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A Londres, des milliers de
personnes défilent contre le Brexit
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)Le 9 septembre 2017 à 20h32 Mis à
jour le 10 septembre 2017 à 13h19
Cette « marche pour l’Europe » s’est tenue
samedi à deux jours d’un premier vote au
Parlement britannique sur le projet de loi
abrogeant la législation européenne.
"
Manifestation contre le Brexit, dans les rues de Londres, le 9
septembre. / STRINGER / REUTERS
Sas Harrison ne porte pas le tee-shirt bleu azur constellé des étoiles
d’or du drapeau de l’Union européenne (UE) qu’arborent beaucoup
de manifestants de cette « marche du peuple pour l’Europe »,
samedi 9 septembre, entre Hyde Park et Westminster, à Londres. Il
ne brandit pas de pancarte appelant à « annuler le Brexit » ou
proclamant « Je suis toujours européen ». Mais sa fureur, née du
résultat du référendum de juin 2016, est intacte : « J’ai 34 ans et
l’UE m’a donné l’essentiel : des études aux Pays-Bas, un travail en
Scandinavie, et des décennies de paix, articule avec véhémence cet
ingénieur dans l’aéronautique. Les mauvaises nouvelles
économiques s’accumulent, les gens s’appauvrissent car la livre
sterling s’effondre. Ce pays va crever du Brexit. »
Lire aussi : Brexit : Westminster examine le projet de loi
d’abrogation du droit européen
Quelques rangs plus loin, George Longstaff, un retraité venu de
Stratford-upon-Avon ne décolère pas non plus : « Le Brexit est un
suicide économique. A Stratford, l’hôtellerie ne peut fonctionner
sans la main-d’œuvre européenne ; et l’agriculture, sans les
subventions. » Il cauchemarde déjà sur les files de camions faisant
la queue pour passer la douane lorsque la rupture avec l’UE aura été
consommée.
« La pire décision de notre histoire »
Troisième défilé du genre depuis le référendum, la « marche du
peuple pour l’Europe » n’aura pas été la plus suivie, en dépit du
changement de paysage politique induit par l’échec électoral, en
juin, du gouvernement de Theresa May. « La lassitude, sans
doute », tentent de justifier plusieurs marcheurs qui se disent
pourtant « plus optimistes qu’avant les élections car le
gouvernement n’a plus de mandat pour un Brexit dur ».
Lire aussi : Theresa May coincée entre Bruxelles et Westminster
Plusieurs milliers de manifestants certes, mais loin de représenter la
population londonienne, a fortiori celle de l’ensemble du royaume :
des personnes à l’évidence aisées, blanches, aux connections
internationales et à l’âge respectable. « Où sont les moins de
40 ans ? », questionnait Tim Meyrick, 61 ans, banquier à la City qui
manifestait pour la première fois de sa vie parce que sortir de
l’Europe est, selon lui, « la pire décision de notre histoire ». « Nous
voulons dire aux Européens que les Britanniques ne sont pas pour
le Brexit », ajoutait Clark Kieron, 39 ans, salarié dans le secteur de
la santé venue avec sa compagne et leur bébé coiffé d’un bonnet aux
couleurs de l’UE.
D’autres soulignaient leur « embarras » de voir le gouvernement de
Mme May empêtré à Bruxelles dans des négociations qui semblent ne
pas tourner à son avantage. « L’incompétence de nos négociateurs
est patente. On ne nous prend pas au sérieux. C’est
gênant, reconnaissait Martin Hutchings, un avocat d’affaires de
58 ans. Plus les négociations pataugent, moins nous avons de
chance d’obtenir un bon accord. Et l’horloge tourne. »
« Les Britanniques vivent dans deux bulles »
La bataille parlementaire en cours à Westminster autour du projet
de loi abrogeant la législation européenne – le vote est prévu lundi
soir – et la vigueur qu’y manifeste le Labour sont sources de
réconfort pour les manifestants. Ils déplorent pourtant l’absence
d’un leader pour la cause anti-Brexit. Jeremy Corbyn, le chef des
travaillistes, lui-même europhobe de gauche et soucieux de ne pas
s’aliéner ses électeurs populaires pro-Brexit du nord de l’Angleterre,
se garde bien d’apparaître dans un pareil défilé.
Seul Vince Cable, le chef du petit parti proeuropéen Lib-dem y a
participé. A l’en croire, un nombre croissant de Britanniques prend
conscience des écueils du Brexit et la manifestation de samedi ne
serait que le début d’un « puissant mouvement ». Sur le podium
dressé face au Parlement de Westminster, la lord conservatrice
Patience Wheatcroft a encouragé les « marcheurs » : « Nous devons
stopper le Brexit. Nous avons l’histoire de notre côté », a-t-elle
proclamé en mentionnant « la période sans précédent de paix et de
prospérité » vécue grâce à l’UE. « Les gens commencent à
changer », a assuré Seb Dance, député européen Labour.
Lire aussi : Sombres nuages sur le Brexit
Devant Big Ben, Thomas Maylor, un cadre quinquagénaire,
brandissait un cerf-volant de sa confection portant le mot
« REMAIN » (« rester » – dans l’UE –, en anglais) en lettres
gonflables dorées et argentées. « Les Britanniques vivent dans deux
bulles, expliquait-il. Ceux qui lisent les tabloïds europhobes et nous,
qui pensons qu’avec le Brexit le pays est en train de perdre sa
crédibilité internationale. » Comme pour confirmer ses propos, un
passant a surgi alors en hurlant : « L’UE, c’est de la merde ! », avant
de disparaître dans le métro.
Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Journal Le Monde Le 10 septembre 2017 à 13h19

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  • 2. économiques s’accumulent, les gens s’appauvrissent car la livre sterling s’effondre. Ce pays va crever du Brexit. » Lire aussi : Brexit : Westminster examine le projet de loi d’abrogation du droit européen Quelques rangs plus loin, George Longstaff, un retraité venu de Stratford-upon-Avon ne décolère pas non plus : « Le Brexit est un suicide économique. A Stratford, l’hôtellerie ne peut fonctionner sans la main-d’œuvre européenne ; et l’agriculture, sans les subventions. » Il cauchemarde déjà sur les files de camions faisant la queue pour passer la douane lorsque la rupture avec l’UE aura été consommée. « La pire décision de notre histoire » Troisième défilé du genre depuis le référendum, la « marche du peuple pour l’Europe » n’aura pas été la plus suivie, en dépit du changement de paysage politique induit par l’échec électoral, en juin, du gouvernement de Theresa May. « La lassitude, sans doute », tentent de justifier plusieurs marcheurs qui se disent pourtant « plus optimistes qu’avant les élections car le gouvernement n’a plus de mandat pour un Brexit dur ». Lire aussi : Theresa May coincée entre Bruxelles et Westminster Plusieurs milliers de manifestants certes, mais loin de représenter la population londonienne, a fortiori celle de l’ensemble du royaume : des personnes à l’évidence aisées, blanches, aux connections internationales et à l’âge respectable. « Où sont les moins de 40 ans ? », questionnait Tim Meyrick, 61 ans, banquier à la City qui manifestait pour la première fois de sa vie parce que sortir de l’Europe est, selon lui, « la pire décision de notre histoire ». « Nous voulons dire aux Européens que les Britanniques ne sont pas pour le Brexit », ajoutait Clark Kieron, 39 ans, salarié dans le secteur de la santé venue avec sa compagne et leur bébé coiffé d’un bonnet aux couleurs de l’UE. D’autres soulignaient leur « embarras » de voir le gouvernement de Mme May empêtré à Bruxelles dans des négociations qui semblent ne pas tourner à son avantage. « L’incompétence de nos négociateurs est patente. On ne nous prend pas au sérieux. C’est gênant, reconnaissait Martin Hutchings, un avocat d’affaires de 58 ans. Plus les négociations pataugent, moins nous avons de chance d’obtenir un bon accord. Et l’horloge tourne. »
  • 3. « Les Britanniques vivent dans deux bulles » La bataille parlementaire en cours à Westminster autour du projet de loi abrogeant la législation européenne – le vote est prévu lundi soir – et la vigueur qu’y manifeste le Labour sont sources de réconfort pour les manifestants. Ils déplorent pourtant l’absence d’un leader pour la cause anti-Brexit. Jeremy Corbyn, le chef des travaillistes, lui-même europhobe de gauche et soucieux de ne pas s’aliéner ses électeurs populaires pro-Brexit du nord de l’Angleterre, se garde bien d’apparaître dans un pareil défilé. Seul Vince Cable, le chef du petit parti proeuropéen Lib-dem y a participé. A l’en croire, un nombre croissant de Britanniques prend conscience des écueils du Brexit et la manifestation de samedi ne serait que le début d’un « puissant mouvement ». Sur le podium dressé face au Parlement de Westminster, la lord conservatrice Patience Wheatcroft a encouragé les « marcheurs » : « Nous devons stopper le Brexit. Nous avons l’histoire de notre côté », a-t-elle proclamé en mentionnant « la période sans précédent de paix et de prospérité » vécue grâce à l’UE. « Les gens commencent à changer », a assuré Seb Dance, député européen Labour. Lire aussi : Sombres nuages sur le Brexit Devant Big Ben, Thomas Maylor, un cadre quinquagénaire, brandissait un cerf-volant de sa confection portant le mot « REMAIN » (« rester » – dans l’UE –, en anglais) en lettres gonflables dorées et argentées. « Les Britanniques vivent dans deux bulles, expliquait-il. Ceux qui lisent les tabloïds europhobes et nous, qui pensons qu’avec le Brexit le pays est en train de perdre sa crédibilité internationale. » Comme pour confirmer ses propos, un passant a surgi alors en hurlant : « L’UE, c’est de la merde ! », avant de disparaître dans le métro. Philippe Bernard (Londres, correspondant) Journal Le Monde Le 10 septembre 2017 à 13h19