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LA NÉCÉSSAIRE ÉVOLUTION DU PLAIDOYER DES ASSOCIATIONS DE
SANTÉ FRANÇAISES ŒUVRANT PAR ET POUR
LES TRAVAILLEUR.SE.S DU SEXE
Présenté par Bettina PETIT
Sous la responsabilité de Monsieur RIVALAN
IRIS SUP’
Master « Manager humanitaire - Responsable de programmes internationaux »,
parcours « Plaidoyer et communication d’influence »
Année scolaire 2018-2019
« Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteure et n’engagent, ni les responsables de
la formation, ni l’Institut de relations internationales et stratégiques ».
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Remerciements
Si l’essentiel du travail est solitaire, le mémoire est le produit de multiples conseils et soutiens. En ce
sens, je tiens à adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m’ont accompagnées et
apportées leur aide dans la rédaction de ce mémoire.
Parmi elles, je tiens avant tout à remercier Monsieur Bruno RIVALAN, directeur de ce mémoire,
pour son encadrement, sa disponibilité et les suggestions pertinentes qu’il a pu me délivrer ainsi que
l’ensemble des personnes qui ont accepté de s’entretenir avec moi en vue d’alimenter ma réflexion et
d’affiner mes recherches. J’adresse ainsi mes remerciements à Irène ABOUDARAM (Médecins du Monde -
Nantes), Kholi BUTHELEZI (South African Sex Worker movement, Sisonke - Afrique du Sud), Leora
CASEY (Nacosa - Afrique du Sud), Maïwenn HENRIQUET (Paloma - Nantes), Mylène JUSTE (STRASS et
Collectif Femmes de Strasbourg-Saint-Denis - Paris) ainsi qu’à Chloé LE GOUËZ (Aides - Paris).
Je souhaite également exprimer ma profonde gratitude envers mon frère qui n’a jamais cessé de me
soutenir et de m’éclairer, tant par ses précieux conseils que par son écoute.
Enfin, je remercie ma mère, qui m’a également exprimé un grand soutien en acceptant de relire mon
mémoire et de formuler un avis objectif sur mon travail.


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Sommaire
Remerciements 3
Sommaire 4
Table des abréviations 5
Précisions 6
Introduction 7
Chapitre 1 - L’inscription progressive de la France dans le mouvement abolitionniste ou le
constat d’une dégradation de la situation sanitaire des travailleur.se.s du sexe par les
associations de santé oeuvrant par et pour cette population 16
Section 1 - L’évolution historique du cadre législatif français relatif au travail du sexe : des
hésitations récurrentes entre tolérance et répression 16
Section 2 - L’adoption de la loi de 2016 relative à la pénalisation des clients : confirmation et
évolution de l’abolitionnisme prohibitionniste 28
Section 3 - Le bilan d’un échec aux conséquences dévastatrices pour les travailleur.se.s du sexe
dressé par les associations de santé œuvrant par et pour les travailleur.se.s du sexe quant à la loi
de 2016 37
Chapitre 2 - La nécessité pour les associations de santé oeuvrant par et pour les travailleur.se.s
du sexe de tenir compte de différents enjeux en vue d’obtenir des transformations sociales
profondes 48
Section 1 - Les enjeux liés aux changements attendus par les associations 48
Section 2 - Les enjeux liés au discours 58
Section 3 - Les enjeux liés à la prééminence de la morale dans le traitement de la prostitution 67
Conclusion 76
Bibliographie 79
Table des matières 85
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Table des abréviations
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Ac.Sé Dispositif national d’accueil et de
protection des victimes de la traite des
êtres humains
AFLS Association française de lutte contre le
SIDA
A.L.C Association accompagnement, lieux
d’accueil, carrefour éducatif et social
AME Aide médicale d’Etat
CDAG Centres de dépistage anonymes et
gratuits
CESES Centre européen de surveillance
épidémiologique du SIDA
CHRS Centres d’hébergement et de réinsertion
sociale
CIDDIST Centres d’information, de dépistage et
de diagnostic des infections
sexuellement transmissibles
CNS Conseil national du SIDA et des
hépatites virales
Cons. Const. Conseil constitutionnel
CPEF Centres de planification et d’éducation
familiale
DDASS Directions départementales des affaires
sanitaires et sociales
DDD Défenseur des droits
FAI Fédération abolitionniste internationale
contre la prostitution réglementée
FNARS Fédération nationale des associations
d’accueil et de réinsertion sociale
HAS Haute autorité de santé
HSH Hommes ayant des relations sexuelles
avec des hommes
ICRSE International committee on the rights of
sex workers in Europe
IGAS Inspection générale des affaires sociales
InVS Institut de veille sanitaire
IST Infections sexuellement transmissibles
JO Journal officiel
LSI Loi de sécurité intérieure
Migac Mission d’intérêt général et d’aide à la
contractualisation
MtF Male to female
NSWP Global network of sex work projects
OCTREH Office central pour la répression de la
traite des êtres humains
OI Organisation internationale
OMS Organisation mondiale de la santé
ONG Organisation non gouvernementale
ONU Organisation des Nations-Unies
ONUSIDA Programme commun des Nations-Unies
sur le VIH/SIDA
PIDESC Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels
PNUD Programme des Nations-Unies pour le
développement
PVVIH Personne vivant avec le VIH
QPC Question prioritaire de constitutionnalité
RDR Réduction des risques
SDN Société des Nations
Sepsac Secrétariat européen des pratiques en
santé communautaire
SIDA Syndrome de l’immunodéficience
acquise
STRASS Syndicat du travail sexuel
TDS Travailleur.se du sexe
VIH Virus de l’immunodéficience humaine
Précisions
Le lexique de la “prostitution“/du “travail du sexe“ fait l’objet de nombreux débats. En France, le
système institutionnel et législatif retient celui qui relève de la ”prostitution” tandis que les représentant.e.s
associatifs des personnes qui mènent cette activité font usage des termes de “travail du sexe“ ou de
“travailleur.se.s du sexe“ (TDS). Le lexique employé au cours de cette étude sera alors fonction de ces
usages.
Par ailleurs, le lexique relatif au “travail du sexe“ n’est apparu qu’à partir des années 1970, au
moment où des personnes concernées ont commencé à s’organiser pour revendiquer des droits et à critiquer
le terme de prostitué.e – participe passé suggérant la passivité de la personne qui se prête à l’activité de
prostitution – pour son misérabilisme. De ce fait, pour éviter tout anachronisme, le lexique relatif à la
“prostitution“ sera employé lorsqu’il s’agira d’évoquer des périodes antérieures à l’émergence des
expressions de “travail du sexe“ ou de “TDS“.


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Introduction
Selon la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la possession du meilleur état
de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que
soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». L’article 12 du
1
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) du 16 décembre 1966
stipule une affirmation équivalente. Conformément au concept d’universalité des droits, le droit à la santé
constitue donc un droit fondamental, qui doit être reconnu et bénéficier à tou.te.s.
Toujours selon l’OMS, la santé, comprise dans son acception large, renvoie à un « état de complet
bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou
d’infirmité ». Le droit à la santé suppose alors l’accès, en temps utile, à des soins de santé acceptables, d’une
2
qualité satisfaisante et d’un coût abordable, pour toute personne. Pourtant, partout dans le monde, des
groupes en marge de la société sont moins susceptibles de jouir du droit à la santé et plus particulièrement
dans les pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires. Toutefois, les pays dits développés, tels que la
France, sont également concernés. En effet, bien qu’un des textes du bloc de constitutionnalité prévoit que la
Constitution de 1946 « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la
protection de la santé », force est de constater que certains groupes ne bénéficient pas d’un droit à la santé
3
équivalent à celui de la population générale.
Ces groupes renvoient à ce que les organisations internationales (OI) comme l’Organisation des
Nations-Unies (ONU) ou l’OMS classifient comme des populations clés, en ce qu’il s’agit de populations
particulièrement exposées et infectées par les trois maladies transmissibles les plus meurtrières au monde –
4
le paludisme, le Virus de l’immunodéficience humaine/Syndrome de l’immunodéficience acquise (VIH/
SIDA) et la tuberculose– tout en souffrant d’un accès à la prévention et aux soins de santé limité, en raison
de la stigmatisation et du rejet social dont elles font l’objet.
Constitution de l’OMS, 1948, p.1.
1
Constitution de l’OMS, 1948, p.1.
2
Préambule de la Constitution de 1946, alinéa 11.
3
En 2015, ces populations ont représenté 45 % de toutes les nouvelles infections à VIH dans le monde selon
4
l’ONUSIDA, La prévention du VIH au sein des populations clés, 22 novembre 2016. https://www.unaids.org/fr/
resources/presscentre/featurestories/2016/november/20161121_keypops (site consulté le 30 juillet 2019).
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7 87
Sur la base de ces critères, font parties de ces populations clés: les usager.e.s de drogues injectables;
les personnes détenues ou incarcérées; les personnes transgenres et en particulier les femmes transgenres; les
hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) ; les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et
les travailleur.se.s du sexe (TDS). S’agissant de cette dernière catégorie de personnes, l’ONUSIDA estime
que les TDS ont 13 fois plus de risques de vivre avec le VIH/SIDA que les femmes de la population générale
en âge de procréer . Le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) évalue quant à lui ce
5
risque à 8 fois supérieur . Assez logiquement, si une même personne relève de plusieurs populations clés, ses
6
facteurs de vulnérabilité s’additionnent et son exposition au risque se multiplie. C’est ainsi qu'en Europe,
alors que la prévalence du VIH/SIDA est estimée à 0,2% parmi la population générale, elle s’établit entre
13,6 et 23,8% pour les TDS usager.e.s de drogues et 17,2 et 37,5% pour les TDS transgenres.
7
Face à ces constats, différent.e.s acteur.rice.s (institutionnels, politiques, associatifs, médicaux)
cherchent à apporter des réponses spécifiques aux besoins particuliers de ces populations, notamment depuis
l’apparition du VIH/SIDA à la fin des années 1980 et sa propagation fulgurante parmi celles-ci. Pour lutter
contre sa propagation dans le milieu du travail du sexe particulièrement, différentes stratégies ont été mises
en œuvre dans les Etats européens : l’interdiction du travail du sexe, l’enregistrement et le ciblage des
personnes prostituées dans une perspective réglementariste d’inspiration hygiéniste, la fourniture de services
par les Organisations non gouvernementales (ONG) existantes habituées à intervenir auprès des TDS ou
encore la promotion de la santé et de la prévention par les TDS dans le cadre d’associations paritaires.
En France, face aux limites du système de santé national, c’est cette dernière stratégie qui a été
adoptée au début des années 1990, dans une perspective de santé publique, et conformément au principe du
droit à la santé pour tou.te.s. Ainsi, la réponse publique apportée à la prévalence du VIH/SIDA au sein des
populations clés, et notamment au sein des TDS, résulte ni d’une réglementation spécifique, ni de la
reconversion d’ONG préexistantes mais de la création d’associations nouvelles et de la mobilisation de
projets communautaires inédits, soutenus par les pouvoirs publics. Toutefois, bien que cette logique de santé
publique soit louable, elle entre en tension, voire en contradiction, avec le cadre juridique qui s’applique à
l’égard des TDS en France. Cette étude s’attachera alors à présenter, en filigrane, le contexte ambiguë dans
lequel évoluent les associations oeuvrant par et pour les TDS.

ONUSIDA, Impossible de mettre fin au sida sans respecter les droits de l’homme, 28 juin 2019.
5
PNUD, Risques, droit et santé, Rapport de la commission sur le VIH et le droit, 9 juillet 2012, 162 p.
6
Études européennes citées en annexe 3, J.-P. GODEFROY, C. JOUANNO, Situation sociale des personnes prostituées,
7
Rapport d’information fait au nom de la Commission spéciale sur la situation sanitaire et sociale des personnes
prostituées, 8 octobre 2013, 115 p.
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On entend ici par associations de santé oeuvrant par et pour les TDS, à la fois des associations de
solidarité internationale (comme Médecins du Monde) qui oeuvrent par et pour les TDS en ce qu’elles
déploient notamment de programmes de réduction des risques (RDR) destinés à limités les risques sanitaires
8
auxquels s’exposent cette population mais également des associations oeuvrant par et pour les TDS en ce
qu’elles adoptent une démarche de “santé communautaire“. Ce concept renvoie à la situation dans laquelle
« les membres d’une collectivité géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même
groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et
participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à
répondre à ces priorités  ». Les associations qui s’inscrivent dans une démarche de santé communautaire
9
présentent alors un certain nombre de caractéristiques. Selon l’Institut Renaudot, elles reposent en effet sur
des repères relatifs à une approche en promotion de la santé (adopter une approche globale et positive de la
santé; agir sur les déterminants de la santé; travailler en intersectorialité pour la promotion de la santé) et à
des repères spécifiques à la stratégie communautaire (concerner une communauté; favoriser l’implication de
tous les acteur.rice.s concerné.e.s dans une démarche de co-construction; favoriser un contexte de partage, de
pouvoir et de savoir; valoriser et mutualiser les ressources de la communauté) . Finalement, il s'agit de
10
s'allier avec la communauté concernée pour mieux définir ses besoins de santé et mieux adapter les réponses
de l’association.
En France, la première association de santé communautaire renvoie au Bus des femmes, née en 1989
de la rencontre d’épidémiologistes du Centre européen de surveillance épidémiologique du sida (CESES) et
de personnes exerçant le travail du sexe rue Saint-Denis à Paris. Par la suite, des associations de santé
communautaire sont créées dans plusieurs grandes villes, dans les années 1990 et au tout début des années
2000, notamment Autres Regards à Marseille, Cabiria à Lyon, Entr’Actes-GPAL à Lille ou encore Grisélidis
à Toulouse.
Ces associations ont historiquement pour mission la lutte contre le VIH/SIDA, les infections
sexuellement transmissibles (IST) et les hépatites dans le milieu du travail du sexe. À ce titre, elles
fournissent des informations relatives à ces infections, au dépistage et au traitement post-exposition. Elles
distribuent aussi du matériel de prévention (préservatifs, gels lubrifiants, digues dentaires, lingettes
antiseptiques, kits d’injection et kits de sniff).
La RDR est « une approche globale basée sur la compréhension des risques. Ils s’envisagent globalement en termes
8
de répercussions sanitaires, sociales et économiques, et prennent en compte l’impact de la maladie sur les individus,
dans les communautés et dans l’ensemble de la société. » https://www.medecinsdumonde.org/fr/qui-sommes-nous/
reduction-des-risques-rdr (site consulté le 7 avril 2019).
M. MANCIAUX, J.-P. DESCHAMPS, La santé de la mère et de l’enfant, Paris Flammarion, Médecine Sciences,
9
1978, 299 p.
Institut Renaudot, Charte de promotion des pratiques de santé communautaire, 1998.
10
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9 87
Quelques années après leur création, les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS ont
progressivement diversifié leurs missions, pour mettre en œuvre une approche globale qui associe une
intervention à caractère sanitaire à une intervention sociale, sur le modèle développé par les associations
sanitaires et sociales actives depuis des années auprès des TDS. Les associations assurent alors un ensemble
de services de jour comme l’accueil et l’assistance ainsi qu’un suivi notamment médical, psychologique mais
également juridique, social, culturel et linguistique dans une démarche de santé communautaire.
Encore aujourd’hui ces associations sont très actives sur le terrain, compte tenu de l’état de santé des
TDS en France. Selon l’enquête l’enquête ProSanté 2010-2011 - une des enquêtes les plus récentes en la
11
matière -, menée par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) et
l’Institut de veille sanitaire (InVS), plus de la moitié des TDS interrogées déclarent être dans un état de santé
moyen, mauvais ou très mauvais, proportion bien supérieure à la population générale, à âge égal. Dans le
même sens, plus d’un tiers (35 %) des personnes enquêtées déclare une maladie chronique (telles que le VIH/
SIDA), contre 20% dans la population générale.
Cet état de santé dégradé s’explique par la stigmatisation dont font l’objet les TDS. Pour comprendre
ce phénomène, il convient au préalable de présenter la nature du cadre juridique applicable en France ainsi
que ses fondements. Pour cela, il importe de le décrire au regard d’une classification binaire qui distingue les
régimes qui légalisent le travail du sexe, de ceux qui interdisent directement ou indirectement le travail du
sexe.
Relèvent de la première catégorie, des cadres juridiques qui légalisent totalement ou partiellement le
travail du sexe. Toutefois, des modalités différentes s’observent entre les pays. Dans une première
conception, le travail du sexe réalisé de manière individuelle est légal, mais pas celui qui s’inscrit de manière
organisée. Ce régime est notamment appliqué au Brésil, en Espagne ou encore en Inde. Une personne
souhaitant faire commerce d’actes sexuels sera donc libre d’exercer cette activité dans le cadre d’une
entreprise individuelle, au sein de maisons closes notamment. Le proxénétisme reste cependant une
infraction, dans certaines conditions. Dans une seconde conception, le travail du sexe est une pratique rendue
complètement légale, autant dans sa dimension individuelle qu’organisée. Il s’agit du modèle adopté en
Allemagne, en Colombie ou encore en Grèce. Le fait d’aider une personne à pratiquer cette activité ou
d’embaucher une personne dans ce but n’y constitue donc pas une infraction et la mise en place de maisons
closes est légale.
Cette étude a été réalisée dans des structures associatives d’accueil, d’accompagnement, d’hébergement ou de
11
réinsertion sociale des personnes en situation de prostitution, ainsi que dans des consultations médicales assurant un
accueil anonyme et gratuit : Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des IST (CIDDIST) ou Centres de
planification et d’éducation familiale (CPEF). Suite à la sollicitation de la FNARS, 12 structures associatives ont
accepté de participer à l’étude. Les CIDDIST ou CPEF de proximité ont ensuite été sollicités par l’InVS et ont tous
donné leur accord pour collaborer. FNARS, InVS. Étude ProSanté 2010-2011. Étude sur l’état de santé, l’accès aux
soins et l’accès aux droits des personnes en situation de prostitution rencontrées dans des structures sociales et
médicales. Rapport. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire ; 2013. 146 p.
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Relèvent de la seconde catégorie les pays où s’appliquent des régimes juridiques qui tendent à mettre
un terme ou, du moins, à décourager le travail du sexe. Toutefois, dans la mise en œuvre de ces objectifs,
deux approches se distinguent : celle qui concerne la majorité des pays du monde où le travail du sexe est
totalement illégal comme en Chine, dans de nombreux Etats des Etats-Unis ou encore dans quatre pays de
l’Union européenne (UE) et qui prévoit alors la pénalisation de tous les acteur.rice.s de cette activité, d’une
12
part et, celle qui ne s’attaque qu’à seulement certain.e.s acteur.rice.s (les clients et les proxénètes) comme
c’est le cas au Canada, en Suède ou encore en France. En revanche, la vente d’un acte sexuel demeure légale.
Autrement dit, la France a fait le choix d’adopter un régime juridique ambivalent à l’égard du travail
du sexe qui peut être qualifié d’abolitionniste à tendance prohibitionniste en ce qu’il vise à abolir le travail
13
du sexe en s’en prenant, non pas à l’activité du travail du sexe, mais à ses moyens d’exister. Ce choix a été
opéré dès la seconde moitié du 20ème siècle. Bien qu’il ait pu connaitre des traductions juridiques variées au
cours des lois successivement adoptées en la matière - qui seront présentées dans la partie 1 de cette étude -,
il demeure justifié par la volonté affichée de lutter contre les réseaux de traite et de proxénétisme, et par le
souhait ultime d’abolir le travail du sexe.
Cette volonté ne cesse de se renforcer face à l’évolution du profil des TDS en France, lesquelles
seraient de plus en plus des personnes de nationalité étrangère sous l’emprise de réseaux. L’Office central
pour la répression de la traite des êtres humains (OCTREH) évaluait en 2012 « à environ 30 000 le nombre
de personnes prostituées exerçant sur le territoire français », dont 83% seraient de nationalité étrangère.
14
Ces données rejoignent celles fournies par les associations de santé communautaire comme Grisélidis. Dans
son rapport d’activité 2013 , l’association estime en effet à 88% la part que représente les femmes migrantes
15
qu’elle rencontre sur le terrain au niveau local et qui exercent le travail du sexe dans la rue. Le rapport de
Madame MEUNIER en conclut que « ces données traduisent un changement profond de la prostitution au
cours de ces vingt dernières années : alors qu’au début des années 1990, 80% des personnes prostituées
étaient françaises, cette proportion s’est aujourd’hui plus qu’inversée ».
La Croatie, la Lituanie, Malte et la Roumanie.
12
Les courants de pensée à l’origine des différents cadres juridiques applicables en matière de travail du sexe seront
13
présentés au cours de la partie 1.
M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la
14
proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014,
191 p.
Grisélidis, Rapport d’activité de Grisélidis 2013, 127 p.
15
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11 87
Cette tendance semble perdurer puisque le dernier rapport d’activité de l’association Grisélidis
indique que « la plupart des femmes suivies en 2016 sont des femmes migrantes originaires d’Afrique
subsaharienne et d’Europe de l’Est  », sans préciser la part que celles-ci représentent. L’association ajoute
16
que « cette situation n’est pas spécifique à Toulouse et correspond globalement à une réalité nationale  ».
17
Selon ledit rapport de Madame MEUNIER , cette inversion peut être corrélée à la forte diminution
18
de ce qui est désigné sous l’expression de prostitution ”traditionnelle”, concept qui renvoie à des femmes,
essentiellement françaises (ou originaires du Maghreb et intégrées depuis longtemps), généralement plus
âgées que les personnes d’origine étrangère qui pratiquent le travail du sexe dans la rue. Les ”traditionnelles”
se définissent elles-mêmes comme telles, pour se démarquer des personnes migrantes, nouvelles venues sur
le marché du travail du sexe, et ainsi revendiquer une forme d’activité ”à l’ancienne”, maîtrisée et autonome,
par opposition à l’activité contrôlée par les réseaux .
19
À ce propos, si l’ensemble des acteur.rice.s s’accordent sur le constat que les personnes sous
l’emprise de réseaux de traite ou de proxénétisme représentent une part de plus en plus importante des
personnes qui se livrent au travail du sexe, son estimation fait débat. La difficulté réside dans le fait qu’en la
matière, on ne peut que déplorer un manque de données étayées et partagées permettant de clarifier ces
estimations. Cette situation n’est pas surprenante, dans la mesure où en France, le travail du sexe, bien que
licite, est pratiqué de façon discrète voire secrète, et est en mutation perpétuelle au gré des lois applicables.
Les observations de la police ne peuvent ainsi se fonder que sur la base des procédures mises en oeuvre pour
proxénétisme ou racolage et sur les remontées effectuées par les associations. Ainsi, bien que les associations
de santé oeuvrant par et pour les TDS estiment qu’une part importante de cette population se considère
volontaire et autonome dans l’exercice du TDS, l’OCTREH estime quant à lui que « les personnes
prostituées étrangères exerçant en France dépendent en quasi-totalité d’un réseau qui les exploite  » et sont
20
alors contraintes de se livrer à cette activité.
Grisélidis, Rapport d’activité de Grisélidis 2016, 222 p.
16
Ibid.
17
M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la
18
proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014,
191 p.
M. AMAOUCHE, « Les “traditionnelles“ du Bois de Vincennes, une ethnographie du travail sexuel, Ethnographies
19
du travail du sexe, Lausanne, Antipodes.
M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la
20
proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014,
191 p.
Page sur
12 87
Face à ce constat, la France adopte des lois répressives visant à lutter contre ces réseaux et, à terme,
à abolir la prostitution. Cependant, en assimilant lutte contre l’exploitation et travail du sexe, comme en
témoigne la dernière loi adoptée en la matière du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système
prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées , le cadre juridique français favorise la
21
marginalisation, la stigmatisation et la discrimination des TDS, nuisant à leurs conditions de travail et donc à
leur santé. La France fait ainsi entrer en contradiction sa politique de sécurité intérieure, laquelle emporte des
effets sur les droits individuels et sa politique de santé publique à l’égard des TDS.
En effet, il est bien établit qu'il existe un lien de corrélation entre les logiques répressives qui
déterminent le contenu des lois relatives au travail du sexe et l’augmentation des risques sanitaires
auxquelles sont exposées les TDS. Ce lien a notamment été démontré scientifiquement quant à la
transmission du VIH/SIDA par l’étude publiée en janvier 2017 dans The Lancet . Cette étude comparative
22
de vingt-sept pays européens démontre que les dix pays qui ont des lois qui pénalisent le travail du sexe
présentent une prévalence du VIH/SIDA huit fois plus importante (près de 4 %) que les dix-sept pays où
l’achat de services sexuels est légal. Corrélativement, cette étude estime que la dépénalisation du travail
sexuel au Canada aurait permis d'éviter 39 % des infections chez les TDS sur une période de 10 ans.
Ce lien de corrélation entre cadre juridique répressif et augmentation de la prévalence du VIH/SIDA
s’explique par la stigmatisation dont font l’objet les TDS. C’est en ce sens que cette population est plus
vulnérable et à risque que d’autres: leur statut social et légal les éloigne des programmes de prévention et de
prise en charge. C’est cela qui les expose plus que d’autres à un risque d’infection par le VIH/SIDA et les
hépatites virales. Finalement, comme l’affirme le Conseil National du Sida et des hépatites virales (CNS), ce
n’est pas l’activité de travail du sexe qui constitue, par elle-même, un facteur de risque de transmission du
VIH/SIDA (sous réserve d’une utilisation optimale des moyens prévention) mais les "conditions souvent
difficiles dans lesquelles les personnes prostituées exercent leur activité [qui] fragilisent considérablement
leur accès à la prévention et aux soins et majorent leur exposition à l’ensemble des risques sanitaires ».
23


Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
21
personnes prostituées, JO du 14 avril 2016.
A. REEVES et al., « National sex work policy and HIV prevalence among sex workers: an ecological regression
22
analysis of 27 European countries », The Lancet, Volume 4, n°3, mars 2017.
T. SCHAFFAUSER, Combien de travailleuses du sexe vivent avec le VIH en France?, 5 avril 2019, http://
23
ma.lumiere.rouge.blogs.liberation.fr/2019/04/05/combien-de-travailleuses-du-sexe-vivent-avec-le-vih-en-france/ (site
consulté le 3 mai 2019).
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13 87
Autrement dit, en adoptant des lois répressives, la France contribue à rendre les conditions de vie
des TDS compliquées, à les stigmatiser et donc à les rendre particulièrement vulnérables en matière de santé.
Ainsi, alors que, d’une part, la France a adopté une politique de santé publique qui peut être qualifiée de
progressiste en ce qu’elle dépasse les considérations morales - qui peuvent être résumées à la question « pour
ou contre la prostitution? » - pour réduire les risques sanitaires auxquelles s’exposent les TDS et améliorer
leur santé, la France a, d’autre part, fait le choix d’une politique de sécurité intérieure conservatrice en
matière de TDS en ce qu’elle vise à prévenir la prostitution en vue de l’abolir et dont découlent une
dégradation de la situation sanitaire des TDS.
Dans ce contexte, les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS rencontrent de nombreux
obstacles dans la conduite de leurs missions, qui leurs sont pourtant dévolues par l’Etat. Ces difficultés
opérationnelles imposent alors aux associations de santé oeuvrant par et pour les TDS de s’engager dans des
plaidoyers visant notamment à influencer la nature du cadre juridique applicable en France. Ces actions sont
guidées par la volonté d’optimiser le contexte dans lequel elles apportent leurs réponses et visent à défendre
ce en quoi elles croient, c’est-à-dire le droit à la santé pour tou.te.s. 

Ce travail de plaidoyer apparaît d’autant plus important que la santé communautaire semble
progressivement menacée par la remontée en puissance de l’idéologie abolitionniste depuis le début des
années 2000, comme en témoigne le soutien inégal qu’accordent les pouvoirs publics aux associations de
santé oeuvrant auprès des TDS. En effet, avant même l’apparition des associations de santé communautaire
ou des associations de santé développant des programmes de RDR, l’Etat français soutenait des associations
dites d’action sociale issues de l’idéologie abolitionniste. Ces associations sont historiquement hostiles à la
santé communautaire, considérant que la lutte contre la prostitution prévaut à la lutte contre le SIDA, et que
le meilleur moyen d’arrêter le SIDA chez les TDS est d’abolir la prostitution. Alors que l'Etat soutenait
équitablement ces associations et les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS depuis les années
1990, il soutient désormais davantage ces premières, la lutte contre le VIH/SIDA n’étant plus perçue comme
un enjeu sanitaire urgent. Ainsi, en plus d’une logique de plus en plus répressive, les associations oeuvrant
par et pour les TDS doivent faire face à une moindre considération de leur rôle, le contexte épidémiologique
ayant évolué.
Dans ce contexte, il convient alors de se demander en quoi l’exemple français, inspiré du modèle
suédois, impose aux associations de santé oeuvrant par et pour les TDS une réflexion quant à l’évolution de
leur plaidoyer pour améliorer la situation sanitaire des TDS ?
Page sur
14 87
Pour répondre à cette problématique, il importe de revenir sur l’évolution du cadre législatif français
qui s’est traduit par l’adoption progressive d’un modèle abolitionniste de plus en plus répressif et la
dégradation de la situation sanitaire des TDS (chapitre 1). Bien que les associations oeuvrant par et pour les
TDS dénoncent ce constat, force est de constater qu’elles ne sont pas entendues, leurs recommandations
n’étant pas prises en compte par le législateur, alors même que leur travail de terrain leur confère légitimité et
expertise. Une réflexion s’impose donc à ces associations pour tenter d’améliorer la situation sanitaire des
TDS en vue d’obtenir des transformations sociales profondes (chapitre 2). En effet, face à un cadre législatif
dont la nature apparait irrémédiable, il s’agira de présenter ce dont les associations doivent nécessairement
prendre en compte lors de l’élaboration de leurs futurs plaidoyers. Il conviendra alors de proposer des
solutions ou du moins, des pistes de réflexion aux associations pour considérer ces éléments et en tirer profit
en vue d’obtenir des résultats concrets en faveur de l’amélioration de la situation sanitaire des TDS.


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15 87
Chapitre 1 - L’inscription progressive de la France dans le mouvement
abolitionniste ou le constat d’une dégradation de la situation sanitaire des
travailleur.se.s du sexe par les associations de santé oeuvrant par et pour cette
population
Section 1 - L’évolution historique du cadre législatif français relatif au travail
du sexe : des hésitations récurrentes entre tolérance et répression
La prostitution a de façon constante suscité un mélange de crainte, de réprobation morale et
24
d’acceptation tacite au cours de l’histoire. Tout en étant considérées comme à l’origine de toutes sortes de
maux, notamment sanitaires, de certains vices et d’atteintes à l’ordre public, les personnes exerçant cette
activité étaient en même temps perçues comme indispensables au bon fonctionnement du corps social.
L’ambivalence des conceptions idéologiques relatives au travail du sexe explique la variabilité du cadre
juridique dans lequel celui-ci a évolué en France et en Europe. Après avoir longuement appliqué un système
réglementariste (B), la France s’est progressivement inscrite dans le courant abolitionniste, conformément au
cadre juridique international (B). Cette évolution permet alors de comprendre le traitement public réservé
aux TDS, et la stigmatisation dont elles font l’objet.
A- Une tendance historique au réglementarisme
1- L’institutionnalisation de la prostitution
Considéré comme naturel, voire comme "un moindre mal" dès lors qu’il s’agissait de canaliser les
pulsions sexuelles du mâle médiéval, la prostitution s’organise dès le XIIe siècle par les tenants de l’ordre
public. Ainsi, c’est une forme de tolérance qui s’applique tout au long de la période qui s’étend du XIIème au
XVème siècle, bien qu’une séquence d’intense répression sous Saint Louis ait poussé les prostitué.e.s à
entrer dans la clandestinité. En effet, dans le but de conduire ses sujets au salut, le roi Louis IX, par
l’Ordonnance de décembre 1254, punit, outre le blasphème et les jeux de dés, les personnes prostituées et les
proxénètes, en vue d’abolir la prostitution.
En dehors de cet épisode, qui s’est traduit par un échec de la répression, la période qui s’étant du XII
au XVème siècles est marquée par une relative tolérance à l’égard des prostitué.e.s. En effet, en raison de la
place qu’occupe l’Eglise, et donc de l’imprégnation des idéologies développées par des théoriciens
catholiques, les personnes prostitué.e.s sont perçues comme jouant un rôle nécessaire dans l’équilibre social.
Conformément a ce qu’il est indiqué dans la rubrique « précisions » (p.6), c’est le lexique relatif à la “prostitution“ et
24
non au “travail du sexe“ qui sera majoritairement employé dans cette partie car il est plus adapté au contexte historique
évoqué.
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16 87
On peut notamment citer Augustin d’Hippone qui estime que la prostitution est naturelle et permet
de protéger les femmes honorables et les jeunes filles du désir des hommes ou encore Saint-Thomas d’Aquin
selon lequel si vous « supprimez les prostituées, vous apporterez un trouble général par le déchaînement des
passions ». En raison de cette conception selon laquelle le travail du sexe est donc naturel, et surtout
25
nécessaire, il s’institutionnalise.
Cette institutionnalisation, c’est-à-dire le processus par lequel un mouvement social accède au titre
d’institution à travers sa reconnaissance dans l’opinion et qui met en exergue le lien étroit que peuvent
entretenir la loi et les formes sociales dans leur ensemble , se traduit par la création et l’entretien
26
d’établissements tenus par des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques. Ces bourgeois payent alors un bail auprès
des autorités, les municipalités généralement, tout en tirant profit de cette activité. En parallèle de cette
prostitution publique légale, certaines personnes prostitué.e.s exercent leur activité au sein d’établissements
privés moins surveillés tels que des étuves, des hôtels et tavernes. S’exerce également une prostitution
libérale avec des femmes qui travaillent dans la rue ou qui vont d’un hôtel à un autre.
À cette période, les prostitué.e.s sont donc bien intégrées dans la société, à qui l’on « reconnaît une
fonction dans l’apaisement des tensions sociales. L’âge tardif du mariage conduit en effet une grande partie
de la jeunesse masculine à un culte de la virilité et de la solidarité qui se traduit souvent par des chasses
nocturnes de femmes et des viols collectifs. Les bordels mis en place par les municipalités ont pour fonction
de pallier le manque de femmes ou plutôt leur captation par les hommes établis socialement et
économiquement . » Elles font en effet partie intégrante de la vie sociale des hommes de l’époque, qu’ils
27
soient bourgeois, étudiants, intellectuels ou ouvriers.
En revanche, entre le XVème et le XVIème siècle, l’apparition de la syphilis qui décime la
population, marque le retour de la répression morale de la prostitution, les prostitué.e.s étant considérées
comme responsables de sa propagation. En effet, cette maladie vénérienne était vue comme un fléau de Dieu,
à une époque où la maladie et les handicaps physiques étaient considérés comme des marques du péché. De
plus, à cette période, un fervent mouvement d’ordre moral catholique déferle sur la France. Ainsi, en 1561, la
prostitution devient une activité illicite par l’ordonnance d’Orléans. En 1658, Louis   XIV ordonne
d’emprisonner toutes les femmes soupçonnées de prostitution, d’adultère ou de fornication à la Salpêtrière,
jusqu’à ce qu’elles se soient repenties. En 1778, le lieutenant de police Lenoir interdit le racolage sous toutes
ses formes.
Saint-Thomas d’Aquin, Somme théologique.
25
M. WEBER, Économie et société, Paris, Plon, 1971, 812 p.
26
L. GONZALES QUIJANO, G. MAINSANT, A. SEGOND, V. BRACONNAY, Trottoirs et lupanars : état des lieux
27
des prostitutions, 8 mars 2007, 27 p.
Page sur
17 87
2- Une réglementation stigmatisante fondée sur le genre
Que s’applique une répression ou une forme de tolérance à l’égard des prostituées, il apparaît que
celles-ci sont toujours sujettes à un traitement spécifique, fondé sur le genre.
Le premier épisode de répression à l’égard de la prostitution, institué par l’Ordonnance de décembre
1254 précitée, révèle en effet une différence de traitement entre les hommes et les femmes. Alors que les
personnes prostituées, qui sont considérées comme ne pouvant être que des femmes (l’existence d’une
prostitution masculine étant niée à cette époque) sont désormais expulsées des villes et tous leurs biens saisis,
jusqu'aux vêtements ; les proxénètes et les clients, c’est-à-dire des hommes, se voient quant à eux
28
respectivement punis par des amendes équivalentes à une année de loyer .
29
Cette différence de traitement interroge : les peines prévues à l’égard des personnes qui participent à
l’activité du travail du sexe ne sont pas de même nature à l’égard des femmes et des hommes, alors même
que leur contribution à sa réalisation est équivalente. En effet, alors que les peines applicables aux femmes
conduisent à leur exclusion de la société, les hommes se voient seulement sanctionnés économiquement. La
morale apparaît alors déterminer la nature des peines applicables, laquelle révèle l’existence de
considérations déséquilibrées fondées sur le genre. Il en résulte une stigmatisation à l’égard des femmes, qui
se retrouvera, même dans les périodes de plus grande tolérance.
En effet, au cours de l’institutionnalisation de la prostitution, les seigneurs ecclésiastiques et laïcs
élaborent et font appliquer des réglementations qui visent, certes à encadrer le fonctionnement de cette
activité afin d’assurer la pérennité de leur manne financière, mais surtout à contrôler et à stigmatiser les
femmes qui s’y prêtent. C’est ainsi que certaines dispositions ont pu être adoptées pour établir des
restrictions relatives aux déplacements ou aux fréquentations des personnes prostitué.e.s, pour définir les
espaces publics (rues et quartiers) où l’activité pouvait librement s’exercer ainsi que les horaires d’ouvertures
des maisons closes. Ces réglementations imposent également aux personnes se livrant à cette activité un code
vestimentaire. Le port obligatoire de certains vêtements, institué afin de distinguer les prostitué.e.s des autres
femmes, s’inscrit ainsi dans le cadre d’une réglementation stigmatisante.
« Item soient boutés hors communes ribaudes tant des champs comme des villes et faites monitions ou défenses, leurs
28
biens soient pris par les juges des lieux ou par leur autorité et si soient dépouillées jusqu'à la cote ou au pélicon » in
"Les chrétiens et la prostitution" C. CHAUVIN, Les chrétiens et la prostitution, Cerf, 1983, 123 p.
« Qui louera maison à ribaude ou recevra ribauderie en sa maison, il soit tenu de payer au bailli du lieu ou au prévôt
29
ou au juge autant comme la pension vaut en un an. » C. CHAUVIN, Les chrétiens et la prostitution, Cerf, 1983, 123 p.
Page sur
18 87
Le postulat selon lequel la prostitution est nécessaire permet ainsi de tolérer la prostitution tout en
justifiant une réglementation permettant de rejeter les prostituées de la société. Si ce rejet n’est pas nouveau,
ces réglementations permettent la création d’une nouvelle catégorie juridique de sujets de droit, lesquels sont
hors du droit commun. La réglementation, le contrôle et l’astreinte aux maisons closes ne concernent en effet
que ces femmes.
La réglementation applicable peut alors être assimilée à une véritable police du genre, fondée sur de
fortes conceptions morales de la femme et du corps. Selon l’historienne Y. RIPA, « la prostitution est à
l’évidence affaire de corps mais, dans la relation sexuelle tarifée, elle est aussi, dans l’Europe entière, affaire
de genre dans la négation d’une prostitution masculine, de besoins féminins, dans la lecture positive du
client viril, négative de la prostituée vicieuse ».
30
À la fin du XIXème siècle, les théories de Lombroso et Ferrero , au succès européen, permettront
31
d’apporter un fondement scientifique à ce traitement différencié. L’état de nature de la prostituée,
reconnaissable à son physique et à son sexe, justifie son enfermement dans les maisons closes.
3- La réglementation de la prostitution à des fins de salubrité publique
Après le deuxième épisode prohibitionniste qui a marqué les XV et XVIème siècle, la France
napoléonienne ne peut que constater l’échec de l’ordre moral. En effet, selon les historiens, au tournant du
XIXème siècle, alors que la syphilis décime la population, Paris compte encore 40 000 prostitué.e.s, dont 30
000 dites modestes et 10 000 dites de luxe, officiant toutes plus ou moins dans la clandestinité.
En 1802, les bases d’un système réglementariste fondé sur l’autorisation des maisons de tolérance, le
fichage et la visite médicale obligatoire pour les filles publiques afin de les soumettre à des normes d’hygiène
sont alors instituées. Qu’elles se prostituent dans la rue ou dans des maisons closes, les prostituées se voient
conférer un statut de fille soumise, leur dépendance économique et psychologique à l’égard de la tenancière
de la maison ou du proxénète, se doublant d’une surveillance policière et médicale, justifié pour prévenir les
troubles à l’ordre public et la propagation des maladies vénériennes.
Y. RIPA, « La prostitution (XIXe-XXIe siècles) », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, novembre
30
2015.
C. LOMBROSO, G. FERRERO La Femme criminelle et la Prostituée, Paris, 1896, 714 p.
31
Page sur
19 87
Ce modèle réglementariste a été théorisé par le docteur Alexandre PARENT-DUCHÂTELET,
membre du Conseil de salubrité de la ville de Paris, qui mena une longue étude sur la prostitution dans les
32
années 1830, qui portait notamment sur l’origine géographique, sociale ou encore le degré d’instruction des
prostituées. Selon lui, « les prostituées sont aussi inévitables, dans une agglomération d'hommes, que les
égouts, les voiries et les dépôts d’immondices ». Partant de ce postulat, et dans une perspective d’ordre
33
social, l’hygiéniste préconise la tolérance des maisons de débauche pour éviter la dispersion des prostituées
et de « la grosse vérole  ». Ces femmes, une fois inscrites et surveillées, pourront être visitées par des
34
médecins et ainsi isolées du reste de la société.
Selon Alain CORBIN, le système prostitutionnel repose alors sur trois principes essentiels : la
prostitution doit être cantonnée dans un milieu clos; ce milieu clos, invisible au reste de la société, doit être
placé sous la surveillance constante de l’administration; il doit être enfin rigoureusement hiérarchisé et
cloisonné . Dans cette perspective, le réglementarisme répond davantage à une fonction de contrôle plutôt
35
qu’à une fonction d’organisation de l’activité prostitutionnelle. La réglementation de la prostitution à la fin
du XIXème siècle, élaborée pour des motifs d'abord moraux puis hygiénistes, marque ainsi le triomphe du
contrôle de l'Etat sur le privé. La thèse de Michel Foucault développée dans Histoire des sexualités trouve
36
ainsi un écho.
4- Un consensus réglementariste européen
Le modèle réglementariste français est imité par plusieurs autres pays européens. Le French system
s’exporte toutefois dans des formes variées selon les objectifs poursuivis (sanitaires, moraux, sécuritaires), la
manière dont sont réparties les pouvoirs entre les différents niveaux de l’administration ou la valeur juridique
du texte sur lequel il se fonde (loi, décret, coutume).
A. PARENT-DUCHÂTELET, De la prostitution dans la ville de Paris considérée sous le rapport de l’hygiène
32
publique, de la morale et de l’administration, Fr.Leuret. Paris, Baillière, 1836, 893 p.
Ibid.
33
Ibid.
34
A. CORBIN, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution aux XIX et XX siècles, Paris, Aubier, 1978, 571 p.
35
M. FOUCAULT, Histoire de la sexualité I : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1994, 211 p.
36
Page sur
20 87
Ce rayonnement du réglementarisme français s’explique par l’existence d’une adhésion, au niveau
européen, aux fondements de ce modèle. C’est ainsi que l’historienne Y. RIPA considère que « Le French
System est en fait un European System, lequel participe à l’identité européenne ». Ce consensus repose sur
37
quatre éléments : l’acceptation de la prostitution car considérée utile pour l’équilibre de la société ; la
nécessaire satisfaction de la sexualité masculine ; la possibilité de prévenir les désordres qui découleraient
inévitablement de cette insatisfaction ; enfin, l’existence d’un archétype - la prostituée - auquel adhèrent tous
les gouvernants et toutes les sociétés.
Selon Y. RIPA « ce système serait, finalement, un garant de l’ordre sécuritaire étroitement lié à
l’ordre moral, et surtout un garant de l’ordre sanitaire, alors que l’hygiène devient une préoccupation
essentielle, voire une obsession des classes aisées comme des autorités, atteintes de syphilophobie. La
dimension prophylactique du réglementarisme est primordiale pour comprendre son expansion à travers
toute l’Europe, dans l’Italie unifiée comme dans l’Empire allemand.  » C’est ainsi par exemple que le
38
Royaume-Uni l’adopte en 1866 dans les villes de garnison et les ports avant de l’étendre en 1869 à
l‘ensemble du territoire par les Contagious disease acts. Ces lois donnent le droit aux magistrats d’ordonner,
sur simple accusation de prostitution d’un officier de police, des contrôles génitaux aux prostituées pour
détecter des symptômes de maladies sexuellement transmissibles. En cas de refus de l’examen, les
prostituées sont passibles de prison.
Toutefois, le modèle réglementariste, en raison notamment de son inefficacité, est rapidement
contesté. L’isolement des prostituées au sein des maisons closes et les contrôles sanitaires auxquelles elles
sont assujetties ne permettent pas d’endiguer la syphilis. Il faut dire que seules les prostituées sont accusées
de propager cette maladie vénérienne : jamais, dans aucun pays européen, le client n’est soumis à visite
médicale.
Sous l’influence d’organisations féministes, et face à ce constat, le mouvement abolitionniste, qui
vise à mettre fin à la réglementation en dénonçant l’iniquité sur laquelle elle repose, commence alors à être
audible.
Y. RIPA, « La prostitution (XIXe-XXIe siècles) », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, novembre
37
2015.
Ibid.
38
Page sur
21 87
B- L’adoption d’un modèle abolitionniste conforme au cadre juridique international
1- Les fondements de l’abolitionnisme
Le mouvement abolitionniste est né en réaction à l’alignement du Royaume-Uni sur la
réglementation hygiéniste de la prostitution à la française. Contrairement au French system, il ne s’intéresse
pas au fait prostitutionnel, c’est-à-dire à ses tenants et aboutissants, mais au traitement que l’Etat réserve aux
femmes. Il s’attache en effet à combattre ce qu’il considère comme un système qui broie les femmes en les
rendant avilissantes. C’est ainsi que Y. RIPA indique que le mouvement abolitionniste porte son intérêt « sur
les prostituées et la façon dont, en tant que femmes, donc en tant qu’êtres humains, elles sont traitées par le
réglementarisme, d’où sa forte coloration féministe, mais aussi politique ». Le respect des droits, le libre-
39
arbitre et plus globalement, l’universalisme, sont alors des valeurs mises en exergue par ce mouvement, dont
l’activité s’inscrit principalement dans des pays qui s’en réclament ou ceux où l’opposition à l’arbitraire est
la plus dynamique. En effet, ce mouvement se fonde sur ces valeurs pour appuyer ses revendications,
lesquelles consistent en l’abandon de toute réglementation relative à la prostitution.
Cette approche politico-juridique universaliste centrée sur l’individu est complétée par d’autres
dimensions. En effet, « une lecture morale accuse le réglementarisme de diffuser le vice. Une lecture
éthique, attachée à la notion de dignité humaine, accuse le réglementarisme de la bafouer. Une lecture
libérale, enfin, qui s’articule aisément, elle aussi, avec l’universalisme, défend toutes les libertés et s’oppose
à toute contrainte. Elle peut aller jusqu’à revendiquer le droit des femmes, de toutes les femmes, à disposer
de leur corps en un contrat entre adultes consentant dans lequel l’État n’a pas à intervenir ». Dans un
40
contexte où la morale l’emporte traditionnellement sur le droit, cette remise en cause des normes de genre
n’est pas sans susciter des réactions et oppositions, y compris de la part de militant.e.s féministes.
Toutefois, cette prééminence de la morale n’est pas dépassée par le mouvement abolitionniste. En
effet, si l’objet de la lutte abolitionniste est bien l’abolition de la réglementation, la prostitution demeure
immorale. Elle n’est en revanche pas condamnable, car c’est l’Etat qui serait responsable de la condition des
femmes qui se prostituent. La différence idéologique avec le réglementarisme se situe donc essentiellement
dans la définition de la victime de la prostitution : alors que selon les réglementaristes, c’est la société qui est
victime de la prostitution et plus particulièrement les “honnêtes femmes“, dans le cas de l’abolitionnisme, ce
sont les femmes, et plus particulièrement les prostituées.
Y. RIPA, « La prostitution (XIXe-XXIe siècles) », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, novembre
39
2015.
Ibid.
40
Page sur
22 87
Cette différence conduit alors à des préconisations distinctes : alors que les réglementaristes
« prônent la répression pour limiter le nombre des femmes qualifiées de déchues, les seconds envisagent une
œuvre de sauvetage, dans laquelle se reconnaissent les associations philanthropiques et religieuses, voire
féministes, qui optent pour la prévention et non pour la répression ». De nos jours, même si l’abolitionnisme
semble avoir évolué, l’idée de réinsertion reste prédominante dans la réflexion publique sur la question de la
prostitution .
41
2- Le développement désordonné du mouvement abolitionniste
Sous l’impulsion de la féministe anglaise Joséphine Butler, le mouvement abolitionniste s’est
d’abord traduit par la création de la Fédération britannique, continentale et générale pour l’abolition de la
prostitution réglementée en 1869. Après quatre années d’action limitées à l’Angleterre, cette structure évolue
en Fédération abolitionniste internationale contre la prostitution réglementée (FAI), concrétisant ainsi son
initiale ambition internationale. En France, certaines personnalités publiques telles que Victor HUGO, Jean
JAURÈS, Victor SCHOELDCHER affichent leur soutien à la FAI. Un groupe de pression voit également le
jour, lequel organise des meetings qui peuvent rassembler jusqu’à 2 000 personnes. Toutefois, dans la mesure
où l’hygiénisme a été théorisé en France, et y est donc largement implanté, il faudra attendre 1946 pour
qu’une première mesure abolitionniste soit adoptée. En Angleterre, en revanche, dès 1885, les Contagious
Diseases Acts sont abolis.
La fin du 19ème siècle marque un ralentissement dans la progression du mouvement abolitionniste.
Puis, les guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945 justifient un retour au réglementarisme,
notamment en France, dans une perspective sanitaire. La nécessaire protection des soldats et la politique
nataliste qui impose de distinguer les femmes prostituées des “honnêtes mères de famille“ rendent légitimes
l’encadrement juridique de la prostitution. Sous le régime de Vichy, « un syndicat de propriétaires de
maisons closes voit d’ailleurs le jour ».
42
Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le mouvement abolitionniste trouve à nouveau un
écho. L’arrivée des antibiotiques et le courant humaniste qui souffle sur l’Europe, lequel prône la défense des
droits de l’homme et une nouvelle place pour la femme au sein de la société rendent possible l’adoption, le
13 avril 1946, de la loi dite « Marthe Richard », du nom d’une ancienne prostituée devenue conseillère
43
municipale de Paris. En ce ce qu’elle prévoit notamment la fermeture des maisons de tolérance, soit 1 500
structures dont 177 à Paris, elle est considérée comme la première loi abolitionniste.
D. DERYCKE, Les politiques publiques et la prostitution, Rapport d’information sur l’activité de la délégation aux
41
droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour l’année 2000, Sénat, 2000, n°209,
230 p.
F. RIGAL, « Aux sources de l’abolitionnisme », Prostitution et Société, n° 164, janvier 2010.
42
Loi n°46-685 du 13 avril 1946 tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le
43
proxénétisme, JO du 14 avril 1946.
Page sur
23 87
Néanmoins, dans la mesure où elle fût suivie, une semaine après, d’une loi instaurant un fichier
sanitaire et social des personnes prostituées, la France demeure un pays réglementariste.
3- L’internationalisation du mouvement abolitionniste
Au cœur du débat entre réglementaristes et abolitionnistes, une crise éclate en 1880-1881 : l’affaire
des “petites Anglaises“ révèle l’existence d’un commerce de jeunes filles en Europe. Deux prostituées
anglaises mineures sont retrouvées dans des maisons closes à Bruxelles. L’enquête révèle des collusions
entre la police des mœurs et les milieux interlopes bruxellois. Le scandale fait l’objet d’une campagne de
presse internationale qui dénonce l’existence de détournements de jeunes filles, forcées de se prostituer à
l’étranger. En 1904, le premier accord international sur la “traite des blanches“ est alors signé à Paris.
44
Puis, en 1927 et 1936, deux enquêtes menées par la Société des Nations (SDN) qui établissent que
l'existence de bordels et la réglementation favorisent la traite tant à l’échelle nationale qu’internationale et
qu’en sont victimes des femmes blanches et non-blanches, mais aussi des enfants ou des hommes. Sous
l’influence du courant universaliste, et dans le prolongement de la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, une réflexion s’amorce alors quant à la nécessité d’élargir la lutte internationale contre la
traite en vue de la prostitution d’autrui à tous les êtres humains, et non aux seules blanches. C’est ainsi que
l’Assemblée générale des Nations-Unies adopte le 2 décembre 1949, la Convention des Nations-Unies pour
la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui .
45
Cette Convention peut être considérée comme le résultat des campagnes menées par le mouvement
abolitionniste depuis la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, elle impose aux Etats parties d’abandonner
toute réglementation relative à la prostitution, et stipule notamment expressément que ces derniers doivent
s’engager à « prendre toutes les mesures nécessaires pour abroger ou abolir toute loi, tout règlement et toute
pratique administrative selon lesquels les personnes qui se livrent ou sont soupçonnées de se livrer à la
prostitution doivent se faire inscrire sur des registres spéciaux, posséder des papiers spéciaux, ou se
conformer à des conditions exceptionnelles de surveillance ou de déclaration  ». Cette Convention prévoit
46
également le renforcement des sanctions financières et pénales contre les proxénètes et la pénalisation, par
une contravention, du racolage actif et passif.
Arrangement international en vue d'assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de
44
traite des blanches, signé à Paris le 18 mai 1904.
Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution
45
d’autrui, 1949.
Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution
46
d’autrui, 1949, article 6.
Page sur
24 87
Enfin, son article 16 dispose que « les Parties à la présente Convention conviennent de prendre ou
d'encourager, par l'intermédiaire de leurs services sociaux, économiques, d'enseignement, d'hygiène et
autres services connexes, qu'ils soient publics ou privés, les mesures propres à prévenir la prostitution et à
assurer la rééducation et le reclassement des victimes de la prostitution et des infractions visées par la
présente Convention ».
L’idée de rééducation, de réinsertion, visant à remettre les victimes dans le droit chemin démontre
47
ainsi la pérennité de la morale dans le traitement juridique de la prostitution. À ce propos, le préambule est
très clair : « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la
prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le
bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ». Cette Convention peut alors apparaître comme
un élément marquant dans l’évolution du courant abolitionniste. Alors qu’il cherchait initialement à abolir
toute forme de réglementation relative à la prostitution, il poursuit désormais un autre but, celui d’abolir la
prostitution.


4- L’adoption progressive d’un modèle abolitionniste à tendance prohibitionniste par la France
Ce n’est qu’à partir du 25 novembre 1960, date de la ratification de la Convention des Nations-Unies
pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui par la
48
France, que l’hexagone met véritablement fin au système réglementariste. Les fichiers relatifs à la
prostitution seront supprimés, la réglementation directe de la prostitution sera interdite et un article relatif
aux actions de prévention contre la prostitution sera inséré dans le Code de l’action sociale et des familles .
49
À partir de sa mise en conformité avec le droit international, la France n’aura de cesse d’inscrire sa
législation relative à la prostitution dans le courant de pensée abolitionniste, compris dans sa nouvelle
sémantique. En effet, bien que l’exercice de la prostitution soit légal, les lois successivement adoptées
traduisent une volonté de l’Etat de faire disparaître la prostitution, en criminalisant le proxénétisme, mais
également en incriminant le racolage jusqu’en 2016, puis en incriminant les clients depuis cette date.
J.-M. CHAUMONT, « Indésirables victimes. L’ambivalence de la représentation des victimes de la “traite” illustrée
47
par le projet d’une “Convention internationale relative au rapatriement des prostituées” du Bureau International pour la
suppression de la traite des femmes et des enfants », in Action publique et prostitution, Presses universitaires de Rennes,
2006.
Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution
48
d’autrui, 1949.
Art. L 121-9 du Code de l’action sociale et des familles dispose notamment que « Dans chaque département, l'Etat
49
assure la protection des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains et leur
fournit l'assistance dont elles ont besoin ».
Page sur
25 87
S’agissant du proxénétisme, son régime juridique n' a que peu évolué depuis 1960. Le proxénétisme
est «  poursuivi sous toutes ses formes et reçoit une qualification assez englobante, puisque sont incriminés
tant le proxénétisme de contrainte que le proxénétisme de soutien, la contrepartie financière n’étant pas prise
en compte dans la qualification de proxénétisme  ». Afin de multiplier les possibilités juridiques de
50
poursuivre le proxénétisme, la loi du 9 avril 1975 habilite certaines associations à exercer une action civile.
51
S’agissant du racolage, l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal de 1994 introduit une distinction
entre racolage passif et actif, en prévoyant la décriminalisation du premier (suppression de la contravention
jusque là prévue) - considéré comme une infraction depuis 1960 - et en maintenant la seconde. C’est ainsi
que, par exemple, « dès lors que la tenue vestimentaire de la prévenue apparaît, au vu de la date des faits,
normale, et que les agents verbalisateurs n'ont retenu de sa part aucune parole de nature à inciter
quelconque à des relations sexuelles, le seul fait de déambuler sur la chaussée et de s'adresser à des
automobilistes ou à des piétons qui se sont arrêtés spontanément à sa hauteur sans y être invités, ne peut
constituer à lui seul, de la part de la prévenue, l'infraction de racolage actif (Tribunal de police de Paris,
deuxième chambre, 23 janvier 1997)  ». Ainsi, l’abandon du délit de racolage passif signifie que la seule
52
présence de la prostituée dans un espace public ne suffit plus à l’incriminer, encore faut-il qu’elle adopte une
attitude proactive en portant notamment certains vêtements. En effet, l’arrêt du Tribunal de police relève,
parmi les critères permettant de retenir ou non la qualification de racolage actif, « la tenue vestimentaire de la
prévenue », qu’il qualifie, en l’espèce, de « normale », se livrant ainsi à un jugement moral en distinguant ce
qui relève de l’acceptable de ce qui n’en relève pas.
Toutefois, la différenciation entre les deux formes de racolage ne connaîtra qu’une durée
relativement brève puisque le racolage passif est de nouveau incriminé entre 2003 et 2016 . C’est ainsi que
53 54
l’article 222-10-1 du Code pénal issu de l’article 50 de la loi du 18 mars 2003 définit le racolage comme « 
55
le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage
d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de
rémunération. »
G. DELMAS, S.-M. MAFFESOLI, S. ROBBE, Le traitement juridique du sexe, L’Harmattan, Presses Universitaires
50
de Sceaux, 2010, 186 p.
Loi n°75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer
51
l’action civile, JO du 11 avril 1975.
J. ROZIER, Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
52
les hommes et les femmes sur le projet de loi n° 30 pour la sécurité intérieure, 29 octobre 2002 , 35 p.
Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, JO du 19 mars 2003, prévoit la pénalisation du racolage
53
actif ou passif. Ces délits sont susceptibles d’être punis de 2 mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
54
personnes prostituées, JO du 14 avril 2016, abolit le délit de racolage passif.
Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, JO du 19 mars 2003.
55
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26 87
Il en résulte que, s’il n’est pas question de remettre en cause la conformité du droit français au droit
international en matière de prostitution, le courant de pensée dans lequel s’inscrit ce premier, interroge. En
effet, si la lutte contre le proxénétisme relève bien du courant abolitionniste, tel n’est pas le cas de
l’incrimination du racolage, les personnes prostituées ne pouvant en principe être traitées comme des
délinquantes, étant considérées comme des victimes. De ce fait, il apparaît que le régime juridique français
de la prostitution retient une conception très large de l’abolitionnisme pour atteindre son objectif. Autrement
dit, la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains justifierait la mise en oeuvre de moyens
relevant du prohibitionnisme (délit de racolage), bien qu’ils concernent directement les prostituées.


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27 87
Section 2 - L’adoption de la loi de 2016 relative à la pénalisation des clients :
confirmation et évolution de l’abolitionnisme prohibitionniste
Dans la perspective de renforcer la lutte contre les réseaux et de protéger davantage leurs victimes,
l’Etat français, par la loi de 2016 relative au renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel et à
l’accompagnement des personnes prostituées , introduit le délit d’achat d’un acte sexuel et supprime le délit
56
de racolage. Cette loi, censée inverser la charge pénale qui pesait jusque là sur les TDS, et inspiré de
l’exemple suédois, permet de tendre à une plus grande cohérence avec la conception abolitionniste.
Toutefois, en ce qu’elle se fonde sur un principe prohibitionniste sans prévoir de mesures appropriées à
l’égard des TDS, la loi apparaît, selon les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS et les personnes
concernées elles-mêmes, davantage répressive que protectrice. S’observe alors une dissonance au sein de la
loi, entre son esprit (A) et son contenu (B).
A- L’esprit de la loi de 2016
1- La réaffirmation de la position abolitionniste de la France
Suite au rapport du 13 avril 2011 de la mission d’information de la commission des lois sur la
prostitution en France, dont sont à l’initiative les député.e.s Danielle BOUSQUET (PS) et Guy GEOFFROY
(LR, ex-UMP), l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une résolution qui « réaffirme la position
abolitionniste de la France, dont l’objectif est à terme, une société sans prostitution». La définition de
l’abolitionnisme et l’objectif poursuivi sont ainsi clairement dévoyés : alors que ce courant poursuit initialement
pour objectif l’abolition de toute réglementation relative à la prostitution, l’Assemblée nationale indique que
cette « position abolitionniste de la France implique que toutes les règles de droit qui seraient susceptibles
d’inciter à la prostitution disparaissent ». Une forme de réglementation serait ainsi envisageable dès lors
qu’elle tend à décourager l’activité prostitutionnelle . Ainsi, un retour aux moyens mis en oeuvre
57
historiquement en matière de prostitution serait possible, c’est-à-dire le recours à la réglementation, dès lors
que celle-ci ne poursuit pas les mêmes fins, c’est-à-dire l’encadrement de l’activité prostitutionnelle, mais
son interdiction.
Pour justifier ce positionnement, les député.e.s invoquent plusieurs arguments qui tiennent, quant à eux,
au courant abolitionniste en ce qu’ils découlent tous de la conception selon laquelle la personne prostituée est
nécessairement une victime.
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
56
personnes prostituées, JO du 14 avril 2016.
C’est ainsi que pourra être justifié l’introduction d’une incrimination s’appliquant aux clients dans la loi de 2016. La
57
résolution parlementaire la préconise d’ailleurs en indiquant que « la loi doit clairement marquer la responsabilité de
chacun dans la perpétuation du système prostitutionnel. Elle le fait d’ores et déjà pour ce qui est des auteurs de traite
des êtres humains et de proxénétisme. Elle doit également responsabiliser les clients en leur indiquant clairement
qu’eux aussi ont une part de responsabilité. Sans client, il n’y aurait pas de prostitution ».
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28 87
D’abord, la Chambre basse estime les personnes prostituées sont dans leur grande majorité victimes
d’exploitation sexuelle. Pour cela, elle s’appuie sur les données citées par le rapport de 2011 susmentionné,
qui dresse notamment le constat d’une forte augmentation de la prostitution étrangère depuis les années 1990.
Alors qu’entre 1990 et 1995, la part des femmes d’origine étrangère parmi les prostituées s’établirait à environ
30% à Paris, et 15% en province, elle serait de 91% en 2010. Ces estimations, issues des rapports de
l’OCTREH, sont toutefois à interpréter à la lumière de certaines considérations. L’OCTREH se base en effet sur
le nombre de femmes mises en cause pour racolage pour les établir. Ces données dépendent donc du nombre de
contrôles policiers effectués à l’endroit des TDS. Or, la lutte contre l’immigration clandestine ne cesse de se
renforcer en France. Il est donc difficile de nier l’existence d’un possible lien de corrélation entre cette
augmentation de la part que représentent les TDS de nationalité étrangère et l’intensification des contrôles dont
elles font l’objet. Le rapport relève, pour sa part, que l’augmentation de la prostitution étrangère est liée à
l’émergence de réseaux de prostitution dont la prolifération fait suite à des bouleversements géopolitiques
(effondrement de l’Union soviétique, conflits balkaniques, crises politiques en Afrique) ainsi qu’à la mise en
place du principe de libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen. Selon lui, la majorité des
femmes étrangères se prostituant en France serait victimes de ces réseaux car contraintes à exercer cette activité
pour rembourser la dette qu’elles ont contracté pour entrer en France. D’après l’étude menée par Mme
Françoise GUILLEMAUT , sociologue, près de 80 % des femmes migrantes prostituées aurait ainsi une
58
dette de passage. Le fonctionnement de ces réseaux de traite et d’exploitation sexuelle assurait alors « la
persistance du système prostitutionnel», d’autant qu’il peut offrir aux personnes prostituées la possibilité de
devenir proxénète à leur tour (forme de promotion sociale).
Ensuite, qu’elles soient victimes de traite ou non, les personnes prostituées seraient nécessairement
victimes de violences. Selon l’Assemblée nationale, « toutes les études s’accordent sur le fait que les
personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent une atteinte souvent
dramatique à leur intégrité physique et psychique ».
Enfin, si elles ne sont pas victimes de traite, ni victimes de violences, les personnes prostituées
seraient nécessairement victimes d’une forme de contrainte. Dans sa résolution, l’Assemblée nationale
affirme en effet que « la prostitution n’est jamais exercée de gaîté de coeur. Elle fait le plus souvent suite à
un évènement traumatique (rejet lié à l’orientation sexuelle, précarité économique particulièrement forte...)
quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe ». Il n’y aurait donc pas de personnes qui se prostitueraient
librement, ou seulement une infime partie, dont les revendications de libre arbitre ne doivent « pas conduire
à fermer les yeux sur toutes les autres» situations.
F. GUILLEMAUT, « Victimes de trafic ou actrice d’un processus migratoire ? Saisir la voix des femmes migrantes
58
prostituées par la recherche-action », Terrains et travaux, n° 10, 2006.
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29 87
De ce fait, selon le législateur, les TDS devraient uniquement être considérées comme des victimes
d’un système qui les exploite, et non comme des délinquantes. L’esprit de la loi doit alors refléter cette
conception, ce qui impose une évolution législative se traduisant par l’abolition du délit de racolage, encore
applicable.
2- Des mesures pour prévenir ou pallier la condition de victime de la personne prostituée
Dans cette perpective, une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système
59
prostitutionnel a été déposée par le groupe PS à l’Assemblée nationale. Dès la première lecture, elle est
adoptée par 268 voix contre 138 le 4 décembre 2013. Cette proposition de loi prévoit la poursuite de 3
grands objectifs : le renforcement de la lutte contre le trafic d’êtres humains et le proxénétisme, la
prévention, la protection et l’accompagnement des victimes de la prostitution, ainsi que la responsabilisation
des clients.
S’agissant du renforcement de la lutte contre le trafic d’être humains et le proxénétisme, la
proposition de loi prévoit notamment de mettre à contribution les fournisseurs d'accès Internet et les
hébergeurs de sites Internet dans la lutte contre la diffusion des infractions de traite des êtres humains, de
proxénétisme et des infractions assimilées. Sont ainsi visés les réseaux qui utilisent Internet pour organiser
leur activité.
S’agissant de la prévention, de l’accompagnement et de la protection des victimes de la prostitution,
de la traite des êtres humains et du proxénétisme, la proposition de loi prévoit la mise en place, au sein de
chaque département, d’une instance « chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes
de la prostitution ». Cette instance aura notamment vocation à déterminer si une personne est éligible au
parcours de sortie de la prostitution, lequel donne notamment droit à une remise totale ou partielle d’impôts
directs, d’amende fiscale ou de frais de poursuite. Surtout, pour poursuivre ce deuxième objectif, la
proposition de loi prévoit, en son article 13, l’abolition du délit de racolage public, qui incrimine les
personnes prostituées et les a fragilisé. C’est ce que relève notamment le rapport de la Commission spéciale
60
chargée d’examiner la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui indique que le délit de
racolage a « entraîné un déplacement des lieux d’exercice de la prostitution vers des zones plus difficiles
d’accès pour les forces de police, mais également pour les associations intervenant auprès des personnes
prostituées. Davantage isolées, les personnes prostituées se retrouvent exposées à un risque de violence
accru ». De plus, le délit de racolage aurait « renforcé le sentiment de stigmatisation des personnes
prostituées ainsi que leur méfiance vis-à-vis des institutions ».
Proposition de loi n° 519 (2014-2015) visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel.
59
M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la
60
proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014,
191 p.
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30 87
Enfin, s’agissant de la responsabilisation des clients, l’article 16 de la proposition de loi vise à
instaurer une contravention de cinquième classe sanctionnant le fait de « solliciter, d'accepter ou d'obtenir
61
des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution ». Cette interdiction d’achat d’un
acte sexuel, mesure phare du projet de loi, permettrait d’inverser le rapport de force, ce dont se félicite
Madame Michelle MEUNIER, rapporteure devant la Commission spéciale, selon laquelle « nous allons
enfin, dans les faits, considérer la personne prostituée comme une victime et non plus comme une
délinquante, et le client comme une partie prenante du système qui oppresse la personne prostituée  ».
62
Le Sénat s’étant opposé, en première lecture, à la pénalisation des clients et à l’abolition du délit de
racolage au motif notamment qu’il permet « de donner aux services de police un moyen d’agir  », c’est
63
après deux navettes législatives, et une Commission mixte paritaire, que la proposition de loi a été adoptée
dans tous ses articles. Pour ses partisans, la loi du 13 avril 2016 s’inscrit dans le droit fil des grandes
avancées pour les droits des femmes qui ont marqué l’histoire. Elle « est l’emblème du combat contre les
violences, sociales et sexuelles ; elle est un progrès pour les droits humains et pour l’égalité  ». Toutefois,
64
cette loi n’est pas considérée ainsi par l’ensemble des associations oeuvrant dans le champ du travail du sexe.
3- Une conception victimaire de la personne prostituée soutenue par une partie du tissu
associatif
En adoptant un modèle abolitionniste, la France a renoncé à toute forme d’action directe de la part
des pouvoirs publics auprès des personnes prostituées. Ce sont donc les associations, soutenues
financièrement par l’Etat, qui sont alors principalement en charge d’intervenir auprès d’elles. Le
gouvernement se doit alors de reconnaître leur expertise, notamment en les impliquant dans le processus
d’élaboration des lois par des auditions.
Toutefois, les associations oeuvrant dans le champ du travail du sexe ne sont pas neutres. Elles
s’inscrivent elles aussi nécessairement dans une idéologie fonction de la conception qu’elles retiennent de la
prostitution, laquelle détermine le type d’action qu’elles choisissent de mener et les politiques publiques
qu’elles préconisent. En effet, selon qu’elles considèrent la prostitution avant tout comme une violence faite
aux femmes ou comme une activité qui concerne des personnes dont la santé est particulièrement fragile ou à
risques, leurs recommandations seront distinctes.
Une contravention de cinquième classe est punie d'une amende de 1 500 euros et de 3 000 euros en cas de récidive.
61
Déclaration de Mme M. MEUNIER, rapporteure devant la Commission spéciale, le 7 octobre 2015.
62
Déclaration de M. J.-P. VAL, Président de la Commission spéciale, le 7 octobre 2015.
63
C. LEGARDINIER, « Prostitution : une révolution française », Prostitution et société, n°188, avril 2016.
64
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31 87
Celles qui retiennent cette première conception de la prostitution, conformément à celle retenue par
l’Etat français, s’inscrivent dans le mouvement abolitionniste. Tel est le cas notamment du Mouvement du
Nid. Généralement, il s’agit d’associations qui facilitent l’accueil, l’accompagnement, l’hébergement et
l’insertion des TDS. Dans la mesure où l’essentiel des fonds publics (subventions et dotations) destinés au
secteur privé à but non lucratif intervenant dans le champ de la prostitution leur est alloué, ces associations
sont particulièrement bien implantées et actives. Pour poursuivre au mieux leurs missions, elles plaident
alors historiquement en faveur d’une concentration des moyens publics alloués vers l’accompagnement des
personnes en dehors de la prostitution et à la réintégration sociale et professionnelle.
En revanche, les associations qui abordent la question de la prostitution sous un prisme santé, auront
tendance à considérer que l’objectif de diminution de l’activité prostitutionnelle contrainte s’il est louable,
doit passer derrière celui de l’amélioration des conditions de vie des personnes qui se prostituent et de leur
accès aux soins et aux droits sociaux. Cette conception est retenue par ce qu’il convient d’entendre ici par
associations de santé oeuvrant par et pour les TDS.
Lors de leurs auditions, ces associations ont ainsi pu faire part de leurs craintes quant à l’instauration
du principe de pénalisation des clients. Pour étayer leurs propos, elles ont pu se baser sur leurs observations
de terrain. Elles constatent notamment que dès l’examen de la proposition de loi, très largement médiatisée,
les comportements ont évolué, les clients pensant que la loi était déjà entrée en vigueur. C’est ainsi que lors
de son audition, Mme Krystel Odobet (association Grisélidis) a pu indiquer que « les clients sont moins
nombreux, tournent beaucoup mais s'arrêtent moins, par peur de la police. Il est donc plus difficile pour les
personnes prostituées de négocier sur les pratiques ou sur l'usage du préservatif ». Selon ces mêmes
associations, les conséquences de cette loi sont dès lors prévisibles, notamment : une baisse du pouvoir de
négociation des TDS, une augmentation des pratiques à risques, et le déplacement vers des zones isolées les
exposant à davantage de violence.
B- Le contenu de la loi
1- Le volet répressif : l’interdiction de l’achat d’acte sexuel
Au cours des deux années de débats parlementaires houleux qui ont précédé le vote de la loi de
2016 , il était notamment affirmé qu’une société de genre égalitaire ne pouvait être rendue possible que si la
65
prostitution cesse d’exister. En effet, certains avançaient l’idée que toutes les femmes dans la société sont
lésées tant que les hommes pensent qu'ils peuvent acheter le corps des femmes. Que l'interdiction ait des
effets néfastes pour les femmes qui vendent des services sexuels ou qu’elle viole leur droit à
l'autodétermination n’était donc pas la question. La valeur symbolique d’égalité de genre de la loi devait
l’emporter.
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
65
personnes prostituées, JO du 14 avril 2016.
Page sur
32 87
C’est ainsi que l’article 20 de la loi de 2016 introduit un nouveau titre dans le Code pénal au livre VI
intitulé « Du recours à la prostitution », dans lequel figure l’article 611-1 du Code pénal. Cette disposition
prévoit désormais que « le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une
personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération,
d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel
avantage est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ». La peine applicable
au délit d’achat d’acte sexuel renvoie au paiement d’une amende d’un montant de 1 500€ (jusqu’à 3 750€ et
une inscription au casier judiciaire en cas de récidive) et peut être assortie de peines complémentaires. Le
contrevenant peut alors se voir obliger d’accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre
l'achat d'actes sexuels.
En pratique, il reviendra aux policiers de dresser des procès verbaux pour « achat d’un acte sexuel »
afin de convoquer le prévenu devant le Tribunal de police. Il appartiendra alors au juge d’instance, si le
contentieux n’est pas classé en amont par le parquet, de prononcer la peine applicable. Toutefois, la mise en
oeuvre de cette procédure n’est pas sans poser de questions. En effet, encore faut-il que les autorités
judiciaires puissent qualifier l’infraction pour prononcer une peine, et donc connaitre les critères permettant
de la retenir. Faut-il rétribution ou pas ? Faut-il que l’acte sexuel ait déjà été consommé ? Faut-il un flagrant
délit ? Dans le même sens, les acteurs du monde judiciaire se sont montrés plutôt sceptiques quant à
l’application concrète de cette nouvelle infraction. 
2 - Le volet social : l’accompagnement des victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la
traite des êtres humains
Considérant que l’Etat doit jouer un rôle de protecteur auprès des personnes victimes de la
prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains, il est prévu que chaque département soit mis
à contribution pour pouvoir leur offrir un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et
professionnelle. Bien qu’il sera proposé à toutes les TDS, seules pourront en bénéficier celles qui obtiendront
l’accord favorable du représentant de l’Etat dans le département et après avis d’une instance « chargée
d'organiser et de coordonner » l’action en leur faveur, créée par l’article 5 de la loi de 2016 .
66
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
66
personnes prostituées, JO du 14 avril 2016.
Page sur
33 87
Cette instance , présidée par le préfet, sera « composée de représentants de l'Etat, notamment des
67
services de police et de gendarmerie, de représentants des collectivités territoriales, d'un magistrat, de
professionnels de santé et de représentants d’associations . » Cette diversité des acteurs impliqués, et
68
notamment l’implication des associations, révèle l’importance que leur accorde l’Etat. Toutefois, dans la
mesure où la loi prévoit que ce parcours de sortie doit être défini et mis en oeuvre par ces mêmes
associations en fonction des besoins sanitaires, professionnels et sociaux de la victime, il en résulte une
charge de travail supplémentaire pour celles-ci. En effet, il leur appartient de présenter, pour chaque personne
qui se considère victime de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite, un dossier pour obtenir l’accord
de l’instance départementale, de définir un projet d’insertion sociale et professionnelle et d’accompagner les
personnes pendant une durée de 6 mois renouvelable (24 mois maximum). La question qui se pose est alors
celle de la contrepartie financière accordée par l’Etat à ces associations.
Rien n'est pourtant prévu. Seules des aides à destination des victimes seront versées par un fonds
dédié au parcours de sortie de la prostitution, créé par la loi de 2016 . Alimenté par des crédits de l’Etat et
69
les recettes provenant de la confiscation des biens et produits de l’exploitation, il est doté de 4,8 millions
d’euros annuels. Selon le mouvement du Nid, « tel qu’il est prévu, le financement de sorties de prostitution
pourrait toucher 200 personnes sur le territoire (en évaluant l’aide à 400 €/mois, soit 5 000 €/an) », ce qu’il
juge assez limité, bien qu’il faut rappeler que ces aides «  ne touchent que les personnes n’ayant droit ni au
RSA ni à l’ATA, Allocation Temporaire d’Attente, ni les demandeurs/ses d’asile .
70
S’agissant de ces dernières, il est prévu que l’autorisation d’intégrer un parcours de sortie de
prostitution leur ouvre également droit à une autorisation provisoire de séjour d’une durée minimale de 6
mois. Cette autorisation doit en principe permettre l’exercice d’une activité professionnelle et le versement
d’une aide financière à l’insertion sociale de 330 € pour une personne seule. Selon Michelle MEUNIER,
« ce dispositif très novateur et très complet protégera efficacement toutes les personnes prostituées qui
contribueront à démanteler un réseau, et inversera la logique : désormais, c'est la puissance publique qui
protègera la personne prostituée contre le réseau, non le réseau qui la protègera contre la justice  ».
71
Le conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives
67
sectaires et les violences faites aux femmes
Article 5 de la loi de 2016 modifiant l’article L. 121-9.-I. du Code de l’action sociale et des familles
68
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
69
personnes prostituées, JO du 14 avril 2016.
C. LEGARDINIER, « Prostitution : une révolution française », Prostitution et société, n°188, avril 2016.
70
M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la
71
proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014,
191 p.
Page sur
34 87
3- Une loi déséquilibrée : un volet social insuffisant face à un volet répressif menaçant les
travailleur.se.s du sexe
Tout en reconnaissant la nécessité de protéger et d’assister les personnes prostituées qui le
souhaitent, le Défenseur des droits (DDD), dans son avis n°15-28 , déplore la notion de “parcours de
72
sortie“. Selon lui, «   cette notion semble particulièrement inadaptée car elle oblige l’inscription des
personnes prostituées dans une procédure prédéfinie sans permettre, une fois encore, la prise en compte de
la diversité de leur situation ». Surtout, pour pouvoir bénéficier du parcours de sortie de la prostitution, les
victimes doivent notamment s’engager à cesser leur activité. Cette condition sine qua non, que l’on retrouve
également en matière de remises fiscales gracieuses, pose question, tant dans la possibilité concrète de sa
mise en oeuvre, qu’au regard du principe d’égal accès aux droits. En effet, concrètement, cela suppose pour
les victimes de renoncer aux ressources financières que leur procure l’activité de prostitution, ce qui les place
inévitablement dans une situation de précarité et de vulnérabilité accrues. Ensuite, cette conditionnalité entre
en contradiction avec ledit principe d’égal accès aux droits qui suppose « un accès inconditionnel aux
dispositifs d’accompagnement social, sanitaire et professionnel ». L’accès aux parcours de sortie créé ainsi
73
une rupture d’égalité dans l’accès aux droits.
Par ailleurs, en prévoyant la délivrance d’une autorisation de séjour de six mois pour les personnes
étrangères qui s’engagent dans le parcours de sortie, la loi serait déconnectée de la réalité. Il serait en effet « 
impossible d'obtenir un contrat de travail avec un titre de séjour si court  ». Ne pouvant travailler, et ayant
74
renoncer à l’activité de prostitution pour intégrer le parcours de sortie de la prostitution, la loi les expose à un
risque accru car elles ne peuvent alors rembourser leur dette aux réseaux d’exploitation.
De plus, certaines associations, comme Médecins du Monde, ont pu dénoncer une forme d’effet
d’annonce quant au parcours de sortie de la prostitution. L’ONG indique en effet qu’à « l’instar de
l’OCRTEH, si on estime à 30 000 le nombre de travailleuses du sexe en France, et comme ne cessent de le
proclamer les abolitionnistes, toutes ces personnes sont "victimes de prostitution", le budget alloué à la
sortie de la prostitution serait de 160€ par personne et par an  », si l’on se base sur les 4,8 millions d’euros
75
accordés au fond dédié. Les moyens mis en oeuvre seraient ainsi largement en deçà des ambitions du texte de
loi. En outre, l’ONG dénonce le fait que ce fonds soit constitué « au détriment d’autres actions essentielles
comme la lutte contre le VIH, contre les violences ou pour l’accès à l’IVG ».
76
DDD, Avis n°15-28 du 16 décembre 2015 relatif à la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
72
personnes prostituées, 16 décembre 2015, 4 p.
DDD, Avis n°15-28 du 16 décembre 2015 relatif à la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
73
personnes prostituées, 16 décembre 2015, 4 p.
Compte-rendu des auditions de la Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel, 28 mai 2014
74
Médecins du Monde, Communiqué de presse, 5 avril 2016.
75
Médecins du Monde, Communiqué de presse, 5 avril 2016.
76
Page sur
35 87
Quant au volet répressif, bien que le DDD se félicite de l’abrogation du délit de racolage par l’article
13 de la loi, il dénonce l’introduction du principe d’interdiction d’achat d’un acte sexuel. Le Défenseur
signale notamment que cette interdiction, basée sur le modèle suédois n’est pas la mesure la plus efficace
pour « réduire la prostitution et pour dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme de s’implanter sur
les territoires » et encore moins « la solution la plus protectrice pour les personnes qui resteront dans la
prostitution » comme annoncé dans la proposition de loi. En effet, pour échapper aux contrôles policiers, la
prostitution va se déplacer dans des zones isolées, où les personnes se livrant à cette activité seront davantage
exposées à la violence. Leur pouvoir de négociation s’amoindrissant, elles seraient davantage exposées aux
risques de contamination au VIH et aux hépatites. Or, leur accès à la prévention et aux soins sera encore plus
problématique car l’éloignement de la prostitution hors des centres villes les éloigne des réseaux de soutien
des structures associatives et médicales existantes, rendant par la même plus complexe l’action des
acteur.rice.s de prévention. Médecins du Monde en conclut que « le volet social n’est rien de plus qu’un effet
d’annonce ayant pour but de masquer la dimension essentiellement répressive de ce texte ».
77


Médecins du Monde, Communiqué de presse, 5 avril 2016.
77
Page sur
36 87
Section 3 - Le bilan d’un échec aux conséquences dévastatrices pour les travailleur.se.s
du sexe dressé par les associations de santé œuvrant par et pour les travailleur.se.s du
sexe quant à la loi de 2016
Presque trois ans après l’entrée en vigueur de la loi de 2016, ses effets sont dénoncés par de
78
nombreuses associations de santé oeuvrant par et pour les TDS. Son volet répressif concernerait avant tout
les TDS en accentuant les situations de précarité, de violences, de stigmatisation et en démultipliant les
risques pour leur santé. Le travail des associations s’en trouverait alors compliqué. Le volet social, qui
renvoie au parcours de sortie, censé protéger les personnes et leur proposer des conditions optimales pour
cesser leur activité ne serait quant à lui pas opérationnel et serait susceptible de renforcer la stigmatisation de
celles et ceux qui ne pourraient pas ou ne souhaiteraient pas changer d’activité. Finalement, les associations
dressent le constat d’une loi renforçant les sources de vulnérabilité des TDS (A). Inspiré du modèle suédois,
force est de constater le rayonnement de celui-ci, au détriment des politiques de santé publique (B) et de
l’action des associations dans ce domaine.
A- Une loi renforçant les sources de vulnérabilité des travailleur.se.s du sexe
1- L’ augmentation corollaire de la prévalence du VIH/SIDA au sein de cette population
Dès 2014, The Lancet démontrait que les systèmes de lutte contre le travail du sexe fondés sur des
logiques répressives, qu’elles soient directes ou indirectes, favorisent les vulnérabilités sanitaire, sociale et
économique des TDS. En 2017, une autre étude , également publiée dans The Lancet, va plus loin. Ses
79
auteur.e.s cherchaient notamment à vérifier, pour la première fois, en tenant compte de la diversité des cadres
juridiques applicables dans les pays européens, l’hypothèse selon laquelle la légalisation du travail du sexe
ou de certains de ses aspects s’accompagne d’une diminution de la prévalence du VIH/SIDA parmi les
travailleur.se.s du sexe, comparativement aux pays appliquant des lois répressives.
Dans cette étude, sont considérés comme des pays légalisant le travail du sexe, ceux qui légalisent
tout ou partie de cette activité. Cette catégorie renvoie donc, d’une part, à des pays comme le Royaume-Uni
où l’achat et la vente du travail du sexe sont légales, mais où l'approvisionnement par l'intermédiaire des
bordels ou du proxénétisme est interdit; d’autre part, à des pays où la plupart des formes de travail sexuel
organisé et non organisé (comme les bordels) sont légales et l’industrie réglementée.
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les
78
personnes prostituées, JO du 14 avril 2016.
A. REEVES et al., « National sex work policy and HIV prevalence among sex workers: an ecological regression
79
analysis of 27 European countries », The Lancet, Volume 4, n°3, mars 2017.
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  • 1. 
 Page sur 1 87 LA NÉCÉSSAIRE ÉVOLUTION DU PLAIDOYER DES ASSOCIATIONS DE SANTÉ FRANÇAISES ŒUVRANT PAR ET POUR LES TRAVAILLEUR.SE.S DU SEXE Présenté par Bettina PETIT Sous la responsabilité de Monsieur RIVALAN IRIS SUP’ Master « Manager humanitaire - Responsable de programmes internationaux », parcours « Plaidoyer et communication d’influence » Année scolaire 2018-2019
  • 2. « Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteure et n’engagent, ni les responsables de la formation, ni l’Institut de relations internationales et stratégiques ». Page sur 2 87
  • 3. Remerciements Si l’essentiel du travail est solitaire, le mémoire est le produit de multiples conseils et soutiens. En ce sens, je tiens à adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m’ont accompagnées et apportées leur aide dans la rédaction de ce mémoire. Parmi elles, je tiens avant tout à remercier Monsieur Bruno RIVALAN, directeur de ce mémoire, pour son encadrement, sa disponibilité et les suggestions pertinentes qu’il a pu me délivrer ainsi que l’ensemble des personnes qui ont accepté de s’entretenir avec moi en vue d’alimenter ma réflexion et d’affiner mes recherches. J’adresse ainsi mes remerciements à Irène ABOUDARAM (Médecins du Monde - Nantes), Kholi BUTHELEZI (South African Sex Worker movement, Sisonke - Afrique du Sud), Leora CASEY (Nacosa - Afrique du Sud), Maïwenn HENRIQUET (Paloma - Nantes), Mylène JUSTE (STRASS et Collectif Femmes de Strasbourg-Saint-Denis - Paris) ainsi qu’à Chloé LE GOUËZ (Aides - Paris). Je souhaite également exprimer ma profonde gratitude envers mon frère qui n’a jamais cessé de me soutenir et de m’éclairer, tant par ses précieux conseils que par son écoute. Enfin, je remercie ma mère, qui m’a également exprimé un grand soutien en acceptant de relire mon mémoire et de formuler un avis objectif sur mon travail. 
 Page sur 3 87
  • 4. Sommaire Remerciements 3 Sommaire 4 Table des abréviations 5 Précisions 6 Introduction 7 Chapitre 1 - L’inscription progressive de la France dans le mouvement abolitionniste ou le constat d’une dégradation de la situation sanitaire des travailleur.se.s du sexe par les associations de santé oeuvrant par et pour cette population 16 Section 1 - L’évolution historique du cadre législatif français relatif au travail du sexe : des hésitations récurrentes entre tolérance et répression 16 Section 2 - L’adoption de la loi de 2016 relative à la pénalisation des clients : confirmation et évolution de l’abolitionnisme prohibitionniste 28 Section 3 - Le bilan d’un échec aux conséquences dévastatrices pour les travailleur.se.s du sexe dressé par les associations de santé œuvrant par et pour les travailleur.se.s du sexe quant à la loi de 2016 37 Chapitre 2 - La nécessité pour les associations de santé oeuvrant par et pour les travailleur.se.s du sexe de tenir compte de différents enjeux en vue d’obtenir des transformations sociales profondes 48 Section 1 - Les enjeux liés aux changements attendus par les associations 48 Section 2 - Les enjeux liés au discours 58 Section 3 - Les enjeux liés à la prééminence de la morale dans le traitement de la prostitution 67 Conclusion 76 Bibliographie 79 Table des matières 85 Page sur 4 87
  • 5. Table des abréviations Page sur 5 87 Ac.Sé Dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains AFLS Association française de lutte contre le SIDA A.L.C Association accompagnement, lieux d’accueil, carrefour éducatif et social AME Aide médicale d’Etat CDAG Centres de dépistage anonymes et gratuits CESES Centre européen de surveillance épidémiologique du SIDA CHRS Centres d’hébergement et de réinsertion sociale CIDDIST Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles CNS Conseil national du SIDA et des hépatites virales Cons. Const. Conseil constitutionnel CPEF Centres de planification et d’éducation familiale DDASS Directions départementales des affaires sanitaires et sociales DDD Défenseur des droits FAI Fédération abolitionniste internationale contre la prostitution réglementée FNARS Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale HAS Haute autorité de santé HSH Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ICRSE International committee on the rights of sex workers in Europe IGAS Inspection générale des affaires sociales InVS Institut de veille sanitaire IST Infections sexuellement transmissibles JO Journal officiel LSI Loi de sécurité intérieure Migac Mission d’intérêt général et d’aide à la contractualisation MtF Male to female NSWP Global network of sex work projects OCTREH Office central pour la répression de la traite des êtres humains OI Organisation internationale OMS Organisation mondiale de la santé ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations-Unies ONUSIDA Programme commun des Nations-Unies sur le VIH/SIDA PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels PNUD Programme des Nations-Unies pour le développement PVVIH Personne vivant avec le VIH QPC Question prioritaire de constitutionnalité RDR Réduction des risques SDN Société des Nations Sepsac Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire SIDA Syndrome de l’immunodéficience acquise STRASS Syndicat du travail sexuel TDS Travailleur.se du sexe VIH Virus de l’immunodéficience humaine
  • 6. Précisions Le lexique de la “prostitution“/du “travail du sexe“ fait l’objet de nombreux débats. En France, le système institutionnel et législatif retient celui qui relève de la ”prostitution” tandis que les représentant.e.s associatifs des personnes qui mènent cette activité font usage des termes de “travail du sexe“ ou de “travailleur.se.s du sexe“ (TDS). Le lexique employé au cours de cette étude sera alors fonction de ces usages. Par ailleurs, le lexique relatif au “travail du sexe“ n’est apparu qu’à partir des années 1970, au moment où des personnes concernées ont commencé à s’organiser pour revendiquer des droits et à critiquer le terme de prostitué.e – participe passé suggérant la passivité de la personne qui se prête à l’activité de prostitution – pour son misérabilisme. De ce fait, pour éviter tout anachronisme, le lexique relatif à la “prostitution“ sera employé lorsqu’il s’agira d’évoquer des périodes antérieures à l’émergence des expressions de “travail du sexe“ ou de “TDS“. 
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  • 7. Introduction Selon la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». L’article 12 du 1 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) du 16 décembre 1966 stipule une affirmation équivalente. Conformément au concept d’universalité des droits, le droit à la santé constitue donc un droit fondamental, qui doit être reconnu et bénéficier à tou.te.s. Toujours selon l’OMS, la santé, comprise dans son acception large, renvoie à un « état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le droit à la santé suppose alors l’accès, en temps utile, à des soins de santé acceptables, d’une 2 qualité satisfaisante et d’un coût abordable, pour toute personne. Pourtant, partout dans le monde, des groupes en marge de la société sont moins susceptibles de jouir du droit à la santé et plus particulièrement dans les pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires. Toutefois, les pays dits développés, tels que la France, sont également concernés. En effet, bien qu’un des textes du bloc de constitutionnalité prévoit que la Constitution de 1946 « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé », force est de constater que certains groupes ne bénéficient pas d’un droit à la santé 3 équivalent à celui de la population générale. Ces groupes renvoient à ce que les organisations internationales (OI) comme l’Organisation des Nations-Unies (ONU) ou l’OMS classifient comme des populations clés, en ce qu’il s’agit de populations particulièrement exposées et infectées par les trois maladies transmissibles les plus meurtrières au monde – 4 le paludisme, le Virus de l’immunodéficience humaine/Syndrome de l’immunodéficience acquise (VIH/ SIDA) et la tuberculose– tout en souffrant d’un accès à la prévention et aux soins de santé limité, en raison de la stigmatisation et du rejet social dont elles font l’objet. Constitution de l’OMS, 1948, p.1. 1 Constitution de l’OMS, 1948, p.1. 2 Préambule de la Constitution de 1946, alinéa 11. 3 En 2015, ces populations ont représenté 45 % de toutes les nouvelles infections à VIH dans le monde selon 4 l’ONUSIDA, La prévention du VIH au sein des populations clés, 22 novembre 2016. https://www.unaids.org/fr/ resources/presscentre/featurestories/2016/november/20161121_keypops (site consulté le 30 juillet 2019). Page sur 7 87
  • 8. Sur la base de ces critères, font parties de ces populations clés: les usager.e.s de drogues injectables; les personnes détenues ou incarcérées; les personnes transgenres et en particulier les femmes transgenres; les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) ; les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et les travailleur.se.s du sexe (TDS). S’agissant de cette dernière catégorie de personnes, l’ONUSIDA estime que les TDS ont 13 fois plus de risques de vivre avec le VIH/SIDA que les femmes de la population générale en âge de procréer . Le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) évalue quant à lui ce 5 risque à 8 fois supérieur . Assez logiquement, si une même personne relève de plusieurs populations clés, ses 6 facteurs de vulnérabilité s’additionnent et son exposition au risque se multiplie. C’est ainsi qu'en Europe, alors que la prévalence du VIH/SIDA est estimée à 0,2% parmi la population générale, elle s’établit entre 13,6 et 23,8% pour les TDS usager.e.s de drogues et 17,2 et 37,5% pour les TDS transgenres. 7 Face à ces constats, différent.e.s acteur.rice.s (institutionnels, politiques, associatifs, médicaux) cherchent à apporter des réponses spécifiques aux besoins particuliers de ces populations, notamment depuis l’apparition du VIH/SIDA à la fin des années 1980 et sa propagation fulgurante parmi celles-ci. Pour lutter contre sa propagation dans le milieu du travail du sexe particulièrement, différentes stratégies ont été mises en œuvre dans les Etats européens : l’interdiction du travail du sexe, l’enregistrement et le ciblage des personnes prostituées dans une perspective réglementariste d’inspiration hygiéniste, la fourniture de services par les Organisations non gouvernementales (ONG) existantes habituées à intervenir auprès des TDS ou encore la promotion de la santé et de la prévention par les TDS dans le cadre d’associations paritaires. En France, face aux limites du système de santé national, c’est cette dernière stratégie qui a été adoptée au début des années 1990, dans une perspective de santé publique, et conformément au principe du droit à la santé pour tou.te.s. Ainsi, la réponse publique apportée à la prévalence du VIH/SIDA au sein des populations clés, et notamment au sein des TDS, résulte ni d’une réglementation spécifique, ni de la reconversion d’ONG préexistantes mais de la création d’associations nouvelles et de la mobilisation de projets communautaires inédits, soutenus par les pouvoirs publics. Toutefois, bien que cette logique de santé publique soit louable, elle entre en tension, voire en contradiction, avec le cadre juridique qui s’applique à l’égard des TDS en France. Cette étude s’attachera alors à présenter, en filigrane, le contexte ambiguë dans lequel évoluent les associations oeuvrant par et pour les TDS.
 ONUSIDA, Impossible de mettre fin au sida sans respecter les droits de l’homme, 28 juin 2019. 5 PNUD, Risques, droit et santé, Rapport de la commission sur le VIH et le droit, 9 juillet 2012, 162 p. 6 Études européennes citées en annexe 3, J.-P. GODEFROY, C. JOUANNO, Situation sociale des personnes prostituées, 7 Rapport d’information fait au nom de la Commission spéciale sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, 8 octobre 2013, 115 p. Page sur 8 87
  • 9. On entend ici par associations de santé oeuvrant par et pour les TDS, à la fois des associations de solidarité internationale (comme Médecins du Monde) qui oeuvrent par et pour les TDS en ce qu’elles déploient notamment de programmes de réduction des risques (RDR) destinés à limités les risques sanitaires 8 auxquels s’exposent cette population mais également des associations oeuvrant par et pour les TDS en ce qu’elles adoptent une démarche de “santé communautaire“. Ce concept renvoie à la situation dans laquelle « les membres d’une collectivité géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités  ». Les associations qui s’inscrivent dans une démarche de santé communautaire 9 présentent alors un certain nombre de caractéristiques. Selon l’Institut Renaudot, elles reposent en effet sur des repères relatifs à une approche en promotion de la santé (adopter une approche globale et positive de la santé; agir sur les déterminants de la santé; travailler en intersectorialité pour la promotion de la santé) et à des repères spécifiques à la stratégie communautaire (concerner une communauté; favoriser l’implication de tous les acteur.rice.s concerné.e.s dans une démarche de co-construction; favoriser un contexte de partage, de pouvoir et de savoir; valoriser et mutualiser les ressources de la communauté) . Finalement, il s'agit de 10 s'allier avec la communauté concernée pour mieux définir ses besoins de santé et mieux adapter les réponses de l’association. En France, la première association de santé communautaire renvoie au Bus des femmes, née en 1989 de la rencontre d’épidémiologistes du Centre européen de surveillance épidémiologique du sida (CESES) et de personnes exerçant le travail du sexe rue Saint-Denis à Paris. Par la suite, des associations de santé communautaire sont créées dans plusieurs grandes villes, dans les années 1990 et au tout début des années 2000, notamment Autres Regards à Marseille, Cabiria à Lyon, Entr’Actes-GPAL à Lille ou encore Grisélidis à Toulouse. Ces associations ont historiquement pour mission la lutte contre le VIH/SIDA, les infections sexuellement transmissibles (IST) et les hépatites dans le milieu du travail du sexe. À ce titre, elles fournissent des informations relatives à ces infections, au dépistage et au traitement post-exposition. Elles distribuent aussi du matériel de prévention (préservatifs, gels lubrifiants, digues dentaires, lingettes antiseptiques, kits d’injection et kits de sniff). La RDR est « une approche globale basée sur la compréhension des risques. Ils s’envisagent globalement en termes 8 de répercussions sanitaires, sociales et économiques, et prennent en compte l’impact de la maladie sur les individus, dans les communautés et dans l’ensemble de la société. » https://www.medecinsdumonde.org/fr/qui-sommes-nous/ reduction-des-risques-rdr (site consulté le 7 avril 2019). M. MANCIAUX, J.-P. DESCHAMPS, La santé de la mère et de l’enfant, Paris Flammarion, Médecine Sciences, 9 1978, 299 p. Institut Renaudot, Charte de promotion des pratiques de santé communautaire, 1998. 10 Page sur 9 87
  • 10. Quelques années après leur création, les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS ont progressivement diversifié leurs missions, pour mettre en œuvre une approche globale qui associe une intervention à caractère sanitaire à une intervention sociale, sur le modèle développé par les associations sanitaires et sociales actives depuis des années auprès des TDS. Les associations assurent alors un ensemble de services de jour comme l’accueil et l’assistance ainsi qu’un suivi notamment médical, psychologique mais également juridique, social, culturel et linguistique dans une démarche de santé communautaire. Encore aujourd’hui ces associations sont très actives sur le terrain, compte tenu de l’état de santé des TDS en France. Selon l’enquête l’enquête ProSanté 2010-2011 - une des enquêtes les plus récentes en la 11 matière -, menée par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) et l’Institut de veille sanitaire (InVS), plus de la moitié des TDS interrogées déclarent être dans un état de santé moyen, mauvais ou très mauvais, proportion bien supérieure à la population générale, à âge égal. Dans le même sens, plus d’un tiers (35 %) des personnes enquêtées déclare une maladie chronique (telles que le VIH/ SIDA), contre 20% dans la population générale. Cet état de santé dégradé s’explique par la stigmatisation dont font l’objet les TDS. Pour comprendre ce phénomène, il convient au préalable de présenter la nature du cadre juridique applicable en France ainsi que ses fondements. Pour cela, il importe de le décrire au regard d’une classification binaire qui distingue les régimes qui légalisent le travail du sexe, de ceux qui interdisent directement ou indirectement le travail du sexe. Relèvent de la première catégorie, des cadres juridiques qui légalisent totalement ou partiellement le travail du sexe. Toutefois, des modalités différentes s’observent entre les pays. Dans une première conception, le travail du sexe réalisé de manière individuelle est légal, mais pas celui qui s’inscrit de manière organisée. Ce régime est notamment appliqué au Brésil, en Espagne ou encore en Inde. Une personne souhaitant faire commerce d’actes sexuels sera donc libre d’exercer cette activité dans le cadre d’une entreprise individuelle, au sein de maisons closes notamment. Le proxénétisme reste cependant une infraction, dans certaines conditions. Dans une seconde conception, le travail du sexe est une pratique rendue complètement légale, autant dans sa dimension individuelle qu’organisée. Il s’agit du modèle adopté en Allemagne, en Colombie ou encore en Grèce. Le fait d’aider une personne à pratiquer cette activité ou d’embaucher une personne dans ce but n’y constitue donc pas une infraction et la mise en place de maisons closes est légale. Cette étude a été réalisée dans des structures associatives d’accueil, d’accompagnement, d’hébergement ou de 11 réinsertion sociale des personnes en situation de prostitution, ainsi que dans des consultations médicales assurant un accueil anonyme et gratuit : Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des IST (CIDDIST) ou Centres de planification et d’éducation familiale (CPEF). Suite à la sollicitation de la FNARS, 12 structures associatives ont accepté de participer à l’étude. Les CIDDIST ou CPEF de proximité ont ensuite été sollicités par l’InVS et ont tous donné leur accord pour collaborer. FNARS, InVS. Étude ProSanté 2010-2011. Étude sur l’état de santé, l’accès aux soins et l’accès aux droits des personnes en situation de prostitution rencontrées dans des structures sociales et médicales. Rapport. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire ; 2013. 146 p. Page sur 10 87
  • 11. Relèvent de la seconde catégorie les pays où s’appliquent des régimes juridiques qui tendent à mettre un terme ou, du moins, à décourager le travail du sexe. Toutefois, dans la mise en œuvre de ces objectifs, deux approches se distinguent : celle qui concerne la majorité des pays du monde où le travail du sexe est totalement illégal comme en Chine, dans de nombreux Etats des Etats-Unis ou encore dans quatre pays de l’Union européenne (UE) et qui prévoit alors la pénalisation de tous les acteur.rice.s de cette activité, d’une 12 part et, celle qui ne s’attaque qu’à seulement certain.e.s acteur.rice.s (les clients et les proxénètes) comme c’est le cas au Canada, en Suède ou encore en France. En revanche, la vente d’un acte sexuel demeure légale. Autrement dit, la France a fait le choix d’adopter un régime juridique ambivalent à l’égard du travail du sexe qui peut être qualifié d’abolitionniste à tendance prohibitionniste en ce qu’il vise à abolir le travail 13 du sexe en s’en prenant, non pas à l’activité du travail du sexe, mais à ses moyens d’exister. Ce choix a été opéré dès la seconde moitié du 20ème siècle. Bien qu’il ait pu connaitre des traductions juridiques variées au cours des lois successivement adoptées en la matière - qui seront présentées dans la partie 1 de cette étude -, il demeure justifié par la volonté affichée de lutter contre les réseaux de traite et de proxénétisme, et par le souhait ultime d’abolir le travail du sexe. Cette volonté ne cesse de se renforcer face à l’évolution du profil des TDS en France, lesquelles seraient de plus en plus des personnes de nationalité étrangère sous l’emprise de réseaux. L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCTREH) évaluait en 2012 « à environ 30 000 le nombre de personnes prostituées exerçant sur le territoire français », dont 83% seraient de nationalité étrangère. 14 Ces données rejoignent celles fournies par les associations de santé communautaire comme Grisélidis. Dans son rapport d’activité 2013 , l’association estime en effet à 88% la part que représente les femmes migrantes 15 qu’elle rencontre sur le terrain au niveau local et qui exercent le travail du sexe dans la rue. Le rapport de Madame MEUNIER en conclut que « ces données traduisent un changement profond de la prostitution au cours de ces vingt dernières années : alors qu’au début des années 1990, 80% des personnes prostituées étaient françaises, cette proportion s’est aujourd’hui plus qu’inversée ». La Croatie, la Lituanie, Malte et la Roumanie. 12 Les courants de pensée à l’origine des différents cadres juridiques applicables en matière de travail du sexe seront 13 présentés au cours de la partie 1. M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la 14 proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014, 191 p. Grisélidis, Rapport d’activité de Grisélidis 2013, 127 p. 15 Page sur 11 87
  • 12. Cette tendance semble perdurer puisque le dernier rapport d’activité de l’association Grisélidis indique que « la plupart des femmes suivies en 2016 sont des femmes migrantes originaires d’Afrique subsaharienne et d’Europe de l’Est  », sans préciser la part que celles-ci représentent. L’association ajoute 16 que « cette situation n’est pas spécifique à Toulouse et correspond globalement à une réalité nationale  ». 17 Selon ledit rapport de Madame MEUNIER , cette inversion peut être corrélée à la forte diminution 18 de ce qui est désigné sous l’expression de prostitution ”traditionnelle”, concept qui renvoie à des femmes, essentiellement françaises (ou originaires du Maghreb et intégrées depuis longtemps), généralement plus âgées que les personnes d’origine étrangère qui pratiquent le travail du sexe dans la rue. Les ”traditionnelles” se définissent elles-mêmes comme telles, pour se démarquer des personnes migrantes, nouvelles venues sur le marché du travail du sexe, et ainsi revendiquer une forme d’activité ”à l’ancienne”, maîtrisée et autonome, par opposition à l’activité contrôlée par les réseaux . 19 À ce propos, si l’ensemble des acteur.rice.s s’accordent sur le constat que les personnes sous l’emprise de réseaux de traite ou de proxénétisme représentent une part de plus en plus importante des personnes qui se livrent au travail du sexe, son estimation fait débat. La difficulté réside dans le fait qu’en la matière, on ne peut que déplorer un manque de données étayées et partagées permettant de clarifier ces estimations. Cette situation n’est pas surprenante, dans la mesure où en France, le travail du sexe, bien que licite, est pratiqué de façon discrète voire secrète, et est en mutation perpétuelle au gré des lois applicables. Les observations de la police ne peuvent ainsi se fonder que sur la base des procédures mises en oeuvre pour proxénétisme ou racolage et sur les remontées effectuées par les associations. Ainsi, bien que les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS estiment qu’une part importante de cette population se considère volontaire et autonome dans l’exercice du TDS, l’OCTREH estime quant à lui que « les personnes prostituées étrangères exerçant en France dépendent en quasi-totalité d’un réseau qui les exploite  » et sont 20 alors contraintes de se livrer à cette activité. Grisélidis, Rapport d’activité de Grisélidis 2016, 222 p. 16 Ibid. 17 M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la 18 proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014, 191 p. M. AMAOUCHE, « Les “traditionnelles“ du Bois de Vincennes, une ethnographie du travail sexuel, Ethnographies 19 du travail du sexe, Lausanne, Antipodes. M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la 20 proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014, 191 p. Page sur 12 87
  • 13. Face à ce constat, la France adopte des lois répressives visant à lutter contre ces réseaux et, à terme, à abolir la prostitution. Cependant, en assimilant lutte contre l’exploitation et travail du sexe, comme en témoigne la dernière loi adoptée en la matière du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées , le cadre juridique français favorise la 21 marginalisation, la stigmatisation et la discrimination des TDS, nuisant à leurs conditions de travail et donc à leur santé. La France fait ainsi entrer en contradiction sa politique de sécurité intérieure, laquelle emporte des effets sur les droits individuels et sa politique de santé publique à l’égard des TDS. En effet, il est bien établit qu'il existe un lien de corrélation entre les logiques répressives qui déterminent le contenu des lois relatives au travail du sexe et l’augmentation des risques sanitaires auxquelles sont exposées les TDS. Ce lien a notamment été démontré scientifiquement quant à la transmission du VIH/SIDA par l’étude publiée en janvier 2017 dans The Lancet . Cette étude comparative 22 de vingt-sept pays européens démontre que les dix pays qui ont des lois qui pénalisent le travail du sexe présentent une prévalence du VIH/SIDA huit fois plus importante (près de 4 %) que les dix-sept pays où l’achat de services sexuels est légal. Corrélativement, cette étude estime que la dépénalisation du travail sexuel au Canada aurait permis d'éviter 39 % des infections chez les TDS sur une période de 10 ans. Ce lien de corrélation entre cadre juridique répressif et augmentation de la prévalence du VIH/SIDA s’explique par la stigmatisation dont font l’objet les TDS. C’est en ce sens que cette population est plus vulnérable et à risque que d’autres: leur statut social et légal les éloigne des programmes de prévention et de prise en charge. C’est cela qui les expose plus que d’autres à un risque d’infection par le VIH/SIDA et les hépatites virales. Finalement, comme l’affirme le Conseil National du Sida et des hépatites virales (CNS), ce n’est pas l’activité de travail du sexe qui constitue, par elle-même, un facteur de risque de transmission du VIH/SIDA (sous réserve d’une utilisation optimale des moyens prévention) mais les "conditions souvent difficiles dans lesquelles les personnes prostituées exercent leur activité [qui] fragilisent considérablement leur accès à la prévention et aux soins et majorent leur exposition à l’ensemble des risques sanitaires ». 23 
 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 21 personnes prostituées, JO du 14 avril 2016. A. REEVES et al., « National sex work policy and HIV prevalence among sex workers: an ecological regression 22 analysis of 27 European countries », The Lancet, Volume 4, n°3, mars 2017. T. SCHAFFAUSER, Combien de travailleuses du sexe vivent avec le VIH en France?, 5 avril 2019, http:// 23 ma.lumiere.rouge.blogs.liberation.fr/2019/04/05/combien-de-travailleuses-du-sexe-vivent-avec-le-vih-en-france/ (site consulté le 3 mai 2019). Page sur 13 87
  • 14. Autrement dit, en adoptant des lois répressives, la France contribue à rendre les conditions de vie des TDS compliquées, à les stigmatiser et donc à les rendre particulièrement vulnérables en matière de santé. Ainsi, alors que, d’une part, la France a adopté une politique de santé publique qui peut être qualifiée de progressiste en ce qu’elle dépasse les considérations morales - qui peuvent être résumées à la question « pour ou contre la prostitution? » - pour réduire les risques sanitaires auxquelles s’exposent les TDS et améliorer leur santé, la France a, d’autre part, fait le choix d’une politique de sécurité intérieure conservatrice en matière de TDS en ce qu’elle vise à prévenir la prostitution en vue de l’abolir et dont découlent une dégradation de la situation sanitaire des TDS. Dans ce contexte, les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS rencontrent de nombreux obstacles dans la conduite de leurs missions, qui leurs sont pourtant dévolues par l’Etat. Ces difficultés opérationnelles imposent alors aux associations de santé oeuvrant par et pour les TDS de s’engager dans des plaidoyers visant notamment à influencer la nature du cadre juridique applicable en France. Ces actions sont guidées par la volonté d’optimiser le contexte dans lequel elles apportent leurs réponses et visent à défendre ce en quoi elles croient, c’est-à-dire le droit à la santé pour tou.te.s. 
 Ce travail de plaidoyer apparaît d’autant plus important que la santé communautaire semble progressivement menacée par la remontée en puissance de l’idéologie abolitionniste depuis le début des années 2000, comme en témoigne le soutien inégal qu’accordent les pouvoirs publics aux associations de santé oeuvrant auprès des TDS. En effet, avant même l’apparition des associations de santé communautaire ou des associations de santé développant des programmes de RDR, l’Etat français soutenait des associations dites d’action sociale issues de l’idéologie abolitionniste. Ces associations sont historiquement hostiles à la santé communautaire, considérant que la lutte contre la prostitution prévaut à la lutte contre le SIDA, et que le meilleur moyen d’arrêter le SIDA chez les TDS est d’abolir la prostitution. Alors que l'Etat soutenait équitablement ces associations et les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS depuis les années 1990, il soutient désormais davantage ces premières, la lutte contre le VIH/SIDA n’étant plus perçue comme un enjeu sanitaire urgent. Ainsi, en plus d’une logique de plus en plus répressive, les associations oeuvrant par et pour les TDS doivent faire face à une moindre considération de leur rôle, le contexte épidémiologique ayant évolué. Dans ce contexte, il convient alors de se demander en quoi l’exemple français, inspiré du modèle suédois, impose aux associations de santé oeuvrant par et pour les TDS une réflexion quant à l’évolution de leur plaidoyer pour améliorer la situation sanitaire des TDS ? Page sur 14 87
  • 15. Pour répondre à cette problématique, il importe de revenir sur l’évolution du cadre législatif français qui s’est traduit par l’adoption progressive d’un modèle abolitionniste de plus en plus répressif et la dégradation de la situation sanitaire des TDS (chapitre 1). Bien que les associations oeuvrant par et pour les TDS dénoncent ce constat, force est de constater qu’elles ne sont pas entendues, leurs recommandations n’étant pas prises en compte par le législateur, alors même que leur travail de terrain leur confère légitimité et expertise. Une réflexion s’impose donc à ces associations pour tenter d’améliorer la situation sanitaire des TDS en vue d’obtenir des transformations sociales profondes (chapitre 2). En effet, face à un cadre législatif dont la nature apparait irrémédiable, il s’agira de présenter ce dont les associations doivent nécessairement prendre en compte lors de l’élaboration de leurs futurs plaidoyers. Il conviendra alors de proposer des solutions ou du moins, des pistes de réflexion aux associations pour considérer ces éléments et en tirer profit en vue d’obtenir des résultats concrets en faveur de l’amélioration de la situation sanitaire des TDS. 
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  • 16. Chapitre 1 - L’inscription progressive de la France dans le mouvement abolitionniste ou le constat d’une dégradation de la situation sanitaire des travailleur.se.s du sexe par les associations de santé oeuvrant par et pour cette population Section 1 - L’évolution historique du cadre législatif français relatif au travail du sexe : des hésitations récurrentes entre tolérance et répression La prostitution a de façon constante suscité un mélange de crainte, de réprobation morale et 24 d’acceptation tacite au cours de l’histoire. Tout en étant considérées comme à l’origine de toutes sortes de maux, notamment sanitaires, de certains vices et d’atteintes à l’ordre public, les personnes exerçant cette activité étaient en même temps perçues comme indispensables au bon fonctionnement du corps social. L’ambivalence des conceptions idéologiques relatives au travail du sexe explique la variabilité du cadre juridique dans lequel celui-ci a évolué en France et en Europe. Après avoir longuement appliqué un système réglementariste (B), la France s’est progressivement inscrite dans le courant abolitionniste, conformément au cadre juridique international (B). Cette évolution permet alors de comprendre le traitement public réservé aux TDS, et la stigmatisation dont elles font l’objet. A- Une tendance historique au réglementarisme 1- L’institutionnalisation de la prostitution Considéré comme naturel, voire comme "un moindre mal" dès lors qu’il s’agissait de canaliser les pulsions sexuelles du mâle médiéval, la prostitution s’organise dès le XIIe siècle par les tenants de l’ordre public. Ainsi, c’est une forme de tolérance qui s’applique tout au long de la période qui s’étend du XIIème au XVème siècle, bien qu’une séquence d’intense répression sous Saint Louis ait poussé les prostitué.e.s à entrer dans la clandestinité. En effet, dans le but de conduire ses sujets au salut, le roi Louis IX, par l’Ordonnance de décembre 1254, punit, outre le blasphème et les jeux de dés, les personnes prostituées et les proxénètes, en vue d’abolir la prostitution. En dehors de cet épisode, qui s’est traduit par un échec de la répression, la période qui s’étant du XII au XVème siècles est marquée par une relative tolérance à l’égard des prostitué.e.s. En effet, en raison de la place qu’occupe l’Eglise, et donc de l’imprégnation des idéologies développées par des théoriciens catholiques, les personnes prostitué.e.s sont perçues comme jouant un rôle nécessaire dans l’équilibre social. Conformément a ce qu’il est indiqué dans la rubrique « précisions » (p.6), c’est le lexique relatif à la “prostitution“ et 24 non au “travail du sexe“ qui sera majoritairement employé dans cette partie car il est plus adapté au contexte historique évoqué. Page sur 16 87
  • 17. On peut notamment citer Augustin d’Hippone qui estime que la prostitution est naturelle et permet de protéger les femmes honorables et les jeunes filles du désir des hommes ou encore Saint-Thomas d’Aquin selon lequel si vous « supprimez les prostituées, vous apporterez un trouble général par le déchaînement des passions ». En raison de cette conception selon laquelle le travail du sexe est donc naturel, et surtout 25 nécessaire, il s’institutionnalise. Cette institutionnalisation, c’est-à-dire le processus par lequel un mouvement social accède au titre d’institution à travers sa reconnaissance dans l’opinion et qui met en exergue le lien étroit que peuvent entretenir la loi et les formes sociales dans leur ensemble , se traduit par la création et l’entretien 26 d’établissements tenus par des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques. Ces bourgeois payent alors un bail auprès des autorités, les municipalités généralement, tout en tirant profit de cette activité. En parallèle de cette prostitution publique légale, certaines personnes prostitué.e.s exercent leur activité au sein d’établissements privés moins surveillés tels que des étuves, des hôtels et tavernes. S’exerce également une prostitution libérale avec des femmes qui travaillent dans la rue ou qui vont d’un hôtel à un autre. À cette période, les prostitué.e.s sont donc bien intégrées dans la société, à qui l’on « reconnaît une fonction dans l’apaisement des tensions sociales. L’âge tardif du mariage conduit en effet une grande partie de la jeunesse masculine à un culte de la virilité et de la solidarité qui se traduit souvent par des chasses nocturnes de femmes et des viols collectifs. Les bordels mis en place par les municipalités ont pour fonction de pallier le manque de femmes ou plutôt leur captation par les hommes établis socialement et économiquement . » Elles font en effet partie intégrante de la vie sociale des hommes de l’époque, qu’ils 27 soient bourgeois, étudiants, intellectuels ou ouvriers. En revanche, entre le XVème et le XVIème siècle, l’apparition de la syphilis qui décime la population, marque le retour de la répression morale de la prostitution, les prostitué.e.s étant considérées comme responsables de sa propagation. En effet, cette maladie vénérienne était vue comme un fléau de Dieu, à une époque où la maladie et les handicaps physiques étaient considérés comme des marques du péché. De plus, à cette période, un fervent mouvement d’ordre moral catholique déferle sur la France. Ainsi, en 1561, la prostitution devient une activité illicite par l’ordonnance d’Orléans. En 1658, Louis   XIV ordonne d’emprisonner toutes les femmes soupçonnées de prostitution, d’adultère ou de fornication à la Salpêtrière, jusqu’à ce qu’elles se soient repenties. En 1778, le lieutenant de police Lenoir interdit le racolage sous toutes ses formes. Saint-Thomas d’Aquin, Somme théologique. 25 M. WEBER, Économie et société, Paris, Plon, 1971, 812 p. 26 L. GONZALES QUIJANO, G. MAINSANT, A. SEGOND, V. BRACONNAY, Trottoirs et lupanars : état des lieux 27 des prostitutions, 8 mars 2007, 27 p. Page sur 17 87
  • 18. 2- Une réglementation stigmatisante fondée sur le genre Que s’applique une répression ou une forme de tolérance à l’égard des prostituées, il apparaît que celles-ci sont toujours sujettes à un traitement spécifique, fondé sur le genre. Le premier épisode de répression à l’égard de la prostitution, institué par l’Ordonnance de décembre 1254 précitée, révèle en effet une différence de traitement entre les hommes et les femmes. Alors que les personnes prostituées, qui sont considérées comme ne pouvant être que des femmes (l’existence d’une prostitution masculine étant niée à cette époque) sont désormais expulsées des villes et tous leurs biens saisis, jusqu'aux vêtements ; les proxénètes et les clients, c’est-à-dire des hommes, se voient quant à eux 28 respectivement punis par des amendes équivalentes à une année de loyer . 29 Cette différence de traitement interroge : les peines prévues à l’égard des personnes qui participent à l’activité du travail du sexe ne sont pas de même nature à l’égard des femmes et des hommes, alors même que leur contribution à sa réalisation est équivalente. En effet, alors que les peines applicables aux femmes conduisent à leur exclusion de la société, les hommes se voient seulement sanctionnés économiquement. La morale apparaît alors déterminer la nature des peines applicables, laquelle révèle l’existence de considérations déséquilibrées fondées sur le genre. Il en résulte une stigmatisation à l’égard des femmes, qui se retrouvera, même dans les périodes de plus grande tolérance. En effet, au cours de l’institutionnalisation de la prostitution, les seigneurs ecclésiastiques et laïcs élaborent et font appliquer des réglementations qui visent, certes à encadrer le fonctionnement de cette activité afin d’assurer la pérennité de leur manne financière, mais surtout à contrôler et à stigmatiser les femmes qui s’y prêtent. C’est ainsi que certaines dispositions ont pu être adoptées pour établir des restrictions relatives aux déplacements ou aux fréquentations des personnes prostitué.e.s, pour définir les espaces publics (rues et quartiers) où l’activité pouvait librement s’exercer ainsi que les horaires d’ouvertures des maisons closes. Ces réglementations imposent également aux personnes se livrant à cette activité un code vestimentaire. Le port obligatoire de certains vêtements, institué afin de distinguer les prostitué.e.s des autres femmes, s’inscrit ainsi dans le cadre d’une réglementation stigmatisante. « Item soient boutés hors communes ribaudes tant des champs comme des villes et faites monitions ou défenses, leurs 28 biens soient pris par les juges des lieux ou par leur autorité et si soient dépouillées jusqu'à la cote ou au pélicon » in "Les chrétiens et la prostitution" C. CHAUVIN, Les chrétiens et la prostitution, Cerf, 1983, 123 p. « Qui louera maison à ribaude ou recevra ribauderie en sa maison, il soit tenu de payer au bailli du lieu ou au prévôt 29 ou au juge autant comme la pension vaut en un an. » C. CHAUVIN, Les chrétiens et la prostitution, Cerf, 1983, 123 p. Page sur 18 87
  • 19. Le postulat selon lequel la prostitution est nécessaire permet ainsi de tolérer la prostitution tout en justifiant une réglementation permettant de rejeter les prostituées de la société. Si ce rejet n’est pas nouveau, ces réglementations permettent la création d’une nouvelle catégorie juridique de sujets de droit, lesquels sont hors du droit commun. La réglementation, le contrôle et l’astreinte aux maisons closes ne concernent en effet que ces femmes. La réglementation applicable peut alors être assimilée à une véritable police du genre, fondée sur de fortes conceptions morales de la femme et du corps. Selon l’historienne Y. RIPA, « la prostitution est à l’évidence affaire de corps mais, dans la relation sexuelle tarifée, elle est aussi, dans l’Europe entière, affaire de genre dans la négation d’une prostitution masculine, de besoins féminins, dans la lecture positive du client viril, négative de la prostituée vicieuse ». 30 À la fin du XIXème siècle, les théories de Lombroso et Ferrero , au succès européen, permettront 31 d’apporter un fondement scientifique à ce traitement différencié. L’état de nature de la prostituée, reconnaissable à son physique et à son sexe, justifie son enfermement dans les maisons closes. 3- La réglementation de la prostitution à des fins de salubrité publique Après le deuxième épisode prohibitionniste qui a marqué les XV et XVIème siècle, la France napoléonienne ne peut que constater l’échec de l’ordre moral. En effet, selon les historiens, au tournant du XIXème siècle, alors que la syphilis décime la population, Paris compte encore 40 000 prostitué.e.s, dont 30 000 dites modestes et 10 000 dites de luxe, officiant toutes plus ou moins dans la clandestinité. En 1802, les bases d’un système réglementariste fondé sur l’autorisation des maisons de tolérance, le fichage et la visite médicale obligatoire pour les filles publiques afin de les soumettre à des normes d’hygiène sont alors instituées. Qu’elles se prostituent dans la rue ou dans des maisons closes, les prostituées se voient conférer un statut de fille soumise, leur dépendance économique et psychologique à l’égard de la tenancière de la maison ou du proxénète, se doublant d’une surveillance policière et médicale, justifié pour prévenir les troubles à l’ordre public et la propagation des maladies vénériennes. Y. RIPA, « La prostitution (XIXe-XXIe siècles) », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, novembre 30 2015. C. LOMBROSO, G. FERRERO La Femme criminelle et la Prostituée, Paris, 1896, 714 p. 31 Page sur 19 87
  • 20. Ce modèle réglementariste a été théorisé par le docteur Alexandre PARENT-DUCHÂTELET, membre du Conseil de salubrité de la ville de Paris, qui mena une longue étude sur la prostitution dans les 32 années 1830, qui portait notamment sur l’origine géographique, sociale ou encore le degré d’instruction des prostituées. Selon lui, « les prostituées sont aussi inévitables, dans une agglomération d'hommes, que les égouts, les voiries et les dépôts d’immondices ». Partant de ce postulat, et dans une perspective d’ordre 33 social, l’hygiéniste préconise la tolérance des maisons de débauche pour éviter la dispersion des prostituées et de « la grosse vérole  ». Ces femmes, une fois inscrites et surveillées, pourront être visitées par des 34 médecins et ainsi isolées du reste de la société. Selon Alain CORBIN, le système prostitutionnel repose alors sur trois principes essentiels : la prostitution doit être cantonnée dans un milieu clos; ce milieu clos, invisible au reste de la société, doit être placé sous la surveillance constante de l’administration; il doit être enfin rigoureusement hiérarchisé et cloisonné . Dans cette perspective, le réglementarisme répond davantage à une fonction de contrôle plutôt 35 qu’à une fonction d’organisation de l’activité prostitutionnelle. La réglementation de la prostitution à la fin du XIXème siècle, élaborée pour des motifs d'abord moraux puis hygiénistes, marque ainsi le triomphe du contrôle de l'Etat sur le privé. La thèse de Michel Foucault développée dans Histoire des sexualités trouve 36 ainsi un écho. 4- Un consensus réglementariste européen Le modèle réglementariste français est imité par plusieurs autres pays européens. Le French system s’exporte toutefois dans des formes variées selon les objectifs poursuivis (sanitaires, moraux, sécuritaires), la manière dont sont réparties les pouvoirs entre les différents niveaux de l’administration ou la valeur juridique du texte sur lequel il se fonde (loi, décret, coutume). A. PARENT-DUCHÂTELET, De la prostitution dans la ville de Paris considérée sous le rapport de l’hygiène 32 publique, de la morale et de l’administration, Fr.Leuret. Paris, Baillière, 1836, 893 p. Ibid. 33 Ibid. 34 A. CORBIN, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution aux XIX et XX siècles, Paris, Aubier, 1978, 571 p. 35 M. FOUCAULT, Histoire de la sexualité I : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1994, 211 p. 36 Page sur 20 87
  • 21. Ce rayonnement du réglementarisme français s’explique par l’existence d’une adhésion, au niveau européen, aux fondements de ce modèle. C’est ainsi que l’historienne Y. RIPA considère que « Le French System est en fait un European System, lequel participe à l’identité européenne ». Ce consensus repose sur 37 quatre éléments : l’acceptation de la prostitution car considérée utile pour l’équilibre de la société ; la nécessaire satisfaction de la sexualité masculine ; la possibilité de prévenir les désordres qui découleraient inévitablement de cette insatisfaction ; enfin, l’existence d’un archétype - la prostituée - auquel adhèrent tous les gouvernants et toutes les sociétés. Selon Y. RIPA « ce système serait, finalement, un garant de l’ordre sécuritaire étroitement lié à l’ordre moral, et surtout un garant de l’ordre sanitaire, alors que l’hygiène devient une préoccupation essentielle, voire une obsession des classes aisées comme des autorités, atteintes de syphilophobie. La dimension prophylactique du réglementarisme est primordiale pour comprendre son expansion à travers toute l’Europe, dans l’Italie unifiée comme dans l’Empire allemand.  » C’est ainsi par exemple que le 38 Royaume-Uni l’adopte en 1866 dans les villes de garnison et les ports avant de l’étendre en 1869 à l‘ensemble du territoire par les Contagious disease acts. Ces lois donnent le droit aux magistrats d’ordonner, sur simple accusation de prostitution d’un officier de police, des contrôles génitaux aux prostituées pour détecter des symptômes de maladies sexuellement transmissibles. En cas de refus de l’examen, les prostituées sont passibles de prison. Toutefois, le modèle réglementariste, en raison notamment de son inefficacité, est rapidement contesté. L’isolement des prostituées au sein des maisons closes et les contrôles sanitaires auxquelles elles sont assujetties ne permettent pas d’endiguer la syphilis. Il faut dire que seules les prostituées sont accusées de propager cette maladie vénérienne : jamais, dans aucun pays européen, le client n’est soumis à visite médicale. Sous l’influence d’organisations féministes, et face à ce constat, le mouvement abolitionniste, qui vise à mettre fin à la réglementation en dénonçant l’iniquité sur laquelle elle repose, commence alors à être audible. Y. RIPA, « La prostitution (XIXe-XXIe siècles) », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, novembre 37 2015. Ibid. 38 Page sur 21 87
  • 22. B- L’adoption d’un modèle abolitionniste conforme au cadre juridique international 1- Les fondements de l’abolitionnisme Le mouvement abolitionniste est né en réaction à l’alignement du Royaume-Uni sur la réglementation hygiéniste de la prostitution à la française. Contrairement au French system, il ne s’intéresse pas au fait prostitutionnel, c’est-à-dire à ses tenants et aboutissants, mais au traitement que l’Etat réserve aux femmes. Il s’attache en effet à combattre ce qu’il considère comme un système qui broie les femmes en les rendant avilissantes. C’est ainsi que Y. RIPA indique que le mouvement abolitionniste porte son intérêt « sur les prostituées et la façon dont, en tant que femmes, donc en tant qu’êtres humains, elles sont traitées par le réglementarisme, d’où sa forte coloration féministe, mais aussi politique ». Le respect des droits, le libre- 39 arbitre et plus globalement, l’universalisme, sont alors des valeurs mises en exergue par ce mouvement, dont l’activité s’inscrit principalement dans des pays qui s’en réclament ou ceux où l’opposition à l’arbitraire est la plus dynamique. En effet, ce mouvement se fonde sur ces valeurs pour appuyer ses revendications, lesquelles consistent en l’abandon de toute réglementation relative à la prostitution. Cette approche politico-juridique universaliste centrée sur l’individu est complétée par d’autres dimensions. En effet, « une lecture morale accuse le réglementarisme de diffuser le vice. Une lecture éthique, attachée à la notion de dignité humaine, accuse le réglementarisme de la bafouer. Une lecture libérale, enfin, qui s’articule aisément, elle aussi, avec l’universalisme, défend toutes les libertés et s’oppose à toute contrainte. Elle peut aller jusqu’à revendiquer le droit des femmes, de toutes les femmes, à disposer de leur corps en un contrat entre adultes consentant dans lequel l’État n’a pas à intervenir ». Dans un 40 contexte où la morale l’emporte traditionnellement sur le droit, cette remise en cause des normes de genre n’est pas sans susciter des réactions et oppositions, y compris de la part de militant.e.s féministes. Toutefois, cette prééminence de la morale n’est pas dépassée par le mouvement abolitionniste. En effet, si l’objet de la lutte abolitionniste est bien l’abolition de la réglementation, la prostitution demeure immorale. Elle n’est en revanche pas condamnable, car c’est l’Etat qui serait responsable de la condition des femmes qui se prostituent. La différence idéologique avec le réglementarisme se situe donc essentiellement dans la définition de la victime de la prostitution : alors que selon les réglementaristes, c’est la société qui est victime de la prostitution et plus particulièrement les “honnêtes femmes“, dans le cas de l’abolitionnisme, ce sont les femmes, et plus particulièrement les prostituées. Y. RIPA, « La prostitution (XIXe-XXIe siècles) », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, novembre 39 2015. Ibid. 40 Page sur 22 87
  • 23. Cette différence conduit alors à des préconisations distinctes : alors que les réglementaristes « prônent la répression pour limiter le nombre des femmes qualifiées de déchues, les seconds envisagent une œuvre de sauvetage, dans laquelle se reconnaissent les associations philanthropiques et religieuses, voire féministes, qui optent pour la prévention et non pour la répression ». De nos jours, même si l’abolitionnisme semble avoir évolué, l’idée de réinsertion reste prédominante dans la réflexion publique sur la question de la prostitution . 41 2- Le développement désordonné du mouvement abolitionniste Sous l’impulsion de la féministe anglaise Joséphine Butler, le mouvement abolitionniste s’est d’abord traduit par la création de la Fédération britannique, continentale et générale pour l’abolition de la prostitution réglementée en 1869. Après quatre années d’action limitées à l’Angleterre, cette structure évolue en Fédération abolitionniste internationale contre la prostitution réglementée (FAI), concrétisant ainsi son initiale ambition internationale. En France, certaines personnalités publiques telles que Victor HUGO, Jean JAURÈS, Victor SCHOELDCHER affichent leur soutien à la FAI. Un groupe de pression voit également le jour, lequel organise des meetings qui peuvent rassembler jusqu’à 2 000 personnes. Toutefois, dans la mesure où l’hygiénisme a été théorisé en France, et y est donc largement implanté, il faudra attendre 1946 pour qu’une première mesure abolitionniste soit adoptée. En Angleterre, en revanche, dès 1885, les Contagious Diseases Acts sont abolis. La fin du 19ème siècle marque un ralentissement dans la progression du mouvement abolitionniste. Puis, les guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945 justifient un retour au réglementarisme, notamment en France, dans une perspective sanitaire. La nécessaire protection des soldats et la politique nataliste qui impose de distinguer les femmes prostituées des “honnêtes mères de famille“ rendent légitimes l’encadrement juridique de la prostitution. Sous le régime de Vichy, « un syndicat de propriétaires de maisons closes voit d’ailleurs le jour ». 42 Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le mouvement abolitionniste trouve à nouveau un écho. L’arrivée des antibiotiques et le courant humaniste qui souffle sur l’Europe, lequel prône la défense des droits de l’homme et une nouvelle place pour la femme au sein de la société rendent possible l’adoption, le 13 avril 1946, de la loi dite « Marthe Richard », du nom d’une ancienne prostituée devenue conseillère 43 municipale de Paris. En ce ce qu’elle prévoit notamment la fermeture des maisons de tolérance, soit 1 500 structures dont 177 à Paris, elle est considérée comme la première loi abolitionniste. D. DERYCKE, Les politiques publiques et la prostitution, Rapport d’information sur l’activité de la délégation aux 41 droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour l’année 2000, Sénat, 2000, n°209, 230 p. F. RIGAL, « Aux sources de l’abolitionnisme », Prostitution et Société, n° 164, janvier 2010. 42 Loi n°46-685 du 13 avril 1946 tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le 43 proxénétisme, JO du 14 avril 1946. Page sur 23 87
  • 24. Néanmoins, dans la mesure où elle fût suivie, une semaine après, d’une loi instaurant un fichier sanitaire et social des personnes prostituées, la France demeure un pays réglementariste. 3- L’internationalisation du mouvement abolitionniste Au cœur du débat entre réglementaristes et abolitionnistes, une crise éclate en 1880-1881 : l’affaire des “petites Anglaises“ révèle l’existence d’un commerce de jeunes filles en Europe. Deux prostituées anglaises mineures sont retrouvées dans des maisons closes à Bruxelles. L’enquête révèle des collusions entre la police des mœurs et les milieux interlopes bruxellois. Le scandale fait l’objet d’une campagne de presse internationale qui dénonce l’existence de détournements de jeunes filles, forcées de se prostituer à l’étranger. En 1904, le premier accord international sur la “traite des blanches“ est alors signé à Paris. 44 Puis, en 1927 et 1936, deux enquêtes menées par la Société des Nations (SDN) qui établissent que l'existence de bordels et la réglementation favorisent la traite tant à l’échelle nationale qu’internationale et qu’en sont victimes des femmes blanches et non-blanches, mais aussi des enfants ou des hommes. Sous l’influence du courant universaliste, et dans le prolongement de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, une réflexion s’amorce alors quant à la nécessité d’élargir la lutte internationale contre la traite en vue de la prostitution d’autrui à tous les êtres humains, et non aux seules blanches. C’est ainsi que l’Assemblée générale des Nations-Unies adopte le 2 décembre 1949, la Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui . 45 Cette Convention peut être considérée comme le résultat des campagnes menées par le mouvement abolitionniste depuis la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, elle impose aux Etats parties d’abandonner toute réglementation relative à la prostitution, et stipule notamment expressément que ces derniers doivent s’engager à « prendre toutes les mesures nécessaires pour abroger ou abolir toute loi, tout règlement et toute pratique administrative selon lesquels les personnes qui se livrent ou sont soupçonnées de se livrer à la prostitution doivent se faire inscrire sur des registres spéciaux, posséder des papiers spéciaux, ou se conformer à des conditions exceptionnelles de surveillance ou de déclaration  ». Cette Convention prévoit 46 également le renforcement des sanctions financières et pénales contre les proxénètes et la pénalisation, par une contravention, du racolage actif et passif. Arrangement international en vue d'assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de 44 traite des blanches, signé à Paris le 18 mai 1904. Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution 45 d’autrui, 1949. Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution 46 d’autrui, 1949, article 6. Page sur 24 87
  • 25. Enfin, son article 16 dispose que « les Parties à la présente Convention conviennent de prendre ou d'encourager, par l'intermédiaire de leurs services sociaux, économiques, d'enseignement, d'hygiène et autres services connexes, qu'ils soient publics ou privés, les mesures propres à prévenir la prostitution et à assurer la rééducation et le reclassement des victimes de la prostitution et des infractions visées par la présente Convention ». L’idée de rééducation, de réinsertion, visant à remettre les victimes dans le droit chemin démontre 47 ainsi la pérennité de la morale dans le traitement juridique de la prostitution. À ce propos, le préambule est très clair : « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ». Cette Convention peut alors apparaître comme un élément marquant dans l’évolution du courant abolitionniste. Alors qu’il cherchait initialement à abolir toute forme de réglementation relative à la prostitution, il poursuit désormais un autre but, celui d’abolir la prostitution. 
 4- L’adoption progressive d’un modèle abolitionniste à tendance prohibitionniste par la France Ce n’est qu’à partir du 25 novembre 1960, date de la ratification de la Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui par la 48 France, que l’hexagone met véritablement fin au système réglementariste. Les fichiers relatifs à la prostitution seront supprimés, la réglementation directe de la prostitution sera interdite et un article relatif aux actions de prévention contre la prostitution sera inséré dans le Code de l’action sociale et des familles . 49 À partir de sa mise en conformité avec le droit international, la France n’aura de cesse d’inscrire sa législation relative à la prostitution dans le courant de pensée abolitionniste, compris dans sa nouvelle sémantique. En effet, bien que l’exercice de la prostitution soit légal, les lois successivement adoptées traduisent une volonté de l’Etat de faire disparaître la prostitution, en criminalisant le proxénétisme, mais également en incriminant le racolage jusqu’en 2016, puis en incriminant les clients depuis cette date. J.-M. CHAUMONT, « Indésirables victimes. L’ambivalence de la représentation des victimes de la “traite” illustrée 47 par le projet d’une “Convention internationale relative au rapatriement des prostituées” du Bureau International pour la suppression de la traite des femmes et des enfants », in Action publique et prostitution, Presses universitaires de Rennes, 2006. Convention des Nations-Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution 48 d’autrui, 1949. Art. L 121-9 du Code de l’action sociale et des familles dispose notamment que « Dans chaque département, l'Etat 49 assure la protection des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains et leur fournit l'assistance dont elles ont besoin ». Page sur 25 87
  • 26. S’agissant du proxénétisme, son régime juridique n' a que peu évolué depuis 1960. Le proxénétisme est «  poursuivi sous toutes ses formes et reçoit une qualification assez englobante, puisque sont incriminés tant le proxénétisme de contrainte que le proxénétisme de soutien, la contrepartie financière n’étant pas prise en compte dans la qualification de proxénétisme  ». Afin de multiplier les possibilités juridiques de 50 poursuivre le proxénétisme, la loi du 9 avril 1975 habilite certaines associations à exercer une action civile. 51 S’agissant du racolage, l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal de 1994 introduit une distinction entre racolage passif et actif, en prévoyant la décriminalisation du premier (suppression de la contravention jusque là prévue) - considéré comme une infraction depuis 1960 - et en maintenant la seconde. C’est ainsi que, par exemple, « dès lors que la tenue vestimentaire de la prévenue apparaît, au vu de la date des faits, normale, et que les agents verbalisateurs n'ont retenu de sa part aucune parole de nature à inciter quelconque à des relations sexuelles, le seul fait de déambuler sur la chaussée et de s'adresser à des automobilistes ou à des piétons qui se sont arrêtés spontanément à sa hauteur sans y être invités, ne peut constituer à lui seul, de la part de la prévenue, l'infraction de racolage actif (Tribunal de police de Paris, deuxième chambre, 23 janvier 1997)  ». Ainsi, l’abandon du délit de racolage passif signifie que la seule 52 présence de la prostituée dans un espace public ne suffit plus à l’incriminer, encore faut-il qu’elle adopte une attitude proactive en portant notamment certains vêtements. En effet, l’arrêt du Tribunal de police relève, parmi les critères permettant de retenir ou non la qualification de racolage actif, « la tenue vestimentaire de la prévenue », qu’il qualifie, en l’espèce, de « normale », se livrant ainsi à un jugement moral en distinguant ce qui relève de l’acceptable de ce qui n’en relève pas. Toutefois, la différenciation entre les deux formes de racolage ne connaîtra qu’une durée relativement brève puisque le racolage passif est de nouveau incriminé entre 2003 et 2016 . C’est ainsi que 53 54 l’article 222-10-1 du Code pénal issu de l’article 50 de la loi du 18 mars 2003 définit le racolage comme «  55 le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération. » G. DELMAS, S.-M. MAFFESOLI, S. ROBBE, Le traitement juridique du sexe, L’Harmattan, Presses Universitaires 50 de Sceaux, 2010, 186 p. Loi n°75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer 51 l’action civile, JO du 11 avril 1975. J. ROZIER, Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre 52 les hommes et les femmes sur le projet de loi n° 30 pour la sécurité intérieure, 29 octobre 2002 , 35 p. Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, JO du 19 mars 2003, prévoit la pénalisation du racolage 53 actif ou passif. Ces délits sont susceptibles d’être punis de 2 mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 54 personnes prostituées, JO du 14 avril 2016, abolit le délit de racolage passif. Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, JO du 19 mars 2003. 55 Page sur 26 87
  • 27. Il en résulte que, s’il n’est pas question de remettre en cause la conformité du droit français au droit international en matière de prostitution, le courant de pensée dans lequel s’inscrit ce premier, interroge. En effet, si la lutte contre le proxénétisme relève bien du courant abolitionniste, tel n’est pas le cas de l’incrimination du racolage, les personnes prostituées ne pouvant en principe être traitées comme des délinquantes, étant considérées comme des victimes. De ce fait, il apparaît que le régime juridique français de la prostitution retient une conception très large de l’abolitionnisme pour atteindre son objectif. Autrement dit, la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains justifierait la mise en oeuvre de moyens relevant du prohibitionnisme (délit de racolage), bien qu’ils concernent directement les prostituées. 
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  • 28. Section 2 - L’adoption de la loi de 2016 relative à la pénalisation des clients : confirmation et évolution de l’abolitionnisme prohibitionniste Dans la perspective de renforcer la lutte contre les réseaux et de protéger davantage leurs victimes, l’Etat français, par la loi de 2016 relative au renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel et à l’accompagnement des personnes prostituées , introduit le délit d’achat d’un acte sexuel et supprime le délit 56 de racolage. Cette loi, censée inverser la charge pénale qui pesait jusque là sur les TDS, et inspiré de l’exemple suédois, permet de tendre à une plus grande cohérence avec la conception abolitionniste. Toutefois, en ce qu’elle se fonde sur un principe prohibitionniste sans prévoir de mesures appropriées à l’égard des TDS, la loi apparaît, selon les associations de santé oeuvrant par et pour les TDS et les personnes concernées elles-mêmes, davantage répressive que protectrice. S’observe alors une dissonance au sein de la loi, entre son esprit (A) et son contenu (B). A- L’esprit de la loi de 2016 1- La réaffirmation de la position abolitionniste de la France Suite au rapport du 13 avril 2011 de la mission d’information de la commission des lois sur la prostitution en France, dont sont à l’initiative les député.e.s Danielle BOUSQUET (PS) et Guy GEOFFROY (LR, ex-UMP), l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une résolution qui « réaffirme la position abolitionniste de la France, dont l’objectif est à terme, une société sans prostitution». La définition de l’abolitionnisme et l’objectif poursuivi sont ainsi clairement dévoyés : alors que ce courant poursuit initialement pour objectif l’abolition de toute réglementation relative à la prostitution, l’Assemblée nationale indique que cette « position abolitionniste de la France implique que toutes les règles de droit qui seraient susceptibles d’inciter à la prostitution disparaissent ». Une forme de réglementation serait ainsi envisageable dès lors qu’elle tend à décourager l’activité prostitutionnelle . Ainsi, un retour aux moyens mis en oeuvre 57 historiquement en matière de prostitution serait possible, c’est-à-dire le recours à la réglementation, dès lors que celle-ci ne poursuit pas les mêmes fins, c’est-à-dire l’encadrement de l’activité prostitutionnelle, mais son interdiction. Pour justifier ce positionnement, les député.e.s invoquent plusieurs arguments qui tiennent, quant à eux, au courant abolitionniste en ce qu’ils découlent tous de la conception selon laquelle la personne prostituée est nécessairement une victime. Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 56 personnes prostituées, JO du 14 avril 2016. C’est ainsi que pourra être justifié l’introduction d’une incrimination s’appliquant aux clients dans la loi de 2016. La 57 résolution parlementaire la préconise d’ailleurs en indiquant que « la loi doit clairement marquer la responsabilité de chacun dans la perpétuation du système prostitutionnel. Elle le fait d’ores et déjà pour ce qui est des auteurs de traite des êtres humains et de proxénétisme. Elle doit également responsabiliser les clients en leur indiquant clairement qu’eux aussi ont une part de responsabilité. Sans client, il n’y aurait pas de prostitution ». Page sur 28 87
  • 29. D’abord, la Chambre basse estime les personnes prostituées sont dans leur grande majorité victimes d’exploitation sexuelle. Pour cela, elle s’appuie sur les données citées par le rapport de 2011 susmentionné, qui dresse notamment le constat d’une forte augmentation de la prostitution étrangère depuis les années 1990. Alors qu’entre 1990 et 1995, la part des femmes d’origine étrangère parmi les prostituées s’établirait à environ 30% à Paris, et 15% en province, elle serait de 91% en 2010. Ces estimations, issues des rapports de l’OCTREH, sont toutefois à interpréter à la lumière de certaines considérations. L’OCTREH se base en effet sur le nombre de femmes mises en cause pour racolage pour les établir. Ces données dépendent donc du nombre de contrôles policiers effectués à l’endroit des TDS. Or, la lutte contre l’immigration clandestine ne cesse de se renforcer en France. Il est donc difficile de nier l’existence d’un possible lien de corrélation entre cette augmentation de la part que représentent les TDS de nationalité étrangère et l’intensification des contrôles dont elles font l’objet. Le rapport relève, pour sa part, que l’augmentation de la prostitution étrangère est liée à l’émergence de réseaux de prostitution dont la prolifération fait suite à des bouleversements géopolitiques (effondrement de l’Union soviétique, conflits balkaniques, crises politiques en Afrique) ainsi qu’à la mise en place du principe de libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen. Selon lui, la majorité des femmes étrangères se prostituant en France serait victimes de ces réseaux car contraintes à exercer cette activité pour rembourser la dette qu’elles ont contracté pour entrer en France. D’après l’étude menée par Mme Françoise GUILLEMAUT , sociologue, près de 80 % des femmes migrantes prostituées aurait ainsi une 58 dette de passage. Le fonctionnement de ces réseaux de traite et d’exploitation sexuelle assurait alors « la persistance du système prostitutionnel», d’autant qu’il peut offrir aux personnes prostituées la possibilité de devenir proxénète à leur tour (forme de promotion sociale). Ensuite, qu’elles soient victimes de traite ou non, les personnes prostituées seraient nécessairement victimes de violences. Selon l’Assemblée nationale, « toutes les études s’accordent sur le fait que les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent une atteinte souvent dramatique à leur intégrité physique et psychique ». Enfin, si elles ne sont pas victimes de traite, ni victimes de violences, les personnes prostituées seraient nécessairement victimes d’une forme de contrainte. Dans sa résolution, l’Assemblée nationale affirme en effet que « la prostitution n’est jamais exercée de gaîté de coeur. Elle fait le plus souvent suite à un évènement traumatique (rejet lié à l’orientation sexuelle, précarité économique particulièrement forte...) quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe ». Il n’y aurait donc pas de personnes qui se prostitueraient librement, ou seulement une infime partie, dont les revendications de libre arbitre ne doivent « pas conduire à fermer les yeux sur toutes les autres» situations. F. GUILLEMAUT, « Victimes de trafic ou actrice d’un processus migratoire ? Saisir la voix des femmes migrantes 58 prostituées par la recherche-action », Terrains et travaux, n° 10, 2006. Page sur 29 87
  • 30. De ce fait, selon le législateur, les TDS devraient uniquement être considérées comme des victimes d’un système qui les exploite, et non comme des délinquantes. L’esprit de la loi doit alors refléter cette conception, ce qui impose une évolution législative se traduisant par l’abolition du délit de racolage, encore applicable. 2- Des mesures pour prévenir ou pallier la condition de victime de la personne prostituée Dans cette perpective, une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système 59 prostitutionnel a été déposée par le groupe PS à l’Assemblée nationale. Dès la première lecture, elle est adoptée par 268 voix contre 138 le 4 décembre 2013. Cette proposition de loi prévoit la poursuite de 3 grands objectifs : le renforcement de la lutte contre le trafic d’êtres humains et le proxénétisme, la prévention, la protection et l’accompagnement des victimes de la prostitution, ainsi que la responsabilisation des clients. S’agissant du renforcement de la lutte contre le trafic d’être humains et le proxénétisme, la proposition de loi prévoit notamment de mettre à contribution les fournisseurs d'accès Internet et les hébergeurs de sites Internet dans la lutte contre la diffusion des infractions de traite des êtres humains, de proxénétisme et des infractions assimilées. Sont ainsi visés les réseaux qui utilisent Internet pour organiser leur activité. S’agissant de la prévention, de l’accompagnement et de la protection des victimes de la prostitution, de la traite des êtres humains et du proxénétisme, la proposition de loi prévoit la mise en place, au sein de chaque département, d’une instance « chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution ». Cette instance aura notamment vocation à déterminer si une personne est éligible au parcours de sortie de la prostitution, lequel donne notamment droit à une remise totale ou partielle d’impôts directs, d’amende fiscale ou de frais de poursuite. Surtout, pour poursuivre ce deuxième objectif, la proposition de loi prévoit, en son article 13, l’abolition du délit de racolage public, qui incrimine les personnes prostituées et les a fragilisé. C’est ce que relève notamment le rapport de la Commission spéciale 60 chargée d’examiner la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui indique que le délit de racolage a « entraîné un déplacement des lieux d’exercice de la prostitution vers des zones plus difficiles d’accès pour les forces de police, mais également pour les associations intervenant auprès des personnes prostituées. Davantage isolées, les personnes prostituées se retrouvent exposées à un risque de violence accru ». De plus, le délit de racolage aurait « renforcé le sentiment de stigmatisation des personnes prostituées ainsi que leur méfiance vis-à-vis des institutions ». Proposition de loi n° 519 (2014-2015) visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. 59 M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la 60 proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014, 191 p. Page sur 30 87
  • 31. Enfin, s’agissant de la responsabilisation des clients, l’article 16 de la proposition de loi vise à instaurer une contravention de cinquième classe sanctionnant le fait de « solliciter, d'accepter ou d'obtenir 61 des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution ». Cette interdiction d’achat d’un acte sexuel, mesure phare du projet de loi, permettrait d’inverser le rapport de force, ce dont se félicite Madame Michelle MEUNIER, rapporteure devant la Commission spéciale, selon laquelle « nous allons enfin, dans les faits, considérer la personne prostituée comme une victime et non plus comme une délinquante, et le client comme une partie prenante du système qui oppresse la personne prostituée  ». 62 Le Sénat s’étant opposé, en première lecture, à la pénalisation des clients et à l’abolition du délit de racolage au motif notamment qu’il permet « de donner aux services de police un moyen d’agir  », c’est 63 après deux navettes législatives, et une Commission mixte paritaire, que la proposition de loi a été adoptée dans tous ses articles. Pour ses partisans, la loi du 13 avril 2016 s’inscrit dans le droit fil des grandes avancées pour les droits des femmes qui ont marqué l’histoire. Elle « est l’emblème du combat contre les violences, sociales et sexuelles ; elle est un progrès pour les droits humains et pour l’égalité  ». Toutefois, 64 cette loi n’est pas considérée ainsi par l’ensemble des associations oeuvrant dans le champ du travail du sexe. 3- Une conception victimaire de la personne prostituée soutenue par une partie du tissu associatif En adoptant un modèle abolitionniste, la France a renoncé à toute forme d’action directe de la part des pouvoirs publics auprès des personnes prostituées. Ce sont donc les associations, soutenues financièrement par l’Etat, qui sont alors principalement en charge d’intervenir auprès d’elles. Le gouvernement se doit alors de reconnaître leur expertise, notamment en les impliquant dans le processus d’élaboration des lois par des auditions. Toutefois, les associations oeuvrant dans le champ du travail du sexe ne sont pas neutres. Elles s’inscrivent elles aussi nécessairement dans une idéologie fonction de la conception qu’elles retiennent de la prostitution, laquelle détermine le type d’action qu’elles choisissent de mener et les politiques publiques qu’elles préconisent. En effet, selon qu’elles considèrent la prostitution avant tout comme une violence faite aux femmes ou comme une activité qui concerne des personnes dont la santé est particulièrement fragile ou à risques, leurs recommandations seront distinctes. Une contravention de cinquième classe est punie d'une amende de 1 500 euros et de 3 000 euros en cas de récidive. 61 Déclaration de Mme M. MEUNIER, rapporteure devant la Commission spéciale, le 7 octobre 2015. 62 Déclaration de M. J.-P. VAL, Président de la Commission spéciale, le 7 octobre 2015. 63 C. LEGARDINIER, « Prostitution : une révolution française », Prostitution et société, n°188, avril 2016. 64 Page sur 31 87
  • 32. Celles qui retiennent cette première conception de la prostitution, conformément à celle retenue par l’Etat français, s’inscrivent dans le mouvement abolitionniste. Tel est le cas notamment du Mouvement du Nid. Généralement, il s’agit d’associations qui facilitent l’accueil, l’accompagnement, l’hébergement et l’insertion des TDS. Dans la mesure où l’essentiel des fonds publics (subventions et dotations) destinés au secteur privé à but non lucratif intervenant dans le champ de la prostitution leur est alloué, ces associations sont particulièrement bien implantées et actives. Pour poursuivre au mieux leurs missions, elles plaident alors historiquement en faveur d’une concentration des moyens publics alloués vers l’accompagnement des personnes en dehors de la prostitution et à la réintégration sociale et professionnelle. En revanche, les associations qui abordent la question de la prostitution sous un prisme santé, auront tendance à considérer que l’objectif de diminution de l’activité prostitutionnelle contrainte s’il est louable, doit passer derrière celui de l’amélioration des conditions de vie des personnes qui se prostituent et de leur accès aux soins et aux droits sociaux. Cette conception est retenue par ce qu’il convient d’entendre ici par associations de santé oeuvrant par et pour les TDS. Lors de leurs auditions, ces associations ont ainsi pu faire part de leurs craintes quant à l’instauration du principe de pénalisation des clients. Pour étayer leurs propos, elles ont pu se baser sur leurs observations de terrain. Elles constatent notamment que dès l’examen de la proposition de loi, très largement médiatisée, les comportements ont évolué, les clients pensant que la loi était déjà entrée en vigueur. C’est ainsi que lors de son audition, Mme Krystel Odobet (association Grisélidis) a pu indiquer que « les clients sont moins nombreux, tournent beaucoup mais s'arrêtent moins, par peur de la police. Il est donc plus difficile pour les personnes prostituées de négocier sur les pratiques ou sur l'usage du préservatif ». Selon ces mêmes associations, les conséquences de cette loi sont dès lors prévisibles, notamment : une baisse du pouvoir de négociation des TDS, une augmentation des pratiques à risques, et le déplacement vers des zones isolées les exposant à davantage de violence. B- Le contenu de la loi 1- Le volet répressif : l’interdiction de l’achat d’acte sexuel Au cours des deux années de débats parlementaires houleux qui ont précédé le vote de la loi de 2016 , il était notamment affirmé qu’une société de genre égalitaire ne pouvait être rendue possible que si la 65 prostitution cesse d’exister. En effet, certains avançaient l’idée que toutes les femmes dans la société sont lésées tant que les hommes pensent qu'ils peuvent acheter le corps des femmes. Que l'interdiction ait des effets néfastes pour les femmes qui vendent des services sexuels ou qu’elle viole leur droit à l'autodétermination n’était donc pas la question. La valeur symbolique d’égalité de genre de la loi devait l’emporter. Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 65 personnes prostituées, JO du 14 avril 2016. Page sur 32 87
  • 33. C’est ainsi que l’article 20 de la loi de 2016 introduit un nouveau titre dans le Code pénal au livre VI intitulé « Du recours à la prostitution », dans lequel figure l’article 611-1 du Code pénal. Cette disposition prévoit désormais que « le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ». La peine applicable au délit d’achat d’acte sexuel renvoie au paiement d’une amende d’un montant de 1 500€ (jusqu’à 3 750€ et une inscription au casier judiciaire en cas de récidive) et peut être assortie de peines complémentaires. Le contrevenant peut alors se voir obliger d’accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels. En pratique, il reviendra aux policiers de dresser des procès verbaux pour « achat d’un acte sexuel » afin de convoquer le prévenu devant le Tribunal de police. Il appartiendra alors au juge d’instance, si le contentieux n’est pas classé en amont par le parquet, de prononcer la peine applicable. Toutefois, la mise en oeuvre de cette procédure n’est pas sans poser de questions. En effet, encore faut-il que les autorités judiciaires puissent qualifier l’infraction pour prononcer une peine, et donc connaitre les critères permettant de la retenir. Faut-il rétribution ou pas ? Faut-il que l’acte sexuel ait déjà été consommé ? Faut-il un flagrant délit ? Dans le même sens, les acteurs du monde judiciaire se sont montrés plutôt sceptiques quant à l’application concrète de cette nouvelle infraction.  2 - Le volet social : l’accompagnement des victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains Considérant que l’Etat doit jouer un rôle de protecteur auprès des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains, il est prévu que chaque département soit mis à contribution pour pouvoir leur offrir un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle. Bien qu’il sera proposé à toutes les TDS, seules pourront en bénéficier celles qui obtiendront l’accord favorable du représentant de l’Etat dans le département et après avis d’une instance « chargée d'organiser et de coordonner » l’action en leur faveur, créée par l’article 5 de la loi de 2016 . 66 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 66 personnes prostituées, JO du 14 avril 2016. Page sur 33 87
  • 34. Cette instance , présidée par le préfet, sera « composée de représentants de l'Etat, notamment des 67 services de police et de gendarmerie, de représentants des collectivités territoriales, d'un magistrat, de professionnels de santé et de représentants d’associations . » Cette diversité des acteurs impliqués, et 68 notamment l’implication des associations, révèle l’importance que leur accorde l’Etat. Toutefois, dans la mesure où la loi prévoit que ce parcours de sortie doit être défini et mis en oeuvre par ces mêmes associations en fonction des besoins sanitaires, professionnels et sociaux de la victime, il en résulte une charge de travail supplémentaire pour celles-ci. En effet, il leur appartient de présenter, pour chaque personne qui se considère victime de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite, un dossier pour obtenir l’accord de l’instance départementale, de définir un projet d’insertion sociale et professionnelle et d’accompagner les personnes pendant une durée de 6 mois renouvelable (24 mois maximum). La question qui se pose est alors celle de la contrepartie financière accordée par l’Etat à ces associations. Rien n'est pourtant prévu. Seules des aides à destination des victimes seront versées par un fonds dédié au parcours de sortie de la prostitution, créé par la loi de 2016 . Alimenté par des crédits de l’Etat et 69 les recettes provenant de la confiscation des biens et produits de l’exploitation, il est doté de 4,8 millions d’euros annuels. Selon le mouvement du Nid, « tel qu’il est prévu, le financement de sorties de prostitution pourrait toucher 200 personnes sur le territoire (en évaluant l’aide à 400 €/mois, soit 5 000 €/an) », ce qu’il juge assez limité, bien qu’il faut rappeler que ces aides «  ne touchent que les personnes n’ayant droit ni au RSA ni à l’ATA, Allocation Temporaire d’Attente, ni les demandeurs/ses d’asile . 70 S’agissant de ces dernières, il est prévu que l’autorisation d’intégrer un parcours de sortie de prostitution leur ouvre également droit à une autorisation provisoire de séjour d’une durée minimale de 6 mois. Cette autorisation doit en principe permettre l’exercice d’une activité professionnelle et le versement d’une aide financière à l’insertion sociale de 330 € pour une personne seule. Selon Michelle MEUNIER, « ce dispositif très novateur et très complet protégera efficacement toutes les personnes prostituées qui contribueront à démanteler un réseau, et inversera la logique : désormais, c'est la puissance publique qui protègera la personne prostituée contre le réseau, non le réseau qui la protègera contre la justice  ». 71 Le conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives 67 sectaires et les violences faites aux femmes Article 5 de la loi de 2016 modifiant l’article L. 121-9.-I. du Code de l’action sociale et des familles 68 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 69 personnes prostituées, JO du 14 avril 2016. C. LEGARDINIER, « Prostitution : une révolution française », Prostitution et société, n°188, avril 2016. 70 M. MEUNIER, Lutte contre le système prostitutionnel, Rapport fait au nom de la commission spéciale sur la 71 proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, 8 juillet 2014, 191 p. Page sur 34 87
  • 35. 3- Une loi déséquilibrée : un volet social insuffisant face à un volet répressif menaçant les travailleur.se.s du sexe Tout en reconnaissant la nécessité de protéger et d’assister les personnes prostituées qui le souhaitent, le Défenseur des droits (DDD), dans son avis n°15-28 , déplore la notion de “parcours de 72 sortie“. Selon lui, «   cette notion semble particulièrement inadaptée car elle oblige l’inscription des personnes prostituées dans une procédure prédéfinie sans permettre, une fois encore, la prise en compte de la diversité de leur situation ». Surtout, pour pouvoir bénéficier du parcours de sortie de la prostitution, les victimes doivent notamment s’engager à cesser leur activité. Cette condition sine qua non, que l’on retrouve également en matière de remises fiscales gracieuses, pose question, tant dans la possibilité concrète de sa mise en oeuvre, qu’au regard du principe d’égal accès aux droits. En effet, concrètement, cela suppose pour les victimes de renoncer aux ressources financières que leur procure l’activité de prostitution, ce qui les place inévitablement dans une situation de précarité et de vulnérabilité accrues. Ensuite, cette conditionnalité entre en contradiction avec ledit principe d’égal accès aux droits qui suppose « un accès inconditionnel aux dispositifs d’accompagnement social, sanitaire et professionnel ». L’accès aux parcours de sortie créé ainsi 73 une rupture d’égalité dans l’accès aux droits. Par ailleurs, en prévoyant la délivrance d’une autorisation de séjour de six mois pour les personnes étrangères qui s’engagent dans le parcours de sortie, la loi serait déconnectée de la réalité. Il serait en effet «  impossible d'obtenir un contrat de travail avec un titre de séjour si court  ». Ne pouvant travailler, et ayant 74 renoncer à l’activité de prostitution pour intégrer le parcours de sortie de la prostitution, la loi les expose à un risque accru car elles ne peuvent alors rembourser leur dette aux réseaux d’exploitation. De plus, certaines associations, comme Médecins du Monde, ont pu dénoncer une forme d’effet d’annonce quant au parcours de sortie de la prostitution. L’ONG indique en effet qu’à « l’instar de l’OCRTEH, si on estime à 30 000 le nombre de travailleuses du sexe en France, et comme ne cessent de le proclamer les abolitionnistes, toutes ces personnes sont "victimes de prostitution", le budget alloué à la sortie de la prostitution serait de 160€ par personne et par an  », si l’on se base sur les 4,8 millions d’euros 75 accordés au fond dédié. Les moyens mis en oeuvre seraient ainsi largement en deçà des ambitions du texte de loi. En outre, l’ONG dénonce le fait que ce fonds soit constitué « au détriment d’autres actions essentielles comme la lutte contre le VIH, contre les violences ou pour l’accès à l’IVG ». 76 DDD, Avis n°15-28 du 16 décembre 2015 relatif à la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 72 personnes prostituées, 16 décembre 2015, 4 p. DDD, Avis n°15-28 du 16 décembre 2015 relatif à la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 73 personnes prostituées, 16 décembre 2015, 4 p. Compte-rendu des auditions de la Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel, 28 mai 2014 74 Médecins du Monde, Communiqué de presse, 5 avril 2016. 75 Médecins du Monde, Communiqué de presse, 5 avril 2016. 76 Page sur 35 87
  • 36. Quant au volet répressif, bien que le DDD se félicite de l’abrogation du délit de racolage par l’article 13 de la loi, il dénonce l’introduction du principe d’interdiction d’achat d’un acte sexuel. Le Défenseur signale notamment que cette interdiction, basée sur le modèle suédois n’est pas la mesure la plus efficace pour « réduire la prostitution et pour dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme de s’implanter sur les territoires » et encore moins « la solution la plus protectrice pour les personnes qui resteront dans la prostitution » comme annoncé dans la proposition de loi. En effet, pour échapper aux contrôles policiers, la prostitution va se déplacer dans des zones isolées, où les personnes se livrant à cette activité seront davantage exposées à la violence. Leur pouvoir de négociation s’amoindrissant, elles seraient davantage exposées aux risques de contamination au VIH et aux hépatites. Or, leur accès à la prévention et aux soins sera encore plus problématique car l’éloignement de la prostitution hors des centres villes les éloigne des réseaux de soutien des structures associatives et médicales existantes, rendant par la même plus complexe l’action des acteur.rice.s de prévention. Médecins du Monde en conclut que « le volet social n’est rien de plus qu’un effet d’annonce ayant pour but de masquer la dimension essentiellement répressive de ce texte ». 77 
 Médecins du Monde, Communiqué de presse, 5 avril 2016. 77 Page sur 36 87
  • 37. Section 3 - Le bilan d’un échec aux conséquences dévastatrices pour les travailleur.se.s du sexe dressé par les associations de santé œuvrant par et pour les travailleur.se.s du sexe quant à la loi de 2016 Presque trois ans après l’entrée en vigueur de la loi de 2016, ses effets sont dénoncés par de 78 nombreuses associations de santé oeuvrant par et pour les TDS. Son volet répressif concernerait avant tout les TDS en accentuant les situations de précarité, de violences, de stigmatisation et en démultipliant les risques pour leur santé. Le travail des associations s’en trouverait alors compliqué. Le volet social, qui renvoie au parcours de sortie, censé protéger les personnes et leur proposer des conditions optimales pour cesser leur activité ne serait quant à lui pas opérationnel et serait susceptible de renforcer la stigmatisation de celles et ceux qui ne pourraient pas ou ne souhaiteraient pas changer d’activité. Finalement, les associations dressent le constat d’une loi renforçant les sources de vulnérabilité des TDS (A). Inspiré du modèle suédois, force est de constater le rayonnement de celui-ci, au détriment des politiques de santé publique (B) et de l’action des associations dans ce domaine. A- Une loi renforçant les sources de vulnérabilité des travailleur.se.s du sexe 1- L’ augmentation corollaire de la prévalence du VIH/SIDA au sein de cette population Dès 2014, The Lancet démontrait que les systèmes de lutte contre le travail du sexe fondés sur des logiques répressives, qu’elles soient directes ou indirectes, favorisent les vulnérabilités sanitaire, sociale et économique des TDS. En 2017, une autre étude , également publiée dans The Lancet, va plus loin. Ses 79 auteur.e.s cherchaient notamment à vérifier, pour la première fois, en tenant compte de la diversité des cadres juridiques applicables dans les pays européens, l’hypothèse selon laquelle la légalisation du travail du sexe ou de certains de ses aspects s’accompagne d’une diminution de la prévalence du VIH/SIDA parmi les travailleur.se.s du sexe, comparativement aux pays appliquant des lois répressives. Dans cette étude, sont considérés comme des pays légalisant le travail du sexe, ceux qui légalisent tout ou partie de cette activité. Cette catégorie renvoie donc, d’une part, à des pays comme le Royaume-Uni où l’achat et la vente du travail du sexe sont légales, mais où l'approvisionnement par l'intermédiaire des bordels ou du proxénétisme est interdit; d’autre part, à des pays où la plupart des formes de travail sexuel organisé et non organisé (comme les bordels) sont légales et l’industrie réglementée. Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les 78 personnes prostituées, JO du 14 avril 2016. A. REEVES et al., « National sex work policy and HIV prevalence among sex workers: an ecological regression 79 analysis of 27 European countries », The Lancet, Volume 4, n°3, mars 2017. Page sur 37 87