SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  156
Télécharger pour lire hors ligne
Mémoire de M1 en Politiques Publiques
De la spécialisation à la marginalisation : réflexion sur
la mise en oeuvre d’une politique de prise en charge
différenciée des Mineurs non accompagnés par l’Aide
Sociale à l’Enfance
étude de cas en Seine-et-Marne
Nina LAUGA
Sous la direction de Yves Surel
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Avertissement
La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce
mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
2
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Remerciements
Je voudrais tout d’abord adresser toute ma reconnaissance à Monsieur Yves Surel,
Directeur de ce mémoire et Directeur du Master Politiques Publiques à l’Université Paris 2
Panthéon-Assas, pour ses recommandations, sa disponibilité et sa bienveillance. Il a su me
guider tout en me laissant libre d’explorer mes volontés personnelles, me permettant de réaliser
ce premier mémoire avec sérénité.
J’adresse également un grand merci à Madame la Professeure Natacha Gally pour la
dispense de son cours de Politiques Publiques et de l’Atelier de recherche. Ces séances ont été
l’occasion d’ouvrir des discussions toujours très constructives, qui m’ont permis d’apaiser mes
inquiétudes et de consolider ma démarche scientifique.
J’exprime ma gratitude à toutes les personnes qui m’ont donné la chance de pouvoir
retranscrire leurs propos. Je remercie en particulier Christophe Bouhourd de m’avoir sensibilisé
à la question des mineurs non accompagnés et pour avoir eu la gentillesse de solliciter nombre
de ses collègues afin de m’aider dans mes recherches.
Je remercie aussi mon amie Orianne pour tout le temps consacré à la relecture de mon
mémoire. Pour finir, je souhaite remercier mes camarades et amies Héloïse, Morgane et Myriam,
qui m’ont accompagnée durant tout ce processus de recherche et d’écriture avec implication et
enthousiasme. Merci à elles pour nos discussions stimulantes et surtout pour leur bonne humeur
à toute épreuve.
3
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
“ L'enfant, je le répète, c'est l'avenir. Ce sillon-là est généreux; il donne plus que l'épi pour le
grain de blé. Déposez-y une étincelle, il vous rendra une gerbe de lumière.”
Victor Hugo
aux membres du Congrès international pour l'avancement des sciences sociales,
le 22 septembre 1862
4
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Table des matières
Remerciements 3
Introduction 9
Définitions et statistiques générales 9
Une position inconfortable entre deux catégories d’action publique 10
Enjeux d’une prise en charge différenciée 11
Question de recherche 12
Terrain d’enquête et méthode 12
Point méthodologique 13
Positionnement de la recherche dans le champ scientifique 14
Actualisation à venir : l’adoption de la loi Taquet 16
Chapitre 1. L’élaboration d’une politique de prise en charge locale différenciée
dans l'ambiguïté des normes nationales 17
Introduction 18
Section 1. Etat des lieux des instruments d’action publique en jeu 20
§1. Des dispositifs du droit commun préexistants à la politique publique 21
Des instruments d’action publique classiques de la protection de l’enfance 21
Le prix de journée 21
Les modalités d’hébergement 22
La scolarisation 22
Le contrat jeune majeur et autres dispositifs de maillage avec la majorité 22
Une mise en oeuvre particulière permise par le principe de libre administration des
territoires 23
§2. L’emploi différencié d’instruments de droit commun 24
Des prix de journée à moindre coût 24
Les modalités d’hébergement 26
§3. La préparation à la sortie 27
Scolarisation 28
Sortie sèche à 18 ans : la systématisation des refus de contrats jeunes majeurs 29
Section 2. L’engagement d’un bras de fer entre l’Etat et le département 30
§1. Une politique de l’urgence 30
Une réalité migratoire inédite 30
Une réponse variable dans le temps 32
§2. La difficulté de la compétence partagée 33
Une relation conflictuelle entre l’Etat et le département 33
Une répartition contraignante 33
“Mettre l’Etat face à ses responsabilités” 33
Une législation du compromis : l’exemple de l’accompagnement jusqu’à 21 ans 34
Section 3. Le cadre politique départemental : la politique de prise en charge des mineurs
non accompagnés comme marqueur politique 35
5
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
§1. Le changement de majorité au conseil départemental 36
§2. L’enjeu de l’acceptation par les riverains : entrée par la géographie sociale 39
La faible mobilisation des élus 39
“Vivons cachés, vivons heureux”, ou comment le département organise la discrétion
de jeunes qui dérangent 40
Section 4. Dépendance au sentier et tentatives de mesures réformatrices portées par le bas 43
§1. Mise à l’agenda d’un problème public par des groupes contestataires 43
Les voix s’élevant contre une politique jugée discriminatoire 43
Sanctions juridiques 44
§2. Mise à l’agenda politique du problème de la prise en charge différenciée 45
Une mobilisation naissante des élus locaux 46
Effets directs de la médiatisation 46
Renouvellement politique 46
L’ouverture d’une fenêtre d’opportunité 48
La baisse des arrivées 48
Mouvement de contractualisation avec l’Etat : vers un apaisement des relations ? 49
§3. L’incrémentalisme des réformes 50
Chapitre 2. Une division organisationnelle enracinant la différenciation des prises en charges 53
Introduction 54
Section 1. Le mythe du jeune “à part” 55
§1. Des jeunes au profil spécifique 55
Caractéristiques générales du public 55
Des parcours traumatiques liés à l’immigration 58
§2. Une prise en charge construite autours du prisme migratoire 58
Une préoccupation spécifique déterminant le comportement des jeunes : la régularisation
du séjour 59
L’insertion professionnelle comme unique eldorado 60
§3. La conversion de la différence à la discrimination : mise en récit de l’action publique
par la doctrine de l’autonomie 62
Section 2. La mise en place d’une filière parallèle 64
§1. Le service de protection de l’enfance “spécialisé” 65
Une procédure décisionnelle indépendante 65
Le recrutement d’un personnel différent 67
Des cheffes de services aux profils spécifiques : entrée par la biographie des agents 67
La création de postes spécialisés : l’exemple du RTPES 69
§2. Spécialisation progressive des structures d’accueil 69
La délégation de la prise en charge à un tissu associatif divisé 69
L’acquisition de compétences particulières 71
§3. Nature des relations intersectorielles 71
Les maisons départementales des solidarités comme instance d’uniformisation des
prises en charge ? 71
La proximité des services 73
Chapitre 3. La co-construction de l’action publique par les travailleurs sociaux 75
6
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Introduction 76
Section 1. Une mise en oeuvre assurée par des street-level bureaucrats du privé 78
§1. Une relation contractuelle organisant une distance entre la prise de décision et la
mise en oeuvre 78
Des agents exempt du contrôle direct de l’administration 78
Une connaissance partiel du cadre normatif 80
§3. La subsistance d’interconnections entre les milieux administratifs et sociaux 81
La mobilité professionnelle permettant le transfert de compétences : entrée
par les biographies 81
La reconversion des éducateurs en agents administratifs 81
La transformation des tâches des travailleurs sociaux 82
Les effets d’uniformisation 84
La prise en compte des problématiques de terrain dans la décision administrative 84
L’intériorisation des considérations bureaucratiques, budgétaires et politiques
par les agents de la mise en oeuvre 85
Section 2. Conversion du milieu associatif : mise en concurrence et réponse par la docilité 86
§1. L’association agissant en “bon petit soldat” ou comment remporter le marché public 87
§2. Le dilemme du travailleur social face à l’immigré 90
Le sens de l’engagement au défi d’une réalité de terrain 90
La crise des vocations 90
Espace de discrétionnarité permettant le “bricolage” d’un accompagnement complet 91
Le fatalisme du “mieux que rien” 92
Section 3. L’action des agents de terrain sur la construction de la politique publique de
prise en charge des mineurs non accompagnés 93
§1. Les disciplinés 95
§2. Les résistants 96
§3. Les résignés 97
Conclusion 100
Bibliographie 102
Ouvrages 102
Articles 102
Articles de presse 105
Rapports officiels 106
Sources en ligne 106
Glossaire 107
Table des annexes 108
7
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Introduction
Longtemps confiée à l’Église, une intervention publique dans la sphère familiale se
développe progressivement sous la Troisième République. D’abord par la loi du 24 juillet 1889
sur les enfants maltraités ou moralement abandonnés puis par la loi du 19 avril 1898 sur la
répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants.
Ces derniers sont alors reconnus comme un groupe social vulnérable qui nécessite une protection
particulière. L’Etat en prend progressivement la responsabilité. Le Droit international
parachèvera cette responsabilisation des Etats, notamment en consacrant la convention
internationale des droits de l’enfant le 26 janviers 1990.
Protéger les enfants en danger. Voilà une prérogative qui semble pour le moins
consensuelle. Bien au-delà des appartenances partisanes, l’idée d’un devoir collectif de
protection de l’enfance apparaît aujourd’hui largement admis dans le débat public. Les
défaillances familiales procurent à chacun un sentiment d’urgence. Cette jeunesse fragilisée doit
être prise en charge. Mais selon quelles modalités ? C’est ici qu’apparaissent les divergences,
notamment face à l'arrivée de nouveaux jeunes à protéger sur le territoire national.
Définitions et statistiques générales
L’aide sociale à l’enfance est confrontée depuis une dizaine d'années à l’arrivée d’un
nouveau public. Poussés à l’exil ou portés par l’espoir d’un avenir meilleur, les enfants migrants,
qualifiés de “mineurs non accompagnés” (MNA), arrivent en France démunis et sans famille.
Fidèle à ses engagements internationaux, la France doit alors assurer leur protection.
Le Conseil de l’Europe définit les mineurs non accompagnés comme étant “des enfants
âgés de moins de 18 ans, qui ont été séparés de leurs deux parents et d’autres membres de
proches de leur famille, et ne sont pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilité
par la loi ou la coutume”1
.
La période de pandémie a fortement réduit les arrivées de personnes étrangères sur le
territoire. Aussi, les données disponibles les plus représentatives sont celles de l’année 2019. Au
31 décembre 2019, 31 009 mineurs non accompagnés avaient été pris en charge par les conseils
départementaux français, ce qui représente une proportion de 15,8 % des mineurs accueillis par
1
Recommandation CM/Rec(2007)9 du Comité des Ministres aux États membres, 12 juillet 2007 (Voir annexe 4)
8
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
l’aide sociale à l’enfance (ASE) en 2019. La majeure partie des MNA arrivent sur les
départements via la cellule nationale du ministère de la Justice.
Enfants pris en charge par l’ASE en 2019
Nationalité française MNA TOTAL
Nombre d’enfants 135 812 31 009 166 821
Part ASE (en %) 84,2 15,8 100
Données issues du rapport annuel d'activité 2019 mission mineurs non accompagnés de la Direction de la protection de la
jeunesse
Cette même année, 95,5 % des MNA étaient des garçons et 90% d’entre eux étaient compris
dans la tranche d’âge 15/17 ans. Ces proportions sont, aujourd’hui encore, équivalentes. Les
MNA viennent de cultures et de pays variés. Si plus de 60 % d’entre eux étaient originaires de
Guinée, de Côte d’Ivoire et du Mali sur l’année 20192
, les pays d’origine de ces jeunes varient au
gré des crises géopolitiques. Ainsi, depuis le début de la guerre en Ukraine, de plus en plus de
jeunes ukrainiens viennent trouver refuge en France. La question des MNA est donc un enjeu
central qui se trouve sans cesse renouvelé du fait d’une conjoncture migratoire instable et
imprévisible par nature.
Une position inconfortable entre deux catégories d’action publique
Les mineurs non accompagnés interrogent les frontières de la protection de l’enfance.
Ces jeunes sont à la fois des enfants et des migrants. Cette double vulnérabilité alimente les
débats et les place surtout dans une position ambiguë face aux pouvoirs publics. En effet, si le
département reçoit dès 1983 la compétence de droit commun pour les prestations légales d'aide
sociale3
, la politique migratoire reste bien une compétence nationale. Se pose alors la question de
la répartition de la prise en charge des mineurs non accompagnés entre ces deux niveaux de
gouvernance. Concrètement, ni l’Etat ni les territoires ne se bousculent pour prendre en charge
ces jeunes, qui à l’ombre d’une xénophobie latente, ne sont pas forcément accueillis à bras
ouverts par les riverains. S’engage alors un bras de fer. À ce sujet la réponse de la Cour
européenne des Droits de l’Homme est explicite : “la situation d’extrême vulnérabilité de
l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal”4
. L’intérêt
supérieur de l’enfant consacré par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (article
4
CEDH, 10 octobre 2019, req. n°50376/13.
3
Loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des
compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État
2
Direction de la protection de la jeunesse, Rapport annuel d'activité 2020 Mission mineurs non accompagnés,
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_activite_MNA_2020.pdf
9
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
3.1), doit être la seule boussole de la création du cadre légal adopté par les pays signataires. Pris
en application de cette définition supranationale, la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la
protection de l’enfant, précise qu’un jeune privé “temporairement ou définitivement de la
protection de sa famille”, entre dans le droit commun de la protection de l’enfance et relève donc
à ce titre de la compétence des départements. Les financements sont eux partagés dans la
pratique entre une part allouée par les fonds propres du territoire, et une autre subventionnée par
l’Etat. Chaque département connaît des modes de fonctionnement propres, auxquels s'ajoutent
des conventions signées entre l’Etat, le territoire mais aussi d’autres autorités indépendantes
telles que la Haute autorité de santé (ARS).
Pour fluidifier et mieux répartir les prises en charge, le ministre de la Justice fixe chaque
année les objectifs de répartition proportionnés des accueils de ces mineurs entre les
départements “en fonction de critères démographiques et d'éloignement géographique”. Ce
mécanisme, dont les modalités de calculs sont régulièrement amendées5
depuis son adoption par
la dite loi de 2016, est appelée “clé de répartition”6
.
Enjeux d’une prise en charge différenciée
Face à cette apparente clarté du cadre légal, se pose la réalité d’une mise en œuvre
différenciée entre départements et entre les enfants d’un même territoire. Dans la mesure où
chaque exécutif départemental est compétent sur son territoire, il existe autant de modalités de
prise en charge des jeunes en danger que de départements. À ce premier niveau de
différenciation, s’ajoute souvent un double standard interne entre les enfants du territoire et les
mineurs non accompagnés. En somme, au sein d’un même département s’organise, dans certains
cas, une filière parallèle allant de la prise de décision à la mise en œuvre concrète. Les mineurs
non accompagnés seraient en réalité bien éloignés du “droit commun de la protection de
l’enfance”7
tel que le prévoit la loi. C’est cette première intuition qui a guidé ma démarche de
recherche.
L’une des questions brûlantes qui entourent les mineurs non accompagnés est celle de la
reconnaissance de minorité. Sans cesse ramenés à leur statut de fraudeurs potentiels, les jeunes
migrants ont déjà fait l'objet d’une multitude de travaux portant sur la manière dont leur âge est
expertisé. Mais de manière frappante, la littérature scientifique traitant des modalités concrètes
7
Article L221-2-2 du code de l’action sociale et des familles
6
Pour la clé de répartition 2022 voir l’annexe 5
5
Voir notamment la Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants (dite “loi Taquet”) (Voir
annexe 3)
10
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
de leur prise en charge reste anecdotique. J’ai donc décidé d’y mener mon raisonnement. Plus
que de se demander si les mineurs non accompagnés sont légitimement éligibles à cette
protection, qui leur revient de fait au regard du droit positif, nous tenterons plutôt d’éclairer la
manière dont les acteurs politiques et administratifs contribuent, par leurs décisions
quotidiennes, au développement d’un mécanisme de marginalisation pour les jeunes.
Question de recherche
Il s’agira en somme de comprendre dans quelle mesure les mineurs non accompagnés
sont marginalisés par un traitement différencié à la fois sur le plan organisationnel et par le biais
de représentations partagées par les acteurs de la mise en œuvre ?
Terrain d’enquête et méthode
Pour étudier avec précision ce mécanisme de différenciation, il fallait circonscrire la
recherche à un territoire donné. Rapidement mon choix s’est porté vers un “mauvais élève”, afin
d’identifier des points de rupture, et de comprendre les tensions à la fois sociales, politiques et
administratives qui entourent la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés. La
Seine-et-Marne m’est rapidement apparu comme un département adapté à une telle étude de cas.
Tout d’abord, parce que la Seine-et-Marne est le quatrième département recevant le plus de
mineurs non accompagnés en métropole selon la clé de répartition, avec 479 jeunes migrants pris
en charge par l’ASE en février 2022, mais aussi parce qu'elle a fait l’objet d’une forte couverture
médiatique et de poursuites judiciaires sur la manière dont elle prenait en charge les MNA. J’ai
également choisi d’étudier ce territoire, où je réside, par curiosité personnelle et dans un souci
évident d’accessibilité au terrain. Mon enquête couvre donc le champ de la protection de
l’enfance en Seine-et-Marne.
Inspirée des travaux de sociologie de l’action publique, mon enquête se fonde
principalement sur des données qualitatives, prenant la forme d’entretiens semi-directifs,
combinant les témoignages d’acteurs éducatifs de terrains, des agents administratifs de l’aide
sociale à l’enfance et d’élus du département. L’enjeu est de retranscrire les jeux de pouvoirs et
l’influence des acteurs de terrain qui façonnent cette politique publique. Les données recueillies
à travers ces entretiens sont complétées et éclairées par un volet quantitatif de données chiffrées,
fournies à la fois par le département, lui-même, et par des organismes publics. Ma réflexion
s’appuiera dans une moindre mesure sur une littérature grise, existante mais plus difficile
d’accès,notamment des délibérations du conseil départemental, des notes et documents internes.
11
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Ces données ont été recueillies dans le respect de la volonté de chaque acteur interrogé. Dans
cette optique, plusieurs informations ont dû être éludées et l’accès à certaines ressources
documentaires m’ont été refusées. Regrettable au demeurant, cette fermeture du terrain sur le
volet politique est en tant que telle révélatrice d’un certain inconfort du territoire sur la question.
Point méthodologique
Les données traitées par ce mémoire de recherche sont issues d’entretiens semi-directifs. Au fil des développements,
apparaîtront des extraits de ces retranscriptions. Pour en faciliter la compréhension, voici une brève mise en contexte des
entretiens réalisés sur une période de 6 mois de novembre 2021 à avril 2022 :
➢ Florian Pozza, directeur du pôle enfance de la croix rouge à Meaux
10 novembre 2021 à 17h53
durée : 50 minutes
L’entretien s’est déroulé dans un cadre formel, dans un bâtiment administratif, autour d’une table de réunion dans un bureau
fermé. La structure s’est implantée en Seine-et-Marne en 2018, suite à un appel à projet. Elle prend en charge des MNA de 14
à 18 ans.
➢ Caroline Apaydin , cheffe de service à l’association Arile à Meaux
16 décembre 2021 à 13h30
durée : 1 heure
L’entretien s’est déroulé dans un cadre plutôt administratif et formel malgré un environnement assez atypique (un bureau
vitré, au sein de l’association, où nous pouvions voir la “ressourcerie”, un lieu de réinsertion portée par Arile). L’association a
une mission assez étendue, elle est née de la fusion (en 2017) de 3 associations historiques de Seine-et-Marne en matière de
prise en charge des publics en situation de précarité.
➢ Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis
23 décembre 2021 à 14h24
durée : 2 heures
L’entretien s’est déroulé au sein de la structure d'accueil qui accueillait ses premiers pensionnaires une semaine après notre
rencontre. La personne interrogée est responsable de l’ouverture d’une nouvelle structure d'accueil temporaire des jeunes
étrangers en attente de reconnaissance de minorité. Cette initiative est la première sur le département. Les locaux sont assez
rudimentaires, un chalet en bois, pas de revêtement au sol, un petit bureau et des chaises. Des agents d’entretien sont à l'œuvre
et nous interrompent quelques fois. L’ouverture imminente du centre est palpable.
➢ Jacques Marié, cadre supérieur socio-éducatif et responsable de service au centre de formation
professionnelle d’Alembert à Montévrain
23 février à 17h00
durée : 1h30
L’entretien s’est déroulé dans un cadre assez détendu, autour d’un café dans un bureau se trouvant dans l’enceinte du centre
de formation. Cette rencontre s’est tenue durant les vacances scolaires, ce qui a permis à Monsieur Marié de prendre le temps
de répondre longuement à mes interrogations. Nous avons parfois été coupé par les irruptions de certains éducateurs
sollicitant leur responsable pour des questions de congés. Le téléphone a également sonné à trois reprises, à chaque fois, il
s’agissait d’appels de structures voisines contactant l’organisme pour scolariser les jeunes accueillis.
➢ Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance spécialisé MNA au conseil départemental de
Seine-et-Marne
9 mars à 12h12
durée : 1h15
L’entretien s’est déroulé dans un cadre formel, au sein du service de l’Aide sociale. La personne interrogée m’a paru assez
tendu, elle m’a demandé à plusieurs reprises de ne pas faire mention de certains éléments dans mon mémoire.
➢ Julie Gobert, conseillère départementale membre de l’opposition (parti socialiste)
11 avril 2022 à 16h00
durée : 50 minutes
L’entretien a eu lieu en visioconférence. Madame Gobert est la seule élue au département qui ait accepté de me rencontrer.
Les membres de la majorité n’ont jamais donné suite à mes sollicitations.
12
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
➢ Stéphanie Coudert Logié, cheffe de service Aide sociale à l’Enfance à la MDS de Roissy-en-Brie
14 avril 2022 à 9h30
durée : 1h30
L’entretien s’est déroulé dans un cadre formel mais assez détendu dans les locaux de la Maison des solidarités.
Positionnement de la recherche dans le champ scientifique
Afin de comprendre les dynamiques qui sont à l’origine de cette politique publique et
pour analyser la manière dont cette prise en charge institutionnalise la marginalisation de ce
public, il faut s'intéresser à sa mise en œuvre. En clair, quel est l’état de la prise en charge
concrète des jeunes migrants sur le département et comment en est-on arrivé à cette situation ?
Aussi, mon travail consiste, dans un premier temps, en une approche “par le bas” des
politiques publiques. Au plus près des destinataires de cette politique, les travailleurs sociaux,
reçoivent directement la politique sociale du département et l’adaptent à leur réalité quotidienne.
S’éloigner d’une conception linéaire de la construction de l’action publique par les acteurs
politiques, revient à appréhender le droit comme “un système de potentialité à partir duquel se
déploient des activités spécifiques de mobilisation des règles”. Ce sont ces “normes secondaires
d'application''8
, adoptées dans les bureaux aseptisés de l’Aide sociale à l’enfance, ou prises par la
pratique dans les structures d’accueil et d’hébergement des jeunes MNA, qui font l’objet de mon
intérêt. Il s’agit alors de déplacer la focale sur ceux qui mettent en œuvre et fabriquent la
politique publique de prise en charge des mineurs non accompagnés.
Dans le cadre de cette étude de cas, les “street-level bureaucrats”9
, qui correspondent au
personnel des structures d’accueil des jeunes durant leur placement à l’ASE, adoptent des
comportements particuliers ayant trait à leurs trajectoires personnelles, et à des socialisations
particulières qu’il conviendra d’expliciter. Comprendre comment se forme l’action publique
suppose de connaître la manière dont elle est appropriée par les agents qui la mettent en œuvre.
La collecte des témoignages du personnel encadrant et éducatif permet d’identifier des
comportements, et de construire une typologie des agents de la mise en œuvre. Mais plus encore,
ces agents manifestent, pour la plupart, une attitude particulière comme détachés des prises de
décision. Comme si deux mondes parallèles, celui de l’administration décisionnaire, et celui des
associations exécutantes, se frôlaient sans jamais réellement interagir. Au contraire des
fonctionnaires des préfectures d’Alexis Spire10
, ou des agents de l’assurance maladie de Vincent
10
Spire, Alexis, “Accueillir ou reconduire : Enquête sur les guichets de l'immigration”, Raisons d'agir, 2008
9
Lipsky, Michael, “Street-level bureaucracy: Dilemmas of the individual in public service”, American Political
Science Association, 1980
8
Lascoumes, Pierre, “Normes”, Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée
et augmentée. Presses de Sciences Po, 2010, pp. 391-397.
13
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Dubois11
, les street level bureaucrates de la protection de l’enfance en Seine-et-Marne
n’appartiennent pas au corps des fonctionnaires. En cela, les dynamiques d’influence sur l’action
publique, si elles existent bel et bien, sont perçues différemment.
Des règles générales sont donc conçues au niveau national. Le département y construit
une politique publique dans la marge d’interprétation qui lui est laissée et les acteurs associatifs
se l’approprient, soit par l’acceptation soit en détournant certaines normes, participant ainsi
substantiellement à l’élaboration de la politique publique. Il faut donc penser l’articulation de la
mise en œuvre de terrain avec l’organe politique du territoire. C’est ici le travail de Matland qui
a permis d’éclairer les premiers résultats de cette enquête par sa matrice de “conflit-ambiguïté”.
Dans un contexte conflictuel où chaque acteur défend des objectifs incompatibles, le cadre
normatif présente nécessairement une certaine souplesse. Ceci constitue une façon d’obtenir des
compromis politiquement viables entre des acteurs ayant des points de vue contradictoires. La
politique de prise en charge des mineurs non accompagnés apparaît rapidement au niveau
national comme une politique ambiguë et conflictuelle qui permet de laisser la place aux
collectivités réfractaires d’exercer une liberté de mise en œuvre. Le conseil départemental se
saisit de cette souplesse juridique pour y construire deux politiques distinctes : la protection des
jeunes du territoire (prise en charge par le service de la protection de l’enfance) et la protection
des mineurs non accompagnés (prise en charge par le service de la protection de l’enfance
spécialisée).
Les “jeunes du territoire”
Il s’agit d’un élément de langage récurrent que les acteurs de terrain utilisent systématiquement pour désigner l’ensemble des
des enfants pris en charge par l’ASE, et qui ne sont pas des MNA.
Ainsi, la nationalité française n’est jamais présentée comme un facteur explicite de différenciation. Les acteurs se refusent à
employer le terme des “français”, en préférant un qualificatif plus flou. Néanmoins, l’emploi de ce terme pour désigner une
catégorie spécifique d’enfants à l’ASE pose déjà les jalons d’une marginalisation des mineurs non accompagnés.
Cette expression sera reprise au fil des développements dans le sens qui lui est donné par les acteurs de la protection de
l’enfance.
Nous verrons que ces deux services peuvent s’appuyer sur des instruments d’action
publique strictement identiques, mais que ces ressources sont inégalement réparties entre les
jeunes, selon qu’ils sont étrangers ou non. Deux prises en charge, qui donnent donc à voir la
construction de deux publics différenciés. La Seine-et-Marne n’échappe pas à la règle en
11
Vincent, “La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère”, Economica, 2008
14
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
organisant un service "spécialisé" MNA et en confiant leur prise en charge à des structures
associatives également spécialisées. Les principales associations en charge de la mise en œuvre
de cette politique publique sur le territoire sont : la Croix Rouge, l’association Arile et
l’association Empreinte.
Les modalités de prise en charge des jeunes non accompagnés par l’ASE, interrogent
notre rapport à l’autre. Un véritable modèle de légitimation se met en place. D’abord au niveau
politique suivant les alternances électorales, puis petit à petit, en gagnant les représentations
cognitives des travailleurs sociaux. L’idée qu’un jeune migrant aurait des besoins moindres.
Voilà une drôle de conception, assez peu convaincante in abstracto, mais qui trouve des
explications dans la manière dont cette politique s’est construite : dans l’urgence, face à l’accueil
d’une population arrivée dans un contexte migratoire clivant. Cette réflexion s’inscrit notamment
dans la lignée du travail de Sayad Abdelmalek portant le paradigme qui construit l’immigration
en contraste avec l'État. Il traite la question centrale de la distinction entre les “nationaux” et les
“non-nationaux”. Dans cette optique, le présent mémoire s’attachera à dénaturaliser la
distinction réalisée entre les enfants nationaux et ceux qui ne le sont pas.
Actualisation à venir : l’adoption de la loi Taquet
Les conflits entourant l’attribution des compétences prennent tout leur sens au 18 ème
anniversaire de l’enfant. Le passage à la majorité signifie le passage au droit commun. Cette
transition peut parfois s’avérer brutale si elle a été mal préparée. La Loi Taquet du 7 février 2022
relative à la protection des enfants prévoit un accompagnement obligatoire jusqu’à 21 ans, afin
d’encadrer cette période transitoire et d’éviter les “coupures sèches”. Nous verrons cependant
que l’effet réformateur de ces nouvelles dispositions restent à relativiser, et qu’une dépendance
au sentier12
semble se dessiner à l’aune d’une interprétation politique du terme
d'"accompagnement".
12
Palier, Bruno, “Path dependence (Dépendance au chemin emprunté)”, Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des
politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée. Presses de Sciences Po, 2010, pp. 411-419.
15
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Chapitre 1. L’élaboration d’une politique de prise en
charge locale différenciée dans l'ambiguïté des normes
nationales
16
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Introduction
Si ce mémoire vise à étudier la phase de mise en œuvre de la politique publique de prise
en charge des mineurs non accompagnés, il ne peut débuter que par l’explication de sa genèse et
des enjeux politiques qu’elle comporte.
Théorisé par Harold Lasswell13
, puis repris par de nombreux auteurs, le modèle
séquentiel constitue encore aujourd’hui le “cadre nécessaire à l’appréhension et à la
compréhension des politiques publiques”14
. James Anderson15
, par une actualisation du travail de
Charles Jones, propose ainsi une analyse en cinq étapes :
Phase 1 : mise sur agenda de la politique publique (policy agenda)
Phase 2 : formulation d’une politique publique (policy formulation)
Phase 3 : adoption d’une politique publique (policy adoption)
Phase 4 : mise en œuvre (policy implementation)
Phase 5 : évaluation de la politique publique
Ce cadre d'analyse, bien que critiquable sur le plan méthodologique, reste une base de travail
intéressante pour étudier les politiques publiques.
Dans cette optique, le présent chapitre s’attachera à exposer les phases 1, 2 et 3,
comprises dans une même temporalité désignée comme la “prise de décision”. En effet, la
politique publique de prise en charge de ces jeunes par le département de Seine-et-Marne ne
s’est pas construite de manière linéaire. Le mode de prise en charge, de l’hébergement à
l’insertion professionnelle, a été élaboré et mis en œuvre de manière simultanée. Contrairement à
d’autres politiques menées localement, la prise en charge des MNA, s’est construite dans
l’urgence, pour faire face à l’attribution d’un nouveau public à l’aide social à l’enfance, ou du
moins, à leur arrivée en un nombre significatif. Effectivement, avant cette arrivée importante, le
département recevait déjà des jeunes migrants mais dans une bien moindre mesure. Ainsi,
aucune politique spécifique n’était prévue une fois la minorité expertisée. En somme, avant
2016, si un jeune migrant était reconnu mineurs, il était pris en charge par l’ASE de
Seine-et-Marne, sans jamais qu’un protocole particulier ne lui soit appliqué.
15
Anderson, James E., “Public Policy-making”, Praeger, 1975.
14
Hassenteufel, Patrick, “Sociologie politique : l'action publique”, Armand Colin, 2011, pp. 29-42.
13
Lasswell, Harold Dwight, “Bureau of Governmental Research, College of Business and Public Administration”,
University of Maryland, 1956.
17
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Au début des années 2010, environ 8 054 MNA étaient portés à la connaissance de la
cellule nationale. Ils passent en 2019 à 16 760.
Direction de la protection de la jeunesse, Rapport annuel d'activité 2019 Mission mineurs non accompagnés
Le département de Seine-et-Marne n’échappe pas à cette augmentation. En l’absence de
données chiffrées précises, avant la mise en place du dispositif de la clé de répartition, il est tout
de même possible de caractériser
À travers les témoignages recueillis auprès d’acteurs locaux en poste dans les années
2015-2016. On voit donc apparaître une nouvelle problématique auquel le département doit faire
face.
Sans pour autant raisonner en terme de “problem solving”16
, la réalité du terrain, telle
qu’elle se donne à voir en 2016, apparaît comme une réaction d’urgence à de nouvelles
attributions de jeunes à prendre en charge. C’est ce mode particulier de mise à l’agenda (phase 1
de l’analyse séquentielle de Jones) qui fera l’objet de la deuxième section de ce chapitre.
Mais avant d’y arriver, il faudra réaliser un état des lieux des instruments d’action
publique mobilisés par cette politique de prise en charge. Dans la mesure où la politique destinée
16
Benson, Oliver, “The policy sciences and problem-solving”, Social Science Quarterly, vol. 52, no. 1, 1971, pp.
157–692.
18
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
aux MNA en Seine-et-Marne s’est construite sur la base d’outils préexistants du droit commun,
l’idée est d’en déterminer leurs modalités de mise en œuvre pour les mineurs non accompagnés.
Ce sera ensuite autour de ces fondations que s'érige une mise en œuvre particulière, étudiée au fil
des chapitres.
Enfin, les sections 3 et 4 du présent chapitre s’attacheront à analyser la manière dont la
politique influence cette politique sociale spécifique. D’abord comme marqueur politique saisi
par une nouvelle majorité de droite en 2016 (Section 3), puis par un assouplissement des
clivages durant la phase de mise en œuvre (Section 4). Il s’agira de se demander dans quelle
mesure, à une échelle locale souvent perçue comme peu politisée, la couleur politique du conseil
départemental peut influencer la nature des politiques sociales. Nous verrons que la mise en
œuvre d’une politique rigoriste s’est parfois heurtée à des résistances, mais que l’ascendant du
conseil départemental et de la direction de l’enfance au département demeure. Si une dynamique
d’assouplissement semble s’enclencher, notamment par un renouvellement des élus locaux, les
constructions mentales ont largement imprégné les représentations communes des agents de
terrain, et les réformes restent très incrémentales.
À ce jour, aucune évaluation formelle de la politique de prise en charge des MNA n’a été
réalisée en Seine-et-Marne.
Section 1. Etat des lieux des instruments d’action publique en jeu
Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès définissent l’instrumentation de l’action publique 
comme “l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils (des techniques, des
moyens d’opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action
gouvernementale. Il s’agit non seulement de comprendre les raisons qui poussent à retenir tel
instrument plutôt que tel autre, mais d’envisager également les effets produits par ces choix”17
.
C’est bien dans cette démarche que s’inscrit cette entrée en matière par les instruments de
l’action publique de prise en charge des MNA en Seine-et-Marne. Puisque ce sont des dispositifs
conçus au niveau central qui fondent l’action du département, il semble inévitable de débuter
toute explication par un bref état des lieux des instruments employés, de manière variable, par le
département de Seine-et-Marne.
17
Lascoumes, Pierre, et Patrick Le Galès, “Gouverner par les instruments”, Presses de Sciences Po, 2005
19
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
La politique de prise en charge des MNA en Seine-et-Marne s’est construite à l’origine
au sein du service de l’Aide sociale à l’enfance. Elle s’est progressivement marginalisée,
jusqu’à devenir dans le département une politique autonome, mise en œuvre par un service
administratif et des structures dédiées. Néanmoins, les prestations d’aide sociale à l’enfance
restent les mêmes que pour les enfants du territoire. Ces outils sont simplement mobilisés de
manière différente, au détriment des jeunes mineurs non accompagnés.
§1. Des dispositifs du droit commun préexistants à la politique publique
A. Des instruments d’action publique classiques de la protection de l’enfance
La politique de prise en charge des mineurs non accompagnés se construit à partir des
dispositifs existants pour l’aide sociale à l’enfance. Ces dispositifs sont pour la plupart conçus et
encadrés au niveau national par le biais d’une législation spécifique. Mais la compétence
d’attribution du département en matière sociale pousse le législateur à adopter des dispositions
floues et ambiguës, qui laissent aux exécutifs locaux la tâche de les mettre en œuvre. Cette
appropriation des outils prévue par le gouvernement comporte une grande marge de manœuvre.
Une fois l’ordonnance de placement provisoire (OPP) prononcée par le juge des enfants,
le mineur non accompagné est pris en charge par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance
(ASE) du département. Il reçoit durant la durée de cette ordonnance l’autorité parentale et doit
protéger l’enfant. Cette prise en charge est totale et va de l’identification d’un lieu de placement
adapté, à l’accompagnement du jeune vers une insertion professionnelle. Parler de prise en
charge comprend donc l’ensemble des mesures éducatives nécessaires au parcours d’un enfant.
Cette procédure de placement est la plus répandue et concerne tous les enfants de l’aide sociale à
l’enfance, qu’ils soient de nationalité française ou en attente de régularisation.
Concernant la politique de prise en charge des MNA, quatres instruments peuvent être
identifiés comme étant les principaux leviers d’action des travailleurs sociaux en Seine-et-Marne
comme ailleurs : le prix de journée, l’hébergement, la scolarisation, et le contrat jeune majeur.
S’ajoute à cela un ensemble d’éléments corollaires, tels que le suivi médical et psychologique,
qui ne seront toutefois pas développés ici.
20
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
1. Le prix de journée
Il correspond au budget alloué à chaque enfant pris en charge par l’ASE du département.
Le prix de journée est le fruit d’une négociation entre les associations et l’exécutif du
département, dont les lignes de financements sont votées en assemblée. Cette somme doit
pouvoir couvrir l’ensemble des frais engendrés par l’accompagnement en structure d'accueil, de
l’alimentation aux loisirs en passant par les salaires des encadrants. En pratique, l’ampleur de la
somme allouée conditionne la qualité de la prise en charge (qualité de la nourriture, nombre
d’encadrant par enfant, variétés des activités de loisir…).
2. Les modalités d’hébergement
Dans l’ensemble, les territoires sont assez libres dans le choix des modes d’hébergement
des jeunes. L’offre en la matière est variée (MECS, familles d’accueil, appartements partagés…).
Faire le choix de privilégier un certain type d'hébergement engendre forcément des
conséquences sur le parcours des jeunes. Les logements doivent être adaptés au profil et à la
personnalité des jeunes accueillis.
3. La scolarisation
La scolarité est un élément essentiel dans la vie d’un enfant. Les services de l’ASE sont
chargés de guider au mieux les jeunes, en les orientant vers des projets adaptés Elle conditionne
de manière importante leur avenir professionnel et leur ouvre les portes d’une intégration
sociale.
4. Le contrat jeune majeur et autres dispositifs de maillage avec la majorité
Enfin, l’accompagnement à la sortie de l’ASE constitue une problématique centrale dans
les politiques de prise en charge des jeunes en difficultés. Si le passage à la majorité n’est pas
bien préparé, le jeune majeur dépourvu de soutien familial, peut vite se retrouver dans une
position délicate. Pour pallier cette défaillance, l’idée d’un soutien éducatif et financier pour les
jeunes en sortie d’ASE de leurs 18 à leurs 21 ans est rapidement apparue comme une option
ouverte aux territoires, qui peuvent choisir ou non, de s’en saisir. Le contrat jeune majeur permet
aux jeunes confiés à l'Aide sociale à l'enfance de prolonger les aides dont il bénéficiait pendant
leur minorité. Ce contrat peut prendre la forme d'un hébergement, d’une allocation financière ou
encore d’un soutien psychologique. Ces modalités sont donc précisées en accord entre l’exécutif
départemental et le jeune. Dans cette même dynamique, l’insertion professionnelle, préparée lors
21
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
de la minorité par le choix de l’orientation scolaire et portée ensuite par une situation personnelle
stable, est aussi une des missions de l’ASE.
Si ces outils constituent la base des politiques d’ASE pour les MNA comme pour les
jeunes du territoire, ils sont déployés de manière différenciée par les organes décisionnaires du
département.
B. Une mise en oeuvre particulière permise par le principe de libre administration des
territoires
Le principe libre administration des collectivités territoriales est consacré par l'article 72
de la Constitution de 1958 : "Dans les conditions prévues par la loi, [les] collectivités
s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour
l’exercice de leurs compétences". En vertu de ce principe, les conseils départementaux disposent
d’une grande indépendance dans les domaines de compétence qui leur sont confiés. L’une des
compétences centrale du département est la promotion des solidarités et de la cohésion
territoriale18
. À ce titre, le coût financier de l’action sociale représente en moyenne plus de la
moitié de son budget de fonctionnement. La protection de l’enfance dont fait partie l’aide sociale
à l’enfance, mais aussi la protection maternelle et infantile (PMI), l’adoption ou encore le
soutien aux familles en difficultés financières, entrent dans le champ de compétence propre du
département.
Les outils d’action publique en matière d’aide sociale à l’enfance sont imaginés à
l’échelle nationale (principe de compétence du département pour le financement par la
décentralisation, offre de formation dispensée par l’éducation nationale, accompagnement après
majorité encouragé par la loi…). Mais ces outils sont ensuite appropriés et adaptés par les
départements. C’est à ce moment charnière, œuvrant dans le silence ou l'ambiguïté19
de la loi,
que se met en place un traitement différencié des MNA en Seine-et-Marne. En effet, le
département de Seine-et-Marne fait le choix, à travers un ensemble de normes secondaires
d’application, d’employer les outils d’actions publics précités (prix de journée, mode
d’hébergement, scolarisation, accompagnement à majorité). Le département s’est donc saisi d'
19
Matland, Richard E., "Synthesizing the Implementation Literature: The Ambiguity-Conflict Model of Policy
Implementation.", Journal of Public Administration Research and Theory, 1995, pp.145-174.
18
Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République
22
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
outils conçus au niveau national, pour les adapter à la réalité de son territoire, mais surtout, dans
notre cas, à sa volonté politique. C’est ce que confirme la cheffe de service de la protection de
l’enfance spécialisé MNA de Seine-et-Marne “en Seine-et-Marne, le département a choisi
d’apporter un accompagnement unique pour les MNA”, et la cheffe de service d’Arile, une
association prenant en charge ces jeunes sur le département : “On a vraiment une volonté
politique de ne plus mélanger. Ce qui n’était pas le cas avant”.
La volonté politique du département est clairement d’organiser deux modalités de prise
en charge distinctes et est ressentie comme telle par les acteurs de terrain. Il s’agit maintenant
d’observer concrètement la manière dont se met en place cette différenciation sur le plan
instrumental.
§2. L’emploi différencié d’instruments de droit commun
A. Des prix de journée à moindre coût
Selon la matrice NATO des instruments de gouvernement proposée par Christopher
Hood en 198620
, la capacité à gouverner repose sur quatre ressources cruciales : la nodalité
relative à la production-manipulation d’informations, l’autorité qui correspond au pouvoir légal
de déterminer le cours des choses en autorisant, en sanctionnant et en interdisant , l’organisation
qui renvoie à la construction d’architectures destinées à mobiliser des agents publics, à mettre en
place des équipements et à produire des services publics et les finances qui portent sur les façons
dont les gouvernements lèvent et dépensent des fonds21
. Dans leur ouvrage commun, Philippe
Bezes et Alexandre Siné s'étonnent du désintérêt du travail scientifique en science sociale pour
ce dernier élément de l’action publique : “le « T » de la matrice NATO des instruments de
gouvernement (nodality, authority, treasury, organization) semble constituer le maillon faible des
recherches de politiques publiques et, plus largement, de sociologie et de science politique”.
Pourtant, nous allons le voir dans le cadre de notre étude de cas, la question des
financements constitue un enjeu majeur, qui conditionne les modalités de prise en charge.
21
Bezes, Philippe, et Alexandre Siné, “Introduction : Gouverner (par) les finances publiques. Perspectives de
recherche”, Philippe Bezes éd., Gouverner (par) les finances publiques. Presses de Sciences Po, 2011, pp. 17-111.
20
Thoenig, Jean-Claude, “Christopher C. Hood, The Tools of Government, Macmillan, 1983”, Journal of Public
Policy, vol. 4, no. 2, 1984, pp. 153–154.
23
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
D’autant plus dans un contexte de grande dépendance des structures associatives aux
financements publics.
Nous on est tarifé à l’activité, on fonctionne avec des prix de journée de 100 euros par
jour en général. On calcule qu'accueillir un jeune revient à 100 euros par jour. Ça prend
en compte les repas, l’hébergement, le personnel, les voitures de fonction pour les
déplacements…Ce prix est facturé au département. Et le 77 a un des prix de journée les
plus bas, c’est parce qu'ils diminuent les financements publics depuis des années. La
Seine-et-Marne est un département plus rural, qui est assez stricte pour l'accueil des
MNA. Ça peut se voir ne serait-ce que sur le prix de journée, on est beaucoup plus bas
qu’ailleurs.
Florian Pozza, directeur du pôle enfance de la croix rouge à Meaux
A l’époque, on était sur du 150 euros en prix de journée, donc ça fait du 54 000 euros par
an. Financièrement parlant c’était problématique. A un moment donné c’était compliqué.
Donc en juin 2017, tous les contrats jeunes majeurs ont été annulés en Seine-et-Marne.
Ça a été très très violent pour les équipes. Et puis moi,pour une structures qui prenait les
17 - 21 ans, on est passé sur les 15-18. On tombait à des prix de journée de 50e par jeune.
Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis
Le personnel éducatif ressent donc dans son action quotidienne l’avarice du département.
Le budget accordé à chaque jeune est le fruit d’une négociation réalisée entre la structure
d’accueil et la direction de l’enfance. Cette somme doit être adaptée aux besoins du jeune et aux
modalités de prise en charge. Aucun tarif n’est explicitement affiché par le département, mais il
est admis, par tous les acteurs, qu’il est toujours moins élevé que pour les enfants du territoire.
On est sur 75,90 précisément pour un MNA. Après pour certains, on peut monter à du
160e, quand c’est des tout petits, ou alors pour des structures réduites. Forcément, ça
implique plus de frais pour les employés etc. De toute façon, c’est les structures qui nous
font les propositions de tarifs, et après on accepte ou on refuse. Pour les jeunes du
territoire, on est à 150… Ouais il y a une grosse différence. Après il y en a qui pensent
qu’ils ont besoin de moins. Bon c’est pas forcément mon cas… Mais certains le pensent.
Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance spécialisé MNA au
conseil départemental de Seine-et-Marne
Le prix de journée serait donc fixé à 75€90 contre 150€ pour les jeunes français. Ce
chiffre, formulé par la cheffe du service de la protection de l’enfance spécialisé MNA (SPES),
apparaît en réalité comme une moyenne. Certains acteurs parlent d’une centaine d'euros
(association Croix Rouge), d’autres plutôt d’une cinquantaine (association Arile). Ces sommes
24
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
peuvent donc passer du simple au double pour des jeunes qui présentent pourtant des profils
similaires.
Ces considérations économiques conditionnent ensuite la nature et les modalités des
prises en charge.
B. Les modalités d’hébergement
L’une des problématiques centrale pour la prise en charge des jeunes migrants est le
logement. L’hébergement fait partie intégrante de l’accompagnement éducatif proposé par
l’ASE. Les modes d'hébergement sont très variés : mise à l’hôtel, structures collectives,
appartements partagés, semi-autonomie…
La position du département a évolué sur cette thématique. Devant l'arrivée importante de
nouveaux MNA en 2016, le département avait opté pour des hébergements à l’hôtel. D’après la
cheffe de service de l’association Arile, déjà en poste à cette période, “les MNA partaient tous en
hôtel. En 2018, ils ont rouvert des structures pour des petits groupes, mais c’était avec moins
d’encadrement”. Peu à peu des structures spécialisées se sont mises en place sur le territoire.
Cette dynamique est encouragée au niveau national. À cet égard, la loi Taquet de février 2022
pose l’interdiction de l'hébergement des enfants dépendant de l'aide sociale à l'enfance dans des
hôtels. Un délai de deux ans est cependant laissé aux départements pour trouver des solutions
alternatives.
Sur ce point, le département avait déjà travaillé son accueil en systématisant les
placements en structures ou en appartements plutôt qu’à l’hôtel.
Répartition des modes d’hébergement spécialisé MNA en Seine-et-Marne
Types d’hébergements Nombres de places
disponibles
Nombre de places occupées
Mise à l’abris 30 non communiqué
Passerelles évaluation 77 51
Pré-autonomie 10 10
Appartements partagés 436 336
25
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Structures collectives 77 non communiqué
TOTAL 630 479
Données communiquées par le SPES en mars 2022
Selon les données communiquées par le département22
, la modalité privilégiée par le
département est celle des appartements partagés. Cela consiste simplement en une mise à
disposition d’appartements par le département. Ce dispositif intègre quand même des éducateurs
spécialisés, qui suivent et encadrent les jeunes, lors de visites régulières. Ce mode
d’hébergement est une prise en charge hybride, entre l’assistance éducative et la mise en
autonomie. On constate également une sous-exploitation généralisée des places disponibles (151
places vacantes). Ce phénomène témoigne du ralentissement des arrivées de jeunes MNA sur le
département, expliqué en partie par la fermeture des frontières durant le Covid-19. Enfin, le
nombre de places disponibles en structures collectives (type “foyer de l’enfance”) est très limité
comparativement au nombre de places en appartements. Ce dernier élément intervient en totale
rupture avec les dispositifs de l’ASE pour les enfants du territoire, pour qui le placement en
maisons d'enfants à caractère social (MECS) reste la règle en Seine-et-Marne. Cela témoigne
une nouvelle fois de la différenciation qui s’opère sur le territoire entre ces deux publics de
l’ASE, construites et perçues de manière différente.
Mais l’accompagnement par l’aide sociale à l’enfance ne peut se résumer à une prise en
charge éducative et financière. Il doit permettre aux jeunes adultes en devenir de débuter leur vie
dans de bonnes conditions. L’insertion sur le marché de l’emploi et plus largement l’intégration
sociale du jeune fait partie intégrante de la politique de prise en charge des enfants. Nous
verrons qu’une nouvelle fois les modalités du passage à la majorité divergent pour les MNA.
§3. La préparation à la sortie
L’âge de sortie des dispositifs de l’ASE peut varier d’un département à un autre. Si la
majorité est fixée à 18 ans depuis 1974 23
, le cadre légal rend possible un prolongement de
l’accompagnement par l’aide sociale jusqu’à 21 ans. Mais cette disposition reste une incitation
23
Loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 fixant à dix-huit ans l'âge de la majorité
22
Données recueillies lors de l’entretien avec Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance
spécialisé MNA au conseil départemental de Seine-et-Marne
26
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
qui n’a pas de force contraignante. Nous verrons que le département de Seine-et-Marne adopte
une toute autre position, bien plus restrictive pour les MNA.
A. Scolarisation
Pour préparer les jeunes à leur sortie de l’ASE, l’obtention d’un titre scolaire est décisif.
Le département semble porter cette scolarisation comme une priorité pour les MNA, autant que
pour les autres enfants pris en charge. Mais l’orientation des jeunes est tout à fait différente pour
les jeunes migrants. Dans un premier temps, la contrainte de la langue apparaît parfois comme
une difficulté supplémentaire qui rend compliqué l’accès à des formations dites “longues”.
L’autre contrainte qui détermine les orientations est l’arrivée souvent tardive des MNA dans le
dispositif. Une arrivée à 16 ou 17 ans rend, de facto, compliqué l’inscription du jeune dans un
parcours de formation de longue durée.
Généralement les jeunes savent à peu près dans quel domaine ils veulent aller. On va pas
se mentir, ils vont pas viser un master, ils savent que de toute façon, eux leur souhait c’est
de s’insérer rapidement. Il leur faut de l’argent rapidement. Donc on va être sur des
métiers plutôt de niveau CAP, titres professionnels, beaucoup des métiers du bâtiment, les
métiers de la bouche. Des formations rapides, et qualifiantes rapidement. En privilégiant
un maximum l’apprentissage pour que le jeune puisse avoir des ressources propres,
commencer à faire de l’épargne, et pas se retrouver à 18 ans sans rien.
Stéphanie Coudert Logié, cheffe de service Aide sociale à l’Enfance à la MDS de
Roissy-en-Brie
On l’observe à travers ce témoignage, l’orientation se fait dans un souci d’efficacité et de
rapidité. Dans la mesure où le département a cessé toutes les aides à la majorité, les plans de
formations doivent s’achever avant cette échéance. Les jeunes sont orientés en priorité vers des
domaines professionnels qui offrent une insertion sur le marché du travail plus rapide.
En matière de scolarité, tout ne peut pas non plus être généralisé. Certains jeunes,
souvent plus à l’aise avec la langue française, ou ayant suivi une scolarité antérieure, peuvent
prétendre à des formations plus qualifiantes. Mais ceux-ci restent quand même minoritaires.
L’orientation vers des formations courtes est valorisée en Seine-et-Marne par une volonté
claire, celle d’arrêter toute prise en charge à 18 ans. En effet, dans deux arrêts du 21 décembre
2018, le Conseil d'Etat a décidé que les départements étaient dans l’obligation de poursuivre une
prise en charge pour les jeunes majeurs “dans le cas de ceux qui poursuivent des études, jusqu'à
la fin de l'année en cours”. Mais cette obligation faite au département, par un effet pervers, loin
d’encourager le prolongement des accompagnements, pousse le service de l’ASE à refuser des
scolarisations qui dépasseraient les 18 ans. Par conséquent, le personnel de terrain, en
27
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
connaissance de cette position du département, ne propose aux jeunes que des formations
rapides.
Avant, n'importe quel jeune passait par la case CIO pour faire un test scolaire. Il était
orienté dans des classes spécialisées d’ apprentissage du français, et de la remise à
niveau. À partir de 2017, on garde ce système de CIO uniquement pour les moins de 16
ans. Ce qu’il s’est passé c’est que mettre un jeune à la rue s 'il encore scolarisé, c’est
compliqué. Du coup ils ont resserré les boulons, et ils refusent systématiquement toutes les
scolarités qui ne seraient pas finies à 18 ans.
Sauf qu’après c’est compliqué après pour avoir un titre de séjour car il faut une scolarité
ou bien un travail. Tout a été revu à chaque fois à la baisse. On nous a demandé qu’ils
aillent sur les métiers en tension pour être sûr d’avoir un emploi. Donc la restauration, la
couverture et l'hygiène. Donc quand ils arrivent, on leur annonce la couleur .
Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis
Cet effet “boule de neige” sera détaillé dans le troisième chapitre.
B. Sortie sèche à 18 ans : la systématisation des refus de contrats jeunes majeurs24
La position du département, en termes d’accompagnement à la majorité, est rigide. À 18
ans, la prise en charge pour les MNA doit s'arrêter. Laurence, une salariée de l’association Arile,
résume avec une pointe de sarcasme cette situation : “Aux 18 ans c'est joyeux anniversaire et
dehors !”. Néanmoins, cette rupture semble intervenir en totale contradiction avec le cadre légal.
Notamment avec la loi du 7 février 2022 qui prévoit un “accompagnement” jusqu’à 21 ans. Mais
cette disposition légale, qui entre dans le cadre conflict-ambiguity (Matland), n’est en réalité
qu’une simple incitation. Ainsi, l’interprétation faite en Seine-et-Marne, est pour le moins
rudimentaire.
Vous savez, il y a le cadre légal, et il y a l’interprétation qu’on en fait. Là, dans la loi
Taquet, ils parlent d’un “accompagnement” jusqu’à 21 ans. Et bien nous on ne comprend
ni "hébergement" ni “scolarisation obligatoire”, ni “contrats jeunes majeurs” après la
majorité.
Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance spécialisé MNA au
conseil départemental de Seine-et-Marne
Dans cette optique, le contrat jeune majeur ne peut pas être mobilisé dans le cas des MNA : “En
juin 2017, tous les contrats jeunes majeurs ont été annulés en Seine-et-Marne. Ca a été très très
violent pour les équipes” (Laurence, cheffe de service Arile). Ce refus strict étant perçu par les
24
Verdier, Pierre, “Le « contrat jeunes majeurs » : mythe et réalité”, Journal du droit des jeunes, vol. 320, no. 10,
2012, pp. 10-14.
28
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
travailleurs de terrain comme une contrainte difficilement acceptable. Dans une dynamique
d’assouplissement, une commission d’étude des dossiers s’est constituée au sein du SPES. Cette
assemblée permet une étude personnalisée, au cas par cas. La poursuite de l’accompagnement
reste d’une extrême rareté sur le département.
Tous ces leviers d’action publique, tanto écartés, tanto utilisés de manière différente, sont
les témoins d’une politique sclérosée par des facteurs exogènes, qu’il s’agira d’expliquer.
Section 2. L’engagement d’un bras de fer entre l’Etat et le département
Après ce bref état des lieux, essayons de comprendre quels sont les éléments de context
qui ont conduit l’exécutif départemental à adopter une politique différenciée avec les enfants
français ?
Dans le sillon creusé par Matland, le cadre légal de la protection de l’enfance peut être
analysé comme relevant du modèle “conflict-ambiguity”. Le législateur définit les grandes lignes
de l’action publique en essayant de ne pas empiéter sur le principe de libre administration, qui
pose le département comme seul décisionnaire en matière de politique de protection de
l’enfance. Ce partage des compétences ne s’est pas fait sans heurt en Seine-et-Marne.
§1. Une politique de l’urgence
Dans un premier temps, la politique de prise en charge des mineurs non accompagnés
porte les stigmates d’une construction hâtive.
A. Une réalité migratoire inédite
La politique sociale de prise en charge des mineurs non accompagnés, fortement liée aux
flux migratoires, s’est intensifiée à l’été 2015 au niveau européen avec ce qui fût nommée dans
les médias comme la “crise migratoire25
”. De facto, les arrivées de migrants ont connu une
augmentation entre 2014 et 2016. Les données agrégées restent néanmoins rares et peu fiables au
regard de la difficulté évidente que représente la quantification de l’immigration clandestine.
25
Blanchard, Emmanuel, et Claire Rodier, “« Crise migratoire » : ce que cachent les mots”, Plein droit, vol. 111, no.
4, 2016, pp. 3-6.
29
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Au niveau national, l’Allemagne est le pays qui a accueilli le plus de personnes immigrantes,
passant d’environ 884 893 immigrants de longue durée en 2014 à 1 571 047 personnes en 2015.
La France, quant à elle, n'a jamais connu de pique drastique de ses accueils. En 2014, le nombre
d’immigrants de longue durée était de 340 383, passant pour l’année 2016 à 377 709. Une
augmentation d’à peine 37 325 personnes, qui a pourtant bouleversé les représentations
cognitives de part un traitement médiatique et politique largement déformant.
De manière corrélative, l’augmentation générale de l’immigration a engendré une
augmentation de MNA à prendre en charge.
En 2016, la clé de répartition est mise en place26
afin de confier les jeunes recueillis par
la cellule nationale de manière équilibrée entre les différents départements. A cette époque, la clé
est calculée “en fonction de critères démographiques et d'éloignement géographique”27
.
27
Article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles
26
Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant
30
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
B. Une réponse variable dans le temps
L’intensification des flux dès 2016 a contribué à engorger le système existant à l’époque.
Les nouveaux jeunes migrants étaient placés, comme et avec les autres enfants, en structures
collectives. Aucunes modalités de prise en charge n’étaient spécifiées, du moins après la
reconnaissance de minorité.
En fait, ça s'est pensé face à l’afflux migratoire qu’il y a eu en 2016. Et alors là ça a été
une catastrophe. On a tout monté de pièce, tout a été pensé dans l’urgence.
Stéphanie Coudert Logé, cheffe de service MDS Roissy-en-Brie (77)
Ce qui s’est passé entre 2013 et 2017, c’est que le nombre s’est multiplié par 13. Avant ils
étaient accueillis dans les foyers classiques, ils avaient les mêmes droits en termes de
contrat jeune majeur par exemple. Mais il y a eu saturation. En fait, il y a certains foyers
qui ont préféré accueillir les MNA plutôt que les autres de l’ASE, parce que oui ce sont
des jeunes plus simples, qui respectent les consignes.
Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis
Face à cet afflux supplémentaire, le département a tout d’abord réagi en s’appuyant sur les
ressources institutionnelles déjà existantes. Les jeunes étaient placés dans les structures d’accueil
traditionnelles avec les enfants du territoire. Comme le soulève la cheffe de service, cette arrivée
ne s’est pas faite sans conséquence. Les places en foyers devenant des ressources rares, s’est mis
en place une dynamique compétitive pour les obtenir. Les jeunes du territoire sont rapidement
apparus, aux yeux des travailleurs de terrains et du personnel politique, comme lésés dans cette
compétition inégale. Nous verrons ensuite que cette réaction des structures d'accueil s'explique
en partie par la construction d’un schéma cognitif autour de l’image des MNA plus disciplinés.
Mais force est de constater que cette prise en charge commune, fragilisée par une mise en
concurrence des intérêts, a rapidement divisé l’ASE en deux sphères distinctes au détriment des
MNA. En effet, quelques mois après l’adoption de la clé de répartition nationale et l’arrivée de
nouveaux jeunes à l’ASE de Seine-et-Marne dans les structures existantes, le département a peu
à peu constitué une procédure parallèle de prise en charge. La temporalité de cette mise en œuvre
reste assez floue puisqu’elle s’est construite, au gré des arrivées, dans un contexte de rigueur
budgétaire. "Ça a été du bricolage”, déclare Laurence, cheffe de service de l’association Arile,
témoignant ainsi du caractère lacunaire de cette politique.
Les facteurs explicatifs de cette marginalisation des MNA feront l’objet des prochains
développements.
31
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
§2. La difficulté de la compétence partagée
Le premier élément d’explication réside sans doute dans la relation conflictuelle qui s’est
instaurée avec l’Etat en 2016.
A. Une relation conflictuelle entre l’Etat et le département
1. Une répartition contraignante
En effet, l’adoption de la clé de répartition en 2016 a raisonné au sein du conseil
départemental comme l’imposition, autoritaire et verticale, d’un nouveau public extérieur à
prendre en charge. Comme l’exprime Stéphanie Coudert Logé, cheffe de service en Maison des
solidarités, “ces jeunes là, ils arrivent par le haut”. C’est donc ainsi que sont perçus les arrivées
par la cellule nationale. Puisqu’avant 2016, les seuls MNA mis à la charge du département
étaient ceux relevant du territoire (donc recueillis, et placés par un juge du département), leur
présence au sein des services apparaissait presque normale, et ne mobilisait aucune attention
particulière.
L’adoption de la clé de répartition marque un grand tournant en donnant à voir les
mineurs non accompagnés comme un groupe imposé par l’Etat, venant empiéter sur les deniers
publics destinés aux jeunes seine-et-marnais.
Il apparaît donc naturel à l’exécutif du département et au service de l’ASE, de décliner
des modes de prise en charge présentés comme plus adaptés (mais en réalité moins coûteux).
2. “Mettre l’Etat face à ses responsabilités”
Plus que ça, c’est un sentiment de délestement de l’Etat sur le département qui imprègne
les représentations à cette époque. Plus que jamais positionnés à la périlleuse place du
“mi-enfant, mi-migrant”, les MNA font les frais d’un bras de fer s’opérant entre les niveaux de
gouvernance. Le département renvoie la balle à un Etat qui choisit de considérer les MNA
comme des mineurs à protéger, relevant ainsi de la compétence départementale.Ce débat se
trouve exacerbé par la réflexion autour de l’accompagnement à majorité. En effet, pourquoi
l’ASE devrait-elle assumer la prise en charge de jeunes migrants et majeurs ?
Le département s’est saisi de cette question dans une note interne adressée par la
direction générale de la solidarité le 16 juin 2017 aux directeurs d’établissement portant mesures
32
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
spécifiques MNA en raison de la “saturation du dispositif d'accueil" 28
. Cette note prévoit entre
autres une rupture sèche de la prise en charge à 18 ans. Une ligne de ce document est
particulièrement éloquente : “Aujourd’hui il entend mettre le département face à ses
responsabilités sur la problématique des MNA”. Au regard du caractère discriminatoire de
l’exclusion du contrat jeune majeur pour les MNA, l’association Gisti et la Ligue des droits de
l’Homme ont intenté un recours pour excès de pouvoir contre cette note. Cette action a été
accueillie dans un jugement du 19 juin 2020 annulant la note pour erreur de droit. Malgré ce
rappel à l’ordre, le département ne changera pas sa position, en témoigne une déclaration en
2018 de Jean-Louis Thieriot, alors Président du Conseil départemental de Seine-et-Marne : “Je
rappelle que la gestion des populations de migrants est du seul ressort de l'Etat. Celui-ci doit
donc assumer pleinement ses responsabilités”29
.
Ce renvoie permanent de la responsabilité apparaît alors comme un élément peu
sécurisant pour les jeunes migrants.
C’est vrai que ce sont des jeunes, qui vont respecter l’adulte, qui sont plutôt polis, à
l’écoute. Bien qu’on peut les rendre violents, souvent à cause de problèmes
d’incompréhension. Ces jeunes-là sont extrêmement stressés car ils savent que leur
situation dépend de leur situation administrative. D’autant qu’ils savent qu’aux 18 ans
c'est joyeux anniversaire et dehors !
Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis
La situation semble inextricable. Pourtant, afin de tenter de contraindre les territoires
réfractaires, tout en conservant une bonne entente, le législateur adopte une position ambiguë.
B. Une législation du compromis : l’exemple de l’accompagnement jusqu’à 21 ans
L’exemple le plus représentatif de ce cadre “conflict ambiguity” (Matland) est celui de
l’accompagnement transitoire après la majorité en sortie de l’ASE. Si l’article L222-5 du code
de la famille et de l'aide sociale30
prévoit que “peuvent être également pris en charge, à titre
temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les
majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute
de ressources ou d'un soutien familial suffisants”, aucune obligation ne contraint réellement le
département. Le choix du terme “accompagnement”, plutôt que celui de “prise en charge” ou de
30
Article 16 de la Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant
29
De Souza, Pascale, “Seine-et-Marne : une marche solidaire des jeunes migrants entre Meaux et Melun”, Le
Parisien, 17/11/2017
28
Voir annexe 1
33
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
“suivi éducatif” par exemple, intervient dans un contexte conflictuel (de tension entre certains
départements et l’Etat sur la question des MNA), et dans un registre ambigu, afin d’ouvrir à
chaque territoire une ample marge d’appréciation. Cette place laissée à l’interprétation
caractérise la frilosité du gouvernement à l’initiative du projet de loi à contraindre des
comportements locaux pourtant problématiques.
À cet égard, le département de Seine-et-Marne, fidèle à sa politique, réalisera
vraisemblablement une interprétation réductrice de cette disposition législative.
“On a pas encore annoncé à nos équipes que la nouvelle loi qui prévoit un
accompagnement, le département l’interprète juste comme un suivi de nos collègues du
service social. Il y en a qui vont être déçu, ne serait-ce que vis à vis des contrats jeunes
majeurs”
Stéphanie Coudert Logié, cheffe de service Aide sociale à l’Enfance à la MDS de
Roissy-en-Brie
Il convient maintenant de s'intéresser aux circonstances particulières, qui ont poussé la
Seine-et-Marne à adopter une posture aussi réfractaire à la prise en charge de ces nouveaux
jeunes de l’ASE. La dimension partisane apparaît bien, dans le contexte de l’intensification du
flux migratoire en 2016, comme un concours de circonstance déterminant.
Section 3. Le cadre politique départemental : la politique de prise en
charge des mineurs non accompagnés comme marqueur politique
Les acteurs politiques le savent bien, la mise en œuvre d’une politique publique n’est pas
sans effet sur la popularité des élus au pouvoir et sur les résultats des futures élections. Kent
Weaver31
parlera de “credit claiming” pour les politiques publiques adoptées dans un but
électoraliste et de “blame avoidance” pour l’inaction engendrée par une peur de la baisse de
popularité. Ces considérations orientent donc d’une certaine manière le positionnement des
acteurs de la prise de décision.
S’interroger sur l’orientation prise par une politique publique donne l’intuition qu’une
partie de la réponse se trouve dans la coloration politique des instances décisionnaires. En
somme, se demander pourquoi la Seine-et-Marne a-t-elle mis en œuvre, à partir de 2016, une
31
Weaver, R. Kent. “The Politics of Blame Avoidance.”, Journal of Public Policy, vol. 6, no. 4, 1986, pp. 371–398.
34
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
politique publique de prise en charge différenciée, suppose de porter le regard sur les élus au
département. Est-ce parce que le conseil départemental est à droite qu’une population
immigrante se trouve marginalisée ? Ce lien de cause à effet a pourtant été largement
déconstruit par les travaux de sociologie de l’action publique. Cette relativisation de l’effet “du
politique” sur “la politique” s’accentuerait au niveau local, traditionnellement considéré comme
moins politisé. Néanmoins, interrogé sur la question, Jean-Claude Thoenig déclare que “la
variable "idéologie partisane" joue”32
même localement. C’est cette hypothèse, qui fera l’objet
de cette troisième section.
§1. Le changement de majorité au conseil départemental
Le département de Seine-et-Marne a connu un renouvellement politique important en
2015. L’adoption de la clé de répartition nationale en 2016, a conduit la nouvelle majorité de
droite à développer la politique publique de manière différenciée. La composition du conseil
départemental (qui s’appelait alors le conseil général) passe, aux élections de 2015, d’une
majorité socialiste à une majorité d’élus de l’UMP. Cette nouvelle coloration politique s’impose
avec force par l’obtention de 31 des 40 sièges qui composent l’assemblée.
32
Lorrain, Dominique, Jean-Claude Thoenig et Philippe Urfalino, “Does local politics matter ?. Débat entre D.
Lorrain, J.-C. Thoenig et P. Urfalino”, Politix, vol. 7-8, no. 3-4, 1989, pp. 115-123.
35
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Rapidement, la question des MNA devient un marqueur politique fort. Le conseil
s’engage et assume son positionnement hostile envers cette population immigrée. Plus que
jamais, la question des mineurs non accompagnés divise. Elle cristallise le clivage gauche-droite
pourtant largement asymétrique en Seine-et-Marne à partir de 2015.
[Quelle a été la position du conseil départemental sur la prise en charge des MNA à
l’arrivée de la nouvelle majorité ?]
Sur ce timing là il y a eu tous les débats autour de la reconnaissance de minorité, avec
tout pleins de protocoles qui étaient appliqués et qui posaient problème, parce
qu'effectivement il y avait notamment les évaluations osseuses. Ça a déjà créé un certain
débat entre nous. Sachant que c’est très facile de se réfugier derrière ça alors qu’on en
connaît les limites. En plus d’autre part c’était tout de suite considérer les personnes qui
demandaient une aide comme des fraudeurs potentiels. Et ce qui était déjà en ligne dans
leur manière de traiter du RSA puisque c’est en 2015 qu’ils ont mis en place toute une
politique publique de lutte contre la fraude du RSA (...)
Donc voilà, il y avait déjà ce côté là d’être dans cette défiance permanente vis à vis de
jeunes qui étaient des jeunes un peu particulier, parce que, ne correspondant pas tout à
fait aux jeunes de l’ASE.
(...)
Il y a eu le débat aussi de dire, ce sont des enfants comme les autres, on ne peut pas les
distinguer des autres enfants qu’on intègre dans l’ASE. Et même s' ils sont un peu plus
agés, même s’ils n’ont pas eu la même culture que nous, ce sont des enfants et il faut
qu’on puisse avoir des politiques, les mêmes, où alors les adapter pour qu’ils puissent
recevoir la meilleure des aides pour leur accompagnement social, à la santé.
36
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
(...)
Tout ce qui existait déjà de pas très bon dans l’ASE était démultiplié pour les mineurs non
accompagnés.
(...)
Je pense que c’est vraiment une position politique dès le départ puisque nous en 2016 on
nous parlait de “flux de jeunes migrants sur le territoire” comme quelque chose
d’horrible qui arrivait sur le territoire dont on ne savait que faire, comment les traiter. Et
donc parce qu'ils étaient moins jeunes que la plupart des enfants qu’on accueille dans un
premier temps à l’ASE, il y a eu la volonté de distinguer très fortement ces publics. Ce
qu’on peut comprendre sur certains aspects, mais pas sur d’autres. Quand c’est de la
discrimination pure et simple et qu’il n’y a pas le même suivi alors que c’est des enfants
qui ont aussi des parcours très très difficiles.
Julie Gobert, conseillère départementale membre de l’opposition (parti socialiste)
C’est donc dans ce contexte politique que s’élabore et se construit la politique de différenciation
des MNA. Plusieurs éléments transparaissent dans ce témoignage. Dans un premier temps, il
valide l’hypothèse d’un clivage, au sein du conseil départemental, sur la question des mineurs
non accompagnés. Dans la suite de notre entretien, la conseillère départementale socialiste
déclare ne pas vouloir “laisser dire ce qui a pu être dit au niveau seine-et-marnais”. Ensuite, on
observe que la politique de prise en charge des MNA ne fait pas figure d'exception à cette
période, et c’est bien un ensemble de politiques sociales, qui s’orientent alors dans une
dynamique restrictive (autour de la question du RSA notamment).
À l’appui des travaux portant sur l’impact des variations politiques sur les politiques
menées, qui dépeignent plutôt une corrélation relative entre ces deux éléments, on pourrait se
demander dans quelle mesure l’alternance politique a-t-elle réellement construit la
différenciation des prises en charge ? Car finalement, qui de l’arrivée importante et inédite d’un
nouveau groupe d'individus appartenant à une catégorie imprécise, ou de l’arrivée à la tête de
l’exécutif du département d’un parti de droite, permet d’expliquer l’émergence de cette politique
de prise en charge ? Il semble plus raisonnable de conclure à une explication partagée, d’un
département rétif, devant composer avec l’arrivée d’un public mal connu.
Un tel positionnement politique s’est, en outre, vu porté par l’inquiétude des riverains.
37
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
§2. L’enjeu de l’acceptation par les riverains : entrée par la géographie sociale
A. La faible mobilisation des élus
Lors de l’entretien réalisé auprès de madame Gobert (conseillère départementale
socialiste), celle-ci revient sur sa décision de siéger à la commission des solidarités, dont l’une
des missions est la prise de décision pour les MNA : “ il y en avait pas beaucoup qui voulait
siéger aux solidarités. Parce que c’est vraiment le cœur d’action du département mais ce n'est
pas non plus souvent ce qui permet la plus grande visibilité politique”. On comprend déjà que le
secteur de politique publique des solidarités n’est pas attractif pour les élus. En effet, leur action
apparaît souvent sur le temps long, et n’est pas forcément attribuée au conseil départemental. Les
“policy feedbacks”33
qui en découlent ne sont pas porteuses politiquement. De manière évidente,
les nouveaux élus UMP arrivés en 2015 ne se sont pas bousculés pour s’investir dans les
dossiers relevant de l’aide sociale à l’enfance. S’ajoutant à un rejet de la prise en charge par le
département des nouveaux mineurs non accompagnés, le peu d’intérêt électoral que représente le
secteur de la protection de l’enfance, en fait une question peu mobilisatrice pour la majorité.
Ainsi, la question des MNA n’est pas une cause séduisante pour la population. L’arrivée
de ces jeunes étrangers est souvent perçue de manière négative par les riverains.
B. “Vivons cachés, vivons heureux”, ou comment le département organise la discrétion de
jeunes qui dérangent
À cet égard, une approche par la géographie sociale permet de tirer des observations
significatives. Selon Sophie Blanchard, Jean Estebanez, et Fabrice Ripoll34
à propos de l’espace
géographique : “beaucoup affirment que la société produit l’espace, mais aussi que l’espace
produit des effets en retour sur la société : il agit rétroactivement”. Cette grille d’analyse prend
tout son sens lorsqu’on s'intéresse à certains lieux d'accueil des MNA en Seine-et-Marne.
À titre d’illustration, l’ouverture, en décembre 2021, d’une nouvelle structure d'accueil
temporaire des jeunes étrangers en attente de reconnaissance de minorité est édifiante. Les
jeunes y sont pris en charge par l’association Arile. Il s’agit pour le département d’un dispositif
34
Blanchard, Sophie, Jean Estebanez, et Fabrice Ripoll. « Chapitre 2. Approche, grille d’analyse et principaux
concepts », , Géographie sociale. Approches, concepts, exemples, sous la direction de Blanchard Sophie, Estebanez
Jean, Ripoll Fabrice. Armand Colin, 2021, pp. 33-50.
33
Pierson, Paul, “When Effect Becomes Cause: Policy Feedback and Political Change.”, World Politics, vol. 45, no.
4, 1993, pp. 595–628.
38
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
inédit, qui permet une mise à l'abri immédiate des MNA arrivant sur le territoire, afin d’opérer
l’évaluation de leur âge. Cette structure est implantée sur la commune de Saint-Germain-Laxis.
Situé en zone rurale, le village de 7 km2
compte 738 habitants. Il est situé à 6,4km de la Ville
de Melun, chef-lieu du département.
Mairie de Saint-Germain-Laxis, “Note de présentation”, https://www.mairie-saintgermainlaxis.com/l/note-de-presentation/,
23/03/2021
L’implantation de la structure s’est faite au sein de la zone urbanisée de la commune.
Néanmoins, l’aménagement du centre manifeste une dynamique de mise à l’écart. J’ai pu
le visiter à l’occasion d’un entretien avec la cheffe de service de l’association. Tout d’abord, la
structure n’est pas identifiable depuis la route. Le portail est assez haut. Les arbres et les clôtures
opaques cachent les habitations. Contrairement à un autre centre d’hébergement de jeunes
atteints de troubles psychiatriques présent à quelques mètres sur la même commune, aucune
pancarte n’indique la présence d’un organisme à caractère social. Alors que je m’excuse de mon
retard et explique à Laurence que j’ai eu beaucoup de mal à identifier ce lieu comme étant le
foyer d’accueil, elle me répond que c’est un choix de leur part. Ils veulent se “faire discret” vis à
vis du voisinage. Cette scène donne à voir l’inquiétude des riverains mais aussi le fait que la
structure est pensée dans une volonté de discrétion, afin de limiter les contestations.
39
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Prise de vue Google Maps du lieu d’accueil (juin 2021)
Il est à noter qu’à ce jour le portail a été repeint, d’une couleur sombre mais unie. Néanmoins le
reste des éléments sont encore identiques. D’extérieur, le lieu ne dégage plus un sentiment de
vétusté comme pouvait le laisser penser l’état dégradé de la devanture, mais cette dernière reste
très épurée afin de ne pas attirer l'œil des badeaux.
À mon arrivée devant la grille, je constate que Laurence est entrain de discuter sur le
trottoir avec une femme, visiblement sortie précipitament (en pyjama, en chaussettes avec des
tongs). Je me joint à la conversation et comprends que cette personne est l’occupante de la
maison voisine, elle a interpellé la directrice de ce nouveau centre pour exprimer ses inquiétudes
face à l’arrivée de ces jeunes. Laurence lui explique le profil spécifique des MNA, fait preuve de
pédagogie pour tenter de calmer ses inquiétudes. Finalement, la voisine rentre chez elle en disant
“j’attend de voir, j’espère que ça va le faire”. J’interroge alors Laurence sur cette inquiétude du
voisinage. Elle m’expliquera que l’autre structure présente sur commune accueil un public
beaucoup plus “compliqué” qui aurait tendance à perturber la tranquillité du voisinage.
40
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Prise de vue Google Earth
En outre, les habitations, pour le moins rudimentaires, donnent le sentiment d’un lieu de
passage instable, peu sécurisant pour les jeunes. Les habitations sont des petits chalets en bois ou
des bungalows. Pour circuler entre les dortoirs, les sanitaires ou les parties communes (salle
informatique, bureaux des encadrants…), il faut traverser des chemins en terre battue.
L’ensemble donne l’impression d’être dans un camping.
En somme, la politique de prise en charge des MNA en Seine-et-Marne se construit en
2016 autour d’une volonté politique claire de mise à l’écart. Mais la construction de tels
dispositifs d’action publique s’est heurtée à la mobilisation de certains acteurs locaux et
associatifs. Des bribes de réformes semblent s’amorcer depuis 2021.
41
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Section 4. Dépendance au sentier et tentatives de mesures réformatrices
portées par le bas
Si les travailleurs sociaux s’accordent pour dénoncer le caractère discriminant, ou du
moins inégalitaire, du traitement des MNA en Seine-et-Marne, ils évoquent aussi souvent les
avancées récentes du département.
Ce mouvement réformateur, certainement poussé par l’exacerbation des problématiques
et le ralentissement des flux durant l'épidémie de Covid 19, s’explique en partie par la
mobilisation des acteurs de terrains. Nous verrons comment les élus locaux se sont saisi de cette
problématique, et dans quelle mesure la dépendance au sentier35
oriente-t-elle tout de même les
politiques de prise en charge des jeunes migrants.
§1. Mise à l’agenda d’un problème public par des groupes contestataires
Dans un premier temps, la résistance s’organise au niveau des associations de défense
des droits des migrants qui intenteront des actions en justice. Cette mobilisation sera relayée par
la presse locale.
A. Les voix s’élevant contre une politique jugée discriminatoire
L’entrée en vigueur de la nouvelle politique départementale se fait de manière brutale.
Les effets ne tardent pas à se faire sentir, du côté des jeunes mais aussi du personnel encadrant.
Laurence, cadre d’une association prenant en charge des MNA sur le territoire, témoigne de cette
violence ressentie par ses équipes : “en juin 2017, tous les contrats jeunes majeurs ont été
annulés en Seine-et-Marne. Ça a été très très violent pour les équipes. (...) On tombait à des prix
de journée de 50€ par jeune. On divise par 3, c’est assez drastique. Après, les MNA partaient
tous en hôtel. En 2018, il ont rouvert des structures pour des petits groupes, mais c’était avec
moins d’encadrement”.
Ce sont les associations déjà présentes sur le territoire qui se mobilisent les premières.
Les bénévoles d’associations, mais aussi des éducateurs et de simples citoyens s'impliquent dans
la défense des droits de ces mineurs non accompagnés. Le “collectif 77 de soutien aux Mineurs
et Jeunes Majeurs Étrangers” est créé en 2017, rejoints par les associations Amnesty
International, la Ligue des droits de l’Homme, la Pastorale des Migrants, le Réseau Education
35
Pierson, Paul, “Dismantling the Welfare State ? Reagan, Thatcher, and the Politics of Retrenchment”, New York,
Cambridge University Press, 1994, pp.213
42
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
Sans Frontières, le Secours Catholique, Turbulences et De Loin en Loing Solidarité Migrants.
Plusieurs manifestations sont organisées entre 2016 et 2019, pour protester contre des
traitements jugés excluant et non conforme aux droits des enfants.
S.Bo., “Seine-et-Marne : flash-mob pour sensibiliser à la cause des migrants mineurs”, Le Parisien, 19/01/2019
La presse locale36
aura ici un rôle de porte voix des formulations qui se sont construites
en dehors d’eux. La médiatisation de ces mauvais traitements dépasse les frontières du
département puisqu’en juin 201837
, Jean-Louis Thiériot, alors Président du conseil
départemental, signe une tribune dans le figaro en qualifiant la prise en charge des mineurs non
accompagnés d’ “épine dans la chair des départements”. Une nouvelle fois, il est question de la
charge financière que représente ce public pesant sur un département qui s'inquiète de n’avoir
“aucune prise sur l’immigration”.
B. Sanctions juridiques
Malgré une position apparemment inflexible du département dans les premières années
du dispositif, la justice interviendra pour sanctionner le département. Le Conseil d’Etat,
annulera notamment une note interne du département intitulée “saturation dispositif d'accueil -
mesures spécifiques MNA” en date du 16 juin 2017 dans l’arrêt précédemment cité du 21
décembre 2018. Deux éléments sont intéressants aux termes de notre analyse. Tout d’abord, le
juge n’a pas annulé la note en raison d’une discrimination, invoquant le principe de libre
37
Jean-Louis Thiériot, “Jean-Louis Thiériot : «Mineurs étrangers, le grand silence de la loi asile et immigration»”,
Figarovox, 22/04/2018
36
(notamment) Van Caeyseele, Julien, “ Les MNA et jeunes majeurs "ne sont pas venus en France pour crever", La
République de Seine-et-Marne, 17/06/2018
43
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
administration des territoires. L’annulation est seulement motivée en droit, ce qui ne remet donc
pas en cause la marge de manœuvre du département. Ensuite, les motivations avancées par
l’association gisti, à l’origine de cette action, abondent dans le sens d’une politique
discriminante : “Les associations requérantes combattant toute forme de discrimination fondée
sur la nationalité”38
. Ce dernier point n’est pas repris dans la décision du Conseil d’Etat.
En somme, l’intervention judiciaire, comme celle des médias, finissent simplement de
parachever un engagement porté “par le bas”. Ces revendications semblent parvenir à franchir
les portes du conseil départemental au gré des renouvellements politiques.
§2. Mise à l’agenda politique du problème de la prise en charge différenciée
Peu à peu la mauvaise prise en charge des mineurs non accompagnés en Seine-et-Marne
passe d’une mobilisation sociale à l’agenda institutionnel39
. Pour comprendre ce déplacement,
Hilgartner et Bosk40
distinguent trois arènes publiques : les arènes médiatiques, les arènes
d’expression collective et les arènes institutionnelles. En 2016, l’arrivée des migrants s’impose
aux institutions comme un point d’urgence, qui donne lieu au “bricolage” d’une politique
fortement marquée politiquement. Deux ans plus tard, en 2018, la question passe à l’arène
d’expression collective (collectif 77), qui sera très vite reprise par l’arène médiatique. Ce n’est
finalement qu’en 2021 que les élus locaux vont véritablement se saisir du problème. Mais
comment expliquer cette mutation ?
Aucun élu de la majorité n’ayant souhaité s’exprimer sur le sujet, les hypothèses retenues
ici, ont pu être validées seulement par Madame Julie Gobert, membre de l'opposition au Conseil
départemental de Seine-et-Marne.
40
Hilgartner, Stephen et Charles L. Bosk,“The Rise and Fall of Social Problems: A Public Arenas Model.”,
American Journal of Sociology, vol. 94, no. 1, 1988, pp. 53–78
39
Loveridge, Ronald O. “Participation in American Politics: The Dynamics of Agenda-Building. By Roger Cobb
and Charles Elder”, American Political Science Review, vol. 67, no. 3, 1973, pp. 1009–1010
38
Extrait de la requête en annulation portée par l’association gisti et la ligue des droits de l’homme, représentées par
Me Ambre BENITEZ, Avocate au barreau du Val de Marne. (voir annexe 2)
44
LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022
A. Une mobilisation naissante des élus locaux
1. Effets directs de la médiatisation
Avant tout, il apparaît rapidement que la médiatisation dont à fait l’objet la question des
MNA a fortement pesé dans la mise à l’agenda de ce problème. Comme en témoigne l’entretien
réalisé avec l’élu PS :
En 2021 nous on en a fait un vrai objet de campagne même si finalement peu de gens
connaissent ce que c’est que l’aide sociale à l’enfance. Mais bon on avait un ensemble de
relation avec les associations, on avait envie d’en faire un thème de campagne parce que
pour nous c’était important. Et puis finalement ça a été aussi repris par la presse, donc
c’était aussi important de pouvoir.. C’est bien en fait que ça soit médiatisé ! Et donc
l’évolution est quand même arrivée
Julie Gobert, conseillère départementale membre de l’opposition (parti socialiste)
La médiatisation a donc incité l’ensemble des acteurs locaux à investir la prise en charge des
mineurs non accompagnés. Mais l’intérêt de la presse n’est pas l’unique facteur explicatif de ces
changements.
2. Renouvellement politique
En effet, c’est bien un changement de configuration politique qui a permis au conseil
départemental d'accueillir les revendications sociales.
Ce renouvellement s’est d’abord fait par les nombreux changements de présidents
réalisés entre 2015 et 2021. Jean-Jacques Barbaux (LR), élu président du conseil en 2015, est
décédé en fonction en février 2018. Le mois suivant, Jean-Louis Thiériot (LR) le remplacera
pour 5 mois seulement avant de démissionner après son élection comme député. Malgré son
court mandat, il est à noter que Jean-Louis Thiériot est le Président qui a connu le plus de
traitement médiatique et dont les positions sur les MNA ont été le plus relayées dans la presse.
En juillet 2018, Patrick Septiers (UDI) assurait la présidence jusqu’aux dernières élections de
juillet 2021. A cette occasion, c’est Jean-François Parigi (LR) qui prend la tête du conseil
départemental. On observe une forte instabilité institutionnelle sur l’année 2018. Cette fragilité
peut expliquer en partie l’embrasement des débats autour de la question des MNA. Le
département semblait alors afficher une position radicale.
Il est également frappant de voir que la majorité de droite parvient à garder sa solidité
depuis 2015. Même si l’opposition semble s'étoffer un peu, la majorité LR reste écrasante au
conseil.
45
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques
Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques

Contenu connexe

Similaire à Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques

Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…
Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…
Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…Michel Guillou
 
Le paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopérativesLe paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopérativesDelphine Pennec
 
Mieux que aide
Mieux que aideMieux que aide
Mieux que aideclaude930
 
Dix pistes pour rencontrer le futur en éducation
Dix pistes pour rencontrer le futur en éducationDix pistes pour rencontrer le futur en éducation
Dix pistes pour rencontrer le futur en éducationMario tout de go Inc.
 
Convictions projet 2010
Convictions projet 2010Convictions projet 2010
Convictions projet 2010azazee
 
Transitions, transitions ... nous-mêmes !
Transitions, transitions ... nous-mêmes ! Transitions, transitions ... nous-mêmes !
Transitions, transitions ... nous-mêmes ! Marcel Lebrun
 
JochemsS2013 praTIC en intervention jeunesse
JochemsS2013 praTIC en intervention jeunesseJochemsS2013 praTIC en intervention jeunesse
JochemsS2013 praTIC en intervention jeunesseS. Jochems UQAM
 
Memoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusiness
Memoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusinessMemoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusiness
Memoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusinessBernard Mukeba
 
La richesse des nations après la révolution numérique
La richesse des nations après la révolution numériqueLa richesse des nations après la révolution numérique
La richesse des nations après la révolution numériqueFrédéric GASNIER
 
Rapport Nouvelles Trajectoires
Rapport Nouvelles TrajectoiresRapport Nouvelles Trajectoires
Rapport Nouvelles TrajectoiresHélène Boulay
 
Travail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoires
Travail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoiresTravail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoires
Travail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoiresFrédéric GASNIER
 
Caritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdf
Caritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdfCaritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdf
Caritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdfMarie-Astrid Heyde
 
Plan valls-egalite-mixite
Plan valls-egalite-mixitePlan valls-egalite-mixite
Plan valls-egalite-mixitemariesautier
 
Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.
Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.
Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.Arsenic Paca
 
Mobilising the Public to Raise Awareness on Homelessness
Mobilising the Public to Raise Awareness on HomelessnessMobilising the Public to Raise Awareness on Homelessness
Mobilising the Public to Raise Awareness on HomelessnessFEANTSA
 
le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014
le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014
le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014Philippe GROS
 

Similaire à Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques (20)

Séminaire 6 février 2015
Séminaire 6 février 2015Séminaire 6 février 2015
Séminaire 6 février 2015
 
Sierre de la mediation sociale
Sierre   de la mediation socialeSierre   de la mediation sociale
Sierre de la mediation sociale
 
Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…
Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…
Le numérique dans l’école : enjeux, perspectives, controverses…
 
Le paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopérativesLe paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopératives
 
Mieux que aide
Mieux que aideMieux que aide
Mieux que aide
 
Dix pistes pour rencontrer le futur en éducation
Dix pistes pour rencontrer le futur en éducationDix pistes pour rencontrer le futur en éducation
Dix pistes pour rencontrer le futur en éducation
 
Convictions projet 2010
Convictions projet 2010Convictions projet 2010
Convictions projet 2010
 
Quelle société voulons-nous à l'ère numérique ?
Quelle société voulons-nous à l'ère numérique ?Quelle société voulons-nous à l'ère numérique ?
Quelle société voulons-nous à l'ère numérique ?
 
Transitions, transitions ... nous-mêmes !
Transitions, transitions ... nous-mêmes ! Transitions, transitions ... nous-mêmes !
Transitions, transitions ... nous-mêmes !
 
Ef 38-1-complet
Ef 38-1-completEf 38-1-complet
Ef 38-1-complet
 
JochemsS2013 praTIC en intervention jeunesse
JochemsS2013 praTIC en intervention jeunesseJochemsS2013 praTIC en intervention jeunesse
JochemsS2013 praTIC en intervention jeunesse
 
Memoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusiness
Memoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusinessMemoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusiness
Memoire economie collaborative sous l'emprise du bigbusiness
 
La richesse des nations après la révolution numérique
La richesse des nations après la révolution numériqueLa richesse des nations après la révolution numérique
La richesse des nations après la révolution numérique
 
Rapport Nouvelles Trajectoires
Rapport Nouvelles TrajectoiresRapport Nouvelles Trajectoires
Rapport Nouvelles Trajectoires
 
Travail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoires
Travail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoiresTravail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoires
Travail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoires
 
Caritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdf
Caritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdfCaritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdf
Caritas_Brochure_Revendications_Elections2023_web.pdf
 
Plan valls-egalite-mixite
Plan valls-egalite-mixitePlan valls-egalite-mixite
Plan valls-egalite-mixite
 
Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.
Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.
Rapport CNNUM 2013 : Citoyens d'une société numérique.
 
Mobilising the Public to Raise Awareness on Homelessness
Mobilising the Public to Raise Awareness on HomelessnessMobilising the Public to Raise Awareness on Homelessness
Mobilising the Public to Raise Awareness on Homelessness
 
le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014
le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014
le business model des objets connecté - revue qualitique N°252 de juin 2014
 

Mémoire de recherche M1 Politiques Publiques

  • 1. Mémoire de M1 en Politiques Publiques De la spécialisation à la marginalisation : réflexion sur la mise en oeuvre d’une politique de prise en charge différenciée des Mineurs non accompagnés par l’Aide Sociale à l’Enfance étude de cas en Seine-et-Marne Nina LAUGA Sous la direction de Yves Surel
  • 2. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Avertissement La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. 2
  • 3. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Remerciements Je voudrais tout d’abord adresser toute ma reconnaissance à Monsieur Yves Surel, Directeur de ce mémoire et Directeur du Master Politiques Publiques à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, pour ses recommandations, sa disponibilité et sa bienveillance. Il a su me guider tout en me laissant libre d’explorer mes volontés personnelles, me permettant de réaliser ce premier mémoire avec sérénité. J’adresse également un grand merci à Madame la Professeure Natacha Gally pour la dispense de son cours de Politiques Publiques et de l’Atelier de recherche. Ces séances ont été l’occasion d’ouvrir des discussions toujours très constructives, qui m’ont permis d’apaiser mes inquiétudes et de consolider ma démarche scientifique. J’exprime ma gratitude à toutes les personnes qui m’ont donné la chance de pouvoir retranscrire leurs propos. Je remercie en particulier Christophe Bouhourd de m’avoir sensibilisé à la question des mineurs non accompagnés et pour avoir eu la gentillesse de solliciter nombre de ses collègues afin de m’aider dans mes recherches. Je remercie aussi mon amie Orianne pour tout le temps consacré à la relecture de mon mémoire. Pour finir, je souhaite remercier mes camarades et amies Héloïse, Morgane et Myriam, qui m’ont accompagnée durant tout ce processus de recherche et d’écriture avec implication et enthousiasme. Merci à elles pour nos discussions stimulantes et surtout pour leur bonne humeur à toute épreuve. 3
  • 4. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 “ L'enfant, je le répète, c'est l'avenir. Ce sillon-là est généreux; il donne plus que l'épi pour le grain de blé. Déposez-y une étincelle, il vous rendra une gerbe de lumière.” Victor Hugo aux membres du Congrès international pour l'avancement des sciences sociales, le 22 septembre 1862 4
  • 5. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Table des matières Remerciements 3 Introduction 9 Définitions et statistiques générales 9 Une position inconfortable entre deux catégories d’action publique 10 Enjeux d’une prise en charge différenciée 11 Question de recherche 12 Terrain d’enquête et méthode 12 Point méthodologique 13 Positionnement de la recherche dans le champ scientifique 14 Actualisation à venir : l’adoption de la loi Taquet 16 Chapitre 1. L’élaboration d’une politique de prise en charge locale différenciée dans l'ambiguïté des normes nationales 17 Introduction 18 Section 1. Etat des lieux des instruments d’action publique en jeu 20 §1. Des dispositifs du droit commun préexistants à la politique publique 21 Des instruments d’action publique classiques de la protection de l’enfance 21 Le prix de journée 21 Les modalités d’hébergement 22 La scolarisation 22 Le contrat jeune majeur et autres dispositifs de maillage avec la majorité 22 Une mise en oeuvre particulière permise par le principe de libre administration des territoires 23 §2. L’emploi différencié d’instruments de droit commun 24 Des prix de journée à moindre coût 24 Les modalités d’hébergement 26 §3. La préparation à la sortie 27 Scolarisation 28 Sortie sèche à 18 ans : la systématisation des refus de contrats jeunes majeurs 29 Section 2. L’engagement d’un bras de fer entre l’Etat et le département 30 §1. Une politique de l’urgence 30 Une réalité migratoire inédite 30 Une réponse variable dans le temps 32 §2. La difficulté de la compétence partagée 33 Une relation conflictuelle entre l’Etat et le département 33 Une répartition contraignante 33 “Mettre l’Etat face à ses responsabilités” 33 Une législation du compromis : l’exemple de l’accompagnement jusqu’à 21 ans 34 Section 3. Le cadre politique départemental : la politique de prise en charge des mineurs non accompagnés comme marqueur politique 35 5
  • 6. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 §1. Le changement de majorité au conseil départemental 36 §2. L’enjeu de l’acceptation par les riverains : entrée par la géographie sociale 39 La faible mobilisation des élus 39 “Vivons cachés, vivons heureux”, ou comment le département organise la discrétion de jeunes qui dérangent 40 Section 4. Dépendance au sentier et tentatives de mesures réformatrices portées par le bas 43 §1. Mise à l’agenda d’un problème public par des groupes contestataires 43 Les voix s’élevant contre une politique jugée discriminatoire 43 Sanctions juridiques 44 §2. Mise à l’agenda politique du problème de la prise en charge différenciée 45 Une mobilisation naissante des élus locaux 46 Effets directs de la médiatisation 46 Renouvellement politique 46 L’ouverture d’une fenêtre d’opportunité 48 La baisse des arrivées 48 Mouvement de contractualisation avec l’Etat : vers un apaisement des relations ? 49 §3. L’incrémentalisme des réformes 50 Chapitre 2. Une division organisationnelle enracinant la différenciation des prises en charges 53 Introduction 54 Section 1. Le mythe du jeune “à part” 55 §1. Des jeunes au profil spécifique 55 Caractéristiques générales du public 55 Des parcours traumatiques liés à l’immigration 58 §2. Une prise en charge construite autours du prisme migratoire 58 Une préoccupation spécifique déterminant le comportement des jeunes : la régularisation du séjour 59 L’insertion professionnelle comme unique eldorado 60 §3. La conversion de la différence à la discrimination : mise en récit de l’action publique par la doctrine de l’autonomie 62 Section 2. La mise en place d’une filière parallèle 64 §1. Le service de protection de l’enfance “spécialisé” 65 Une procédure décisionnelle indépendante 65 Le recrutement d’un personnel différent 67 Des cheffes de services aux profils spécifiques : entrée par la biographie des agents 67 La création de postes spécialisés : l’exemple du RTPES 69 §2. Spécialisation progressive des structures d’accueil 69 La délégation de la prise en charge à un tissu associatif divisé 69 L’acquisition de compétences particulières 71 §3. Nature des relations intersectorielles 71 Les maisons départementales des solidarités comme instance d’uniformisation des prises en charge ? 71 La proximité des services 73 Chapitre 3. La co-construction de l’action publique par les travailleurs sociaux 75 6
  • 7. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Introduction 76 Section 1. Une mise en oeuvre assurée par des street-level bureaucrats du privé 78 §1. Une relation contractuelle organisant une distance entre la prise de décision et la mise en oeuvre 78 Des agents exempt du contrôle direct de l’administration 78 Une connaissance partiel du cadre normatif 80 §3. La subsistance d’interconnections entre les milieux administratifs et sociaux 81 La mobilité professionnelle permettant le transfert de compétences : entrée par les biographies 81 La reconversion des éducateurs en agents administratifs 81 La transformation des tâches des travailleurs sociaux 82 Les effets d’uniformisation 84 La prise en compte des problématiques de terrain dans la décision administrative 84 L’intériorisation des considérations bureaucratiques, budgétaires et politiques par les agents de la mise en oeuvre 85 Section 2. Conversion du milieu associatif : mise en concurrence et réponse par la docilité 86 §1. L’association agissant en “bon petit soldat” ou comment remporter le marché public 87 §2. Le dilemme du travailleur social face à l’immigré 90 Le sens de l’engagement au défi d’une réalité de terrain 90 La crise des vocations 90 Espace de discrétionnarité permettant le “bricolage” d’un accompagnement complet 91 Le fatalisme du “mieux que rien” 92 Section 3. L’action des agents de terrain sur la construction de la politique publique de prise en charge des mineurs non accompagnés 93 §1. Les disciplinés 95 §2. Les résistants 96 §3. Les résignés 97 Conclusion 100 Bibliographie 102 Ouvrages 102 Articles 102 Articles de presse 105 Rapports officiels 106 Sources en ligne 106 Glossaire 107 Table des annexes 108 7
  • 8. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Introduction Longtemps confiée à l’Église, une intervention publique dans la sphère familiale se développe progressivement sous la Troisième République. D’abord par la loi du 24 juillet 1889 sur les enfants maltraités ou moralement abandonnés puis par la loi du 19 avril 1898 sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants. Ces derniers sont alors reconnus comme un groupe social vulnérable qui nécessite une protection particulière. L’Etat en prend progressivement la responsabilité. Le Droit international parachèvera cette responsabilisation des Etats, notamment en consacrant la convention internationale des droits de l’enfant le 26 janviers 1990. Protéger les enfants en danger. Voilà une prérogative qui semble pour le moins consensuelle. Bien au-delà des appartenances partisanes, l’idée d’un devoir collectif de protection de l’enfance apparaît aujourd’hui largement admis dans le débat public. Les défaillances familiales procurent à chacun un sentiment d’urgence. Cette jeunesse fragilisée doit être prise en charge. Mais selon quelles modalités ? C’est ici qu’apparaissent les divergences, notamment face à l'arrivée de nouveaux jeunes à protéger sur le territoire national. Définitions et statistiques générales L’aide sociale à l’enfance est confrontée depuis une dizaine d'années à l’arrivée d’un nouveau public. Poussés à l’exil ou portés par l’espoir d’un avenir meilleur, les enfants migrants, qualifiés de “mineurs non accompagnés” (MNA), arrivent en France démunis et sans famille. Fidèle à ses engagements internationaux, la France doit alors assurer leur protection. Le Conseil de l’Europe définit les mineurs non accompagnés comme étant “des enfants âgés de moins de 18 ans, qui ont été séparés de leurs deux parents et d’autres membres de proches de leur famille, et ne sont pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilité par la loi ou la coutume”1 . La période de pandémie a fortement réduit les arrivées de personnes étrangères sur le territoire. Aussi, les données disponibles les plus représentatives sont celles de l’année 2019. Au 31 décembre 2019, 31 009 mineurs non accompagnés avaient été pris en charge par les conseils départementaux français, ce qui représente une proportion de 15,8 % des mineurs accueillis par 1 Recommandation CM/Rec(2007)9 du Comité des Ministres aux États membres, 12 juillet 2007 (Voir annexe 4) 8
  • 9. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 l’aide sociale à l’enfance (ASE) en 2019. La majeure partie des MNA arrivent sur les départements via la cellule nationale du ministère de la Justice. Enfants pris en charge par l’ASE en 2019 Nationalité française MNA TOTAL Nombre d’enfants 135 812 31 009 166 821 Part ASE (en %) 84,2 15,8 100 Données issues du rapport annuel d'activité 2019 mission mineurs non accompagnés de la Direction de la protection de la jeunesse Cette même année, 95,5 % des MNA étaient des garçons et 90% d’entre eux étaient compris dans la tranche d’âge 15/17 ans. Ces proportions sont, aujourd’hui encore, équivalentes. Les MNA viennent de cultures et de pays variés. Si plus de 60 % d’entre eux étaient originaires de Guinée, de Côte d’Ivoire et du Mali sur l’année 20192 , les pays d’origine de ces jeunes varient au gré des crises géopolitiques. Ainsi, depuis le début de la guerre en Ukraine, de plus en plus de jeunes ukrainiens viennent trouver refuge en France. La question des MNA est donc un enjeu central qui se trouve sans cesse renouvelé du fait d’une conjoncture migratoire instable et imprévisible par nature. Une position inconfortable entre deux catégories d’action publique Les mineurs non accompagnés interrogent les frontières de la protection de l’enfance. Ces jeunes sont à la fois des enfants et des migrants. Cette double vulnérabilité alimente les débats et les place surtout dans une position ambiguë face aux pouvoirs publics. En effet, si le département reçoit dès 1983 la compétence de droit commun pour les prestations légales d'aide sociale3 , la politique migratoire reste bien une compétence nationale. Se pose alors la question de la répartition de la prise en charge des mineurs non accompagnés entre ces deux niveaux de gouvernance. Concrètement, ni l’Etat ni les territoires ne se bousculent pour prendre en charge ces jeunes, qui à l’ombre d’une xénophobie latente, ne sont pas forcément accueillis à bras ouverts par les riverains. S’engage alors un bras de fer. À ce sujet la réponse de la Cour européenne des Droits de l’Homme est explicite : “la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal”4 . L’intérêt supérieur de l’enfant consacré par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (article 4 CEDH, 10 octobre 2019, req. n°50376/13. 3 Loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État 2 Direction de la protection de la jeunesse, Rapport annuel d'activité 2020 Mission mineurs non accompagnés, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_activite_MNA_2020.pdf 9
  • 10. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 3.1), doit être la seule boussole de la création du cadre légal adopté par les pays signataires. Pris en application de cette définition supranationale, la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, précise qu’un jeune privé “temporairement ou définitivement de la protection de sa famille”, entre dans le droit commun de la protection de l’enfance et relève donc à ce titre de la compétence des départements. Les financements sont eux partagés dans la pratique entre une part allouée par les fonds propres du territoire, et une autre subventionnée par l’Etat. Chaque département connaît des modes de fonctionnement propres, auxquels s'ajoutent des conventions signées entre l’Etat, le territoire mais aussi d’autres autorités indépendantes telles que la Haute autorité de santé (ARS). Pour fluidifier et mieux répartir les prises en charge, le ministre de la Justice fixe chaque année les objectifs de répartition proportionnés des accueils de ces mineurs entre les départements “en fonction de critères démographiques et d'éloignement géographique”. Ce mécanisme, dont les modalités de calculs sont régulièrement amendées5 depuis son adoption par la dite loi de 2016, est appelée “clé de répartition”6 . Enjeux d’une prise en charge différenciée Face à cette apparente clarté du cadre légal, se pose la réalité d’une mise en œuvre différenciée entre départements et entre les enfants d’un même territoire. Dans la mesure où chaque exécutif départemental est compétent sur son territoire, il existe autant de modalités de prise en charge des jeunes en danger que de départements. À ce premier niveau de différenciation, s’ajoute souvent un double standard interne entre les enfants du territoire et les mineurs non accompagnés. En somme, au sein d’un même département s’organise, dans certains cas, une filière parallèle allant de la prise de décision à la mise en œuvre concrète. Les mineurs non accompagnés seraient en réalité bien éloignés du “droit commun de la protection de l’enfance”7 tel que le prévoit la loi. C’est cette première intuition qui a guidé ma démarche de recherche. L’une des questions brûlantes qui entourent les mineurs non accompagnés est celle de la reconnaissance de minorité. Sans cesse ramenés à leur statut de fraudeurs potentiels, les jeunes migrants ont déjà fait l'objet d’une multitude de travaux portant sur la manière dont leur âge est expertisé. Mais de manière frappante, la littérature scientifique traitant des modalités concrètes 7 Article L221-2-2 du code de l’action sociale et des familles 6 Pour la clé de répartition 2022 voir l’annexe 5 5 Voir notamment la Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants (dite “loi Taquet”) (Voir annexe 3) 10
  • 11. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 de leur prise en charge reste anecdotique. J’ai donc décidé d’y mener mon raisonnement. Plus que de se demander si les mineurs non accompagnés sont légitimement éligibles à cette protection, qui leur revient de fait au regard du droit positif, nous tenterons plutôt d’éclairer la manière dont les acteurs politiques et administratifs contribuent, par leurs décisions quotidiennes, au développement d’un mécanisme de marginalisation pour les jeunes. Question de recherche Il s’agira en somme de comprendre dans quelle mesure les mineurs non accompagnés sont marginalisés par un traitement différencié à la fois sur le plan organisationnel et par le biais de représentations partagées par les acteurs de la mise en œuvre ? Terrain d’enquête et méthode Pour étudier avec précision ce mécanisme de différenciation, il fallait circonscrire la recherche à un territoire donné. Rapidement mon choix s’est porté vers un “mauvais élève”, afin d’identifier des points de rupture, et de comprendre les tensions à la fois sociales, politiques et administratives qui entourent la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés. La Seine-et-Marne m’est rapidement apparu comme un département adapté à une telle étude de cas. Tout d’abord, parce que la Seine-et-Marne est le quatrième département recevant le plus de mineurs non accompagnés en métropole selon la clé de répartition, avec 479 jeunes migrants pris en charge par l’ASE en février 2022, mais aussi parce qu'elle a fait l’objet d’une forte couverture médiatique et de poursuites judiciaires sur la manière dont elle prenait en charge les MNA. J’ai également choisi d’étudier ce territoire, où je réside, par curiosité personnelle et dans un souci évident d’accessibilité au terrain. Mon enquête couvre donc le champ de la protection de l’enfance en Seine-et-Marne. Inspirée des travaux de sociologie de l’action publique, mon enquête se fonde principalement sur des données qualitatives, prenant la forme d’entretiens semi-directifs, combinant les témoignages d’acteurs éducatifs de terrains, des agents administratifs de l’aide sociale à l’enfance et d’élus du département. L’enjeu est de retranscrire les jeux de pouvoirs et l’influence des acteurs de terrain qui façonnent cette politique publique. Les données recueillies à travers ces entretiens sont complétées et éclairées par un volet quantitatif de données chiffrées, fournies à la fois par le département, lui-même, et par des organismes publics. Ma réflexion s’appuiera dans une moindre mesure sur une littérature grise, existante mais plus difficile d’accès,notamment des délibérations du conseil départemental, des notes et documents internes. 11
  • 12. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Ces données ont été recueillies dans le respect de la volonté de chaque acteur interrogé. Dans cette optique, plusieurs informations ont dû être éludées et l’accès à certaines ressources documentaires m’ont été refusées. Regrettable au demeurant, cette fermeture du terrain sur le volet politique est en tant que telle révélatrice d’un certain inconfort du territoire sur la question. Point méthodologique Les données traitées par ce mémoire de recherche sont issues d’entretiens semi-directifs. Au fil des développements, apparaîtront des extraits de ces retranscriptions. Pour en faciliter la compréhension, voici une brève mise en contexte des entretiens réalisés sur une période de 6 mois de novembre 2021 à avril 2022 : ➢ Florian Pozza, directeur du pôle enfance de la croix rouge à Meaux 10 novembre 2021 à 17h53 durée : 50 minutes L’entretien s’est déroulé dans un cadre formel, dans un bâtiment administratif, autour d’une table de réunion dans un bureau fermé. La structure s’est implantée en Seine-et-Marne en 2018, suite à un appel à projet. Elle prend en charge des MNA de 14 à 18 ans. ➢ Caroline Apaydin , cheffe de service à l’association Arile à Meaux 16 décembre 2021 à 13h30 durée : 1 heure L’entretien s’est déroulé dans un cadre plutôt administratif et formel malgré un environnement assez atypique (un bureau vitré, au sein de l’association, où nous pouvions voir la “ressourcerie”, un lieu de réinsertion portée par Arile). L’association a une mission assez étendue, elle est née de la fusion (en 2017) de 3 associations historiques de Seine-et-Marne en matière de prise en charge des publics en situation de précarité. ➢ Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis 23 décembre 2021 à 14h24 durée : 2 heures L’entretien s’est déroulé au sein de la structure d'accueil qui accueillait ses premiers pensionnaires une semaine après notre rencontre. La personne interrogée est responsable de l’ouverture d’une nouvelle structure d'accueil temporaire des jeunes étrangers en attente de reconnaissance de minorité. Cette initiative est la première sur le département. Les locaux sont assez rudimentaires, un chalet en bois, pas de revêtement au sol, un petit bureau et des chaises. Des agents d’entretien sont à l'œuvre et nous interrompent quelques fois. L’ouverture imminente du centre est palpable. ➢ Jacques Marié, cadre supérieur socio-éducatif et responsable de service au centre de formation professionnelle d’Alembert à Montévrain 23 février à 17h00 durée : 1h30 L’entretien s’est déroulé dans un cadre assez détendu, autour d’un café dans un bureau se trouvant dans l’enceinte du centre de formation. Cette rencontre s’est tenue durant les vacances scolaires, ce qui a permis à Monsieur Marié de prendre le temps de répondre longuement à mes interrogations. Nous avons parfois été coupé par les irruptions de certains éducateurs sollicitant leur responsable pour des questions de congés. Le téléphone a également sonné à trois reprises, à chaque fois, il s’agissait d’appels de structures voisines contactant l’organisme pour scolariser les jeunes accueillis. ➢ Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance spécialisé MNA au conseil départemental de Seine-et-Marne 9 mars à 12h12 durée : 1h15 L’entretien s’est déroulé dans un cadre formel, au sein du service de l’Aide sociale. La personne interrogée m’a paru assez tendu, elle m’a demandé à plusieurs reprises de ne pas faire mention de certains éléments dans mon mémoire. ➢ Julie Gobert, conseillère départementale membre de l’opposition (parti socialiste) 11 avril 2022 à 16h00 durée : 50 minutes L’entretien a eu lieu en visioconférence. Madame Gobert est la seule élue au département qui ait accepté de me rencontrer. Les membres de la majorité n’ont jamais donné suite à mes sollicitations. 12
  • 13. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 ➢ Stéphanie Coudert Logié, cheffe de service Aide sociale à l’Enfance à la MDS de Roissy-en-Brie 14 avril 2022 à 9h30 durée : 1h30 L’entretien s’est déroulé dans un cadre formel mais assez détendu dans les locaux de la Maison des solidarités. Positionnement de la recherche dans le champ scientifique Afin de comprendre les dynamiques qui sont à l’origine de cette politique publique et pour analyser la manière dont cette prise en charge institutionnalise la marginalisation de ce public, il faut s'intéresser à sa mise en œuvre. En clair, quel est l’état de la prise en charge concrète des jeunes migrants sur le département et comment en est-on arrivé à cette situation ? Aussi, mon travail consiste, dans un premier temps, en une approche “par le bas” des politiques publiques. Au plus près des destinataires de cette politique, les travailleurs sociaux, reçoivent directement la politique sociale du département et l’adaptent à leur réalité quotidienne. S’éloigner d’une conception linéaire de la construction de l’action publique par les acteurs politiques, revient à appréhender le droit comme “un système de potentialité à partir duquel se déploient des activités spécifiques de mobilisation des règles”. Ce sont ces “normes secondaires d'application''8 , adoptées dans les bureaux aseptisés de l’Aide sociale à l’enfance, ou prises par la pratique dans les structures d’accueil et d’hébergement des jeunes MNA, qui font l’objet de mon intérêt. Il s’agit alors de déplacer la focale sur ceux qui mettent en œuvre et fabriquent la politique publique de prise en charge des mineurs non accompagnés. Dans le cadre de cette étude de cas, les “street-level bureaucrats”9 , qui correspondent au personnel des structures d’accueil des jeunes durant leur placement à l’ASE, adoptent des comportements particuliers ayant trait à leurs trajectoires personnelles, et à des socialisations particulières qu’il conviendra d’expliciter. Comprendre comment se forme l’action publique suppose de connaître la manière dont elle est appropriée par les agents qui la mettent en œuvre. La collecte des témoignages du personnel encadrant et éducatif permet d’identifier des comportements, et de construire une typologie des agents de la mise en œuvre. Mais plus encore, ces agents manifestent, pour la plupart, une attitude particulière comme détachés des prises de décision. Comme si deux mondes parallèles, celui de l’administration décisionnaire, et celui des associations exécutantes, se frôlaient sans jamais réellement interagir. Au contraire des fonctionnaires des préfectures d’Alexis Spire10 , ou des agents de l’assurance maladie de Vincent 10 Spire, Alexis, “Accueillir ou reconduire : Enquête sur les guichets de l'immigration”, Raisons d'agir, 2008 9 Lipsky, Michael, “Street-level bureaucracy: Dilemmas of the individual in public service”, American Political Science Association, 1980 8 Lascoumes, Pierre, “Normes”, Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée. Presses de Sciences Po, 2010, pp. 391-397. 13
  • 14. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Dubois11 , les street level bureaucrates de la protection de l’enfance en Seine-et-Marne n’appartiennent pas au corps des fonctionnaires. En cela, les dynamiques d’influence sur l’action publique, si elles existent bel et bien, sont perçues différemment. Des règles générales sont donc conçues au niveau national. Le département y construit une politique publique dans la marge d’interprétation qui lui est laissée et les acteurs associatifs se l’approprient, soit par l’acceptation soit en détournant certaines normes, participant ainsi substantiellement à l’élaboration de la politique publique. Il faut donc penser l’articulation de la mise en œuvre de terrain avec l’organe politique du territoire. C’est ici le travail de Matland qui a permis d’éclairer les premiers résultats de cette enquête par sa matrice de “conflit-ambiguïté”. Dans un contexte conflictuel où chaque acteur défend des objectifs incompatibles, le cadre normatif présente nécessairement une certaine souplesse. Ceci constitue une façon d’obtenir des compromis politiquement viables entre des acteurs ayant des points de vue contradictoires. La politique de prise en charge des mineurs non accompagnés apparaît rapidement au niveau national comme une politique ambiguë et conflictuelle qui permet de laisser la place aux collectivités réfractaires d’exercer une liberté de mise en œuvre. Le conseil départemental se saisit de cette souplesse juridique pour y construire deux politiques distinctes : la protection des jeunes du territoire (prise en charge par le service de la protection de l’enfance) et la protection des mineurs non accompagnés (prise en charge par le service de la protection de l’enfance spécialisée). Les “jeunes du territoire” Il s’agit d’un élément de langage récurrent que les acteurs de terrain utilisent systématiquement pour désigner l’ensemble des des enfants pris en charge par l’ASE, et qui ne sont pas des MNA. Ainsi, la nationalité française n’est jamais présentée comme un facteur explicite de différenciation. Les acteurs se refusent à employer le terme des “français”, en préférant un qualificatif plus flou. Néanmoins, l’emploi de ce terme pour désigner une catégorie spécifique d’enfants à l’ASE pose déjà les jalons d’une marginalisation des mineurs non accompagnés. Cette expression sera reprise au fil des développements dans le sens qui lui est donné par les acteurs de la protection de l’enfance. Nous verrons que ces deux services peuvent s’appuyer sur des instruments d’action publique strictement identiques, mais que ces ressources sont inégalement réparties entre les jeunes, selon qu’ils sont étrangers ou non. Deux prises en charge, qui donnent donc à voir la construction de deux publics différenciés. La Seine-et-Marne n’échappe pas à la règle en 11 Vincent, “La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère”, Economica, 2008 14
  • 15. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 organisant un service "spécialisé" MNA et en confiant leur prise en charge à des structures associatives également spécialisées. Les principales associations en charge de la mise en œuvre de cette politique publique sur le territoire sont : la Croix Rouge, l’association Arile et l’association Empreinte. Les modalités de prise en charge des jeunes non accompagnés par l’ASE, interrogent notre rapport à l’autre. Un véritable modèle de légitimation se met en place. D’abord au niveau politique suivant les alternances électorales, puis petit à petit, en gagnant les représentations cognitives des travailleurs sociaux. L’idée qu’un jeune migrant aurait des besoins moindres. Voilà une drôle de conception, assez peu convaincante in abstracto, mais qui trouve des explications dans la manière dont cette politique s’est construite : dans l’urgence, face à l’accueil d’une population arrivée dans un contexte migratoire clivant. Cette réflexion s’inscrit notamment dans la lignée du travail de Sayad Abdelmalek portant le paradigme qui construit l’immigration en contraste avec l'État. Il traite la question centrale de la distinction entre les “nationaux” et les “non-nationaux”. Dans cette optique, le présent mémoire s’attachera à dénaturaliser la distinction réalisée entre les enfants nationaux et ceux qui ne le sont pas. Actualisation à venir : l’adoption de la loi Taquet Les conflits entourant l’attribution des compétences prennent tout leur sens au 18 ème anniversaire de l’enfant. Le passage à la majorité signifie le passage au droit commun. Cette transition peut parfois s’avérer brutale si elle a été mal préparée. La Loi Taquet du 7 février 2022 relative à la protection des enfants prévoit un accompagnement obligatoire jusqu’à 21 ans, afin d’encadrer cette période transitoire et d’éviter les “coupures sèches”. Nous verrons cependant que l’effet réformateur de ces nouvelles dispositions restent à relativiser, et qu’une dépendance au sentier12 semble se dessiner à l’aune d’une interprétation politique du terme d'"accompagnement". 12 Palier, Bruno, “Path dependence (Dépendance au chemin emprunté)”, Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée. Presses de Sciences Po, 2010, pp. 411-419. 15
  • 16. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Chapitre 1. L’élaboration d’une politique de prise en charge locale différenciée dans l'ambiguïté des normes nationales 16
  • 17. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Introduction Si ce mémoire vise à étudier la phase de mise en œuvre de la politique publique de prise en charge des mineurs non accompagnés, il ne peut débuter que par l’explication de sa genèse et des enjeux politiques qu’elle comporte. Théorisé par Harold Lasswell13 , puis repris par de nombreux auteurs, le modèle séquentiel constitue encore aujourd’hui le “cadre nécessaire à l’appréhension et à la compréhension des politiques publiques”14 . James Anderson15 , par une actualisation du travail de Charles Jones, propose ainsi une analyse en cinq étapes : Phase 1 : mise sur agenda de la politique publique (policy agenda) Phase 2 : formulation d’une politique publique (policy formulation) Phase 3 : adoption d’une politique publique (policy adoption) Phase 4 : mise en œuvre (policy implementation) Phase 5 : évaluation de la politique publique Ce cadre d'analyse, bien que critiquable sur le plan méthodologique, reste une base de travail intéressante pour étudier les politiques publiques. Dans cette optique, le présent chapitre s’attachera à exposer les phases 1, 2 et 3, comprises dans une même temporalité désignée comme la “prise de décision”. En effet, la politique publique de prise en charge de ces jeunes par le département de Seine-et-Marne ne s’est pas construite de manière linéaire. Le mode de prise en charge, de l’hébergement à l’insertion professionnelle, a été élaboré et mis en œuvre de manière simultanée. Contrairement à d’autres politiques menées localement, la prise en charge des MNA, s’est construite dans l’urgence, pour faire face à l’attribution d’un nouveau public à l’aide social à l’enfance, ou du moins, à leur arrivée en un nombre significatif. Effectivement, avant cette arrivée importante, le département recevait déjà des jeunes migrants mais dans une bien moindre mesure. Ainsi, aucune politique spécifique n’était prévue une fois la minorité expertisée. En somme, avant 2016, si un jeune migrant était reconnu mineurs, il était pris en charge par l’ASE de Seine-et-Marne, sans jamais qu’un protocole particulier ne lui soit appliqué. 15 Anderson, James E., “Public Policy-making”, Praeger, 1975. 14 Hassenteufel, Patrick, “Sociologie politique : l'action publique”, Armand Colin, 2011, pp. 29-42. 13 Lasswell, Harold Dwight, “Bureau of Governmental Research, College of Business and Public Administration”, University of Maryland, 1956. 17
  • 18. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Au début des années 2010, environ 8 054 MNA étaient portés à la connaissance de la cellule nationale. Ils passent en 2019 à 16 760. Direction de la protection de la jeunesse, Rapport annuel d'activité 2019 Mission mineurs non accompagnés Le département de Seine-et-Marne n’échappe pas à cette augmentation. En l’absence de données chiffrées précises, avant la mise en place du dispositif de la clé de répartition, il est tout de même possible de caractériser À travers les témoignages recueillis auprès d’acteurs locaux en poste dans les années 2015-2016. On voit donc apparaître une nouvelle problématique auquel le département doit faire face. Sans pour autant raisonner en terme de “problem solving”16 , la réalité du terrain, telle qu’elle se donne à voir en 2016, apparaît comme une réaction d’urgence à de nouvelles attributions de jeunes à prendre en charge. C’est ce mode particulier de mise à l’agenda (phase 1 de l’analyse séquentielle de Jones) qui fera l’objet de la deuxième section de ce chapitre. Mais avant d’y arriver, il faudra réaliser un état des lieux des instruments d’action publique mobilisés par cette politique de prise en charge. Dans la mesure où la politique destinée 16 Benson, Oliver, “The policy sciences and problem-solving”, Social Science Quarterly, vol. 52, no. 1, 1971, pp. 157–692. 18
  • 19. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 aux MNA en Seine-et-Marne s’est construite sur la base d’outils préexistants du droit commun, l’idée est d’en déterminer leurs modalités de mise en œuvre pour les mineurs non accompagnés. Ce sera ensuite autour de ces fondations que s'érige une mise en œuvre particulière, étudiée au fil des chapitres. Enfin, les sections 3 et 4 du présent chapitre s’attacheront à analyser la manière dont la politique influence cette politique sociale spécifique. D’abord comme marqueur politique saisi par une nouvelle majorité de droite en 2016 (Section 3), puis par un assouplissement des clivages durant la phase de mise en œuvre (Section 4). Il s’agira de se demander dans quelle mesure, à une échelle locale souvent perçue comme peu politisée, la couleur politique du conseil départemental peut influencer la nature des politiques sociales. Nous verrons que la mise en œuvre d’une politique rigoriste s’est parfois heurtée à des résistances, mais que l’ascendant du conseil départemental et de la direction de l’enfance au département demeure. Si une dynamique d’assouplissement semble s’enclencher, notamment par un renouvellement des élus locaux, les constructions mentales ont largement imprégné les représentations communes des agents de terrain, et les réformes restent très incrémentales. À ce jour, aucune évaluation formelle de la politique de prise en charge des MNA n’a été réalisée en Seine-et-Marne. Section 1. Etat des lieux des instruments d’action publique en jeu Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès définissent l’instrumentation de l’action publique  comme “l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils (des techniques, des moyens d’opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale. Il s’agit non seulement de comprendre les raisons qui poussent à retenir tel instrument plutôt que tel autre, mais d’envisager également les effets produits par ces choix”17 . C’est bien dans cette démarche que s’inscrit cette entrée en matière par les instruments de l’action publique de prise en charge des MNA en Seine-et-Marne. Puisque ce sont des dispositifs conçus au niveau central qui fondent l’action du département, il semble inévitable de débuter toute explication par un bref état des lieux des instruments employés, de manière variable, par le département de Seine-et-Marne. 17 Lascoumes, Pierre, et Patrick Le Galès, “Gouverner par les instruments”, Presses de Sciences Po, 2005 19
  • 20. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 La politique de prise en charge des MNA en Seine-et-Marne s’est construite à l’origine au sein du service de l’Aide sociale à l’enfance. Elle s’est progressivement marginalisée, jusqu’à devenir dans le département une politique autonome, mise en œuvre par un service administratif et des structures dédiées. Néanmoins, les prestations d’aide sociale à l’enfance restent les mêmes que pour les enfants du territoire. Ces outils sont simplement mobilisés de manière différente, au détriment des jeunes mineurs non accompagnés. §1. Des dispositifs du droit commun préexistants à la politique publique A. Des instruments d’action publique classiques de la protection de l’enfance La politique de prise en charge des mineurs non accompagnés se construit à partir des dispositifs existants pour l’aide sociale à l’enfance. Ces dispositifs sont pour la plupart conçus et encadrés au niveau national par le biais d’une législation spécifique. Mais la compétence d’attribution du département en matière sociale pousse le législateur à adopter des dispositions floues et ambiguës, qui laissent aux exécutifs locaux la tâche de les mettre en œuvre. Cette appropriation des outils prévue par le gouvernement comporte une grande marge de manœuvre. Une fois l’ordonnance de placement provisoire (OPP) prononcée par le juge des enfants, le mineur non accompagné est pris en charge par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) du département. Il reçoit durant la durée de cette ordonnance l’autorité parentale et doit protéger l’enfant. Cette prise en charge est totale et va de l’identification d’un lieu de placement adapté, à l’accompagnement du jeune vers une insertion professionnelle. Parler de prise en charge comprend donc l’ensemble des mesures éducatives nécessaires au parcours d’un enfant. Cette procédure de placement est la plus répandue et concerne tous les enfants de l’aide sociale à l’enfance, qu’ils soient de nationalité française ou en attente de régularisation. Concernant la politique de prise en charge des MNA, quatres instruments peuvent être identifiés comme étant les principaux leviers d’action des travailleurs sociaux en Seine-et-Marne comme ailleurs : le prix de journée, l’hébergement, la scolarisation, et le contrat jeune majeur. S’ajoute à cela un ensemble d’éléments corollaires, tels que le suivi médical et psychologique, qui ne seront toutefois pas développés ici. 20
  • 21. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 1. Le prix de journée Il correspond au budget alloué à chaque enfant pris en charge par l’ASE du département. Le prix de journée est le fruit d’une négociation entre les associations et l’exécutif du département, dont les lignes de financements sont votées en assemblée. Cette somme doit pouvoir couvrir l’ensemble des frais engendrés par l’accompagnement en structure d'accueil, de l’alimentation aux loisirs en passant par les salaires des encadrants. En pratique, l’ampleur de la somme allouée conditionne la qualité de la prise en charge (qualité de la nourriture, nombre d’encadrant par enfant, variétés des activités de loisir…). 2. Les modalités d’hébergement Dans l’ensemble, les territoires sont assez libres dans le choix des modes d’hébergement des jeunes. L’offre en la matière est variée (MECS, familles d’accueil, appartements partagés…). Faire le choix de privilégier un certain type d'hébergement engendre forcément des conséquences sur le parcours des jeunes. Les logements doivent être adaptés au profil et à la personnalité des jeunes accueillis. 3. La scolarisation La scolarité est un élément essentiel dans la vie d’un enfant. Les services de l’ASE sont chargés de guider au mieux les jeunes, en les orientant vers des projets adaptés Elle conditionne de manière importante leur avenir professionnel et leur ouvre les portes d’une intégration sociale. 4. Le contrat jeune majeur et autres dispositifs de maillage avec la majorité Enfin, l’accompagnement à la sortie de l’ASE constitue une problématique centrale dans les politiques de prise en charge des jeunes en difficultés. Si le passage à la majorité n’est pas bien préparé, le jeune majeur dépourvu de soutien familial, peut vite se retrouver dans une position délicate. Pour pallier cette défaillance, l’idée d’un soutien éducatif et financier pour les jeunes en sortie d’ASE de leurs 18 à leurs 21 ans est rapidement apparue comme une option ouverte aux territoires, qui peuvent choisir ou non, de s’en saisir. Le contrat jeune majeur permet aux jeunes confiés à l'Aide sociale à l'enfance de prolonger les aides dont il bénéficiait pendant leur minorité. Ce contrat peut prendre la forme d'un hébergement, d’une allocation financière ou encore d’un soutien psychologique. Ces modalités sont donc précisées en accord entre l’exécutif départemental et le jeune. Dans cette même dynamique, l’insertion professionnelle, préparée lors 21
  • 22. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 de la minorité par le choix de l’orientation scolaire et portée ensuite par une situation personnelle stable, est aussi une des missions de l’ASE. Si ces outils constituent la base des politiques d’ASE pour les MNA comme pour les jeunes du territoire, ils sont déployés de manière différenciée par les organes décisionnaires du département. B. Une mise en oeuvre particulière permise par le principe de libre administration des territoires Le principe libre administration des collectivités territoriales est consacré par l'article 72 de la Constitution de 1958 : "Dans les conditions prévues par la loi, [les] collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences". En vertu de ce principe, les conseils départementaux disposent d’une grande indépendance dans les domaines de compétence qui leur sont confiés. L’une des compétences centrale du département est la promotion des solidarités et de la cohésion territoriale18 . À ce titre, le coût financier de l’action sociale représente en moyenne plus de la moitié de son budget de fonctionnement. La protection de l’enfance dont fait partie l’aide sociale à l’enfance, mais aussi la protection maternelle et infantile (PMI), l’adoption ou encore le soutien aux familles en difficultés financières, entrent dans le champ de compétence propre du département. Les outils d’action publique en matière d’aide sociale à l’enfance sont imaginés à l’échelle nationale (principe de compétence du département pour le financement par la décentralisation, offre de formation dispensée par l’éducation nationale, accompagnement après majorité encouragé par la loi…). Mais ces outils sont ensuite appropriés et adaptés par les départements. C’est à ce moment charnière, œuvrant dans le silence ou l'ambiguïté19 de la loi, que se met en place un traitement différencié des MNA en Seine-et-Marne. En effet, le département de Seine-et-Marne fait le choix, à travers un ensemble de normes secondaires d’application, d’employer les outils d’actions publics précités (prix de journée, mode d’hébergement, scolarisation, accompagnement à majorité). Le département s’est donc saisi d' 19 Matland, Richard E., "Synthesizing the Implementation Literature: The Ambiguity-Conflict Model of Policy Implementation.", Journal of Public Administration Research and Theory, 1995, pp.145-174. 18 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République 22
  • 23. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 outils conçus au niveau national, pour les adapter à la réalité de son territoire, mais surtout, dans notre cas, à sa volonté politique. C’est ce que confirme la cheffe de service de la protection de l’enfance spécialisé MNA de Seine-et-Marne “en Seine-et-Marne, le département a choisi d’apporter un accompagnement unique pour les MNA”, et la cheffe de service d’Arile, une association prenant en charge ces jeunes sur le département : “On a vraiment une volonté politique de ne plus mélanger. Ce qui n’était pas le cas avant”. La volonté politique du département est clairement d’organiser deux modalités de prise en charge distinctes et est ressentie comme telle par les acteurs de terrain. Il s’agit maintenant d’observer concrètement la manière dont se met en place cette différenciation sur le plan instrumental. §2. L’emploi différencié d’instruments de droit commun A. Des prix de journée à moindre coût Selon la matrice NATO des instruments de gouvernement proposée par Christopher Hood en 198620 , la capacité à gouverner repose sur quatre ressources cruciales : la nodalité relative à la production-manipulation d’informations, l’autorité qui correspond au pouvoir légal de déterminer le cours des choses en autorisant, en sanctionnant et en interdisant , l’organisation qui renvoie à la construction d’architectures destinées à mobiliser des agents publics, à mettre en place des équipements et à produire des services publics et les finances qui portent sur les façons dont les gouvernements lèvent et dépensent des fonds21 . Dans leur ouvrage commun, Philippe Bezes et Alexandre Siné s'étonnent du désintérêt du travail scientifique en science sociale pour ce dernier élément de l’action publique : “le « T » de la matrice NATO des instruments de gouvernement (nodality, authority, treasury, organization) semble constituer le maillon faible des recherches de politiques publiques et, plus largement, de sociologie et de science politique”. Pourtant, nous allons le voir dans le cadre de notre étude de cas, la question des financements constitue un enjeu majeur, qui conditionne les modalités de prise en charge. 21 Bezes, Philippe, et Alexandre Siné, “Introduction : Gouverner (par) les finances publiques. Perspectives de recherche”, Philippe Bezes éd., Gouverner (par) les finances publiques. Presses de Sciences Po, 2011, pp. 17-111. 20 Thoenig, Jean-Claude, “Christopher C. Hood, The Tools of Government, Macmillan, 1983”, Journal of Public Policy, vol. 4, no. 2, 1984, pp. 153–154. 23
  • 24. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 D’autant plus dans un contexte de grande dépendance des structures associatives aux financements publics. Nous on est tarifé à l’activité, on fonctionne avec des prix de journée de 100 euros par jour en général. On calcule qu'accueillir un jeune revient à 100 euros par jour. Ça prend en compte les repas, l’hébergement, le personnel, les voitures de fonction pour les déplacements…Ce prix est facturé au département. Et le 77 a un des prix de journée les plus bas, c’est parce qu'ils diminuent les financements publics depuis des années. La Seine-et-Marne est un département plus rural, qui est assez stricte pour l'accueil des MNA. Ça peut se voir ne serait-ce que sur le prix de journée, on est beaucoup plus bas qu’ailleurs. Florian Pozza, directeur du pôle enfance de la croix rouge à Meaux A l’époque, on était sur du 150 euros en prix de journée, donc ça fait du 54 000 euros par an. Financièrement parlant c’était problématique. A un moment donné c’était compliqué. Donc en juin 2017, tous les contrats jeunes majeurs ont été annulés en Seine-et-Marne. Ça a été très très violent pour les équipes. Et puis moi,pour une structures qui prenait les 17 - 21 ans, on est passé sur les 15-18. On tombait à des prix de journée de 50e par jeune. Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis Le personnel éducatif ressent donc dans son action quotidienne l’avarice du département. Le budget accordé à chaque jeune est le fruit d’une négociation réalisée entre la structure d’accueil et la direction de l’enfance. Cette somme doit être adaptée aux besoins du jeune et aux modalités de prise en charge. Aucun tarif n’est explicitement affiché par le département, mais il est admis, par tous les acteurs, qu’il est toujours moins élevé que pour les enfants du territoire. On est sur 75,90 précisément pour un MNA. Après pour certains, on peut monter à du 160e, quand c’est des tout petits, ou alors pour des structures réduites. Forcément, ça implique plus de frais pour les employés etc. De toute façon, c’est les structures qui nous font les propositions de tarifs, et après on accepte ou on refuse. Pour les jeunes du territoire, on est à 150… Ouais il y a une grosse différence. Après il y en a qui pensent qu’ils ont besoin de moins. Bon c’est pas forcément mon cas… Mais certains le pensent. Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance spécialisé MNA au conseil départemental de Seine-et-Marne Le prix de journée serait donc fixé à 75€90 contre 150€ pour les jeunes français. Ce chiffre, formulé par la cheffe du service de la protection de l’enfance spécialisé MNA (SPES), apparaît en réalité comme une moyenne. Certains acteurs parlent d’une centaine d'euros (association Croix Rouge), d’autres plutôt d’une cinquantaine (association Arile). Ces sommes 24
  • 25. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 peuvent donc passer du simple au double pour des jeunes qui présentent pourtant des profils similaires. Ces considérations économiques conditionnent ensuite la nature et les modalités des prises en charge. B. Les modalités d’hébergement L’une des problématiques centrale pour la prise en charge des jeunes migrants est le logement. L’hébergement fait partie intégrante de l’accompagnement éducatif proposé par l’ASE. Les modes d'hébergement sont très variés : mise à l’hôtel, structures collectives, appartements partagés, semi-autonomie… La position du département a évolué sur cette thématique. Devant l'arrivée importante de nouveaux MNA en 2016, le département avait opté pour des hébergements à l’hôtel. D’après la cheffe de service de l’association Arile, déjà en poste à cette période, “les MNA partaient tous en hôtel. En 2018, ils ont rouvert des structures pour des petits groupes, mais c’était avec moins d’encadrement”. Peu à peu des structures spécialisées se sont mises en place sur le territoire. Cette dynamique est encouragée au niveau national. À cet égard, la loi Taquet de février 2022 pose l’interdiction de l'hébergement des enfants dépendant de l'aide sociale à l'enfance dans des hôtels. Un délai de deux ans est cependant laissé aux départements pour trouver des solutions alternatives. Sur ce point, le département avait déjà travaillé son accueil en systématisant les placements en structures ou en appartements plutôt qu’à l’hôtel. Répartition des modes d’hébergement spécialisé MNA en Seine-et-Marne Types d’hébergements Nombres de places disponibles Nombre de places occupées Mise à l’abris 30 non communiqué Passerelles évaluation 77 51 Pré-autonomie 10 10 Appartements partagés 436 336 25
  • 26. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Structures collectives 77 non communiqué TOTAL 630 479 Données communiquées par le SPES en mars 2022 Selon les données communiquées par le département22 , la modalité privilégiée par le département est celle des appartements partagés. Cela consiste simplement en une mise à disposition d’appartements par le département. Ce dispositif intègre quand même des éducateurs spécialisés, qui suivent et encadrent les jeunes, lors de visites régulières. Ce mode d’hébergement est une prise en charge hybride, entre l’assistance éducative et la mise en autonomie. On constate également une sous-exploitation généralisée des places disponibles (151 places vacantes). Ce phénomène témoigne du ralentissement des arrivées de jeunes MNA sur le département, expliqué en partie par la fermeture des frontières durant le Covid-19. Enfin, le nombre de places disponibles en structures collectives (type “foyer de l’enfance”) est très limité comparativement au nombre de places en appartements. Ce dernier élément intervient en totale rupture avec les dispositifs de l’ASE pour les enfants du territoire, pour qui le placement en maisons d'enfants à caractère social (MECS) reste la règle en Seine-et-Marne. Cela témoigne une nouvelle fois de la différenciation qui s’opère sur le territoire entre ces deux publics de l’ASE, construites et perçues de manière différente. Mais l’accompagnement par l’aide sociale à l’enfance ne peut se résumer à une prise en charge éducative et financière. Il doit permettre aux jeunes adultes en devenir de débuter leur vie dans de bonnes conditions. L’insertion sur le marché de l’emploi et plus largement l’intégration sociale du jeune fait partie intégrante de la politique de prise en charge des enfants. Nous verrons qu’une nouvelle fois les modalités du passage à la majorité divergent pour les MNA. §3. La préparation à la sortie L’âge de sortie des dispositifs de l’ASE peut varier d’un département à un autre. Si la majorité est fixée à 18 ans depuis 1974 23 , le cadre légal rend possible un prolongement de l’accompagnement par l’aide sociale jusqu’à 21 ans. Mais cette disposition reste une incitation 23 Loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 fixant à dix-huit ans l'âge de la majorité 22 Données recueillies lors de l’entretien avec Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance spécialisé MNA au conseil départemental de Seine-et-Marne 26
  • 27. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 qui n’a pas de force contraignante. Nous verrons que le département de Seine-et-Marne adopte une toute autre position, bien plus restrictive pour les MNA. A. Scolarisation Pour préparer les jeunes à leur sortie de l’ASE, l’obtention d’un titre scolaire est décisif. Le département semble porter cette scolarisation comme une priorité pour les MNA, autant que pour les autres enfants pris en charge. Mais l’orientation des jeunes est tout à fait différente pour les jeunes migrants. Dans un premier temps, la contrainte de la langue apparaît parfois comme une difficulté supplémentaire qui rend compliqué l’accès à des formations dites “longues”. L’autre contrainte qui détermine les orientations est l’arrivée souvent tardive des MNA dans le dispositif. Une arrivée à 16 ou 17 ans rend, de facto, compliqué l’inscription du jeune dans un parcours de formation de longue durée. Généralement les jeunes savent à peu près dans quel domaine ils veulent aller. On va pas se mentir, ils vont pas viser un master, ils savent que de toute façon, eux leur souhait c’est de s’insérer rapidement. Il leur faut de l’argent rapidement. Donc on va être sur des métiers plutôt de niveau CAP, titres professionnels, beaucoup des métiers du bâtiment, les métiers de la bouche. Des formations rapides, et qualifiantes rapidement. En privilégiant un maximum l’apprentissage pour que le jeune puisse avoir des ressources propres, commencer à faire de l’épargne, et pas se retrouver à 18 ans sans rien. Stéphanie Coudert Logié, cheffe de service Aide sociale à l’Enfance à la MDS de Roissy-en-Brie On l’observe à travers ce témoignage, l’orientation se fait dans un souci d’efficacité et de rapidité. Dans la mesure où le département a cessé toutes les aides à la majorité, les plans de formations doivent s’achever avant cette échéance. Les jeunes sont orientés en priorité vers des domaines professionnels qui offrent une insertion sur le marché du travail plus rapide. En matière de scolarité, tout ne peut pas non plus être généralisé. Certains jeunes, souvent plus à l’aise avec la langue française, ou ayant suivi une scolarité antérieure, peuvent prétendre à des formations plus qualifiantes. Mais ceux-ci restent quand même minoritaires. L’orientation vers des formations courtes est valorisée en Seine-et-Marne par une volonté claire, celle d’arrêter toute prise en charge à 18 ans. En effet, dans deux arrêts du 21 décembre 2018, le Conseil d'Etat a décidé que les départements étaient dans l’obligation de poursuivre une prise en charge pour les jeunes majeurs “dans le cas de ceux qui poursuivent des études, jusqu'à la fin de l'année en cours”. Mais cette obligation faite au département, par un effet pervers, loin d’encourager le prolongement des accompagnements, pousse le service de l’ASE à refuser des scolarisations qui dépasseraient les 18 ans. Par conséquent, le personnel de terrain, en 27
  • 28. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 connaissance de cette position du département, ne propose aux jeunes que des formations rapides. Avant, n'importe quel jeune passait par la case CIO pour faire un test scolaire. Il était orienté dans des classes spécialisées d’ apprentissage du français, et de la remise à niveau. À partir de 2017, on garde ce système de CIO uniquement pour les moins de 16 ans. Ce qu’il s’est passé c’est que mettre un jeune à la rue s 'il encore scolarisé, c’est compliqué. Du coup ils ont resserré les boulons, et ils refusent systématiquement toutes les scolarités qui ne seraient pas finies à 18 ans. Sauf qu’après c’est compliqué après pour avoir un titre de séjour car il faut une scolarité ou bien un travail. Tout a été revu à chaque fois à la baisse. On nous a demandé qu’ils aillent sur les métiers en tension pour être sûr d’avoir un emploi. Donc la restauration, la couverture et l'hygiène. Donc quand ils arrivent, on leur annonce la couleur . Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis Cet effet “boule de neige” sera détaillé dans le troisième chapitre. B. Sortie sèche à 18 ans : la systématisation des refus de contrats jeunes majeurs24 La position du département, en termes d’accompagnement à la majorité, est rigide. À 18 ans, la prise en charge pour les MNA doit s'arrêter. Laurence, une salariée de l’association Arile, résume avec une pointe de sarcasme cette situation : “Aux 18 ans c'est joyeux anniversaire et dehors !”. Néanmoins, cette rupture semble intervenir en totale contradiction avec le cadre légal. Notamment avec la loi du 7 février 2022 qui prévoit un “accompagnement” jusqu’à 21 ans. Mais cette disposition légale, qui entre dans le cadre conflict-ambiguity (Matland), n’est en réalité qu’une simple incitation. Ainsi, l’interprétation faite en Seine-et-Marne, est pour le moins rudimentaire. Vous savez, il y a le cadre légal, et il y a l’interprétation qu’on en fait. Là, dans la loi Taquet, ils parlent d’un “accompagnement” jusqu’à 21 ans. Et bien nous on ne comprend ni "hébergement" ni “scolarisation obligatoire”, ni “contrats jeunes majeurs” après la majorité. Jessica Quéguiner, cheffe de service de la protection de l'enfance spécialisé MNA au conseil départemental de Seine-et-Marne Dans cette optique, le contrat jeune majeur ne peut pas être mobilisé dans le cas des MNA : “En juin 2017, tous les contrats jeunes majeurs ont été annulés en Seine-et-Marne. Ca a été très très violent pour les équipes” (Laurence, cheffe de service Arile). Ce refus strict étant perçu par les 24 Verdier, Pierre, “Le « contrat jeunes majeurs » : mythe et réalité”, Journal du droit des jeunes, vol. 320, no. 10, 2012, pp. 10-14. 28
  • 29. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 travailleurs de terrain comme une contrainte difficilement acceptable. Dans une dynamique d’assouplissement, une commission d’étude des dossiers s’est constituée au sein du SPES. Cette assemblée permet une étude personnalisée, au cas par cas. La poursuite de l’accompagnement reste d’une extrême rareté sur le département. Tous ces leviers d’action publique, tanto écartés, tanto utilisés de manière différente, sont les témoins d’une politique sclérosée par des facteurs exogènes, qu’il s’agira d’expliquer. Section 2. L’engagement d’un bras de fer entre l’Etat et le département Après ce bref état des lieux, essayons de comprendre quels sont les éléments de context qui ont conduit l’exécutif départemental à adopter une politique différenciée avec les enfants français ? Dans le sillon creusé par Matland, le cadre légal de la protection de l’enfance peut être analysé comme relevant du modèle “conflict-ambiguity”. Le législateur définit les grandes lignes de l’action publique en essayant de ne pas empiéter sur le principe de libre administration, qui pose le département comme seul décisionnaire en matière de politique de protection de l’enfance. Ce partage des compétences ne s’est pas fait sans heurt en Seine-et-Marne. §1. Une politique de l’urgence Dans un premier temps, la politique de prise en charge des mineurs non accompagnés porte les stigmates d’une construction hâtive. A. Une réalité migratoire inédite La politique sociale de prise en charge des mineurs non accompagnés, fortement liée aux flux migratoires, s’est intensifiée à l’été 2015 au niveau européen avec ce qui fût nommée dans les médias comme la “crise migratoire25 ”. De facto, les arrivées de migrants ont connu une augmentation entre 2014 et 2016. Les données agrégées restent néanmoins rares et peu fiables au regard de la difficulté évidente que représente la quantification de l’immigration clandestine. 25 Blanchard, Emmanuel, et Claire Rodier, “« Crise migratoire » : ce que cachent les mots”, Plein droit, vol. 111, no. 4, 2016, pp. 3-6. 29
  • 30. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Au niveau national, l’Allemagne est le pays qui a accueilli le plus de personnes immigrantes, passant d’environ 884 893 immigrants de longue durée en 2014 à 1 571 047 personnes en 2015. La France, quant à elle, n'a jamais connu de pique drastique de ses accueils. En 2014, le nombre d’immigrants de longue durée était de 340 383, passant pour l’année 2016 à 377 709. Une augmentation d’à peine 37 325 personnes, qui a pourtant bouleversé les représentations cognitives de part un traitement médiatique et politique largement déformant. De manière corrélative, l’augmentation générale de l’immigration a engendré une augmentation de MNA à prendre en charge. En 2016, la clé de répartition est mise en place26 afin de confier les jeunes recueillis par la cellule nationale de manière équilibrée entre les différents départements. A cette époque, la clé est calculée “en fonction de critères démographiques et d'éloignement géographique”27 . 27 Article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles 26 Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant 30
  • 31. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 B. Une réponse variable dans le temps L’intensification des flux dès 2016 a contribué à engorger le système existant à l’époque. Les nouveaux jeunes migrants étaient placés, comme et avec les autres enfants, en structures collectives. Aucunes modalités de prise en charge n’étaient spécifiées, du moins après la reconnaissance de minorité. En fait, ça s'est pensé face à l’afflux migratoire qu’il y a eu en 2016. Et alors là ça a été une catastrophe. On a tout monté de pièce, tout a été pensé dans l’urgence. Stéphanie Coudert Logé, cheffe de service MDS Roissy-en-Brie (77) Ce qui s’est passé entre 2013 et 2017, c’est que le nombre s’est multiplié par 13. Avant ils étaient accueillis dans les foyers classiques, ils avaient les mêmes droits en termes de contrat jeune majeur par exemple. Mais il y a eu saturation. En fait, il y a certains foyers qui ont préféré accueillir les MNA plutôt que les autres de l’ASE, parce que oui ce sont des jeunes plus simples, qui respectent les consignes. Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis Face à cet afflux supplémentaire, le département a tout d’abord réagi en s’appuyant sur les ressources institutionnelles déjà existantes. Les jeunes étaient placés dans les structures d’accueil traditionnelles avec les enfants du territoire. Comme le soulève la cheffe de service, cette arrivée ne s’est pas faite sans conséquence. Les places en foyers devenant des ressources rares, s’est mis en place une dynamique compétitive pour les obtenir. Les jeunes du territoire sont rapidement apparus, aux yeux des travailleurs de terrains et du personnel politique, comme lésés dans cette compétition inégale. Nous verrons ensuite que cette réaction des structures d'accueil s'explique en partie par la construction d’un schéma cognitif autour de l’image des MNA plus disciplinés. Mais force est de constater que cette prise en charge commune, fragilisée par une mise en concurrence des intérêts, a rapidement divisé l’ASE en deux sphères distinctes au détriment des MNA. En effet, quelques mois après l’adoption de la clé de répartition nationale et l’arrivée de nouveaux jeunes à l’ASE de Seine-et-Marne dans les structures existantes, le département a peu à peu constitué une procédure parallèle de prise en charge. La temporalité de cette mise en œuvre reste assez floue puisqu’elle s’est construite, au gré des arrivées, dans un contexte de rigueur budgétaire. "Ça a été du bricolage”, déclare Laurence, cheffe de service de l’association Arile, témoignant ainsi du caractère lacunaire de cette politique. Les facteurs explicatifs de cette marginalisation des MNA feront l’objet des prochains développements. 31
  • 32. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 §2. La difficulté de la compétence partagée Le premier élément d’explication réside sans doute dans la relation conflictuelle qui s’est instaurée avec l’Etat en 2016. A. Une relation conflictuelle entre l’Etat et le département 1. Une répartition contraignante En effet, l’adoption de la clé de répartition en 2016 a raisonné au sein du conseil départemental comme l’imposition, autoritaire et verticale, d’un nouveau public extérieur à prendre en charge. Comme l’exprime Stéphanie Coudert Logé, cheffe de service en Maison des solidarités, “ces jeunes là, ils arrivent par le haut”. C’est donc ainsi que sont perçus les arrivées par la cellule nationale. Puisqu’avant 2016, les seuls MNA mis à la charge du département étaient ceux relevant du territoire (donc recueillis, et placés par un juge du département), leur présence au sein des services apparaissait presque normale, et ne mobilisait aucune attention particulière. L’adoption de la clé de répartition marque un grand tournant en donnant à voir les mineurs non accompagnés comme un groupe imposé par l’Etat, venant empiéter sur les deniers publics destinés aux jeunes seine-et-marnais. Il apparaît donc naturel à l’exécutif du département et au service de l’ASE, de décliner des modes de prise en charge présentés comme plus adaptés (mais en réalité moins coûteux). 2. “Mettre l’Etat face à ses responsabilités” Plus que ça, c’est un sentiment de délestement de l’Etat sur le département qui imprègne les représentations à cette époque. Plus que jamais positionnés à la périlleuse place du “mi-enfant, mi-migrant”, les MNA font les frais d’un bras de fer s’opérant entre les niveaux de gouvernance. Le département renvoie la balle à un Etat qui choisit de considérer les MNA comme des mineurs à protéger, relevant ainsi de la compétence départementale.Ce débat se trouve exacerbé par la réflexion autour de l’accompagnement à majorité. En effet, pourquoi l’ASE devrait-elle assumer la prise en charge de jeunes migrants et majeurs ? Le département s’est saisi de cette question dans une note interne adressée par la direction générale de la solidarité le 16 juin 2017 aux directeurs d’établissement portant mesures 32
  • 33. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 spécifiques MNA en raison de la “saturation du dispositif d'accueil" 28 . Cette note prévoit entre autres une rupture sèche de la prise en charge à 18 ans. Une ligne de ce document est particulièrement éloquente : “Aujourd’hui il entend mettre le département face à ses responsabilités sur la problématique des MNA”. Au regard du caractère discriminatoire de l’exclusion du contrat jeune majeur pour les MNA, l’association Gisti et la Ligue des droits de l’Homme ont intenté un recours pour excès de pouvoir contre cette note. Cette action a été accueillie dans un jugement du 19 juin 2020 annulant la note pour erreur de droit. Malgré ce rappel à l’ordre, le département ne changera pas sa position, en témoigne une déclaration en 2018 de Jean-Louis Thieriot, alors Président du Conseil départemental de Seine-et-Marne : “Je rappelle que la gestion des populations de migrants est du seul ressort de l'Etat. Celui-ci doit donc assumer pleinement ses responsabilités”29 . Ce renvoie permanent de la responsabilité apparaît alors comme un élément peu sécurisant pour les jeunes migrants. C’est vrai que ce sont des jeunes, qui vont respecter l’adulte, qui sont plutôt polis, à l’écoute. Bien qu’on peut les rendre violents, souvent à cause de problèmes d’incompréhension. Ces jeunes-là sont extrêmement stressés car ils savent que leur situation dépend de leur situation administrative. D’autant qu’ils savent qu’aux 18 ans c'est joyeux anniversaire et dehors ! Laurence, cheffe de service à l’association Arile à Saint-Germain-Laxis La situation semble inextricable. Pourtant, afin de tenter de contraindre les territoires réfractaires, tout en conservant une bonne entente, le législateur adopte une position ambiguë. B. Une législation du compromis : l’exemple de l’accompagnement jusqu’à 21 ans L’exemple le plus représentatif de ce cadre “conflict ambiguity” (Matland) est celui de l’accompagnement transitoire après la majorité en sortie de l’ASE. Si l’article L222-5 du code de la famille et de l'aide sociale30 prévoit que “peuvent être également pris en charge, à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants”, aucune obligation ne contraint réellement le département. Le choix du terme “accompagnement”, plutôt que celui de “prise en charge” ou de 30 Article 16 de la Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant 29 De Souza, Pascale, “Seine-et-Marne : une marche solidaire des jeunes migrants entre Meaux et Melun”, Le Parisien, 17/11/2017 28 Voir annexe 1 33
  • 34. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 “suivi éducatif” par exemple, intervient dans un contexte conflictuel (de tension entre certains départements et l’Etat sur la question des MNA), et dans un registre ambigu, afin d’ouvrir à chaque territoire une ample marge d’appréciation. Cette place laissée à l’interprétation caractérise la frilosité du gouvernement à l’initiative du projet de loi à contraindre des comportements locaux pourtant problématiques. À cet égard, le département de Seine-et-Marne, fidèle à sa politique, réalisera vraisemblablement une interprétation réductrice de cette disposition législative. “On a pas encore annoncé à nos équipes que la nouvelle loi qui prévoit un accompagnement, le département l’interprète juste comme un suivi de nos collègues du service social. Il y en a qui vont être déçu, ne serait-ce que vis à vis des contrats jeunes majeurs” Stéphanie Coudert Logié, cheffe de service Aide sociale à l’Enfance à la MDS de Roissy-en-Brie Il convient maintenant de s'intéresser aux circonstances particulières, qui ont poussé la Seine-et-Marne à adopter une posture aussi réfractaire à la prise en charge de ces nouveaux jeunes de l’ASE. La dimension partisane apparaît bien, dans le contexte de l’intensification du flux migratoire en 2016, comme un concours de circonstance déterminant. Section 3. Le cadre politique départemental : la politique de prise en charge des mineurs non accompagnés comme marqueur politique Les acteurs politiques le savent bien, la mise en œuvre d’une politique publique n’est pas sans effet sur la popularité des élus au pouvoir et sur les résultats des futures élections. Kent Weaver31 parlera de “credit claiming” pour les politiques publiques adoptées dans un but électoraliste et de “blame avoidance” pour l’inaction engendrée par une peur de la baisse de popularité. Ces considérations orientent donc d’une certaine manière le positionnement des acteurs de la prise de décision. S’interroger sur l’orientation prise par une politique publique donne l’intuition qu’une partie de la réponse se trouve dans la coloration politique des instances décisionnaires. En somme, se demander pourquoi la Seine-et-Marne a-t-elle mis en œuvre, à partir de 2016, une 31 Weaver, R. Kent. “The Politics of Blame Avoidance.”, Journal of Public Policy, vol. 6, no. 4, 1986, pp. 371–398. 34
  • 35. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 politique publique de prise en charge différenciée, suppose de porter le regard sur les élus au département. Est-ce parce que le conseil départemental est à droite qu’une population immigrante se trouve marginalisée ? Ce lien de cause à effet a pourtant été largement déconstruit par les travaux de sociologie de l’action publique. Cette relativisation de l’effet “du politique” sur “la politique” s’accentuerait au niveau local, traditionnellement considéré comme moins politisé. Néanmoins, interrogé sur la question, Jean-Claude Thoenig déclare que “la variable "idéologie partisane" joue”32 même localement. C’est cette hypothèse, qui fera l’objet de cette troisième section. §1. Le changement de majorité au conseil départemental Le département de Seine-et-Marne a connu un renouvellement politique important en 2015. L’adoption de la clé de répartition nationale en 2016, a conduit la nouvelle majorité de droite à développer la politique publique de manière différenciée. La composition du conseil départemental (qui s’appelait alors le conseil général) passe, aux élections de 2015, d’une majorité socialiste à une majorité d’élus de l’UMP. Cette nouvelle coloration politique s’impose avec force par l’obtention de 31 des 40 sièges qui composent l’assemblée. 32 Lorrain, Dominique, Jean-Claude Thoenig et Philippe Urfalino, “Does local politics matter ?. Débat entre D. Lorrain, J.-C. Thoenig et P. Urfalino”, Politix, vol. 7-8, no. 3-4, 1989, pp. 115-123. 35
  • 36. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Rapidement, la question des MNA devient un marqueur politique fort. Le conseil s’engage et assume son positionnement hostile envers cette population immigrée. Plus que jamais, la question des mineurs non accompagnés divise. Elle cristallise le clivage gauche-droite pourtant largement asymétrique en Seine-et-Marne à partir de 2015. [Quelle a été la position du conseil départemental sur la prise en charge des MNA à l’arrivée de la nouvelle majorité ?] Sur ce timing là il y a eu tous les débats autour de la reconnaissance de minorité, avec tout pleins de protocoles qui étaient appliqués et qui posaient problème, parce qu'effectivement il y avait notamment les évaluations osseuses. Ça a déjà créé un certain débat entre nous. Sachant que c’est très facile de se réfugier derrière ça alors qu’on en connaît les limites. En plus d’autre part c’était tout de suite considérer les personnes qui demandaient une aide comme des fraudeurs potentiels. Et ce qui était déjà en ligne dans leur manière de traiter du RSA puisque c’est en 2015 qu’ils ont mis en place toute une politique publique de lutte contre la fraude du RSA (...) Donc voilà, il y avait déjà ce côté là d’être dans cette défiance permanente vis à vis de jeunes qui étaient des jeunes un peu particulier, parce que, ne correspondant pas tout à fait aux jeunes de l’ASE. (...) Il y a eu le débat aussi de dire, ce sont des enfants comme les autres, on ne peut pas les distinguer des autres enfants qu’on intègre dans l’ASE. Et même s' ils sont un peu plus agés, même s’ils n’ont pas eu la même culture que nous, ce sont des enfants et il faut qu’on puisse avoir des politiques, les mêmes, où alors les adapter pour qu’ils puissent recevoir la meilleure des aides pour leur accompagnement social, à la santé. 36
  • 37. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 (...) Tout ce qui existait déjà de pas très bon dans l’ASE était démultiplié pour les mineurs non accompagnés. (...) Je pense que c’est vraiment une position politique dès le départ puisque nous en 2016 on nous parlait de “flux de jeunes migrants sur le territoire” comme quelque chose d’horrible qui arrivait sur le territoire dont on ne savait que faire, comment les traiter. Et donc parce qu'ils étaient moins jeunes que la plupart des enfants qu’on accueille dans un premier temps à l’ASE, il y a eu la volonté de distinguer très fortement ces publics. Ce qu’on peut comprendre sur certains aspects, mais pas sur d’autres. Quand c’est de la discrimination pure et simple et qu’il n’y a pas le même suivi alors que c’est des enfants qui ont aussi des parcours très très difficiles. Julie Gobert, conseillère départementale membre de l’opposition (parti socialiste) C’est donc dans ce contexte politique que s’élabore et se construit la politique de différenciation des MNA. Plusieurs éléments transparaissent dans ce témoignage. Dans un premier temps, il valide l’hypothèse d’un clivage, au sein du conseil départemental, sur la question des mineurs non accompagnés. Dans la suite de notre entretien, la conseillère départementale socialiste déclare ne pas vouloir “laisser dire ce qui a pu être dit au niveau seine-et-marnais”. Ensuite, on observe que la politique de prise en charge des MNA ne fait pas figure d'exception à cette période, et c’est bien un ensemble de politiques sociales, qui s’orientent alors dans une dynamique restrictive (autour de la question du RSA notamment). À l’appui des travaux portant sur l’impact des variations politiques sur les politiques menées, qui dépeignent plutôt une corrélation relative entre ces deux éléments, on pourrait se demander dans quelle mesure l’alternance politique a-t-elle réellement construit la différenciation des prises en charge ? Car finalement, qui de l’arrivée importante et inédite d’un nouveau groupe d'individus appartenant à une catégorie imprécise, ou de l’arrivée à la tête de l’exécutif du département d’un parti de droite, permet d’expliquer l’émergence de cette politique de prise en charge ? Il semble plus raisonnable de conclure à une explication partagée, d’un département rétif, devant composer avec l’arrivée d’un public mal connu. Un tel positionnement politique s’est, en outre, vu porté par l’inquiétude des riverains. 37
  • 38. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 §2. L’enjeu de l’acceptation par les riverains : entrée par la géographie sociale A. La faible mobilisation des élus Lors de l’entretien réalisé auprès de madame Gobert (conseillère départementale socialiste), celle-ci revient sur sa décision de siéger à la commission des solidarités, dont l’une des missions est la prise de décision pour les MNA : “ il y en avait pas beaucoup qui voulait siéger aux solidarités. Parce que c’est vraiment le cœur d’action du département mais ce n'est pas non plus souvent ce qui permet la plus grande visibilité politique”. On comprend déjà que le secteur de politique publique des solidarités n’est pas attractif pour les élus. En effet, leur action apparaît souvent sur le temps long, et n’est pas forcément attribuée au conseil départemental. Les “policy feedbacks”33 qui en découlent ne sont pas porteuses politiquement. De manière évidente, les nouveaux élus UMP arrivés en 2015 ne se sont pas bousculés pour s’investir dans les dossiers relevant de l’aide sociale à l’enfance. S’ajoutant à un rejet de la prise en charge par le département des nouveaux mineurs non accompagnés, le peu d’intérêt électoral que représente le secteur de la protection de l’enfance, en fait une question peu mobilisatrice pour la majorité. Ainsi, la question des MNA n’est pas une cause séduisante pour la population. L’arrivée de ces jeunes étrangers est souvent perçue de manière négative par les riverains. B. “Vivons cachés, vivons heureux”, ou comment le département organise la discrétion de jeunes qui dérangent À cet égard, une approche par la géographie sociale permet de tirer des observations significatives. Selon Sophie Blanchard, Jean Estebanez, et Fabrice Ripoll34 à propos de l’espace géographique : “beaucoup affirment que la société produit l’espace, mais aussi que l’espace produit des effets en retour sur la société : il agit rétroactivement”. Cette grille d’analyse prend tout son sens lorsqu’on s'intéresse à certains lieux d'accueil des MNA en Seine-et-Marne. À titre d’illustration, l’ouverture, en décembre 2021, d’une nouvelle structure d'accueil temporaire des jeunes étrangers en attente de reconnaissance de minorité est édifiante. Les jeunes y sont pris en charge par l’association Arile. Il s’agit pour le département d’un dispositif 34 Blanchard, Sophie, Jean Estebanez, et Fabrice Ripoll. « Chapitre 2. Approche, grille d’analyse et principaux concepts », , Géographie sociale. Approches, concepts, exemples, sous la direction de Blanchard Sophie, Estebanez Jean, Ripoll Fabrice. Armand Colin, 2021, pp. 33-50. 33 Pierson, Paul, “When Effect Becomes Cause: Policy Feedback and Political Change.”, World Politics, vol. 45, no. 4, 1993, pp. 595–628. 38
  • 39. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 inédit, qui permet une mise à l'abri immédiate des MNA arrivant sur le territoire, afin d’opérer l’évaluation de leur âge. Cette structure est implantée sur la commune de Saint-Germain-Laxis. Situé en zone rurale, le village de 7 km2 compte 738 habitants. Il est situé à 6,4km de la Ville de Melun, chef-lieu du département. Mairie de Saint-Germain-Laxis, “Note de présentation”, https://www.mairie-saintgermainlaxis.com/l/note-de-presentation/, 23/03/2021 L’implantation de la structure s’est faite au sein de la zone urbanisée de la commune. Néanmoins, l’aménagement du centre manifeste une dynamique de mise à l’écart. J’ai pu le visiter à l’occasion d’un entretien avec la cheffe de service de l’association. Tout d’abord, la structure n’est pas identifiable depuis la route. Le portail est assez haut. Les arbres et les clôtures opaques cachent les habitations. Contrairement à un autre centre d’hébergement de jeunes atteints de troubles psychiatriques présent à quelques mètres sur la même commune, aucune pancarte n’indique la présence d’un organisme à caractère social. Alors que je m’excuse de mon retard et explique à Laurence que j’ai eu beaucoup de mal à identifier ce lieu comme étant le foyer d’accueil, elle me répond que c’est un choix de leur part. Ils veulent se “faire discret” vis à vis du voisinage. Cette scène donne à voir l’inquiétude des riverains mais aussi le fait que la structure est pensée dans une volonté de discrétion, afin de limiter les contestations. 39
  • 40. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Prise de vue Google Maps du lieu d’accueil (juin 2021) Il est à noter qu’à ce jour le portail a été repeint, d’une couleur sombre mais unie. Néanmoins le reste des éléments sont encore identiques. D’extérieur, le lieu ne dégage plus un sentiment de vétusté comme pouvait le laisser penser l’état dégradé de la devanture, mais cette dernière reste très épurée afin de ne pas attirer l'œil des badeaux. À mon arrivée devant la grille, je constate que Laurence est entrain de discuter sur le trottoir avec une femme, visiblement sortie précipitament (en pyjama, en chaussettes avec des tongs). Je me joint à la conversation et comprends que cette personne est l’occupante de la maison voisine, elle a interpellé la directrice de ce nouveau centre pour exprimer ses inquiétudes face à l’arrivée de ces jeunes. Laurence lui explique le profil spécifique des MNA, fait preuve de pédagogie pour tenter de calmer ses inquiétudes. Finalement, la voisine rentre chez elle en disant “j’attend de voir, j’espère que ça va le faire”. J’interroge alors Laurence sur cette inquiétude du voisinage. Elle m’expliquera que l’autre structure présente sur commune accueil un public beaucoup plus “compliqué” qui aurait tendance à perturber la tranquillité du voisinage. 40
  • 41. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Prise de vue Google Earth En outre, les habitations, pour le moins rudimentaires, donnent le sentiment d’un lieu de passage instable, peu sécurisant pour les jeunes. Les habitations sont des petits chalets en bois ou des bungalows. Pour circuler entre les dortoirs, les sanitaires ou les parties communes (salle informatique, bureaux des encadrants…), il faut traverser des chemins en terre battue. L’ensemble donne l’impression d’être dans un camping. En somme, la politique de prise en charge des MNA en Seine-et-Marne se construit en 2016 autour d’une volonté politique claire de mise à l’écart. Mais la construction de tels dispositifs d’action publique s’est heurtée à la mobilisation de certains acteurs locaux et associatifs. Des bribes de réformes semblent s’amorcer depuis 2021. 41
  • 42. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Section 4. Dépendance au sentier et tentatives de mesures réformatrices portées par le bas Si les travailleurs sociaux s’accordent pour dénoncer le caractère discriminant, ou du moins inégalitaire, du traitement des MNA en Seine-et-Marne, ils évoquent aussi souvent les avancées récentes du département. Ce mouvement réformateur, certainement poussé par l’exacerbation des problématiques et le ralentissement des flux durant l'épidémie de Covid 19, s’explique en partie par la mobilisation des acteurs de terrains. Nous verrons comment les élus locaux se sont saisi de cette problématique, et dans quelle mesure la dépendance au sentier35 oriente-t-elle tout de même les politiques de prise en charge des jeunes migrants. §1. Mise à l’agenda d’un problème public par des groupes contestataires Dans un premier temps, la résistance s’organise au niveau des associations de défense des droits des migrants qui intenteront des actions en justice. Cette mobilisation sera relayée par la presse locale. A. Les voix s’élevant contre une politique jugée discriminatoire L’entrée en vigueur de la nouvelle politique départementale se fait de manière brutale. Les effets ne tardent pas à se faire sentir, du côté des jeunes mais aussi du personnel encadrant. Laurence, cadre d’une association prenant en charge des MNA sur le territoire, témoigne de cette violence ressentie par ses équipes : “en juin 2017, tous les contrats jeunes majeurs ont été annulés en Seine-et-Marne. Ça a été très très violent pour les équipes. (...) On tombait à des prix de journée de 50€ par jeune. On divise par 3, c’est assez drastique. Après, les MNA partaient tous en hôtel. En 2018, il ont rouvert des structures pour des petits groupes, mais c’était avec moins d’encadrement”. Ce sont les associations déjà présentes sur le territoire qui se mobilisent les premières. Les bénévoles d’associations, mais aussi des éducateurs et de simples citoyens s'impliquent dans la défense des droits de ces mineurs non accompagnés. Le “collectif 77 de soutien aux Mineurs et Jeunes Majeurs Étrangers” est créé en 2017, rejoints par les associations Amnesty International, la Ligue des droits de l’Homme, la Pastorale des Migrants, le Réseau Education 35 Pierson, Paul, “Dismantling the Welfare State ? Reagan, Thatcher, and the Politics of Retrenchment”, New York, Cambridge University Press, 1994, pp.213 42
  • 43. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 Sans Frontières, le Secours Catholique, Turbulences et De Loin en Loing Solidarité Migrants. Plusieurs manifestations sont organisées entre 2016 et 2019, pour protester contre des traitements jugés excluant et non conforme aux droits des enfants. S.Bo., “Seine-et-Marne : flash-mob pour sensibiliser à la cause des migrants mineurs”, Le Parisien, 19/01/2019 La presse locale36 aura ici un rôle de porte voix des formulations qui se sont construites en dehors d’eux. La médiatisation de ces mauvais traitements dépasse les frontières du département puisqu’en juin 201837 , Jean-Louis Thiériot, alors Président du conseil départemental, signe une tribune dans le figaro en qualifiant la prise en charge des mineurs non accompagnés d’ “épine dans la chair des départements”. Une nouvelle fois, il est question de la charge financière que représente ce public pesant sur un département qui s'inquiète de n’avoir “aucune prise sur l’immigration”. B. Sanctions juridiques Malgré une position apparemment inflexible du département dans les premières années du dispositif, la justice interviendra pour sanctionner le département. Le Conseil d’Etat, annulera notamment une note interne du département intitulée “saturation dispositif d'accueil - mesures spécifiques MNA” en date du 16 juin 2017 dans l’arrêt précédemment cité du 21 décembre 2018. Deux éléments sont intéressants aux termes de notre analyse. Tout d’abord, le juge n’a pas annulé la note en raison d’une discrimination, invoquant le principe de libre 37 Jean-Louis Thiériot, “Jean-Louis Thiériot : «Mineurs étrangers, le grand silence de la loi asile et immigration»”, Figarovox, 22/04/2018 36 (notamment) Van Caeyseele, Julien, “ Les MNA et jeunes majeurs "ne sont pas venus en France pour crever", La République de Seine-et-Marne, 17/06/2018 43
  • 44. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 administration des territoires. L’annulation est seulement motivée en droit, ce qui ne remet donc pas en cause la marge de manœuvre du département. Ensuite, les motivations avancées par l’association gisti, à l’origine de cette action, abondent dans le sens d’une politique discriminante : “Les associations requérantes combattant toute forme de discrimination fondée sur la nationalité”38 . Ce dernier point n’est pas repris dans la décision du Conseil d’Etat. En somme, l’intervention judiciaire, comme celle des médias, finissent simplement de parachever un engagement porté “par le bas”. Ces revendications semblent parvenir à franchir les portes du conseil départemental au gré des renouvellements politiques. §2. Mise à l’agenda politique du problème de la prise en charge différenciée Peu à peu la mauvaise prise en charge des mineurs non accompagnés en Seine-et-Marne passe d’une mobilisation sociale à l’agenda institutionnel39 . Pour comprendre ce déplacement, Hilgartner et Bosk40 distinguent trois arènes publiques : les arènes médiatiques, les arènes d’expression collective et les arènes institutionnelles. En 2016, l’arrivée des migrants s’impose aux institutions comme un point d’urgence, qui donne lieu au “bricolage” d’une politique fortement marquée politiquement. Deux ans plus tard, en 2018, la question passe à l’arène d’expression collective (collectif 77), qui sera très vite reprise par l’arène médiatique. Ce n’est finalement qu’en 2021 que les élus locaux vont véritablement se saisir du problème. Mais comment expliquer cette mutation ? Aucun élu de la majorité n’ayant souhaité s’exprimer sur le sujet, les hypothèses retenues ici, ont pu être validées seulement par Madame Julie Gobert, membre de l'opposition au Conseil départemental de Seine-et-Marne. 40 Hilgartner, Stephen et Charles L. Bosk,“The Rise and Fall of Social Problems: A Public Arenas Model.”, American Journal of Sociology, vol. 94, no. 1, 1988, pp. 53–78 39 Loveridge, Ronald O. “Participation in American Politics: The Dynamics of Agenda-Building. By Roger Cobb and Charles Elder”, American Political Science Review, vol. 67, no. 3, 1973, pp. 1009–1010 38 Extrait de la requête en annulation portée par l’association gisti et la ligue des droits de l’homme, représentées par Me Ambre BENITEZ, Avocate au barreau du Val de Marne. (voir annexe 2) 44
  • 45. LAUGA Nina . Mémoire M1 . mai 2022 A. Une mobilisation naissante des élus locaux 1. Effets directs de la médiatisation Avant tout, il apparaît rapidement que la médiatisation dont à fait l’objet la question des MNA a fortement pesé dans la mise à l’agenda de ce problème. Comme en témoigne l’entretien réalisé avec l’élu PS : En 2021 nous on en a fait un vrai objet de campagne même si finalement peu de gens connaissent ce que c’est que l’aide sociale à l’enfance. Mais bon on avait un ensemble de relation avec les associations, on avait envie d’en faire un thème de campagne parce que pour nous c’était important. Et puis finalement ça a été aussi repris par la presse, donc c’était aussi important de pouvoir.. C’est bien en fait que ça soit médiatisé ! Et donc l’évolution est quand même arrivée Julie Gobert, conseillère départementale membre de l’opposition (parti socialiste) La médiatisation a donc incité l’ensemble des acteurs locaux à investir la prise en charge des mineurs non accompagnés. Mais l’intérêt de la presse n’est pas l’unique facteur explicatif de ces changements. 2. Renouvellement politique En effet, c’est bien un changement de configuration politique qui a permis au conseil départemental d'accueillir les revendications sociales. Ce renouvellement s’est d’abord fait par les nombreux changements de présidents réalisés entre 2015 et 2021. Jean-Jacques Barbaux (LR), élu président du conseil en 2015, est décédé en fonction en février 2018. Le mois suivant, Jean-Louis Thiériot (LR) le remplacera pour 5 mois seulement avant de démissionner après son élection comme député. Malgré son court mandat, il est à noter que Jean-Louis Thiériot est le Président qui a connu le plus de traitement médiatique et dont les positions sur les MNA ont été le plus relayées dans la presse. En juillet 2018, Patrick Septiers (UDI) assurait la présidence jusqu’aux dernières élections de juillet 2021. A cette occasion, c’est Jean-François Parigi (LR) qui prend la tête du conseil départemental. On observe une forte instabilité institutionnelle sur l’année 2018. Cette fragilité peut expliquer en partie l’embrasement des débats autour de la question des MNA. Le département semblait alors afficher une position radicale. Il est également frappant de voir que la majorité de droite parvient à garder sa solidité depuis 2015. Même si l’opposition semble s'étoffer un peu, la majorité LR reste écrasante au conseil. 45