1. Méharée en Sahara tunisien
Emily Foucart
Photos : Emily Foucart et Didier Mor van
2. Vendredi - Douz - El Hafaier
Ça secoue sec dans le 4x4. de la lumière a fait descendre un filtre orange-saturé sur le
L’auto-radio crache des sons saturés de chant et paysage. Saisissant.
de flûte. Derrière, Agnès et Catherine gloussent comme des La perte des repères commence.
gamines à chaque bosse.
Oui, perdons-nous.
Ça y est. On y est. Après deux heures de traversée de reg Laissons le naturel dans toute sa force nous dominer. Et non
caillouteux, les dunes sont là. Rien que du sable tout le contraire. J’admire et je me plais à me perdre dans tout
autour, rien d’autre que le sable et nous. Couleurs indes- ce rien, quand tout d’un coup, mirage ? Un café. Oui, au
criptibles. Douces ou contrastées, milieu du néant, le café “Aux portes du désert” est bien là,
baignées et écrasées de ce soleil aveuglant. comme un
dernier sursaut de civilisation. Un bidon en
Soudain, je dois rêver : le sable a changé de plastique, un poteau, une enseigne et une cahute…
couleur. Nous avons tourné de 90°, l’orientation ça fait tout un café.
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3. Vendredi - El Hafaier
On passe notre chemin et, sans trop comprendre com- che fraîche comme une source d’eau.
ment, ne tarde pas à surgir de nulle part une immense
porte, genre de rempart avec ouverture Il faut repartir. On re-grimpe dans le 4x4.
en voûte à l’orientale. On s’y arrête, on se dégourdit enfin Je devais rêvasser, planer, être tout à ce que je voyais et étais
les jambes et le postérieur qui avait bien besoin d’un petit en train de vivre.
répit. Ou peut-être commençais-je à perdre la notion
du temps.
Quelqu’un ! Des gens, un homme vit là ! Que peut-il bien
faire là, tout seul ? Il a un puits, et son chien. Je ne sais plus combien de temps s’est écoulé
On pose le pied sur ce fameux sable qui sera notre allié jusqu’à El Hafaier.
pendant tout le séjour. Familiarisation avec notre nouvel
environnement. Arrivée sur un grand dégagement, des chameaux (des dro-
madaires, que tout le monde ici appelle
On joue avec le sable comme des gosses... chameaux), des petits groupes de gens. On s’arrête près de
C’est véritablement jouissif. Ocre-rose, il est doux comme l’un d’entre eux. Ce sont nos guides.
de la poudre. Ils sont deux, je ne sais pas combien de chameaux et du
J’y plonge les mains et découvre, en profondeur, une cou- matériel éparpillé tout autour.
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Des paniers, des couvertures. Ils ont en train de faire la cui- bon, comme si je venais de découvrir mes papilles gustati-
sine. Ça va être pour nous, je crois. ves. Ivresse d’être ailleurs, émerveillement des choses sim-
Mansour et le chauffeur débarquent un énorme sac ples.
d’oranges et des vivres.
A ma grande surprise, Mansour, qui nous a accueilli dès Nous découvrons notre nouvel environnement. Pendant ce
notre arrivée, nous dit au revoir. temps, les guides ont déjà tout empaqueté sur le dos des
Je croyais qu’il nous accompagnerait tout le voyage. chameaux.
C’est un travail de précision, mais ils font ça comme s’ils pre-
On se retrouve alors seuls avec ces deux nomades un peu naient leur petit déjeuner. Pour faire baraquer les cha-
farouches et méfiants. meaux, on pousse des longs “rrrrrrrrrrrr” du fond de la
Ils ne parlent pas beaucoup. Le plus âgé, Ibrahim, ne parle gorge. Il faut parfois insister.
qu’arabe, l’autre, Habib, parle français.
Un peu intimidés, on s’assoit à leur côtés, c’est le déjeuner. Ce ne sont pas de bêtes méchantes, mais un peu têtues. Ils
Une grande galette de pain chaude sort de je ne sais où. râlent et protestent, mais finissent toujours par s’asseoir, un
Petite salade fraîche de carotte cuite-poivrons-oignons- peu résignés. Parfois, en plein chargement, ils tentent de se
tomates-coupés-en-tous-petits-dés, orange maltaise, thé à la relever, faisant tout valser.
menthe, fort et chaud. Tout me paraît différent, tellement Re-rrrrrrrrrrrr.
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Ils tirent aussi régulièrement toute leur langue de leur gosier Parfois on semble flotter sur la dune, parfois on s’enfonce
en faisant un gros bruit de fosse. profondément. Je déguste.
Pas très ragoûtant. Heureusement que le jeune guide, Habib, me parle un peu,
je ne vois pas passer la fin de la marche.
Nous voilà partis. Ça y est. C’est le “Trek”. On marche dans
le sable. Il va falloir suivre. A vrai dire, je ne me suis pas Sans qu’on comprenne pourquoi, on s’arrête tout d’un
rendue compte que je marchais. J’étais tout à mes yeux et coup. Une autre pose ? Ah non, c’est “l’hôtel” !
au paysage. On découvre les dunes, le vrai désert. Les dunes Un groupe de petites dunes, quelques touffes :
se font de plus en plus grandes. Là, ça devient sérieux. ce sera notre bivouac.
Nous sommes maintenant au milieu de dunes immenses et
ça commence à se ressentir sérieusement dans les jambes. Les guides n’ont pas fini leur journée. Alors que nous, on
On fait une pose dans un creux. Milieu, fin d’après-midi, s’affale et on se jette sur nos gourdes,
soleil tombant. Que c’est beau. eux doivent attacher les chameaux et aller chercher du bois,
loin, parfois on ne les voit presque plus.
Et hop, on repart. Des courbes sinueuses s’enfilent les unes Il faut du bois, beaucoup de bois pour le feu qui va brûler
derrière les autres sous nos pas. Les guides et leurs cha- presque sans arrêt jusqu’au petit déjeuner, pour nous chauf-
meaux semblent avoir une stratégie bien précise pour atta- fer et nous nourrir.
quer la dune. On les suit. Il faut monter la tente aussi. Une vraie tente berbère en
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lourd tissage noir en poil de chèvre et chameau. On la dres- Plus on s’éloigne, au plus il y
se avec quelques piquets de bois, on fixe les bords au sable. en a, plus on est tranquille.
C’est juste un toit, à vrai dire, pas de “porte” et des cou-
rants d’air partout… Pas de douche à l’eau. On garde l’eau. On ne se salit pas dans
le désert. Le sable décape tout. La transpiration ne sent pas.
Didier, lui, a trouvé sa chambre. La 315. Une autre petite L’air est on ne peut plus pur.
dune avec une touffe. Il dort à la belle étoile. Moi aussi Mais pour satisfaire nos besoins d’hygiène à l’occidentale,
j’aimerais bien essayer… on verra plus tard. notre dieu Consommation a inventé la lingette.
Alors on s’installe dans le sable et on se frotouille longuement
16-17h ; c’est l’heure où on se pose, on s’installe, c’est dans cette douce chaleur du soleil couchant...
l’heure de la recherche de salle de bains, aussi. Les “sanitai-
res” du désert : on marche cinq minutes, on se choisit une Tout propres, changés, on arrive au restaurant.
dune.
Habib a enchaîné chameaux, bois, cuisine.
C’est comme une étoile : on choisit une dune avec une Il nous a préparé un couscous. Il y a deux grosses gamelles
“touffe” (un Tamaris assez important) pour la cuisine et le sur ce feu crépitant, une véritable cuisine installée, ça mar-
feu, puis, tout autour, des chambres et des salles de bains. che mieux que chez moi ! Finalement, que demander de
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plus ? Dans l’autre gamelle : de la soupe ! Quel festin ! De un duvet-sarcophage-Gore-Tex-je-
la Chorba, une soupe d’oignons-tomate-épices, avec des ne-sais-quoi comme les pros du camping, mais un “duvet
pâtes langues d’oiseau et beaucoup de persil. C’est divin, ainsi de salon”. Heu-reu-se-ment que les guides ont amené des
que le couscous. Habib sort des petites poudres de ses pots, tonnes de grosses couvertures.
des mélanges d’épices dont on ne connaîtra pas le secret.
Nuit d’enfer. Ça caille. La nuit, dans le désert, en janvier,
Il n’est que six heures quand on se met à table, pourtant il c’est entre zéro et cinq degrés. Je ne ferme pas beaucoup
fait déjà sombre et il commence à faire froid. On se serre l’œil. La nuit me paraît interminable. Evidemment, on a du
autour du feu. On hésite à s’en écarter. Le froid est là, juste se coucher à huit, neuf
à côté, prêt à nous attraper. L’humidité commence à nous heures… Moi qui suis couche-tard et insomniaque !
gagner, on a écumé le dernier thé, la dernière cigarette et
nos guides tombent de sommeil… bon, on va se Je regarde dehors la ligne des dunes à la lumière
coucher. Comme à l’hospice : soupe à six heures, au lit à de la lune. Les étoiles. Le silence.
huit heures… Je me lève littéralement gelée et surtout contente d’avoir
fini cette nuit interminable.
J’essaie de m’organiser un lit, bien que je sois nettement
moins bien équipée que les autres. J’ai un duvet de... Pas Je lance un Salamaleykoum franc et viril à nos
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deux guides qui sont déjà sur le pied de guerre depuis un
moment. Pas de réponse et air
perplexe. Il vaut mieux que j’arrête mes
salamaleks et autres bismillahs tout de suite.
Après tout je ne sais pas ce que ça peut signifier exacte-
ment, surtout pour le vieux, Ibrahim,
qui prie tout le temps.
Découverte du petit déjeuner au feu de bois :
galette chaude, café, confiture de figues. Un délice. Pour
eux, c’est pain-confiture et huile d’olive.
On empaquete tout et on repart.
Enfin le voilà, ça y est, on découvre notre désert. On a
déjà eu un avant-goût hier. Aujourd’hui, c’est le grand
jour, aujourd’hui c’est du sérieux.
Le paysage est loin d’être monotone. C’est la première
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grande surprise. Tout change très vite, presque à chaque
tournant. Aux petites dunes avec touffes de végétation
s’enchaînent de grosses dunes de sable nu, au reg caillou-
teux les lacs salés, aux oasis d’autres dunes plus arborées,
aux palmeraies les canyons.
Quel bonheur de se lever à l’aube avec pour seul program-
me : marcher, respirer, regarder.
C’est beau et on se sent heureux.
Fin de matinée, je n’en peux plus.
Midi, première ampoule. Heureusement que Didier a des
pansements haute-technologie-
miracle, ceux qui font le doigt de pied comme un beignet-
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vapeur chinois.
Les chameaux glougloutent : ils sont en chaleur, c’est la
saison.
Ils ont leurs muselières ad’hoc, pour les empêcher de
sortir leur glande de la gorge et baver à tout bout de
champ.
Et de faire un bruit de fosse septique.