1. Université de la Méditerranée
Faculté de Médecine de Marseille
Ali ABBAS
Interne des hôpitaux
OTO-RHINO-LARYNGOLOGIE TROPICALE
EXERCICE EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE
THÈSE POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR EN MÉDECINE
D.E.S. D’OTO-RHINO-LARYNGOLOGIE
Marseille 2005
2. UNIVERSITE DE LA MEDITERRANEE
FACULTE DE MEDECINE DE MARSEILLE
OTO-RHINO-LARYNGOLOGIE TROPICALE
Exercice En Afrique Sub-Saharienne
THESE
Présentée et publiquement soutenue devant
La Faculté de Médecine de Marseille
Le jeudi 6 octobre 2005
Par Ali Abbas
Né le 2 septembre 1977 à Kut (Irak)
Interne des hôpitaux
Pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
D.E.S. d’Oto-Rhino-Laryngologie
Membres du Jury :
Monsieur le Professeur M Zanaret Président
Monsieur le Professeur J Magnan Assesseur
Monsieur le Professeur J Delmont Assesseur
Monsieur le Professeur EM Diop Assesseur
Monsieur le Docteur JL Goubert Assesseur
3. L’inégalité face à la santé est probablement
la plus insupportable des injustices
Organisation Mondiale de la Santé
4. Table des matières
Introduction 2
I. Rappels de santé publique en Afrique sub-saharienne
1. Données globales 6
2. Cas spécifique de l’oto-rhino-laryngologie 10
3. Plateau technique et personnels de soin 13
4. Coopération médicale 15
II. Pathologie pharyngo-laryngée
1. Pathologie laryngée 18
2. Pathologie pharyngée 26
3. Conduite à tenir devant une adénopathie prévalente 34
III. Otologie
1. Surdité 41
2a. Vertiges & acouphènes 47
2b. Paralysies faciales périphériques 50
3. Otites externes 53
4. Otites moyennes aiguës et ses complications 56
5. Otites moyennes chroniques et ses complications 59
IV. Pathologie naso-sinusienne et faciale
1. Pathologie sinusienne bénigne 66
2. Pathologie granulomateuse infectieuse 69
3. Tumeurs malignes du massif facial 80
V. ORL Pédiatrique
1. Corps étrangers laryngo-trachéo-bronchiques 92
2. Papillomatose laryngée 96
3. Noma 99
VI. Pathologie thyroïdienne & salivaire
1. Pathologie tumorale thyroïdienne. 108
2. Pathologie tumorale salivaire parotidienne & sous-mandibulaire. 112
Annexes: Maladies ORL tropicales spécifiques 115
Conclusion 119
Index alphabétique 121
7. Les maladies infectieuses tropicales appartiennent à une spécialité médicale connue et
reconnue en France. Alors que l’oto-rhino-laryngologie (ORL) tropicale est moins connue,
moins publiée et peu familière à la fois des spécialistes en ORL mais également des
tropicalistes. L’ORL tropicale n’est pas seulement une extrapolation des maladies tropicales à
la localisation ORL. Elle se caractérise également par son exercice dans des pays sous-
médicalisés. Le terme sous-médicalisé englobe plusieurs caractéristiques : inorganisation du
système de santé (absence de sécurité sociale), insuffisance de moyens humains et
techniques, ignorance et pauvreté des patients entraînant une difficulté de prise en charge
précoce 1 .
De plus, l’ORL tropicale en Afrique sub-saharienne est une spécialité médicale récente
datant de moins d’un siècle 2,3 . Avant cette période, seule existait une médecine coloniale
essentiellement militaire centrée sur la lutte contre les grandes épidémies 4 .
La zone étudiée de l’Afrique sub-saharienne est constituée de 25 pays. Ils font partie des pays
les plus pauvres de la planète 5 .
Ce travail est une étude descriptive de l’exercice de l’ORL en Afrique sub-saharienne
ainsi que des pathologies rencontrées dans cette partie du monde. Cet état des lieux est basé
sur l’expérience de l’auteur lors d’un semestre d’interne dans le service d’ORL du Pr EM
Diop au CHU de Dakar 6 . Il a été étoffé par une méta-analyse d’après une revue de la
littérature africaine et internationale sur le sujet.
Les critères d’inclusion des articles médicaux étaient: le sujet concernant les maladies
ORL tropicales observées en Afrique sub-saharienne, et à l’étranger, ainsi que les pathologies
communes ORL en Afrique sub-saharienne.
Les sources utilisées pour la recherche bibliographique étaient l’utilisation d’une base
de données bibliographique classique: MEDLINE, par l’interface PubMed sur internet
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/PubMed/, le réseau internet en utilisant le portail
http://www.google.com , et l’utilisation de revues de pathologie tropicale.
L’intérêt et les raisons de ce travail reposent d’une part sur la présence de populations
migrantes en France présentant ce type de pathologies dont le diagnostic est parfois difficile,
et d’autre part sur l’accroissement des voyages à l’étranger et l’importation de maladies ORL
tropicales. Enfin, il faut noter la résurgence de pathologies comme la tuberculose ou la
syphilis, notamment en raison de l’épidémie du syndrome d’immunodéficience acquise
(SIDA).
Notre but est d’apporter un outil pédagogique pour le médecin ORL exerçant en France et
souhaitant aller travailler dans cette région du globe sans être désorienté, avec des repères
nécessaires pour s’adapter à la situation locale.
Il s’agit donc à la fois de présenter un guide pour les médecins tropicalistes,
infectiologues, pédiatres ou médecins de toute autre spécialité ayant besoin d’informations
1
Reynaud J. Maladies tropicales et ORL. Rev Laryngol 1978;99:103-10
2
Manson-Bahr P. Tropical diseases affecting the throat, nose and ear. J Laryngol Otol 1956;70:175-95
3
Martin JA. Disease of the ear, nose and throat in tropical Africa. A Uganda survey. J Laryngol Otol
1967;81:1079-98
4
Murphy JP, Newark NJ. Ear, nose, and throat-head and neck surgery in a tropical region. Laryngoscope
1982;92:61-4
5
Programme des nations unies pour le développement (PNUD) disponible sur:
http://hdr.undp.org/reports/global/2004/francais/pdf/hdr04_fr_HDI.pdf
6
Diop EM,Diouf R, Ndiaye IC, Tending G, Tall A, Touré S. Maladies tropicales oto-rhino-laryngologiques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Oto-rhino-laryngologie 20-925-A-10,2000,16 p
3
8. complémentaires à leur spécialité pour leur exercice en France ou en zone sub-saharienne,
mais aussi pour les médecins ORL français recevant des patients issus de ces pays. Guide qui
sera rédigé sous la forme de conduite à tenir, organisé par organe et non par pathologie.
Enfin c’est une démarche pour la coopération médicale en ORL: par la définition des
besoins réels pour la coopération technique et la formation médicale continue dans une région
géographique particulière.
4
9. I. Rappels de santé publique en Afrique sub-saharienne
Données globales
Cas spécifique de l’oto-rhino-laryngologie
Plateaux techniques & personnels de santé
Coopération médicale
5
11. I.1. Données globales
La zone étudiée en Afrique sub-saharienne est constituée de 25 pays : Bénin, Burkina
Faso, Burundi, Cameroun, Cap Vert, Centrafrique, Congo Brazzaville, République
démocratique du Congo (RDC) , Côte d'Ivoire, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée
Bissau, Guinée Équatoriale, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal,
Sierra Léone, Tchad et Togo. Elle est peuplée de 362 millions d’habitants (sur un total de
869 millions d’habitants que compte le continent africain). L’espérance de vie y est en
moyenne de 46,3 ans5.
Les grands indicateurs de santé mettent en évidence de profonds déséquilibres en
matière de couverture médicale, d'accès aux soins, entre pays riches et pays pauvres. Au sein
même de ces derniers, on constate également de grandes disparités, l'Afrique subsaharienne
étant la région la plus défavorisée. À titre d'exemple, on peut citer les dépenses de santé par
habitant qui s'élèvent à 3100 $ (11% du Produit Intérieur Brut, PIB) dans les pays riches, alors
qu'elles ne représentent que 81 $ pour les pays en développement (6 % du PIB). En Afrique,
la situation est encore plus critique avec une moyenne de 37 $ par habitant (5,5 % du PIB). De
même, le nombre de lits d'hôpitaux pour 1000 habitants est de 7,5 dans les pays occidentaux,
contre 2,7 pour les pays en développement, et seulement 1,2 pour l'Afrique sub-saharienne 7 .
Un autre indicateur significatif est celui du nombre de médecins rapporté à la population
totale (figure 1). Ce chiffre est de un médecin pour 500 habitants dans les pays occidentaux,
contre un pour 25 000 dans les 25 pays les plus pauvres, dont la grande majorité se situent en
Afrique 8 .
Figure 1: démographie médicale mondiale8
Les déséquilibres dans l'accès à la santé se traduisent par de grandes inégalités face à
la maladie et à la mortalité. Ainsi, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans
s'élève à 84,3 pour mille dans les pays en développement et atteint 161,6 pour mille en
Afrique sub-saharienne, alors qu'il n'est que de 7,3 pour mille dans les pays riches. La
7
Développement, sous-développement et tiers-monde. Dans : Gentilini M, ed. Médecine tropicale. Paris :
Flammarion-Science; 1991, p.39-61.
8
Rekacewicz P. La pauvreté dans le monde. Le monde diplomatique [en ligne]. Paris (France). Mai 2000.
Disponible sur : http://www.monde-diplomatique.fr/imprimer/11008/6b4be7edba
7
12. morbidité, et la mortalité infantile et maternelle dans la plupart des pays du Sud sont dues
pour l'essentiel à quelques pathologies: le paludisme, les diarrhées, les affections respiratoires,
les maladies sexuellement transmissibles/sida et les maladies dermatologiques, la malnutrition
de l'enfant et les pathologies maternelles liées à la grossesse et à l'accouchement. Trois
maladies sont particulièrement préoccupantes : le paludisme (2 millions de décès par an); la
tuberculose (2 millions de décès par an), dont la situation est très inquiétante du fait de la
conjonction sida/tuberculose et l'infection à VIH/SIDA, qui atteint 39,4 millions de sujets en
2005 dont plus de 25,4 millions en Afrique 9 .
Le taux de mortalité infantile en 2004 était 55 % supérieur, et l'espérance de vie
moyenne, inférieure de 11 ans en Afrique sub-saharienne que dans le reste des pays en voie de
développement (figure 2).
Figure 2: Taux de mortalité infantile en 2000 (pour 1000 naissances)5
Plus de la moitié de la quarantaine de pays du monde qui connaissent la sous-
alimentation est située en Afrique, et 25 des 36 pays les plus pauvres du monde (les pays les
moins avancés, où le revenu par habitant n'atteint pas 500 dollars par an) appartiennent à
l'Afrique sub-saharienne. Plus de 10 % des enfants y décèdent avant leur premier
anniversaire, une proportion qui n'est atteinte nulle part ailleurs 10 . L’espérance de vie à la
naissance est de 46,1 ans en 20057.
En Afrique sub-saharienne, de nombreuses pathologies sont communes à celles
rencontrées en France, mais à des stades beaucoup plus avancés. Ceci est dû à deux facteurs
explicatifs, l’un économique et l’autre culturel. D’une part, la trop faible couverture sanitaire
du monde rural, l’insuffisance des moyens humains et financiers, la pénurie régnant dans les
9
ONUSIDA [en ligne]. Disponible sur http://whqlibdoc.who.int/unaids/2004/9291733911_chap10.pdf
10
La coopération dans le secteur de la santé avec les pays en voie de développement. Rapport du Haut Conseil
de la Coopération Internationale [en ligne]. Paris (France). Juin 2002, p. 6-25. Disponible sur :
http://www.hcci.df.fr
8
13. formations sanitaires, facteurs rassemblés sous le vocable de sous-développement entendu
comme un manque cruel de moyens et de financement, sont responsables de toutes ces morts
techniquement évitables dans d’autres contextes économiques. D’autre part, la culture locale
est incriminée, en ce qui concerne des coutumes, des habitudes ou des représentations et
pratiques populaires, voire l’ignorance des populations 11 , lesquelles dissuaderaient les
malades de se rendre à temps dans les structures de santé, par un recours excessif aux
traitements dits « traditionnels » ou aux guérisseurs 12 . Quatre vingt cinq pourcent des
populations ont recours aux « tradi-praticiens » pour résoudre leur problème de santé 13 .
11
Eya'ane EM, Toure GB, Ngono E, Kamdem AT. La pauvreté et l'ignorance: les causes des consultations
tardives en odonto-stomatologie au CHU de Yaoundé. Odonto-Stomatol Trop 2001;94:11-4
12
de Sardan JPO. Une médecine de proximité...et de qualité pour l'Afrique. Le Monde diplomatique Avril 04, p.
18-9
13
Guisse YM. L’homme dans la médecine traditionnelle africaine.La médecine traditionnelle. Contributions
dakaroises aux discussions. Séminaire au Pencum Goethe. Ed Goethe-Institut Dakar (Sénégal), 2/3 Novembre
2000, p. 9-14
9
15. I.2. Cas spécifique de l’oto-rhino-laryngologie.
Le nombre de médecins ORL est très réduit en Afrique sub-saharienne comme en
témoigne le tableau I. En effet, il y a en moyenne 1 médecin ORL pour 2,5 millions
d’habitants. Seulement 4 pays possèdent une formation universitaire de spécialité ORL. On
comprend dès lors la carence en médecins ORL, ce qui porte préjudice à la prise en charge
des malades et concourt par-là même à la sous-médicalisation de cette région du monde.
Figure 3: Les 25 pays étudiés en Afrique sub-saharienne.
Limite de l’Afrique sub-saharienne (40 pays)
11
16. Tableau I. Couverture médicale ORL en Afrique sub-saharienne (Nc : Non communiqué)
Pays Population 14 nombre de Nombre de Nombre Formation de
médecins pour médecins ORL d’hôpitaux médecins
100 000 en totalité15 ayant un ORL15
habitants7 service
d’ORL 15
Bénin 7 250 033 5,7 Nc 3 Oui
Burkina Faso 13 228 460 3,4 7 2 Non
Burundi 7 307 025 Nc 5 3 Non
Cameroun 15 891 531 7,4 Nc 2 Non
Cap Vert 455 294 17,1 2 2 Non
Centrafrique 3 683 538 3,5 1 1 Non
Congo
3 150 114 25,1 2 2 Non
Brazzaville
RDC 60 085 004 6,9 10 2 Oui
Côte d'Ivoire 16 944 598 Nc 26 12 Oui
Gabon 1 355 246 Nc 11 5 Non
Gambie 1 546 848 3,5 3 2 Non
Ghana 20 467 747 6,2 6 3 Non
Guinée 9 246 462 13 4 2 Non
Guinée Bissau 1 388 363 16,6 1 1 Non
Guinée
523 051 24,6 Nc Nc Non
Équatoriale
Libéria 3 317 176 2,3 Nc Nc Non
Mali 11 956 788 4,7 5 2 Non
Mauritanie 2 912 584 13,8 Nc Nc Non
Niger 11 360 538 3,5 2 2 Non
Nigeria 128 771 988 18,5 100 9 Oui
Rwanda 8 488 312 Nc 7 3 Non
Sénégal 10 580 307 7,5 20 6 Oui
Sierra Léone 5 883 889 Nc 3 2 Non
Tchad 9 538 544 3,3 3 3 Non
Togo 5 681 519 7,6 7 3 Non
TOTAL 361 198 054 8,8 129 70 4
14
Démographie en Afrique sub-saharienne [en ligne]. Disponible sur :
http://www.populationdata.net/afrique.html
15
OMS. Prévention de la surdité. Annuaire des spécialistes d’ORL, hôpitaux et école pour les sourds dans la
région africaine de l’OMS. Brazzavile -Bureau régional de l’Afrique, 1995
12
18. I.3. Plateau technique et personnels de soin.
Les structures de soins sont classées en 3 niveaux de compétence croissante: service
de soins primaire (dispensaire), secondaire (hôpital régional) et tertiaire (universitaire ou
national). Ces différentes structures subissent de nombreux dysfonctionnements,
essentiellement organisationnels 16 . Les services d’ORL sont localisés dans des structures
tertiaires situées principalement dans les capitales. Elles permettent de réunir un minimum du
plateau technique nécessaire à la pratique médico-chirurgicale.
Cependant, on notait parfois l’absence de matériel devenu indispensable dans les pays
industrialisés : nasofibroscopie, endoscopes (notamment en chirurgie endonasale), matériel de
fraisage, vidéo-chirurgie, laser... Le plateau technique disponible, particulièrement coûteux en
ORL, était souvent usagé voire obsolète avec une maintenance inexistante. Il faut dès lors
s’adapter au contexte local (mastoïdectomie au marteau et au burin par exemple). La pénurie
(ou péremption) de produits consommables faisait partie du tableau réaliste de ces pays sous-
médicalisés.
Par ailleurs, seulement 2 pays de cette partie de l’Afrique (Côte d’Ivoire et Gabon)
possèdent un appareil d’imagerie par résonance magnétique (IRM) et 6 pays un centre de
radiothérapie (Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Mauritanie, Nigeria et Sénégal).
En ce qui concerne le personnel paramédical, celui-ci disposait en raison du manque de
médecins, de fonctions plus importantes. Les infirmiers anesthésistes faisaient fonction
d’anesthésistes, et parfois les infirmiers office de médecins dans les régions reculées
(structure de soins primaire). De nombreuses interventions se pratiquent alors sous anesthésie
locale pure, comme l’amygdalectomie par exemple 17 .
16
Balique H. Les hôpitaux publics des pays d'Afrique francophone au sud du Sahara et leurs perspectives. Bull
Soc Pathol Exot 1999;92:323-8
17
Yao M, Keita B, Xu S, Fane M, Diallo S. Le blocage anesthésique cervical à l'hôpital national de Kati. A
propos de 22 cas à la Bupivacaïne. Méd Afr Noire 2000; 47:301-4
14
20. I.4. Coopération médicale
Différentes formes de coopération médicale coexistent par l’intermédiaire de
l’OMS, de relations bilatérales directes inter-Etats, -universités, -hôpitaux, organisations non
gouvernementales (ONG)…
En ce qui concerne l’ORL, il existe quelques formes réduites de coopération :
- aide technique directe d’hôpitaux français vers les hôpitaux du Sud
- formation dispensée aux médecins africains présents en France 18
- formation à un niveau supérieur par l’intermédiaire de sociétés savantes comme la
Société Française d’ORL 19 (envoi d’enseignants dans les pays du sud pour des courtes
missions de formation destinés aux médecins africains)
- participation des médecins africains aux congrès médicaux français
- ONG comme l’association Sentinelle 20 , spécialisée dans la chirurgie du noma.
Actuellement, la coopération médicale française repose essentiellement sur
une aide à la formation des médecins du Sud. Elle s'est attachée au soutien de l'appareil local
de formation, au développement de partenariats dans le domaine universitaire, et à l'abandon
de la substitution. Mais la démarche stratégique globale n'a pas institué de véritable cohérence
entre les différents intervenants et les moyens d'intervention engagés. D'une manière générale
et encore aujourd’hui, la formation est toujours mentionnée dans les projets d'aide au
développement, mais le plus souvent comme une composante ou une simple modalité à
l'intérieur d'un projet plus global, et sans intégration dans une politique de développement des
ressources humaines 21 .
18
Pichard E . Université et médecines tropicales. Bull Soc Pathol Exot 1999;92:329-32
19
www.sforl.org
20
Costini B, Baratti-Mayer D, Ouoba K, Bellity P. Noma et son traitement. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris),
Stomatologie 22-050-T-10, 2003, 3 p
21
La coopération dans le secteur de la santé avec les pays en voie de développement. Rapport du Haut Conseil
de la Coopération Internationale [en ligne]. Paris (France). Juin 2002, p. 6-25. Disponible sur :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000459/0000.pdf
16
21. II. Pathologie pharyngo-laryngée
Pathologie laryngée
Pathologie pharyngée
Conduite à tenir devant une adénopathie
17
23. II.1. Pathologie laryngée.
Les cancers ORL et cervico-faciaux en Afrique sub-saharienne sont dominés par les
cancers des voies aéro-digestives, parmi lesquels le cancer du larynx 22, 23 ,24.
Cancer du larynx
Épidémiologie
Sa fréquence est difficile à estimer. Les raisons de cette imprécision tiennent à la fois à
la nature disparate des centres de traitement, mais surtout à l’absence des registres nationaux
du cancer régulièrement tenus et fiables. La majorité de ces cancers sont des carcinomes
épidermoïdes. L’usage du tabac et de l’alcool est certes retrouvé dans près d’un à deux tiers
des cas, mais pour des raisons économiques et religieuses, l’interrogatoire ne note parfois
aucun de ces deux facteurs23, 24 , 25 , 26 . Il est à noter qu’en Afrique sub-saharienne, aucune
campagne de prévention anti-tabagique n’existe. Comme en France, le sexe masculin est le
plus touché avec un sex-ratio de 10 à 11:123-27 . Cependant, le nombre de femmes atteintes par
ce type de cancer augmente progressivement, avec des facteurs de risque différents. Au
Congo, ONDZOTTO et al 28 retrouvent, dans 2/3 des cas de cancer du larynx chez la femme,
une infection à Human Papilloma Virus (HPV) associée à une mutation du gène p53. Ces
travaux nécessitent bien sûr d’autres investigations. Force est donc de retenir d’autres facteurs
favorisants tels que l’inhalation de poussières irritantes, un mauvais état nutritionnel, des
habitudes alimentaires locales 29 …Le jeune âge des sujets est remarquable en milieu tropical.
La moyenne d’âge se situe plutôt à la cinquième décade23-26.
On retrouve en raison principalement du retard de consultation, plus de tumeurs
évoluées classées T3-T4 selon la classification TNM. En effet l’engouement pour la
population à recourir au guérisseur, et en épuiser ses pouvoirs thérapeutiques avant d’aller à
l’hôpital, est une raison majeure des consultations tardives des patients en milieu africain27.
Ainsi selon les différentes séries africaines, près de 80 à 90% des cancers du larynx sont
classés T3-T423-30 lors du bilan initial d’extension.
22
Diouf R Diallo BK, Tall A, Ndiaye IC, Kpemissi E, Dangou JM, Diop EM. Cancers du Larynx: quelle
stratégie thérapeutique au Sénégal. Dak Med 1999;44:215-8
23
Medji AL, Hounkpe YYC, Vinhnikin-Yemuessi B, Koura A, Prodjinotho FX. Les cancers ORL et cervico-
faciaux au CHNU de Cotonou (Bénin). Méd Afr Noire 1989;36:153-7
24
Ouoba K et al. Les cancers ORL et cervico-faciaux au Burkina Faso: épidémiologie, problèmes de diagnostic
et de prise en charge à propos de 217 cas. Méd Afr Noire 1997;44:452-6.
25
Kpemissi E, Le Bourgeois M, Kpodzro K. Notre expérience du cancer du larynx du Togo. Rev Laryngol Otol
Rhinol 1999;120:19-21
26
Bamba M, Kouassi B, Ette A, Haefener G, Ehouo F, Boquifo F, Adjoua P, Cacouchiar P. Contribution à
l'étude des cancers ORL à Abidjan: à propos de 204 cas. Rev Laryngol Otol Rhinol 1986;107:385-99
27
Somefun OA, Nwawolo CC, Okeowo PA, Alabi SB, Abdul-Kareem FB, Banjo AA, Elesha SO. Prognostic
factors in the management outcome of carcinoma of the larynx. Niger Postgrad Med J 2003;10:103-6
28
Ondzotto G, Nkoua-Mbon JB, Fouemina T, Galiba J. Le cancer du larynx chez la femme à propos de trois
observations congolaises. Med Trop 2002;62:671-2
29
Diouf R, Diop EM, Ndiaye IC, Tall A, Kasse AA. Limites à l'exercice de la carcinologie cervico-faciale en
Afrique Noire: l'exemple des cancers du larynx. Rev Laryngol Otol Rhino 1991;112:423-7
30
Ag Mohamed A, Keita M, TIimbo SK, Sacko HB, Konipo Togola F. L'endoscopie dans un service orl sub-
saharien: cas du Mali. Notre expérience sur 10 ans, à propos de 374 cas. Méd Afr Noire 2001;48:78-81
19
24. Clinique
L’histoire de la maladie et la symptomatologie fonctionnelle attirent d’emblée
l’attention sur l’origine laryngée des troubles. Il en est ainsi de la dysphonie, mais surtout de
la dyspnée. La dyspnée constitue une circonstance de découverte presque constante. Elle est
conforme à l’histoire naturelle du cancer. Elle peut être sévère au point d’indiquer une
trachéotomie. Ainsi celle-ci est pratiquée en urgence, sous anesthésie locale, dans 36 à 70%
des cas selon les différentes séries25-29. L’examen clinique, centré sur la laryngoscopie
indirecte, constitue une étape essentielle. Il précise les caractères d’une masse endolaryngée:
aspect macroscopique, siège (si possible), taille, extension, troubles de la mobilité, existence
d’une adénopathie, évaluation de l’état général, etc.
Diagnostic
Au Sénégal, le bilan d’extension et le bilan préopératoire étaient réduits au strict
minimum : une radiographie pulmonaire et un bilan biologique minimal (NFS, TP, TCA,
Groupe Rhésus). Rares sont les centres africains (secondaires et tertiaires) en 2005 disposant
d’un scanner. L’endoscopie subissait d’abord des contraintes anesthésiques. Les anesthésistes
habituels étaient plutôt des auxiliaires dont la compétence était limitée par la nature de leur
formation. D’autre part, les drogues (anesthésiques) faisaient défaut du fait de leur coût. Les
contraintes étaient également instrumentales: l’instrument endoscopique habituel était
représenté par le laryngoscope de l’anesthésiste (MacIntosh). Enfin, l’endoscopie connaissait
des contraintes organisationnelles. L’acte endoscopique, en effet, pour de multiples raisons,
n’était pas aisé à rééditer. Pour beaucoup de patients, l’examen endoscopique était réalisé le
jour même de l’intervention (laryngectomie). Par voie de conséquence, la confirmation
histologique était le plus souvent dans les suites opératoires et portait, soit sur l’examen d’une
pièce de laryngectomie, soit sur le produit d’une biopsie dont la lecture eût été
particulièrement retardée. Ainsi DIOUF et al22 ne pratiquaient pour les tumeurs laryngées que
51% d’endoscopies, disposant alors d’une histologie préopératoire.
Le diagnostic tardif rend effectivement la prise en charge difficile de ce type de
pathologie.
Diagnostic différentiel
(cf. infra)
Traitement
La trachéotomie, véritable geste salvateur dans l’urgence et l’immédiat en jugulant une
dyspnée laryngée, constitue aussi un facteur de morbidité et de mortalité. Cependant dans de
nombreux pays sous-médicalisés, la trachéotomie en urgence (sous anesthésie locale)
constitue un exploit technique du fait des conditions de travail, de la difficulté de la prise en
charge précoce et de la médiocrité du plateau technique. Ainsi la moitié des trachéotomies
effectuées pour une dyspnée laryngée, adultes et enfants confondus, était pour un cancer
laryngé30, 31 , 32 . La trachéotomie était pour certains malades le seul traitement effectué. Par
31
Koffi-Aka V, Kouassi A, Adjoua RP, De Meideros E, Ehouo F. Trachéotomie en urgence: expérience du
service ORL du CHU de Treichville(Abidjan). Méd Afr Noire 2004;51:301-5
32
Ag Mohamed A. Etude rétrospective de 62 trachéotomies pratiquées dans le service ORL de l’hôpital Gabriel
Touré, Bamako (Mali) de janvier 1986 à décembre 1992. Méd Afr Noire 1994;41:277-80
20
25. refus des patients du traitement chirurgical ou de la radiothérapie, 29% des patients atteints de
cancer du larynx au Sénégal29 et 36% au Togo25 étaient seulement trachéotomisés.
La chirurgie reste le seul moyen constamment disponible pour traiter ces cancers malgré
les conditions d’exercice difficile. Il s’agit alors d’une chirurgie maximaliste (laryngectomie
totale associée à un évidement ganglionnaire cervical) imposée par le degré évolué de ces
cancers mais aussi par l’insuffisance du plateau technique: quasi absence de centres de
radiothérapie ( seuls 6 centres de radiothérapie pour ces 25 pays d’Afrique sub-saharienne),
carence des services d’oncologie disposant de médicaments de chimiothérapie, pénurie des
laboratoires d’anatomo-pathologie (un à deux centres par pays au maximum, un à deux
mois d’attente pour les résultats). Précisément cette pénurie d’anatomo-pathologiste
représente l’une des limites importantes à l’exercice de la carcinologie laryngée en Afrique
noire. Les résultats histologiques témoignent de cette pénurie: absence d’examen
extemporané, absence de précision de l’envahissement ganglionnaire réel, le nombre de
ganglions envahis (N+), la rupture capsulaire (R+), l’existence d’embolie (E+), la qualité de
résection tumorale29. Malgré ces obstacles, DIOUF et al22 ont pratiqué sur 116 cas de cancers
du larynx opérés, 88% de laryngectomie totale associée dans 87% des cas à un évidement
ganglionnaire cervical, homolatéral dans 75% des cas dont ¼ radical. La quasi absence de
service de radiothérapie pousse les opérateurs à des évidements ganglionnaires cervicaux en
l’absence d’adénopathie cervicale palpable. La radio-chimiothérapie concomitante ou non
concomitante, dans un esprit de préservation d’organe, n’est pas encore aisément disponible à
l’heure actuelle 33 . De plus, la laryngectomie partielle, quoique rarement indiquée, nécessite
une surveillance au long cours. Le suivi n’en est pas toujours aisé, ayant pour conséquence un
taux élevé de perdus de vu. Les patients vivent en général loin du ou des centres de traitement
nationaux. Des difficultés économiques objectives limitent les possibilités de déplacement
pour répondre aux rendez-vous fixés 34 .
Dans ces conditions, le cancer du larynx en Afrique sub-saharienne présente un mauvais
pronostic. DIOUF et al22 obtiennent une survie globale (tous stades confondus) de 30% à 5
ans.
33
Sekiguchi J, Collens SR. Radiological services in rural mission hospitals in Ghana. Bull World Health Organ
1995;73:65-9.
34
Diallo BK, Diouf R, Tall A, Ndiaye IC, Kpemissi E, Diop EM. Laryngectomies partielles au centre hospitalier
de Dakar. Dak Med 2000;45:42-4
21
26. Pathologie laryngée infectieuse
Elle représente le diagnostic différentiel du cancer laryngé. Elle est constituée
essentiellement de la tuberculose, de la syphilis, de la lèpre et du sclérome en zone d’endémie.
Elles forment alors des peudo-tumeurs.
Tuberculose laryngée
La tuberculose laryngée était la pathologie laryngée la plus fréquente au début du
XXème siècle. Son incidence a ensuite spectaculairement diminué grâce à la streptomycine,
parallèlement à celle de la tuberculose pulmonaire à partir de la Seconde Guerre mondiale.
DIOP et al 35 retrouvaient il y a 27 ans, seulement 2 formes laryngées associées à une
tuberculose pulmonaire sur 54 cas de localisation ORL dont 51 cas ganglionnaires. En raison
de la pandémie du SIDA, son incidence est maintenant en constante augmentation depuis 20
ans. Cette pathologie se manifeste par des signes non spécifiques, très proches de ceux du
carcinome épidermoïde laryngé. La contamination est généralement interhumaine, par
aéroportage lors d’un contact avec un sujet bacillifère. L’atteinte laryngée peut être isolée ou
s’inscrire dans un contexte multiviscéral. Dans ce dernier cas, la dissémination s’opère par
voie lymphatique ou sanguine et peut intéresser tous les organes. Cliniquement, les signes
d’appel sont variables et pour la plupart non spécifiques: dyspnée laryngée, hémoptysie, toux,
otalgie, odynophagie, dysphonie (ce dernier signe étant cependant le plus fréquent). La
dysphonie est retrouvée dans 90% des cas et l’odynophagie dans 45% des cas selon une étude
récente portant sur des immigrés africains en Europe 36 . L’altération de l’état général avec
asthénie, anorexie et amaigrissement, ainsi que la fièvre oscillante et les sueurs nocturnes sont
inconstants.
En endoscopie, l’aspect bourgeonnant est également non spécifique et ne permet
généralement pas de différencier tuberculose et carcinome épidermoïde (figures 4 & 5).
Cependant il n’y a jamais d’immobilité laryngée. YENCHA et al 37 insistent sur le diagnostic
histologique difficile en cas d’hyperplasie peudo-épithéliomateuse mimant un carcinome
épidermoïde, en l’absence de granulome caséeux. Alors que dans le passé, l’aspect était celui
de pseudo-tumeur bourgeonnante, saignant au contact voire d’aspect de « larynx sale »35, de
nombreux auteurs signalent une évolution dans ses aspects cliniques36, 38 , 39 , 40 . Les formes non
associées à une atteinte pulmonaire semblent plus fréquentes, ainsi que les formes
disséminées en cas de co-infection par le VIH. La localisation laryngée, plus habituellement
observée dans le passé et associée à une tuberculose pulmonaire évoluée connaît également
une évolution dans sa présentation clinique. Il ne devient pas exceptionnel d’observer des
atteintes laryngées primitives dans 20 à 30% des cas de tuberculose laryngée36,40. La catégorie
d’âge actuelle est celle des 40-60 ans plutôt que celle des 20-40 ans auparavant. Seuls 10%
35
Diop EM, Diop LS. La tuberculose dans la sphère ORL au Sénégal. Bull Soc Méd Afr noire Lgue Frse
1978;23:43-9
36
Porras Alonso E, Martin Mateos A, Perez-Requena J, Avalos Serrano E. Tuberculose laryngée. Rev Laryngol
Otol Rhinol 2002;123:47-8
37
Yencha MW, Linfesty R, Blackmon A. Laryngeal tuberculosis. Am J Otolaryngol 2000;21:122-6
38
Portier F, Cartry F, Nowak C. Tuberculose laryngée. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Oto-rhino-
laryngologie 20-575-A-10, 2003, 4 p
39
Kossowski M, Conessa C, Clement P, Roguet E, Verdalle P, Poncet JL. Aspects actuels de la tuberculose
laryngée. A propos de 4 cas. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2002;119: 281-6
40
Kandiloros DC, Nikolopous TP, Ferekis EA. Laryngeal tuberculosis at the end of the 20th century. J Laryngol
Otol 1997;111:619-21
22
27. des patients présentent des adénopathies cervicales37. KOSSOWSKI et al39 observaient plutôt
un aspect de laryngite aspécifique avec un œdème diffus des muqueuses sans ulcération ni
périchondrite comme auparavant.
Figure 4: Endoscopie d’une tuberculose laryngée. Figure 5: Endoscopie d'une tuberculose
Aspect de "miliaire" laryngée laryngée.Lésions granulomateuses39
L’imagerie de référence est la tomodensitométrie cervicale avec injection de produit
de contraste, non disponible aisément en Afrique sub-saharienne, laquelle montre
typiquement des lésions bilatérales et diffuses sans destruction de l’architecture laryngée
(respect de la loge hyo-thyro-épiglottique et de l’espace paraglottique avec absence
d’infiltration), et dans certains cas une amputation du bord libre de l’épiglotte très évocatrice.
Le diagnostic positif est obtenu par examen bactériologique de la biopsie laryngée :
examen direct à la coloration de Ziehl-Nielsen et culture sur milieu de Löwenstein (figures 6
& 7).
Figure 6 : bacilles acido-alcoolo-résistants Figure 7 : culture de Mycobacterium tuberculosis
en coloration de Ziehl-Nielsen en milieu de Löwenstein
Elle nécessite idéalement un isolement du patient dès le diagnostic en raison de son
caractère bacillifère et jusqu’à la disparition du germe dans les crachats. Son traitement est
médical, même en cas de lésions très volumineuses, la chirurgie (trachéotomie) étant réservée
aux cas de dyspnée aiguë ou d’aggravation progressive38. Le diagnostic différentiel de
l’infection à Mycobacterium tuberculosis est celui des mycobactéries atypiques, assez rare.
Syphilis laryngée
La syphilis est une maladie infectieuse due à Treponema pallidum, sexuellement
transmissible et contagieuse. La sensibilité de la bactérie à la pénicilline explique la
23
28. diminution considérable de son incidence depuis la seconde guerre mondiale. L’arrivée dans
les années 1980 du virus du VIH a entraîné une réascension du nombre de cas de syphilis. Les
localisations laryngées de la syphilis restent exceptionnelles et très polymorphes. Elles
peuvent être retrouvées à chacun des trois stades de la maladie, mais représentent surtout un
diagnostic d’élimination des laryngites granulomateuses. C’est donc un diagnostic
différentiel de laryngite chronique résistante au traitement habituel par corticoïdes. Elle reste
cependant exceptionnelle même en cas de co-infection au VIH ou à d’autres maladies
sexuellement transmissibles (MST) 41 . Aucune étude africaine sub-saharienne n’y fait
référence. La vigilance est cependant de rigueur en raison de l’épidémie du VIH dans cette
région.
La syphilis primaire -chancre ulcéré au niveau de l’épiglotte associé à une
adénopathie isolée sous-digastrique indolore- est rare en raison de l’inaccessibilité du
larynx 42 . C’est surtout à la phase secondaire qu’elle est fréquente avec la présence de
syphilides au niveau de l’épiglotte - bord libre, face laryngée et replis ary-épiglottiques - . Ces
syphilides ont l’aspect de plaques érosives en coup d'ongle surinfectées. Parfois elles prennent
l’aspect d’une hyperplasie de la muqueuse laryngée mimant un carcinome épidermoïde. Il faut
suspecter leur présence en cas de plaques similaires au niveau de la muqueuse oro-bucco-
pharyngée. Elles sont associées à des adénopathies cervicales multiples indolores. La syphilis
tertiaire est également rare. Elle se caractérise par des lésions d’âge différents de type
gommes, sorte de nodules spécifiquement localisées à l’épiglotte et aux cordes vocales. Ces
nodules peuvent s’ulcérer et réaliser une périchondrite et une chondrite avec fibrose
responsable de sténose sous-glottique et d’adhérences postérieures. La paralysie laryngée
reste très exceptionnelle41.
Lèpre laryngée
La lèpre laryngée est devenue une pathologie rare depuis la mise en place du
traitement standardisé par l’OMS. Au niveau ORL, la localisation nasale prédomine. Au
niveau du larynx, la lèpre est l’apanage des formes lépromateuses, de plus en plus rare. Le
signe d’appel est la dysphonie. La lèpre débute au niveau du bord libre de l’épiglotte réalisant
des granulations inflammatoires voire des nodules appelés lépromes nodulaires de l’avant
vers l’arrière avec rétractions des replis ary-épiglottiques. Elle peut parfois s’associer à une
synéchie antérieure des cordes vocales responsable de dyspnée. Les nodules peuvent infiltrer
la filière sous-glottique. Le diagnostic positif est histologique. La lèpre réagit bien au
traitement médicamenteux mais la plus grande vigilance est de règle notamment lors de la
mise en route de ce traitement avec un risque d’œdème laryngé 43 . Il n’y a pas d’adénopathie.
Sclérome laryngé
Le sclérome laryngé ou laryngosclérome est une infection bactérienne granulomateuse
due à une entérobactérie appelée Klebseilla rhinoscleromatis. La transmission interhumaine
41
Vazel L, Potard G, Boulenger-Vazel A, Nicolas G, Fortun C, Marianowski. Syphilis laryngée. Encycl Méd
Chir (Elsevier, Paris), Oto-rhino-laryngologie 20-646-A-10, 2003, 4 p
42
McNulty JS, Fassett RL. Syphilis: an otolaryngologic perspective. Laryngoscope 1981;91:889-905
43
Basset JM. Lésions du nez, du pharynx et du larynx (lèpre) in La Lèpre; Sansarriq H. Paris: Universités
Francocphones Ellipses; 1995. p. 129-33
24
29. est faible et s’établirait par contact direct avec les sécrétions nasales. Elle siège électivement
au niveau des voies aériennes surtout nasales et évolue sous le mode chronique. Le larynx
serait atteint dans environ 20 % des cas 44 . L'épiglotte peut être déviée, atrophique ou détruite
en totalité. Elle peut faire clapet et toucher la paroi postérieure du pharynx. La glotte prend un
aspect ovalaire avec des tuméfactions nodulaires et à l'extrême des synéchies des
commissures antérieure et postérieure. L'atteinte de la sous-glotte est très fréquente avec une
infiltration concentrique diffuse sous forme de voussure recouverte de croûtes évoluant
inexorablement vers la sténose et génératrice de stridor laryngé. L’atteinte trachéale est
secondaire au laryngosclérome. Ce sont les parties haute et moyenne de la trachée qui seraient
préférentiellement touchées. L'infiltration scléromateuse intéresse initialement la paroi
antérieure de la trachée, puis progressivement, s'organise une sténose annulaire concentrique
génératrice de dyspnée trachéale. Il n’y a pas d’adénopathie. Le diagnostic positif repose sur
l’histologie et la bactériologie.
44
Ennouri A, Hajri H, El Mezni F. Sclérome et rhinosclérome. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Oto-rhino-
laryngologie 20-380-A-10, 1991, 10p
25
30. Pathologie pharyngée
Cancer de l’hypopharynx et de l’oropharynx
Tumeurs du rhinopharynx
Pathologie pharyngée infectieuse
26
31. II.2. Pathologie pharyngée.
Cancer de l’hypopharynx et de l’oropharynx.
Le cancer de l’hypopharynx est l’un des plus redoutables cancers des voies
aérodigestives supérieures, malgré les progrès accomplis dans son approche diagnostique et
thérapeutique. Les caractéristiques épidémiologiques ne sont pas les mêmes qu’en Europe 45 .
NDIAYE et al 46 décrivent un profil épidémiologique doublement inversé au Sénégal. En effet
la majorité des patients étaient des femmes (57,6%) et l’âge moyen est de 33 ans. Il s’agissait
de carcinome épidermoïde mais aucun facteur de risque de consommation d’alcool ou de
tabac n’était retrouvé dans 77% des cas. Le seul facteur de risque observé était l’anémie
ferriprive souvent chronique, présente dans 1/3 des cas dont 68% des femmes. Celle-ci est
occasionnée par les grossesses répétées, les parasitoses, le déséquilibre nutritionnel
(alimentation à base de riz) et la consommation de thé, chélateur du fer. Une analogie est alors
faite avec le cancer rétro-crico-aryténoïdien des séries anglaises et scandinaves45 dans le cadre
du syndrome de Kelly Patterson (ou Plummer Vinson). C’est une dysphagie sidéropénique
observée chez la femme due à des altérations de la muqueuse oesophagienne, pharyngée et
gastrique à l’origine d’une achylie gastrique 47 . Toutefois elle n’explique pas ce type de cancer
chez l’homme. Le cancer étant bien sûr une pathologie d’étiologie plurifactorielle, aucune
étude africaine ou internationale à ce jour n’explique totalement le mécanisme
physiopathologique, notamment les facteurs génétiques et environnementaux en Afrique sub-
saharienne. Des études concernant le cancer de l’œsophage, qui dépasse le sujet de ce travail,
rapportent une étiologie virale représentée par Human Papilloma Virus (HPV) et plus
précisément les sérotypes 16 & 18 48,49 .
Dans le contexte africain, les cancers de l’hypopharynx sont des tumeurs évoluées en
raison du retard de consultation46 - 65,2% de tumeurs classés T3/T4 selon la classification
TNM -, avec un délai moyen de consultation de 7 mois. La dysphagie y était présente dans
98,5% des cas, responsable d’une altération de l’état général marquée, poussant alors les
patients à consulter, après avoir essayé les remèdes traditionnels. Le second motif de
consultation était la dyspnée. Les cancers de l’hypopharynx peuvent représenter jusqu’à 29%
des indications de trachéotomies chez l’adulte dans un service d’ORL africain50 . Les
adénopathies cervicales étaient palpables dans 45,2% des cas46 (figure 8). A l’endoscopie, le
siège tumoral était localisé au sinus piriforme dans 41 % selon l’étude de NDIAYE et al46.
45
Pasquesone X, Chevalier D. Epidémiologie des cancers de l'hypopharynx. Les cah ORL 1995;33:199-202
46
Ndiaye IC, Ndamage TD, Tall A, Diouf R, Diop EM. Profil des cancers de l'hypopharynx au Sénégal. Ann
Otolaryngol Chir Cervicofac 1997;114:86-9
47
Soumana S et al. Syndrome de Plummer Vinson à propos d'un cas. Méd Afr Noire 2000;47:218-20
48
Bengono G et al. Le cancer de l'oesophage chez la femme: une série d'appel du syndrome de Plummer Vinson
à Yaoundé. Rev Afr ORL CCF 2004;2:51-4
49
Benamouzig R, Pigot F, Quiroga G, Validire P, Chaussade S, Catalan F, Couturier D. Human papillomavirus
infection in esophageal squamous-cell carcinoma in western countries. Int J Cancer. 1992;50:549-52
50
Diop EM, Diouf R, Ndiaye IC, Ouoba K, Tending G, Diop LS. La trachéotomie dans un service d'Afrique
noire: bilan de 6 ans. In: compte rendus, 84èmecongrès français d'ORL. Paris: Arnette;1987. p. 397-407
27
32. Figure 6: adénopathie métastatique d'un carcinome épidermoïde de l'hypopharynx
Pour ce qui est de la thérapeutique, les problèmes encourus pour le traitement du
cancer du pharynx sont les mêmes que ceux du larynx. Ainsi dans près de la moitié des cas,
un traitement palliatif par trachéotomie et gastrostomie est proposé au Sénégal45. Dans ce
même pays, NDIAYE et al nous rappellent les difficultés socio-économiques de leurs
malades. Ces patients n’ont parfois pas d’argent pour payer les frais de la panendoscopie sous
anesthésie générale ni les frais de l’examen anatomo-pathologique. Du bilan pré-opératoire à
la radiothérapie en passant par une éventuelle intervention chirurgicale, les malades doivent
payer entre 150 et 200 000 FCFA (soit 250 à 300€ environ 3 à 4 mois de salaire minimum
mensuel), ce qui est exorbitant pour des malades d’un bas niveau socio-économique. Ainsi,
même s’ils sont opérés, ils ne peuvent faire face aux frais de la radiothérapie post-opératoire.
La survie est ainsi nulle à 3ans.
Pour ce qui est du cancer de l’oropharynx, peu d’études y font référence. Une étude au
Cameroun en 1986 51 permettait de montrer que l’oropharynx représentait la localisation
tumorale la plus fréquente de la sphère ORL devant la localisation nasopharyngée. Il
représentait 1/3 des causes de cancers de la sphère ORL, principalement le voile et l’amygdale
palatine. Au Bénin et en Côte d’Ivoire, il représentait la 3ème cause de cancer ORL, après le
cancer du larynx et celui du massif facial 52,53 .L’histologie était de type carcinome
épidermoïde avec des facteurs de risque habituels (alcool & tabac). Dans le seul service ORL
du Burkina Faso, les cancers du pharynx représentaient 16,1% cancers de la sphère ORL soit
la deuxième cause après les cancers du massif facial24. La localisation oropharyngée (17 cas
en 10 ans) y était plus fréquente que celle de l’hypopharynx (14 cas).
Dans le cas spécifique de l’infection par le VIH, seule une étude française 54 a permis de
retrouver une association entre le cancer de l’oropharynx et le SIDA, dont 57% des patients
51
Guignard J, Bengono touré G, Fouda Onana A, Bengono Obe L, Mouden JC, Durand JP. Etude sur la
prévalence des cancers du nasopharynx à Yaoundé (Cameroun). Les Cah ORL 1986;21:703-7
52
Medji AL, Hounkpe YYC, Vinhnikin-Yemuessi B, Koura A, Prodjinotho FX. Les cancers ORL et cervico-
faciaux au CHNU de Cotonou (Bénin). Méd Afr Noire 1989;36:153-7
53
Bamba M, Kouassi B, Ette A, Haefener G, Ehouo F, Boquifo F, Adjoua P, Cacouchiar P. Contribution à
l'étude des cancers ORL à Abidjan: à propos de 204 cas. Rev Laryngol Otol Rhinol 1986;107:385-99
54
Barry B, Géhanno P. Carcinomes épidermoïdes de localisation ORL au cours de l'infection par le VIH. Ann
Otolaryngol Chir Cervicofac 1999;116:149-53
28
33. n’avaient aucun facteur de risque alcoolo-tabagique dont 80% pour la localisation
amygdalienne. Le diagnostic différentiel du cancer de l’amygdale chez le patient atteint du
SIDA est le lymphome malin non hodgkinien, le sarcome de Kaposi et le syndrome de
lymphadénopathie persistante généralisée.
Tumeurs du rhinopharynx
Les tumeurs épithéliales du rhinopharynx ou cavum sont de 3 types
histologiques selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), laquelle
est basée sur le degré de différenciation 55 :
OMS type 1, carcinome épidermoïde kératinisant, tout à fait comparable à
ceux retrouvés dans les autres localisations des voies aéro-digestives
supérieures. Ce type histologique rend compte de la majorité de ces cancers
survenant dans les régions du monde présentant une très faible incidence de la
maladie.
OMS type 2: carcinome épidermoïde non kératinisant.
OMS de type 3: UCNT (undifferentiated carcinoma of nasopharyngeal type)
qui représente la grande majorité des cas dans les zones d’endémie (région de
Canton en Chine, Alaska). L’immunohistochimie est utile, lorsqu’elle est
disponible, pour établir le diagnostic différentiel avec certains lymphomes et
autres tumeurs rares pouvant survenir au niveau du nasopharynx.
En ce qui concerne les zones de risque du carcinome nasopharyngé, l’Afrique est
touchée par 2 types de zones à risque. L’Afrique de l’Est et le Maghreb (Afrique du Nord)
appartiennent aux zones à risque intermédiaire. Tandis que le reste de l’Afrique dont
l’Afrique sub-saharienne appartient aux zones à risque faible. Il existe cependant des
disparités, notamment la fréquence d’UNCT selon leur localisation géographique. Ainsi les
pays côtiers sont plus touchés comme le montre le tableau II:
Tableau II: répartition géographique des cancers du nasopharynx
Cameroun (2001) 56 Sénégal (1998) 57 Nigeria (2003) 58
Nombre de cas/
32 cas/6 ans 42 cas/14 ans 55 cas/10 ans
période d’étude
Fréquence des
62% 63% 27,3%
UNCT
Fréquence de T3/T4
88% 81% 84%
(TNM 1997)
Fréquence de lésions
90% 78,1% 70,9%
N+
55
World Health Organisation. WHO handbook for reporting results of cancer treatment. WHO Offset
Publication. 48, Geneva, 1979
56
Mouelle Sone A, Essomba Biwole M, Fouda A, Ndom P. Aspects évolutifs des cancers du cavum traités à
l'hôpital général de Douala. Méd Afr Noire 2001,48:97-101
57
Diallo BK. Etude des cancers du cavum au CHU de Dakar (1981-1996). Thèse de Médecine Dakar (Sénégal)
1998
58
de Lilly-Tariah OB, Somefun AO. Malignant tumours of the nasopharynx at Jos university teaching Hospital,
Nigeria. Niger Postgrad Med J 2003;10:99-102
29
34. Du point de vue étiologique, de nombreux auteurs retrouvent pour les cancers de type
UNCT une sérologie Epstein-Barr Virus (EBV) positive56-59 et une consommation de
nitosamines contenues dans les poissons séchés et fumés pouvant expliquer la fréquence
élevée en zone côtière 60 . Le nombre de cancers évolués reste une constante quelque soit le
pays d’Afrique sub-saharienne.
La moyenne d’âge est de 41 ans avec un second pic dans l’adolescence, et un sex-ratio
entre 1,6 et 2,356-58, 61 , 62 Ce phénomène est d’autant plus aggravé que le diagnostic est difficile
puisque ce type de cancer présente une symptomatologie d’emprunt souvent trompeuse
(épistaxis récidivantes, obstruction nasale, otites séro-muqueuses). Le délai moyen de
consultation au Sénégal était de 7 mois ce qui rend compte de la fréquence élevée d’extension
de la tumeur à la base du crâne dans 31% de cas atteints57. En l’absence de nasofibroscopie,
l’analyse du cavum au miroir avec l’aide d’un releveur du voile reste le seul recours, parfois
malaisée. Le scanner, lorsqu’il est accessible financièrement au patient, permet d’établir le
bilan d’extension (figures 9a & b).
Figures 7a & b: scanner, coupes axiales : cancer du rhinopharynx avec extension nasale, ethmoïdale,
orbitaire et à la fosse infratemporale
Pour ce qui est du traitement par radiothérapie et chimiothérapie, la situation est
similaire aux cancers pharyngo-laryngés. Le pronostic est très péjoratif avec 0% de survie à 3
ans au Sénégal57 et au Nigeria58, et 29% à 5 ans au Cameroun56.
59
Goldenberg D et al. Epstein-Barr Virus and cancers of the head and neck. Am J Otolaryngol 2001;22:197-205
60
Faye G, Salgas P, Verdalle PB, Conessa C, Sossou K, Elbaum JP. Le cancer du cavum: tumeur rare en Afrique
noire. Méd Afr Noire 1988;35:816-25
61
Guignard J, Bengono touré G, Fouda Onana A, Bengono Obe L, Mouden JC, Durand JP. Etude sur la
prévalence des cancers du nasopharynx à Yaoundé (Cameroun). Les Cah ORL 1986;21:703-7
62
Nwaorgu OG, Ogunbiyi JO. Nasopharyngeal cancer at the University College Hospital Ibadan Cancer
Registry: an update. West Afr J Med 2004;23:135-8
30
35. Pathologie pharyngée infectieuse
Cette pathologie sera traitée uniquement ici dans le contexte du diagnostic
différentiel du cancer du rhinopharynx, de l’oropharynx et de l’hypopharynx. Celle-ci est
dominée par les pathologies associées au VIH dans les pays en zone d’endémie.
Cas particulier du VIH/SIDA
De nombreux aspects pathologiques de la muqueuse pharyngée sont observés lors de
l’infection par le VIH. Par ordre de fréquence, c’est la candidose oropharyngée accompagnée
parfois d’ulcérations, apparaissant lors de la primo-infection par le VIH. Elle est due à
Candida albicans. Les auteurs africains observent chez les patients atteints par le VIH, une
fréquence de candidose buccopharyngée de 57% au Mali 63 , 30,6% au Cameroun 64 et 14,6%
seulement au niveau oropharyngé au Congo 65 . ONDZOTTO et al65 constate que 99,2% des
patients consultant pour une pathologie ORL en association au VIH étaient déjà au stade
SIDA.
L’autre aspect pharyngé est celui d’hyperplasie de la muqueuse rhinopharyngée
appartenant au syndrome de lymphadénopathie persistante généralisée. Il s’agit d’une
infiltration lymphoïde bénigne de l’anneau de Waldeyer. Celle-ci peut prendre alors un aspect
pseudo-tumoral du cavum, ce d’autant qu’elle s’accompagne d’adénopathies cervicales66 .
Sans scanner le diagnostic est difficile et une biopsie est alors nécessaire pour affirmer le
diagnostic bénin.
Tuberculose pharyngée
La tuberculose peut également atteindre la muqueuse pharyngée. Celle-ci était alors
très fréquente au niveau du cavum à l’époque du lait non pasteurisé par contamination bovine
(Mycobacterium bovis) chez les enfants ayant un reflux gastro-oesophagien. Actuellement la
tuberculose pharyngée semble rare. En effet le pharynx réalise un obstacle au Mycobacterium
tuberculosis par l’intermédiaire de la salive, des germes saprophytes, de la présence d’un
épithélium muqueux épais et de muscles striés. Le diagnostic différentiel du carcinome
épidermoïde ne peut se faire que par examen anatomo-pathologique (présence de granulomes
gigantocellulaire avec nécrose caséeuse) en l’absence d’un frottis positif (présence de Bacilles
Acido-Alcoolo-Résistants, BAAR). Il s’agit de plus en plus de localisation pharyngée
primitive, sans foyer pulmonaire associé67. Cliniquement la tuberculose s’accompagne de
signes généraux (fièvre, altération de l’état général, sueurs nocturnes, adénopathies cervicales)
mais qui sont parfois inconstants. AL-SHERHANI et al 67 ne les retrouvent que dans 2/3 des
cas sur une série comportant 9 cas de tuberculose pharyngée primitive (sans foyer pulmonaire
63
Sacko HB, Ag Mohamed A, Maiga MY, Kalle A, Doumbia SY, Guindo A. Manifestations ORL observées au
cours du Sida. A propos de 65 observations. Bull Soc Pathol Exot 1995;88:234-5
64
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65
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66
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67
Al-Sherhani AM, Al-Mazrou K. Pharyngeal Tuberculosis. Am J Otolaryngol 2001;22:236-40
31
36. associé) dont une majorité de patients atteints du SIDA. La localisation nasopharyngée était la
localisation pharyngée la plus fréquente. Elle est souvent vue à l’occasion de la découverte
d’adénopathies cervicales tuberculeuses et doit donc être recherchée systématiquement 68 .
SRIROMPOTONG et al 69 décrivent la localisation nasopharyngée de la tuberculose sur une
série de 22 cas. Il s’agissait d’une masse dans 39,1% des cas (pseudo-tumeur), d’une
irrégularité de la muqueuse nasopharyngée dans 21,7% des cas et dans 30,4% des cas le
cavum était d’aspect normal. Les adénopathies secondaires étaient localisées plutôt à l’étage
supérieur et moyen que postérieur. Un tiers des patients de cette série étaient atteints du
SIDA. L’aspect peut être trompeur, évocateur de lésion néoplasique en l’absence d’un
examen anatomo-pathologique 70 .
Après la localisation nasopharyngée, les localisations oropharyngées concernent le plus
souvent la région amygdalienne, l’amygdale palatine étant simplement hypertrophiée ou le
siège d’ulcération ou de lésion exophytique évoquant au premier abord une lésion maligne68.
L’atteinte amygdalienne est bilatérale dans 60% des cas, avec un aspect ulcéreux, polypoïde,
et douloureux67,71 . Les signes cliniques étaient représentées par une dysphagie haute et une
odynophagie. Une altération de l’état général est possible. Les autres parois oropharyngées ne
sont pas exemptes de risque d’atteinte. Le diagnostic repose alors sur l’isolement
bactériologique du bacille de Koch.
Syphilis pharyngée
La syphilis au niveau pharyngé est rare, mais constitue un diagnostic différentiel des
carcinomes. C’est une maladie sexuellement transmissible dont la fréquence a augmenté en
parallèle de celle du VIH. A la phase primaire, la localisation pharyngée est plus fréquente
qu’au niveau laryngé en raison de son accessibilité. Le chancre amygdalien réalise une lésion
inflammatoire ulcérée, et indolore paradoxalement à l’importance de l’inflammation 72 . Elle
s’accompagne souvent d’une déviation uvulaire ainsi que d’une déviation antérieure du pilier
antérieur. Une adénopathie cervicale indolore l’accompagne. A la phase secondaire, il s’agit
plutôt d’une pharyngite diffuse avec amygdalite, qui desquame en laissant place à des lésions
maculo-papuleuses, de 5 à 10mm de diamètre, avec une ulcération centrale dont le fond est
grisâtre. Les limites de ces lésions sont nettes, érythémateuses de forme ronde ou ovalaire.
Ces lésions actives fourmillent de Treponema pallidum et sont très contagieuses. Elles posent
le problème de diagnostic différentiel avec un herpès, des aphtes, une stomatite ulcéreuse,
voire une agranulocytose. S’y associent également des adénopathies cervicales multiples
infra-centimétriques indolores. La phase tertiaire est retrouvée exceptionnellement au pharynx
au détriment de la langue 73 . L’un des diagnostics différentiels au sein des tréponématoses est
le pian. C’est la plus destructrice des tréponématoses endémiques 74 . L’agent pathogène est
68
Clément P, Le Guyadec T, Zalagh M, Gauthier J, N’Zouba L, Kossowski M. Manifestations bucco-naso-
sinusiennes des maladies infectieuses spécifiques. EMC (Elsevier,Paris),Oto-rhino-laryngologie,20-373-A-
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69
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2000. Otolaryngol Head Neck Surg 2004;131:762-4
70
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71
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73
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74
Gentilini M. Pian ou Franboesia in Médecine Tropicale. Paris: Flammarion Médecine Science;1993. p. 343-6
32
37. Treponema pertenue, et la transmission se fait par contact direct d’une lésion infectée avec
une effraction cutanée ou muqueuse. Le pian sévit encore à l’état endémique en Afrique de
l’Ouest, précisément dans les régions humides (forêts et plaines côtières), malgré les
campagnes d’éradication fondées sur l’utilisation extensive de la péniciline-retard. Le pian
évolue également en 3 périodes. D'un point de vue ORL, c’est la phase tertiaire, après des
années de latence, et au niveau du cavum qui nous intéresse. Elle s’appelle la gangosa. Elle
réalise une rhinopharyngite ulcéreuse et mutilante, pouvant aboutir à la destruction totale du
massif facial. Le diagnostic est biologique (microscope à fond noir) et sérologique (commune
à la syphilis). L’histologie montre un granulome aspécifique. Le traitement est celui de la
syphilis.
Lèpre pharyngée
Les lésions bucco-pharyngées de lèpre sont peu fréquentes même en zone d’endémie. Il
s’agit dans 20 à 60% des cas de formes lépromateuses. Ces lésions sont rencontrées dans les
formes avancées et sont volontiers asymptomatiques. Ce sont les lépromes piquetés sur la
paroi pharyngée postérieure qui constituent un diagnostic différentiel de néoplasie 75 .
Sclérome pharyngé
Les localisations nasopharyngées sont classiques, présentes dans 30% des cas de
sclérome68. L’extension rare à la trompe auditive par le processus granulomateux puis
cicatriciel conduit à une dysperméabilité tubaire chronique avec retentissement otologique.
L’atteinte de l’oropharynx (piliers amygdaliens, voile) peut conduire à une amputation de la
luette et à une sténose vélaire, voire à des synéchies avec la paroi pharyngée postérieure. Le
diagnostic positif est histologique et bactériologique.
75
Basset JM. Lésions du nez, du pharynx et du larynx (lèpre) in La Lèpre; Sansarriq H. Paris: Universités
Francocphones Ellipses; 1995. p. 129-33
33
39. II.3. Conduite à tenir devant une adénopathie
prévalente.
Dans le contexte particulier de l’Afrique sub-saharienne, les causes d’adénopathie
prévalente sont dominées par la tuberculose ganglionnaire, et le syndrome de
lymphadénopathie persistante généralisée (LPG) chez le patient atteint par le VIH. Il s’agit de
définir une conduite à tenir devant un patient examiné à la consultation présentant une
adénopathie prévalente, c’est-à-dire avec un examen clinique ORL normal. Nous évoquerons
les fréquences de ses causes, les aspects cliniques et les moyens diagnostiques nécessaires.
Tuberculose ganglionnaire cervicale
L’adénopathie cervicale infectieuse à Mycobacterium tuberculosis, ou plutôt le terme
consacré d’adénite cervicale tuberculeuse, est fréquente dans les pays endémiques de
tuberculose. Au Cameroun en 1991, MBAKOP et al 76 étudient 333 cas en 12 ans soit 30 cas
par an. Du point de vue épidémiologique, la tuberculose recule presque partout dans le monde
sauf en Afrique, selon l'OMS 77 (figure 10). Malgré une amélioration du taux de vaccination
par le Bacille de Calmette et Guérin (BCG), avec un taux de 74% d’enfants d’un an vaccinés
en 2005, la tuberculose continue de tuer 5 000 personnes par jour en Afrique sub-
saharienne 78 . L'essentiel de cette incidence accrue est dû au VIH en Afrique.
Figure 8: nombre de nouveaux cas de tuberculose en 2001 79
La présentation de l’adénite cervicale tuberculeuse primitive ou secondaire à un foyer
pulmonaire ou ORL est polymorphe. En Afrique sub-saharienne, elle occupe le 3ème rang
extra-pulmonaire, avec 20% d’incidence, après le mal de Pott (localisation osseuse) et la
76
MBAKOP A. Tuberculose ganglionnaire au Cameroun : aspects cliniques et anatomo-pathologiques à propos
de 333 cas. Médecine Tropicale 1991;51:149-153
77
OMS. Rapport sur la santé 2004 [en ligne] disponible sur http://www.who.int/whr/2004/en/09_annexes_fr.pdf
78
UNICEF, Rapport : La situation des enfants dans le monde en 2005. L’enfance en péril [en ligne] disponible
sur http://www.unicef.org/french/sowc05/SOWC2005_Key%20Stats_FR.pdf
79
Frieden TR, Sterling TR, Munsiff SS, Watt CJ, Dye C. Tuberculosis. Lancet 2003;362:887-99
35
40. pleurésie 80,81 . Cependant elle représente la première localisation ganglionnaire extra-
hilaire80,82 . Ces rares études africaines montrent qu’il s’agit plutôt d’une localisation
primitive, sans foyer pulmonaire ou ORL associé. Dans le cadre d’une adénite satellite d’une
tuberculose multifocale, il faut redouter une infection à VIH sous-jacente.
Elle atteint plus souvent le patient jeune entre 15 et 40 ans sans prédominance
sexuelle76. Elle est rare chez l’enfant de moins de 15 ans. Les enfants présentent surtout des
infections ganglionnaires dues à des mycobactéries atypiques (Mycobacterium intracellulaire
et M. scrofulaceum). Selon KINDE-GAZARD et al80, 77,27% des patients atteints avaient
moins de 40 ans. L’interrogatoire ne permet pas toujours de retrouver un contexte contagieux
dans l’entourage du malade.
Cliniquement, le diagnostic est parfois aisé lorsque l’adénopathie est fistulisée.
Contrairement à l’Europe, il y a moins de forme pseudo-tumorale. En raison de l’évolution
chronique souvent négligée (consultation préalable des tradi-praticiens), 18% à 27% des
adénopathies étaient fistulisées avec des écrouelles ou des cicatrices rétractiles et
indélébiles80,82. Sur le plan clinique, la tuberculose ganglionnaire évolue classiquement en
cinq phases qui sont: les phases de crudité, de péri-adénite, de ramollissement ou
d’abcédation, de fistulisation puis de cicatrisation. On observe dans la majorité des cas une
poly-adénopathie82 plutôt qu’une adénopathie unique. Celle-ci est bilatérale dans plus de 50%
des cas82.Les territoires ganglionnaires atteints sont par ordre de fréquence décroissante:
jugulo-carotidien (figure 11), sous-mandibulaire, spinal, et enfin sus-claviculaire. La
localisation spinale reste cependant très évocatrice d’adénite tuberculeuse secondaire à un
foyer pulmonaire primitif. Une douleur est présente dans seulement 27% des cas selon
KINDE-GAZARD et al80. De même une altération de l’état général est moins fréquente en cas
de tuberculose ganglionnaire que dans la tuberculose pulmonaire.
Figure 11: adénite tuberculeuse fistulisée jugulo-carotidienne droite
80
Kinde-Gazard D, Anagonou YS, Gninafon M, Tawo L, Josse R. Les adénopathies cervicales d'origine
tuberculeuse: aspects épidémiologique, diagnostique et thérapeutique au centre national hospitalier de
pneumophtisiologie de Cotonou. Méd Afr Noire 1997;44:90-94
81
Debonne JM et al.La tuberculose extra-pulmonaire de l'adulte. Etude rétrospective de 238 cas à l'hôpital
principal de Dakar. Med Trop-abstract 2004;64:255
82
Diop EM, Diop LS. La tuberculose dans la sphère ORL au Sénégal. Bull Soc Méd Afr noire Lgue Frse.
1978;23:43-9
36
41. Le diagnostic positif reste bactériologique et/ou histologique mais n’est pas toujours
réalisé. Il est effectué chez 50% des patients au Bénin par adénectomie, la biopsie étant
contre-indiquée à cause du risque de fistulisation secondaire80. Elle permet d’affirmer le
diagnostic d’adénite tuberculeuse dans la majorité des cas. Alors que dans les pays du Nord
où la tuberculose est moins fréquente, l’examen anatomo-pathologique a surtout pour but de
différencier une cause tumorale d’une cause infectieuse dans les formes pseudo-tumorales. Le
prélèvement bactériologique à la recherche de BAAR est souvent négatif. La cytoponction
n’est pas encore disponible en pratique courante dans ces pays 83 (figure 12), de même que la
tomodensitométrie cervicale du fait du coût élevé à la charge du patient. L’intradermo-
réaction (IDR) n’est positive que chez 22,7% des patients selon cette même étude africaine.
L’un des risques en consultation est de ne plus revoir le malade après l’examen para-clinique.
Un test thérapeutique par quadri-antibiothérapie est alors réalisé. La thérapeutique ne pose
plus de problème depuis la mise en place du traitement standardisé par l’OMS. On regrette
cependant le taux d’échec important dû essentiellement aux abandons du traitement. Celui-ci
s’élève jusqu’à 54,55% des patients80. L’écueil principal est l’ignorance des malades comme
le démontre une étude au Congo-Brazzaville 84 , malgré une prise en charge thérapeutique qui
peut être gratuite selon les pays de la région.
Figure 12: cytoponction à l’aiguille fine
d'une adénite tuberculeuse
En France, il existe des différences à ces études africaines. BARRY et al 85 décrivent
plutôt une adénopathie secondaire à un foyer pulmonaire dans 65% des cas. Il s’agit alors
d’une réactivation d’une adénopathie infectée lors d’une primo-infection respiratoire.
L’interrogatoire permet de retrouver dans 1/3 des cas des antécédents de tuberculose
pulmonaire ou ganglionnaire, et 55% des patients sont vaccinés par le BCG. La tuberculose
ganglionnaire du cou, est statistiquement plus fréquente chez le sujet de sexe féminin
contrairement à la tuberculose pulmonaire. Elle constitue moins de 5% des causes
d’adénopathie chez l’adulte. Les populations immigrantes en France sont 6 fois plus atteintes.
Le territoire sous-mandibulaire est le plus fréquemment atteint en cas d’adénite tuberculeuse
primitive. La cytoponction ganglionnaire à l’aiguille fine permet d’apporter un diagnostic
positif dans 70 à 90% des cas. Chez l’adulte, la bactériologie a permis d’isoler
Mycobacterium tuberculosis dans 95% des cas. L’IDR est positive plus fréquemment, chez
90% des patients. Les indications d’exérèse chirurgicales sont restreintes : cytoponction à
83
Bem C et al. The value of wide-needle aspiration in the diagnosis of tuberculous lymphadenopathy in Africa.
AIDS 1993;7:1221-5
84
M'Boussa J, Martins H, Adicolle-Metoul JM, Loubaki F. L'influence des facteurs socio-culturels sur les
abandons du traitement de la tuberculose pulmonaire. Méd Afr Noire 1997;46:458-65
85
Barry B, Géhanno P. Tuberculose ganglionnaire. Les Cah ORL 1996;32:103-06
37
42. l’aiguille fine négative ou douteuse, échec du traitement médical, évolution sous traitement
bien conduit et présence de reliquat ganglionnaire 86 .
Adénopathies cervicales prévalentes chez le patient atteint du VIH
Ce type de pathologie est corrélé à la prévalence du VIH selon chaque pays de l’Afrique
sub-saharienne (figure 13). C’est une population jeune qui n’a pas accès facilement aux
structures sanitaires. Les pays équatoriaux et d’Afrique centrale sont plus atteints par le VIH.
Le VIH de type 1 est plus fréquent dans les pays d’Afrique centrale, a contrario du type 2
pour les pays d’Afrique de l’ouest.
Figure 13: Pourcentage de population atteinte par le VIH en 2005 77
86
Reyt E, Righini C. Adénopathies cervicales. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Oto-rhino-laryngologie 20-
870-A-10, 1999, 10 p
38
43. Deux étiologies sont principalement responsables d’adénopathies cervicales chez le
patient atteint par le VIH : la tuberculose ganglionnaire et le syndrome de lymphadénopathie
persistante généralisé (LPG).
Tout d’abord, la tuberculose ganglionnaire. Au Sénégal, 10% des patients qui présentaient
une tuberculose pulmonaire, étaient atteints du VIH 87 . Ces patients ont un facteur de risque
égal à 500 de contracter une tuberculose. Il s’agit parfois de tuberculose plurifocale. Quatre
vingt dix neuf pour cent des patients infectés par le VIH au Congo, qui ont consulté le seul
service d’ORL, étaient au stade SIDA selon la classification du Control of Diseases Center
(CDC d’Atlanta, 1993) 88 . Parmi ces patients, une tuberculose ganglionnaire était
diagnostiquée dans 11,5% des cas. L’aspect clinique de ces adénopathies est identique à celui
des patients VIH- sauf qu’il s’agit toujours d’une poly-adénopathie 89 . Le taux d’adénopathies
primitives et de celles secondaires à un foyer pulmonaire sont identiques. La radiographie est
cependant plus évocatrice en cas de tuberculose pulmonaire chez le patient VIH+. L’IDR est
négative lorsque le taux de lymphocytes CD4 est inférieur à 200/mm3. Compte tenu de
l’immunodépression, elle doit être considérée positive chez ces patients si l’induration
dépasse 5 mm. La durée du traitement anti-tuberculeux est identique aux patients VIH-.
Cependant la tuberculose ganglionnaire chez le patient infecté par le VIH est plus mutli-
résistante vis-à-vis de la polychimiothérapie anti-tuberculeuse (<10% des cas)89,90.
L’autre étiologie d’adénopathie cervicale prévalente est la LPG. Il s’agit d’une infiltration
du tissu lymphoïde par des lymphocytes CD8 apparaissant lors de la primo-infection par le
VIH90. La définition de la LPG par le CDC est la présence d’adénopathies chroniques (>3
mois) dans au moins 2 territoires ganglionnaires extra-inguinaux. Il s’agit d’adénopathies
infra-centimétriques, indolores, mobiles, bilatérales et asymétriques. Elles sont situées plus
souvent dans la région occipitale et spinale. Elles peuvent s’associer à une hypertrophie de
l’anneau de Waldeyer. Aucune biopsie n’est nécessaire 90 . Au Cameroun, NJOLO et al 91
observent 7,05% de LPG chez 76 patients infectés par le VIH présentant une pathologie ORL.
Ces manifestations ORL sont observées à tous les stades biologiques de l'infection par le
VIH/SIDA.
En cas d’adénopathie unique ou multiple supérieure à 3 cm, inflammatoire ou sensible à la
palpation, une biopsie avec examen anatomo-pathologique doit être réalisée afin d’éliminer
une pathologie maligne associée. Parmi les diagnostics différentiels d’adénopathie cervicales,
on retient celui de lymphome malin non hodgkinien et de sarcome de Kaposi, moins
fréquents.
87
Ndiaye M et al. Difficultés dans la prise en charge médico-sociale de la tuberculose à la clinique de
pneumologie du CHU de Fann. Dak Med 2004;49:75-9
88
Ondzotto G, Ibara JR, Mowondabeka P, Galiba J. Les manifestations ORL et cervico-faciales de l'infection par
le VIH en zone tropicale. A propos de 253 cas congolais. Bull Soc Pathol Exot 2004;97:59-63
89
Singh B, Balwally AN, Har-El G, Lucente FE. Isolated cervical tuberculosis in patients with HIV infection.
Otolaryngol Head Neck Surg 1998;118:766-70
90
Barry B, Géhanno P, Matheron S. Manifestations ORL observées au cours de l'infection par le virus de
l'immunudéficience humaine. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Oto-rhino-laryngologie 20-956-A-10, 1996
91
Ndjolo A, Njock R, Ngowe NM, Ebogo MMB, Toukam M, Nko'o S, Bengono G. Manifestations Oto-Rhino-
Laryngologiques inaugurales de l'infection à VIH/SIDA. Analyse de 76 cas observés en milieu africain. Rev
Laryngol Otol Rhinol 2004;125:39-43
39
44. III. Pathologie auriculaire
Surdité
Vertiges & acouphènes
Paralysies faciales périphériques
Otites externes
Otites moyennes aiguës et leurs complications
Otites moyennes chroniques et leurs complications
40
46. III.1. Surdité
Plus de 120 millions de personnes dans le monde présentent des troubles de l’audition
selon l’OMS. Cinquante pour cent auraient pu être prévenus si des soins primaires avaient été
prodigués, associés à des campagnes d’éducation à la santé. Il existe deux fois plus de surdité
dans les pays du 1/3 monde que dans les pays industrialisés. Le principal facteur de risque
retrouvé est la pauvreté 92 .
En Afrique sub-saharienne, il n’existe pas de politique de dépistage néonatal de surdité
ni de structure de prise en charge du petit enfant sourd 93 . En 1993, à Dakar, un essai de
dépistage qui avait porté sur 1048 bébés issus de naissances pathologiques avait été entrepris
par oto-émissions au Babymètre 94 . Il avait permis de retrouver 0,8% de bébés suspects de
surdité. Les facteurs de risques étaient identiques à ceux en Europe (ictère, anoxie, pathologie
congénitale, pathologie neurologique).
Toutefois il existe des difficultés réelles non seulement dans l’exploration
audiométrique (le service d’ORL au CHU de Dakar ne possédait qu’un audiomètre tonal;
absence d’impédancemétre, d’otoémission, de PEA) mais également dans la prise en charge
des patients sourds 95 . Ces difficultés se traduisent par l’absence d’audioprothésiste (et
d’école de formation d’audioprothésiste) dans toute cette région étudiée 96 , l’absence de
structures d’accueil pour enfants sourds (seulement 2 écoles pour tout le Sénégal avec une
liste d’attente importante).
En pratique, ce chapitre a pour but de décrire les principales causes de surdité à
connaître pour le médecin ORL sur place. Mais également de démontrer que la prévention est
le seul outil valable, mais surtout disponible, pour diminuer le taux de surdité dans cette
région du monde.
92
Smith AW. WHO activities for prevention of deafness and hearing impairement in children. Scan Audiol
2001; supp.53:93-100
93
Njock R, Ndjolo A, Fouda A, Bengono G. Quelle stratégie de lutte contre la déficience auditive de l'enfant en
Afrique noire. Méd Afr Noire 2001;48:34-6
94
Coly PI, Moreau JC, Tending G, Diouf A, Diop EM, Dadhiou F, Diop LS. Essai de dépistage de la surdité
chez le nouveau-né à risque: à propos de 1048 tests. Dak Med 1993;38:133-7
95
Tending G, Kpemissi E, Chevalier C, Diop EM, Diop LS. Notre expérience dans l'éducation des enfants
sourds-muets au Sénégal: l'externat médico-psycho-pédagogique intégré (EMPPI) de Dakar. Dak Med
1989;34:139-48
96
Njock R, Bengono G. Besoins en audioprothèse: le cas d'un service ORL du Cameroun. Med Afr Noire
2005;52:32-4
42
47. Surdités profondes et sévères : les surdités neurosensorielles post-
méningitiques
De nombreuses études africaines concernant la surdité, qu’elle soit de perception ou de
transmission, décrivent la méningite comme le principal facteur de risque. A ce titre, nous
utiliserons les grades de surdité définis selon la classification de l’OMS 97 .
Tableau II: Classification de la perte auditive selon l'OMS
Niveau de surdité Perte tonale moyenne en dB*
Absence de surdité ≤ 25
Surdité légère 26-40
Surdité moyenne 41-60
Surdité sévère 61-80
Surdité profonde ≥ 81
*
moyenne des fréquences 500, 1000, 2000 & 4000 Hz pour la meilleure oreille.
Cette classification permet également de prodiguer des recommandations pour
l’appareillage en audioprothèses pour les pays du 1/3 Monde. Seront prioritaires d’abord les
enfants ayant une perte tonale moyenne de 31 à 80 dB sur les fréquence 500/1000/2000 et
4000 Hz. Puis ce seront ensuite aux adultes qui ont une perte d’au moins de 41 à 80 dB pour
les mêmes fréquences. Cette classification a cependant l’inconvénient d’accentuer les surdités
neurosensorielles au détriment des surdités de transmission compliquant les otites d’oreille
moyenne.
Actuellement, les méningites responsables de surdité de perception, réalisent un réel
problème de santé publique en Afrique. Au Ghana, SMITH et al 98 trouvaient une prévalence
de 2,7/1000 de surdités profondes et sévères chez des enfants de 2-10 ans dont 31% dans les
suites d’une méningite. Les méningites bactériennes sont responsables en Afrique sub-
saharienne de 10 000 nouveaux cas par an de surdités profonde inappareillable 99 . Neuf pour
cent des surdités acquises de l'enfant sont dues à une méningite92. Les méningocoques
(Neisseria meningitidis) constituent les causes majeures de méningites aiguës (avec
Streptococcus pneumoniae et Haemophilus influenzae). Les infections méningococciques
(surtout le sérogroupe A) sont endémiques dans le monde: 500 000 cas par an selon l'OMS.
Par leur contagiosité élevée, elles peuvent être à l'origine d'épidémies de méningites cérébro-
spinales et de septicémies dans le monde entier. Les épidémies de méningocoque touchent
fréquemment les populations vivant dans la « ceinture méningitique » des régions semi-
désertiques de l'Afrique subsaharienne (figure 14). Celle-ci va de l'Éthiopie jusqu'au Sénégal,
région délimitée par des niveaux de précipitations annuelles allant de 300 mm au nord jusqu'à
1100 mm au sud et dans laquelle les infections surviennent pendant la saison sèche où
prédomine également le vent de sable (harmattan).
97
World Health Organisation. International Classification of Functioning, Disability and Health (ICF). Geneva.
2001 [en ligne] disponible sur http://www.who.int/pbd/deafness/facts/en/index.html &
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98
Smith A,Hatcher J. Preventing deafness in Africa's children. Afr Health 1992;15:33-5
99
Hodgson A, Smith T, Gagneux S, Akumah I, Adjuik M, Pluschke G, Binka F, Genton B. Survival and
sequelae of meningococcal meningitis in Ghana. Int J Epidemiol 2001;30:1440-6
43
48. Figure 14: ceinture méningitique de l'Afrique
Dans cette région, peu d’enfants sont vaccinés contre les méningocoques A ou C.
Cette méningite entraîne 50 à 90% de décès et 20% de séquelles, allant de l’hypoacousie à
l’aliénation mentale profonde 100 . Les facteurs favorisants observés sont toutes les conditions
socio-économiques défavorables, l’infection à VIH, la virulence des souches, l’altération de la
muqueuse rhinopharyngée d’origine climatique (sécheresse), et l’altération du système
immunitaire en particulier chez l’enfant carencé en protéines.
La surdité post-méningitique est sévère ou profonde, et bilatérale. Elle est parfois
progressive, d'où la nécessité de faire un bilan auditif précoce, mais aussi à distance. Du point
de vue physiopathologique, la méningite entraîne une labyrinthite ossifiante. L'infection se
propage au labyrinthe à partir des méninges de l'endocrâne en diffusant le long de l'aqueduc
de la cochlée via les espaces périlymphatiques. Du tissu de granulation envahit l'oreille
interne, vite remplacé par de la fibrose. Ultérieurement apparaît un processus de métaplasie
osseuse responsable des aspects tomodensitométriques: plages d'ossification au niveau de la
cochlée et du vestibule, qui se manifestent par un effacement des structures normalement
hypodenses du labyrinthe (figure 15).
100
Reinert P. Méningites purulentes chez l'enfant: particularités dans les pays en développement. Med Trop
2003;63:481-5
44
49. Figure 15: labyrinthite ossifiante bilatérale post-méningitique
à pneumocoque
HODGSON et al99 observaient chez 696 patients, après 2 ans d’une épidémie de
méningite à méningocoque A au Ghana, en saison sèche, en pleine zone de la ceinture
méningitique, 1,6% de surdité sévère (> 70 dB). Au Sénégal, une incidence de 3% de surdité
sévère à profonde était retrouvée dans une étude portant sur 70 malades atteints de méningite
à méningocoque A 101 .
Les 2 autres bactéries principales responsables de méningites sont le pneumocoque et
l’Haemophilus influenzae type b. Elles sont moins fréquentes que le méningocoque, mais le
risque de surdité post-méningitique est plus important, notamment pour le pneumocoque. Ces
2 germes peuvent être prévenus par une vaccination, inexistante en Afrique sub-saharienne.
OKOME-KOUAKOU et al 102 notaient, selon une étude faite au Gabon (en dehors de la
ceinture méningitique) portant sur 85 cas de méningites purulentes, 65% d’infections par le
pneumocoque. L’origine otitique était observée dans 4,7% des cas. Le retard de consultation –
en moyenne au 10ème jour après le début des symptômes- était responsable de 17% de décès.
Il existe donc des variations épidémiologiques selon la localisation géographique des
études (selon la ceinture méningitique à méningocoque) et climatique (alternance ou non
d’une saison sèche ou d’une saison des pluies).
L’origine otitique d’une méningite n’est cependant pas toujours mise en évidence en
pratique courante dans les structures hospitalières d’Afrique noire 103 . Si elle l’est,
occasionnellement, elle ne fait pas toujours l’objet d’une prise en charge concomitante ou
secondaire par l’ORL.
De nombreuses étiologies de surdités sévères et profondes existent en dehors des
méningites 104 : génétique (mariages consanguins répandus en Afrique), états fébriles
101
Seydi M et al. Aspects cliniques, bactériologiques et thérapeutiques des méningites à méningocoque à Dakar
en 1999. Med Trop 2002;62:137-40
102
Okome-Kouakou M, Loembe PM. Les méningites bactériennes de l'adulte. Etude de 85 cas observés dans
l'unité des maladies infectieuses de la Fondation Jeanne Ebori (F.J.E.), Libreville, Gabon. Bull Soc Pathol Exot
1995;88:206-9
103
Diop EM, Coll-Ba AM, Diop LS, Diop Mar I. Traitement des méningites otogènes. Dak Med 1984;29:43-8
104
McPherson B, Swart SM. Childhood hearing loss in sub-Saharian Africa: a review and recommendations. Int
J Pediatr Otorhinolaryngol 1997;40:1-18
45
50. indéterminés, médicaments ototoxiques (quinine), syphilis congénitale, neuropaludisme
(figure 16), méningite tuberculeuse, oreillons, fièvre de Lassa (fièvre hémorragique virale à
arenavirus), drépanocytose, carence iodée, tétanos, varicelle, poliomyélite. La rougeole était
une cause classique, devenue plus rare même en Afrique, depuis la vaccination systématique.
L’amélioration de la couverture vaccinale contre la rougeole permet d’en espérer une
disparition des causes de surdité.
Figure 16: Surdité profonde bilatérale
secondaire à un accès de
neuropaludisme avec méningite.
Scanner coupe axiale, fenêtre osseuse,
rocher droit. Calcification quasi
complète du labyrinthe antérieur
(double tête de flèche) et postérieur à
l’exception du vestibule (flèche) et de
l’aqueduc du vestibule (double flèche).
Labyrinthite calcifiante 105
Surdités moyennes à légères : les surdités de transmission par otite
moyenne chronique en milieu scolaire
L'otite moyenne chronique de l'enfant est responsable de la majorité des surdités légères
ou moyennes de la période préscolaire ou scolaire au Nigeria 106 . Une prévalence de 18,7%
d’otite moyenne chronique était retrouvée chez 359 enfants scolarisés et âgés de 4 à 11 ans.
La deuxième cause était le bouchon de cérumen avec 13,9% d’enfants hypo-acousiques. La
surdité en milieu scolaire africain, peu dépistée, constitue un handicap silencieux. Dans une
enquête prospective en Sierra Léone, SEELY et al 107 observaient dans une population de
2015 enfants âgés de 5 à 15 ans une prévalence de 9,1% de surdité modérée et légère contre
0,4% de surdité profonde. La présence d’une otorrhée supérieure à 1 mois sur otite moyenne
chronique constituait un facteur de risque avec un odds ratio de 23,3.
105
Marsot-Dupuch K. Imagerie de l’oreille interne: aspect normal et pathologique. Encycl Méd Chir (Elsevier,
Paris), Oto-rhino-laryngologie,20-047-A-10,1999,16p.
106
Olusanya BO, Okolo AA, Ijaduola GTA. The hearing profile of Nigerian school children. Int J Pediatr
Otorhinolaryngol 2000;55:173-9
107
Seely DR, Gloyd SS, Wright AD, Norton SJ. Hearing loss prevalence and risk factors among Sierra Leonean
children. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 1995;121:853-8
46