Relevé des décisions de la session du conseil du 2 octobre 2015
« L’action publique de demain » gouvernance, méthodes, redevabilité »
1. « L’action publique de demain »
16h15 2ème
table ronde
« Quelles transformations de l’action publique ?
Gouvernance, méthodes, redevabilité »
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1°) Une vraie gouvernance de « l’action publique » commande de « réunifier » (ce
qui ne veut pas dire centraliser car elle peut être déconcentrée, décentralisée) les
actions de toutes les administrations publiques : Etat, Odac, Protection sociale,
collectivités territoriales. Ces actions visent le même bénéficiaire, le même objectif
d’intérêt général, dans un enchevêtrement incommensurable, au point que ces
acteurs coopèrent mal, voire deviennent rivaux. Nous avons besoin d’une
réaffirmation que la République indivisible met en œuvre une action publique
offrant aux citoyens les garanties de son unité et de son indivisibilité. Une meilleure
utilisation de la comptabilité nationale devrait permettre de mieux rendre compte aux
citoyens de l’utilisation du fruit de leur travail et de suivre l’emploi de leur
contribution publique, au sens de l’article 14 de la DDHC, j’y reviendrai à propos de
la loi de règlement.
2°) Une gouvernance unifiée, avisée, prévisible, cohérente et efficiente suppose de
rétablir la confiance mutuelle au sein de ses administrations publiques. A
défaut, elles consomment leur énergie dans la méfiance pour ne pas dire la défiance
mutuelle, elles se protègent, se jalousent, se neutralisent, jouent à perdant-perdant.
Cette situation les fait camper sur des positions frileuses et statiques au dépend du
mouvement pourtant si nécessaire. La confiance ne se décrète pas mais elle se
construit sur les valeurs fondatrices avec celles d’impartialité, de probité et de dignité.
L’appel à l’éthique peut se révéler aussi fécond que la prolifération d’un droit
destructeur de confiance.
3°) La confiance ne peut plus se construire sur notre droit. La crise du droit est
au cœur de la crise de l’action publique. Notre droit est devenu un corps de règles
kafkaïennes chaque jour plus nombreuses, absconses, inconstantes dont la mystique
transforment les praticiens en obsessionnels compulsifs de la réglementation.
Réglementation qui anesthésie les angoisses des gestionnaires mais paralyse
concomitamment toute créativité, toute initiative. Les mots comme « moratoire »,
ou « simplification » ont été usés. Il est probable qu’il faut en passer par une sorte
de révision générale du droit réglementaire au regard de la hiérarchie des normes afin
de transformer une partie de règles paralysantes en guides de bonne pratiques.
4°) Redonner à la LOLF son rôle de pilotage stratégique ! Oui ! Elle est loin
d’avoir pu produire les effets attendus. La vérité oblige à dire que l’intention du
2. législateur organique a été corsetée par un appareillage réglementaire paralysant et
souvent contre-productif.
Le foisonnement des objectifs et des indicateurs les a rendus souvent dérisoires.
Elle reste un bon outil, et doit en effet ENFIN donner à la reddition des comptes, c'est-
à-dire à la loi de règlement, la même solennité et la même portée que la présentation
des comptes dans une entreprise cotée ou un groupe coté.
5°) La loi de règlement ne peut et ne doit plus se limiter aux comptes de l’Etat.
Elle doit viser un objectif plus élevé, celui des comptes APU, des comptes des
administrations publiques.
L’article liminaire introduit par la loi organique de décembre 2012 lui en donne
l’opportunité. Comme il est écrit en comptabilité nationale il permet de consolider
l’examen de comptes toutes APU en comptabilité nationale qui est celle de nos
engagements européens. L’action publique pourrait être ainsi examinée dans son
ensemble, ce qui n’est jamais fait. Car les comptes sont présentés par administrations
publiques. La comptabilité nationale permet la vision transversale par politiques
publiques, ce qui redonnerait au débat parlementaire sur la loi de règlement un force
de frappe considérable.
6°) La question de la « responsabilité » inhibe les gestionnaires en droit budgétaire
français. Le principe de « redevabilité » cité dans le rapport est intéressant. Il me
semble rejoindre celui d’imputabilité en vigueur au Canada et qui a produit
d’excellents effets, permettant de créer une vraie traçabilité au sein de la chaine de
décision et inciter les gestionnaires, lorsque c’est nécessaire, à dépasser les questions
de régularité formelle pour prendre des décisions de gestion plus appropriées et
fondées sur des motifs traçables.
7°) Les systèmes d’information pour aller au-delà du vocable « numérique » sont
une opportunité historique pour réussir la modernisation de l’action publique. Encore
faut-il que dans leur conception, ils ne dupliquent pas le modèle de centralisation
extrême dont la France a le secret, en cherchant à réunir dans « un grand tout » une
myriade d’applications avec pour conséquence un fonctionnement rigide, couteux,
parfois inutilisable et des conséquences financières désastreuses. Un modèle fédéral
pour ces systèmes d’information serait préférable avec un système de consolidation
central très stratégique et une galaxie de systèmes dédiés mis en orbite autour de lui,
garantissant l’interopérabilité, tout en offrant de la subsidiarité. Les systèmes
d’information doivent abattre les murs de Berlin érigés entre les différentes
administrations publiques, quant à l’action publique qu’elles mènent et les coûts qui y
sont associés.
8°) La rigidité en gestion des ressources humaines de l’action publique est une autre
illustration d’un droit devenu inadapté, de systèmes d’information dépassés, d’un
déficit managérial sidérant, et d’une pulvérisation de situations particulières qui
défient l’entendement. Toutes les passerelles utiles entre administrations doivent être
3. ouvertes. Des principes de mobilité doivent être posés et une instance dédiée pourrait
délivrer des dérogations lorsqu’une règle oubliée viendrait à empêcher une décision de
gestion raisonnable.
9°) Oui, il est possible de lever les obstacles pour permettre une meilleure action
publique demain. C’est affaire de volonté politique. Même une affaire de consensus
politique. Au moment où notre démocratie est à l’épreuve, les deux chambres du
Parlement appartenant à des sensibilités différentes pourraient, comme cela avait été
fait pour la LOLF, mettre entre parenthèses leur division et marquer une volonté
commune de nous doter des instruments et des pratiques permettant de redevenir une
action publique de référence dans le monde. Certes, beaucoup relève du pouvoir
réglementaire, mais la volonté politique doit émaner de la représentation nationale afin
d’éviter qu’un camp politique soit supposé avoir plus de mérite que l’autre.
10) La fin du « top-down » comme mode exclusif d’organisation de l’action
publique au bénéfice du « bottom-up » serait le secret de la réussite.
Alain Lambert
Ancien Ministre
Président du Conseil Général de l’Orne
http://www.alain-lambert.org/