SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  9
Télécharger pour lire hors ligne
Aude Pontois

Master 1 Information et Communication - CRDM
Université Paris X - Nanterre La Défense
Année 2015 - 2016 Pratiques des dispositifs médiatiques
La délinéarisation des contenus télévisuels :

La consommation des séries télé sur Netflix

Introduction
Depuis une dizaine d’années, les Français consomment plus que jamais des séries télévisées.
Parallèlement, l’arrivée du numérique dans le paysage télévisuel a profondément modifié les
pratiques des spectateurs. En effet de nouveaux dispositifs de délinéarisation de contenus télévisés,
certains légaux (replay TV, VOD…) et d’autres illégaux (piratage, P2P…), sont apparus et leur
permettent de consommer les séries de manières différentes. Parmi les dispositifs légaux, Netflix
s’est très vite imposé comme leader mondial de la SVOD . On peut se demander comment Netflix a1
gagné ce statut. Il semble évident que le service en ligne participe à la délinéarisation de la
consommation des séries télévisées, mais a-t-il fait émerger de nouvelles pratiques ou s’est-il aligné
sur les attentes de ses usagers ? Et d’ailleurs, quelles sont les nouvelles pratiques de visionnage de
séries télévisées ? Plus globalement, la question qui se pose face à l’engouement des usagers pour
les pratiques de consommation délinéarisées, est de savoir si le modèle traditionnel de
consommation de sériés télé risque de disparaître. C’est à cette interrogation que ce dossier tentera
de répondre, à travers le cas de Netflix.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur le processus de délinéarisation des séries télévisées.
Puis nous nous intéressons à Netflix et à la manière dont le service en ligne répond ou non aux
attentes de ses usagers. Enfin, nous étudierons en quoi les dispositifs de délinéarisation de contenus
télévisuels et les pratiques qu’ils ont fait émerger peuvent remettre en cause le modèle actuel des
séries télévisées.
I. Vers une délinéarisation de la consommation des séries télévisées
1. Le modèle historique de consommation de séries télévisées
Comme son nom l’indique, la série télé est un format originellement créée pour la télévision.
Lorsqu’elle est diffusée sur ce support, la série s’inscrit dans une grille de programme créée par les
chaînes de télévision. Ces programmations, planifiées pour répondre à un modèle économique régi
par la publicité, sont alors imposées au spectateur.
Il s’agit du « modèle de distribution historique des séries » (Combes 2015, p. 99), et la pratique qui
lui correspond est, selon Clément Combes, celle du rendez vous télé. Le spectateur doit adapter son
agenda en fonction de la ou des série(s) qu’il souhaite suivre. Mais ce dernier ne peut pas toujours
« Subscription Video On Demand ». Le terme a été francisé par VàDA (Vidéo à la Demande avec Abonnement)1
1
assister au rendez vous fixé par les chaînes de télévision. De plus, il se voit obligé de consommer
des séries à un rythme qui lui sont imposés par les chaînes.
Ce modèle de consommation est donc assez restrictif et peut se révéler frustrant pour le
consommateur de séries télé . D’autant plus que divers dispositifs lui permettent désormais2
d’aménager ses propres rendez vous télé.
2. La consommation délinéarisée
Les dispositifs de délinéarisation offrent au spectateur un accès aux contenus plus libre et plus
durable. Ce dernier peut alors se libérer de la grille de programme et maîtriser son rythme de
consommation.
Le consommateur va donc personnaliser sa consommation. Clément Combes (Combes 2015, p. 102
à 103) remarque que cette personnalisation passe par deux moment décisionnels . Le premier3
s’inscrit dans « un horizon temporel étendu » et consiste à choisir quelles séries consommer.
L’amateur de séries prend en compte ses goûts et la durée totale de chaque série (ou une estimation
de cette durée si la série est encore en cours de production). Le second moment décisionnel s’inscrit
dans l’immédiateté. L’amateur va tenir compte de son envie immédiate et du temps qui lui est
disponible pour choisir quel(s) épisode(s) regarder. On assiste donc à une auto-programmation de
sa part (Perticoz et Dessinges 2015, p. 122) : en plus de choisir les contenus qui rempliront sa grille
de programme, il décide également de leur moment de diffusion.
La personnalisation est donc au coeur des pratiques de consommation délinéarisée. Toutefois, on
assiste à l’émergence de pratiques récurrentes.
3. Les pratiques émergentes
Tout d’abord, il faut noter que la délinéarisation des programmes n’annule pas nécessairement le
rendez-vous avec la série - et pas seulement parce que l’amateur peut désormais créer son propre
rendez-vous. En effet, même en consommant de manière délinéarisée, l’amateur de séries aura
parfois tendance à plus ou moins respecter le temps de la diffusion télévisée. Il va vouloir rattraper
l’épisode (ou les épisodes) qu’il n’a pas pu regarder lors de sa (leur) diffusion télévisée peu de
temps après cette diffusion.
Ce mode de consommation est également frustrant car les diffusions françaises d’épisodes de séries américaines se2
font souvent dans le désordre.
Il fait ici un parallèle avec le phénomène souligné par Henrion et Maisonneuve à propos du disque.3
2
Son enthousiasme pour les séries va également le pousser à consommer des séries télé ou des
saisons qui ne sont pas encore diffusées dans son pays. Cette pratique sera motivée soit par
impatience, soit par « une volonté de conserver son univers socio-culturel, linguistique et temporel
d’origine » (Combes 2015, p. 108).
Parmi les pratiques résultant de la délinéarisation des séries télé, la plus représentative est celle du
binge watching. Elle nécessite effectivement que le spectateur ait accès à un nombre important
d’épisodes d’une même série, puisqu’elle consiste à s’immerger dans un univers fictif en
consommant à la suite plusieurs épisodes, voire l’intégrale de saisons d’une même série. Comme
nous le verrons dans la dernière partie de ce dossier, cette pratique pourrait remettre en cause le
modèle de création des séries télévisées.
Ces nouvelles pratiques de consommation délinéarisée des séries télé ont entrainé l’apparition de
nouveaux services de distribution délinéarisée. Netflix est l’un d’eux.
II. Netflix, un dispositif qui répond aux nouvelles attentes du spectateur
1. L’auto-programmation sur Netflix
Si Netflix connait un franc succès , c’est surement parce que la plateforme propose des services qui4
correspondent aux nouvelles pratiques des amateurs de séries télé. D’autant plus que ces derniers
sont de plus en plus déçus du modèle traditionnel de diffusion de séries télé.
Tout d’abord, les séries disponibles dans le catalogue de Netflix le sont en intégralité . Elles sont5
diffusées en streaming, et ne nécessitent pas d’être téléchargées. L’utilisateur peut ainsi entièrement
maîtriser sa consommation ; les séries qu’il souhaite visionner, l’heure, le rythme et même la
fréquence auxquels il souhaite les consommer dépendent entièrement de lui. Le principal obstacle
qui l’empêcherait d’auto-programmer sa consommation serait de ne pas trouver les titres qu’il
souhaite consommer dans le catalogue proposé par Netflix dans son pays . Les lois régissant le droit6
d’exploitation d’une oeuvre n’étant pas les mêmes dans chaque pays, le catalogue de Netflix diffère
effectivement d’un pays à l’autre. C’est d’ailleurs cette raison qui a poussé Netflix à produire ses
Netflix revendique 65,5 millions d’utilisateurs dans le monde4
Les dernières saisons de certaines séries ne sont pas disponibles car Netflix n’a pas encore acheté (ou n’as pas encore5
pu acheter) leurs droits.
Certaines séries ne sont pas disponibles sur Netflix car leur chaîne refuse de les vendre à Netflix (c’est le cas de HBO).6
3
propres contenus (Orange is The New Black, House of Cards…). Le problème est également7
contourné (illégalement) par de nombreux utilisateurs qui accèdent aux contenus disponibles dans
d’autres pays grâce à des VPN .8
Netflix tente de donner la maîtrise de sa consommation à son utilisateur. D’ailleurs, la plateforme
fonctionnant selon un modèle d’abonnement payant, ce dernier n’est même pas confronté à la
publicité. Toutefois, il n’est pas toujours aussi libre qu’il le croit.
2. Le système de recommandation de Netflix
Sur Netflix, l’utilisateur a donc l’impression d’être maître de sa consommation et libre dans ses
pratiques. Cependant, la plateforme oriente les choix de ses abonnés grâce à un puissant algorithme
de recommandation. Le principe des mécanismes de recommandation est de « suggérer des actions
ou des idées à un internaute en fonction de l'historique de ses actions (duquel sont inférées ses
préférences), [et] de ceux des autres utilisateurs » (Chavalarias 2012). Ces systèmes de
recommandation sont à la base de l’activité de Netflix. L’entreprise a d’ailleurs organisé le Netflix
Prize en 2009. Cette compétition avait pour but d’améliorer son système de recommandation. Le
gagnant a reçu 1 million d’euros - ce qui démontre l’importance de cet algorithme pour le service en
ligne.
Le système de fonctionnement de Netflix serait alors semblable à celui de la télévision
traditionnelle : il orienterait les choix de consommation de ses abonnés, auxquels ne serait attribué
que peu de liberté.
Pourtant, bien que Netflix joue un rôle de prescripteur envers ses abonnés, les recommandations
qu’il leur fait sont personnalisées. Et ces recommandations représentent justement un élément que le
spectateur recherche lorsqu’il s’abonne sur Netflix : face à l’abondance de séries disponibles (sur la
plateforme, mais également sur d’autres dispositifs), Netflix va « l’orienter (…) vers les contenus
susceptibles de lui convenir» (Bullich et Guignard, 2014). Ceci en nuisant le moins possible à la
diversité culturelle puisque la plateforme intègre à son algorithme une part d’aléatoire. Ainsi,
l’abonné ne verra pas toujours apparaître les mêmes titres dans ses recommandations.

Bien que le système de recommandation de Netflix soulève des questions (comme celle de la
Cette année, Netflix s’est imposé sur le marché de la production de séries, et a sorti 21 nouvelles séries originales. Il7
prévoit d’en sortir 31 en 2016.
Un Virtual Private Network (Réseau Privé Virtuel) permet de ne pas prendre compte les restrictions de réseaux.8
4
protection des données personnelles), il est représentatif de la stratégie de diversité mise en place
par Netflix afin de plaire à ces usagers.
3. Proposer différents usages à ses consommateurs
L’une des forces de Netflix réside dans le fait que le service a su se décliner sur une diversité
d’écrans, permettant une diversité d’usages. En effet, Netflix n’est pas uniquement disponible sur
ordinateur, mais sur une multitude de terminaux pouvant se connecter à internet : le poste de
télévision, le smartphone et la tablette. De plus, l’interface de Netflix demeure ergonomique sur
chacun de ces supports ; celle du site est aussi simple et intuitive que celle de l’application et les
fonctions disponibles sont les mêmes. Il faut noter que l’ergonomie est un critère décisif pour
l’usager lorsqu’il choisit le dispositif qu’il va utiliser.
Cette multiplicité de supports disponibles permet à l’abonné de Netflix d’avoir plusieurs pratiques
de consommation, puisqu’à chaque terminal est associé une pratique différente. En effet, comme le
font remarquer Régine Chaniac et Jean Pierre Jézéquel, « ce n’est pas parce qu’un téléviseur
acquiert les capacités d’un ordinateur (et réciproquement) que l’usager va en faire le même
usage » (Chaniac et Jézéquel 2005, p109). Ainsi, sur le téléviseur les séries sont plutôt regardées en
famille ou entre amis et l’usager est dans une position de réceptivité (sans pour autant être passif),
alors que l’ordinateur implique généralement des pratiques de visionnage individuelles, lors
desquelles l’usager sera actif et aura une position de maîtrise sur la diffusion de la série. Netflix
permet donc à ce dernier de consommer des séries selon différents usages grâce à un seul dispositif
de délinéarisation .9
Ces nouveaux usages peuvent cependant remettre en cause le modèle de création des séries télé.
III. Les futurs enjeux de la forme sérielle
1. La remise cause du modèle de production traditionnel des séries télé
Comme nous l’avons vu dans une première partie, l’émergence de dispositifs de diffusion
délinéarisée de contenus télévisuels couplée à l’impatience de l’amateur de consommer des séries
Il faut tout de même noter que les spectateurs utilisent d’avantage la SVOD sur ordinateur que sur la télévision. La9
stratégie de Netflix en France (qui consistait à s’allier avec des FAI pour implanter le marché français) s’est donc
révélée peu concluante, puisque la majorité de ses utilisateurs français se sont abonnés via Internet, par ordinateur.
5
vont pousser ce dernier à s’émanciper de la grille des programmes. Cette même grille des
programmes est pourtant au coeur du financement de la télévision traditionnelle.
Grâce à ces dispositifs, ce n’est plus au spectateur de s’adapter à la grille des programmes, mais aux
créateurs de s’adapter aux demandes de celui-ci. On passe alors d’un « modèle créatif historique,
basé sur l’offre (la série […] envisagée par la chaîne et ses producteurs) à une production pensée à
partir de la demande (la série définie par les usages de consommation des spectateurs) » (Le Monde
2015).
2. La relation des spectateurs à la série télé
Si les amateurs de séries ne les consomment plus de la même manière, c’est aussi parce que leur
relation à la série a évolué.
En effet, les pratiques de consommation individuelles de séries ont favorisé la création de liens
émotionnels entre l’amateur et la série. Ce lien existait déjà plus ou moins, puisque pour suivre une
série (à la télévision comme sur un autre dispositif), le spectateur a besoin de s’attacher à elle (à
travers les personnages, les intrigues ou même l’univers fictif qu’elle propose). Mais les pratiques
de consommation délinéarisées les ont amplifiés. Désormais, l’amateur peut consommer les séries à
un rythme beaucoup plus rapide que celui proposé par la télévision ; ils les consomment alors
comme s’il s’agissait de longs films. On assiste d’ailleurs à l’apparition de nouvelles pratiques de
consommation qui consistent à attendre qu’une saison de série soit diffusée avant de la commencer,
ou même de choisir une série déjà terminée afin de la visionner d’une traite. C’est pour cette raison
que Netflix met à la disposition de ses usagers de nombreuses séries déjà terminées (Friends,
Dexter, House…). C’est également pour cela que Netflix publie ses séries originales par saisons
entières.
3. Vers une nouvelle manière d’écrire les séries ?
Sa relation à la série va donc pousser l’amateur à pratiquer le visionnage intensif. Mais ce mode de
consommation va certainement conduire à une transformation des pratiques d’écriture et de
réalisation des séries. Clément Combes en compte au moins deux (Combes 2015), p104 à 106. Tout
d’abord, afin de pousser le spectateur à visionner de manière intensive une série, les procédés de
suspense et de cliffhangers sont de plus en plus employés. De plus, ces pratiques de visionnage10
permettent au spectateur d’avoir à l’esprit les divers éléments narratifs qui constituent la série, et
Un cliffhanger consiste à terminer un épisode sur une fin ouverte qui crée le suspense.10
6
rendent inutiles les « artifices mémoriels » (Combes 2015, p. 105) souvent utilisés. Ces pratiques11
mettent également en évidence les défauts autrefois masqués par la fragmentation de la série.
L’autre élément qui devrait entrainer un changement majeur dans la manière d’écrire les séries est
que, désormais, l’amateur ne fait plus le choix de suivre une série à partir de son pilote, mais à partir
d’un épisode hameçon. Ce dernier étant prêt à consommer plusieurs épisodes à la suite, ce n’est plus
nécessairement le premier qui va le pousser à regarder une saison en entier. Netflix a même étudié
le comportement de ses abonnés afin d’identifier les épisodes hameçons de 20 séries.12
Le modèle actuel des séries risque donc d’être en partie modifié, afin que celles-ci soient mieux
adaptées aux nouveaux dispositifs de diffusion délinéarisée.
Conclusion
Les dispositifs de délinéarisation des contenus télévisés permettent donc à l’amateur de séries de
développer de nouvelles pratiques de visionnage basées sur la personnalisation de sa
consommation. Certains acteurs, comme Netflix, ont su se positionner dans ce nouveau contexte en
proposant des services adaptés aux nouvelles pratiques des spectateurs. Ce service s’étant même
hissé au rang de producteur de séries, il participe à l’émancipation de la forme sérielle vis à vis de la
télévision traditionnelle. D’autant plus que le modèle traditionnel de diffusion des séries télé n’est
plus adapté aux nouvelles pratiques de consommation. Ce modèle ne disparaitra peut être pas, mais
les séries diffusées à la télévision risquent de perdre en qualité, puisque ce ne sont plus les amateurs
et fans qui les consomment via ce terminal.

Par artifices mémorielles on entend « résumé des faits précédents, rediffusion des scènes clés, etc » (Combes 2015)11
L’étude a été faite entre janvier et juillet 2013, à travers 16 pays.12
7
Bibliographie
Anonyme (2015), « Netflix cherche à identifier l’« épisode hameçon » qui rend accro à une série »,
Le Monde Pixels, 24 septembre, en ligne : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/09/24/netflix-
cherche-a-identifier-l-episode-hamecon-qui-rend-accro-a-une-serie_4770617_4408996.html
[consulté le 24/11/2015]
Bullich, Vincent et Guignard, Thomas (2014), Les dispositifs de « TV connectée », Les Enjeux de
l'Information et de la Communication, n°15/2a, pp. 5-19, en ligne : http://lesenjeux.u-grenoble3.fr/
2014-supplementA/01-Bullich-Guignard/index.html [consulté le 28/11/2015]
Chaniac, Régine et Jézéquel, Jean-Pierre (2005), « V/ L’avenir de la télévision : vers une
déprogrammation ? », in La télévision, Paris, La Découverte « Repères », pp. 89-111.
Chavalarias, David (2012), « La société (re)commandée », in Conflits des interprétations dans la
société de l’information : éthique et politique de l’environnement, Lavoisier, pp.26-39, en ligne :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00632280/document [consulté le 28/11/2015]
Combes, Clément (2015), « « Du rendez-vous télé » au binge watching : typologie des pratiques de
visionnage de séries télé à l’ère numérique », Études de Communication, n°44, pp. 97-114, en
ligne : http://edc.revues.org/6294 [consulté le 28/11/2015]
De la Porte, Xavier (2014), « Binge watching : l’ivresse des écrans », Internet Actu, 19 mai, en
ligne : http://www.internetactu.net/2014/05/19/binge-watching-livresse-des-ecrans [consulté le
23/11/2015]
Engel, Laurence (2014), « Netflix, une révolution ? », Esprit, n°2014/10 Octobre, pp. 133-136.
Perticoz, Lucien et Dessinges, Catherine (2015), « Du télé-spectateur au télé-visionneur. Les séries
télévisées face aux mutations des consommations audiovisuelles », Études de communication, n°44,
pp. 115-130, en ligne : http://edc.revues.org/6309 [consulté le 25/11/2015]
McNamara, Mary (2012), « Critic's Notebook: The side effects of binge television », Los Angeles
Times, en ligne : http://articles.latimes.com/2012/jan/15/entertainment/la-ca-netflix-
essay-20120115 [consulté le 24/11/2015]
8

Contenu connexe

Similaire à La consommation des séries sur Netflix


Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...
Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...
Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...Eric Gueilhers
 
La veille de red guy du 18.03.15 tv & web
La veille de red guy du 18.03.15   tv & webLa veille de red guy du 18.03.15   tv & web
La veille de red guy du 18.03.15 tv & webRed Guy
 
L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...
L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...
L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...Benoit Payen
 
Algorithme de suggestion: Vos données au service de Netflix
Algorithme de suggestion: Vos données au service de NetflixAlgorithme de suggestion: Vos données au service de Netflix
Algorithme de suggestion: Vos données au service de Netflixlaurence allard
 
Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11
Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11
Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11Stella MORABITO
 
Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans
Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans
Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans Dynvibe
 
La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...
La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...
La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...Red Guy
 
Diagnostic strategique mubi
Diagnostic strategique mubiDiagnostic strategique mubi
Diagnostic strategique mubighandour-hanane
 
Projet Web TV Vaudoise Assurance
Projet Web TV Vaudoise AssuranceProjet Web TV Vaudoise Assurance
Projet Web TV Vaudoise Assurancealineisoz.ch
 
Les fansubs ou l'accélération du temps sériel
Les fansubs ou l'accélération du temps sérielLes fansubs ou l'accélération du temps sériel
Les fansubs ou l'accélération du temps sériellaurence allard
 
L'audience Video Ordinateur en France - Mediametrie - avril 2016
L'audience Video Ordinateur en France  - Mediametrie - avril 2016 L'audience Video Ordinateur en France  - Mediametrie - avril 2016
L'audience Video Ordinateur en France - Mediametrie - avril 2016 Romain Fonnier
 
L\'art de se faire voir sur le web
L\'art de se faire voir sur le webL\'art de se faire voir sur le web
L\'art de se faire voir sur le webSacha Declomesnil
 
Que nous racontent les dernières MAJ social media ?
Que nous racontent les dernières MAJ social media ?Que nous racontent les dernières MAJ social media ?
Que nous racontent les dernières MAJ social media ?AUSTRALIE
 
Gn research logycs_mediatm
Gn research logycs_mediatmGn research logycs_mediatm
Gn research logycs_mediatmonibi29
 
Forum blanc - Rapport 2015
Forum blanc - Rapport 2015Forum blanc - Rapport 2015
Forum blanc - Rapport 2015Fanny Coutureau
 
[Veille] La gazette des plateformes #1
[Veille] La gazette des plateformes #1[Veille] La gazette des plateformes #1
[Veille] La gazette des plateformes #1LaNetscouade
 

Similaire à La consommation des séries sur Netflix
 (20)

Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...
Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...
Etude TV connecté linéaire VOD programmatique IAS 2020 - Programmatique Marke...
 
La veille de red guy du 18.03.15 tv & web
La veille de red guy du 18.03.15   tv & webLa veille de red guy du 18.03.15   tv & web
La veille de red guy du 18.03.15 tv & web
 
L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...
L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...
L'optimisation des services OTT des médias audiovisuels sportifs face aux nou...
 
Algorithme de suggestion: Vos données au service de Netflix
Algorithme de suggestion: Vos données au service de NetflixAlgorithme de suggestion: Vos données au service de Netflix
Algorithme de suggestion: Vos données au service de Netflix
 
Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11
Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11
Csa colloque sur les téléviseurs connectés 28.04.11
 
Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans
Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans
Netflix crève l’écran chez les 13-20 ans
 
La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...
La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...
La veille de Red Guy du 17.09.14 - Netflix, et alors...
 
Tendances de la vidéo
Tendances de la vidéoTendances de la vidéo
Tendances de la vidéo
 
Diagnostic strategique mubi
Diagnostic strategique mubiDiagnostic strategique mubi
Diagnostic strategique mubi
 
Internet watch
Internet watchInternet watch
Internet watch
 
N°44, automne 2017
N°44, automne 2017N°44, automne 2017
N°44, automne 2017
 
Veille medias et tendances 09121
Veille medias et tendances 09121Veille medias et tendances 09121
Veille medias et tendances 09121
 
Projet Web TV Vaudoise Assurance
Projet Web TV Vaudoise AssuranceProjet Web TV Vaudoise Assurance
Projet Web TV Vaudoise Assurance
 
Les fansubs ou l'accélération du temps sériel
Les fansubs ou l'accélération du temps sérielLes fansubs ou l'accélération du temps sériel
Les fansubs ou l'accélération du temps sériel
 
L'audience Video Ordinateur en France - Mediametrie - avril 2016
L'audience Video Ordinateur en France  - Mediametrie - avril 2016 L'audience Video Ordinateur en France  - Mediametrie - avril 2016
L'audience Video Ordinateur en France - Mediametrie - avril 2016
 
L\'art de se faire voir sur le web
L\'art de se faire voir sur le webL\'art de se faire voir sur le web
L\'art de se faire voir sur le web
 
Que nous racontent les dernières MAJ social media ?
Que nous racontent les dernières MAJ social media ?Que nous racontent les dernières MAJ social media ?
Que nous racontent les dernières MAJ social media ?
 
Gn research logycs_mediatm
Gn research logycs_mediatmGn research logycs_mediatm
Gn research logycs_mediatm
 
Forum blanc - Rapport 2015
Forum blanc - Rapport 2015Forum blanc - Rapport 2015
Forum blanc - Rapport 2015
 
[Veille] La gazette des plateformes #1
[Veille] La gazette des plateformes #1[Veille] La gazette des plateformes #1
[Veille] La gazette des plateformes #1
 

La consommation des séries sur Netflix


  • 1. Aude Pontois
 Master 1 Information et Communication - CRDM Université Paris X - Nanterre La Défense Année 2015 - 2016 Pratiques des dispositifs médiatiques La délinéarisation des contenus télévisuels :
 La consommation des séries télé sur Netflix

  • 2. Introduction Depuis une dizaine d’années, les Français consomment plus que jamais des séries télévisées. Parallèlement, l’arrivée du numérique dans le paysage télévisuel a profondément modifié les pratiques des spectateurs. En effet de nouveaux dispositifs de délinéarisation de contenus télévisés, certains légaux (replay TV, VOD…) et d’autres illégaux (piratage, P2P…), sont apparus et leur permettent de consommer les séries de manières différentes. Parmi les dispositifs légaux, Netflix s’est très vite imposé comme leader mondial de la SVOD . On peut se demander comment Netflix a1 gagné ce statut. Il semble évident que le service en ligne participe à la délinéarisation de la consommation des séries télévisées, mais a-t-il fait émerger de nouvelles pratiques ou s’est-il aligné sur les attentes de ses usagers ? Et d’ailleurs, quelles sont les nouvelles pratiques de visionnage de séries télévisées ? Plus globalement, la question qui se pose face à l’engouement des usagers pour les pratiques de consommation délinéarisées, est de savoir si le modèle traditionnel de consommation de sériés télé risque de disparaître. C’est à cette interrogation que ce dossier tentera de répondre, à travers le cas de Netflix. Dans un premier temps, nous reviendrons sur le processus de délinéarisation des séries télévisées. Puis nous nous intéressons à Netflix et à la manière dont le service en ligne répond ou non aux attentes de ses usagers. Enfin, nous étudierons en quoi les dispositifs de délinéarisation de contenus télévisuels et les pratiques qu’ils ont fait émerger peuvent remettre en cause le modèle actuel des séries télévisées. I. Vers une délinéarisation de la consommation des séries télévisées 1. Le modèle historique de consommation de séries télévisées Comme son nom l’indique, la série télé est un format originellement créée pour la télévision. Lorsqu’elle est diffusée sur ce support, la série s’inscrit dans une grille de programme créée par les chaînes de télévision. Ces programmations, planifiées pour répondre à un modèle économique régi par la publicité, sont alors imposées au spectateur. Il s’agit du « modèle de distribution historique des séries » (Combes 2015, p. 99), et la pratique qui lui correspond est, selon Clément Combes, celle du rendez vous télé. Le spectateur doit adapter son agenda en fonction de la ou des série(s) qu’il souhaite suivre. Mais ce dernier ne peut pas toujours « Subscription Video On Demand ». Le terme a été francisé par VàDA (Vidéo à la Demande avec Abonnement)1 1
  • 3. assister au rendez vous fixé par les chaînes de télévision. De plus, il se voit obligé de consommer des séries à un rythme qui lui sont imposés par les chaînes. Ce modèle de consommation est donc assez restrictif et peut se révéler frustrant pour le consommateur de séries télé . D’autant plus que divers dispositifs lui permettent désormais2 d’aménager ses propres rendez vous télé. 2. La consommation délinéarisée Les dispositifs de délinéarisation offrent au spectateur un accès aux contenus plus libre et plus durable. Ce dernier peut alors se libérer de la grille de programme et maîtriser son rythme de consommation. Le consommateur va donc personnaliser sa consommation. Clément Combes (Combes 2015, p. 102 à 103) remarque que cette personnalisation passe par deux moment décisionnels . Le premier3 s’inscrit dans « un horizon temporel étendu » et consiste à choisir quelles séries consommer. L’amateur de séries prend en compte ses goûts et la durée totale de chaque série (ou une estimation de cette durée si la série est encore en cours de production). Le second moment décisionnel s’inscrit dans l’immédiateté. L’amateur va tenir compte de son envie immédiate et du temps qui lui est disponible pour choisir quel(s) épisode(s) regarder. On assiste donc à une auto-programmation de sa part (Perticoz et Dessinges 2015, p. 122) : en plus de choisir les contenus qui rempliront sa grille de programme, il décide également de leur moment de diffusion. La personnalisation est donc au coeur des pratiques de consommation délinéarisée. Toutefois, on assiste à l’émergence de pratiques récurrentes. 3. Les pratiques émergentes Tout d’abord, il faut noter que la délinéarisation des programmes n’annule pas nécessairement le rendez-vous avec la série - et pas seulement parce que l’amateur peut désormais créer son propre rendez-vous. En effet, même en consommant de manière délinéarisée, l’amateur de séries aura parfois tendance à plus ou moins respecter le temps de la diffusion télévisée. Il va vouloir rattraper l’épisode (ou les épisodes) qu’il n’a pas pu regarder lors de sa (leur) diffusion télévisée peu de temps après cette diffusion. Ce mode de consommation est également frustrant car les diffusions françaises d’épisodes de séries américaines se2 font souvent dans le désordre. Il fait ici un parallèle avec le phénomène souligné par Henrion et Maisonneuve à propos du disque.3 2
  • 4. Son enthousiasme pour les séries va également le pousser à consommer des séries télé ou des saisons qui ne sont pas encore diffusées dans son pays. Cette pratique sera motivée soit par impatience, soit par « une volonté de conserver son univers socio-culturel, linguistique et temporel d’origine » (Combes 2015, p. 108). Parmi les pratiques résultant de la délinéarisation des séries télé, la plus représentative est celle du binge watching. Elle nécessite effectivement que le spectateur ait accès à un nombre important d’épisodes d’une même série, puisqu’elle consiste à s’immerger dans un univers fictif en consommant à la suite plusieurs épisodes, voire l’intégrale de saisons d’une même série. Comme nous le verrons dans la dernière partie de ce dossier, cette pratique pourrait remettre en cause le modèle de création des séries télévisées. Ces nouvelles pratiques de consommation délinéarisée des séries télé ont entrainé l’apparition de nouveaux services de distribution délinéarisée. Netflix est l’un d’eux. II. Netflix, un dispositif qui répond aux nouvelles attentes du spectateur 1. L’auto-programmation sur Netflix Si Netflix connait un franc succès , c’est surement parce que la plateforme propose des services qui4 correspondent aux nouvelles pratiques des amateurs de séries télé. D’autant plus que ces derniers sont de plus en plus déçus du modèle traditionnel de diffusion de séries télé. Tout d’abord, les séries disponibles dans le catalogue de Netflix le sont en intégralité . Elles sont5 diffusées en streaming, et ne nécessitent pas d’être téléchargées. L’utilisateur peut ainsi entièrement maîtriser sa consommation ; les séries qu’il souhaite visionner, l’heure, le rythme et même la fréquence auxquels il souhaite les consommer dépendent entièrement de lui. Le principal obstacle qui l’empêcherait d’auto-programmer sa consommation serait de ne pas trouver les titres qu’il souhaite consommer dans le catalogue proposé par Netflix dans son pays . Les lois régissant le droit6 d’exploitation d’une oeuvre n’étant pas les mêmes dans chaque pays, le catalogue de Netflix diffère effectivement d’un pays à l’autre. C’est d’ailleurs cette raison qui a poussé Netflix à produire ses Netflix revendique 65,5 millions d’utilisateurs dans le monde4 Les dernières saisons de certaines séries ne sont pas disponibles car Netflix n’a pas encore acheté (ou n’as pas encore5 pu acheter) leurs droits. Certaines séries ne sont pas disponibles sur Netflix car leur chaîne refuse de les vendre à Netflix (c’est le cas de HBO).6 3
  • 5. propres contenus (Orange is The New Black, House of Cards…). Le problème est également7 contourné (illégalement) par de nombreux utilisateurs qui accèdent aux contenus disponibles dans d’autres pays grâce à des VPN .8 Netflix tente de donner la maîtrise de sa consommation à son utilisateur. D’ailleurs, la plateforme fonctionnant selon un modèle d’abonnement payant, ce dernier n’est même pas confronté à la publicité. Toutefois, il n’est pas toujours aussi libre qu’il le croit. 2. Le système de recommandation de Netflix Sur Netflix, l’utilisateur a donc l’impression d’être maître de sa consommation et libre dans ses pratiques. Cependant, la plateforme oriente les choix de ses abonnés grâce à un puissant algorithme de recommandation. Le principe des mécanismes de recommandation est de « suggérer des actions ou des idées à un internaute en fonction de l'historique de ses actions (duquel sont inférées ses préférences), [et] de ceux des autres utilisateurs » (Chavalarias 2012). Ces systèmes de recommandation sont à la base de l’activité de Netflix. L’entreprise a d’ailleurs organisé le Netflix Prize en 2009. Cette compétition avait pour but d’améliorer son système de recommandation. Le gagnant a reçu 1 million d’euros - ce qui démontre l’importance de cet algorithme pour le service en ligne. Le système de fonctionnement de Netflix serait alors semblable à celui de la télévision traditionnelle : il orienterait les choix de consommation de ses abonnés, auxquels ne serait attribué que peu de liberté. Pourtant, bien que Netflix joue un rôle de prescripteur envers ses abonnés, les recommandations qu’il leur fait sont personnalisées. Et ces recommandations représentent justement un élément que le spectateur recherche lorsqu’il s’abonne sur Netflix : face à l’abondance de séries disponibles (sur la plateforme, mais également sur d’autres dispositifs), Netflix va « l’orienter (…) vers les contenus susceptibles de lui convenir» (Bullich et Guignard, 2014). Ceci en nuisant le moins possible à la diversité culturelle puisque la plateforme intègre à son algorithme une part d’aléatoire. Ainsi, l’abonné ne verra pas toujours apparaître les mêmes titres dans ses recommandations.
 Bien que le système de recommandation de Netflix soulève des questions (comme celle de la Cette année, Netflix s’est imposé sur le marché de la production de séries, et a sorti 21 nouvelles séries originales. Il7 prévoit d’en sortir 31 en 2016. Un Virtual Private Network (Réseau Privé Virtuel) permet de ne pas prendre compte les restrictions de réseaux.8 4
  • 6. protection des données personnelles), il est représentatif de la stratégie de diversité mise en place par Netflix afin de plaire à ces usagers. 3. Proposer différents usages à ses consommateurs L’une des forces de Netflix réside dans le fait que le service a su se décliner sur une diversité d’écrans, permettant une diversité d’usages. En effet, Netflix n’est pas uniquement disponible sur ordinateur, mais sur une multitude de terminaux pouvant se connecter à internet : le poste de télévision, le smartphone et la tablette. De plus, l’interface de Netflix demeure ergonomique sur chacun de ces supports ; celle du site est aussi simple et intuitive que celle de l’application et les fonctions disponibles sont les mêmes. Il faut noter que l’ergonomie est un critère décisif pour l’usager lorsqu’il choisit le dispositif qu’il va utiliser. Cette multiplicité de supports disponibles permet à l’abonné de Netflix d’avoir plusieurs pratiques de consommation, puisqu’à chaque terminal est associé une pratique différente. En effet, comme le font remarquer Régine Chaniac et Jean Pierre Jézéquel, « ce n’est pas parce qu’un téléviseur acquiert les capacités d’un ordinateur (et réciproquement) que l’usager va en faire le même usage » (Chaniac et Jézéquel 2005, p109). Ainsi, sur le téléviseur les séries sont plutôt regardées en famille ou entre amis et l’usager est dans une position de réceptivité (sans pour autant être passif), alors que l’ordinateur implique généralement des pratiques de visionnage individuelles, lors desquelles l’usager sera actif et aura une position de maîtrise sur la diffusion de la série. Netflix permet donc à ce dernier de consommer des séries selon différents usages grâce à un seul dispositif de délinéarisation .9 Ces nouveaux usages peuvent cependant remettre en cause le modèle de création des séries télé. III. Les futurs enjeux de la forme sérielle 1. La remise cause du modèle de production traditionnel des séries télé Comme nous l’avons vu dans une première partie, l’émergence de dispositifs de diffusion délinéarisée de contenus télévisuels couplée à l’impatience de l’amateur de consommer des séries Il faut tout de même noter que les spectateurs utilisent d’avantage la SVOD sur ordinateur que sur la télévision. La9 stratégie de Netflix en France (qui consistait à s’allier avec des FAI pour implanter le marché français) s’est donc révélée peu concluante, puisque la majorité de ses utilisateurs français se sont abonnés via Internet, par ordinateur. 5
  • 7. vont pousser ce dernier à s’émanciper de la grille des programmes. Cette même grille des programmes est pourtant au coeur du financement de la télévision traditionnelle. Grâce à ces dispositifs, ce n’est plus au spectateur de s’adapter à la grille des programmes, mais aux créateurs de s’adapter aux demandes de celui-ci. On passe alors d’un « modèle créatif historique, basé sur l’offre (la série […] envisagée par la chaîne et ses producteurs) à une production pensée à partir de la demande (la série définie par les usages de consommation des spectateurs) » (Le Monde 2015). 2. La relation des spectateurs à la série télé Si les amateurs de séries ne les consomment plus de la même manière, c’est aussi parce que leur relation à la série a évolué. En effet, les pratiques de consommation individuelles de séries ont favorisé la création de liens émotionnels entre l’amateur et la série. Ce lien existait déjà plus ou moins, puisque pour suivre une série (à la télévision comme sur un autre dispositif), le spectateur a besoin de s’attacher à elle (à travers les personnages, les intrigues ou même l’univers fictif qu’elle propose). Mais les pratiques de consommation délinéarisées les ont amplifiés. Désormais, l’amateur peut consommer les séries à un rythme beaucoup plus rapide que celui proposé par la télévision ; ils les consomment alors comme s’il s’agissait de longs films. On assiste d’ailleurs à l’apparition de nouvelles pratiques de consommation qui consistent à attendre qu’une saison de série soit diffusée avant de la commencer, ou même de choisir une série déjà terminée afin de la visionner d’une traite. C’est pour cette raison que Netflix met à la disposition de ses usagers de nombreuses séries déjà terminées (Friends, Dexter, House…). C’est également pour cela que Netflix publie ses séries originales par saisons entières. 3. Vers une nouvelle manière d’écrire les séries ? Sa relation à la série va donc pousser l’amateur à pratiquer le visionnage intensif. Mais ce mode de consommation va certainement conduire à une transformation des pratiques d’écriture et de réalisation des séries. Clément Combes en compte au moins deux (Combes 2015), p104 à 106. Tout d’abord, afin de pousser le spectateur à visionner de manière intensive une série, les procédés de suspense et de cliffhangers sont de plus en plus employés. De plus, ces pratiques de visionnage10 permettent au spectateur d’avoir à l’esprit les divers éléments narratifs qui constituent la série, et Un cliffhanger consiste à terminer un épisode sur une fin ouverte qui crée le suspense.10 6
  • 8. rendent inutiles les « artifices mémoriels » (Combes 2015, p. 105) souvent utilisés. Ces pratiques11 mettent également en évidence les défauts autrefois masqués par la fragmentation de la série. L’autre élément qui devrait entrainer un changement majeur dans la manière d’écrire les séries est que, désormais, l’amateur ne fait plus le choix de suivre une série à partir de son pilote, mais à partir d’un épisode hameçon. Ce dernier étant prêt à consommer plusieurs épisodes à la suite, ce n’est plus nécessairement le premier qui va le pousser à regarder une saison en entier. Netflix a même étudié le comportement de ses abonnés afin d’identifier les épisodes hameçons de 20 séries.12 Le modèle actuel des séries risque donc d’être en partie modifié, afin que celles-ci soient mieux adaptées aux nouveaux dispositifs de diffusion délinéarisée. Conclusion Les dispositifs de délinéarisation des contenus télévisés permettent donc à l’amateur de séries de développer de nouvelles pratiques de visionnage basées sur la personnalisation de sa consommation. Certains acteurs, comme Netflix, ont su se positionner dans ce nouveau contexte en proposant des services adaptés aux nouvelles pratiques des spectateurs. Ce service s’étant même hissé au rang de producteur de séries, il participe à l’émancipation de la forme sérielle vis à vis de la télévision traditionnelle. D’autant plus que le modèle traditionnel de diffusion des séries télé n’est plus adapté aux nouvelles pratiques de consommation. Ce modèle ne disparaitra peut être pas, mais les séries diffusées à la télévision risquent de perdre en qualité, puisque ce ne sont plus les amateurs et fans qui les consomment via ce terminal.
 Par artifices mémorielles on entend « résumé des faits précédents, rediffusion des scènes clés, etc » (Combes 2015)11 L’étude a été faite entre janvier et juillet 2013, à travers 16 pays.12 7
  • 9. Bibliographie Anonyme (2015), « Netflix cherche à identifier l’« épisode hameçon » qui rend accro à une série », Le Monde Pixels, 24 septembre, en ligne : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/09/24/netflix- cherche-a-identifier-l-episode-hamecon-qui-rend-accro-a-une-serie_4770617_4408996.html [consulté le 24/11/2015] Bullich, Vincent et Guignard, Thomas (2014), Les dispositifs de « TV connectée », Les Enjeux de l'Information et de la Communication, n°15/2a, pp. 5-19, en ligne : http://lesenjeux.u-grenoble3.fr/ 2014-supplementA/01-Bullich-Guignard/index.html [consulté le 28/11/2015] Chaniac, Régine et Jézéquel, Jean-Pierre (2005), « V/ L’avenir de la télévision : vers une déprogrammation ? », in La télévision, Paris, La Découverte « Repères », pp. 89-111. Chavalarias, David (2012), « La société (re)commandée », in Conflits des interprétations dans la société de l’information : éthique et politique de l’environnement, Lavoisier, pp.26-39, en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00632280/document [consulté le 28/11/2015] Combes, Clément (2015), « « Du rendez-vous télé » au binge watching : typologie des pratiques de visionnage de séries télé à l’ère numérique », Études de Communication, n°44, pp. 97-114, en ligne : http://edc.revues.org/6294 [consulté le 28/11/2015] De la Porte, Xavier (2014), « Binge watching : l’ivresse des écrans », Internet Actu, 19 mai, en ligne : http://www.internetactu.net/2014/05/19/binge-watching-livresse-des-ecrans [consulté le 23/11/2015] Engel, Laurence (2014), « Netflix, une révolution ? », Esprit, n°2014/10 Octobre, pp. 133-136. Perticoz, Lucien et Dessinges, Catherine (2015), « Du télé-spectateur au télé-visionneur. Les séries télévisées face aux mutations des consommations audiovisuelles », Études de communication, n°44, pp. 115-130, en ligne : http://edc.revues.org/6309 [consulté le 25/11/2015] McNamara, Mary (2012), « Critic's Notebook: The side effects of binge television », Los Angeles Times, en ligne : http://articles.latimes.com/2012/jan/15/entertainment/la-ca-netflix- essay-20120115 [consulté le 24/11/2015] 8