Le Web a-t-il besoin d'une logique ? Un point de vue aporétique.
1. Le web a-t-il besoin d’une logique ?
Un point de vue aporétique
Bruno Bachimont
2. Démarche
• Deux réponses :
– Ontologies et métaphysique :
• la logique est bien un moyen de structurer notre
connaissance du monde et de déterminer ce qui est.
– Numérique et calcul :
• La logique devient sans objet, le résultat calculé occultant
l’étape inférée.
• Une perplexité :
– Le web repose sur une conception logique du monde
et engendre un rapport esthétique à ce dernier.
4. L’héritage philosophique
• 2 grandes catégories :
– L’Être (Being) : ce qui est;
• Domaine de la métaphysique
– L’Agir (Doing) : ce qui doit être.
• Domaine de la morale et de l’Ethique.
• Un troisième terme toujours omis :
– Le faire (Making): la construction du monde et de soi par le
couplage technique homme-réalité
– Le faire remets en cause l’opposition entre l’Être et l’Agir:
• Ce que nous construisons reconfigure ce qui est et ce qui peut être :
• Technique = invention des possibles (ce qu’on peut faire)
– invention de ce qui peut être,
– Invention de ce qu’on doit faire,
5. Ontologie et fondation technique
• On ne peut dès lors décrire l’Être en lui-même,
mais depuis notre construction socio-technique
du réel.
• Technique : dispositif de saisie et de manipulation
– Définir par le geste technique le Quoi de la saisie
• C’est l’objet, ce qui pourra être vu comme la substance
– Définir par le geste technique le Comment de la saisie
• C’est la manière dont l’objet se prête à la manipulation, et ce
que nous lui conférons par cette manipulation.
6. Technique et répétition
• Le dispositif technique est un dispositif
permettant de répéter la manipulation :
– Le quoi devient répétable, il gagne une
permanence par la répétition de la saisie. La saisie
répétée le constitue dans son identité.
– Le comment devient aussi répétable : chaque
saisie répétée confirme ses propriétés.
7. Des catégories fondamentales
Quoi Comment
Non répété Le saisi La manière
Répétable L’objet saisi La propriété
Héritage aristolicien:
• ce qui est dans un sujet
• Ce qui est dit d’un sujet
Ce qui n’est pas dans un Ce qui est dans un sujet
sujet
Ce qui ne se dit pas d’un substance propriété
sujet
Ce qui se dit d’un sujet Substance universelle Propriété universelle
8. Remplir le cadre ontologique
• On a défini un cadre anthropo-technique:
– Les catégories fondamentales découlant de notre
rapport au monde.
– Ces catégories ne disent pas ce qui est, mais
comment le monde nous tombe sous la main.
• L’enjeu est de remplir ce cadre :
– Distinguer deux modes de saisie:
• Le dire
• Le faire
9. Le dire
• Mode de saisie reposant sur le linguistique et les
technologies en relevant, notamment l’écriture:
– Le dire relève du pensable;
– L’écriture, comme technique du pensable, permet
d’explorer des expériences de pensée, à savoir tester
et simuler la systématicité des concepts dans une
logique d’écriture.
• Proche de l’ontologie formelle de Husserl; mais:
– Pas de pensée pure, mais un cadre empirico-
transcendantal (!), construit mais a priori pour la
pensée.
– Proche des formes symboliques de Cassirer.
10. Le Faire
• Caractérise ce qui est saisissable dans le monde
• Deux niveaux:
– Les espaces de l’expérience, fondée sur un donné
fondamental:
• Nature physique : le mouvement (cf Kant)
• Culture : intentionnalité (Dilthey, Husserl)
• Nature biologique : le vivant
• …
– Les domaines de la pratique :
• La médecine
• Le droit
• La mécanique
• Etc.
11. En résumé:
Saisie
Cadre Quoi de la saisie Comment de la saisie
Anthropo -
technique
Quoi répétable Comment répétable
Ontologie formelle Ontologie matérielle Ontologie effective
Le pensable Le pensé Le réalisé
Empirie
Espaces de Domaines de la
l’expérience pratique
12. Entre les ontologies
• Traditionnellement (Husserl par exemple)
– Le réalisé instancie le pensé, qui lui-même instancie le
pensable.
– L’ontologie matérielle instancie l’ontologie formelle, et
le réel instancie l’ontologie matérielle.
– Tout ce qui existe est soumis de ce fait à la forme de la
pensée et à ses structures.
• Problème de la réciproque :
– Comment articuler la profusion du réel avec le
pensable : le réel est-il absorbable dans le pensable ?
– Le faire est-il récupérable dans le dire ?
13. L’articulation logique
• On constate deux tendances :
– Penser le réel comme l’instanciation du pensable, et
mobiliser la logique pour penser a priori le réel
possible, comme réalisation possible du pensable:
• Recours à la logique modale, notamment la sémantique des
mondes possibles (cf. Guarino par exemple).
– Penser le réel comme un excès sur le pensable :
mobiliser la logique comme le moyen de décrire des
ensembles d’objets sans prédicats linguistiques
prédéfinis pour les nommer
• Recours à la logique linéaire (cf. Travaux à Paris 13).
14. Conclusion
• Recourir à la logique pour décrire les différentes
articulations que l’on trouve dans le réel, via nos
différents modes de saisies.
• La saisie se décompose en :
– Un faire, qui permet de créer des assemblages
excédent le pensable : il faut une logique pour décrire
ces assemblages au delà du dire;
– Un dire, qui permet d’explorer les horizons du
pensable, notamment à travers les écritures. Il faut
une logique pour décrire ce jeu de l’écriture et des
espaces de pensée.
16. Problématique
• Le numérique est un nouveau type de
supports pour les contenus;
• Chaque type de support engendre une
rationalité propre;
• La raison graphique engendre la logique
classique;
• La raison computationnelle, fondée sur le
calcul et le numérique, engendre-t-elle une
logique particulière ?
17. La raison du support
• Le support d’inscription conditionne
l’intelligibilité de l’inscription:
– Les structures matérielles et interactives
conditionnent le parcours interprétatifs
– Chaque type de support se traduira par un type de
rationalité associé, une manière propre de penser.
• En particulier :
– La raison graphique : la pensée propre au fait de
disposer de la technologie de l’écriture
– La raison computationnelle : quand le calcul se mèle
de l’écriture.
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18. La raison graphique
• Ce que fait l’enregistrement qu’est l’écriture à la parole:
– Passage de l’oral, temporel et successif, à l’écrit, spatial et
permanent;
– L’écrit permet la synopsis (voir ensemble) du discours en le
posant, le syn-thétisant (poser ensemble) dans un même espace
– L’ordre et le rythme de la lecture sont indépendant de ceux du
discours.
• Nouvelles possibilités
– Créer un ordre arbitrairement différent de celui du discours oral
– Voir des rapports spatiaux qui n’étaient pas audibles, penser à
travers ces rapports ce qui n’était pas pensable par l’ordre oral.
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19. Un exemple, la grammaire
• Grammaire :
– Instrument décrivant la structure d’une langue
s’appuyant sur son objectivation par l’écriture (il n’y a
pas de grammaire oral, mais des grammaires de l’oral
depuis qu’on sait l’enregistrer).
– Repose sur la possibilité de comparer et structurer les
éléments du discours indépendamment de l’ordre du
discours
• Exemple:
– Repérer les mots possédant les mêmes radicaux pour
les rassembler en conjugaison
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20. Raison graphique
• L'écriture permet de construire des structures
fondamentales:
– La liste :
• ordre spatial entre différentes unités, permettant plusieurs
lectures possibles.
• La liste est apparue pour inventorier des objets, des actions,
mais aussi des mots. L'écriture de mots a permis d'entamer
une réflexion sur les mots, car elle les objective.
– le tableau : disposition spatiale où les rapports
topologiques sont vecteurs de sens.
– la formule : énoncé dont l'intelligibilité est purement
écrite et ne peut se dire oralement.
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21. Raison graphique, raison classificatoire
• Ces structures permettent la fonction
conceptuelle de classement :
– la liste permet de ranger des unités par catégories ;
– le tableau permet de définir des systèmes de
catégories ;
– la formule permet d'établir des rapports formels entre
catégories.
• Exemples:
– Tableau de Mendeleiev
– taxinomies
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22. Raison computationnelle
Raison graphique Raison computationnelle
•Liste •Programme
•Tableau •Réseau
•Formule •Couche
•Schéma •Maquette numérique
Bruno Bachimont Archivistique
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audiovisuelle et numérique 2011
23. Question
• De même que la raison graphique permet de
comprendre la genèse de la logique, peut-on
envisager une logique découlant de la raison
computationnelle ?
• Le numérique engendre-t-il une logique,
comme le graphique a permis de constituer la
logique classique ?
24. La logique
• Comment la définir ?
– Technique (art du raisonnement) permettant de
conserver la vérité le long d’un raisonnement ou
argumentation.
– Constitue un corps homogène de règles et
principes en s’intéressant à la forme des énoncés
et raisonnements et non à leur contenu.
• La logique est formelle:
– En ne sachant pas de quoi elle parle, elle n’en dit
rien de faux.
25. L’inférence logique
• Etape élémentaire permettant d’édifier la
raisonnement :
– Comment passer d’un énoncé à un autre ?
• Ce sont les règles d’inférence des systèmes formels,
comme le Modus Ponens, ou la règle de généralisation.
• La logique est donc d’abord locale avant de
construire des raisonnements globaux.
– L’inférence permet de contrôler et vérifier la
qualité du raisonnement global.
26. Notre usage du Web
• Le local n’est plus le marche pied du global,
qui devient directement accessible et
visualisable par le calcul.
• La technique calculatoire remplace la logique
comme contrôle du niveau local.
• Le web, et le numérique plus généralement,
repose donc sur une construction logique,
mais n’induisent pas une forme de
raisonnement de type logique.
29. Les conséquences du calcul
• Le calcul permet de saturer la combinatoire
des possibles et de globaliser les inférences en
un état final
• Le processus de sommation devient
inappréhendable et non contrôlable par
l’évidence rationnelle (puissance,
massification des calculs)
• Le calcul délivre un résultat, et ne déroule pas
une argumentation.
30. Une logique sans prise
• La sûreté des inférences est rapportée à la
confiance dans nos algorithmes sans
transparence cognitive.
• Le calcul ne donne pas à voir sa progression et
le supplément qu’est le support dynamique
calculatoire n’engendre pas une synopsis
permettant de voir les enchaînements
autrement.
31. Esthétique au lieu d’une logique
• La numérique donne lieu plutôt à une
esthétique de la globalité, d’une Gestalt
signifiante dont la signifiance n’est pas d’ordre
logique mais plutôt esthétique.
• Le numérique modifie notre rapport au
monde qui devient moins analytique et
logique mais davantage esthétique et
perceptif.
32. Conclusion
• Paradoxe du Web:
– Fondé sur le calcul et la logique associée;
– Mobilise des ressources induisant une conception
logique du monde (les ontologies)
– Engendrant des totalisations s’offrant en masquant
leur genèse calculée, sans prise pour une rationalité
cherchant l’articulation fiable et l’enchaînement
rigoureux;
• Le Web, fondé (en partie) sur la logique,
conduirait à une vision esthétique et logique des
phénomènes qu’il engendre et qu’il transmet.