"L'appropriation des TIC par les diasporas : analyse des répercussions potent...
"Les TIC : un nouvel outil pour les diasporas - L'exemple des pratiques et usages des clients "d'Hackney.com" à Londres", 12.2006
1. UNIVERSITÉ DE TOULOUSE-LE MIRAIL / U.F.R Sciences Economiques et Sociales
DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE ET AMÉNAGEMENT
Mémoire de MASTER 1
Mention GÉOGRAPHIE ET AMÉNAGEMENT
Année universitaire 2005-2006.
Les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) : un
nouvel outil pour les diasporas
L’exemple des pratiques et usages des clients « d’Hackney.com » à Londres
Préparé par Jonathan Stebig
Sous la direction de Yveline Dévérin
Soutenu le 1 décembre 2006,
devant un jury composé de Yveline Dévérin, Jean-Jacques Guibbert et Emmanuel Eveno
2. Citation : « Hier, immigrer et
couper les racines ; aujourd’hui : circuler
et garder contact. Cette évolution semble
marquer un nouvel âge dans l’histoire des
migrations : l’ère du migrant connecté
(Diminescu, 2002)
2
3. Remerciements :
Je voudrais tout d’abord remercier le système universitaire français, sans lequel je n’aurais
jamais pu passer une année à Londres, le terrain qui a fait l’objet de mon mémoire.
L’attribution des bourses du conseil régional, du ministère de l’éducation, du CROUS et
accessoirement d’ERASMUS, m’a donné un capital indispensable pour m’installer à Londres.
Ensuite, je voudrais adresser un grand merci à Mme Yveline Dévérin, sans qui je n’aurais
jamais pu réaliser ce travail, et ce pour plusieurs raisons :
-Elle m’a tout d’abord suivi tout au long de la construction de mon mémoire, répondant à
toutes mes interrogations dans des délais très brefs.
-Elle m’a fourni une documentation non négligeable sur les questions des TIC.
-Elle m’a donné le contact de Dana Diminescu, un auteur clef dans la réalisation de mon
travail. En effet, ma rencontre avec elle a été très précieuse dans la recherche d’appuis
théoriques pertinents à mes analyses.
Je voudrais aussi remercier tous les étudiants résidents à Connaught Hall (mon logement)
avec qui j’ai pu perfectionner mon anglais tout au long de ce voyage, et qui m’ont donné une
plus grande assurance pour entreprendre un réel travail de terrain.
Dans un tout autre registre, je me sens obligé de saluer la culture musicale londonienne, à la
fois très ouverte et très pointue, à travers laquelle j’ai pu me détendre, pour entretenir une
certaine motivation pour ce travail de mémoire.
Internet : outil de travail indispensable dans la construction de mon travail, support grâce
auquel j’ai pu entretenir un suivi avec Mme Dévérin, accéder à des ressources
bibliographiques et visiter les sites Internet fréquentés par les migrants.
Tous les clients « d’Hackney.com », qui sont en quelques sortes le fondement de mon étude.
Mais plus qu’une population d’enquêtés, ces gens sont devenus de véritables amis, avec
lesquels j’espère garder des relations. Je voudrais remercier particulièrement Michael, qui a
fait de son cybercafé un endroit très personnel, et qui m’a accueilli très chaleureusement.
Les professeurs et élèves de UCL en Géographie, avec lesquels j’ai pu entreprendre des
discussions sur mon sujet d’étude, et remettre en question certains aspects de mon analyse.
Enfin, je voudrais remercier mes parents, qui m’ont soutenu tout au long de l’année. Ils m’ont
avant tout offert l’opportunité de voyager et d’ouvrir mon esprit vers d’autres cultures. Mes
voyages au Burkina Faso et au Mali sont d’ailleurs à l’origine de mon grand intérêt pour le
continent africain.
3
4. Table des matières :
I) Introduction………………………………...……………………..8-13
II) Méthodologie et démarche…………………………..…...…..…13-34
1) Les TIC : un outil efficace pour les diasporas…………...………13-17
2) Londres : un terrain particulièrement pertinent pour cette
problématique…..……………………………………...………….17-34
a) Présentation du terrain : de l’Angleterre au cybercafé
« d’Hackney.com »…………………………………………………….19-21
b) L’approche du terrain et des populations : entre prise de contact et
observation……………………………………………………………..22-25
c) Réalisation, retranscription et utilisation des entretiens…………....25-29
• Construction des supports pour la réalisation des entretiens.....................25-27
• Réalisation des entretiens……………………………………………………..28
• Utilisation des entretiens dans l’analyse thématique……………………..28-29
d) Le travail bibliographique et la recherche d’appuis théoriques aux
analyses pratiques…………...……………………………………...…29-34
• La fixation des contours du sujet d’étude……...…………………………29-30
• La définition des thématiques abordées………………...…………………30-33
• Les appuis théoriques de l’ analyse pratique…………….……….………33-34
III) Analyses thématiques…………………………………………...35-85
1) Le cybercafé comme lieu de solidarité et d’intégration sociale :
véritable carrefour de l’information……………………………..35-47
4
5. a) « Hackney.com », un cybercafé aux allures de centre
d’intégration et de solidarité intercommunautaire……..36-39
-« Hackney.com » : un exemple de mixité culturelle……………………………………..36-37
-« Hackney.com » : un espace ouvert au dialogue, à l’entraide et à la solidarité……........37-38
-« Hackney.com » : cybercafé dans son intitulé, bien plus dans ses fonctionnalités……...38-39
b) Le cybercafé : un centre décentralisé………………….…39-43
-Un véritable carrefour de l’information……………………………………………….....40-41
-Espace générateur d’une « identité décentralisée »……………………………………....41-43
c) Le maintien des relations avec le pays d’origine………..43-46
-Dans l’espace d’accueil : le moyen de contact privilégié…………………………………...44
-Dans le pays d’origine : un usage collectif, une distribution géographiquement inégale..45-46
• L’email : une adresse collective
• Des cybercafés très inégalement répartis sur le territoire
2) Les TIC : un outil d’intégration, d’intégrité sociale et d’organisation
économique…………………………………..…………………….47-61
a) Au niveau local, les TIC comme outil d’organisation
économique et sociale……………………………………48-52
-Le téléphone portable, un moyen de contourner les démarches institutionnelles
d’intégration……………………………………………………………………………….49-50
-Le téléphone portable : l’adresse virtuelle et informelle du migrant……………………..50-51
-Des habilités relationnelles qui peuvent se transformer en compétences productives........51-52
5
6. b) Au niveau transnational : les TIC comme support de
l’intégrité identitaire et de l’activité économique……...52-59
-L’espace virtuel transnational : outil de pérennisation identitaire…………..…………....53-56
-Internet : support de l’organisation économique des diasporas encore limité……….…...56-59
• Une organisation économique transnationale encore très sporadique…………...56-57
• Un moyen d’orienter les fonds transférés dans le pays d’origine..………………57-59
3) Les TIC : un support de liberté d’expression et de militantisme
politique……………………………………………………………61-72
a) Les TIC : symbole de libre accès et de démocratisation de
l’information et de la communication……………………62-65
-Une diffusion mondiale d’évènements très localisés……………………………….……62-63
-Le rôle des diasporas dans la diffusion de l’information sur les réseaux transnationaux…...63
-Un pluralisme culturel source de richesse et de créativité…………………………….…64-65
b) Les TIC : nouveau support de militantisme virtuel ?.......65-70
-Internet : un espace politique aterritorial et transnational………………………………..65-67
-Internet : théoriquement support d’un militantisme virtuel, concrètement plus espace
d’échange et de débat……………………………………………………………………..68-69
-Internet : un terrain de débat qui ne peut se substituer à la lutte sur le terrain…………..69-70
4) Internet : bouleversement des hiérarchies traditionnelles et
des rapports de genres…………………………………………..73-85
a) Les jeunes : un rôle de médiateur entre les communautés
diasporiques et les membres de la famille restés au
pays……………………………………………………......73-78
6
7. -Une meilleure appropriation de l’outil par les jeunes générations……………………….74-75
-Une vision septique de cet outil par les anciennes générations…………………………..75-76
-L’intermédiaire idéale entre la diaspora et le pays d’origine…………………………….76-78
b) Internet : un nouveau média qui risque de remettre en cause
les organisations traditionnelles…………………………..78-84
-Internet ou le bouleversement des rapports entre les générations………………………..78-80
-Le bouleversement des rapports de genre : vers une émancipation de la femme………...80-84
IV) Conclusion……………………………………………………….86-90
-Références bibliographiques …………………………………………………….….…91-97
-Glossaire………………………………………………………………………………….....98
-Liste des sigles………………………………………………………………………………98
-Table des illustrations…………………………………………………………………99-100
-Annexes………………………………………………………………………………..101-128
7
8. I) Introduction.
Dans cette ère de l’information et de la communication, les nouvelles technologies semblent
être à l’origine d’importantes opportunités et ont un impact dans l’organisation des diasporas.
Tout au long de ce travail, nous nous attacherons à faire ressortir les différents domaines dans
lesquels les TIC sont à l’origine de ces changements. L’arrivée de nouvelles conceptions
concernant la migration nécessite cependant de nouvelles approches géographiques. Ainsi,
nous mettrons en relation les changements qu’a entraîné l’utilisation accrue des TIC par les
différentes diasporas avec ces nouvelles notions et mettre en avant les méthodes qui sont plus
appropriées pour étudier les phénomènes de migration d’aujourd’hui.
Commençons ce travail en établissant une comparaison entre deux façons de définir la
migration : celle de Pierre Bourdieu et celle de Dana Diminescu, qui montrent parfaitement
l’évolution de penser la migration, représentant le migrant de façons très différentes.
Bourdieu défini le migrant comme un individu qui serait ni citoyen ni étranger, ni moi ni
autre, à la fois absent dans le pays d’accueil comme dans celui d’origine. Autrement dit,
vivant dans un « no man’s land », à la frontière de l’être et du non être social, résumant
parfaitement la vision de la littérature sur les migrations durant le siècle dernier.
A l’inverse, Dana Diminescu définit aujourd’hui le migrant comme apte à développer des
relations de proximité (grâce à des outils comme les e-mails, le téléphone portable, ou encore
Skype1) dans un réseau transnational, entre des places géographiquement distantes.
Par l’intermédiaire des TIC, le migrant développe une « culture du lien » qu’il entretient dans
sa mobilité.
Grâce aux outils d’information et de communication, le migrant a aujourd’hui la capacité de
s’approprier le réseau dans lequel il s’inscrit, et d’en tirer avantage pour son intégration dans
le pays d’accueil. Il entretient par ailleurs des liens réguliers avec son pays d’origine.
L’espace d’appartenance n’est plus exclusivement le territoire; le migrant établi des relations
de proximité qui sont moins d’ordre physique, mais plus de l’ordre du virtuel. En d’autres
termes, l’identité du migrant se construit autour d’une articulation entre cette connectivité
transnationale, son territoire d’accueil, et sa terre natale.
Reprenons une citation de Abdelayek Sayad2 : « le paradoxe de la science des migrations,
c’est qu’elle est une science de l’absence et des absents » (Diminescu, 2006). Cette vision des
1
: Skype : système de téléphonie par Internet : très utilisé par les migrants qui n’ont qu’une connaissance infime
de l’anglais écrit, les conversations orales étant donc très souvent bien adaptées. Cependant, la nécessité de se
retrouver au même moment dans les « lieux de connexion » fait que cet outil n’est utilisé qu’occasionnellement.
8
9. phénomènes migratoires définie par une série de ruptures entre l’homme et son milieu semble
aujourd’hui remise en cause, puisque basée sur des critères physiques. L’ère de l’information
et de la communication permet au migrant de s’identifier à un espace élargi, qui dépasse les
frontières physiques. Il est aujourd’hui dans un contexte d’hyper mobilité, qui est à la fois
physique, imaginé, et virtuel.
Par l’intermédiaire des TIC, nous assistons au développement d’une « communauté en
ligne ». Les sites d’informations sur la situation au pays d’origine ainsi que sur les
événements à venir dans les différents pays de résidence de la communauté, les journaux
publiés en ligne, les forums de discussion et les e-mails sont à l’origine d’une prise de
conscience de l’appartenance à un groupe diasporique. Les TIC (Internet en particulier)
deviennent un media alternatif à part entière, permettant aux migrants de mettre en relation les
sphères publiques avec les sphères privées (mouvements associatifs, militants politiques,
scientifiques…etc.), et de s’organiser comme une « nation » indépendante dans un espace
virtuel, créant par la même une source de vitalité au sein de la communauté réelle. Qui plus
est, cette communauté virtuelle intègre tous les membres de la diaspora souhaitant faire partie
de cette espace, étant un lieu ouvert ; la relative libre expression permet à tout individu
d’exprimer sa propre vision de sa « nation » et de l’organisation de cette dernière. Le
caractère « multi ethniques » laissant place à l’expression individuelle au sein de cette
communauté est un phénomène diamétralement opposé aux représentations des diasporas
dans les médias classiques (journaux, TV), qui sont présentées comme des communautés
harmonieuses et homogènes. Le migrant se retrouve donc dans un système de représentations
sociales positives.
Le développement d’une « communauté en ligne » est un pilier pour la pérennité de la
diaspora. Les migrants de deuxième génération, nées sur sol étranger, a priori moins liés à
leurs cultures d’origines, et leurs racines en général, se retrouvent submergés par ce vaste
réseau d’information et de communication qu’ils articulent autour de leur propre identité.
Ainsi, bien qu’intégrés à la société d’accueil, ils restent, par l’intermédiaire de cet outil,
continuellement imprégnés par cette culture qui est la leur.
L’usage avéré des e-mails par les migrants est d’ailleurs très significatif de ce lien réel.
L’utilisation de ce service représente 85 % de l’usage que font les migrants d’Internet
2
: Chercheur au CNRS depuis 1977, il est nommé Directeur de recherche en sociologie. Il a notamment
récemment publié : « The suffering of the immigrants » [la souffrance des immigrés]. Polity press, 2004.
360 p.
9
10. (Georgiou, 2002 [a]). Moyen de communication privilégié entre personnes géographiquement
éloignées, il est très facile à utiliser comme très facile d’accès (cybercafé). Utilisé autant pour
donner des nouvelles aux membres de la famille restés au pays que pour entretenir des
contacts avec les autres places de la diaspora, cet outil se démocratise à un rythme effréné
dans les communautés de migrants. C’est ainsi qu’aujourd’hui on retrouve, grâce aux e-mails,
mais aussi Messenger, Skype, ou le téléphone portable, de plus en plus de migrants qui font
une utilisation banale de ce moyen de communication, en ce sens qu’ils parlent de leur vie de
tous les jours, leurs expériences et les anecdotes, comme dans des relations de proximité. Par
l’intermédiaire des TIC, s’installe une sorte de ciment relationnel avec des personnes
physiquement absentes, mais affectivement très proches.
C’est en ce sens que l’email comme le téléphone, devient un outil stratégique, une arme pour
les migrants (et plus particulièrement les clandestins). Ces outils de communications
représentent la nouvelle adresse virtuelle du migrant, sorte de « secrétariat du pauvre »
permettant de contourner une intégration institutionnelle de plus en plus difficile, et de
s’organiser une vie en société.
Afin d’ouvrir cette présentation sur la suite de mon travail, je vais maintenant énumérer les
différentes hypothèses de départs, à travers les thématiques que j’aborderai plus loin.
L’analyse est découpée en quatre parties thématiques, traitant des opportunités et des impacts
d’Internet dans les diasporas :
-Première thématique : le rôle central du cybercafé.
Ce lieu, a priori marqué par des comportements individualistes, où chacun est concentré sur sa
machine, préoccupé par ses propres intérêts, peut il se convertir en un lieu d’échange,
d’entraide et de solidarité, qui deviendrai en un sens, le ciment social du migrant ? Le
cybercafé peut-il devenir un lieu d’intégration multiculturel, dépassant les appartenances
intracommunautaires ?
A un autre niveau, c’est ici que se réalise l’essentiel des prises de contact avec le territoire
d’origine, ainsi qu’avec les différentes places de la diaspora. Nous sommes donc face à un
lieu d’articulation entre les échelles locales (solidarité entre migrants), nationales (contact
régulier avec le pays d’origine) et transnationales (connexion entre différentes places de la
diaspora). Le cybercafé ne serait-il pas le véritable « carrefour » de l’information et de la
communication pour les communautés de migrants ? L’usage massif de ce moyen d’accès à
Internet devenant en un sens, la colonne vertébrale organisationnelle de la diaspora.
Enfin, l’implantation limitée du réseaux Internet en Afrique ne risque t-elle pas de perturber le
système d’échange et de relation sur lequel s’organisent les diasporas ?
10
11. -Deuxième thématique : l’usage des TIC comme outil d’intégration sociale, et
d’organisation économique.
L’usage des TIC dans le pays d’accueil pourrait devenir un réel moyen, pour le migrant, de
contourner les procédures institutionnelles classiques. Inscrit dans des réseaux relationnels
connectés, il sera en mesure de développer des activités productives. Le téléphone portable
devient la principale arme d’intégration, grâce laquelle le migrant pourra trouver une certaine
stabilité liée à sa mobilité et à sa connectivité.
A une échelle transnationale, l’implication du migrant dans des réseaux transnationaux lui
permettra d’entretenir une identité particulière, caractérisée par l’articulation entre
l’installation dans le pays d’accueil, l’implication dans les réseaux transnationaux et
l’entretien d’une mémoire commune symbolisée par le pays d’origine.
Par la mise en commun des informations, les migrants ont de nos jours une vision globale de
la situation économique, permettant ainsi d’accroître les opportunités commerciales au sein de
la diaspora. L’accélération des échanges, l’effacement des frontières comme des distances
offerts par le réseau Internet sont autant d’éléments qui s’avèrent déterminants dans
l’organisation économique de ces communautés. Les connexions régulières avec le pays
d’origine représentent le moyen le plus efficace de réaliser des transferts d’argent sécurisés,
tout en gardant un contrôle sur l’investissement fait des fonds transférés.
-Troisième thématique : l’émergence d’un nouveau support de conscience politique
pouvant déboucher sur des actions politiques.
La démocratisation de l’information et de la communication permet au migrant de s’intégrer
dans un espace de dialogue, d’échange et de débat relativement libre d’accès, ce que ne
permettent pas les médias classiques (dans lesquels la diffusion de l’information est
unilatérale).
Cette démocratisation articulée avec les connexions transnationales des migrants est à
l’origine d’une diffusion de problématiques localisées (pays d’origine) dans un système
d’information mondialisé.
Internet offre pour les acteurs de la vie politique un terrain de lutte contre les pouvoirs en
place dans les pays d’origine, un moyen de contourner le contrôle des Etats, et d’organiser des
actions de manière décentralisée. Ce nouveau territoire d’activité politique, à la fois
déterritorialisé (dans le sens ou le militant n’est pas sur le terrain) et inter relié (avec les
différentes places de la diaspora et les acteurs restés au pays) offre des opportunités d’action
plus englobantes. L’interaction entre les différents ancrages de la diaspora, tous orientés vers
la situation politique dans le pays d’origine, permet d’avoir un rayon d’action plus large, et
11
12. d’être entendu au sein de la communauté internationale. Ce terrain de lutte « virtuel »
correspond à une nouvelle forme de militantisme, moins révolutionnaire, pacifiste, et organisé
transnationalement.
- Quatrième thématique : le bouleversement des hiérarchies et des rapports humains.
Le contact entre les membres de la diaspora et le pays d’origine passe par « un médiateur »
qui joue le rôle d’intermédiaire. Les nouvelles générations dans le pays d’origine ont souvent
suivi des études, parlent et lisent un minimum l’anglais, se retrouvant ainsi mieux placées
pour jouer ce rôle d’intermédiaire.
L’arrivée de ces nouvelles générations et le rôle nouveau qu’elles sont amenées à jouer dans
l’articulation entre les communautés diasporiques et le pays d’origine risque d’entraîner de
profonds bouleversements dans les organisations traditionnelles.
L’implication de ces nouvelles générations dans l’utilisation d’Internet, ainsi que l’ouverture
vers le monde extérieur qu’il propose, provoque un décalage important avec les anciennes
générations qui elles, ne sont pas nées avec cet outil. L’accès à l’information ainsi que les
connexions avec l’extérieur sont à l’origine d’une opposition au pouvoir des anciens, dont le
savoir est remis en cause par les jeunes.
La place de la femme est aussi bouleversée. En effet, elle se trouve souvent impliquée dans
l’organisation économique, et est en liaison avec les membres de la diaspora. L’accès à
Internet leur permet enfin d’avoir une vue sur la situation extérieure, ainsi que sur la place de
la femme dans les autres sociétés. Les femmes se retrouvent plus impliquées dans
l’organisation économique de la société et développent des perspectives d’avenir souvent
tournées vers l’extérieur.
Pour clore cette introduction générale sur l’usage des TIC, il serait bon de rappeler
qu’une infime partie de la population mondiale utilise Internet. Qui plus est, une part
importante de ceux qui utilisent le Net ne le fait pas à des fins pratiques, mais plus pour le
loisir. Ceci pour dire que le profit, dans l’immédiat n’est qu’encore très peu évident pour les
communautés de migrant.
De plus, il faut rester aussi sensible aux risques d’exclusions et de ségrégations qu’aux
possibilités de pérennisations de l’identité et de démocratisations de l’usage du Net dans les
diasporas. Bien que ce soit moins le cas que dans les médias classiques, la pauvreté,
l’exclusion sociale et la faiblesse du capital culturel constituent encore d’importantes
barrières.
12
13. Les TIC représentent un support d’intégration et d’organisation qui s’avère essentiel pour les
diasporas, encore faut-il qu’elles parviennent à se l’approprier, de façon à en faire un usage
juste, équitable et bénéfique pour tous.
II) méthodologie et démarche.
1) Les TIC : un outil efficace pour les diasporas.
Dans cette partie, nous tenterons de définir le terme « diaspora », tel qu’il sera utilisé tout
au long de l’analyse qui suivra. L’usage généralisé et abstrait de cette notion, selon les auteurs
et les époques, ne facilite pas son emploi. Avant de soumettre une définition personnelle, nous
nous appuierons sur les écrits de quatre auteurs, qui ont remis en question beaucoup de
caractéristiques passées qui ne sont plus compatibles avec le quotidien des groupes de
migrants considérés comme diaspora.
Longtemps utilisé pour désigner la Diaspora juive, le terme s’est étendu à tout types de
populations disséminées et dont la dispersion fut d’origine contrainte, avec pour corollaire une
conscientisation de leurs origines et appartenances communes (Cohen, 1997).
Avec l’avènement de l’ère de l’information et de la communication, la notion de
« communauté diasporique » se voit sensiblement remaniée. Bien que l’organisation en réseau
ait toujours été une caractéristique centrale propre à toute diaspora, l’usage des TIC permet
des rapports plus rapides et réguliers, renforçant ainsi les liens entre différentes « places » de
la communauté.
Afin de bien rendre compte de cette nouvelle dimension, nous allons nous concentrer sur les
travaux de Cohen (1997), qui a construit son analyse à partir des écrits de Marienstras (1988),
Safran (1991) et Brah (1996). Leurs analyses se rapprochent sensiblement de la façon de
percevoir une diaspora aujourd’hui.
Selon Cohen, l’existence d’une diaspora et sa conscience d’exister en tant que tel, dépend
d’une articulation aiguë entre un imaginaire populaire, et une approche académique.
Autrement dit, le groupe doit être conscient d’exister, développer une mémoire collective et
l’entretenir afin de pérenniser son existence. Parallèlement à cette conscience commune, les
associations, ainsi que les intellectuels doivent mettre en place des structures et des
programmes renforçant ce sentiment d’appartenance. L’histoire et le vécu migratoire de la
13
14. communauté (apprentissage de la langue, de la culture…) doublés par un encadrement
académique maintiennent les populations dans cette appartenance commune.
Cohen a donc établit neuf critères pour définir ce qu’est une diaspora3, ainsi qu’un principe de
catégorisation, afin de différencier les types de diasporas qui peuvent être « victim
diasporas », « labour and imperial diasporas », « trade diasporas », ou enfin, « cultural
diasporas »4.
Cependant, cette catégorisation semble trop générale, dans la mesure où certaines catégories
de diasporas pourraient être divisées en sub-groupe, comme par exemple les « victim
diasporas », qui ont effectivement été victimes de catastrophes naturelles, ou de violences, ou
de guerres civiles, ou de génocides, ou même être des descendantes de la période de
l’esclavage.
Une seconde dimension primordiale qui semble négligée dans l’analyse de Cohen est le
rapport au pouvoir, dans le pays d’accueil. La plupart des diasporas ont à faire face à des
problèmes d’intégration, d’exclusion et de discrimination.
Les travaux de Safran (1991) qui ont influencés l’analyse de Cohen ont en un sens bien
intégré cette notion de rapport de pouvoir dans le territoire d’accueil. Safran établit quatre
critères essentiels pour la définition de toute diaspora :
-Une population dispersée
-Une mémoire collective (au sens d’un mythe)
-Des croyances et cultures pas complètement acceptées dans le pays d’accueil
-Une terre d’origine idéalisée, avec un mythe du retour (pas forcement vécu, mais imaginé)
Il ajoute à ces quatre critères la nécessaire mobilisation de la communauté dans le maintien, la
sauvegarde et la prospérité de leur culture commune.
L’analyse de Brah (1996) apporte un dernier élément incontournable pour la définition d’une
diaspora à l’ère de l’information et de la communication. Selon lui, l’idée d’une origine fixe et
3
: traduction :
1-Départ d’une terre d’origine, souvent traumatique, dans deux pays étrangers au minimum.
2-Départ souvent déterminé par des objectifs économiques, de commerces ou toute autre opportunité.
3-Une mémoire collective de la terre d’origine, par rapport à l’histoire et à la construction de la nation.
4-Une idéalisation de la terre ancestrale, ainsi qu’un engagement collectif pour son entretien, sa restauration,
son dynamisme et même sa continuelle création.
5-Des retours réguliers qui entretiennent cette conscience collective.
6-Une conscience ethnique fondé sur une longue période de différentiation, d’histoire commune, et la
croyance dans une destinée commune.
7-Des relations problématiques avec les sociétés d’accueils, en raison du manque de reconnaissance, qui
mettent les groupes continuellement sous pression.
8-Relations et solidarités avec les autres membres de la diaspora installés dans d’autres pays.
9-La possibilité d’une vie créative et enrichissante dans le pays d’accueil, avec une grande acceptation du
pluralisme.
4
: diasporas de victimes, diasporas intellectuelles du travail, diasporas commerciales, diasporas culturelles.
14
15. d’une « communauté homogène » est erronée. Il considère l’appartenance diasporique
comme un mélange, sorte d’amalgame fait entre individus dont les croyances peuvent
diverger, dans le temps et dans l’espace. C’est par cette hétérogénéité que le groupe sera apte
à évoluer, continuellement produire et reproduire son identité, afin de s’adapter dans des
situations de relocalisation et de mixité culturelle. En d’autres termes, c’est la diversité du
groupe dans le temps et dans l’espace qui va permettre d’assurer son adaptation à des
environnements constamment fluctuants, et ainsi assurer sa continuité.
A travers le travail de ces quatre auteurs, nous avons établi un ensemble de douze critères, à
partir desquels nous nous appuierons pour définir une diaspora :
-1 : Un groupe de personnes dont une partie des ancêtres ou eux même ont été dispersés de
la terre d’origine.
-2 : Cette dispersion s’est faite dans plus d’un pays étranger, en ce sens elle est
transnationale.
-3 : Une histoire commune au sens fort par rapport aux raisons de la dispersion (guerre,
famine, pauvreté, génocide).
-4 : Une mémoire collective de la terre natale, sorte d’idéologie, d’imagination commune.
-5 : Un mythe du retour qui soit plus imaginé que réellement désiré.
-6 : Des relations contradictoires avec les membres de la famille restés au pays. Du fait de
leurs nouvelles expériences et de leur nouvel environnement, ils sont différents, laissant
apparaître certaines tensions.
-7 : Une intégration difficile et trouble dans la société d’accueil, où ils font souvent face à
des menaces d’exclusions.
-8 : Une solidarité et une appartenance aux autres fractions de la diaspora, formant une
« communauté virtuelle ».
-9 : Cette « communauté virtuelle » devenant à la fois décentralisée, et multi centralisée.
-10 : Il n’y a ni origine, ni destination fixe, l’identité diasporique se formant dans la
mobilité avec pour corollaire le fait d’être d’ici, de là-bas, et d’entre les deux.
-11 : Le rôle des médias et des TIC est devenu central dans l’image et l’imaginaire d’une
appartenance qui se perpétue.
-12 : La communication, la virtualité et la croissante mobilité sont responsables de la co-
existence d’un espace vécu de la diaspora au niveau local, national, et transnational.
Afin d’être plus synthétique, voici une définition du terme de « diaspora », à laquelle nous
nous référerons tout au long de ce travail :
15
16. Un ensemble de relations vécues ou imaginées entre personnes d’origine commune
géographiquement éparpillées, qui par la communication et l’échange parviennent à
faire advenir une « hybridité », amalgame permettant d’atténuer la diversité et
d’encourager l’hétérogénéité au sein du groupe en question. C’est en ce sens qu’un
membre d’une diaspora n’est pas nécessairement migrant ; quelqu’un née dans le
pays d’accueil, dont le sentiment d’appartenance au groupe est entretenu, peut se
considérer comme membre nonobstant de cette « communauté », au même titre que
celui contraint de quitter son pays d’origine. L’appartenance diasporique est plus
imaginée que vécue, basée sur des croyances autant que sur de réelles expériences.
C’est par la continuelle reproduction à travers le temps et l’espace de cette
appartenance collective que le groupe existe.
Nous sommes face à une remise en cause profonde de cette notion dualiste très fréquente dans
les études sur les migrations, qui met l’accent sur des phénomènes d’assimilation, et de perte
de racine, et qui ne semble plus s’appliquer au phénomènes actuels de la migration.
Aujourd’hui, une diaspora se définie par la multitude de ces points de départs, de destinations,
une mobilité constante et un dynamisme, autant d’élément lui permettant de s’adapter à des
environnements réels tout en gardant un sentiment d’appartenance entretenu dans un espace
virtuel.
L’existence de ces réseaux d’appartenance transnationaux met en valeur le dépassement des
frontières spatiales. A l’inverse, l’identité, dans une conception classique, se rattache très
souvent à une appartenance territoriale. Les membres d’une diaspora se reconnaissent dans un
espace déterritorialisé, dans le sens où ils construisent leur identité dans un espace virtuel, où
les notions d’image et de mémoire communes sont primordiales (la représentation de la terre
d’origine comme base de leur identité est idéalisée et matérialisée, mais pas obligatoirement
vécu). Chaque individu se retrouve intégré dans un environnement particulier. Eloignés
géographiquement les uns et des autres, mais inter reliés dans cet espace déterritorialisé qu’est
le Net, ils peuvent entretenir des rapports de proximités.
C’est essentiellement à ce niveau que les TIC ont un impact énorme sur l’organisation des
diasporas. Les outils de communications jouent un rôle d’articulation entre des espaces
éloignés, mais virtuellement liés et interpénétrés. Ce qui remet considérablement en cause les
notions de frontières fixes entre deux mondes distincts et imperméables l’un de l’autre, entre
des identités propres à chaque environnement. Un migrant peut se sentir intégré dans son pays
d’accueil (échelle locale), construire son identité par rapport à des images et des croyances
16
17. collectives concernant son milieu d’origine, et entretenir ce sentiment d’appartenance par la
communication et l’échange avec d’autres membres de la diaspora géographiquement
dispersés (échelle transnationale).
2) Londres : un terrain particulièrement pertinent pour cette problématique
(voir carte n°1 page 17).
Carte n°1 : Carte de l’agglomération londonienne (extraite du site : www.quid.fr//monde).
Dans la présentation de ma démarche de travail, je vais donner une vision de mon
approche du terrain d’étude qui est Londres. Quelques informations concernant cette ville
17
18. permettrons de mieux situer les minorités et de mieux contextualiser leurs organisations.
Ensuite, nous nous concentrerons sur l’approche du terrain, et sur les populations étudiées ;
tout en essayant de faire ressortir les méthodes entreprises pour entrer en contact avec les
communautés de migrants. Il s’agira par la suite de se concentrer sur les entretiens réalisés sur
le terrain ; de la progressive construction des guides d’entretiens, jusqu’aux choix de
retranscriptions intégrées dans les annexes. Enfin, je retracerai l’approche bibliographique du
sujet d’étude, en essayant de faire ressortir les méthodes de lecture entreprises afin d’arriver à
une littérature précise concernant les questions étudiées.
Commençons cette partie de méthodologie en nous focalisant petit à petit sur le quartier
d’Hackney dans lequel j’ai réalisé ce travail. Celle-ci servira à montrer mes premières idées
sur Londres, qui ont initialisé ce travail ainsi que les différentes caractéristiques du pays et de
cette ville qui l’ont orienté.
Le choix du terrain d’enquête s’est essentiellement dessiné en rapport à deux éléments
représentatifs de la Grande-Bretagne.
Tout d’abord, en tant qu’ancien pays colonisateur, la Grande-Bretagne représente depuis les
années 1850 une terre d’attraction privilégiée pour les migrants. En effet, depuis la révolution
industrielle, les flux migratoires en direction de ce pays sont importants, offrant un choix très
large vis-à-vis des communautés à étudier. Bien que les politiques d’immigration en
Angleterre soient depuis quelques années bien plus restrictives (régularisation des sans
papiers…) et indépendantes des directives européennes concernant l’espace Schengen ; c’est
une terre qui reste particulièrement marquée par une importante population d’origine
étrangère (« Commonwealth »). Ce point rejoint ainsi le deuxième paramètre déterminant dans
le choix du terrain : l’Angleterre pouvait sembler, vu de France, comme un pays avec un haut
niveau d’intégration et de multiculturalisme. Le contexte de « multi ethnicité » résultant du
besoin de main d’œuvre immense au lendemain de la guerre, a poussé tout naturellement les
britanniques à se tourner vers le vaste réservoir du « Commonwealth », un élément clef pour
analyser la vie des minorités sur le sol anglais. La diversité des langues et des religions
reconnues dans la législation anglaise contraste parfaitement avec le système républicain
français basé sur la laïcité, ou le système allemand sur la consanguinité (Kastoryano, 2004).
Dans ce contexte culturel très diversifié, les phénomènes de racisme et d’exclusion sociale
s’expriment différemment.
Dans le cadre de cette recherche mettant en interrelation les comportements des migrants sur
les trois échelles d’analyses qui sont locales, nationales et transnationales ; l’Angleterre
représentait le terrain le plus approprié afin de comprendre les comportements des migrants au
18
19. niveau local et national, dans lequel ils sont intégrés, tout en élargissant mon objectif sur les
connexions qu’ils entretiennent à des échelles plus petites.
Afin d’être plus précis, ciblons maintenant cette présentation générale sur Londres, ville
dans laquelle s’est établie cette recherche. Dans le but de faire ressortir la concentration de
minorités établies à Londres, nous nous appuierons sur un seul chiffre : en 2001, sur trois
millions de minorités ethniques recensées en Angleterre, un million et demi sont à Londres
(Georgiou, 2002 [b]). (Voir carte n°2 page 20).
Au sein de l’ensemble des minorités, la « communauté » noire africaine ne représente que 0,3
pourcents des groupes recensés en 2000, composée essentiellement de minorités originaire
d’Angola, d’Egypte, d’Erythrée, du Ghana, de Gambie, du Kenya, du Nigeria, de Sierra
Leone, de Tanzanie, et du Togo ; les ghanéens représentant le groupe le plus important avec
291 000 membres, (Georgiou, 2002 [b]).
Les premières observations sur le terrain, ainsi que certaines lectures, notamment Myria
Georgiou qui a beaucoup travaillé sur les notions d’identité et d’intégration des minorités en
Angleterre, ont permis de remettre en cause cette idée qui décrit l’Angleterre comme un pays
de multiculturalisme « institutionnalisé ».
A partir de mes analyses élaborées avant de commencer les recherches sur le terrain, j’ai
décidé de travailler sur une communauté « noire » vivant à Londres.
a) La présentation du terrain d’étude : De l’Angleterre au cybercafé
« d’Hackney.com ».
Les modes de recensement des minorités établis en 2001 étaient basés sur des notions
de races, ce qui regroupe souvent des migrants d’origines nationales différentes dans une
même minorité ethnique. La NACEM (« National Advisory Council for Ethnic Minority »5),
un organisme chargé de l’intégration, du recensement et de la défense des droits des
minorités, reflète parfaitement ce travers de généralisation sur les différentes cultures
africaines présentent à Londres. La plupart des études issues de cet organisme sont basées sur
des enquêtes et des analyses réalisées auprès des élites de chaque minorité. La majorité des
5
: traduction : Conseil National des Minorités Ethniques
19
20. Carte n°2 : La répartition des communautés noires Africaines à Londres (extrait de « the Guardian »
21/01/05 : « The world in one city »).
20
21. communautés peu intégrées, et donc isolées sur le sol londonien, n’est pas pris en compte
dans ces analyses. Ainsi, les résultats ne sont que partiellement représentatifs de la réalité
ethnique de cette ville. Les élites en question, souvent présentes depuis plusieurs générations
en Angleterre, et de ce fait intégrées institutionnellement et aussi culturellement, se
définissent plus comme étant anglaises (bien que revendiquant toujours leur appartenance à
leur pays d’origine). L’intégration en question se rapproche donc plus d’une assimilation des
élites qui sont minoritaires, ont réussies leur implantation, et ont leur place dans la société ;
une masse importante des minorités ethniques étant encore dans des situations précaires au
niveau de l’intégration « socio-institutionelle ».
Cette vision de Londres comme étant une ville de grande mixité culturelle n’est vrai qu’en
apparence. Après un mois d’observation, j’ai remarqué l’existence de quartiers à dominance
communautaires, bien qu’au sein de ceux-ci, se mélangent différentes nationalités (issues d’un
même continent). Des endroits comme Whitechapel à l’ouest de Londres, à dominante
essentiellement pakistanaise et indienne ; ou Brixton, au sud, plus caraïbes ; ou encore
Hackney, au nord est, essentiellement africain, sont caractérisés par des situations de
regroupements communautaires très marquées. Le contexte est sensiblement différent en
France, où les banlieues ont une autre façon de rassembler les minorités. En effet, les cités
HLM regroupent l’ensemble des populations en situation précaire, essentiellement issues de
l’immigration.
Après avoir visité quelques quartiers de Londres majoritairement « noirs africains »,
comme Stroud Green Road, Canning town, Tottenham, Wembley central (« West African »),
je me suis focalisé sur le quartier d’Hackney, au nord-est de Londres, pour deux raisons
essentielles : la première, d’ordre pratique, réside dans le fait que ce quartier n’était pas très
excentré, ainsi je pouvais m’y rendre plus facilement et plus régulièrement. Ensuite, après
avoir rencontré quelques personnes dans différents quartiers avec qui le contact à été un peu
difficile, et les enquêtes très peu concluantes, il semblait tout naturel d’approfondir mes
enquêtes à Hackney afin de pénétrer réellement au sein de la vie communautaire dans ce
quartier.
Malheureusement, peu de photos ont put être prises dans le site choisi. Afin de donner un
aperçu visuel de mon terrain d’étude, je tenterais d’en rendre compte essentiellement à travers
l’analyse pour essayer de donner l’image la plus juste de ce lieu si peu ordinaire : le
cybercafé.
21
22. b) L’approche du terrain et des populations : entre prise de contact et
observation.
Les trois premiers mois sur le terrain, de octobre à janvier, ont été infructueux. J’ai
commencé par chercher à obtenir des rendez-vous avec des migrants dont on m’avait fourni le
contact. Cependant la fixation de rendez-vous avec des personnes occupées tous les jours à
cumuler les emplois pour simplement survivre s’est avérée très aléatoire.
Ensuite j’ai choisi de partir dans les quartiers à dominante africaine, avec le guide d’entretien,
pour essayer de trouver des personnes dans la rue, les cafés ou les marchés, prêtes à donner de
leurs temps et à répondre à mes questions. Deux sorties à Brixton et à Tottenham furent
infructueuses. Le profil type de migrant que je recherchais, à savoir, d’origine africaine et
utilisateur d’Internet ne courait pas les rues. D’autant plus que les gens n’étaient pas du tout
réceptifs à ma manière d’aborder des sujets assez approfondis avec un inconnu. Le sujet
d’étude ne semblait pas les mettre à l’aise. J’ai donc remis en cause cette méthode trop
directe, et opté pour une autre approche de ces communautés.
Pendant les deux mois suivant, j’ai adopté une méthode d’approche que je qualifierai de
« prise de contact ». Au côté de deux étudiants ghanéens résidant à Hackney, rencontrés à
University College of London (où j’étais moi-même inscrit), j’ai pu dévoiler mes désirs de
rencontrer d’autres membres de cette minorité, et plus particulièrement d’entrer dans leur
« milieu ». Du fait de cette étiquette d’étudiant que l’on avait en commun, le contact s’est fait
relativement naturellement, sans crainte de leur part concernant ma position de « chercheur ».
Ainsi, la peur inhérente à toute population en situation précaire s’est progressivement effacée.
J’ai enfin pu rencontrer différentes personnes d’Hackney avec qui ils résidaient, et donc
appréhender de manière plus précise le sujet de recherche.
Cibler le travail d’enquête sur un public plus précis, et trouver un moyen de rencontrer des
gens dont l’usage d’Internet faisait parti de leur quotidien, représentait l’étape suivante. J’ai
donc entrepris un tour d’horizon des cybercafés fréquentés par des membres de
« communautés » africaines que j’avais préalablement rencontrés.
Finalement, j’ai choisi de me concentrer sur le cybercafé « Hackney.com »6, dans lequel j’ai
passé des journées à « surfer » sur des sites de diasporas africaines comme « Diastode »7 (voir
6
: J’ai changé le nom du cybercafé étant donné que je parle dans ce travail, de pratiques illégales de la part des
migrants dans Hackney.com.
7
: www.diastode.org : Réalisé à l’initiative de membres de la diaspora, et destiné essentiellement aux
communautés vivant à l’étranger, ce site fait office de guide pour le migrant togolais, il peut y faire des
rencontres, trouver du travail, s’informer sur la situation dans son pays, entrer en contact avec différentes
associations dans le monde travaillant sur des sujets qui touchent la communauté migrante togolaise.
22
23. la capture d’écran n°1 page 248), ou encore, des sites d’informations afférents à différents
pays d’Afrique noire. L’objectif de cette prise de contact avec le public a permis de faire
ressortir une minorité sur laquelle j’allais établir mes analyses. Le contact s’est vite établi. Le
simple fait de poser quelques questions au sujet de l’actualité concernant des pays respectifs a
souvent poussé les gens à se livrer plus facilement. Qualifions cette approche de « passive »,
dans le sens où je n’allais pas directement vers les gens, guide d’entretien en main, pour
interroger le premier venu au sujet de mon travail, mais au contraire j’ai adopté une attitude
intéressée mais relativement discrète. Au fur et à mesure, les gens ont commencé à me
connaître dans le cybercafé, le contact est donc devenu plus direct et plus facile.
De plus, je suis arrivé à Londres avec une connaissance de l’anglais très scolaire, et donc
essentiellement écrite et littéraire. L’apprentissage de l’anglais en France ne met que très peu
l’accent sur l’application orale des connaissances, c’est pourquoi la période d’acclimatation à
la langue a été longue. Les premiers contacts étaient donc très limités, les discussions
n’étaient pas réellement en rapport avec le travail en question, mais au contraire très
personnelles, au sujet de nos vies respectives, et de l’actualité ; une sorte de moyen de
travailler l’expression et la compréhension de l’anglais au contact des personnes qui feraient
plus tard l’objet de mes entretiens.
Cette approche, plus amicale que « scientifique », a été très concluante, dans le sens où j’ai pu
établir des relations de confiance, avec des gens qui se livraient de façon sincère, sans trop de
tabou. Au bout d’un mois et demi de fréquentation, le travail d’entretien a réellement pu
débuter dans ce cybercafé.
La démarche s’est donc décomposée en trois principaux temps :
-1 : La « prise de contact » : phase durant laquelle j’ai multiplié les rencontres diverses, afin
de cibler le public qui me paraissait le plus approprié pour le travail de terrain.
-2 : L’approche « passive » : l’arrivé dans le cybercafé comme individu anonyme intéressé, et
ouvert à toute discussion. L’installation à un poste et le « surf » sur des sites d’actualités
africaines, facilitant le contact.
-3 : La création de liens amicaux : après plusieurs semaines passées dans le cybercafé
« Hackney.com », les multiples rencontres m’ont progressivement intégré dans le cercle
relationnel de ce lieu.
8
: Pages de sites Internet à partir du logiciel « capturino 1.4 ».
23
24. Capture d’écran n°1 : Deuxième page de « Diastode » : présentation des domaines d’informations du site, extrait
du site « www.diastode.org ».
Après un mois passé dans ce cybercafé, il était toujours difficile de discerner une
« communauté » en particulier, sur laquelle j’entreprendrai mes recherches. La plupart des
migrants étaient dans une situation sociale précaire, les poussant à étendre leur champ
relationnel à des individus de diverses nationalités, pour pallier aux lourdes et laborieuses
démarches institutionnelles d’intégration.
Ce phénomène était très présent à « Hackney.com », où j’ai vu des migrants venant de
différents pays d’Afrique noire communiquer, s’entraider, et même emménager ensemble afin
de partager leurs expériences et rendre ainsi plus facile leur installation dans la société
anglaise. Il s’est donc agit de remettre en cause les objectifs de départ, et d’axer la recherche
au niveau local, dans ce cybercafé, auprès de migrants venant de différents pays.
Bien que ce choix ne mette pas en valeur l’organisation d’une minorité en particulier, il a
permis de centrer l’analyse sur la fréquentation très hétérogène de ce cybercafé, et de faire
ressortir la solidarité qui s’installe parmi les clients, dépassant le fait de communautés isolées,
24
25. à l’écart les unes des autres. Nous développerons plus loin dans ce travail le phénomène de
solidarité intercommunautaire.
En parallèle à ce développement de relations avec les clients « d’Hackney.com », j’ai passé
l’essentiel du temps à observer. J’ai prêté une attention particulière à noter les relations que
les gens entretenaient, les liens qu’ils tissaient entre eux, afin d’avoir un point de vue peu
impliqué, et comprendre plus simplement le fonctionnement interne à ce cybercafé. Cette
démarche a permis de préparer les entretiens tout en connaissant un minimum l’organisation
et le fonctionnement de ce terrain d’enquête. C’est aussi à travers cette approche que j’ai pu
me rendre compte de la solidarité et de l’entraide qui caractérisait « Hackney.com ». J’ai
parfois passé cinq à six heures, assis au même poste à simplement me balader sur des sites
Internet, tout en restant très attentif à ce qui se passait autour de moi. Il m’est même souvent
arrivé de prendre des notes sur des anecdotes qui m’interpellaient ou des activités annexes qui
s’organisaient. Cette phase d’observation a été essentielle pour mon analyse dans la première
partie thématique, concernant le cybercafé d’Hackney.
c) Réalisation, retranscriptions, et utilisation des entretiens.
• Construction des supports pour la réalisation des entretiens.
La création de mon guide d’entretien a été très longue à se dessiner de façon
définitive, les premières versions n’étant pas concluante.
Au début, j’ai en fait établi mes entretiens par rapport à mes premières lectures, avant de
réellement me retrouvé impliqué avec les communautés de migrants. Les premières sorties à
Brixton ont été un vrai échec. Bien que je n’avais pas vraiment réussi à établir un échange
avec les individus interrogés, je n’ai pas tiré de conclusions trop rapides sur la qualité de mon
guide. Cependant, après quelques premiers essais à Hackney, j’ai compris que mes questions
étaient d’une manière générale, bien trop affirmatives. En fait, je sous-entendais les réponses
que j’attendais dans la formulation de la question, et indirectement, j’exposais mon avis
personnel, ne donnant pas à la personne interrogée la liberté de s’exprimer.
C’est pourquoi j’ai décidé de retravailler mon guide d’entretien, et de le rendre plus objectif,
sans trop faire ressortir mes attentes et idées concernant le sujet. Avec ce nouveau guide
comme support j’ai commencé à enregistrer des entretiens de manière plus régulière et
efficace, c’est à ce moment que j’ai choisi d’utiliser ce guide comme support, en raison des
résultats plus intéressant que j’avais avec les personnes enquêtées.
25
26. Pour mes derniers entretiens enregistrés, je ne me servais de mon guide qu’uniquement pour
réorienter une personne qui commençait à trop s’écarter des thématiques sur lesquelles je
voulais travailler. Par cette méthode, j’ai pu obtenir des informations sur les nouvelles pistes
que je pouvais exploiter dans mon analyse. Le fait de laisser la personne s’exprimer tout en le
canalisant dans les domaines auxquels je m’intéressais s’est avéré très efficace, d’autant plus
que mon attitude paraissait plus naturelle, celle de quelqu’un qui partage une discussion, plus
qu’un enquêteur qui baisse les yeux sur ces papiers toutes les deux minutes, sous forme
d’interrogatoire. J’ai placé en annexe mes deux guides d’entretiens, afin de montrer en quoi
j’avais changé ma méthode d’approche des populations interrogées.
Pour donner un aperçu chiffré de mon travail d’enquête dans ce cybercafé, je vais maintenant
exposer brièvement le nombre d’entretiens réalisés et les origines de chacun des sujets. J’ai
donc, en l’espace de deux mois réalisé vingt-trois entretiens, six avec des ghanéens, quatre
avec des nigérians, quatre avec des togolais, quatre avec des congolais, trois avec des
érythréen, un avec un kenyan, et un avec un tanzanien. L’ensemble de cette échantillon de
sondé étant résidents à Hackney, originaire d’Afrique noire, et client régulier du cybercafé
« Hackney.com ». Afin d’avoir un aperçu représentatif et global de mon public, j’ai fais
attention de travailler avec des femmes comme des hommes, des nouveaux arrivant et des
étrangers nées sur le sol anglais, des personnes au statut social différent (étudiants, ouvriers,
employés, vendeurs sur les marchés…) ainsi que des gens de tout âge (voir tableau n°1 page
27).
A côté de ce guide d’entretien, j’ai essayé de pallier aux difficultés que je rencontrais pour
obtenir des informations statistiques sur la fréquentation d’« Hackney.com », sur les heures de
connexions, les sites majoritairement fréquentés, les attentes des clients, leurs relations avec le
patron…etc. J’ai donc voulu réaliser un questionnaire, qui m’aurait donné des chiffres précis
sur ce cybercafé et sa clientèle, en ayant un échantillon relativement représentatif de
l’ensemble de la clientèle. Cette méthode n’a pas réellement fonctionné, essentiellement parce
que l’échantillon de sondés était vraiment trop faible pour donner un aperçu statistique
pertinent.
J’ai donc choisi de m’orienter essentiellement sur le vécu des clients, leurs relations
dans le pays d’accueil et leurs modes d’intégrations dans la société anglaise. Par la mise en
commun des expériences concrètes de chaque personne entretenue, j’ai abouti à des
phénomènes massifs, qui caractérisent la plupart des gens interrogés.
26
27. Noms des Ages Sexe Origine génération du Statut social
enquêtés migrant
Michael 32 M Ghana 1ère génération Gérant « d’Hackney.com »
Karim 21 M Ghana 1ère génération Travailleur informel
Alex 21 M Ghana 2ème génération Etudiant à UCL
Linsey 20 F Ghana 2ème génération Etudiant à UCL
John 16 M Ghana 2ème génération High school à Hackney (Lycéen)
Sandy 25 F Ghana 2ème génération Vendeuse à H&M
Yomi 26 F Nigeria 1ère génération Caissière et peintre
Laolu 24 M Nigeria 1ère génération Etudiant en anglais
Temi 42 M Nigeria 1ère génération Stand de repas à Camden Town
Scheni 50 F Nigeria 1ère génération Employée à KFC (fast food)
Samuel 28 M Congo 1ère génération Commerçant (marchés)
Faida 43 F Congo 2ème génération Employée à HSBC (banque)
Christine 19 F Congo 2ème génération Etudiante à SOAS
Christian 33 M Congo 1ère génération Employé chez Mac Donald
Salomon 28 M Togo 1ère génération Etudiant en anglais + cours
d’informatique
Faure 26 M Togo 1ère génération Etudiant en anglais
Akosse 38 F Togo 1ère génération Commerçant (marché)
Kossi 65 M Togo 2ème génération Retraité
Faytinga 27 F Erythrée 1ère génération Vendeuse à Tesco
Gavin 14 M Erythrée 2ème génération High School à Hackney
(Lycéenne)
ère
Sénamé 25 M Erythrée 1 génération Conducteur de pousse-pousse
(vélo pour touristes)
Wilson 35 M Kenya 2ème génération Caissier
Claudia 24 F Tanzanie 1ère génération Commerçante (marché)
Tableau n°1 : présentation des 23 individus choisis pour les entretiens (Stebig Jonathan).
27
28. • Retranscription des entretiens.
J’ai choisi de retranscrire en annexe deux entretiens dans lesquels j’ai sélectionné
les passages qui me semblaient les plus pertinents pour donner des exemples concrets dans
mes parties d’analyses thématiques. Dans un soucis de mettre en valeur les différents points
que je voulais aborder dans mon travail, j’ai choisi l’entretien avec un migrant qui fait les
marchés, et est très impliqué dans les réseaux de commerces « informels » ; un étudiant très
impliqué dans la situation politique de son pays. A côté de ces deux entretiens, j’ai aussi
retranscrit de brefs extraits que j’ai cité dans mon analyse, notamment celui du gérant
« d’Hackney.com », qui m’a exposé sa conception de son lieu de travail, à savoir mon lieu
d’enquête. Durant tout ce travail, je vais utiliser au total huit entretiens.
Pour la plupart, ils ne figurent pas en intégralité afin de ne pas encombrer ce mémoire
d’éléments impertinents. J’ai donc condensé mes notes, et gardé les passages qui m’ont
permis de faire ressortir les éléments thématiques à étudier.
Sur ces huit retranscriptions, j’ai choisi quatre nigérian, un togolais, un somalien, un
congolais, tous des clients « d’Hackney.com », et le gérant, Michael qui est d’origine
ghanéenne.
Les entretiens retranscrits ayant été réalisés à des périodes différentes de l’année, ils donnent
une vision de l’évolution de mon guide, et de ma façon de l’utiliser. C’est pourquoi j’ai choisi
de dater mes entretiens, pour donner un aperçu rapide de l’évolution de ma façon d’aborder
les personnes interrogées.
La retranscription de toute mes enquête est en anglais, dans un souci de ne pas partir dans des
traductions qui risqueraient de déformer la véritable signification de ce que j’ai pu entendre.
• Utilisation des entretiens dans l’analyse thématique.
Dans mon travail de rédaction, j’ai utilisé les retranscriptions souvent comme la
base de mon travail. Mes hypothèses de départ étant confirmées ou réfutées par les attitudes et
expériences personnelles et collectives des clients de ce lieu. Chaque partie dans ce mémoire
est construite selon cette configuration.
En fait, partant de cas concrets et particuliers, j’ai fait ressortir des phénomènes généralisables
à l’ensemble de la communauté migrante.
Les passages tirés des entretiens, les observations faites dans cet endroit, ainsi que les
anecdotes auxquels j’ai assisté, m’ont semblés être des exemples parfaits pour confirmer ou
étayer mes premières hypothèses.
28
29. Dans l’analyse, les phrases des entretiens sont insérées en anglais. J’ai préféré utiliser les
passages pertinents sous leur forme originelle, et donner mes propres traductions et
interprétations des citations utilisées dans les notes de bas de page. Cette méthode permet de
se référer plus simplement aux annexes pour retrouver les passages choisis.
A partir de ces mises en commun de mes enquêtes de terrain, j’ai ajouté les
interprétations que j’en faisais, et émis des conclusions sur les phénomènes étudiés. Dans le
but d’appuyer ces analyses personnelles, un travail de recherche bibliographique a été
indispensable, afin de donner plus de pertinence et d’appui théorique à mes hypothèses et à
leurs applications sur le terrain.
d) Le travail bibliographique et la recherche d’appuis théoriques à mes analyses
pratiques.
Ma prospection bibliographique s’est décomposée en trois phases principales.
Tout d’abord, j’ai commencé par des lectures très larges, de manière à appréhender mon sujet
de manière précise. Ensuite, en parallèle aux premières approches du terrain, j’ai axé ma
recherche bibliographique sur les thématiques que je voulais approfondir. La dernière étape a
consisté à trouver des appuis théoriques à mes analyses pratiques, de manière à soutenir mes
analyses de terrain.
• La fixation des contours de mon sujet d’étude.
Cette phase a durée environ deux mois, de octobre à décembre, durant laquelle j’ai
essentiellement cherché à bien définir les termes centraux de mon travail. Cette première
approche du sujet s’est organisée en deux phases.
Dans un premier temps, j’ai fait des recherches dans les bibliothèques de Géographie à UCL
(mon université), mais aussi à SOAS (« School of Oriental and African Studies »), ainsi qu’à
LSE («London School of Economics »). Durant le premier mois, je me suis donc attaché à
définir le terme de diaspora, afin de comprendre sa construction, et les différentes conceptions
qui ont évolué au fil du temps (je consacre d’ailleurs une courte partie à la définition de ce
terme, qui représente le centre de mon analyse).
Cette phase m’a également permis de me familiariser avec le langage scientifique anglais sur
les migrations, et plus généralement la Géographie.
29
30. Dans un second temps, je me suis focalisé sur le deuxième aspect central de mon sujet, à
savoir les TIC en Afrique. Cette période de lecture s’est faite durant les mois de novembre et
décembre, deux mois durant lesquels j’ai mis l’accent sur l’étude de l’implantation d’Internet
en Afrique, l’usage, les opportunités pour le continent et ainsi de suite. Deux supports m’ont
beaucoup apporté dans cette recherche :
La bibliothèque de SOAS, spécialisé sur les questions de développement dans les continents
asiatiques et africains m’a donné accès à une quantité importante de documents qui traitaient
de l’implantation des TIC sur le continent africain, et l’appropriation de l’outil par ses
populations.
En parallèle, j’ai trouvé le site Internet « www.africa’nti.org » (voir capture d’écran n°2 page
31), un site français qui travail exclusivement sur l’articulation entre les TIC et l’Afrique.
Dans ce portail, j’ai eu accès à une multitude d’articles, de conte rendus de colloques,
d’ouvrages, qui sont pour la plupart gratuits et libres d’accès (voir capture d’écran n°3 page
32). De plus, les différents liens de ce site m’ont très bien orienté, autant par les
bibliographies des différents auteurs, que par les liens Internet vers d’autres sites.
L’approche de mes termes de recherches, de manière relativement isolée l’un de
l’autre m’a donné une vision assez large des pistes à étudier. J’ai choisi d’étudier de manière
isolée la notion de diaspora, puis les TIC en Afrique afin d’élargir les différentes thématiques
que je pouvais aborder, et avoir une vision plus ou moins globale des axes vers lesquels je
voulais m’orienter.
• La définition des thématiques abordées.
Sur une durée d’à peu près deux mois, cette nouvelle étape s’est faite en parallèle à
mes premières approches de terrain concluantes. Deux phases me sont apparues comme
déterminantes dans la fixation de mes thématiques.
A partir de l’ensemble des pistes émanant du travail de balayage accompli à la fois à SOAS,
et sur Internet ; j’ai essayé de faire ressortir différentes thématiques qui me paraissaient
intéressantes à étudier. J’ai donc établi une première synthèse des notes prises sur l’ensemble
des ouvrages lus auparavant, de manière à orienter mon travail vers les différentes
thématiques que j’allais aborder sur le terrain. Plus qu’un apport théorique, cette phase de
30
31. Capture d’écran n°2 : présentation générale des objectifs « d’Africa’nti », extrait du site « www.africa’nti.org ».
31
32. Capture d’écran n°3 : exemples d’articles disponibles en ligne gratuitement sur « Africa’nti », extrait du site
« www.africa’nti.org ».
32
33. lecture m’a permis de construire des hypothèses, et une problématique que j’allais développer
sur le terrain.
J’ai donc réalisé un premier travail de synthèse, dans lequel j’ai résumé mes premières
approches du terrain et exposé les différentes thématiques que j’allais aborder, tout en
cherchant à montrer en quoi mon travail s’inscrivait parfaitement dans une démarche
géographique. J’ai rendu ce travail à Mme Yveline Dévérin à Noël, qui m’a donné le « feu
vert ». J’ai entrepris, à Londres, l’approfondissement des axes de recherche que j’avais
choisis.
Au début du mois de janvier, j’ai obtenu un rendez-vous déterminant pour la poursuite de ce
mémoire. Par l’intermédiaire de Mme Dévérin, je suis entré en contact avec Dana Diminescu,
qui travail sur l’usage des TIC par les migrants, à « la Maison des Sciences Humaines » à
Paris (MSH). Elle m’a proposé de la rencontrer à Paris, au début du mois de janvier, afin de
parler de mon travail et des idées que je voulais aborder. Le courant est très bien passé, et bien
que l’entretien n’ait duré qu’une petite heure, j’ai pu lui exposer mes différentes hypothèses,
et les orientations que je voulais donner à mon étude. Sa grande connaissance en matière
bibliographique sur les questions de diaspora, de migration, et des TIC m’a apporté des appuis
théoriques essentiels, qui m’ont énormément servis par la suite. Ces lectures m’ont permis de
construire des hypothèses, et une problématique que j’allais développer sur le terrain.
• Les appuis théoriques de mon analyse pratique.
C’est sur cette troisième phase d’environ quatre mois que j’ai réalisé l’essentiel de
mon travail de terrain, me permettant de mettre en relation les écrits théoriques avec mes
entretiens à « Hackney.com ».
J’ai tout de suite exploré l’ensemble des pistes bibliographiques que m’avait conseillé Mlle
Diminescu, en anglais comme en français.
J’ai pu visionner des colloques et séminaires en ligne, réalisés par Dana Diminescu et son
équipe de recherche, mais aussi des entretiens avec Riva Kastoryano ; accéder via le Net à des
articles de Myria Georgiou, et d’Alain Tarrius ; trouver des ouvrages dans les bibliothèques
de ces différents auteurs ; élargissant ainsi mon support bibliographique à des documents très
précis, axés sur mes thématiques de recherche. C’est essentiellement avec l’appui des travaux
de ces auteurs que j’ai pu aborder mon sujet en remettant en cause certaines notions de
Géographie concernant les migrations, qui sont aujourd’hui dépassées en raison de
l’introduction des TIC dans ces communautés.
33
34. Dans un même temps, Dana Diminescu m’avait donné l’adresse email de Myria Georgiou,
professeur à LSE, travaillant également sur les usages des TIC par les migrants, mais dont le
terrain d’étude est plus centré sur les migrants à Londres. Bien que n’étant pas vraiment
intéressée par « les communautés noires africaines », mais plutôt par les chypriotes, et les
communautés asiatiques, ce contact m’a permis de mettre directement en rapport mon travail
de terrain avec les nouvelles notions de Géographie concernant les migrations, et donc
d’articuler mon terrain avec mes lectures.
En conclusion, je voudrais revenir sur mon choix de me focaliser sur l’étude d’un lieu, le
cybercafé, plutôt que de m’axer sur l’étude d’un groupe de migrants de nationalités
semblables, établi dans un quartier. Cet aspect très ouvert de mon analyse concernant les
personnes est toutefois très en rapport avec mon sujet. Mon terrain virtuel rend difficile une
approche très géographique, au sens d’une étude basée sur un support physique. Dans ce
mémoire, j’ai donc voulu mettre en rapport cet espace hyper localisé, à savoir le cybercafé
« d’Hackney.com », un lieu à partir duquel les migrants ont accès à un espace virtuel,
déterritorialisé, dans lequel ils entretiennent des relations avec des espaces physiques
géographiquement éloignés, mais interconnectés dans ce système de réseau. A partir du
cybercafé, j’ai donc pu mettre en relation mes différentes échelles d’analyses, à la fois locales,
le cybercafé étant un lieu de rencontre, d’échange interethnique et de solidarité dans l’espace
d’accueil, mais aussi le moyen d’accès à un réseau virtuel transnational, dans lequel le
migrant est connecté à la fois avec les autres places de la diaspora, ainsi qu’avec son pays
d’origine. Pour mettre en valeur cette articulation des différentes échelles d’implication du
migrant, j’ai choisi, dans les différentes parties thématiques de mon travail, de réaliser des
schémas qui mettent en formes ces coordinations.
Pour terminer cette partie méthodologique, je voudrais mettre l’accent sur l’organisation de
mon travail. J’ai choisi dans un premier temps de balayer l’ensemble des pistes de recherches
autour de la question des TIC et des diasporas. Ensuite, après avoir déterminé mes axes de
recherches, j’ai entrepris un travail de terrain qui m’a permis de comprendre les usages des
TIC par les migrants, à partir des expériences concrètes des clients « d’Hackney.com ». Enfin,
j’ai choisi de me concentrer sur les phénomènes qui sont le plus souvent ressortis de mes
enquêtes de terrain, et d’appuyer mes analyses par les études théoriques de certains auteurs
clef9, qui ont travaillé sur des questions similaires dans d’autres terrains.
9
: Dana Diminescu, Myria Georgiou, Riva Kastoryano, Alain Tarrius, Michel Elie (cf. Annexe 1 : bibliographie)
34
35. III) Analyses thématiques.
1) Le cybercafé comme lieu de solidarité et d’intégration sociale :
véritable carrefour de l’information.
Samuel est arrivé à Londres depuis seulement un mois, il parle encore à peine l’anglais, et
n’a pas de logement. Bien que n’ayant que très peu de connaissances en informatique, c’est au
cybercafé « d’Hackney.com » qu’il passe beaucoup de son temps et qu’il rencontre
progressivement des gens et apprend à se servir des ordinateurs ; autrement dit, c’est ici qu’il
arrive, pas à pas, à se trouver une place dans la société anglaise. Salomon, lui est togolais, il
est à Londres depuis plusieurs années, mais il a pris l’habitude de venir régulièrement à
« Hackney.com », où il est très apprécié pour ses connaissances en informatique, il a
d’ailleurs mis en place une formation de trois heures hebdomadaires, pour les débutants, sur
les usages généraux d’Internet. Laolu, lui, est nigérian, il vit à Hackney et vient au cybercafé
afin de se tenir informer de l’investissement de l’argent qu’il envoi tous les mois dans son
pays ; il a pour désir de construire une maison à sa famille restée au pays, et il prend un soin
méticuleux à suivre la bonne évolution de ces travaux. Enfin, Yomi est une jeune artiste
nigériane, elle fréquente ce cybercafé à peu près tous les deux jours pour donner des nouvelles
à son compagnon resté au pays, via les emails ; en plus de cette mise en relation avec son pays
d’origine, elle expose ses peintures dans le cybercafé, qui sont mises en vente et donnent à cet
espace une personnalité très touchante. A travers ces trois exemples, nous pouvons constater
l’étendue des possibilités qu’offre la fréquentation d’un tel lieu. Moyen de rencontre avec les
autres clients, centre de formation en informatique, salle d’exposition, moyen de connexion
vers le pays d’origine, vers les autres parties du monde où les membres de la diaspora sont
établis, et bien d’autres pas encore énumérés. C’est en ce sens que le cybercafé devient pour
les migrants, bien plus qu’un simple lieu de consultation individuel de l’information, mais un
véritable centre « d’interaction communicative » (Flécha, 2002). Comme le résume
parfaitement le gérant de ce cybercafé, ghanéen, et lui-même issue de l’immigration : « of
course there are computers in this place, but what people is looking for is more than a basic
Internet connexion, it’s social exchange and integration »10.
Afin de bien rendre compte de l’étendue des fonctions de ce nouvel espace, et du rôle
qu’il joue dans la migration, je vais l’aborder à trois échelles d’analyses différentes. Tout
10
: traduction : bien sur qu’il y a des ordinateurs ici, mais les gens cherchent plus qu’une simple connexion
Internet, ce sont des relations sociales et de l’intégration.
35
36. d’abord au niveau local, c'est-à-dire à l’échelle du cybercafé, dans lequel s’organise une
véritable microsociété. Ensuite, à l’échelle transnationale, « Hackney.com » étant un des
moyens privilégiés par les migrants pour se connecter avec d’autres lieu d’établissement de
communauté. Enfin, je voudrais m’intéresser aux contacts que les migrants entretiennent avec
le pays d’origine, via Internet et les emails, ce que je considèrerai comme l’échelle nationale
(au sens de nationalité).
Etant donné que les fonctions de cet espace au niveau transnational et national vont être plus
approfondies dans les parties suivantes, je vais ici essentiellement insister sur la multitude de
fonctions que remplit ce lieu à un niveau très localisé.
a) « Hackney.com », un cybercafé aux allures de centre d’intégration et de
solidarité intercommunautaire.
Dans un souci de clarté, j’ai décidé de faire ressortir trois aspects (sensiblement liés les
uns aux autres), mettant particulièrement en valeur la personnalité de ce lieu (voir photo n°2
page 37).
-« Hackney.com » : un exemple de mixité culturelle.
C’est essentiellement ici que je me suis rendu compte de cet aspect multiculturel, très
caractéristique des populations migrantes en mal d’intégration. Je me suis d’ailleurs très
étonné de l’accueil et de l’enthousiasme avec lequel Karim, un nouvel arrivant, avait été reçu.
C’est pourquoi la notion de communauté, de culture, ou de langue natale perd quelque peu de
son sens dans un contexte comme celui là. Tous les migrants étant passés par une phase
d’adaptation plus ou moins difficile, ils semblent très conscients de l’importance que peut
représenter un premier contact, une attache à quelque chose dans un espace encore inconnu.
Michael, le gérant du lieu résume parfaitement cet aspect intercommunautaire : « I don’t want
to make my telecenter exclusively ghannean, or ethiopian. What I’m proud about is especially
this mixture. In a way, Hackney.com is a community, which overcomes all the different
cultural belongings »11. Cette apparente mixité culturelle n’est pas innée, elle émane d’un
désir de son propriétaire de développer un lieu qui serait plus qu’un simple moyen de
connexion à Internet, mais un espace d’ouverture culturelle, exemple de tolérance et d’écoute
pour les migrants. Dans bien d’autres cas, le migrant se retrouve face à une hiérarchie, des
11
: traduction : « je ne cherche pas à faire de mon cybercafé un endroit exclusivement ghanéen ou éthiopien. Ce
dont je suis fier, c’est ce mélange. En un sens Hackney.com est une communauté, qui dépasse toute appartenance
culturelle différente ».
36
37. Photo n° 2 : intérieur du cybercafé « Hackney.com » (photo prise par Michael, le gérant).
préjugés, qui ne lui permettent pas d’être jugé en tant que personne, mais plutôt comme un
immigré. Mis à part des associations dont l’activité se concentre sur une communauté en
question, où le migrant pourra trouvé sa place, il existe très peu dans les société d’accueils,
d’espaces de socialisation interculturelle, où l’accès est libéré de tout jugement, et où toutes
les voix sont entendues. La façon dont Yomi décrit ce lieu est à mon sens très representative
du climat qui règne dans ce cybercafé: « Basically, what I found in this centre is more than a
way to communicate with my fellows home, I could have been any elsewhere. I found a real
way to express myself, to display my work, and to open my mind to other way of thought »12.
Ramon Flécha (2002) résume parfaitement cet aspect intercommunautaire qui règne dans
certain cybercafé : « La compréhension des réalités éloignées et l’entente entre cultures
différentes par le biais de nouvelles formes de dialogues qui voient le jour dans les sociétés
actuelles ».
-« Hackney.com » : un espace ouvert au dialogue, à l’entraide et à la solidarité.
« We can summarize what characterized Hackney.com in a word: solidarity »13. Voilà la
vision que Laolu a de ce lieu, et elle est partagée par la majorité des clients, qui sont là pour
plus que des conversations Internet, ils cherchent véritablement à créer du lien social, à
donner autant qu’ils reçoivent. Les échanges sont réciproques, tout le monde est curieux de
savoir comment le quotidien des uns et des autres se déroule, c’est un véritable centre
12
: traduction : « ce que j’ai trouvé dans ce cybercafé, c’est plus qu’un moyen de communiquer avec mon pays,
j’aurais pu aller n’importe où pour ça. J’ai trouvé un moyen de m’exprimer, d’exposer mon travail et de m’ouvrir
à d’autres façons de penser ».
13
: traduction : « on peut résumer ce qui caractérise Hackney.com en un mot : solidarité ».
37
38. d’entraide entre migrants d’origines différentes, qui ont simplement besoin de partager leur
vécu, et de participer à une vie sociale dans leur pays d’accueil. Lorsque Yomi est entrain de
lire des nouvelles de sa famille restée au pays, un immense sourire se dessine sur son visage,
et elle regarde Michael (le gérant), avec des yeux étincelants de bonheur ; c’est alors d’un pas
décidé qu’il se précipite à son poste pour connaître la nouvelle. Yomi vient d’apprendre que
sa sœur a mis au monde un enfant, et Michael fait partager ce bonheur à l’ensemble des
personnes de la salle, moi y compris. Ce simple exemple pour montrer à quel point le
quotidien des clients « d’Hackney.com » est partagé ; la solitude à laquelle doit faire face le
migrant dans beaucoup d’autres contextes dans le pays d’accueil est ici bannie. Les gens
viennent pour partager du vécu, des choses simples, et pour se sentir entourés. Ainsi, toute
situation délicate peut être résolue par les compétences des autres. Samuel qui vient d’arriver
à Londres demande à Laolu de l’aide pour l’élaboration et l’envoi de ses CV afin de trouver
du travail. Karim, qui cherche un logement, est conseillé par Michael à propos de la visite de
sites Internet consacrés à l’offre de places en collocation…etc. La vitalité, le dynamisme et la
bonne humeur des clients diffusent une atmosphère communautaire, dans laquelle on oubli
facilement d’où l’on vient, et qui on est tout simplement. Les gens sont écoutés pour ce qu’ils
ont à dire, et pas par rapport à ce qu’ils représentent. C’est un espace « d’interaction
communicative » égalitaire (Flécha, 2002).
-« Hackney.com » : cybercafé dans son intitulé, bien plus dans ses fonctionnalités.
Enfin, en plus de ce caractère très solidaire et multiculturel, « Hackney.com » développe aussi
des fonctions parallèles, émanant du désir de son gérant qui attache une attention particulière
à diversifier les usages de son cybercafé, afin de faire de ce lieu un véritable point de chute
pour les nouveaux arrivants.
La plus importante, c’est la formation informatique hebdomadaire, 1h30 le mardi et le
dimanche de 18h30 à 20h, tenu par Salomon. En échange de ce service rendu par Salomon,
Michael lui offre des heures de consultations gratuites dans son cybercafé, ce qui souligne
encore le système d’entraide qui rend ce lieu si particulier. En un sens ces cours sur les usages
principaux d’Internet permettent à Michael d’attirer de nouveaux clients, et à Salomon de se
connecter gratuitement.
Afin de donner un peu de chaleur à son cybercafé, Michael a décidé d’accorder la décoration
à différents artistes, qui ont du mal à se faire connaître et vendre leurs œuvres ; ainsi, de
manière complètement libre, des artistes exposent leurs œuvres sur les murs du cybercafé, et
les mettent en vente. Yomi nous parle de cette fonction de « salle d’exposition » très
38
39. simplement: « I know that it doesn’t represent a way for me to earn money or start a real
career, but I don’t care. That does enlighten the inside, attracts people’s eyes, and gives me
the opportunity to show my paints »14 (voir photo n°3, page 40).
De façon plus ponctuelle (à peu près une fois par mois), Michael organise des débats
concernant des sujets qui peuvent intéresser les clients. Sa conception est d’ailleurs
particulièrement ingénieuse. Le cours d’informatique va s’axer sur la recherche de documents
sur le Net concernant un sujet précis (par exemple, les politiques d’intégrations en
Angleterre). Les clients vont donc à la fois apprendre à balayer le Net pour obtenir des
informations particulières, puis un débat sera organisé pendant une heure, juste à la suite du
cours. Ces discussions structurées permettent ainsi d’échanger des opinions différentes où
toutes les voix sont entendues. Plus qu’un moyen de traiter de sujets d’actualités intéressant
les migrants, ces débats sont l’occasion pour certains nouveaux arrivants de travailler leur
expression, et leur compréhension de l’anglais.
Enfin, l’affichage concernant la tenue de séminaires à venir, de festivals ou de rendez-vous
culturels, embellit la porte d’entrée et la vitrine du cybercafé.
« Hackney.com » est bien plus qu’un simple cybercafé, c’est « une communauté » ouverte
vers d’autres cultures, dans laquelle la différence est un atout, et où la solidarité se fait sentir
dès les premiers instants. A un niveau très localisé, c’est un espace qui joue un rôle de « pré
socialisation », dans lequel le migrant peut être entendu, et où il peut tisser des liens qui lui
seront essentiels pour son intégration. Je voudrais citer ici Karim qui m’a dit une chose simple
mais pleine de sens: « We come to Hackney.com to be connected to the outside, and we left
the place seduced by the vitality and the happiness of the inside »15.
b) Le cybercafé : un centre décentralisé.
Au niveau transnational, le cybercafé est le centre à partir duquel les migrants vont pouvoir se
connecter avec les autres pays d’établissement de la diaspora. C’est dans ce lieu qu’ils vont
échanger leur vécu, et organiser les relations à distance avec leur communauté. C’est en ce
sens que le cybercafé devient en quelques sortes un support identitaire décentralisé pour les
diasporas.
14
: traduction : « Je sais que ce n’est pas un moyen de gagner ma vie ou de commencer une carrière, mais je
m’en moque. Mes peintures illuminent le cybercafé, attirent les regards et cela me permet d’exposer mes
tableaux ».
15
: traduction : « On vient à Hackney.com pour se connecter avec le monde extérieur, on en sort séduit par la
vitalité et le bonheur de l’intérieur.
39
40. Photo n°3 : peinture de Yomi exposé dans le cybercafé « Hackney.com » (photo prise par Michael).
-Un véritable carrefour de l’information.
Du fait des coûts relativement faibles, et de la facilité d’accès, le cybercafé est véritablement
« le point » par lequel transite l’essentiel des informations entre les différentes places de la
diaspora. Ainsi, l’ensemble des cybercafés éparpillés dans les différents pays de résidence de
la communauté en question sont reliés entre eux par « des lignes », formant « une surface »
dans laquelle s’organisent tous ces échanges. Nous sommes donc dans un schéma très
classique de la Géographie, une organisation de l’espace dans la configuration « points,
lignes, surfaces », formant un système dans lequel l’ensemble des points sont en
interrelations. Cependant, dans le cadre des migrations, le cybercafé correspond à l’espace
hyper localisé au sein duquel les migrants vont pouvoir mettre en marche ce système. A
« Hackney.com », les analyses des clients sont d’ailleurs très explicites. « It is the easier way
to communicate » (Laolu)16, « you have computers, people to help you, and a friendly mood »
(Wilson)17, « Hackney.com is an open place toward the outside, toward the community settled
abroad» (Michael)18. C’est depuis le cybercafé que partent toutes les informations, et c’est ici
que le migrant les reçoit.
Pour donner une application concrète de cette organisation en réseau dont le centre serait le
cybercafé, je vais citer Salomon, qui a trouvé dans le cybercafé « Hackney.com » un moyen
d’articuler sa vie en société dans son espace d’accueil, avec son appartenance communautaire
qu’il entretient dans ce réseau : « The way in which I use Diastode is mostly practical, to
16
: traduction : « c’est la façon la plus simple de communiquer ».
17
: traduction : « il y a des ordinateurs, des gens pour t’aider et une ambiance chaleureuse ».
18
: traduction : « Hackney.com est un endroit ouvert sur les communautés éparpillées dans le monde ».
40
41. connect myself with other members in different places of the diaspora, and discuss about what
are the economic opportunities over there, when the togolese events are settled around
Europe, and… basically to express what I think about our situation, how to increase, enhance
the diaspora’s organisation, and so on »19.
-Espace générateur d’une identité « décentralisée ».
« Le réseau Internet est un espace social particulièrement pertinent au sein des diasporas, car
décentralisé, interactif et transnational par essence ». Cette phrase de Myria Georgiou (2002)
caractérise parfaitement ce nouveau support d’identification pour le migrant. En effet, nous
entrons dans une nouvelle ère de la communication et de l’information, dont les diasporas ont
su tirer parti afin de tisser un réseau relationnel articulant le local, le national et le
transnational.
A « Hackney.com », j’ai constaté que c’est essentiellement à partir des cybercafé que les
migrants arrivaient à entretenir leur culture ; et ceci à travers les connexions avec les autres
membres de la diaspora, les membres de la famille restés au pays, la consultation de sites
consacrés à leur pays d’origine, la participation à des forums, et ainsi de suite.
Le partage d’images et de sons a toujours été l’élément clef de la pérennité d’une diaspora,
dans le sens où c’est par des émotions communes et des mémoires partagées que les membres
vont parvenir à entretenir cette notion d’appartenance à une culture propre.
L’utilisation des TIC dans les migrations, et l’identification à une communauté organisée sur
un « espace virtuel » (dont le support est essentiellement le cybercafé) pose cependant la
question du centre, qui depuis des siècle, était matérialisé par la terre natale, sorte de cœur de
l’imagination des diasporas. La « mère patrie » représente toujours pour le migrant l’image
d’un passé partagé avec les membres de la communauté ; qu’elle soit vécue ou imaginée, elle
reste la pierre de l’édifice identitaire de la diaspora. Cependant elle a perdu son rôle de centre
autour duquel s’articule l’ensemble de la communauté dispersée dans le monde.
Donnons ici l’exemple du site « Diastode » (Capture d’écran n°3 page 42 et 43), très utilisé
par Salomon à « Hackney.com ». Réalisé à l’initiative de membres de la diaspora, et destiné
essentiellement aux communautés vivant à l’étranger, ce site fait office de guide pour le
migrant togolais, il peut y faire des rencontres, trouver du travail, s’informer sur la situation
dans son pays, entrer en contact avec différentes associations dans le monde travaillant sur des
sujets concernant la communauté migrante togolaise. Bien que la part de ce site consacré à la
19
: traduction : « j’utilise Diastode pour des raisons pratiques, me connecter avec les membres de la diaspora,
discuter des opportunités économiques, de la tenu d’évènements togolais en Europe. C’est un moyen d’évaluer
notre situation, comment perfectionner l’organisation de la diaspora, et ainsi de suite ».
41
43. Capture d’écran n°4 : Présentation des objectifs et de l’historique de « Diastode », extrait du site
« www.diastode.org ».
situation politico-économique au Togo ne soit pas négligeable, c’est une initiative émanant de
la périphérie.
La diaspora ne peut plus être considérée comme un satellite organisé autour, en fonction et
sous contrôle du pays d’origine, mais au contraire, en fonction de ses connexions et des
relations transnationales avec les autres centres de la diaspora. C’est pourquoi Myria
Georgiou (2001) parle de « l’identité décentralisée », qu’on pourrait aussi considérer multi
centralisée. L’identité diasporique se construit dans un espace virtuel où les centres (les
cybercafés) sont connectés en réseau. Ceci pérennise l’existence d’une communauté réelle,
dispersée géographiquement, partageant une conception similaire de la terre d’origine, vécue
et pensée comme un mythe commun.
c) Le maintien des relations avec le pays d’origine.
Dans cette troisième sous partie, nous nous intéresserons aux moyens de connexions
privilégiés pour rester en contact avec les membres de la famille toujours au pays. Pour
terminer en s’écartant légèrement du terrain d’étude, nous donnerons un aperçu de la place
43