Racines1. Racines, ou les Confessions d'un Zarathoustra refoulé
Martin Tournadre
(Revue l'Ampoule – Appel à textes n°5
Thème : « Homme & Animal »
Rubrique : « confessions »)
Mon nom est Teddy. On m'appelle « l'orphelin ». Trente ans, célibataire, sans enfants, non titulaire du
permis B. D'étranges évènements m'ont transformé ; réellement.
Il est de fréquente coutume d'entamer un récit par un autoportrait alors, afin de m'y appliquer, je dirais que
les premiers termes auxquels penseraient les deux, trois personnes qui me connaissaient, si on était amené à
leur proposer de me décrire brièvement, sont mon intégrité et mon inconditionnel amour de la charité que m'a
généreusement distribués le Christ, ce si bel homme à la divine stature, lorsqu'il est venu me tirer d'une vie
consacrée à l'ivrognerie et ce, afin que je n'y remette jamais plus les pieds. Depuis, l'église a remplacé les bars
où je logeais à mi-temps, la messe les bastons que je perdais tout le temps. Optimus Nuntius Nobis Allatus
Est : Pax Cum Hostibus Facta Est.
J'étais enfant de choeur, apprécié du monde qui souhaiterait de toute évidence voir émerger en lui plus
d'éléments tels que moi.
J'élève des chats. Je veux dire, c'est mon métier, l'activité me permettant de subvenir à mes besoins les
plus élémentaires : posséder un toit sous lequel dormir, un frigo duquel puiser un repas que je bénis tous les
matins midis et soirs, ainsi qu'un robinet – ce puits moderne – qui m'abreuve chaque fois que je sollicite ses
services. Au fond, étant une personne simple et, me semble-t-il, d'une certaine richesse spirituelle, tout cela
m'est amplement suffisant. Cotidie Quoque Perdurantes Unianimiter In Templo Et Frangentes Circa Domos
Panem Sumebant Cibum Cum Exultatione Et Simplicitate Cordi.
Le chat est un animal éternellement surprenant, et la fascination qu'il exerce sur moi m'a souvent donné
envie d'embrasser une carrière d'écrivain car, des livres, j'ai appris qu'il était le compagnon idéal de celui qui
scelle son destin à la plume, ou au clavier, si vous préférez. Le félin occidental peut être le matin d'une
innommable idiotie et, le soir venu, d'une profondeur d'âme que l'on ne peut, bien évidemment, déceler par sa
parole – cette dernière n'étant point articulée –, mais qui se trouve lue dans la sombre étincelle de son regard
quand il vient, une fois sa panse remplie, se reposer à nos côtés. Au fond, il ressemble un peu à un être
humain, à la différence qu'il bénéficie d'une imposante noblesse d'attitude : en effet, chacun de ses
mouvements est soucieux de respecter une grâce naturelle dont notre patrimoine génétique, à nous, nous a
privés (tant pis, les dons de Dieu, on doit faire avec, et se taire). Il y a dans son essence, en opposition à son
existence liée à l'odieuse fainéantise, une perfection que je ne saurais définir autrement que féminine. La
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2. femme... le deuxième compagnon indispensable de qui vit de l'écriture ; on le dit. Je cherchais un moyen
d'aborder mon « problème » alors, ça y est, enfin, j'y suis.
Laissez-moi vous conter mon histoire.
J'avais trente ans... et un de ces jours, j'atteindrais les trente et un voire plus et... comment dire?.. je... je
n'avais jamais touché... bon, voilà, j'étais vierge. Oh, j'entendais bien la sagesse de mon curé – un grand
homme – quand il me répétait inlassablement que la patience était des vertus l'une des plus grandes
cependant, le trajet reliant mon petit chez moi au supermarché, avec ses vitrines – Aubade© ou Zara© –
vénérant la présence sur Terre de corps à la magnificence aux abords de l'utopie, était devenu pour moi un
véritable chemin de croix. Et Patientiam Habes Et Sustinuisti Propter Nomen Meum Et Non Defecist. Parfois,
je vous le jure, on dirait ces propagandes injustes qu'on semait dans l'effort de guerre « sois lâche ou engage-
toi! ». Alors, je me suis renseigné et rendu, sans grande fierté, admettons-le, auprès d'un coach diplômé ès
séduction, un gars spécialisé dans l'organisation de séminaires durant lesquels il exposait son propre tableau de
chasse, évidemment accessible à quiconque possède un minimum de volonté – moche ou beau, stupide ou
brillant – et un compte bancaire en bonne santé. Malheureusement, il faut savoir qu'avec la crise financière, le
secteur de la vente de chats a subi une chute historique du coup, je lui ai fait mes adieux, et choisi de me
rendre au Décathlon© le plus proche afin de m'y procurer deux haltères de dix modestes kilos chacune. Un
bon début. Dans la vie, il faut savoir commencer. Sufficit Cuique Diei Malitia Sua.
Donc, je m'y suis mis. Sérieusement. Une demi-heure par jour. Une heure. Deux heures.
Au long des trois mois suivants, sans vouloir me vanter – ce n'est pas mon genre, vous l'aurez compris –
mon corps qui, auparavant, n'avait été qu'un squelette difforme recouvert d'une peau sèche, semblait devenir
une statue de Rodin en chantier puis, au bout de neuf mois, l'artiste ayant achevé son chef-d'oeuvre, j'étais un
mâle. Enfin. Sicut Enim Protegit Sapientia Sic Protegit Pecunia Hoc Autem Plus Habet Eruditio Et Sapientia
Quod Vitam Tribuunt Possessori Su. Qu'est-ce qu'un mâle, me direz-vous? deux fortes boules mobiles
accrochées aux épaules droites comme l'Arche de la Défense, deux gros galets de chair surplombant de
puissants abdominaux et des cuisses, des mollets aptes à grimper, sans verser la moindre perle de sueur, les
sommets les plus élevés, ceux qui, en distance, ne se trouvent plus qu'à une infime éternité du Royaume des
Cieux. Gratias Tibi Deus.
Il ne me restait plus qu'un détail, mais d'une indéniable importance : je ne savais pas comment on faisait,
euh, l'amour... enfin si, un peu, ce doit être comme font les chats... inutile de vous moquer, je ne suis pas naïf,
j'ai tout de même trente ans, maintenant, oui, ce n'est pas qu'une histoire de bisous et de suçons et puis c'est
comme les chats, je crois, enfin, je sais, je veux dire, je les ai souvent regardés à la tâche : le mâle possède un
pénis qui durcit, la femelle à quatre pattes lève l'arrière-train en attendant d'être pénétrée, il y a coït, un va-et-
vient, quoi. Et puis l'affaire est dans le sac, si j'ose dire.
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3. Donc, je m'y suis mis. Sérieusement. Aux vidéos pornographiques, veux-je dire. Une demi-heure par jour.
Une heure. Deux heures. De nos jours, les hommes n'ont plus tellement le choix en matière d'éducation
sexuelle, la littérature en traitant ne s'adressant plus qu'à la gente féminine – serait-ce inné, chez nous autres,
individus façonnés par la testostérone? –. Vous avez sûrement entendu parler de ces ouvrages, les Osez le/la©,
rédigés par des parisiennes de salon manifestement plus attirées par l'épanouissement lucratif que celui des
indigents du cul. Je ne demandais que ça, moi, oser! Dimitte Nobis Debita Nostra. Libera Nos A Malo.
Au long des trois mois suivants, sans vouloir me vanter – ce n'est mon genre, je vous l'ai déjà signalé –,
mon apprentissage fut accompli, grâce à slutload.com© et daughterdestruction.com©, malgré qu'il fût d'un
enrichissement somme toute relatif car ne faisant, en vérité, qu'infirmer mes conclusions tirées d'observations
quant à la pratique sexuelle des félins qui m'entourent. Néanmoins... un détail me perturbait... un détail qui
m'apparut avec une extrême netteté en scrutant les amants pratiquants qu'on filmait... nous tous savons
pertinemment – depuis et grâce à l'enseignement de Dieu – que l'homme est homme parce qu'il n'est pas
animal, il pense et peut user de sa conscience à tout instant (dès lors qu'il fournit l'effort de mobiliser son
courage), telle en est la preuve sur le plan de la psychologie... et en ce qui concerne le physique et bien, nous
ne sommes point pourvus de fourrure – Dieu nous ayant subtilement épargné ce fardeau afin que nous
puissions nous voiler de sublimes vêtements – et pourtant... enfin... c'est difficile à l'admettre mais... une dense
pilosité s'était mise à pulluler sur mon corps, mon corps tout entier, des oreilles jusqu'aux orteils et, j'avais
beau la raser, l'épiler, elle revenait opiniâtrement et, de surcroît, en renfort.
En quête de solutions à cette crise, j'allai rendre visite à mon curé. Et lui avouai ce vice auquel je m'étais
honteusement livré, dont je ne vous ai même pas encore parlé ; les boîtes de nuit – Le Privé©, L'Opéra©, Le
Milk© et d'autres, plus bestiales encore – oh, bien sûr, nulle explication ne me vint à l'esprit quant à l'objet de
ma venue au sein de ces sombres temples pré-apocalyptiques, car on n'y parle pas – les tambourinages
électroniques nous interdisant la pratique ancestrale de cet art intrinsèquement humain – non, on y bouge et
remue sans danser, vénérant abruti la trivialité d'une espèce de... je ne sais pas... de foule primitivement tribale
extatique possédée sous le règne muet d'un chaman et ce chaman, mon père, c'était... Seigneur... Gratia Plena
Et Benedictus Fructus Ventris Tui... une femme placée sur un podium, mon père, je vous le jure, et elle était
non seulement vêtue comme le Christ en croix mais aussi plus élevée que Lui, et elle se trémoussait, osant
laisser ses jambes se croiser et les yeux de la meute la scruter, mon père, j'ai vu la constellation d'étincelles
lubriques réunies au ras du sol se concentrer sur elle, la créature jouissant d'incarner ainsi le fruit de
l'admiration et sa poitrine, entraînée dans l'énergie de cette nuit, se dédoublait en formant un couple de spirales
ondulantes et tout ceci, mon père, c'était avant qu'elle ne se mît à se cambrer pour se baisser, révélant de fins et
brillants sphincters cernant un morceau de tissu et partout résonnaient les gloussements les cris tous, tous je
vous le jure, tous ils voulaient copuler avec elle alors, vous comprenez, mon père, je suis parti, j'ai couru et
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4. même bousculé un homme qui a pris la peine de m'insulter et puis j'ai vomi, vomi, et encore vomi pour
extirper le péché parce que... je crois que... enfin que moi aussi j'aurais voulu...
− Rappelle-toi, mon fils, du Christ dans le désert, qu'a-t-il fait?
− Il n'a pas cédé à la tentation. Je dois rester vierge, c'est cela, en fait.
− Non, mon fils. Tu es un homme, un humble pécheur. Cherche et trouve une femme que tu épouseras et
chériras. Ensemble, vous aurez des enfants que vous aimerez comme Dieu nous aime tous.
− Mais j'ai déjà mes chats, moi.
− Dieu a fait l'homme afin qu'il aime et protège la femme. Mais si tu choisis de vouer ta vie à la
contemplation, alors fais-le, si tel est ton choix. Ai-je répondu à tes attentes?
− Je crois, oui... je voulais aussi vous parler de quelque chose qui m'arrive...
− Oui, mon fils?
− Rien... ce n'est pas important... Notre père qui es aux cieux Que ton nom soit sanctifié Que ton règne
vienne Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel Donne nous aujourd'hui notre pain de ce jour
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés Et ne nous soumets
pas à la tentation Mais délivre-nous du mal
− Amen!
− Amen...
Une fois l'entretien achevé, quittant l'église, je rentrai chez moi pour m'occuper à divertir mes adorables
chats, en agitant au-dessus de leurs pattes surexcitées des souris en plastique enduits de fourrures synthétiques.
Très bon entraînement leur permettant de conserver la forme ; notre foutue société confortable les engraisse.
Rassasiés d'exercices physiques, ils allèrent retrouver leur quartier, et dormir. Ils sont tellement beaux...
Pour moi, il était l'heure des ablutions du soir et, malheureusement, de mon effroyable examen corporel
qui, horreur!, il m'était devenu impossible de ne serait-ce qu'entrevoir la peau de mes pieds, pas plus que celle
de mes mollets, ou de mes cuisses, ni même de mon abdomen et de mes pectoraux, de mes biceps et des avant-
bras qui les prolongeaient!, mon prodigieux corps de mâle souillé de cette satanée tonsure enflant de jour en
jour!, j'épilai. En une heure, elle revenait. J'épilai ; en une minute elle revenait. J'épilai, en une seconde elle
revint! Omnis Enim Quicumque Invocaverit Nomen Domini Salvus Eri
Doctissimo.fr© évoqua les conséquences de la testostérone que délivrait à outrance la musculation.
Erreur! Doctissimo.fr© devait se tromper! Doctissimo.fr© ne sait rien de la théologie! Je dois avouer ce qu'il
s'est passé cette nuit-là. Il ne fallait surtout pas, à aucun prix, rejoindre mes draps, le sommeil aurait décuplé
plus encore la gangrène brune qui se reproduisait à mon insu alors je suis sorti, faisant une brève escale à une
épicerie, histoire de récupérer du Red Bull©, et puis de l'Absolut© en aromate, en grande quantité en fait,
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5. autant qu'il m'était possible d'en transporter, et la douceur – ce goût de bonbon liquéfié – me rappela soudain la
gloire établie de notre civilisation, avec ses usines qu'on avait semées sur l'ensemble de ces terres jadis
sinistrement en friche, ses cathédrales érigées dans la sueur et l'espoir de guérir un beau jour les peuplades
illettrées se masquant le visage de ces ridicules peintures quand ils n'étaient point capables, les ignorants, de
cacher ce que Dieu ordonna qu'on voilât!.. je déambulais... vers l'Institut Freudien de Psychanalyse
Montpelliérain©... Route de Toulouse©... la ville rose... il y avait des filles patientes... je remarquai l'une d'elle
car était belle, avec des ongles longs comme des griffes, des jambes arquées, fines et puissantes, un nez
parfaitement épaté, des joues rondes et bombées et, ce qui attira le plus mon attention, fut sa paire d'oreilles
qu'ont les elfes dessinées par les entichés de la nature... elle avait envie de moi c'était clair je l'avais vue sur
internet alors j'allai vers elle et l'attrapai et la plaquai au sol c'était ce qu'elle souhaitait de toute façon et je ne
sais pas ce que... mais une ombre titanesque, un gorille monstrueux m'attrapa me dérouilla me balança sur le
trottoir rouge et luisant...
Les murs clignotaient. On me souleva. On m'enferma dans un fourgon. Dans une cellule. Dans une
ambulance. Dans une autre cellule.
Un docteur en sorcellerie psychiatrique brandit son manuel et diagnostiqua une hypersexualité – ne vous
en faites pas, monsieur, pour chaque problème, nous avons un médicament... vous savez, David Duchovny,
grâce aux nouveaux traitements, résiste maintenant aux tentations, et a pu retrouver sa vie normale! – mais j'
veux juste... j' veux juste être vierge... j' crois... – non monsieur, il ne faut pas!, il faut avoir une sexualité! – j'ai
mes chats, vous savez... – ça ne suffit pas! Un homme de votre âge, voyons! À moins que ne vouliez vous
enfermer dans un trouble de la personnalité évitante et vous orienter vers l'hyposexualité donc fatalement finir
en état dépressif majeur, c'est ça que vous voulez?! – euh... j'imagine que non... – bon! très bien! ai-je répondu
à vos besoins? – euh... j'imagine, oui... 'fin... non, y a que'que chose d'autre – quoi?! – sont mes chaussures...
elles sont devenues trop p'tites et... regardez mes manches... elles sont bien trop courtes... – vous êtes ivre,
monsieur, maintenant, je ne peux rien pour vous! Vous allez vous reposer! Attendez là, un infirmier va vous
conduire à votre chambre et, en attendant, pas de scandale! Sinon, ce sont les sangles! – oui... docteur... »
Et puis... y a... ces poils – je comprends, monsieur, vous avez parlé au docteur, allez vous reposer,
maintenant, vous avez besoin de soins, vous avez un problème de santé – mais c'est qu' j' veux pas baiser mais
qu'on m' dit que j' dois enfin j' sais pas p't-être – reposez-vous, maintenant, reposez-vous... » On me mit sur un
lit pour malades – barrières et draps militaires, le tout rehaussé à la demande – contre le mur d'une pièce
empestant l'absence d'odeur, à l'éclatante blancheur, rayé de larges bandes grises consensuelles. Vous rendez
compte? changé nos cavernes pour du mobilier Ikea© qui soit médical ou j' sais quoi?.. comme une peau d'
serpent, pour du même en pire, le mieux est l'ennemi du vrai... – prenez votre traitement, et allez vous coucher,
monsieur, vous devez vous reposer »
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6. Assis, je bus la pisse saveur pomme qu'on me tendit – versée dans un gobelet semblable à ceux que
dégueulent les distributeurs de boissons – devant le flic en uniforme de soignant droit dressé, les bras croisés ;
il enleva la lumière, ajoutant qu'il ne fallait jamais hésiter à user de la sonnette. En me rendant aux toilettes,
l'enclume qu'était devenu mon corps assommé vacilla, et je faillis m'écrouler, entre la porte et les chiottes.
Le lendemain, dès l'aube – cet instant blafard où le ciel étale sa marée de lumière –, on me libéra en
échange d'un prochain rendez-vous, ailleurs. L'adresse, c'était près des fameux Arceaux©, aux pieds desquels
les prostitué(e)s – une fois le crépuscule couché, endormi – exerçaient à merveille dans le domaine de la
profession libérale. Je ne m'y suis jamais rendu. Aux Arceaux© de nuit, veux-je dire.
Je m'y suis rendu, bien sûr. Les hommes qui allaient me recevoir auraient les solutions à mes problèmes.
Internet le proclamait. J'allais enfin redevenir un être humain.
Valium© – 10mg – 1 cachet matin midi et soir
(traitement per os de l'illusion conséquente aux carences en alcool)
Deroxat© – 20mg – 1 cachet matin et soir
(traitement per os de la dépression, de la panique, de l'obsession, de la phobie sociale : on ouït dire, ici et
là, qu'il possèderait les vertus nécessaires à la guérison du Mal)
Prise de contact obligatoire avec les Alcooliques Anonymes©
J'y allai.
Malgré que ne comprenant, à dire vrai, strictement rien aux thématiques humaines a priori majeures qu'y
évoquaient les participants – divorces et licenciements, ainsi qu'un deuil, aussi –, je me plaisais, en revanche,
dans la compassion, un peu et puis, j'y rencontrai une femme adorable : Maddy, que je raccompagnais tous les
soirs suivant les réunions. Munie de formes généreuses ouvertement assumées, sujettes à revendication (en
réalité haïes), elle franchissait les rues désertes comme si du vide pouvait brusquement jaillir un bolide qui la
faucherait. Si j'étais amené à la décrire brièvement, je me contenterais de cette précédente phrase. Il ne
resterait plus qu'à ajouter qu'elle détestait le sexe. Oh, cela, je ne l'ai ni deviné, ni constaté. Ce fut elle qui me
l'annonça, un jour où, répondant à mon invitation de passer ensemble un après-midi au zoo du Lunaret©,
autour d'un café. Je me souviens de notre échange :
− Maddy, je t'aime bien, je te regarde beaucoup, tu sais, et je sais que ça te gêne, lui dis-je
− oui, me répondit-elle
− je peux te demander quelque chose?
− vas-y
− tu voudrais pas faire l'amour avec moi?
− non
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7. − pourquoi pas? dis-moi, j'ai besoin de savoir, je n'insisterai pas, ne t'inquiète pas
− je suis asexuelle
− ça veut dire quoi?
− le sexe, c'est sale... enfin, je trouve...
− d'accord...
− ça t'a plu, quand même? cette visite au zoo?
− oui
− moi, ce que j'ai le plus aimé, ce sont les singes hurleurs, ils sont rigolos, sur leur petite île, je trouve...
et puis, il y a, je sais pas, une étincelle dans leurs yeux, un truc qui... je sais pas... Maddy?
− oui?
− je peux te poser une question?
− oui
− pourquoi tu t'es mise à boire?
− parce que je suis un être humain, je crois
− Maddy, je vais te demander quelque chose, mais je veux que tu ne le prennes pas mal, surtout
− vas-y
− je ne veux plus jamais qu'on se voie, d'accord?
− D'accord, prononça-t-elle à mi-voix
(de toute façon, elle n'aurait jamais pu supporter la vue de la maudite fourrure masquant mon corps gagné
si durement...)
Voici donc venue l'heure de mes confessions... ou du moins de la véracité que je peux en tirer de mes
souvenirs.
Qui Spernit Me Et Non Accipit Verba Mea Habet Qui Iudicet Eum Sermo Quem Locutus Sum Ille
Iudicabit Eum In Novissimo Di
Pour d'évidentes raisons, je ne revins plus aux Alcooliques Anonymes© cependant, me rendant au
supermarché, j'en croisai l'un des habitués, Marc – le type d'alcoolique avec des lambeaux de chair violacée
pendouillant aux cernes creusées à la cuillère –, il était bourré comme un moine – de l'époque médiévale
précédant les drastiques réformes des autorités religieuses, effarées d'apprendre, de bouche à oreilles, qu'une
décadence sévissait chez ceux qui se devaient de ne se vouer qu'à Dieu, et à Dieu seul –, se dandinant, ou
plutôt titubant, transportant un halo de relents d'urine, il attrapa fermement mon épaule et son haleine
d'ammoniac baragouina – alors Teddy? Ç'fait longtemps qu't'a pas vu, tu d'vins quoi? – oh... pas plus... j'élève
7
8. mes chats, j'en vends de moins en moins, c'est sûr, mais toujours assez pour survivre, et toi? – boah, j'picole
j'vais p'têt en crever mais j'm'en fous et... enfin, ça t'dit pas de... enfin, d'aller boire un coup – je sais pas trop –
allez, viens, qu'est-ce t'as à perdre? T'sais quoi? Après j'te propos' qu'on aille s'faire une virée à la frontière –
où ça – boah, t'es con ou quoi? aux bordels!, quoi!, à la Jonquière©... t'vas pas oser m'faire croire qu't'as réussi
à la serrer la Maddy? – je... mais... pourquoi?.. – pourquoi quoi?!, Maddy ou les putes? – les deux – Maddy,
c'est coincée du cul qu' j'te dis, tous les gars des AA© l'savent, les putes c'est l'invers' et t'en as ben b'soin! –
pourquoi dis-tu ça? – arrête! Ça s' voit à trois bornes qu't'as jamais tiré ta crampe! T'es puceau, mec! Ça
s'flaire, mec! Ahahaha, t'es puceau! PUCEAU! PU-CEAU! »
Un instant de réflexion m'était nécessaire... en face de moi se trouvait une espèce de furoncle à forme
humaine, regorgeant probablement, bien dissimulées, de formidables qualités, néanmoins magnant une langue
française dénuée de grande élégance et, en fait, je ne sais ce qui, depuis le berceau, a fait de ma personne
quelqu'un d'aussi sympathique et intransigeant – ahaha l'gars il est puceau!, scandait-il outrageusement sur la
voie publique, place Roger Salengro© –, une poubelle éventrée eut été une œuvre d'art baroque en la
comparant à cet ivrogne dégueulasse sans le moindre muscle, dont la bidoche avariée, renfermant des organes
certainement pleins de merde, d'un infect fumet, parés pour la tombe, de la bouche du sale bougre il ne restait
plus qu'une poignée de dents boueuses – que pouvait-il avaler d'autre que de la pâtée?, comment, dans ces
conditions, manger de la viande? – cependant, ce que je me disais, ce qui me hantait eh bien voilà, je vous le
dis : cette erreur de Dieu placée là pour encadrer les grands, ce primate puant, cette ignominie, il baisait!
− Marc, lui sortis-je
− Ouais?
− On va choper de l'Absolut© et on y va! C'est comment là-bas?
− C'est comm' en boîte mais les femmes, elles veulent de toi!, si t'as d'la thune
− On y va!
On rejoignit le parking Odysseum©... direction l'Espagne... il sortit une fiole et versa quelques gouttes de
son contenu dans la bouteille... c'est quoi?, lui demandai-je... LSD, me rétorqua-t-il... le genre de trucs que
prenait Jim Morrison©?.. c'est ça, ouais, ça va t'faire du bien t'vas voir... on but... beaucoup!.. le bitume
devenait de la terre battue... les voitures des géants cailloux dégringolant... les arbres des mammouths
interminablement vaquant à brouter... mec, ton truc, là, ça m'a atteint, je crois... il se marra...
On était arrivés... Lady's Dallas© ou Paradise©... je ne sais plus lequel...
Deux gorilles ouvrirent les portes écrasantes... il y avait des barreaux... des lumières agitées... des jambes
dont la peau translucide tournoyait... des gros ventres attablés couverts de bière de cendre et de sperme... ça
bougeait ça courait... ça beuglait ça bavait... ça sautait... fonce!, Teddy!, t'es un billet de banque ambulant, un
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9. bout de chair 'toute façon, hurla Marc, occupé à tripoter une femelle blanche à tête de chat... j'en choisis une à
la crinière dorée... on monta... elle ouvrit une porte étroite... érection du tarif pour moi... trop poilu que j'étais,
la mâchoire trop bizarre, les mains trop rugueuses...
toilette – 5 mn
fellation nature – 5 mn
missionnaire – 5 mn
levrette – 5 mn
sodomie – 5 mn
éjaculation faciale – 5 mn
Marre des protocoles, je suis une bête, elle est une bête!..
Je la baisai baisai baisai jusqu'à ce que la violence la fît crier et qu'un des gorilles vînt m'attraper et me
dégager à poil hors de ce guêpier, de cette jungle organisée. La mélodie martiale d'un con pénétré, martelé...
samples liquides entre deux lignes de bass...
Marc me vit et me suivit. M'engueula.
Je le frappai frappai frappai jusqu'à ce que la violence des coups le fît s'étendre à terre et que nul ne vînt le
relever. Les craquements secs et répétés des os qu'on brise... boîte à rythme...
Au Diable le latin, nul homme ne le comprend...
Je partis en courant.
Rentré chez moi. Mon nom est l'orphelin.
Trouver une forêt. Où bâtir un avenir.
Des jours durant que je suis en quête.
Je décèle un arbre où m'installer.
Les arbres ne boivent que de l'eau...
Chats... sais pas quoi devenus... cueillir fruits... rien... je... de mon arbre... survivre... mouahaha! Ahah!
Hihihihi!
Ouhouhouh! Ahaha! Ouhou! Ahaha! Hihi!
Montpellier, le 09 septembre 2012
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