L'objectif de la présentation est de contribuer à la réflexion sur l’acceptabilité sociale des grands projets liés aux ressources naturelles au Canada et au Québec, à partir de l’exemple du projet Énergie Est. (1) Le développement canadien par les ressources; (2) Les recherches récentes sur l’acceptabilité sociale; (3) Les enjeux posés par le projet Énergie Est; (4) Une analyse du projet (« Qu’est-ce que c’est ? ») et des processus qui l’entourent (« Qu’est-ce que ça veut dire ? »), en termes d’acceptabilité sociale.
6. Le développement par les ressources
Mais les « vieilles » questions sont toujours présentes et se combinent avec des nouvelles
tensions :
◦ Entre les options idéologiques des gouvernements fédéraux : les gouvernements libéraux promeuvent
généralement des formes de développement durable (symbolisé par la ratification du Protocole de
Kyoto en 2002), alors que le gouvernement conservateur a promu une politique agressive centrée sur
l’exploitation des ressources naturelles (cf. le retrait du Protocole de Kyoto en 2012)
◦ Entre les stratégies provinciales, qui reposent sur des potentiels différents : alors que le Québec est
orienté vers les énergies renouvelables, l’Alberta est plus focalisée sur les ressources fossiles (gaz
naturel, sables bitumineux)
Ces enjeux sont bien représentés par le cas du déploiement au Québec de l’oléoduc Énergie-Est
8. Objectifs de la présentation
Contribuer à la réflexion sur l’acceptabilité sociale des grands
projets liés aux ressources naturelles au Canada et au Québec, à
partir de l’exemple du projet Énergie Est.
◦ Les recherches récentes sur l’acceptabilité sociale
◦ Les enjeux posés par le projet Énergie Est
◦ Une analyse du projet (« Qu’est-ce que c’est ? ») et des
processus qui l’entourent (« Qu’est-ce que ça veut dire ? »), en
termes d’acceptabilité sociale
10. Que permet l’acceptabilité sociale ?
Penser les tensions entourant les nouveaux projets de
développement des ressources naturelles. Cf. travaux faits à l’UQAR.
Au Québec, la notion parle des nouvelles modalités de la gouvernance
des ressources ET du rapport au territoire. Dépasse la perspective
technique pour ouvrir à des facteurs peu pris en compte.
Pour rendre compte de cette complexité ici, trois parties :
proposer une définition de l’AS,
faire une présentation du projet Énergie Est,
et suggérer une lecture en termes d’acceptabilité sociale.
13. Les études sur l’AS à l’UQAR (1/2)
Ø Parcs éoliens (Est-du-Québec, depuis 2008-09), ont montré :
◦ poids du style traditionnel des projets liés aux ressources
◦ capacité des acteurs à construire des projets socialement acceptables
Ø Gaz de schiste (Vallée du Saint-Laurent, 2011-13), a montré :
◦ poids du style traditionnel des projets liés aux ressources
◦ efficacité des instances publiques d’évaluation des projets (BAPE)
Ø Projets liés aux hydrocarbures (2014-16), montrent les
contradictions territoriales de la gouvernance des ressources :
◦ statu quo dans le Québec central vs relance des projets en « régions-
ressources » (Est-du-Québec, Anticosti, …)
14. Les études sur l’AS à l’UQAR (2/2)
Trois conclusions pratiques sur l’acceptabilité sociale :
◦ Éolien : co-construction projets techniques / communautés territoriales
◦ Gaz de schiste : rôle du politique pour articuler les impératifs économiques
et techniques / les impératifs territoriaux et sociaux
◦ Hydrocarbures : impact territorial des contradictions des politiques
publiques dans la conciliation entre ces différents impératifs
Une constante : la nécessité de penser l’acceptabilité sociale comme :
(1) Un processus, (2) complexe et (3) collectif.
21. Un projet économique majeur …
mais pas partout
Retombées fiscales pour le QC :
2.12 milliards sur 29 ans
En 2014, dépenses provinciales et
territoriales : environ 110 milliards
Emplois annuels pour le QC :
3 168 emplois (construction - 9 ans)
33 emplois (exploitation - 20 ans)
En 2016, population en emploi :
environ 4.2 millions de personnes
Investissement total de
15.7 milliards (12/2015)
dont 4 milliards au Québec
PIB du Québec : environ
370 milliards en 2014
22. Un projet risqué
Traverse des zones sensibles (QC)
• 860 cours d’eau, dont St-Laurent
• zones protégées, zones humides
• 75% du tracé sur des terres
agricoles au QC
Réponses du promoteur
(« technologie fiable »)
jugées floues et insuffisantes
• incertitudes liées aux spécificités du
milieu (golfe : glace, courants, milieu
fermé, etc.) et du pétrole lourd
• incertitudes sur des enjeux majeurs
(responsabilité agriculteurs, frais en cas
d’incident, scénarios, etc.)
• incidents réguliers sur pipelines neufs
• diluant : train (ou demande gaz nat.)
26. Le projet Énergie Est
Facteurs de crédibilité sociotechnique (1/3)
Crédibilité d’un projet : dépend de ses caractéristiques techniques,
mais aussi des interprétations par les personnes et groupes (et de
leurs usages du territoire). Enjeu : saisir comment différents acteurs
interpréteront le projet …
Plusieurs phases, sous cette dimension :
1. Initialement (2013), peu de questionnements socio-techniques
2. Prise de conscience des risques et remise en question à partir du
début des travaux à Cacouna (avril 2014) : multiplication des
questionnements sur différents paramètres techniques du
projet. Des réponses rares et jugées insuffisantes.
28. Le projet Énergie Est
Facteurs de crédibilité sociotechnique (2/3)
3. Stabilisation d’un consensus sur les risques (2015 – 2016) : l’abandon
d’un port à Cacouna et au Québec ne calme pas les préoccupations,
de plus en plus présentes dans l’espace public (plusieurs rapports
rigoureux sur les risques). Deux grands constats sont la base du
consensus :
◦ L’existence de risques bien identifiés et variés,
◦ La critique de la stratégie de TransCanada, qui :
◦ fournit une information trop limitée sur certains paramètres,
◦ refuse de participer aux séances publiques de la CMM.
29. Le projet Énergie Est
Facteurs de crédibilité sociotechnique (3/3)
Situation se stabilise depuis le début de l’année 2016. L’enjeu des
risques est moins mis en avant dans l’espace public. 2 raisons :
◦ TransCanada infléchit sa stratégie, accepte plus volontiers de fournir
des informations et de participer aux débats publics
◦ Il existe un consensus sur les risques, mais aussi sur le décalage
entre l’ampleur des risques et la faiblesse des retombées
économiques
Déficit de crédibilité : crédibilité technique insuffisante, d’autant plus
que le projet a une pertinence économique faible pour la province.
31. Le projet Énergie Est
Facteurs de soutenabilité (1/3)
Soutenabilité des communautés concernées par le projet : permet-
il de pérenniser leur existence ou, au contraire, la menace-t-il ?
Dimension qui s’est focalisée sur deux types d’enjeux :
1. Enjeu de l’impact du projet sur le modèle de développement
canadien (cristallisé autour de la question des gaz à effets de
serre - ONE, BAPE).
◦ Initialement, configuration classique (entreprise / opposants)
◦ éclate sous la pression dans l’espace public (ex. COP21) : État
divisé; BAPE rend compte du déplacement en intégrant les GES.
32. Le projet Énergie Est
Facteurs de soutenabilité (2/3)
2. Enjeux macro-économiques : l’enjeu pour les acteurs politiques est
de saisir la pertinence du projet pour leur territoire. Division sur
les retombées économiques attendues aux différentes échelles.
◦ Territoires locaux : certains initialement intéressés, mais les élus
locaux expriment préoccupations et opposition (jusqu’à 75 villes
en février 2015), étape importante quand la CMM et les
Premières-Nations se prononcent contre.
◦ Acteurs nationaux : divisions au QC et entre provinces
◦ Niveau fédéral : hésitations s’expriment par l’inflexion entre les
pratiques des gouvernements, et lorsque J. Trudeau rouvre le jeu.
34. Le projet Énergie Est
Facteurs de soutenabilité (3/3)
En conclusion, sur les facteurs de soutenabilité :
◦ Débat qui a mené à une progressive remise en cause du projet.
Projet ambitieux de développement, il devient un projet
encombrant : moins vertueux qu’espéré (économie) et plus vicieux
qu’attendu (impacts, risques).
◦ Le projet apparaît peu à peu comme perpétuant une trajectoire
économique peu soutenable, loin de la transition énergétique en
cours – et sans gains significatifs pour le QC. Incarnation d’un
« vieux » modèle qui s’épuise (pas de développement équitable,
soutenable ou porteur pour les économies concernées).
36. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (1/8)
Au niveau intermédiaire (meso), la légitimité du projet repose sur la
qualité des processus de délibération et des modalités de
gouvernance, dont l’enjeu est la construction d’un intérêt collectif
autour du projet.
Comment les décisions sont-elles prises ? Selon quelles règles du jeu
et quels intérêts ? Les arrangements sont-ils assez larges et assez
robustes, pour résister au temps et aux imprévus ?
Il s’agit clairement de la dimension la plus problématique du projet,
c’est-à-dire celle qui suscite le plus d’évènements …
37. Enjeux de légitimité politique _________________________________________________________________________________________________________________________________
2013
2014
Mars - TC nie possibilités de décision du Qc. P. Marois se prononce pour le
projet. ONGE émettent des doutes.
Avril – Nouveau PM favorable.
Mai – Début processus d’évaluation. Inquiétude d’élus locaux. 1è injonction
des ONGE pour l’arrêt provisoire des forages, rejetée par la Cour supérieure.
2è injonction. Opposition de la municipalité de Saint-Augustin.
Octobre – Ministère de l’Environnement rejette la demande de reprise des
travaux, veut un nouveau plan. Dépôt officiel du projet à l’ONE.
Novembre – Fuite du plan stratégique de TC.
Nouvelle demande du ministre pour une étude d’impact, veut mener une
évaluation, et pose sept conditions.
Multiplication des critiques dans l’espace public.
Décembre - Dépôt du projet de loi fédérale sur les pipelines
Annonce du
projet
Rencontre de
TC avec des
municipalités
québécoises.
38. Enjeux de légitimité politique_________________________________________________________________________________________________________________________________
2016
Janvier - Pas de docs en français, l’ONÉ refuse la demande du CQDE. Rejet du
projet par la CMM. Tensions politiques (hésitations du gvt, critique du PM de la
Saskatchewan, prise de position du PCC). Refus caucus iroquois.
Février - Des ONGE attaquent TC en justice pour l’obliger à respecter la loi sur la
qualité de l’environnement. Demandent un arrêt du BAPE. En CB, la Cour
Suprême juge que les provinces sont compétentes en termes d’ÉE.
Mars - Début des audiences du BAPE. Les Premières Nations du Québec veulent
être consultées. La Cour rejette la requête de TC (face aux ONGE).
Avril - Annulation du BAPE décrétée par le gouvernement
Mai - L’UPA s’oppose. Les ONGE suspendent les procédures.
Juin - TC dépose l’étude d’impact TC (« dans un esprit d’ouverture et de
collaboration » et de façon « volontaire » ). L’Assemblée des Premières Nations
Québec-Labrador s’oppose. L’ONÉ lance les audiences, même sans version
française et manque d’informations sur la portion Qc.
Août - Suspension des audiences de l’ONÉ, controverse sur les commissaires
ayant rencontré Jean Charest, consultant pour TC.
Octobre - Gatineau s’oppose . Nomination de 4 nouveaux membres à l’ONÉ.
2015
Février - Documents demandés toujours pas remis par TC. L’ONÉ
refuse de suspendre le processus (tracé QC pas fini, manque trad.)
Février-Mars - Déclaration d’inquiétude dans l’espace public (75
municipalités) et inscriptions nombreuses à l’ONE (+ de 1800)
Juin – Dépôt du projet par TC sans étude d’impact, mais annonce
d’un BAPE (les écologistes dénoncent un « BAPE au rabais ».)
Début de la consultation de la CMM, refus de TC d’y participer.
Juillet-août – Inquiétudes sur retombées économiques (gvt du
Québec / TC)
Août – Rapport critique de l’Ontario (risques, manque d’infos)
Septembre - Rejet du projet par Laval et préoccupations publiques
(Longueuil)
Novembre - Stratégies multiples dans l’espace public ( « soirées
portes ouvertes de TC / critique des ONGE et manifestations / gvt
est déçu des retombées économiques annoncées / patronat déçu
que le dossier n’avance pas)
39. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (2/8)
Première étape typique d’un grand projet canadien (2013 à 2014)
Le projet respecte le style traditionnel des politiques de ressources
canadiennes :
◦ Coalition entre l’entreprise et des acteurs publics en retrait (dans
leur rôle de régulateur), mais avec un a priori favorable (soutien
politique).
◦ Les principales oppositions sont menées par les acteurs
environnementaux, initialement marginalisés.
40. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (3/8)
Deuxième étape de crise, éclatement de la configuration initiale
(2014- 2016)
La configuration est mise sous pression par la conscience croissante
du décalage entre risques et bénéfices, avec :
Un échec de la stratégie de forçage de TC. L’entreprise fait le pari de
la compétence exclusive du fédéral et refuse longtemps de
reconnaître la légitimité des débats et des processus d’évaluation
québécois
41. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (4/8)
Un durcissement progressif des acteurs publics : montée des
préoccupations dans l’espace public (forages à Cacouna, réserves de
municipalités, opposition des groupes environnementaux, etc.) Cela
accentue la pression sur le gouvernement provincial qui se fait plus
incisif …
◦ Affirmation des exigences du gouvernement provincial : annonce
d’un BAPE (nov. 2014) et de sept conditions assez strictes quant
au projet
42. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (5/8)
◦ Le gouvernement se fait réticent face aux faibles retombées
économiques du projet, qui est aussi en contradiction avec la
lutte contre les changements climatiques (cf. COP21).
Malgré quelques facilités accordées à l’entreprise, le
gouvernement entend donc conserver tout pouvoir décisionnel …
43. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (6/8)
Conclusion de cette phase de crise : l’éclatement de la coalition
traditionnelle produit un rééquilibrage sensible des forces :
◦ le projet est désormais porté par une entreprise plus volontariste
dans le dialogue,
◦ face à un État plus exigeant,
◦ et dans une atmosphère de vive contestation dans l’espace public.
En l’état, le dossier et le projet sont figés au Québec, avant que le
dossier ne soit transféré au niveau fédéral …
44. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (7/8)
Troisième étape, un transfert du dossier sur la scène fédérale
Conformément aux procédures classiques, dossier pris en charge au
niveau fédéral : l’ONÉ lance les audiences en juin 2016. Ceci modifie
la configuration du projet, qui reste cependant ouverte, avec :
◦ La remise en selle relative de l’entreprise, qui retrouve ici la
position stable qu’elle a perdue au Québec
◦ La prudence des acteurs publics, qui usent des procédures
classiques pour faire valoir leurs positions
◦ Un élargissement des critiques de la procédure : contestations
par assos environnementales, mais aussi citoyens et élus locaux
45. Le projet Énergie Est
Facteurs de légitimité politique (8/8)
Conclusion provisoire de cette phase de dépaysement : de manière
générale, ce « dépaysement » du dossier est loin d’avoir calmé le
jeu, avec une exacerbation des tensions :
◦ Dans le champ politique fédéral : entre élus des provinces depuis
le début de l’année 2016,
◦ Dans l’espace public : critiques vives face aux facilités accordées à
l’entreprise (absence de version française des documents)
◦ Au sein de l’ONÉ, bousculé par la controverse sur son mode de
fonctionnement interne et des enjeux sur « l’intégrité de l’Office »,
dont certains membres ont rencontré des représentants de TC
48. Une perspective globale sur le projet
Énergie Est
En première analyse, le cas du projet Énergie-Est indique que les
processus générant (ou non) l’acceptabilité sociale sont désormais
incontournables pour les grands projets (cf. similitudes avec les
parcs éoliens, le gaz de schiste, etc.)
Pour le projet Énergie Est, ces processus se dismnguent cependant à
3 niveaux, parce qu’ils débouchent sur un triple déficit qui illustre
les limites de la gouvernance canadienne des ressources naturelles
…
51. Annexes : définition et références_____________________________________________________________________________________________________________________________________________
Définition de l’acceptabilité sociale :
«un processus d’évaluation politique d’un projet sociotechnique mettant en interaction une pluralité
d’acteurs impliqués à diverses échelles et à partir duquel se construisent progressivement des
arrangements et des règles institutionnels reconnus légitimes car cohérents avec la vision du territoire et
le modèle de développement privilégiés par les acteurs concernés.» Fournis et Fortin (2013: 13)
Références :
Fournis, Y., Fortin, M.-J. (2013), L’acceptabilité sociale de l’énergie éolienne : une définition, document de travail
du GRIDEQ, 131017, UQAR, 19 p. http://www.uqar.ca/files/grideq/fournis-fortin-131017.pdf
Fortin, M.-J., Fournis, Y. (dir.) (2015) L’acceptabilité sociale au Québec: où en sommes-nous? Actes du forum
tenus le 20 mars 2015 à l’Université du Québec à Rimouski, co-organisé par l’INM et la Chaire de recherche du
Canada en développement régional et territorial, 70 p. http://www.uqar.ca/grideq/edition/
Fournis, Y., Dumarcher, A. (2016), Vers un débat global sur l’extractivisme, au-delà du partage Nord/Sud. La
primarisation économique à la lumière des analyses de l’extractivisme et des principales ressources. Document
de travail GRIDEQ-160930, DOI: 10.13140/RG.2.2.34278.63049. 33p. https://www.researchgate.net/308794920
Présenté dans le cadre des activités de l’ADAUQAR – 13 avril 2017, Rimouski