le nouveau cours d’une
6. servi à alimenter les opposants en armes.23
En tout état de cause, cette intervention était de
bon sens même s’il est aujourd’hui possible de remettre en question son honnêteté.
Mais là n’est pas le réel débat qui se loge en fait, dans ce que l’OTAN, pour sa première
campagne menée en Afrique, outrepasse la résolution de l’ONU :
« Une majorité de gérontes contestés par la poussée démocratique siègent au sein de la ligue
arabe ; celle-ci se joint au mouvement onusien avant de feindre la consternation sitôt tirés les
premiers missiles américains. La Russie et la Chine avaient le pouvoir de s’opposer à la
résolution du CS, de l’amender pour en réduire la portée ou les risques d’escalade. L’eussent-
elles fait, elles n’auraient pas eu ensuite à « regretter » l’abus de pouvoir de l’OTAN…
Dresser chez soi les plans impeccables d’une guerre sans haine et sans « bavures » comporte
bien des charmes, mais la force militaire à qui on confie la tâche de les exécuter le fera en
fonction de ses inclinations et de ses exigences. Autant dire que les cadavres de soldats
libyens « loyalistes » mitraillés pendant leur retraite et le lynchage de Kadhafi ont été au
même titre que les foules joyeuses de Benghazi, la conséquence de la résolution 1973 des
Nations unies.24
»
Sans doute que l’intervention en Lybie à la différence de la Syrie représentait un enjeux dans
ce que Marie Pierre Alliée appel l’intérêt supérieur des États. Cette intervention et ses dérives
représentent aujourd’hui un précédent rendent certains États dont la Chine et la Russie
(membres permanents du Conseil de sécurité) réticents à une nouvelle intervention (en Syrie
notamment) puisqu’ils ont le sentiments qu’on leur a mentis : au nom de l’humanitaire l’ONU
est intervenue certes, mais au nom de la politique (afin de renverser Kadhafi) l’OTAN a
outrepassé cette résolution.
D’autres critiques ressortent de cette « aide humanitaire » et certains n’y voient qu’une
instrumentalisation des États occidentaux25
. De ces critiques il pourrait ressortir une autre
explication à l’application à géométrie variable de le responsabilité de protéger : la Lybie
isolée était finalement plus facile à « aider » que la Syrie, elle soutenue entre autres par l’Iran.
diplomatie française voulant convaincre qu’elle a (enfin !) pris la mesure du séisme que constitue le printemps
arabe. » Philippe Leymarie, “Au nom de la protection des populations”, In Guerre civile et options militaires (25 février
2011). Manière de voir, Le Monde diplomatique n°120, Kosovo, Irak, Libye…Ces guerres qu’on dit humanitaires,
décembre 2011-janvier 2012, pp 8-12.
23
“Les opérations aériennes menées par l’Otan sur les forces de Tripoli étaient la solution permettant d’aider les
rebelles à avancer contre Kadhafi tout en évitant une intervention militaire au sol qui aurait été, elle, critiquée. Le
soutien aux insurgés al- lait prendre des formes diverses. Fin juin 2011, la France leur parachuta quelque 40 tonnes
d’armes légères dans les montagnes du Djebel Nefousa au sud-ouest de Tri- poli. 100 millions de dollars étaient dans
le même temps versés au CNT ; ces fonds avaient été prélevés sur des comptes du régime du Kadhafi bloqués dans les
banques occidentales et regroupés au sein d’un fonds spécial consacré au soutien au peuple libyen. » Ameur Naim, «
La Libye entre les intérêts de l'Occident et la résistance de Kadhafi »,Outre-Terre, 2011/3 n° 29, p. 299-308.
24
Serge Halimi, Les révoltes arabes et le chaos libyen, Manière de voir n°120 « Ces guerres qu’on dit humanitaires », Le
Monde diplomatique, Décembre 2011-Janvier 2012, p. 8-12
25
«…Car c’est bel et bien et bien de cela qu’il s’agit, le dilemme moral et les contraintes juridiques qui opposent la
non- ingérence au droit, au devoir ou à la responsabilité d’intervenir dans les affaires intérieures d’un pays faillant à
ses responsabilités vis-à-vis de sa population… A priori, les actions envisagées dans la responsabilité de protéger
s’inscrivent dans un esprit humaniste et désintéressé. Mais à y regarder de plus près, les desseins qui sous tendent
l’implication des États en acteurs rationnels dans les crises ne sont pas forcément identiques et ne répondent pas
toujours à la même logique. Il est en effet possible d’y percevoir un engagement idéaliste, une intervention régie par
des considérations économiques, une ingérence au nom de la sécurité internationale ou, plus prosaïquement, un
exercice d’exportation des valeurs et des principes partagés par les grandes puissances à économie de marché. » Éric
Marclay, La Responsabilité de Protéger, Un nouveau paradigme ou une boîte à outils ?, Chaire Raoul- Dandurand en
études stratégiques et diplomatiques. Pp. 1-30
7. B. La Lybie lieu de mise en œuvre de la responsabilité de protéger….mais pas que : la course
à « l’or noir ».
« Les Nations unies ont autorisé les forces de l'Otan à intervenir sous prétexte de protéger le
peuple libyen ; en réalité, les enjeux dépassent en l’occurrence le cadre humanitaire, c’est de
l’or noir qu’il s’agit. »26
Pourquoi cet empressement à reconnaître le CNT (Conseil National de transition) comme
« représentent légitime du peuple libyen » ?27
Il semblerait qu’avant le renversement de
Kadhafi certains pays européens avaient déjà la main mise sur le pétrole dans le pays avec
notamment l’Italie qui détenait 14% de la part du marché national. Mais lorsqu’on réalise que
80% de cet « or noir » se trouvait en territoire rebelle28
il semble évident que les pays
occidentaux, soucieux de ne pas perdre leur main mise sur cette vache à lait29
si proche du
continent européen et peu coûteux à extirper ait été un enjeux majeur pour cette intervention
(en dehors du renversement de Kadhafi). A ce titre il convient de citer Marie Pierre Alliée qui
écrit « aujourd'hui comme hier, nous constatons que, malgré l'urgence d'accueillir des
populations qui risquent leur vie, la volonté de protection s'arrête là où commence la
préservation de ce que les États considèrent comme leur intérêt supérieur ».
La balance, il peut –être constaté, entre la morale et le politique est fragile. Sans doute que le
droit (la responsabilité de protéger) devra être précisé pour éviter de nouvelles dérives et en
sortir renforcé. Si cette notion est récente elle ne semble pas encore aboutie ; elle gagerait à
apprendre de l’intervention en Lybie afin d’assurer sa pérennité qui pour le moment semble
compromise.
26
Ameur Naim, « La Libye entre les intérêts de l'Occident et la résistance de Kadhafi »,Outre-Terre, 2011/3 n° 29, p.
299-308.
27
“La France, le Royaume-Uni et l’Otan soutenant le CNT. La France reconnut rapidement le CNT le 10 mars 2011 en tant
que représentant légitime du peuple libyen ; suivie par le Qatar, l'Italie, la Gambie, le Royaume-Uni, le Sénégal, la Jordanie,
la Pologne, les Maldives, Malte, l’Espagne, l’Australie, l’Allemagne, l’Autriche, la Lettonie, la Bulgarie, les Émirats arabes
unis (EAU), le Canada, Panama et encore la Turquie le 2 juillet ». Ibid 25.
28
International Energy Agency, Facts on Libya : oil and gas, 21 février 2011 : autres terminaux non spécifiés, 224 000 b/j (tel que cité par
Ameur Naim)
29
(CIA, the World Factbook, oil
proved reserves, 1er
janvier 2010 tel que cité par Ameur Naim). Ibid 25.