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REPORTAGE

Actuel

Reportage aux frontières

Sur les pas
de nos anges gardiens

La patrouille exposée aux tirs

La Tunisie ne cesse de compter ses morts dans
les rangs des forces de l’ordre. Banalisées, voire justifiées, au lendemain de la Révolution, les
attaques à leur encontre, nourries par la colère
populaire, cèdent la place à des agressions criminelles et planifiées. Aujourd’hui, elles font
partie d’un plan terroriste visant à mettre le
pays à genoux.
Mais quelles sont les raisons d’une pareille vulnérabilité ? Le système sécuritaire a été
presque sans faille durant des décennies, le terrorisme a été pour le Tunisie, jusqu’à il y a peu,
une matière médiatique rare.
Et pourtant des drames se multiplient: commandos égorgés, agents tués, embuscades,

A

u pied d’une colline, le poste de
la garde nationale est une cible
facile en plein champ de tir. Et
alors qu’il est exposé, en face, aucune
visibilité, les arbres cachant tout ombre
mouvante.

attaques terroristes (…) rythment aujourd’hui
notre vie. Il y a deux semaines, le drame de
Goubellat faisait la Une de l’actualité, quelques
jours à peine, le massacre de Sidi Ali Ben Aoun,
venait attirer l’attention et nourrissait l’indignation des Tunisiens.
Plusieurs postes frontaliers ont également été
attaqués, des morts et des blessés sont tombés. Pis encore, le même poste peut être
assailli plus d’une fois en l’espace de quelques
jours comme cela a été le cas pour celui de
Milla, poste frontalier à Ghardimaou, sans que
des mesures spéciales ne semblent avoir été
prises.
Reportage.

L’intérieur est tout simplement chaotique  ; vieux bâtiment mal entretenu,
humidité et moisissures sur les murs et
pas d’équipements sanitaires dignes de ce
nom. Ici, on contracte facilement une
maladie infectieuse ou respiratoire même

si on a échappé à une balle. L’eau leur
parvient dans des citernes et les jours de
neige, ils sont livrés à eux-mêmes.
Nous prenons une route étroite arpentant
la montagne. Elle ne laisse passer qu’une
seule voiture à la fois, entourée de forêts

du 31/10 au 6/11/2013 - N° 1453 - RéAlités - 11

➥
Actuel
➥ touffues,

bordées par des falaises, jusqu’au dernier point des frontières : le poste frontalier de Milla qui est à quelques
mètres de l’Algérie. Tous les passagers
portent des gilets pare-balles, les montagnes étant dorénavant peuplées de terroristes. Pourtant, dans les passages où il
n’y est pas plus facile que d’organiser
une embuscade, aucune disposition n’a
été prise, ne serait-ce que d’abattre
quelques arbres pour une meilleure visibilité et un passage facilité.
On arrive au poste frontalier de la Garde
nationale «Milla». Attaqué deux fois déjà
depuis peu, rien hormis l’impact de balles
sur les murs, ne laisse voir cela. La sécurité n’y a pas été renforcée. Les grillages
l’entourant sont éventrés, il va de soi
qu’ils ne sont pas électrifiés, les agents
sur place sont peu nombreux, le bâtiment,
d’une hauteur moyenne alors qu’en face
les collines abondantes et dominantes le
surplombent, aucun aménagement particulier pour protéger ses différents côtés,
les uns donnant sur l’Algérie, d’où est
venue la première attaque, les autres sur
la montagne, depuis laquelle on leur a tiré
dessus la seconde fois. L’adjudant
Haithem Ayari, âgé de 26 ans et présent le
soir de l’attaque, témoigne. «Nous
sommes allés comme d’habitude à nos
postes, en garde à vue, nous nous sommes
défendus comme on le pouvait avec les
équipements dont on dispose. Cela aurait
pu finir par un vol d’armes ou par des
morts, mais nous avons pu y faire face».
Moncef Jouini, membre de l’Union nationale des syndicats de la sécurité tunisienne insiste, quant à lui, sur l’iniquité salariale entre les agents de la Garde nationale et l’armée, les premiers étant souspayés, pourtant exposés au même danger
que leurs collègues soldats… Un agent

Les frontières algériennes, d'où a été menée la première attaque
contre le poste de Milla

s’avance et nous dit “vous savez, ils sont
probablement en train de nous guetter en
ce moment même  ! ils nous voient sans
qu’on puisse le faire”
Ainsi, seuls le courage et la bonne formation avaient permis aux agents de la
Garde nationale de protéger leurs vies et
leurs armes lors des deux attaques, ni
conditions favorables, ni équipement performants, ni aviation, ni même motivation salariale, ne leur sont offerts… À
quelques kilomètres de leur poste, celui
des agents algériens s’étend sur une grande distance et regroupe 80 agents.
À une période où les terroristes ont élu
domicile dans nos montagnes, les équipements et l’aménagement sont tout aussi
importants que la formation. Le regroupement d’unités qui sont éparpillées en
petit nombre et donc vulnérables s’impose. En attendant, les agents de sécurité de
différents corps attendent la décision
politique, qui, au début tardait à tomber
en pleine attaque, mais qui tarde toujours

Colline d'où a été menée la deuxième attaque

12 - RéAlités - N°1453 du 31/10 au 6/11/2013

à tomber aujourd’hui dans la prévention
d’agression. «Il faut réviser les salaires et
les conditions dans lesquelles ils travaillent et revoir la partition des unités
sur les frontières» conclut M. Sahbi
Jouini, porte paroles de l’UNSST.
Avant de quitter le poste, les agents de la
garde nous interpellent, «malgré tout,
nous serons là, à protéger notre patrie et
notre peuple, à nous sacrifier pour eux.
Nous serons un rempart contre le terrorisme et tout danger.»
Leurs voix se sont élevées en chœur,
déchirant le silence des forêts, scandant
l’hymne national, spontanément, volontairement… «Vive la patrie  !» finissentils par crier

Failles techniques
L’affaissement du système sécuritaire a
commencé au lendemain de la
Révolution. Un vide sécuritaire a eu lieu,
limogeages de cadres, dissolution d’unités spécialisées dans la sécurité de l’État.
À nos frontières, la Révolution libyenne
faisait rage, les armes circulaient entre les
deux pays et des cellules terroristes ont
pu s’introduire dans notre pays et s’y installer. C’est seulement un an après,
qu’elles furent découvertes, en attendant,
elles ont eu tout le temps requis pour installer le réseau logistique et élaborer des
plans d’attaque. Quant aux mines qui
explosent de temps à autre et qui suscitent l’étonnement de la population qui est
surprise qu’on ne les détecte pas à temps,
elles sont fabriquées à l’ammonitrate et
posées dans des flacons en plastique.
Elles ne sont donc pas détectables avec
les détecteurs fabriqués pour les détonateurs chimiques et non pour les matières
REPORTAGE

Actuel

Grillage éventré du poste de Milla

qu’utilisent les terroristes. Les chiens
sont entrainés à sentir la poudre et la
TNT, les mines sont alors fabriquées avec
des matières que ni le matériel ni les
chiens ne peuvent découvrir. En outre,
elles sont enterrées à 10 et 15 cm sous le
sol et sont bien camouflées.
Notons également l’apport de la contrebande qui constitue les deux facettes
d’une seule pièce avec le terrorisme et
vont de pair. Il existe un contrat moral
impossible à rompre entre les deux. Les
contrebandiers fournissent la logistique,
les vivres et les munitions en échange de
la protection des terroristes. Cette collaboration s’étend aujourd’hui chez nous
de Tabarka à Gafsa et sans un plan de lutte contre la contrebande, il est difficile de
vaincre le terrorisme.
Le vide existant sur les côtes, n’est également pas à négliger. Il facilite l’arrivée de
terroristes et d’armes tout comme, il a
permis l’immigration clandestine de milliers de personnes.
Pour finir, on ne peut nier que le manque
de volonté et de décision politiques, a été
fatal et qu’il est responsable de la propagation et de l’installation de cellules ter-

roristes. Le phénomène aurait dû être
stoppé dès les premiers discours de haine
prononcés et qui sont par ailleurs restés
impunis.

Cadre juridique et social
Les agents de la sécurité nationale ne sont
pas couverts par une réelle protection
juridique. Ainsi, leurs blessures ou même
assassinats, n’entrent pas dans les accidents de travail. Ils y sont même exclus
par un texte de loi, sauf pour les forces de
sécurité intérieure. Ils n’ont alors pas
droit à des compensations.
En cas de décès, la famille obtient 500 ou
600 dinars comme prime d’enterrement
et 12000 comme compensation. En cas
de fracture handicapante, l’agent part à la
retraite anticipée non causée par un accident de travail. Le salaire d’un agent de
sécurité nationale célibataire est automatiquement suspendu à sa mort. Si l’agent
est marié, mais n’a pas d’enfant, sa veuve
perçoit 60 à 70% du salaire, le pourcentage est de 70 à 80% pour les pères, seulement on parle ici du brut et non du net. Si
un agent de sécurité jouit d’un habitat
social, sa famille se retrouve sans loge-

ment à son décès. La prime de risque que
les autorités disent avoir augmentée de
100 dinars ne l’a été que de 54.
Les agents aux postes frontaliers ne jouissent ni de primes de spécialités ni de
primes frontalières. Leur seul avantage
est de 10 dinars supplémentaires tous les
mois en contrepartie de 5 ans passées
retranchés.
Alors qu’il faut de toute urgence activer
la loi antiterroriste, tout en réformant ce
qui toucherait aux Droits de l’Homme,
aucune décision politique ne vient dans
ce sens. Aucune loi ne protège l’agent
participant à des opérations antiterroristes
et à titre d’exemple, ceux qui ont participé à la descente de Douar Hicher ayant
causé la mort de l’épouse d’un présumé
terroriste, sont actuellement poursuivis
pour meurtre.
L’Administration a présenté au gouvernement un programme contenant dix points
se rapportant aux volets juridique, logistique et concernant l’équipement, elle
attend toujours une réponse. En attendant,
les hommes tombent dans notre pays…
Hajer Ajroudi

du 31/10 au 6/11/2013 - N° 1453 - RéAlités - 13

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  • 1. REPORTAGE Actuel Reportage aux frontières Sur les pas de nos anges gardiens La patrouille exposée aux tirs La Tunisie ne cesse de compter ses morts dans les rangs des forces de l’ordre. Banalisées, voire justifiées, au lendemain de la Révolution, les attaques à leur encontre, nourries par la colère populaire, cèdent la place à des agressions criminelles et planifiées. Aujourd’hui, elles font partie d’un plan terroriste visant à mettre le pays à genoux. Mais quelles sont les raisons d’une pareille vulnérabilité ? Le système sécuritaire a été presque sans faille durant des décennies, le terrorisme a été pour le Tunisie, jusqu’à il y a peu, une matière médiatique rare. Et pourtant des drames se multiplient: commandos égorgés, agents tués, embuscades, A u pied d’une colline, le poste de la garde nationale est une cible facile en plein champ de tir. Et alors qu’il est exposé, en face, aucune visibilité, les arbres cachant tout ombre mouvante. attaques terroristes (…) rythment aujourd’hui notre vie. Il y a deux semaines, le drame de Goubellat faisait la Une de l’actualité, quelques jours à peine, le massacre de Sidi Ali Ben Aoun, venait attirer l’attention et nourrissait l’indignation des Tunisiens. Plusieurs postes frontaliers ont également été attaqués, des morts et des blessés sont tombés. Pis encore, le même poste peut être assailli plus d’une fois en l’espace de quelques jours comme cela a été le cas pour celui de Milla, poste frontalier à Ghardimaou, sans que des mesures spéciales ne semblent avoir été prises. Reportage. L’intérieur est tout simplement chaotique  ; vieux bâtiment mal entretenu, humidité et moisissures sur les murs et pas d’équipements sanitaires dignes de ce nom. Ici, on contracte facilement une maladie infectieuse ou respiratoire même si on a échappé à une balle. L’eau leur parvient dans des citernes et les jours de neige, ils sont livrés à eux-mêmes. Nous prenons une route étroite arpentant la montagne. Elle ne laisse passer qu’une seule voiture à la fois, entourée de forêts du 31/10 au 6/11/2013 - N° 1453 - RéAlités - 11 ➥
  • 2. Actuel ➥ touffues, bordées par des falaises, jusqu’au dernier point des frontières : le poste frontalier de Milla qui est à quelques mètres de l’Algérie. Tous les passagers portent des gilets pare-balles, les montagnes étant dorénavant peuplées de terroristes. Pourtant, dans les passages où il n’y est pas plus facile que d’organiser une embuscade, aucune disposition n’a été prise, ne serait-ce que d’abattre quelques arbres pour une meilleure visibilité et un passage facilité. On arrive au poste frontalier de la Garde nationale «Milla». Attaqué deux fois déjà depuis peu, rien hormis l’impact de balles sur les murs, ne laisse voir cela. La sécurité n’y a pas été renforcée. Les grillages l’entourant sont éventrés, il va de soi qu’ils ne sont pas électrifiés, les agents sur place sont peu nombreux, le bâtiment, d’une hauteur moyenne alors qu’en face les collines abondantes et dominantes le surplombent, aucun aménagement particulier pour protéger ses différents côtés, les uns donnant sur l’Algérie, d’où est venue la première attaque, les autres sur la montagne, depuis laquelle on leur a tiré dessus la seconde fois. L’adjudant Haithem Ayari, âgé de 26 ans et présent le soir de l’attaque, témoigne. «Nous sommes allés comme d’habitude à nos postes, en garde à vue, nous nous sommes défendus comme on le pouvait avec les équipements dont on dispose. Cela aurait pu finir par un vol d’armes ou par des morts, mais nous avons pu y faire face». Moncef Jouini, membre de l’Union nationale des syndicats de la sécurité tunisienne insiste, quant à lui, sur l’iniquité salariale entre les agents de la Garde nationale et l’armée, les premiers étant souspayés, pourtant exposés au même danger que leurs collègues soldats… Un agent Les frontières algériennes, d'où a été menée la première attaque contre le poste de Milla s’avance et nous dit “vous savez, ils sont probablement en train de nous guetter en ce moment même  ! ils nous voient sans qu’on puisse le faire” Ainsi, seuls le courage et la bonne formation avaient permis aux agents de la Garde nationale de protéger leurs vies et leurs armes lors des deux attaques, ni conditions favorables, ni équipement performants, ni aviation, ni même motivation salariale, ne leur sont offerts… À quelques kilomètres de leur poste, celui des agents algériens s’étend sur une grande distance et regroupe 80 agents. À une période où les terroristes ont élu domicile dans nos montagnes, les équipements et l’aménagement sont tout aussi importants que la formation. Le regroupement d’unités qui sont éparpillées en petit nombre et donc vulnérables s’impose. En attendant, les agents de sécurité de différents corps attendent la décision politique, qui, au début tardait à tomber en pleine attaque, mais qui tarde toujours Colline d'où a été menée la deuxième attaque 12 - RéAlités - N°1453 du 31/10 au 6/11/2013 à tomber aujourd’hui dans la prévention d’agression. «Il faut réviser les salaires et les conditions dans lesquelles ils travaillent et revoir la partition des unités sur les frontières» conclut M. Sahbi Jouini, porte paroles de l’UNSST. Avant de quitter le poste, les agents de la garde nous interpellent, «malgré tout, nous serons là, à protéger notre patrie et notre peuple, à nous sacrifier pour eux. Nous serons un rempart contre le terrorisme et tout danger.» Leurs voix se sont élevées en chœur, déchirant le silence des forêts, scandant l’hymne national, spontanément, volontairement… «Vive la patrie  !» finissentils par crier Failles techniques L’affaissement du système sécuritaire a commencé au lendemain de la Révolution. Un vide sécuritaire a eu lieu, limogeages de cadres, dissolution d’unités spécialisées dans la sécurité de l’État. À nos frontières, la Révolution libyenne faisait rage, les armes circulaient entre les deux pays et des cellules terroristes ont pu s’introduire dans notre pays et s’y installer. C’est seulement un an après, qu’elles furent découvertes, en attendant, elles ont eu tout le temps requis pour installer le réseau logistique et élaborer des plans d’attaque. Quant aux mines qui explosent de temps à autre et qui suscitent l’étonnement de la population qui est surprise qu’on ne les détecte pas à temps, elles sont fabriquées à l’ammonitrate et posées dans des flacons en plastique. Elles ne sont donc pas détectables avec les détecteurs fabriqués pour les détonateurs chimiques et non pour les matières
  • 3. REPORTAGE Actuel Grillage éventré du poste de Milla qu’utilisent les terroristes. Les chiens sont entrainés à sentir la poudre et la TNT, les mines sont alors fabriquées avec des matières que ni le matériel ni les chiens ne peuvent découvrir. En outre, elles sont enterrées à 10 et 15 cm sous le sol et sont bien camouflées. Notons également l’apport de la contrebande qui constitue les deux facettes d’une seule pièce avec le terrorisme et vont de pair. Il existe un contrat moral impossible à rompre entre les deux. Les contrebandiers fournissent la logistique, les vivres et les munitions en échange de la protection des terroristes. Cette collaboration s’étend aujourd’hui chez nous de Tabarka à Gafsa et sans un plan de lutte contre la contrebande, il est difficile de vaincre le terrorisme. Le vide existant sur les côtes, n’est également pas à négliger. Il facilite l’arrivée de terroristes et d’armes tout comme, il a permis l’immigration clandestine de milliers de personnes. Pour finir, on ne peut nier que le manque de volonté et de décision politiques, a été fatal et qu’il est responsable de la propagation et de l’installation de cellules ter- roristes. Le phénomène aurait dû être stoppé dès les premiers discours de haine prononcés et qui sont par ailleurs restés impunis. Cadre juridique et social Les agents de la sécurité nationale ne sont pas couverts par une réelle protection juridique. Ainsi, leurs blessures ou même assassinats, n’entrent pas dans les accidents de travail. Ils y sont même exclus par un texte de loi, sauf pour les forces de sécurité intérieure. Ils n’ont alors pas droit à des compensations. En cas de décès, la famille obtient 500 ou 600 dinars comme prime d’enterrement et 12000 comme compensation. En cas de fracture handicapante, l’agent part à la retraite anticipée non causée par un accident de travail. Le salaire d’un agent de sécurité nationale célibataire est automatiquement suspendu à sa mort. Si l’agent est marié, mais n’a pas d’enfant, sa veuve perçoit 60 à 70% du salaire, le pourcentage est de 70 à 80% pour les pères, seulement on parle ici du brut et non du net. Si un agent de sécurité jouit d’un habitat social, sa famille se retrouve sans loge- ment à son décès. La prime de risque que les autorités disent avoir augmentée de 100 dinars ne l’a été que de 54. Les agents aux postes frontaliers ne jouissent ni de primes de spécialités ni de primes frontalières. Leur seul avantage est de 10 dinars supplémentaires tous les mois en contrepartie de 5 ans passées retranchés. Alors qu’il faut de toute urgence activer la loi antiterroriste, tout en réformant ce qui toucherait aux Droits de l’Homme, aucune décision politique ne vient dans ce sens. Aucune loi ne protège l’agent participant à des opérations antiterroristes et à titre d’exemple, ceux qui ont participé à la descente de Douar Hicher ayant causé la mort de l’épouse d’un présumé terroriste, sont actuellement poursuivis pour meurtre. L’Administration a présenté au gouvernement un programme contenant dix points se rapportant aux volets juridique, logistique et concernant l’équipement, elle attend toujours une réponse. En attendant, les hommes tombent dans notre pays… Hajer Ajroudi du 31/10 au 6/11/2013 - N° 1453 - RéAlités - 13