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UNIVERSITÉ PAUL VALÉRY MONTPELLIER 3
Institut des Technosciences de l'Information et de la Communication (ITIC)
Département Information et Documentation
Master 1 Gestion de l'Information et de la Documentation (GID)
L'évolution des pratiques
généalogiques : apports et limites
des systèmes participatifs
Mémoire de Master 1
AUVRAY Christophe
Sous la direction de Madame PAGANELLI Céline
Année universitaire 2018 - 2019
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 2/103
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont tout d'abord à Madame Céline Paganelli, pour avoir accepté de diriger
mon mémoire et m'avoir fait bénéficier de ses précieux conseils.
Je tiens également à remercier les professionnels des archives qui ont bien voulu me consacrer du
temps pour répondre à mes questions et ainsi me fournir des informations indispensables pour
l'élaboration de ce mémoire :
• Madame Christelle Bruant (Archives municipales et communautaires d'Orléans),
• Madame Marie Blaise-Groult (Archives départementales de Seine-Maritime),
• Madame Emmanuelle Roy (Archives départementales de Vendée),
• Madame Marie Viard (Archives municipales de Saint-Étienne).
Je remercie les généalogistes amateurs qui ont accepté de répondre à mon questionnaire diffusé sur
Internet.
Enfin, je tiens à remercier ma compagne pour son soutien, ses relectures et ses conseils avisés.
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RÉSUMÉ ET MOTS-CLEFS
Résumé : L'essor de la généalogie amateur en France s'accompagne de la création de bases de
données alimentées via des systèmes participatifs proposés par les services d'archives. Cela modifie
les pratiques des généalogistes amateurs. L'analyse de l'implication des publics dans ces processus
permet de déterminer sur quels points. La situation tend vers un profil plus varié, motivé et qui
dispose de plus d'opportunités pour découvrir de nouveaux fonds. Cependant, il fréquente peu les
archives et se confronte moins aux sources. Il se montre plus exigeant sur la disponibilité des
informations. L'encadrement par les archivistes est nécessaire pour éviter une baisse de qualité de la
production généalogique. Également, la mutualisation des systèmes permettrait de faciliter la prise
en main par l'usager et de créer une base de données globale.
Mots-clés : archives, données, généalogie, indexation, participation, pratiques informationnelles,
usagers, Web 2.0
Droits d'auteur
Cette création est mise à disposition selon le Contrat : « Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-
Pas de Modification 4.0 France » disponible en ligne http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/
4.0/deed.fr ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San
Francisco, California, 94105, USA.
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Table des matières
REMERCIEMENTS............................................................................................................................3
RÉSUMÉ ET MOTS-CLEFS...............................................................................................................4
INTRODUCTION................................................................................................................................8
1. La généalogie amateur, un loisir en plein essor aux pratiques collaboratives anciennes..............10
1.1. Une démocratisation récente..................................................................................................10
1.1.1. La généalogie, étude des familles..................................................................................10
1.1.2. La démocratisation de la généalogie amateur................................................................11
1.1.3. Pourquoi un tel essor ?...................................................................................................11
1.2. Une population âgée et connectée, qui travaille sur des sources difficiles d'accès................13
1.2.1. Une population âgée et connectée..................................................................................13
Trois enquêtes : 2006, 2011 et 2014.....................................................................................13
Un public âgé, qui s'est féminisé, composé d'internautes autodidactes...............................13
1.2.2. Des sources difficilement exploitables...........................................................................15
1.3. Un public aux pratiques collaboratives anciennes.................................................................16
1.3.1. La démocratisation a amené des pratiques collaboratives.............................................16
1.3.2. L'arrivée d'Internet a rapproché sources et usagers........................................................17
1.3.3. Les conséquences : nouvelles pratiques, nouvelles demandes.......................................19
2. Les pratiques participatives : définition, état de l'art et applications.............................................21
2.1. La notion de participation dans les institutions culturelles : définition et état de l'art...........21
2.1.1. La notion de participation..............................................................................................21
2.1.2. État de l'art des études sur les bibliothèques et musées : une visée pratique.................23
2.1.3. État de l'art sur la participation en archives...................................................................24
Historiques et états des lieux................................................................................................24
Quels systèmes ? Retours sur expériences...........................................................................24
La redocumentarisation : la question de la liberté laissée à l'utilisateur..............................25
Les attentes du public...........................................................................................................26
2.2. Les expériences participatives en institutions culturelles......................................................26
2.2.1. Les expériences en bibliothèque : troisième lieu et bibliothèque 2.0............................26
La nécessité d'attirer les publics...........................................................................................26
Le troisième lieu : mise en oeuvre........................................................................................27
Le Web 2.0 : mise en oeuvre................................................................................................28
2.2.2. La participation en musées : réseaux sociaux et folksonomies......................................29
2.2.3. Bibliothèques, musées et archives : une problématique commune................................30
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 5/103
2.3. Les services d'archives...........................................................................................................31
2.3.1. Historique de la redocumentarisation dans ces institutions...........................................31
Particularités des archives....................................................................................................31
Historique de la numérisation...............................................................................................32
2.3.2. La participation en archives publiques : mise en place et état des lieux........................33
État des lieux........................................................................................................................34
2.3.3. Les différents systèmes..................................................................................................34
La redocumentarisation........................................................................................................34
Les folksonomies : identifications de photographies...........................................................35
La collecte d'archives privées...............................................................................................36
Les encyclopédies et bases de données collaboratives.........................................................36
Les blogs, espaces de commentaires et articles....................................................................37
La transcription collaborative...............................................................................................37
3. L'évolution du profil, de l'environnement et des pratiques............................................................38
3.1. Le rôle central des usagers.....................................................................................................38
3.1.1. Des noyaux d'usagers très impliqués.............................................................................38
3.1.2. des usagers vers qui on communique, des usagers consultés.........................................39
La communication des archives vers leurs usagers..............................................................39
Motiver les usagers : challenges, concours, classements.....................................................40
La création de véritables communautés, la consultation des usagers...................................40
3.1.3. Le rôle de l'usager, l'apport psychologique....................................................................41
3.2. L'évolution du public, des pratiques et de l'environnement...................................................43
3.2.1. Un public plus impliqué et plus jeune............................................................................43
3.2.2. Déclin des associations, montée en puissance du privé : un nouvel environnement.....44
Les associations : un changement de pratiques....................................................................44
Les entreprises privées et la marchandisation......................................................................45
3.2.3. L'évolution des pratiques : de grandes bases de données qui peuvent éloigner l'usager
des sources originales................................................................................................................47
Nouvelles pratiques..............................................................................................................47
Les bases de données............................................................................................................47
Usagers livrés à eux-mêmes dans ce contexte : risques.......................................................48
3.3. Vers l'avenir : des usagers à accompagner, qui souhaitent un développement des systèmes
participatifs....................................................................................................................................49
3.3.1. Des usagers à encadrer...................................................................................................49
Quelle liberté à l'usager ? Pour l'archiviste, savoir lâcher du lest........................................49
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 6/103
La difficulté du contrôle.......................................................................................................50
3.3.2. Des usagers à former et accompagner............................................................................51
Comment former les usagers ?.............................................................................................51
L'accompagnement : pousser l'usager à aller plus loin........................................................52
3.3.3. Des usagers qui souhaitent plus de sources et une mutualisation plus poussée.............53
Les demandes des usagers : extension des fonds ouverts, homogénéisation.......................53
La marche vers la mutualisation...........................................................................................54
CONCLUSION..................................................................................................................................56
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................58
ANNEXE 1 : RECENSEMENT DES SYSTÈMES PARTICIPATIFS SUR LES SITES WEB DES
ARCHIVES MUNICIPALES ET DÉPARTEMENTALES...............................................................66
ANNEXE 2 : ENTRETIENS AVEC LES ARCHIVISTES...............................................................69
Archives départementales de la Seine-Maritime..................................................................71
Archives départementales de la Vendée...............................................................................80
Archives municipales et Communautaires d'Orléans...........................................................85
Archives municipales de Saint-Étienne................................................................................93
ANNEXE 3 : QUESTIONNAIRE À DESTINATION DES GÉNÉALOGISTES............................96
ANNEXE 4 : SERVICES D'ARCHIVES PRÉSENTS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX.............103
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 7/103
INTRODUCTION
La généalogie, science de l'origine et de l'étude de la composition des familles, n'a à ce jour jamais
fait autant d'adeptes en France. C'est du moins ce qu'affirme un article du journal Le Monde paru en
mars 2019, qui estime que la pratique de ce loisir concerne cinq millions de français1
. La quasi-
totalité de ces pratiquants amateurs sont présents sur Internet, où ils disposent de bases de données
toujours plus importantes. Le développement de celles-ci résulte de l'indexation des fonds présents
dans les services d'archives communaux et départementaux, long processus qui a accompagné le
développement du Web participatif et en a utilisé l'un des principes fondateurs : l'usager, loin d'être
un lecteur passif, est à présent un contributeur. C'est par son action que ces bases de données ont pu
être construites.
La généalogie est une pratique qui pendant longtemps a demandé un investissement lourd pour
localiser les sources nécessaires, y accéder, les déchiffrer et les exploiter correctement. La
dématérialisation et la mise en ligne permettent aux sources d'être plus proches des pratiquants. Les
contributions des usagers sur ces documents ont pour but de les rendre encore plus accessibles. Il
importe de s'interroger sur les conséquences de ce changement d'environnement sur les pratiques à
partir de la question suivante :
En quoi le développement de ces systèmes participatifs modifie-t-il les pratiques des généalogistes
amateurs ?
Etudier la pratique, c'est à dire la manière de faire2
, implique d'analyser l'emploi des techniques
ainsi que les comportements, les attitudes et les représentations des invidus qui se rapportent à un
outil donné, ici les systèmes collaboratifs proposés par les services d'archives territoriaux. Pour
cela, il est nécessaire d'envisager les pratiques effectives mais aussi celles que les généalogistes
aimeraient développer. L'évolution des profils d'usagers est également à prendre en compte.
Ces pratiques sont observées quotidiennement par les archivistes territoriaux, qui sont les premiers
interlocuteurs des généalogistes amateurs. Ce sont eux qui mettent à disposition les systèmes
participatifs, aident les usagers à les utiliser et surtout reçoivent leurs commentaires. Un examen des
1 Catherine Rollot, « Généalogie : grâce au numérique et à l’ADN, les Français se prennent de passion pour leurs
origines », lemonde.fr, mars 2019 [en ligne : https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/03/15/genealogie-une-
passion-francaise_5436238_4497916.html]. Consulté le 15 mai 2019
2 Jacques Perriault, La logique de l’usage. Essai sur les machines à communiquer, Paris, L’Harmattan, 2008 (1989)
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 8/103
sites Web des trente-cinq services d'archives territoriaux français qui proposent actuellement des
systèmes participatifs a donc été effectué en janvier 20193
.
Ensuite, l'étude de l'évolution des pratiques face au développement de ces systèmes passe par
l'interrogation des professionnels. Quatre services d'archives qui disposent d'une expérience notable
dans la participation ont ainsi été interrogés en janvier et février 2019 : Orléans et Saint-Étienne
(Archives municipales), ainsi que la Seine-Maritime et la Vendée (Archives départementales)4
.
L'interrogation des généalogistes eux-mêmes apporte également un éclairage intéressant sur leurs
pratiques face aux outils collaboratifs. Un questionnaire élaboré par nos soins5
a été diffusé à ce
sujet sur Internet en janvier 2019. L'échantillon s'est avéré réduit, avec 30 personnes au 18 mai
2019, mais permet de connaître directement le point de vue, les pratiques et les souhaits d'usagers,
dont certains ont commencé à pratiquer la généalogie il y a plusieurs dizaines d'années.
L'étude de l'essor de la généalogie amateur est un préalable nécessaire à la compréhension du
développement des systèmes participatifs (1). Il importe de comprendre que ces pratiques ont
d'abord été développées dans d'autres institutions culturelles, avant d'être adaptées aux spécificités
des Archives (2). Enfin, par une analyse du profil et du rôle des usagers dans les systèmes
participatifs, au sein d'un environnement mouvant, l'évolution des pratiques, y compris les souhaits
des usagers, pourra être mise en évidence. (3).
3 Résultats en annexe n°1
4 Grille d'entretien et compte-rendus en annexe n°2
5 Résultats en annexe n°3
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 9/103
1. La généalogie amateur, un loisir en plein essor aux
pratiques collaboratives anciennes
La généalogie, longtemps réservée aux notables, touche à présent une large partie de la population
(1.1), en grande majorité d'ascendance modeste et amenée à travailler sur des sources d'accès
complexe (1.2). La mise en place de pratiques collaboratives constitue une première réponse à cette
difficulté (1.3).
1.1. Une démocratisation récente
1.1.1. La généalogie, étude des familles6
Le terme français « généalogie » provient du bas latin genealogia, emprunt du grec γενεαλογία
(genealogía), composé de γενεὰ (geneá), génération, et λόγος (lógos), traité, discours. Il s'agit donc
du discours sur les générations. Aujourd'hui ce mot comporte trois sens différents. Il désigne en
premier lieu le dénombrement, la liste des membres d'une famille établissant une filiation. En
deuxième lieu, la généalogie est la science qui a pour objet la recherche de l'origine et l'étude de la
composition des familles. Enfin, le terme désigne le document qui représente cette filiation.
La deuxième acception est celle qui sera prise en compte ici, du point de vue du généalogiste
amateur qui étudie ses ancêtres et leurs collatéraux. Il s'agit d'une science peu étudiée au niveau
universitaire. Il est possible de citer cinq auteurs principaux, que sont Léo Jouniaux, Gildas
Bernard, Patrice Cabanel, Marie-Odile Mergnac et Jean-Louis Beaucarnot. Ce dernier définit dans
son ouvrage La Généalogie7
les bases de la discipline. Deux d'entre-elles sont d'une importance
majeure : les ancêtres retrouvés en France sont géographiquement dispersés, et surtout sont à 90 %
6 Dictionnaire Littré, « généalogie », littre.org [en ligne : https://www.littre.org/definition/g%C3%A9n
%C3%A9alogie]. Consulté le 12 mai 2019.
Dictionnaire de français Larousse, « généalogie », larousse.fr [en ligne :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/g%C3%A9n%C3%A9alogie/36504]. Consulté le 12 mai 2019.
TLFI, « généalogie », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/g%C3%A9n%C3%A9alogie]. Consulté le
12 mai 2019.
7 Jean-Louis Beaucarnot, La Généalogie, Paris, PUF, 2003, introduction, paragraphe 11
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 10/103
ruraux. Cette dernière affirmation prendra toute son importance avec la démocratisation de la
généalogie, phénomène datant des années 1970.
1.1.2. La démocratisation de la généalogie amateur
En France, la généalogie s'est longtemps cantonnée aux classes aisées : sous l'Ancien Régime la
noblesse défendait ses acquis avec des généalogistes officiels qui débusquaient les faux nobles. Au
XIXe siècle, la bourgeoisie en forte ascension sociale se cherchait une origine particulière (sang
noble, ancêtre migrant) en vue de se démarquer. De cette époque datent les nobiliaires, armoriaux et
dictionnaires des familles notables. Cette omniprésence des familles aisées se prolongera jusqu'aux
années 1970 :
"Il faut attendre la deuxième moitié des années 70 pour voir le souci généalogique cesser
d'appartenir aux aristocrates (...) et envahir la France, presque soudainement." La prise de conscience
du phénomène chez les responsables des dépôts d'archives est (...) datable : le Rapport annuel sur
l'activité des Archives nationales, à Paris, note en 1975, pour la première fois, que "le nombre des
généalogistes s'est accru de manière importante, très particulièrement au cours du second semestre
de 1974", remarque l'universitaire toulousain Patrice Cabanel devenu l'historien de cette "Révolution
généalogique"8
.
Ainsi, aux Archives départementales, on passe de 41 000 lecteurs en 1970 à 140 000 en 1992, en
très grande majorité des généalogistes (85 % des lecteurs en 1985). Selon un sondage SOFRES de
2001 cité par Jean-Louis Beaucarnot, cinq millions de français se déclarent sensibles à la
généalogie9
. On invoque trois explications face à cet engouement, fortement liées entre elles.
1.1.3. Pourquoi un tel essor ?
L'explication principale s'appuie sur les nombreux déracinements qui ont eu lieu depuis le début de
l'époque contemporaine (1789)10
: les départements qui ont connu un fort taux d'exode rural sont les
plus concernés par la passion généalogique. Il s'agit du passage d'un monde où les familles vivaient
sur les mêmes terres et exerçaient les mêmes professions, à un univers citadin aux mobilités
géographique et professionnelle fortes. Ces évolutions pèsent sur la mémoire familiale. Les visites
au cimetière sont moins nombreuses, en raison de la dispersion géographie ; les veillées paysannes,
où se racontaient les événements marquants de la communauté, ne sont plus. Le souvenir, devenu
8 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 1, paragraphe 24
9 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 1, paragraphe 29
10 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 1, paragraphe 32
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 11/103
chose intime, est peu évoqué11
. Jean-Louis Beaucarnot estime que la démocratisation de la
généalogie est liée au rejet de cet anonymat et de ce déracinement, à une idée de retour à la terre12
.
La deuxième explication découle naturellement de la précédente. Elle s'appuie sur un « repli
historicisant et réactionnaire13
», lié à une passion marquée des français pour l'histoire. De fait, la
France fait figure de précurseur au plan mondial, suivie par d'autres pays ou régions francophones
tels que la Belgique, la Suisse et le Québec. L'autre argument-clé lié à cette explication est donné
par l'anthropologue Dominique Desjeux14
. Il s'agit de l'importance accordée à la filiation familiale
alors que l’alliance, le mariage, est devenu instable et contractuel depuis les années 196015
.
La montée en puissance du troisième âge est la troisième explication donnée par Jean-Louis
Beaucarnot. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la part des
plus de 60 ans dans la population est passée de 19 à 24,9 % de 1991 à 201616
. Cette possibilité de
faire de l'histoire peut servir à combler la blessure de ne pas avoir pu suivre des études dans sa
jeunesse, sachant que seulement 18,4 % des 60-64 ans sont diplômés de l'enseignement supérieur en
201217
. La retraite qui amène du temps libre à des personnes d'une meilleure santé que leurs
ancêtres au même âge18
, provoquerait cette augmentation du nombre de chercheurs.
De ces trois explications découlerait l'idée de généalogistes âgés, retraités, qui ont suivi peu d'études
et originaires de départements qui ont connu un fort taux d'exode rural. Cette analyse est à
confronter aux enquêtes menées sur le terrain pour caractériser cette population.
11 Marie-Odile Mergnac, La Généalogie. Une passion française, Paris, Autrement, 2003
12 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 1, paragraphe 36
13 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 1, paragraphe 36
14 Dominique Desjeux, « La recherche généalogique : de la quête des origines au besoin de transmettre »,
argonautes.fr, 2011 [en ligne : http://www.argonautes.fr/uploads/uploads/documents/
2011_09_CONF_GENEALOGIE_RESULTATS.pdf]. Consulté le 8 février 2019
15 INSEE, « Mariages - PACS - divorces », insee.fr, 2018 [en ligne: https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303338?
sommaire=3353488]. Consulté le 7 mai 2019
16 INSEE, « Population par âge », insee.fr, 2016 [en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906664?
sommaire=1906743]. Consulté le 7 mai 2019
17 Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, « Le niveau d'étude de la population et
des jeunes », 2013 [en ligne : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/7/EESR7_ES_19-
le_niveau_d_etudes_de_la_population_et_des_jeunes.php]. Consulté le 7 mai 2019
18 INSEE, « Espérance de vie - mortalité », insee.fr, 2018 [en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303354?
sommaire=3353488]. Consulté le 7 mai 2019
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 12/103
1.2. Une population âgée et connectée, qui travaille sur des sources difficiles
d'accès
1.2.1. Une population âgée et connectée
Trois enquêtes : 2006, 2011 et 2014
Il s'agit ici d'étudier le généalogiste amateur en tant qu'usager de l'information, c'est à dire une «
personne qui fait en sorte d'obtenir, de la matière information, la satisfaction d'un besoin
d'information19
. » Trois études ont eu lieu sur cette population. Il importe de préciser que ces trois
enquêtes se concentrent sur les généalogistes qui ont accès à Internet.
L'étude sur les usages de l'internet par les généalogistes réalisée en décembre 2006 par
Médiamétrie//NetRatings à la demande du ministère de la Culture et de la Communication20
souffre
d'un échantillon faible (329 personnes), et de résultats diffusés uniquement sous forme d'un résumé,
ce qui implique de la prudence pour leur interprétation.
L'enquête « La recherche généalogique : de la quête des origines au besoin de transmettre » (2011)
a été réalisée conjointement par le site EtudeGenealogie.com et l'Université Paris Descartes, sous la
direction de Dominique Desjeux21
. Il s'agit d'une enquête quantitative réalisée en ligne sur une
population de 9 465 génalogistes, et d'une enquête qualitative de 17 entretiens.
Enfin, une enquête du Service interministériel des Archives de France (SIAF) sur les lecteurs, les
internautes et le public des activités culturelles dans les services publics d’archives a été menée en
2014. 18 000 réponses ont été obtenues, résultats qui demandent une certaine vigilance : les
répondants sont des personnes informatisées, qui connaissaient l'existence des sites institutionnels.
Un public âgé, qui s'est féminisé, composé d'internautes autodidactes
L'enquête de 2006 indique que 21 % des généalogistes ont plus de 55 ans. En 2014, un âge moyen
de 60 ans est calculé. La répartition des sexes tend à confirmer la remarque de Charles Hervis selon
laquelle la généalogie se serait largement féminisée22
: en 2011, elle concerne autant d'hommes que
de femmes. En 2014, six généalogistes sur dix sont des hommes. L'enquête de 2011 affirme que
plus de la moitié des usagers vivent dans des communes de moins de 20 000 habitants.
19 Yves Le Coadic, Usages et usagers de l'information, Paris, Nathan, 1997, p. 59
20 Médiamétrie//NetRatings, « Étude sur les usages de l’internet par les généalogistes », francearchives.fr, décembre
2006 [en ligne : https://francearchives.fr/file/97b808e902a6f776d4dc0098934ed0141bcb97ab/static_3201.pdf].
Consulté le 5 mars 2019
21 Dominique Desjeux, op. cit.
22 Charles Hervis, 2012, « Généalogie : les nouvelles demandes du collectionneur, de l’enquêteur et de l’historien »,
La Gazette des archives, 2012, vol. 227, no 3, p. 27-32
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 13/103
Selon les chiffres de l'enquête de 2011, un total de 45 % des généalogistes ont un niveau d'études
allant de bac + 2 à Bac + 8, 17 % ont le bac, 45 % le certificat d'études. Leurs pratiques culturelles
sont plus intenses que la moyenne des français : ils lisent ainsi quotidiennement la presse (45 %) ou
des livres (37 %). Ils sont souvent autodidactes : 62 % se déclarent comme tel en 2011. Cette même
enquête indique qu'une courte majorité d'entre-eux pratiquent la généalogie de manière
occasionnelle, soit moins de 3 heures par semaine, souvent des femmes jeunes à bas revenu (50,90
%). Un autre groupe, dénommé « amateurs » est composé de personnes qui pratiquent de 4 à 19h
par semaine (29,20 %). Enfin, on trouve les quasi-professionnels qui pratiquent 20h et plus par
semaine, hommes âgés qui appartiennent à la classe moyenne ou supérieure (7,5 %).
Leurs modes de recherche démontrent selon l'enquête de 2011 une forte prédominance de
l'utilisation d'Internet (69,10 % consultent les actes en ligne), mais aussi des visites dans les services
d'archives pour plus de la moitié d'entre-eux (53,40 %). Les discussions avec les membres de la
famille sont fréquentes (48,50 %). La motivation diffère fortement en fonction de l'âge, et va de la
recherche des origines pour les plus jeunes à la volonté de transmission pour les plus âgés. On
remarque surtout que la recherche de lien social est présente dans toutes les tranches d'âge :
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 14/103
Figure 1: Dominique Desjeux, « La recherche généalogique : de la quête des origines au
besoin de transmettre », argonautes.fr, 2011 [en ligne :
http://www.argonautes.fr/uploads/uploads/documents/2011_09_CONF_GENEALOGIE_
RESULTATS.pdf]. Consulté le 8 février 2019
42 % des usagers utilisent Internet pour leur pratique en 2006, dont 64 % depuis plus de cinq ans.
L'enquête de 2014 confirme ces éléments en indiquant que huit généalogistes sur dix se connectent
quotidiennement. Les sites des Archives publiques étaient peu connus en 2006 (21 % des usagers).
Les sites privés avaient plus de notoriété : 43 % des usagers se connectaient alors à Geneanet au
moins une fois par mois. L'enquête de 2014 note cependant qu'en termes de fréquentation des
Archives, les salles de lecture virtuelles sont 140 fois plus fréquentées que les salles de lecture
physiques.
Le profil du généalogiste a ainsi peu évolué entre 2006 et 2014 : ce sont en majorité des usagers de
plus de soixante ans, hommes et femmes à parts égales, vivant dans des villes de moins de 20 000
habitants, avec un niveau d'études inférieur ou égal au bac dans une courte majorité. Ils ont une
appétence pour la culture et sont autodidactes. Surtout, ils ont une utilisation importante d'Internet
pour consulter des actes, au point que le terme de « généanaute », contraction de « généalogiste » et
d'« internaute » est devenu courant. Ces comportements semblent avoir pris plus d'importance au
fur et à mesure que les services d'archives ont mis en ligne les sources qui intéressent les
généalogistes.
1.2.2. Des sources difficilement exploitables
L'extension de la pratique généalogique à une population qui descend en grande partie de modestes
familles paysannes a fait évoluer la demande en ce qui concerne les sources. Auparavant, les
généalogies imprimées et nobiliaires en constituaient les principales : rédigés, organisés, avec le but
de démontrer des origines illustres, ces derniers étaient facilement exploitables et faisaient
références à des personnages présents dans des sources historiques. De même, ces ancêtres lettrés
produisaient des écrits.
Dans un ouvrage publié en 1998, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d'un
inconnu (1798 - 1876), l'historien Alain Corbin tente de reconstituer la vie d'un sabotier normand
analphabète du XIXe siècle, qui a laissé peu de traces visibles aujourd'hui. L'auteur y évoque la
difficulté à exploiter le peu de sources où il apparaît :
Il n'a été mêlé à aucune affaire d'importance. Il ne figure sur aucun des documents judiciaires qui ont
échappé à la destruction. Il n'a jamais fait l'objet d'une surveillance particulière de la part des
autorités. Aucun ethnologue n'a observé ses manières de dire ou de faire23
.
23 Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798 - 1876), Paris,
Flammarion, 1998, p. 7
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Les sources utilisées par Alain Corbin se divisent en deux parties. En premier lieu, celles où
apparaît de façon certaine Louis-François Pinagot, dans l'ordre de recherche l'état-civil, les
recensements de population, les sources militaires, les archives notariales et cadastrales. En second
lieu, les sources où il est possible qu'il apparaîsse, ou qui donnent des indications sur son
environnement : documents judiciaires, administratifs et monographies locales. Ces documents,
auxquels s'ajoutent les photographies, correspondent aux sources utilisées par la majorité des
généalogistes amateurs à ce jour. Ainsi, l'enquête menée par Dominique Desjeux en 2011 indique
que 86,90 % des généalogistes ont utilisé comme première source l'état-civil, suivi des
photographies (27,40 %) et des archives notariales (17,40 %)24
.
Ces sources ne sont pas accessibles de manière aisée. Elles sont disponibles en un exemplaire
unique - au mieux deux pour l'état-civil - et conservées dans des dépôts d'archives à identifier en
amont. Elles ont subi les aléas de l'histoire tels que guerres, pertes, destructions volontaires et
catastrophes naturelles. Il faut se déplacer sur les lieux de conservation, au risque d'être déçu si le
document recherché n'est plus. Lorsqu'enfin ces documents sont entre les mains du généalogiste
amateur, celui-ci doit passer outre leur caractère administratif : ils n'ont en effet pas été rédigé dans
un but de recherche historique, mais bien pour la bonne marche du travail des autorités publiques
et / ou pour garantir des droits. L'écriture et les abréviations utilisées sont souvent illisibles sans
formation, surtout pour les sources les plus anciennes. Dans certaines régions, la langue utilisée
peut être un obstacle. Sachant que, pour rappel, plus de la moitié des généalogistes amateurs ont
appris leur pratique en autodidacte, la recherche en particulier au-delà de l'état-civil peut s'avérer un
véritable parcours du combattant. D'où la nécessité vite ressentie d'une entraide.
1.3. Un public aux pratiques collaboratives anciennes
1.3.1. La démocratisation a amené des pratiques collaboratives
La collaboration est la « particip[ation] à l'élaboration d'une œuvre commune25
. » Les généalogies
imprimées et nobiliaires constituent les plus anciennes pratiques collaboratives, mais comme
précisé précedemment ces documents concernent uniquement les familles de notables. On note la
présence d'initiatives isolées, telle que la reconstruction de l'état civil de Paris après la destruction
des registres lors de la Commune de 1871. Au sein des sources, les tables décennales et répertoires
des notaires, qui recensent les documents par nom sur une période donnée sont une première forme
24 Dominique Desjeux, op. cit.
25 TFLI, « collaboration », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/collaboration]. Consulté le 17 mai 2019
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d'indexation. Celle-ci a cependant un but professionnel. La quasi-totalité des indexations à
destination des généalogistes du dernier tiers du vingtième siècle est l'œuvre des associations.
La première association généalogique de France est née en 1954. A suivi en 1968 la Fédération
Française de Généalogie, dont la grande majorité des associations sont membres. Aujourd'hui, on
compte plusieurs centaines d'associations26
qui publient des bulletins et tiennent des permanences
décentralisées. Elles encadrent des travaux collectifs menés par des généalogistes, qui consistent en
des dépouillements d'acte, essentiellement l'état civil et les notaires, qui demandent des
connaissances en paléographie. Les premières publications datent de 198227
. Le développement de
logiciels de dépouillement a facilité cette tâche, en permettant au volontaire de travailler chez lui.
Ces relevés sont ensuite mis en ligne sur les sites des associations. Ils sont souvent vendus de façon
dématérialisée ; il s'agit là d'une source de revenus pour les associations. Ils sont la plupart du temps
versés aux Archives municipales ou départementales qui ont fourni les copies des documents.
Les associations souffrent cependant de trois faiblesses28
: une grande partie des généalogistes n'en
sont pas membres (en raison du coût, de l'ignorance de leur existence ou d'un manque d'intérêt).
Elles sont soumises à des querelles de personnes et d'influences. Enfin, la Fédération connaît des
difficultés pour centraliser des travaux éparpillés entre les différentes associations.
1.3.2. L'arrivée d'Internet a rapproché sources et usagers
L'essor d'Internet a permis aux généalogistes de contourner ces difficultés. C'est un outil qui est
dans une « parfaite adéquation avec les besoins et mentalités généalogiques (échanges,
informations, gratuité ...)29
.» Son utilisation pour les besoins des généalogistes a commencé aux
États-Unis avec la base Family Search de l'Église des Saints des Derniers Jours ou Mormons, qui
réunit des microfilms réalisés à partir des archives du monde entier. Ce site comporte également un
index général international des patronymes recensés et dépouillés et des « fiches d’ancêtres »
enregistrées, en vue d’échanges, par les membres de l’Église ou d’autres généalogistes. Le Québec
a rapidement suivi avec le site Francêtres, puis la France en 1996 avec Généanet, qui permet de
déposer son arbre généalogique en ligne.
Internet a apporté trois avancées majeures : la mise en ligne de documents d'archives, qui permet
d'effectuer des recherches depuis chez soi ; la mise en ligne de dépouillements sur des sites
26 Jean-Louis Beaucarnot, La Généalogie, Paris, PUF, 2003, chapitre 1, paragraphe 24
27 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 1, paragraphe 59
28 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 3, paragraphe 8
29 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 3, paragraphe 67
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centralisés ; surtout, les internautes peuvent partager en ligne leurs propres dépouillements et arbres
généalogiques. Ces trois tendances ne cesseront de progresser au fil du temps. Geneanet comportait
ainsi 78 millions de références patronymiques en 200330
, et 3 milliards fin 201531
. Internet a ainsi
donné une ampleur exceptionnelle à l'entraide. Pauline Moirez note une émulation : plus un
chercheur utilise Internet, moins il a tendance à abandonner sa recherche32
.
Aujourd’hui, de par cette richesse, on peut dire qu’Internet est devenu un des grands outils de travail
du généalogiste, sans pour autant pouvoir être le seul (ce n’est notamment pas lui qui saurait
permettre au débutant de démarrer et ses contenus – aussi riches soient-ils – ne sauraient lui apporter
des éléments à sa portée). Il permet par ailleurs au chercheur en ayant la nécessité de mieux passer
les frontières et offre surtout des possibilités d’échanges quasiment illimitées.33
Cependant, l'information sur le Web n'est pas forcément fiable ; sources et sérieux de l'auteur sont à
vérifier. D'où l'intérêt de consulter les sites des Archives publiques, gardiennes des sources.
La numérisation des sources par les Archives municipales et départementales a pour origine la
difficulté à répondre aux demandes de plus en plus nombreuses des généalogistes. Les salles de
lecture étaient saturées par des personnes venues pour la journée, présentes avant même l'ouverture
de la salle, aux comportements parfois incorrects. Les demandes faites par courrier se voyaient
parfois suivies en cas d'absence de réponse de menaces d'assignation à la Commission d'Accès aux
Documents Administratifs (CADA), comme le rapportent les Archives municipales d'Orléans, qui
ont connu cette situation suite à la réduction de la fréquence d'ouverture de leur salle de lecture.
La mise en ligne des sources utiles aux généalogistes, à commencer par l'état-civil, la plus
demandée, a permis de résoudre cela. Les sites Web ont rapidement vu leur fréquentation exploser :
Dès qu’un service d’archives met en ligne ses collections de registres paroissiaux, d’état civil, de
recensement de la population, la fréquentation du site s’élève aussitôt à plusieurs dizaines de milliers
de connexions par semaine et à plusieurs centaines d’internautes connectés simultanément.34
Pour exemple, aux Archives départementales de Seine Maritime, la mise en ligne de l'état-civil en
2012 a ainsi attiré 4 000 visiteurs uniques par jour. Les services d'archives interrogés affirment que
ces hausses de fréquentations sur Internet se sont accompagnées d'une forte baisse des visites en
salles de lecture : les Archives municipales de Saint-Étienne, qui avaient plus de 500 inscrits vers
30 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 3, paragraphe 71
31 Frédéric Thébault, « 3 milliards de personnes sur Geneanet !», geneanet.org, 12 octobre 2015 [en ligne :
https://www.geneanet.org/blog/post/2015/10/3-milliards-personnes-geneanet]. Consulté le 12 mai 2019
32 Pauline Moirez, « Archives participatives », in Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Paris, éditions du
Cercle de la librairie, 2012, p.187-197
33 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 3, paragraphe 72
34 Françoise Banat-Berger, 2011, « Les archives et la révolution numérique », Le Débat, n°158, 2011, p. 70-82
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2005, en ont à ce jour 200. Cette baisse de fréquentation physique fut bénéfique aux archivistes
comme aux usagers : les professionnels peuvent consacrer plus de temps au classement. Le public
peut explorer d'autres séries et se déplace pour celles non numérisées. Surtout, les usagers ont
développé de nouvelles pratiques et de nouvelles demandes.
1.3.3. Les conséquences : nouvelles pratiques, nouvelles demandes
En 2012, Pauline Moirez recensait « plus de 174 millions de pages d'archives et 1 million d'images
(...) mises en ligne par 128 services d'archives ; 80 départements sur les 101 départements français
mettent des archives numérisées à disposition du public sur le Web.35
» Par conséquent, la recherche
se pratique à présent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. L’entraide entre généalogistes suit le même
mouvement : tous les jours et à toute heure36
. Cependant, les généalogistes vont rapidement
souhaiter le perfectionnement de ce qui leur est proposé.
Le document d'archives est spécifique par le fait qu'il est unique, contrairement par exemple aux
monographies qui sont produits en un grand nombre d'exemplaires. Cela rend complexe sa
description exhaustive, qui ne peut s'appuyer sur des catalogues collectifs et des échanges de
données comme en bibliothèque37
.
Dans un article de 2010, Isabelle Chave38
écrit que parmi les questions les plus récurrentes posées
par le public des Archives départementales figure celle de la faiblesse des instruments de
recherche : manque d’index des noms de personnes et de lieux, manque d’exhaustivité, nécessité de
dépouillements affinés. Pour les fonds judiciaires, par exemple, les usagers demandent des
dépouillements par affaire et par acte, avec indexation fine par nom des parties et par délit.
Dans le même article, Isabelle Chave signale qu'une volonté de participation se fait jour. Pour les
fonds notariés, les lecteurs demandent des mises à jour rapides et souhaitent signaler les minutes
(originaux des actes) lacunaires. Cela va de pair avec le développement des nouvelles communautés
de généalogistes qui entrent en contact entre eux via le Web et signalent les erreurs techniques aux
services39
. De même, il y a une réelle curiosité du public pour le travail des archivistes, illustrée par
le nombre de personnes présentes aux visites des Journées du Patrimoine observé par les Archives
municipales de Saint-Étienne.
35 Pauline Moirez, op. cit.
36 Charles Hervis, 2012, « Généalogie : les nouvelles demandes du collectionneur, de l’enquêteur et de l’historien »,
La Gazette des archives, 2012, vol. 227, no 3, p. 27-32
37 Pauline Moirez, ibid.
38 Isabelle Chave, « Les questions récurrentes du public face aux fonds d’archives et à leurs instruments de
recherche », La Gazette des archives, vol. 220, no 4, 2010, p. 85-97
39 Françoise Banat-Berger, op. cit.
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De plus, en parallèle du travail des associations et des initiatives institutionnelles, les particuliers à
présent mieux équipés constituent de véritables corpus de documents dématérialisés qui bénéficient
à tous. Dans un article de 201240
, Yann Potin évoque en parallèle « une autre numérisation » déjà
commencée dans les « salles de lecture des dépôts d’archives. Celle-là est réalisée au quotidien par
des centaines d’appareils photographiques personnels. »
Isabelle Chave évoquait en 2011 l'opportunité pour les archives de collaborer avec les usagers pour
consolider et diffuser les données indexées, pour répondre aux demandes auxquelles elles sont
confrontées :
Le profil très généalogiste des usagers des Archives départementales engendre une approche
nominative et patronymique dans l’exploitation des fonds, reflet de leurs préoccupations. L’une des
voies d’avenir de la fréquentation des services d’archives, sur place ou sur leur site, passera sans
doute par leur capacité à s’engager, quel qu’en soit le moyen, dans le travail d’indexation
patronymique. Disputé aujourd’hui par les sociétés généalogistes, pour l’heure freinées par le
problème de la réutilisation des données publiques, cet enjeu va pousser les services, faute d’effectifs
humains suffisants et de moyens en conséquence, à développer les collaborations extérieures.41
Ainsi, pour mettre en place ces collaborations, les archives ont mis en place des pratiques
participatives, rejoignant ainsi les autres institutions culturelles telles que bibliothèques et musées.
40 Yann Potin, « Institutions et pratiques d’archives face à la « numérisation ». Expériences et malentendus », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, 2012, n° 58-4bis, p. 57-69
41 Isabelle Chave, op. cit.
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2. Les pratiques participatives : définition, état de l'art et
applications
La notion de participation a fait l'objet de plusieurs études dans ses applications en bibliothèques,
musées et archives (2.1). Ce sont surtout ces deux premières institutions qui ont inauguré sa mise en
oeuvre (2.2), les archives l'ayant ensuite adaptée à leurs spécificités (2.3).
2.1. La notion de participation dans les institutions culturelles : définition
et état de l'art
2.1.1. La notion de participation
En psychologie sociale, la participation est un « engagement personnel en tant que membre du
groupe pour coopérer et faire progresser d'une part le fonctionnement du groupe comme tel, d'autre
part la réalisation de sa tâche et de ses objectifs42
. » En psychologie de l'éducation, c'est une « action
éducative et pédagogique qui sollicite le concours, l'adhésion de l'enfant, de l'élève dans les
processus de formation et d'enseignement43
. » Ainsi, la participation, action des individus qui fait
progresser le groupe, apporte à ces mêmes individus un gain intellectuel. John Dewey (1859-1952),
philosophe américain pragmatiste, a théorisé la notion de participation au sein de l'espace public.
Pour ce dernier, le désengagement des citoyens s'exprime par l'abstention aux élections. Il proposait
comme solution de laisser le peuple prendre véritablement part aux décisions, en augmentant ses
compétences et en diminuant le rôle des experts44
.
Il importe de différencier la notion de participation de celle de collaboration. Les pratiques des
généalogistes évoquées précédemment relèvent de la collaboration. Des individus qui collaborent
mettent leur travail en commun pour créer quelque-chose, une communauté. Les demandes des
généalogistes vis à vis des institutions, et les réponses de ces dernières, ont mené vers des actions
42 TLFI, « participation », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/participation]. Consulté le 12 mai 2019.
43 TLFI, « participation », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/participation]. Consulté le 12 mai 2019.
44 Raphaëlle Bats, « La participation en bibliothèque : légitimité, formes et enjeux », Bibliothèque(s), n°83, 2016, p.
10-15. [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/67482-83-pratiques-participatives.pdf].
Consulté le 13 mai 2019
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qui relèvent de la participation : les usagers prennent part à quelque-chose qui préexiste, créé en
amont. Il ne s'agit pas d'initiatives communautaires comme cela était le cas au sein des associations,
mais bien d'un travail de grande échelle, où tous peuvent prendre part. La frontière entre les deux
notions reste fine : souvent le terme de « collaboration » est utilisé pour désigner des systèmes
participatifs, et comme cela sera vu dans la troisième partie, la participation peut amener à terme à
la création de communautés.
L'idée de participation a pris une nouvelle dimension avec l'arrivée d'Internet, en particulier le Web
2.0. Cette notion définie par Tim O'Reilly dans son article de 2005 « Qu'est-ce que le Web 2.0 »45
se
base sur la participation des internautes, vus comme des créateurs de données (concept de
produsage défini par Axel Bruns46
) : plus le nombre d'utilisateurs augmente, plus la qualité du
service proposé s'améliore, via la création de données uniques, difficiles à recréer (« la richesse est
dans les données »). L'accent y est mis sur l'intelligence collective. L'usager participe sur trois
points : fonds (information, ressources), forme (personnalisation), description (tags, commentaires),
avec les folksonomies décrites par Thomas Vander Wal en 200447
.
Ce mot issu des termes anglais « folk » (peuple) et « taxonomy » (taxonomie) désigne la
catégorisation réalisée par les internautes : l'utilisateur décrit lui-même les ressources avec des
mots-clés (« tags »), qui deviennent populaires si d'autres les utilisent. Par exemple, une
photographie de paysage peut être décrite par plusieurs tags tels que « mer », « soleil », « montagne
». Quand c'est une structure qui fait appel aux individus, cela devient du crowdsourcing, pratique
qui consiste littéralement à « externaliser (to outsource) une activité vers la foule (crowd) c’est-à-
dire vers un grand nombre d’acteurs anonymes (a priori)48
. »
Il importe de souligner l'usage des moteurs de recherche, deuxième utilisation d'internet après les
courriels. Leur utilisation est simple ; on y indique peu de mots. « L'usage des moteurs de recherche
paraît enfin contagieux : on constate un transfert d’usages ou une contamination, diront certains,
entre les moteurs de recherche sur Internet et les autres systèmes de recherche d’informations49
." »
Cette contagion a touché les institutions culturelles, qui ont dû prendre en compte cette évolution et
45 Tim O'Reilly, « What is Web 2.0 ? », oreilly.com, 2005 [en ligne :
https://www.oreilly.com/pub/a/Web2/archive/what-is-Web-20.html]. Consulté le 13 mai 2019
46 Axel Bruns, Blogs, Wikipedia, Second Life, and Beyond. From production to produsage, New York, Peter Lang,
2008, chapitre 1
47 Thomas Vander Wal, « Folksonomy Coinage and Definition », vanderwal.net, 2007 [en ligne :
http://vanderwal.net/folksonomy.html]. Consulté le 17 mai 2019
48 Thierry Burger-Helmchen et Julien Pénin, « Crowdsourcing : définition, enjeux, typologie », Management &
Avenir, 2011/1 (n° 41), 2011, pages 254 à 269 [en ligne : https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2011-
1-page-254.htm]. Consulté le 21 mai 2019
49 Claire Lebreton, Bibliothèques, tags et folksonomies. L'indexation des bibliothèques à l'ère sociale, Thèse pour le
diplôme de conservateur des bibliothèques, ENSSIB, 2008, p. 24
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l'intégrer à leur offre, situation qui a attiré l'attention des chercheurs.
2.1.2. État de l'art des études sur les bibliothèques et musées : une visée pratique
La notion de pratiques participatives est depuis les années 2000 une question majeure pour les
bibliothèques. La revue de l'Association des Bibliothécaires de France (ABF), Bibliothèque(s), a
édité plusieurs numéros sur ce sujet. S'y trouve l'article de Raphaëlle Bats, conservateur des
bibliothèques, « La participation en bibliothèque : légitimité, formes et enjeux », qui expose
l'historique de ces pratiques, les catégorise et en étudie la légitimité pour les bibliothèques50
. Le
numéro de 2016 de la revue de l'ABF, consacrée à l'innovation, comporte nombre d'éléments sur la
participation des usagers, dont des articles sur les moyens de mettre en oeuvre cette notion :
pilotage de l'innovation51
, design-thinking52
, animation de communautés53
.
Il s'agit ici d'articles à visée principalement pratique, à destination des professionnels. À noter
l'importance de la notion de Web 2.0, étudiée en 2008 dans la thèse pour le diplôme de conservateur
des bibliothèques de Claire Lebreton, qui reprend l'historique des folksonomies en bibliothèques et
étudie les expériences menées, notamment l'idée de bibliothèque 2.054
Dans les musées, l'article de Rémi Mencarelli, « Web 2.0 et musées : les nouveaux visages du
visiteur » (2012) explique les raisons et apports de l'utilisation du Web 2.0, et donne des exemples
d'applications, surtout américains : réseaux sociaux, folksonomies, oeuvres d'arts créées par les
visiteurs55
. La Documentation Française a édité en 2018 un ouvrage synthétique sur la participation
dans les musées56
. Y est étudiée l'histoire de cette participation des publics, ainsi qu'une évaluation
des méthodes utilisées. Une telle synthèse n'existe pas pour les institutions d'archives.
50 Raphaëlle Bats, « La participation en bibliothèque : légitimité, formes et enjeux », Bibliothèque(s), n°83, 2016, p.
10-15. [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/67482-83-pratiques-participatives.pdf].
Consulté le 13 mai 2019
51 Christelle Di Pietro, « Piloter l’innovation en bibliothèque : pourquoi, comment ? », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016,
p. 6-11.
52 Nicolas Beudon, « Le design thinking : une méthode pour innover centrée sur les usagers », Bibliothèque(s), nᵒ
85/86, 2016, p. 69-71
53 Pauline Bénéteau, « Quand l’usager fait la médiathèque : l’exemple de la Médiathèque entre Dore et Allier »,
Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 20-24
Annie Le Guern-Porchet, . « Une communauté d’échanges et de savoir », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 16-19
54 Claire Lebreton, op. cit.
55 Rémi Mencarelli, « Web 2.0 et musées : les nouveaux visages du visiteur ». Décisions Marketing, nᵒ 65, 2 mars
2012, p. 77-82 [en ligne : https://doi.org/10.7193/DM.065.77.82]. Consulté le 8 février 2019
56 Alexandre Delarge, Le musée participatif. L'ambition des écomusées, Paris, La Documentation Française, 2018
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2.1.3. État de l'art sur la participation en archives
Historiques et états des lieux
Il existe cependant plusieurs historiques et états des lieux des pratiques participatives dans les
archives françaises. L'article de 2012 de Pauline Moirez57
est à ce titre majeur. Il s'agit d'un état des
lieux exhaustif sur le participatif en France, en comparaison avec les Pays-Bas, les Etats-Unis et le
Royaume Uni. Il décrit les spécificités du document d'archives et le profil des généalogistes. Deux
autres publications sont à retenir : tout d'abord, l'article de Yann Potin « Institutions et pratiques
d’archives face à la "numérisation". Expériences et malentendus » (2012)58
fournit un historique
succinct de l'informatisation des archives et présente les problèmes liés à l'indexation, notamment
du point de vue financier. Les principales expériences participatives dans les structures culturelles
ont été réunies en 2013 par Pauline Moirez, Jean-Philippe Moreux et Isabelle Josse dans un état de
l'art en matière de crowdsourcing dans les bibliothèques numériques, dans le cadre d’un projet de
Recherche & Développement pour la conception d’une plateforme de correction collaborative et
d’enrichissement des documents numérisés59
. Ce document recense également les différentes
catégories de systèmes participatifs ainsi que leurs applications dans l'ensemble des institutions
culturelles. Enfin, l'article d'Edouard Bouyé « Le Web collaboratif dans les services d’archives
publics : un pari sur l’intelligence et la motivation des publics » (2012)60
fait le point sur la liberté
laissée au public et surtout pose la question de la mutualisation des données ainsi créées, élément
qui prendra de l'importance dans les années suivantes avec les entreprises privées et le Web de
données (Web 3.0).
Quels systèmes ? Retours sur expériences
Les professionnels sont à l'origine d'articles à visée pratique qui décrivent les expériences menées
dans leurs structures, et les conclusions à en tirer. En 2013, Christelle Bruant décrit les actions
mises en place aux archives municipales d'Orléans61
, et surtout les motivations pour choisir les
fonds ouverts au participatif, avec notamment l'idée de faire découvrir de nouveaux documents aux
57 Pauline Moirez, « Archives participatives », Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Paris, Editions du
Cercle de la librairie, 2012, p. 187-197
58 Yann Potin, « Institutions et pratiques d’archives face à la « numérisation ». Expériences et malentendus », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, 2012, no 58-4bis, p. 57-69
59 Pauline Moirez, Jean-Philippe Moreux et Isabelle Josse, « État de l'art en matière de crowdsourcing dans les
bibliothèques numériques », ENSSIB Études et enquêtes, 2013 [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-
numerique/documents/61092-etat-de-l-art-en-matiere-de-crowdsourcing.pdf]. Consulté le 13 mai 2019
60 Édouard Bouyé, « Le Web collaboratif dans les services d’archives publics : un pari sur l’intelligence et la
motivation des publics », La Gazette des archives, 2012, vol. 227, no 3, p. 125-136
61 Christelle Bruant, « Un pari pour l'avenir ? Le travail collaboratif avec les usagers des archives municipales
d'Orléans », La Gazette des Archives, n°232, 2013, p. 153-162
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usagers. L'idée de rendre les archives vivantes, de nouer des relations nouvelles avec le public sont
d'autres raisons invoquées, cette fois-ci en Vendée par Emmanuelle Roy, dans une intervention à un
colloque de 2017, où elle décrit les différentes formes de participation proposées et des retours sur
expérience62
. Enfin, dans un article de la même année, Emmanuelle Roy présente en détail un
programme d'indexation sur les matricules militaires 1887 - 192163
.
La redocumentarisation : la question de la liberté laissée à l'utilisateur
La recherche sur l'accès aux archives s'est penchée de manière précoce sur la notion de
redocumentarisation, popularisée par Jean-Michel Salaün dans un article de 2007 « La
redocumentarisation, un défi pour les sciences de l'information ? »64
. Il s'agit donc ici de retraiter un
document ou un ensemble de documents numérisés de façon à les enrichir de métadonnées
nouvelles et à réarranger et relier leur contenu. Dès 2003, Bertrand Coüasnon et Jean Camillerapp
constatent la saturation des salles de lecture, à l'origine de la dématérialisation. Ils indiquent que la
recherche est difficile sans indexation. Ils comparent les types d'annotation : automatique (via la
reconnaissance de caractère) et manuelle, qui doit se faire directement par le lecteur pour éviter un
coût humain et financier bien trop élevé65
.
En 2006, en prenant l'exemple de la banque de données d'images des Archives Nationales des Pays-
Bas66
, Seth Van Hooland met en évidence les différences entre l'indexation classique et les
folksonomies, notamment en termes de liberté de l'utilisateur, quasiment totale dans le cas des
folksonomies. Il y recense des problèmes de polysémie et de synonymie qui provoquent bruit et
silence. Il note cependant que 34% des commentaires visent à corriger les métadonnées des images,
soit une autocorrection de la part de la communauté. En 2017, Ana Margarida Dias da Silva pose
cette question de la folksonomie dans le domaine des archives en France. Elle évoque l'indexation
collaborative et les archives participatives à travers leurs spécificités, face au public généalogique,
et s'appuie sur les articles d'Edouard Bouyé et Pauline Moirez pour constater que les systèmes
français ne constituent pas réellement des folksonomies mais bien des systèmes plus limités et
62 Emmanuelle Roy, « L'apport du travail collaboratif des chercheurs à la mise en valeur des archives : l'expérience
des Archives départementales de la Vendée », contribution au colloque Conservation et réutilisation des archives à
l’ère du numérique, les expériences de la Chine et de la France, Paris, 2017
63 Emmanuelle Roy, « Construire des pratiques collaboratives dans les archives : l'exemple de Soldats de Vendée », La
Gazette des Archives, n°245, 2017, p. 264-275
64 Jean-Michel Salaün, « La redocumentarisation, un défi pour les sciences de l'information ? », Études de
Communication, n° 30, 2007, p. 13-23
65 Bertrand Coüasnon et Jean Camillerapp, « Accès par le contenu aux documents manuscrits d’archives numérisés,
Abstract », Document numérique, 2003, vol. 7, no 3, p. 61-84
66 Seth Van Hooland, « From Spectator to Annotator: Possibilities Offered by User-Generated Metadata for Digital
Cultural Heritage Collections ». Proc. CILIP Catalog Indexing Group, 2006 [en ligne :
https://www.researchgate.net/publication/265233235_From_Spectator_to_Annotator_Possibilities_offered_by_Use
r-Generated_Metadata_for_Digital_Cultural_Heritage_Collections]. Consulté le 13 mai 2019
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dirigés67
.
Les attentes du public
Isabelle Chave a étudié les attentes du public dans un article de 201068
, qui souligne des difficultés
surtout liées à l'appréhension des fonds et à l'obsolescence des outils. Elle y évoque le manque
d'index des documents et l'absence d'uniformité des systèmes, et conclut que la coopération avec le
public est nécessaire pour créer ces index. Postérieurement, deux autres articles étudient l'évolution
des attentes avec la numérisation des archives : en 2011, Françoise Banat-Berger publie une étude
sur la numérisation des archives et la hausse de fréquentation des sites Web qui a suivi. Elle y étudie
la participation volontariste du public (signalement d'erreurs)69
. En 2012, Charles Hervis analyse
l'évolution des pratiques et attentes des généalogistes avec Internet : un public plus exigeant, qui va
vers de nouvelles sources70
. En 2016, Christelle Bruant (Archives d'Orléans) se penche sur la
question de la communication des services d'archives à l'ère du Web 2.0, et du rôle de l'archiviste
dans ces actions. Elle y insiste sur la fidélisation du public, notamment avec la communication des
apports des contributeurs71
. Cette situation oblige les archives municipales et départementales à
prendre en compte les souhaits de ce public, comme l'ont déjà fait avant eux les bibliothèques et
musées.
2.2. Les expériences participatives en institutions culturelles
2.2.1. Les expériences en bibliothèque : troisième lieu et bibliothèque 2.0
La nécessité d'attirer les publics
La bibliothèque ou médiathèque conserve la mémoire du savoir de l'homme. Elle met l'accent sur la
médiation72
. Elle donne en effet accès au savoir et acquiert des ressources, produit des services à
destination de l'usager. Surtout, elle a un rôle d'intermédiaire entre l'usager et les ressources
documentaires. C'est ici que la notion de participation trouve sa place. Il s'agit de fournir au public
67 Ana Margarida Dias da Silva, « Folksonomies in archives: controlled collaboration for specific documents »,
Ariadne, 2017, vol. 77 [en ligne : http://www.ariadne.ac.uk/issue/77/margaridadiasdasilva/]. Consulté le 14 mai
2019
68 Isabelle Chave, « Les questions récurrentes du public face aux fonds d’archives et à leurs instruments de
recherche », La Gazette des archives, vol. 220, no 4, 2010, p. 85-97
69 Françoise Banat-Berger, « Les archives et la révolution numérique », Le Débat, no 158, 2011, p. 70-82
70 Charles Hervis, « Généalogie : les nouvelles demandes du collectionneur, de l’enquêteur et de l’historien », La
Gazette des archives, vol. 227, no 3, 2012, p. 27-32
71 Christelle Bruant, « Chercher autrement dans les fonds numérisés : contribution du public et rôle de l'archiviste »,
La Gazette des Archives, n°244, 2016, p. 209-222
72 ENSSIB, « Distinction bibliothèque / centre de documentation - documentaire », enssib.fr, 2018 [en ligne :
https://www.enssib.fr/services-et-ressources/questions-reponses/distinction-bibliotheque-centre-de-documentation].
Consulté le 1 février 2019
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ce à quoi il s'attend, mais aussi d'augmenter ses compétences. Attirer le public, car les adhésions
sont en baisse : les bibliothèques connaissent la concurrence des nouveaux loisirs numériques. Les
professionnels ont pris conscience de la nécessité de s'adapter, d'acquérir de nouvelles
compétences : animation d'espaces de mise en relation entre documents et personnes, de
communautés, de blogs et de forums.
Le troisième lieu : mise en oeuvre
Ainsi, le développement rapide des ressources dématérialisées et des réseaux sociaux éloignaient les
publics des bibliothèques. La réponse fut trouvée dans le principe de troisième lieu, lieu où la
communauté peut se rencontrer en dehors de la maison (premier lieu) ou du travail (deuxième lieu).
Ce concept a été développé aux Etats-Unis par le sociologue urbaniste Ray Oldenburg en 198973
. Le
troisième lieu est un espace neutre et vivant qui favorise les rencontres et les échanges informels,
sur un pied d'égalité, entre les membres de la communauté. Il s'agit d'un cadre confortable qui incite
à vivre une expérience de contacts, de découvertes, de débats.
En France, Mathilde Servet a étudié ce concept à partir de 200974
. Elle en dégage trois
caractéristiques : ancrage physique fort, vocation sociale affirmée, nouvelle approche culturelle.
L'on voit ici deux piliers principaux : le premier est celui de la communication, qui vise à attirer le
public dans les bibliothèques, via l'ambiance et les activités. Le second est celui de la participation :
les usagers échangent entre eux, participent à des débats, font connaissance. Ces échanges vont être
encouragés par les bibliothécaires qui, prenant un rôle de facilitateur, vont mettre en place avec les
usagers des activités que ces derniers méneront eux-mêmes.
La mise en place d'actions participatives se base sur l'innovation ouverte, c'est-à-dire des projets
conçus avec les équipes et les publics, dans une attitude professionnelle d'échange et de partage75
.
L'usager s'y implique à trois niveaux76
: actif (implication dans la constitution des collections, mais
la participation est entièrement organisée par le service), acteur (collaboration à l'élaboration du
projet de co-construction), moteur (usager libre de gérer et organiser le projet).
Nicolas Breudon distingue trois dispositifs participatifs pour les médiathèques 77
:
73 Ray Oldenburg, The Great Good Place : Cafes, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons, and Other Hangouts
at the Heart of a Community, New York, Marlowe & Company, 1989
74 Mathilde Servet. Les bibliothèques troisième lieu, Thèse pour le diplôme de conservateur des bibliothèques,
ENSSIB, 2009
75 Christelle Di Pietro, « Piloter l’innovation en bibliothèque : pourquoi, comment ? » Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, p.
6-11.
76 Emile Breton, Co-construire les collections avec les usagers, Thèse pour le diplôme de conservateur des
bibliothèques, ENSSIB, 2014
77 Nicolas Beudon, « Le design thinking : une méthode pour innover centrée sur les usagers », Bibliothèque(s), nᵒ
85/86, 2016
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En premier lieu, les dispositifs d'échange qui sont le troc de livres, les jeux de société ou les jeux
vidéos. Ces moments servent de temps d'échange autour de livres ou de films. Il est également
possible de les organiser dans des salles dédiées au sein de la médiathèque78
.
En deuxième lieu, les dispositifs d'écoute : cahiers de remarques et de suggestions, la soumission
d'avis sur les documents, les questionnaires de satisfaction, ou encore un livret du contributeur
donné à chaque usager pour lui permettre de signaler ses ressources à la communauté79
.
Enfin, l'implication totale de l'usager dans une action ou un service de la bibliothèque constitue la
forme la plus avancée de participation. Il s'agit d'ateliers animés par des usagers sur la transmission
d'un savoir80
. L'usager organisateur n'est pas ici limité par un contrat signé. Le bibliothécaire est
présent pour le dégager des contraintes physiques. Il assiste et gère le flux de participants. La
médiathèque fournit un cadre : locaux, matériel, communication autour de l'événement.
Le Web 2.0 : mise en oeuvre
Au-delà de ces dispositifs mis à disposition dans les bibliothèques, les professionnels se sont
emparés du Web 2.0, tout d'abord avec la dématérialisation des catalogues : ils les rendent adaptés
aux standards du Web (donc en sortant des standards des bibliothèques) pour qu'ils soient
accessibles par les moteurs de recherche. Ils permettent aux utilisateurs de les citer et de les
réutiliser81
. L'idée de bibliothèques 2.082
inclut l'implication des usagers tant au niveau physique que
virtuel. Les bibliothèques deviennent ainsi présentes sur les réseaux partagés quotidiennement par
les internautes (Facebook, Twitter). Les usagers sont considérés comme des contributeurs dans des
communautés qui les réunissent avec les professionnels.
Dans la même logique, le catalogue 2.0 inclut la participation des usagers au traitement
documentaire intellectuel, c'est-à-dire au catalogage et à l'indexation des documents. Selon Marc
Maisonneuve,
Le catalogue 2.0 est un logiciel documentaire permettant de repérer un document dans le fonds
physique ou virtuel d'une bibliothèque ; il donne à voir les documents qu'il référence, offre des
services personnalisés, intègre les contenus produits par l'usager et propose de nouvelles logiques de
78 Bibliothèque Louise Michel, « Louise et les canards pas si sauvages ... une histoire de participation à la
bibliothèque », Youtube.fr [en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Pyn6tZRzTDE]. Consulté le 6 janvier
2019
79 Pauline Bénéteau, « Quand l’usager fait la médiathèque : l’exemple de la Médiathèque entre Dore et Allier »,
Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 20-24
80 Bibliothèque Louise Michel, op. cit.
81 Emmanuelle Bermès, « le Web sémantique en bibliothèque », Bulletin des Bibliothèques de France, n°2, 2014 [en
ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2014-02-0189-007]. Consulté le 16 mai 2019
82 Michael Casey, « Working Towards a Definition of Library 2.0 », LibraryCrunch.com, 2005 [en ligne :
http://www.librarycrunch.com/2005/10/working_towards_a_definition_o.html]. Consulté le 16 mai 2019
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découverte (nuages de mots pour le rebond, conseil de lecture des usagers)83
.
Les usagers ajoutent des contenus à ce qu'ont déjà fait les professionnels, avec les folksonomies.
Celles-ci n'ont pas de structure hiérarchique et surtout utilisent un langage naturel, plus proche de
celui des internautes. Cela pourrait faire craindre la présence de bruit, de confusion, cependant sont
apparues des bonnes pratiques et des minisyntaxes, sous la supervision des bibliothécaires, comme
le précise Claire Lebreton : « experts en langages documentaires, les bibliothécaires peuvent
apporter leur expertise à l'agencement des tags, en reprenant par exemple les minisyntaxes
déployées plus haut84
. » Les folksonomies permettent d'affiner les recherches et de favoriser la
sérendipidité et surtout permettent des mutualisations entre les bibliothèques (sites LibraryThing et
Babelio). Le mouvement des "OPAC 2.0" (Online Public Access Catalog), permet les tags par les
utilisateurs, par exemple sur Gallica et Europeana85
. Nombre de ces éléments trouvent également
des applications dans les musées, qui en tant qu'institutions culturelles accueillant du public ont des
problématiques proches.
2.2.2. La participation en musées : réseaux sociaux et folksonomies
Selon la loi du 4 janvier 2002, est un musée « toute collection permanente composée de biens
dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la
connaissance, de l'éducation et du plaisir du public. » En 2012, Rémi Mencarelli86
explique
qu'auparavant, le rôle des musées consistait en la collection et en la préservation des oeuvres.
Depuis les années 1980, avec la concurrence et la contrainte budgétaire, la mission de diffusion des
collections vers le grand public a pris le dessus. Les musées connaissent une volonté de valorisation
nouvelle, qui intègre les nouvelles technologies, en particulier les techniques du Web 2.0.
Mencarelli parle d'une « émergence d'un visiteur désormais acteur de l'offre muséale » et d'une
montée en puissance des « pro-am » (professionnels-amateurs), de plus en plus sollicités.
Pour communiquer avec ces usagers, les musées utilisent massivement les réseaux sociaux, tels que
Youtube, Facebook, Twitter ou des blogs avec une orientation participative (Mattress Factory Art
Museum de Pittsburg, où chaque visiteur peut laisser sa propre dédicace vidéo). Le Metropolitan
83 Marc Maisonneuve, « Les enjeux du catalogue 2.0 : la reconquête du public », In AMAR M., dir. MESGUICH
V., dir. Le Web 2.0 en bibliothèques. Quels services ? Quels usages ?, Paris, Editions du cercle de la
librairie, 2009. Chap. 2, p. 125-136.
84 Claire Lebreton, Bibliothèques, tags et folksonomies. L'indexation des bibliothèques à l'ère sociale, Thèse pour le
diplôme de conservateur des bibliothèques, ENSSIB, 2008, p. 74
85 Claire Lebreton, op. cit., p. 65
86 Rémi Mencarelli, « Web 2.0 et musées : les nouveaux visages du visiteur ». Décisions Marketing, nᵒ 65, 2012, p.
77-82 [en ligne : https://doi.org/10.7193/DM.065.77.82]. Consulté le 8 février 2019
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Museum of Art invite les visiteur à « déposer sur Flickr leurs photographies symbolisant des
moments vécus en famille ou entre amis au sein du musée, puis à sélectionner parmi les milliers de
clichés reçus ceux qui allaient être primés et insérés officiellement dans la campagne de
communication institutionnelle du musée87
. »
Les folksonomies sont également utilisées par les musées, qui laissent ainsi la main au public qui
avec les tags peut désigner et classifier les oeuvres proposées. Le but est de « proposer, en parallèle
à la terminologie des experts, une classification construite par et pour ses usagers », utile tant aux
usagers qu'aux personnels. Les folksonomies facilitent ainsi la compréhension du projet culturel et
scientifique par le visiteur et participent à l'éducation du public. 86 % des tags fournis dans les
musées américains ne correspondent à aucune étiquette référencée par les musées, et 88% de ces
tags sont considérés comme utiles à la recherche par le personnel. Au Musée d'histoire naturelle de
Paris, la plate-forme « les herbonautes » propose aux usagers de transcrire des fiches manuscrites
constituant le plus grand herbier d'Europe, ce qui permet l'accélération des recherches88
.
Enfin, le visiteur peut être créateur et fournisseur des contenus muséaux en marge de l'offre
artistique centrale, ainsi au musée Malraux du Havre (photographies prises par les usagers, 2009).
Cela constitue non seulement un outil de communication, mais aussi une démarche qui permet le
développement d'un fort sentiment d'appartenance et donc un intérêt du public vers les activités de
ces structures.
2.2.3. Bibliothèques, musées et archives : une problématique commune
Bibliothèques et musées ont en commun le fait d'être des institutions culturelles publiques, dont la
mission est, par la médiation, la transmission du savoir aux citoyens. Pour permettre cela, ils
disposent de fonds et collections qu'ils doivent enrichir et valoriser, et s'appuient sur des personnels
qualifiés89
. Ces deux institutions font face à une même problématique : l'évolution du comportement
du public face à l'information, avec la démocratisation d'Internet et surtout du Web 2.0 : les citoyens
sont à présents habitués à participer, à donner leur avis. Le public n'est plus passif. Face à cela, les
bibliothèques et musées ont adapté leurs positionnements et les compétences de leurs personnels.
Les solutions évoquées ci-dessus ont donc une grande majorité d'éléments en commun. Le public
est vu comme désireux d'apporter aux institutions des compétences qui vont permettre à ces
87 Rémi Mencarelli, op. cit.
88 Muséum National d'histoire naturelle, « Les herbonautes. L'herbier numérique collaboratif citoyen »,
lesherbonautes.mnhm.fr [en ligne : http://lesherbonautes.mnhn.fr/]. Consulté le 26 mai 2019
89 Ministère de la Culture, « Musées et bibliothèques font-ils cause commune ? », culture.gouv.fr, 2017 [en ligne :
http://www.culture.gouv.fr/Actualites/Musees-et-bibliotheques-font-ils-cause-commune]. Consulté le 18 mai 2019
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structures d'améliorer la valorisation de leurs fonds et collections, par des activités encadrées en
leurs murs (ateliers) et par Internet (redocumentarisation, folksonomies). Ce public est très présent
sur les réseaux sociaux, ce qui inclut pour les bibliothèques et les musées d'y entretenir des comptes
pour se faire connaître auprès des usagers et surtout créer et entretenir de réelles communautés.
Les archives publiques ont en commun avec ces deux institutions l'ensemble des éléments évoqués,
que ce soit pour les aspects structurels - institutions publiques qui visent à la transmission, par la
médiation, d'un savoir - que pour les défis auxquels elles doivent faire face - public dont le
comportement évolue. En toute logique, les solutions s'avéreront proches de celles choisies par les
bibliothèques et musées, mais il faut prendre en compte les particularités des services d'archives.
2.3. Les services d'archives
2.3.1. Historique de la redocumentarisation dans ces institutions
Particularités des archives
Selon le Livre II du Code du Patrimoine (art. L211-1), « les archives sont l'ensemble des
documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme
et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou
organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité90
. » Ces documents sont soit conservés par
leurs créateurs ou leurs successeurs pour leurs besoins propres, soit transmis à l'institution
d'archives compétente en raison de leur valeur archivistique. Les archives ont quatre fonctions91
:
administrative (assurer le fonctionnement de la société), de garantie des droits (authenticité), de
recherche (histoire, bases de données) et culturelle (expositions). Le centre d'archives conserve ainsi
la mémoire de l'activité de l'homme. Dans sa forme publique, il est présent à trois niveaux :
national, départemental, communal ou communautaire. Y sont conservées les archives produites par
les institutions publiques, et des archives privées telles que les archives personnelles et familiales,
associatives, des cultes, partis politiques, syndicats et entreprises.
Les problématiques auxquelles sont confrontées les archives sont particulières : elles conservent des
documents écrits ou picturaux qui ont un caractère unique, et qui n'avaient pas vocation à être
diffusés. Documents de travail, ils témoignent de l'activité humaine. Pour remplir les fonctions de
90 Art. L211-1 du Code du Patrimoine, legifrance.gouv.fr [en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/
affichCodeArticle.docidTexte=LEGITEXT000006074236&idArticle=LEGIARTI000006845559&dateTexte=&cate
gorieLien=cid]. Consulté le 18 mai 2019
91 Charles Kecskeméti et Lajos Körmendy, Les écrits s'envolent. La problématique de la conservation des archives
papier et numériques, Lausanne, Favre, 2014, p. 89-90
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garantie des droits, de recherche et de diffusion culturelle évoquées précedemment, ces documents
sont diffusés au public ; ceci inclut naturellement des risques pour la pérennité de leur conservation,
en particulier pour les documents demandés par les généalogistes, qui sont très souvent manipulés.
Historique de la numérisation
C'est pour cela que la problématique de la dématérialisation a pour les archives précédé celle de la
participation. Les services protègent ainsi leurs fonds des aléas de l'histoire et permettent leur
consultation sans risque d'endommagement. Pour Pauline Moirez, c'est une priorité :
Le volume des fonds d’archives fournit aux services d’archives une matière première abondante et
adaptée à la diffusion numérique. Cette problématique de la masse explique parfois un certain
décalage avec les réalisations de médiation numérique et de présence sur le Web social d’autres
domaines culturels : la priorité des archivistes reste la numérisation et la mise en ligne des
documents, là où les musées par exemple vont centrer leurs efforts sur la médiation et l’interaction
avec les usagers même s’ils ne fournissent que très peu de contenus en ligne92
.
La démarche de numérisation succéde au microfilmage des années 1970 et trouve sa première
application avec le programme de Séville de 1992, à l'occasion du cinquantième centenaire de la
traversée de l'Atlantique par Christophe Colomb. L'Espagne y a construit une base de données qui
intègre l'ensemble des informations contenues dans les inventaires des Archives Générales des
Indes. 10 % des documents numérisés furent mis en ligne93
.
En France, constat fut fait en 1997 d'un double retard dans la numérisation face aux archives
étrangères et aux autres secteurs patrimoniaux. En 2004 fut mis en route un chantier de
dématérialisation des instruments de recherche94
. En 2010, une grande partie des sources était déjà
sur Internet, en particulier celles qui intéressent les généalogistes95
. En 2017, Ana Margarida Dias
Da Silva peut ainsi dire que la France est le « pays européen de la démocratisation de l'accès et de la
mise à disposition des archives en ligne96
». Surtout, elle précise que « la France promeut et stimule
la participation des citoyens à l'enrichissement et à la description de ses archives97
. » Soit une
92 Pauline Moirez, « Archives participatives », in Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Paris, éditions du
Cercle de la librairie, 2012, p.187-197
93 Charles Kecskeméti et Lajos Körmendy, op. cit.
94 Yann Potin, « Institutions et pratiques d’archives face à la "numérisation". Expériences et malentendus », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, no 58-4bis, 2012, p. 57-69
95 Yann Potin, op. cit.
96 « France emerges as the European country of democratization on the access and provision of on-line archives »,
Ana Margarida Dias da Silva, « Folksonomies in archives: controlled collaboration for specific documents »,
Ariadne, vol. 77, 2017 [en ligne : http://www.ariadne.ac.uk/issue/77/margaridadiasdasilva/]. Consulté le 14 mai
2019
97 « France promotes and stimulates the participation of citizens on the enrichment of the descriptions of its archives.
», Ana Margarida Dias da Silva, op. cit.
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évolution vers la participation des internautes. En effet, les financements du plan national de
numérisation achevé en 201298
comportaient comme condition l'installation de systèmes
d'annotation des archives en ligne. Au début des années 2010 la situation était mûre pour permettre
aux généalogistes de participer : leurs principales sources étaient scannées, et du point de vue
technique les possibilités d'annotation en ligne avaient fait leur apparition.
2.3.2. La participation en archives publiques : mise en place et état des lieux
L'archiviste américaine Kate Theimer citée par Pauline Moirez définit les archives participatives
ainsi :
Un organisme, un site ou une collection auxquels des personnes qui ne sont pas des professionnels
des archives apportent leur connaissance ou ajoutent des contenus, généralement dans un contexte
numérique en ligne. Il en résulte une meilleure compréhension des documents d’archives99
.
Cette définition est proche des actions effectuées par les bibliothèques et musées. Cependant,
Pauline Moirez insiste dans un autre article100
sur le niveau élevé des connaissances apportées : la
participation en archives désignerait la mise en œuvre de véritables compétences et connaissances
des usagers, une interaction de haut niveau, de caractère scientifique, qui contribue à
l’enrichissement de la description des collections numériques. Il convient en premier lieu de
s'interroger sur la nature de ces collections.
Les archives sont avant tout des documents, des médias qui constituent une trace. Les archives sont
la plupart du temps des documents primaires, donc des originaux élaborés par les auteurs. Pour les
rendre exploitables, il faut les intégrer à un système d'information documentaire, pour stocker,
traiter, analyser l'information qu'ils contiennent. Cette information sera inclue dans des bases de
données qui constitueront des documents secondaires, qui font référence aux documents primaires
(bibliographies, bulletins bibliographiques, catalogues, revues de sommaires), eux-mêmes bases de
documents tertaires où l'on résume, condense et classe les informations originales.
L'ensemble des documents présents aux Archives départementales et communales sont inventoriés,
présents dans des catalogues qui décrivent leur nature et le type de contenu. Cependant, la demande
des généalogistes porte de plus en plus sur une analyse fine de ce contenu : Quelle est l'identité des
98 Ministère de la Culture, « Archives des appels à projets de numérisation 2005-2012 », culture.gouv.fr, 2012 [en
ligne : http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Innovation-numerique/Numerisation2/Archives-numerisation/
Appels-a-projets-de-numerisation/Archives-2005-2012]. Consulté le 18 mai 2019
99 Pauline Moirez, op. cit.
100 Pauline Moirez, Jean-Philippe Moreux et Isabelle Josse, « État de l'art en matière de crowdsourcing dans les
bibliothèques numériques », ENSSIB Études et enquêtes, 2013 [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-
numerique/documents/61092-etat-de-l-art-en-matiere-de-crowdsourcing.pdf]. Consulté le 13 mai 2019
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personnes présentes dans ces documents ? Quelles informations y trouve-t-on à leur sujet ? Les
systèmes participatifs proposés aux généalogistes portent sur ces éléments. Ils leurs proposent en
priorité les sources les plus utiles à leurs recherches.
État des lieux
L'analyse réalisée par nos soins en février 2019 des sites Web des Archives municipales et
départementales qui proposent aux internautes de participer à l'analyse du contenu des documents
montre que les trois sources les plus présentes sont les registres paroissiaux et d'état-civil (dix-huit
occurences), les registres matricules militaires (quatorze occurences) et les recensements de
population (dix occurences). Ces sources ont en commun deux éléments : elles sont parmi les plus
souvent utilisées par les généalogistes car elles comportent des informations cruciales sur l'histoire
des personnes, et surtout elles sont facilement annotables car normées. Les systèmes de re-
documentarisation par l'annotation de documents, la création de métadonnées, sont en effet les plus
présents. Les autres dispositifs participatifs tels qu'encyclopédies collaboratives, dictionnaires
collaboratifs ou mises en ligne de relevés sont plus rares. Un système proche est celui de
l'identification de documents, souvent des photographies, présent sur cinq occurences. Analyser ces
dispositifs permettra de comprendre leur fonctionnement.
2.3.3. Les différents systèmes
La redocumentarisation
Le système le plus répandu, désigné sous les noms d'indexation collaborative ou d'annotation
collaborative consiste en de la redocumentarisation. Pour cela, il faut passer par des opérations
d'indexation. Selon l'Association des Archivistes de France, il s'agit de l'opération destinée à
représenter par les éléments d’un langage documentaire ou naturel, des données résultant de
l’analyse du contenu d’un document ou du document lui-même101
. L'indexation humaine est lourde
en temps et en argent. Le coût moyen d'un document à indexer est de 50 Francs selon les dernières
données disponibles (1990)102
. Il faut donc cinq millions de Francs pour 100 000 documents,
montant que les budgets des archives publiques ne peuvent supporter. Avant la démocratisation
d'Internet, la solution fut de faire appel aux associations. À présent, la présence du Web dans la
majeure partie des foyers permet de faire appels aux usagers, en encadrant leur action.
101 Association des Archivistes de France, « Petit glossaire de termes archivistiques », archivistes.org, 2008 [en ligne :
https://www.archivistes.org/petit-glossaire-de-termes]. Consulté le 19 mai 2019
102 Jacques Chaumier, Martine Dejean, « L’indexation documentaire, de l’analyse conceptuelle humaine à l’analyse
morphosyntaxique », Documentaliste, vol.27, n°6, 1990, p.276
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 34/103
Dans son article de 2012, Édouard Bouyé distingue trois types d'indexation possibles :
Si l’indexation collaborative n’implique pas de division fixe des tâches (chacun étant libre de poser
des signets où il l’entend), l’indexation coopérative implique un partage des tâches (l’archiviste
distribuant des lots d’images à indexer selon un protocole et dans un délai fixés au départ).
L’indexation est plus ou moins riche, suivant que le masque de saisie est simple ou complexe : quand
l’indexation de l’état-civil ne comprend que la possibilité d’indexer une année, un nom et un prénom
(à l’exclusion de mention de filiation, de sexe, d’âge, de métier), on parle d’indexation pauvre, ou
d’annotation collaborative103
.
Par ordre croissant de liberté laissée à l'utilisateur, le système proposé peut donc être l'annotation
collaborative (qui concerne seize sites Web en février 2019), l'indexation coopérative (aucune
occurence) ou l'indexation collaborative (seize occurences). L'annotation collaborative permet aux
Archives de choisir les informations dont elles ont besoin par le report de certains éléments d’un
document numérisé sur un formulaire précis. Toutes les informations comprises ne sont donc pas à
annoter, le formulaire est adapté selon les fonds ouverts. Dans le cas des Archives départementales
de Seine Maritime, cette annotation est centrée sur la personne et vise à alimenter une base
nominative. Tous les documents ne sont pas adaptés à l'annotation collaborative : Les registres
matricules sont très faciles à annoter, avec une vue et un formulaire par fiche. L'état-civil et les
archives notariales présentent plus de difficultés, avec plusieurs éléments sur une même vue, ce qui
oblige à un fonctionnement par sélection de zone.
Édouard Bouyé fait l'état des lieux en janvier 2012 de « 2 487 000 signets [...] posés, dont 683 000
dans les seuls deux services d’Archives municipales (405 000 pour Nantes et 278 000 pour Rennes),
et 1 804 000 pour les dix-neuf services d’archives départementales (l’Aube et le Cantal dépassant
chacun le seuil des 400 000 signets posés)104
. » Les données produites servent souvent à alimenter
un moteur de recherche. Cependant, ce système n'est efficace qu'avec des documents écrits. Pour les
documents picturaux, il est préférable de faire appel aux folksonomies.
Les folksonomies : identifications de photographies
Les photographies conservées par les services d'archives attirent l'attention des généalogistes ; des
membres de leur famille peuvent s'y trouver, ou des lieux où ces derniers ont vécus. Cependant, ces
éléments sont rarement identifiés. Les archivistes peuvent s'appuyer sur un public qui peut avoir des
connaissances avancées en histoire et géographie locale, ou pour les plus âgés la mémoire des lieux,
103 Édouard Bouyé, « Le Web collaboratif dans les services d’archives publics : un pari sur l’intelligence et la
motivation des publics », La Gazette des archives, vol. 227, no 3, 2012, p. 125-136
104 Édouard Bouyé, op. cit.
AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 35/103
par des appels comme celui présent sur le site des archives des Yvelines105
. Les folksonomies, déjà
utilisées en musées et bibliothèques, sont adaptées à cette demande. L'identification de
photographies concerne six sites Web (Saint-Denis, Bordeaux, Orléans, Sevran, Var, Yvelines).
La collecte d'archives privées
Le Web sert également à promouvoir la collecte d'archives privées. Les documents enrichissent les
collections de l'institution, et les usagers profitent des identifications et commentaires des autres
contributeurs106
. En 2011, Pauline Moirez évoque les initiatives suivantes :
Les Archives départementales du Lot-et-Garonne ont ainsi ouvert en 2011 une cartothèque
départementale où les internautes peuvent déposer en ligne les fichiers de leurs cartes postales
numérisées, mais aussi contribuer à l’indexation des cartes postales conservées par les Archives. De
même, Europeana invite les internautes à numériser et télécharger sur le site lettres, cartes postales et
photographies personnelles de la Première guerre mondiale, pour enrichir le projet Europeana 1914-
1918107
.
Avec le centenaire de la Première Guerre Mondiale, les Archives départementales mirent en avant
un programme de collecte d'archives privées, dans le cadre d'un projet à l'échelle européenne. Les
usagers furent invités à déposer des documents aux Archives et dans les bibliothèques. En Seine-
Maritime, trois journées de collecte ont eu lieu entre 2014 et 2018. Le premier jour une centaine de
personnes sont venues en salle de lecture, souvent accompagnés de leurs parents âgés. Beaucoup de
documents furent déposés, la Première Guerre Mondiale étant encore très présente dans la mémoire
familiale. La grande collecte a permis aux institutions de se faire connaître auprès du grand public
grâce à une communication nationale. En Vendée, le succès fut similaire avec trois cent familles
participantes. Des fonds constitués parfois d'un milliers de lettres ou de journaux furent déposés.
Les encyclopédies et bases de données collaboratives
Le Web 2.0 a vu la naissance du wiki, « système de gestion de contenu de site Web qui rend les
pages Web réalisables et modifiables par les visiteurs successifs autorisés108
. » L’exemple le plus
connu est l'encyclopédie collective Wikipédia (créée en 2001), basée sur le principe qu'une entrée
puisse être ajoutée par n'importe quel utilisateur du Web et modifiée par un autre. Un premier projet
de partenariat entre Wikimédia et une institution culturelle fut réalisé dès 2008 avec le
105 Archives départementales des Yvelines, « C'est quoi ce chantier ? Un projet collaboratif d'identification de
photographies », archives.yvelines.fr [https://archives.yvelines.fr/article.php?laref=3068&titre=c-est-quoi-ce-
chantier-]. Consulté le 21 mai 2019
106 Pauline Moirez, op. cit.
107 Pauline Moirez, ibid.
108 La Documentation Française, « L'évolution d'internet, le Web 2.0 », ladocumentationfrançaise.fr, 2011 [en ligne :
https://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/internet-monde/Web2.0.shtml]. Consulté le 21 mai 2019
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L'évolution des pratiques généalogiques : apports et limites des systèmes participatifs

  • 1. UNIVERSITÉ PAUL VALÉRY MONTPELLIER 3 Institut des Technosciences de l'Information et de la Communication (ITIC) Département Information et Documentation Master 1 Gestion de l'Information et de la Documentation (GID) L'évolution des pratiques généalogiques : apports et limites des systèmes participatifs Mémoire de Master 1 AUVRAY Christophe Sous la direction de Madame PAGANELLI Céline Année universitaire 2018 - 2019
  • 2. AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 2/103
  • 3. REMERCIEMENTS Mes remerciements vont tout d'abord à Madame Céline Paganelli, pour avoir accepté de diriger mon mémoire et m'avoir fait bénéficier de ses précieux conseils. Je tiens également à remercier les professionnels des archives qui ont bien voulu me consacrer du temps pour répondre à mes questions et ainsi me fournir des informations indispensables pour l'élaboration de ce mémoire : • Madame Christelle Bruant (Archives municipales et communautaires d'Orléans), • Madame Marie Blaise-Groult (Archives départementales de Seine-Maritime), • Madame Emmanuelle Roy (Archives départementales de Vendée), • Madame Marie Viard (Archives municipales de Saint-Étienne). Je remercie les généalogistes amateurs qui ont accepté de répondre à mon questionnaire diffusé sur Internet. Enfin, je tiens à remercier ma compagne pour son soutien, ses relectures et ses conseils avisés. AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 3/103
  • 4. RÉSUMÉ ET MOTS-CLEFS Résumé : L'essor de la généalogie amateur en France s'accompagne de la création de bases de données alimentées via des systèmes participatifs proposés par les services d'archives. Cela modifie les pratiques des généalogistes amateurs. L'analyse de l'implication des publics dans ces processus permet de déterminer sur quels points. La situation tend vers un profil plus varié, motivé et qui dispose de plus d'opportunités pour découvrir de nouveaux fonds. Cependant, il fréquente peu les archives et se confronte moins aux sources. Il se montre plus exigeant sur la disponibilité des informations. L'encadrement par les archivistes est nécessaire pour éviter une baisse de qualité de la production généalogique. Également, la mutualisation des systèmes permettrait de faciliter la prise en main par l'usager et de créer une base de données globale. Mots-clés : archives, données, généalogie, indexation, participation, pratiques informationnelles, usagers, Web 2.0 Droits d'auteur Cette création est mise à disposition selon le Contrat : « Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 4.0 France » disponible en ligne http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/ 4.0/deed.fr ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California, 94105, USA. AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 4/103
  • 5. Table des matières REMERCIEMENTS............................................................................................................................3 RÉSUMÉ ET MOTS-CLEFS...............................................................................................................4 INTRODUCTION................................................................................................................................8 1. La généalogie amateur, un loisir en plein essor aux pratiques collaboratives anciennes..............10 1.1. Une démocratisation récente..................................................................................................10 1.1.1. La généalogie, étude des familles..................................................................................10 1.1.2. La démocratisation de la généalogie amateur................................................................11 1.1.3. Pourquoi un tel essor ?...................................................................................................11 1.2. Une population âgée et connectée, qui travaille sur des sources difficiles d'accès................13 1.2.1. Une population âgée et connectée..................................................................................13 Trois enquêtes : 2006, 2011 et 2014.....................................................................................13 Un public âgé, qui s'est féminisé, composé d'internautes autodidactes...............................13 1.2.2. Des sources difficilement exploitables...........................................................................15 1.3. Un public aux pratiques collaboratives anciennes.................................................................16 1.3.1. La démocratisation a amené des pratiques collaboratives.............................................16 1.3.2. L'arrivée d'Internet a rapproché sources et usagers........................................................17 1.3.3. Les conséquences : nouvelles pratiques, nouvelles demandes.......................................19 2. Les pratiques participatives : définition, état de l'art et applications.............................................21 2.1. La notion de participation dans les institutions culturelles : définition et état de l'art...........21 2.1.1. La notion de participation..............................................................................................21 2.1.2. État de l'art des études sur les bibliothèques et musées : une visée pratique.................23 2.1.3. État de l'art sur la participation en archives...................................................................24 Historiques et états des lieux................................................................................................24 Quels systèmes ? Retours sur expériences...........................................................................24 La redocumentarisation : la question de la liberté laissée à l'utilisateur..............................25 Les attentes du public...........................................................................................................26 2.2. Les expériences participatives en institutions culturelles......................................................26 2.2.1. Les expériences en bibliothèque : troisième lieu et bibliothèque 2.0............................26 La nécessité d'attirer les publics...........................................................................................26 Le troisième lieu : mise en oeuvre........................................................................................27 Le Web 2.0 : mise en oeuvre................................................................................................28 2.2.2. La participation en musées : réseaux sociaux et folksonomies......................................29 2.2.3. Bibliothèques, musées et archives : une problématique commune................................30 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 5/103
  • 6. 2.3. Les services d'archives...........................................................................................................31 2.3.1. Historique de la redocumentarisation dans ces institutions...........................................31 Particularités des archives....................................................................................................31 Historique de la numérisation...............................................................................................32 2.3.2. La participation en archives publiques : mise en place et état des lieux........................33 État des lieux........................................................................................................................34 2.3.3. Les différents systèmes..................................................................................................34 La redocumentarisation........................................................................................................34 Les folksonomies : identifications de photographies...........................................................35 La collecte d'archives privées...............................................................................................36 Les encyclopédies et bases de données collaboratives.........................................................36 Les blogs, espaces de commentaires et articles....................................................................37 La transcription collaborative...............................................................................................37 3. L'évolution du profil, de l'environnement et des pratiques............................................................38 3.1. Le rôle central des usagers.....................................................................................................38 3.1.1. Des noyaux d'usagers très impliqués.............................................................................38 3.1.2. des usagers vers qui on communique, des usagers consultés.........................................39 La communication des archives vers leurs usagers..............................................................39 Motiver les usagers : challenges, concours, classements.....................................................40 La création de véritables communautés, la consultation des usagers...................................40 3.1.3. Le rôle de l'usager, l'apport psychologique....................................................................41 3.2. L'évolution du public, des pratiques et de l'environnement...................................................43 3.2.1. Un public plus impliqué et plus jeune............................................................................43 3.2.2. Déclin des associations, montée en puissance du privé : un nouvel environnement.....44 Les associations : un changement de pratiques....................................................................44 Les entreprises privées et la marchandisation......................................................................45 3.2.3. L'évolution des pratiques : de grandes bases de données qui peuvent éloigner l'usager des sources originales................................................................................................................47 Nouvelles pratiques..............................................................................................................47 Les bases de données............................................................................................................47 Usagers livrés à eux-mêmes dans ce contexte : risques.......................................................48 3.3. Vers l'avenir : des usagers à accompagner, qui souhaitent un développement des systèmes participatifs....................................................................................................................................49 3.3.1. Des usagers à encadrer...................................................................................................49 Quelle liberté à l'usager ? Pour l'archiviste, savoir lâcher du lest........................................49 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 6/103
  • 7. La difficulté du contrôle.......................................................................................................50 3.3.2. Des usagers à former et accompagner............................................................................51 Comment former les usagers ?.............................................................................................51 L'accompagnement : pousser l'usager à aller plus loin........................................................52 3.3.3. Des usagers qui souhaitent plus de sources et une mutualisation plus poussée.............53 Les demandes des usagers : extension des fonds ouverts, homogénéisation.......................53 La marche vers la mutualisation...........................................................................................54 CONCLUSION..................................................................................................................................56 BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................58 ANNEXE 1 : RECENSEMENT DES SYSTÈMES PARTICIPATIFS SUR LES SITES WEB DES ARCHIVES MUNICIPALES ET DÉPARTEMENTALES...............................................................66 ANNEXE 2 : ENTRETIENS AVEC LES ARCHIVISTES...............................................................69 Archives départementales de la Seine-Maritime..................................................................71 Archives départementales de la Vendée...............................................................................80 Archives municipales et Communautaires d'Orléans...........................................................85 Archives municipales de Saint-Étienne................................................................................93 ANNEXE 3 : QUESTIONNAIRE À DESTINATION DES GÉNÉALOGISTES............................96 ANNEXE 4 : SERVICES D'ARCHIVES PRÉSENTS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX.............103 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 7/103
  • 8. INTRODUCTION La généalogie, science de l'origine et de l'étude de la composition des familles, n'a à ce jour jamais fait autant d'adeptes en France. C'est du moins ce qu'affirme un article du journal Le Monde paru en mars 2019, qui estime que la pratique de ce loisir concerne cinq millions de français1 . La quasi- totalité de ces pratiquants amateurs sont présents sur Internet, où ils disposent de bases de données toujours plus importantes. Le développement de celles-ci résulte de l'indexation des fonds présents dans les services d'archives communaux et départementaux, long processus qui a accompagné le développement du Web participatif et en a utilisé l'un des principes fondateurs : l'usager, loin d'être un lecteur passif, est à présent un contributeur. C'est par son action que ces bases de données ont pu être construites. La généalogie est une pratique qui pendant longtemps a demandé un investissement lourd pour localiser les sources nécessaires, y accéder, les déchiffrer et les exploiter correctement. La dématérialisation et la mise en ligne permettent aux sources d'être plus proches des pratiquants. Les contributions des usagers sur ces documents ont pour but de les rendre encore plus accessibles. Il importe de s'interroger sur les conséquences de ce changement d'environnement sur les pratiques à partir de la question suivante : En quoi le développement de ces systèmes participatifs modifie-t-il les pratiques des généalogistes amateurs ? Etudier la pratique, c'est à dire la manière de faire2 , implique d'analyser l'emploi des techniques ainsi que les comportements, les attitudes et les représentations des invidus qui se rapportent à un outil donné, ici les systèmes collaboratifs proposés par les services d'archives territoriaux. Pour cela, il est nécessaire d'envisager les pratiques effectives mais aussi celles que les généalogistes aimeraient développer. L'évolution des profils d'usagers est également à prendre en compte. Ces pratiques sont observées quotidiennement par les archivistes territoriaux, qui sont les premiers interlocuteurs des généalogistes amateurs. Ce sont eux qui mettent à disposition les systèmes participatifs, aident les usagers à les utiliser et surtout reçoivent leurs commentaires. Un examen des 1 Catherine Rollot, « Généalogie : grâce au numérique et à l’ADN, les Français se prennent de passion pour leurs origines », lemonde.fr, mars 2019 [en ligne : https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/03/15/genealogie-une- passion-francaise_5436238_4497916.html]. Consulté le 15 mai 2019 2 Jacques Perriault, La logique de l’usage. Essai sur les machines à communiquer, Paris, L’Harmattan, 2008 (1989) AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 8/103
  • 9. sites Web des trente-cinq services d'archives territoriaux français qui proposent actuellement des systèmes participatifs a donc été effectué en janvier 20193 . Ensuite, l'étude de l'évolution des pratiques face au développement de ces systèmes passe par l'interrogation des professionnels. Quatre services d'archives qui disposent d'une expérience notable dans la participation ont ainsi été interrogés en janvier et février 2019 : Orléans et Saint-Étienne (Archives municipales), ainsi que la Seine-Maritime et la Vendée (Archives départementales)4 . L'interrogation des généalogistes eux-mêmes apporte également un éclairage intéressant sur leurs pratiques face aux outils collaboratifs. Un questionnaire élaboré par nos soins5 a été diffusé à ce sujet sur Internet en janvier 2019. L'échantillon s'est avéré réduit, avec 30 personnes au 18 mai 2019, mais permet de connaître directement le point de vue, les pratiques et les souhaits d'usagers, dont certains ont commencé à pratiquer la généalogie il y a plusieurs dizaines d'années. L'étude de l'essor de la généalogie amateur est un préalable nécessaire à la compréhension du développement des systèmes participatifs (1). Il importe de comprendre que ces pratiques ont d'abord été développées dans d'autres institutions culturelles, avant d'être adaptées aux spécificités des Archives (2). Enfin, par une analyse du profil et du rôle des usagers dans les systèmes participatifs, au sein d'un environnement mouvant, l'évolution des pratiques, y compris les souhaits des usagers, pourra être mise en évidence. (3). 3 Résultats en annexe n°1 4 Grille d'entretien et compte-rendus en annexe n°2 5 Résultats en annexe n°3 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 9/103
  • 10. 1. La généalogie amateur, un loisir en plein essor aux pratiques collaboratives anciennes La généalogie, longtemps réservée aux notables, touche à présent une large partie de la population (1.1), en grande majorité d'ascendance modeste et amenée à travailler sur des sources d'accès complexe (1.2). La mise en place de pratiques collaboratives constitue une première réponse à cette difficulté (1.3). 1.1. Une démocratisation récente 1.1.1. La généalogie, étude des familles6 Le terme français « généalogie » provient du bas latin genealogia, emprunt du grec γενεαλογία (genealogía), composé de γενεὰ (geneá), génération, et λόγος (lógos), traité, discours. Il s'agit donc du discours sur les générations. Aujourd'hui ce mot comporte trois sens différents. Il désigne en premier lieu le dénombrement, la liste des membres d'une famille établissant une filiation. En deuxième lieu, la généalogie est la science qui a pour objet la recherche de l'origine et l'étude de la composition des familles. Enfin, le terme désigne le document qui représente cette filiation. La deuxième acception est celle qui sera prise en compte ici, du point de vue du généalogiste amateur qui étudie ses ancêtres et leurs collatéraux. Il s'agit d'une science peu étudiée au niveau universitaire. Il est possible de citer cinq auteurs principaux, que sont Léo Jouniaux, Gildas Bernard, Patrice Cabanel, Marie-Odile Mergnac et Jean-Louis Beaucarnot. Ce dernier définit dans son ouvrage La Généalogie7 les bases de la discipline. Deux d'entre-elles sont d'une importance majeure : les ancêtres retrouvés en France sont géographiquement dispersés, et surtout sont à 90 % 6 Dictionnaire Littré, « généalogie », littre.org [en ligne : https://www.littre.org/definition/g%C3%A9n %C3%A9alogie]. Consulté le 12 mai 2019. Dictionnaire de français Larousse, « généalogie », larousse.fr [en ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/g%C3%A9n%C3%A9alogie/36504]. Consulté le 12 mai 2019. TLFI, « généalogie », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/g%C3%A9n%C3%A9alogie]. Consulté le 12 mai 2019. 7 Jean-Louis Beaucarnot, La Généalogie, Paris, PUF, 2003, introduction, paragraphe 11 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 10/103
  • 11. ruraux. Cette dernière affirmation prendra toute son importance avec la démocratisation de la généalogie, phénomène datant des années 1970. 1.1.2. La démocratisation de la généalogie amateur En France, la généalogie s'est longtemps cantonnée aux classes aisées : sous l'Ancien Régime la noblesse défendait ses acquis avec des généalogistes officiels qui débusquaient les faux nobles. Au XIXe siècle, la bourgeoisie en forte ascension sociale se cherchait une origine particulière (sang noble, ancêtre migrant) en vue de se démarquer. De cette époque datent les nobiliaires, armoriaux et dictionnaires des familles notables. Cette omniprésence des familles aisées se prolongera jusqu'aux années 1970 : "Il faut attendre la deuxième moitié des années 70 pour voir le souci généalogique cesser d'appartenir aux aristocrates (...) et envahir la France, presque soudainement." La prise de conscience du phénomène chez les responsables des dépôts d'archives est (...) datable : le Rapport annuel sur l'activité des Archives nationales, à Paris, note en 1975, pour la première fois, que "le nombre des généalogistes s'est accru de manière importante, très particulièrement au cours du second semestre de 1974", remarque l'universitaire toulousain Patrice Cabanel devenu l'historien de cette "Révolution généalogique"8 . Ainsi, aux Archives départementales, on passe de 41 000 lecteurs en 1970 à 140 000 en 1992, en très grande majorité des généalogistes (85 % des lecteurs en 1985). Selon un sondage SOFRES de 2001 cité par Jean-Louis Beaucarnot, cinq millions de français se déclarent sensibles à la généalogie9 . On invoque trois explications face à cet engouement, fortement liées entre elles. 1.1.3. Pourquoi un tel essor ? L'explication principale s'appuie sur les nombreux déracinements qui ont eu lieu depuis le début de l'époque contemporaine (1789)10 : les départements qui ont connu un fort taux d'exode rural sont les plus concernés par la passion généalogique. Il s'agit du passage d'un monde où les familles vivaient sur les mêmes terres et exerçaient les mêmes professions, à un univers citadin aux mobilités géographique et professionnelle fortes. Ces évolutions pèsent sur la mémoire familiale. Les visites au cimetière sont moins nombreuses, en raison de la dispersion géographie ; les veillées paysannes, où se racontaient les événements marquants de la communauté, ne sont plus. Le souvenir, devenu 8 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 1, paragraphe 24 9 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 1, paragraphe 29 10 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 1, paragraphe 32 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 11/103
  • 12. chose intime, est peu évoqué11 . Jean-Louis Beaucarnot estime que la démocratisation de la généalogie est liée au rejet de cet anonymat et de ce déracinement, à une idée de retour à la terre12 . La deuxième explication découle naturellement de la précédente. Elle s'appuie sur un « repli historicisant et réactionnaire13 », lié à une passion marquée des français pour l'histoire. De fait, la France fait figure de précurseur au plan mondial, suivie par d'autres pays ou régions francophones tels que la Belgique, la Suisse et le Québec. L'autre argument-clé lié à cette explication est donné par l'anthropologue Dominique Desjeux14 . Il s'agit de l'importance accordée à la filiation familiale alors que l’alliance, le mariage, est devenu instable et contractuel depuis les années 196015 . La montée en puissance du troisième âge est la troisième explication donnée par Jean-Louis Beaucarnot. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la part des plus de 60 ans dans la population est passée de 19 à 24,9 % de 1991 à 201616 . Cette possibilité de faire de l'histoire peut servir à combler la blessure de ne pas avoir pu suivre des études dans sa jeunesse, sachant que seulement 18,4 % des 60-64 ans sont diplômés de l'enseignement supérieur en 201217 . La retraite qui amène du temps libre à des personnes d'une meilleure santé que leurs ancêtres au même âge18 , provoquerait cette augmentation du nombre de chercheurs. De ces trois explications découlerait l'idée de généalogistes âgés, retraités, qui ont suivi peu d'études et originaires de départements qui ont connu un fort taux d'exode rural. Cette analyse est à confronter aux enquêtes menées sur le terrain pour caractériser cette population. 11 Marie-Odile Mergnac, La Généalogie. Une passion française, Paris, Autrement, 2003 12 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 1, paragraphe 36 13 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 1, paragraphe 36 14 Dominique Desjeux, « La recherche généalogique : de la quête des origines au besoin de transmettre », argonautes.fr, 2011 [en ligne : http://www.argonautes.fr/uploads/uploads/documents/ 2011_09_CONF_GENEALOGIE_RESULTATS.pdf]. Consulté le 8 février 2019 15 INSEE, « Mariages - PACS - divorces », insee.fr, 2018 [en ligne: https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303338? sommaire=3353488]. Consulté le 7 mai 2019 16 INSEE, « Population par âge », insee.fr, 2016 [en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906664? sommaire=1906743]. Consulté le 7 mai 2019 17 Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, « Le niveau d'étude de la population et des jeunes », 2013 [en ligne : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/7/EESR7_ES_19- le_niveau_d_etudes_de_la_population_et_des_jeunes.php]. Consulté le 7 mai 2019 18 INSEE, « Espérance de vie - mortalité », insee.fr, 2018 [en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303354? sommaire=3353488]. Consulté le 7 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 12/103
  • 13. 1.2. Une population âgée et connectée, qui travaille sur des sources difficiles d'accès 1.2.1. Une population âgée et connectée Trois enquêtes : 2006, 2011 et 2014 Il s'agit ici d'étudier le généalogiste amateur en tant qu'usager de l'information, c'est à dire une « personne qui fait en sorte d'obtenir, de la matière information, la satisfaction d'un besoin d'information19 . » Trois études ont eu lieu sur cette population. Il importe de préciser que ces trois enquêtes se concentrent sur les généalogistes qui ont accès à Internet. L'étude sur les usages de l'internet par les généalogistes réalisée en décembre 2006 par Médiamétrie//NetRatings à la demande du ministère de la Culture et de la Communication20 souffre d'un échantillon faible (329 personnes), et de résultats diffusés uniquement sous forme d'un résumé, ce qui implique de la prudence pour leur interprétation. L'enquête « La recherche généalogique : de la quête des origines au besoin de transmettre » (2011) a été réalisée conjointement par le site EtudeGenealogie.com et l'Université Paris Descartes, sous la direction de Dominique Desjeux21 . Il s'agit d'une enquête quantitative réalisée en ligne sur une population de 9 465 génalogistes, et d'une enquête qualitative de 17 entretiens. Enfin, une enquête du Service interministériel des Archives de France (SIAF) sur les lecteurs, les internautes et le public des activités culturelles dans les services publics d’archives a été menée en 2014. 18 000 réponses ont été obtenues, résultats qui demandent une certaine vigilance : les répondants sont des personnes informatisées, qui connaissaient l'existence des sites institutionnels. Un public âgé, qui s'est féminisé, composé d'internautes autodidactes L'enquête de 2006 indique que 21 % des généalogistes ont plus de 55 ans. En 2014, un âge moyen de 60 ans est calculé. La répartition des sexes tend à confirmer la remarque de Charles Hervis selon laquelle la généalogie se serait largement féminisée22 : en 2011, elle concerne autant d'hommes que de femmes. En 2014, six généalogistes sur dix sont des hommes. L'enquête de 2011 affirme que plus de la moitié des usagers vivent dans des communes de moins de 20 000 habitants. 19 Yves Le Coadic, Usages et usagers de l'information, Paris, Nathan, 1997, p. 59 20 Médiamétrie//NetRatings, « Étude sur les usages de l’internet par les généalogistes », francearchives.fr, décembre 2006 [en ligne : https://francearchives.fr/file/97b808e902a6f776d4dc0098934ed0141bcb97ab/static_3201.pdf]. Consulté le 5 mars 2019 21 Dominique Desjeux, op. cit. 22 Charles Hervis, 2012, « Généalogie : les nouvelles demandes du collectionneur, de l’enquêteur et de l’historien », La Gazette des archives, 2012, vol. 227, no 3, p. 27-32 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 13/103
  • 14. Selon les chiffres de l'enquête de 2011, un total de 45 % des généalogistes ont un niveau d'études allant de bac + 2 à Bac + 8, 17 % ont le bac, 45 % le certificat d'études. Leurs pratiques culturelles sont plus intenses que la moyenne des français : ils lisent ainsi quotidiennement la presse (45 %) ou des livres (37 %). Ils sont souvent autodidactes : 62 % se déclarent comme tel en 2011. Cette même enquête indique qu'une courte majorité d'entre-eux pratiquent la généalogie de manière occasionnelle, soit moins de 3 heures par semaine, souvent des femmes jeunes à bas revenu (50,90 %). Un autre groupe, dénommé « amateurs » est composé de personnes qui pratiquent de 4 à 19h par semaine (29,20 %). Enfin, on trouve les quasi-professionnels qui pratiquent 20h et plus par semaine, hommes âgés qui appartiennent à la classe moyenne ou supérieure (7,5 %). Leurs modes de recherche démontrent selon l'enquête de 2011 une forte prédominance de l'utilisation d'Internet (69,10 % consultent les actes en ligne), mais aussi des visites dans les services d'archives pour plus de la moitié d'entre-eux (53,40 %). Les discussions avec les membres de la famille sont fréquentes (48,50 %). La motivation diffère fortement en fonction de l'âge, et va de la recherche des origines pour les plus jeunes à la volonté de transmission pour les plus âgés. On remarque surtout que la recherche de lien social est présente dans toutes les tranches d'âge : AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 14/103 Figure 1: Dominique Desjeux, « La recherche généalogique : de la quête des origines au besoin de transmettre », argonautes.fr, 2011 [en ligne : http://www.argonautes.fr/uploads/uploads/documents/2011_09_CONF_GENEALOGIE_ RESULTATS.pdf]. Consulté le 8 février 2019
  • 15. 42 % des usagers utilisent Internet pour leur pratique en 2006, dont 64 % depuis plus de cinq ans. L'enquête de 2014 confirme ces éléments en indiquant que huit généalogistes sur dix se connectent quotidiennement. Les sites des Archives publiques étaient peu connus en 2006 (21 % des usagers). Les sites privés avaient plus de notoriété : 43 % des usagers se connectaient alors à Geneanet au moins une fois par mois. L'enquête de 2014 note cependant qu'en termes de fréquentation des Archives, les salles de lecture virtuelles sont 140 fois plus fréquentées que les salles de lecture physiques. Le profil du généalogiste a ainsi peu évolué entre 2006 et 2014 : ce sont en majorité des usagers de plus de soixante ans, hommes et femmes à parts égales, vivant dans des villes de moins de 20 000 habitants, avec un niveau d'études inférieur ou égal au bac dans une courte majorité. Ils ont une appétence pour la culture et sont autodidactes. Surtout, ils ont une utilisation importante d'Internet pour consulter des actes, au point que le terme de « généanaute », contraction de « généalogiste » et d'« internaute » est devenu courant. Ces comportements semblent avoir pris plus d'importance au fur et à mesure que les services d'archives ont mis en ligne les sources qui intéressent les généalogistes. 1.2.2. Des sources difficilement exploitables L'extension de la pratique généalogique à une population qui descend en grande partie de modestes familles paysannes a fait évoluer la demande en ce qui concerne les sources. Auparavant, les généalogies imprimées et nobiliaires en constituaient les principales : rédigés, organisés, avec le but de démontrer des origines illustres, ces derniers étaient facilement exploitables et faisaient références à des personnages présents dans des sources historiques. De même, ces ancêtres lettrés produisaient des écrits. Dans un ouvrage publié en 1998, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d'un inconnu (1798 - 1876), l'historien Alain Corbin tente de reconstituer la vie d'un sabotier normand analphabète du XIXe siècle, qui a laissé peu de traces visibles aujourd'hui. L'auteur y évoque la difficulté à exploiter le peu de sources où il apparaît : Il n'a été mêlé à aucune affaire d'importance. Il ne figure sur aucun des documents judiciaires qui ont échappé à la destruction. Il n'a jamais fait l'objet d'une surveillance particulière de la part des autorités. Aucun ethnologue n'a observé ses manières de dire ou de faire23 . 23 Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798 - 1876), Paris, Flammarion, 1998, p. 7 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 15/103
  • 16. Les sources utilisées par Alain Corbin se divisent en deux parties. En premier lieu, celles où apparaît de façon certaine Louis-François Pinagot, dans l'ordre de recherche l'état-civil, les recensements de population, les sources militaires, les archives notariales et cadastrales. En second lieu, les sources où il est possible qu'il apparaîsse, ou qui donnent des indications sur son environnement : documents judiciaires, administratifs et monographies locales. Ces documents, auxquels s'ajoutent les photographies, correspondent aux sources utilisées par la majorité des généalogistes amateurs à ce jour. Ainsi, l'enquête menée par Dominique Desjeux en 2011 indique que 86,90 % des généalogistes ont utilisé comme première source l'état-civil, suivi des photographies (27,40 %) et des archives notariales (17,40 %)24 . Ces sources ne sont pas accessibles de manière aisée. Elles sont disponibles en un exemplaire unique - au mieux deux pour l'état-civil - et conservées dans des dépôts d'archives à identifier en amont. Elles ont subi les aléas de l'histoire tels que guerres, pertes, destructions volontaires et catastrophes naturelles. Il faut se déplacer sur les lieux de conservation, au risque d'être déçu si le document recherché n'est plus. Lorsqu'enfin ces documents sont entre les mains du généalogiste amateur, celui-ci doit passer outre leur caractère administratif : ils n'ont en effet pas été rédigé dans un but de recherche historique, mais bien pour la bonne marche du travail des autorités publiques et / ou pour garantir des droits. L'écriture et les abréviations utilisées sont souvent illisibles sans formation, surtout pour les sources les plus anciennes. Dans certaines régions, la langue utilisée peut être un obstacle. Sachant que, pour rappel, plus de la moitié des généalogistes amateurs ont appris leur pratique en autodidacte, la recherche en particulier au-delà de l'état-civil peut s'avérer un véritable parcours du combattant. D'où la nécessité vite ressentie d'une entraide. 1.3. Un public aux pratiques collaboratives anciennes 1.3.1. La démocratisation a amené des pratiques collaboratives La collaboration est la « particip[ation] à l'élaboration d'une œuvre commune25 . » Les généalogies imprimées et nobiliaires constituent les plus anciennes pratiques collaboratives, mais comme précisé précedemment ces documents concernent uniquement les familles de notables. On note la présence d'initiatives isolées, telle que la reconstruction de l'état civil de Paris après la destruction des registres lors de la Commune de 1871. Au sein des sources, les tables décennales et répertoires des notaires, qui recensent les documents par nom sur une période donnée sont une première forme 24 Dominique Desjeux, op. cit. 25 TFLI, « collaboration », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/collaboration]. Consulté le 17 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 16/103
  • 17. d'indexation. Celle-ci a cependant un but professionnel. La quasi-totalité des indexations à destination des généalogistes du dernier tiers du vingtième siècle est l'œuvre des associations. La première association généalogique de France est née en 1954. A suivi en 1968 la Fédération Française de Généalogie, dont la grande majorité des associations sont membres. Aujourd'hui, on compte plusieurs centaines d'associations26 qui publient des bulletins et tiennent des permanences décentralisées. Elles encadrent des travaux collectifs menés par des généalogistes, qui consistent en des dépouillements d'acte, essentiellement l'état civil et les notaires, qui demandent des connaissances en paléographie. Les premières publications datent de 198227 . Le développement de logiciels de dépouillement a facilité cette tâche, en permettant au volontaire de travailler chez lui. Ces relevés sont ensuite mis en ligne sur les sites des associations. Ils sont souvent vendus de façon dématérialisée ; il s'agit là d'une source de revenus pour les associations. Ils sont la plupart du temps versés aux Archives municipales ou départementales qui ont fourni les copies des documents. Les associations souffrent cependant de trois faiblesses28 : une grande partie des généalogistes n'en sont pas membres (en raison du coût, de l'ignorance de leur existence ou d'un manque d'intérêt). Elles sont soumises à des querelles de personnes et d'influences. Enfin, la Fédération connaît des difficultés pour centraliser des travaux éparpillés entre les différentes associations. 1.3.2. L'arrivée d'Internet a rapproché sources et usagers L'essor d'Internet a permis aux généalogistes de contourner ces difficultés. C'est un outil qui est dans une « parfaite adéquation avec les besoins et mentalités généalogiques (échanges, informations, gratuité ...)29 .» Son utilisation pour les besoins des généalogistes a commencé aux États-Unis avec la base Family Search de l'Église des Saints des Derniers Jours ou Mormons, qui réunit des microfilms réalisés à partir des archives du monde entier. Ce site comporte également un index général international des patronymes recensés et dépouillés et des « fiches d’ancêtres » enregistrées, en vue d’échanges, par les membres de l’Église ou d’autres généalogistes. Le Québec a rapidement suivi avec le site Francêtres, puis la France en 1996 avec Généanet, qui permet de déposer son arbre généalogique en ligne. Internet a apporté trois avancées majeures : la mise en ligne de documents d'archives, qui permet d'effectuer des recherches depuis chez soi ; la mise en ligne de dépouillements sur des sites 26 Jean-Louis Beaucarnot, La Généalogie, Paris, PUF, 2003, chapitre 1, paragraphe 24 27 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 1, paragraphe 59 28 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 3, paragraphe 8 29 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 3, paragraphe 67 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 17/103
  • 18. centralisés ; surtout, les internautes peuvent partager en ligne leurs propres dépouillements et arbres généalogiques. Ces trois tendances ne cesseront de progresser au fil du temps. Geneanet comportait ainsi 78 millions de références patronymiques en 200330 , et 3 milliards fin 201531 . Internet a ainsi donné une ampleur exceptionnelle à l'entraide. Pauline Moirez note une émulation : plus un chercheur utilise Internet, moins il a tendance à abandonner sa recherche32 . Aujourd’hui, de par cette richesse, on peut dire qu’Internet est devenu un des grands outils de travail du généalogiste, sans pour autant pouvoir être le seul (ce n’est notamment pas lui qui saurait permettre au débutant de démarrer et ses contenus – aussi riches soient-ils – ne sauraient lui apporter des éléments à sa portée). Il permet par ailleurs au chercheur en ayant la nécessité de mieux passer les frontières et offre surtout des possibilités d’échanges quasiment illimitées.33 Cependant, l'information sur le Web n'est pas forcément fiable ; sources et sérieux de l'auteur sont à vérifier. D'où l'intérêt de consulter les sites des Archives publiques, gardiennes des sources. La numérisation des sources par les Archives municipales et départementales a pour origine la difficulté à répondre aux demandes de plus en plus nombreuses des généalogistes. Les salles de lecture étaient saturées par des personnes venues pour la journée, présentes avant même l'ouverture de la salle, aux comportements parfois incorrects. Les demandes faites par courrier se voyaient parfois suivies en cas d'absence de réponse de menaces d'assignation à la Commission d'Accès aux Documents Administratifs (CADA), comme le rapportent les Archives municipales d'Orléans, qui ont connu cette situation suite à la réduction de la fréquence d'ouverture de leur salle de lecture. La mise en ligne des sources utiles aux généalogistes, à commencer par l'état-civil, la plus demandée, a permis de résoudre cela. Les sites Web ont rapidement vu leur fréquentation exploser : Dès qu’un service d’archives met en ligne ses collections de registres paroissiaux, d’état civil, de recensement de la population, la fréquentation du site s’élève aussitôt à plusieurs dizaines de milliers de connexions par semaine et à plusieurs centaines d’internautes connectés simultanément.34 Pour exemple, aux Archives départementales de Seine Maritime, la mise en ligne de l'état-civil en 2012 a ainsi attiré 4 000 visiteurs uniques par jour. Les services d'archives interrogés affirment que ces hausses de fréquentations sur Internet se sont accompagnées d'une forte baisse des visites en salles de lecture : les Archives municipales de Saint-Étienne, qui avaient plus de 500 inscrits vers 30 Jean-Louis Beaucarnot, op. cit., chapitre 3, paragraphe 71 31 Frédéric Thébault, « 3 milliards de personnes sur Geneanet !», geneanet.org, 12 octobre 2015 [en ligne : https://www.geneanet.org/blog/post/2015/10/3-milliards-personnes-geneanet]. Consulté le 12 mai 2019 32 Pauline Moirez, « Archives participatives », in Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Paris, éditions du Cercle de la librairie, 2012, p.187-197 33 Jean-Louis Beaucarnot, ibid., chapitre 3, paragraphe 72 34 Françoise Banat-Berger, 2011, « Les archives et la révolution numérique », Le Débat, n°158, 2011, p. 70-82 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 18/103
  • 19. 2005, en ont à ce jour 200. Cette baisse de fréquentation physique fut bénéfique aux archivistes comme aux usagers : les professionnels peuvent consacrer plus de temps au classement. Le public peut explorer d'autres séries et se déplace pour celles non numérisées. Surtout, les usagers ont développé de nouvelles pratiques et de nouvelles demandes. 1.3.3. Les conséquences : nouvelles pratiques, nouvelles demandes En 2012, Pauline Moirez recensait « plus de 174 millions de pages d'archives et 1 million d'images (...) mises en ligne par 128 services d'archives ; 80 départements sur les 101 départements français mettent des archives numérisées à disposition du public sur le Web.35 » Par conséquent, la recherche se pratique à présent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. L’entraide entre généalogistes suit le même mouvement : tous les jours et à toute heure36 . Cependant, les généalogistes vont rapidement souhaiter le perfectionnement de ce qui leur est proposé. Le document d'archives est spécifique par le fait qu'il est unique, contrairement par exemple aux monographies qui sont produits en un grand nombre d'exemplaires. Cela rend complexe sa description exhaustive, qui ne peut s'appuyer sur des catalogues collectifs et des échanges de données comme en bibliothèque37 . Dans un article de 2010, Isabelle Chave38 écrit que parmi les questions les plus récurrentes posées par le public des Archives départementales figure celle de la faiblesse des instruments de recherche : manque d’index des noms de personnes et de lieux, manque d’exhaustivité, nécessité de dépouillements affinés. Pour les fonds judiciaires, par exemple, les usagers demandent des dépouillements par affaire et par acte, avec indexation fine par nom des parties et par délit. Dans le même article, Isabelle Chave signale qu'une volonté de participation se fait jour. Pour les fonds notariés, les lecteurs demandent des mises à jour rapides et souhaitent signaler les minutes (originaux des actes) lacunaires. Cela va de pair avec le développement des nouvelles communautés de généalogistes qui entrent en contact entre eux via le Web et signalent les erreurs techniques aux services39 . De même, il y a une réelle curiosité du public pour le travail des archivistes, illustrée par le nombre de personnes présentes aux visites des Journées du Patrimoine observé par les Archives municipales de Saint-Étienne. 35 Pauline Moirez, op. cit. 36 Charles Hervis, 2012, « Généalogie : les nouvelles demandes du collectionneur, de l’enquêteur et de l’historien », La Gazette des archives, 2012, vol. 227, no 3, p. 27-32 37 Pauline Moirez, ibid. 38 Isabelle Chave, « Les questions récurrentes du public face aux fonds d’archives et à leurs instruments de recherche », La Gazette des archives, vol. 220, no 4, 2010, p. 85-97 39 Françoise Banat-Berger, op. cit. AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 19/103
  • 20. De plus, en parallèle du travail des associations et des initiatives institutionnelles, les particuliers à présent mieux équipés constituent de véritables corpus de documents dématérialisés qui bénéficient à tous. Dans un article de 201240 , Yann Potin évoque en parallèle « une autre numérisation » déjà commencée dans les « salles de lecture des dépôts d’archives. Celle-là est réalisée au quotidien par des centaines d’appareils photographiques personnels. » Isabelle Chave évoquait en 2011 l'opportunité pour les archives de collaborer avec les usagers pour consolider et diffuser les données indexées, pour répondre aux demandes auxquelles elles sont confrontées : Le profil très généalogiste des usagers des Archives départementales engendre une approche nominative et patronymique dans l’exploitation des fonds, reflet de leurs préoccupations. L’une des voies d’avenir de la fréquentation des services d’archives, sur place ou sur leur site, passera sans doute par leur capacité à s’engager, quel qu’en soit le moyen, dans le travail d’indexation patronymique. Disputé aujourd’hui par les sociétés généalogistes, pour l’heure freinées par le problème de la réutilisation des données publiques, cet enjeu va pousser les services, faute d’effectifs humains suffisants et de moyens en conséquence, à développer les collaborations extérieures.41 Ainsi, pour mettre en place ces collaborations, les archives ont mis en place des pratiques participatives, rejoignant ainsi les autres institutions culturelles telles que bibliothèques et musées. 40 Yann Potin, « Institutions et pratiques d’archives face à la « numérisation ». Expériences et malentendus », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2012, n° 58-4bis, p. 57-69 41 Isabelle Chave, op. cit. AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 20/103
  • 21. 2. Les pratiques participatives : définition, état de l'art et applications La notion de participation a fait l'objet de plusieurs études dans ses applications en bibliothèques, musées et archives (2.1). Ce sont surtout ces deux premières institutions qui ont inauguré sa mise en oeuvre (2.2), les archives l'ayant ensuite adaptée à leurs spécificités (2.3). 2.1. La notion de participation dans les institutions culturelles : définition et état de l'art 2.1.1. La notion de participation En psychologie sociale, la participation est un « engagement personnel en tant que membre du groupe pour coopérer et faire progresser d'une part le fonctionnement du groupe comme tel, d'autre part la réalisation de sa tâche et de ses objectifs42 . » En psychologie de l'éducation, c'est une « action éducative et pédagogique qui sollicite le concours, l'adhésion de l'enfant, de l'élève dans les processus de formation et d'enseignement43 . » Ainsi, la participation, action des individus qui fait progresser le groupe, apporte à ces mêmes individus un gain intellectuel. John Dewey (1859-1952), philosophe américain pragmatiste, a théorisé la notion de participation au sein de l'espace public. Pour ce dernier, le désengagement des citoyens s'exprime par l'abstention aux élections. Il proposait comme solution de laisser le peuple prendre véritablement part aux décisions, en augmentant ses compétences et en diminuant le rôle des experts44 . Il importe de différencier la notion de participation de celle de collaboration. Les pratiques des généalogistes évoquées précédemment relèvent de la collaboration. Des individus qui collaborent mettent leur travail en commun pour créer quelque-chose, une communauté. Les demandes des généalogistes vis à vis des institutions, et les réponses de ces dernières, ont mené vers des actions 42 TLFI, « participation », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/participation]. Consulté le 12 mai 2019. 43 TLFI, « participation », cnrtl.fr [en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/participation]. Consulté le 12 mai 2019. 44 Raphaëlle Bats, « La participation en bibliothèque : légitimité, formes et enjeux », Bibliothèque(s), n°83, 2016, p. 10-15. [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/67482-83-pratiques-participatives.pdf]. Consulté le 13 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 21/103
  • 22. qui relèvent de la participation : les usagers prennent part à quelque-chose qui préexiste, créé en amont. Il ne s'agit pas d'initiatives communautaires comme cela était le cas au sein des associations, mais bien d'un travail de grande échelle, où tous peuvent prendre part. La frontière entre les deux notions reste fine : souvent le terme de « collaboration » est utilisé pour désigner des systèmes participatifs, et comme cela sera vu dans la troisième partie, la participation peut amener à terme à la création de communautés. L'idée de participation a pris une nouvelle dimension avec l'arrivée d'Internet, en particulier le Web 2.0. Cette notion définie par Tim O'Reilly dans son article de 2005 « Qu'est-ce que le Web 2.0 »45 se base sur la participation des internautes, vus comme des créateurs de données (concept de produsage défini par Axel Bruns46 ) : plus le nombre d'utilisateurs augmente, plus la qualité du service proposé s'améliore, via la création de données uniques, difficiles à recréer (« la richesse est dans les données »). L'accent y est mis sur l'intelligence collective. L'usager participe sur trois points : fonds (information, ressources), forme (personnalisation), description (tags, commentaires), avec les folksonomies décrites par Thomas Vander Wal en 200447 . Ce mot issu des termes anglais « folk » (peuple) et « taxonomy » (taxonomie) désigne la catégorisation réalisée par les internautes : l'utilisateur décrit lui-même les ressources avec des mots-clés (« tags »), qui deviennent populaires si d'autres les utilisent. Par exemple, une photographie de paysage peut être décrite par plusieurs tags tels que « mer », « soleil », « montagne ». Quand c'est une structure qui fait appel aux individus, cela devient du crowdsourcing, pratique qui consiste littéralement à « externaliser (to outsource) une activité vers la foule (crowd) c’est-à- dire vers un grand nombre d’acteurs anonymes (a priori)48 . » Il importe de souligner l'usage des moteurs de recherche, deuxième utilisation d'internet après les courriels. Leur utilisation est simple ; on y indique peu de mots. « L'usage des moteurs de recherche paraît enfin contagieux : on constate un transfert d’usages ou une contamination, diront certains, entre les moteurs de recherche sur Internet et les autres systèmes de recherche d’informations49 ." » Cette contagion a touché les institutions culturelles, qui ont dû prendre en compte cette évolution et 45 Tim O'Reilly, « What is Web 2.0 ? », oreilly.com, 2005 [en ligne : https://www.oreilly.com/pub/a/Web2/archive/what-is-Web-20.html]. Consulté le 13 mai 2019 46 Axel Bruns, Blogs, Wikipedia, Second Life, and Beyond. From production to produsage, New York, Peter Lang, 2008, chapitre 1 47 Thomas Vander Wal, « Folksonomy Coinage and Definition », vanderwal.net, 2007 [en ligne : http://vanderwal.net/folksonomy.html]. Consulté le 17 mai 2019 48 Thierry Burger-Helmchen et Julien Pénin, « Crowdsourcing : définition, enjeux, typologie », Management & Avenir, 2011/1 (n° 41), 2011, pages 254 à 269 [en ligne : https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2011- 1-page-254.htm]. Consulté le 21 mai 2019 49 Claire Lebreton, Bibliothèques, tags et folksonomies. L'indexation des bibliothèques à l'ère sociale, Thèse pour le diplôme de conservateur des bibliothèques, ENSSIB, 2008, p. 24 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 22/103
  • 23. l'intégrer à leur offre, situation qui a attiré l'attention des chercheurs. 2.1.2. État de l'art des études sur les bibliothèques et musées : une visée pratique La notion de pratiques participatives est depuis les années 2000 une question majeure pour les bibliothèques. La revue de l'Association des Bibliothécaires de France (ABF), Bibliothèque(s), a édité plusieurs numéros sur ce sujet. S'y trouve l'article de Raphaëlle Bats, conservateur des bibliothèques, « La participation en bibliothèque : légitimité, formes et enjeux », qui expose l'historique de ces pratiques, les catégorise et en étudie la légitimité pour les bibliothèques50 . Le numéro de 2016 de la revue de l'ABF, consacrée à l'innovation, comporte nombre d'éléments sur la participation des usagers, dont des articles sur les moyens de mettre en oeuvre cette notion : pilotage de l'innovation51 , design-thinking52 , animation de communautés53 . Il s'agit ici d'articles à visée principalement pratique, à destination des professionnels. À noter l'importance de la notion de Web 2.0, étudiée en 2008 dans la thèse pour le diplôme de conservateur des bibliothèques de Claire Lebreton, qui reprend l'historique des folksonomies en bibliothèques et étudie les expériences menées, notamment l'idée de bibliothèque 2.054 Dans les musées, l'article de Rémi Mencarelli, « Web 2.0 et musées : les nouveaux visages du visiteur » (2012) explique les raisons et apports de l'utilisation du Web 2.0, et donne des exemples d'applications, surtout américains : réseaux sociaux, folksonomies, oeuvres d'arts créées par les visiteurs55 . La Documentation Française a édité en 2018 un ouvrage synthétique sur la participation dans les musées56 . Y est étudiée l'histoire de cette participation des publics, ainsi qu'une évaluation des méthodes utilisées. Une telle synthèse n'existe pas pour les institutions d'archives. 50 Raphaëlle Bats, « La participation en bibliothèque : légitimité, formes et enjeux », Bibliothèque(s), n°83, 2016, p. 10-15. [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/67482-83-pratiques-participatives.pdf]. Consulté le 13 mai 2019 51 Christelle Di Pietro, « Piloter l’innovation en bibliothèque : pourquoi, comment ? », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 6-11. 52 Nicolas Beudon, « Le design thinking : une méthode pour innover centrée sur les usagers », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 69-71 53 Pauline Bénéteau, « Quand l’usager fait la médiathèque : l’exemple de la Médiathèque entre Dore et Allier », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 20-24 Annie Le Guern-Porchet, . « Une communauté d’échanges et de savoir », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 16-19 54 Claire Lebreton, op. cit. 55 Rémi Mencarelli, « Web 2.0 et musées : les nouveaux visages du visiteur ». Décisions Marketing, nᵒ 65, 2 mars 2012, p. 77-82 [en ligne : https://doi.org/10.7193/DM.065.77.82]. Consulté le 8 février 2019 56 Alexandre Delarge, Le musée participatif. L'ambition des écomusées, Paris, La Documentation Française, 2018 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 23/103
  • 24. 2.1.3. État de l'art sur la participation en archives Historiques et états des lieux Il existe cependant plusieurs historiques et états des lieux des pratiques participatives dans les archives françaises. L'article de 2012 de Pauline Moirez57 est à ce titre majeur. Il s'agit d'un état des lieux exhaustif sur le participatif en France, en comparaison avec les Pays-Bas, les Etats-Unis et le Royaume Uni. Il décrit les spécificités du document d'archives et le profil des généalogistes. Deux autres publications sont à retenir : tout d'abord, l'article de Yann Potin « Institutions et pratiques d’archives face à la "numérisation". Expériences et malentendus » (2012)58 fournit un historique succinct de l'informatisation des archives et présente les problèmes liés à l'indexation, notamment du point de vue financier. Les principales expériences participatives dans les structures culturelles ont été réunies en 2013 par Pauline Moirez, Jean-Philippe Moreux et Isabelle Josse dans un état de l'art en matière de crowdsourcing dans les bibliothèques numériques, dans le cadre d’un projet de Recherche & Développement pour la conception d’une plateforme de correction collaborative et d’enrichissement des documents numérisés59 . Ce document recense également les différentes catégories de systèmes participatifs ainsi que leurs applications dans l'ensemble des institutions culturelles. Enfin, l'article d'Edouard Bouyé « Le Web collaboratif dans les services d’archives publics : un pari sur l’intelligence et la motivation des publics » (2012)60 fait le point sur la liberté laissée au public et surtout pose la question de la mutualisation des données ainsi créées, élément qui prendra de l'importance dans les années suivantes avec les entreprises privées et le Web de données (Web 3.0). Quels systèmes ? Retours sur expériences Les professionnels sont à l'origine d'articles à visée pratique qui décrivent les expériences menées dans leurs structures, et les conclusions à en tirer. En 2013, Christelle Bruant décrit les actions mises en place aux archives municipales d'Orléans61 , et surtout les motivations pour choisir les fonds ouverts au participatif, avec notamment l'idée de faire découvrir de nouveaux documents aux 57 Pauline Moirez, « Archives participatives », Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Paris, Editions du Cercle de la librairie, 2012, p. 187-197 58 Yann Potin, « Institutions et pratiques d’archives face à la « numérisation ». Expériences et malentendus », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2012, no 58-4bis, p. 57-69 59 Pauline Moirez, Jean-Philippe Moreux et Isabelle Josse, « État de l'art en matière de crowdsourcing dans les bibliothèques numériques », ENSSIB Études et enquêtes, 2013 [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque- numerique/documents/61092-etat-de-l-art-en-matiere-de-crowdsourcing.pdf]. Consulté le 13 mai 2019 60 Édouard Bouyé, « Le Web collaboratif dans les services d’archives publics : un pari sur l’intelligence et la motivation des publics », La Gazette des archives, 2012, vol. 227, no 3, p. 125-136 61 Christelle Bruant, « Un pari pour l'avenir ? Le travail collaboratif avec les usagers des archives municipales d'Orléans », La Gazette des Archives, n°232, 2013, p. 153-162 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 24/103
  • 25. usagers. L'idée de rendre les archives vivantes, de nouer des relations nouvelles avec le public sont d'autres raisons invoquées, cette fois-ci en Vendée par Emmanuelle Roy, dans une intervention à un colloque de 2017, où elle décrit les différentes formes de participation proposées et des retours sur expérience62 . Enfin, dans un article de la même année, Emmanuelle Roy présente en détail un programme d'indexation sur les matricules militaires 1887 - 192163 . La redocumentarisation : la question de la liberté laissée à l'utilisateur La recherche sur l'accès aux archives s'est penchée de manière précoce sur la notion de redocumentarisation, popularisée par Jean-Michel Salaün dans un article de 2007 « La redocumentarisation, un défi pour les sciences de l'information ? »64 . Il s'agit donc ici de retraiter un document ou un ensemble de documents numérisés de façon à les enrichir de métadonnées nouvelles et à réarranger et relier leur contenu. Dès 2003, Bertrand Coüasnon et Jean Camillerapp constatent la saturation des salles de lecture, à l'origine de la dématérialisation. Ils indiquent que la recherche est difficile sans indexation. Ils comparent les types d'annotation : automatique (via la reconnaissance de caractère) et manuelle, qui doit se faire directement par le lecteur pour éviter un coût humain et financier bien trop élevé65 . En 2006, en prenant l'exemple de la banque de données d'images des Archives Nationales des Pays- Bas66 , Seth Van Hooland met en évidence les différences entre l'indexation classique et les folksonomies, notamment en termes de liberté de l'utilisateur, quasiment totale dans le cas des folksonomies. Il y recense des problèmes de polysémie et de synonymie qui provoquent bruit et silence. Il note cependant que 34% des commentaires visent à corriger les métadonnées des images, soit une autocorrection de la part de la communauté. En 2017, Ana Margarida Dias da Silva pose cette question de la folksonomie dans le domaine des archives en France. Elle évoque l'indexation collaborative et les archives participatives à travers leurs spécificités, face au public généalogique, et s'appuie sur les articles d'Edouard Bouyé et Pauline Moirez pour constater que les systèmes français ne constituent pas réellement des folksonomies mais bien des systèmes plus limités et 62 Emmanuelle Roy, « L'apport du travail collaboratif des chercheurs à la mise en valeur des archives : l'expérience des Archives départementales de la Vendée », contribution au colloque Conservation et réutilisation des archives à l’ère du numérique, les expériences de la Chine et de la France, Paris, 2017 63 Emmanuelle Roy, « Construire des pratiques collaboratives dans les archives : l'exemple de Soldats de Vendée », La Gazette des Archives, n°245, 2017, p. 264-275 64 Jean-Michel Salaün, « La redocumentarisation, un défi pour les sciences de l'information ? », Études de Communication, n° 30, 2007, p. 13-23 65 Bertrand Coüasnon et Jean Camillerapp, « Accès par le contenu aux documents manuscrits d’archives numérisés, Abstract », Document numérique, 2003, vol. 7, no 3, p. 61-84 66 Seth Van Hooland, « From Spectator to Annotator: Possibilities Offered by User-Generated Metadata for Digital Cultural Heritage Collections ». Proc. CILIP Catalog Indexing Group, 2006 [en ligne : https://www.researchgate.net/publication/265233235_From_Spectator_to_Annotator_Possibilities_offered_by_Use r-Generated_Metadata_for_Digital_Cultural_Heritage_Collections]. Consulté le 13 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 25/103
  • 26. dirigés67 . Les attentes du public Isabelle Chave a étudié les attentes du public dans un article de 201068 , qui souligne des difficultés surtout liées à l'appréhension des fonds et à l'obsolescence des outils. Elle y évoque le manque d'index des documents et l'absence d'uniformité des systèmes, et conclut que la coopération avec le public est nécessaire pour créer ces index. Postérieurement, deux autres articles étudient l'évolution des attentes avec la numérisation des archives : en 2011, Françoise Banat-Berger publie une étude sur la numérisation des archives et la hausse de fréquentation des sites Web qui a suivi. Elle y étudie la participation volontariste du public (signalement d'erreurs)69 . En 2012, Charles Hervis analyse l'évolution des pratiques et attentes des généalogistes avec Internet : un public plus exigeant, qui va vers de nouvelles sources70 . En 2016, Christelle Bruant (Archives d'Orléans) se penche sur la question de la communication des services d'archives à l'ère du Web 2.0, et du rôle de l'archiviste dans ces actions. Elle y insiste sur la fidélisation du public, notamment avec la communication des apports des contributeurs71 . Cette situation oblige les archives municipales et départementales à prendre en compte les souhaits de ce public, comme l'ont déjà fait avant eux les bibliothèques et musées. 2.2. Les expériences participatives en institutions culturelles 2.2.1. Les expériences en bibliothèque : troisième lieu et bibliothèque 2.0 La nécessité d'attirer les publics La bibliothèque ou médiathèque conserve la mémoire du savoir de l'homme. Elle met l'accent sur la médiation72 . Elle donne en effet accès au savoir et acquiert des ressources, produit des services à destination de l'usager. Surtout, elle a un rôle d'intermédiaire entre l'usager et les ressources documentaires. C'est ici que la notion de participation trouve sa place. Il s'agit de fournir au public 67 Ana Margarida Dias da Silva, « Folksonomies in archives: controlled collaboration for specific documents », Ariadne, 2017, vol. 77 [en ligne : http://www.ariadne.ac.uk/issue/77/margaridadiasdasilva/]. Consulté le 14 mai 2019 68 Isabelle Chave, « Les questions récurrentes du public face aux fonds d’archives et à leurs instruments de recherche », La Gazette des archives, vol. 220, no 4, 2010, p. 85-97 69 Françoise Banat-Berger, « Les archives et la révolution numérique », Le Débat, no 158, 2011, p. 70-82 70 Charles Hervis, « Généalogie : les nouvelles demandes du collectionneur, de l’enquêteur et de l’historien », La Gazette des archives, vol. 227, no 3, 2012, p. 27-32 71 Christelle Bruant, « Chercher autrement dans les fonds numérisés : contribution du public et rôle de l'archiviste », La Gazette des Archives, n°244, 2016, p. 209-222 72 ENSSIB, « Distinction bibliothèque / centre de documentation - documentaire », enssib.fr, 2018 [en ligne : https://www.enssib.fr/services-et-ressources/questions-reponses/distinction-bibliotheque-centre-de-documentation]. Consulté le 1 février 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 26/103
  • 27. ce à quoi il s'attend, mais aussi d'augmenter ses compétences. Attirer le public, car les adhésions sont en baisse : les bibliothèques connaissent la concurrence des nouveaux loisirs numériques. Les professionnels ont pris conscience de la nécessité de s'adapter, d'acquérir de nouvelles compétences : animation d'espaces de mise en relation entre documents et personnes, de communautés, de blogs et de forums. Le troisième lieu : mise en oeuvre Ainsi, le développement rapide des ressources dématérialisées et des réseaux sociaux éloignaient les publics des bibliothèques. La réponse fut trouvée dans le principe de troisième lieu, lieu où la communauté peut se rencontrer en dehors de la maison (premier lieu) ou du travail (deuxième lieu). Ce concept a été développé aux Etats-Unis par le sociologue urbaniste Ray Oldenburg en 198973 . Le troisième lieu est un espace neutre et vivant qui favorise les rencontres et les échanges informels, sur un pied d'égalité, entre les membres de la communauté. Il s'agit d'un cadre confortable qui incite à vivre une expérience de contacts, de découvertes, de débats. En France, Mathilde Servet a étudié ce concept à partir de 200974 . Elle en dégage trois caractéristiques : ancrage physique fort, vocation sociale affirmée, nouvelle approche culturelle. L'on voit ici deux piliers principaux : le premier est celui de la communication, qui vise à attirer le public dans les bibliothèques, via l'ambiance et les activités. Le second est celui de la participation : les usagers échangent entre eux, participent à des débats, font connaissance. Ces échanges vont être encouragés par les bibliothécaires qui, prenant un rôle de facilitateur, vont mettre en place avec les usagers des activités que ces derniers méneront eux-mêmes. La mise en place d'actions participatives se base sur l'innovation ouverte, c'est-à-dire des projets conçus avec les équipes et les publics, dans une attitude professionnelle d'échange et de partage75 . L'usager s'y implique à trois niveaux76 : actif (implication dans la constitution des collections, mais la participation est entièrement organisée par le service), acteur (collaboration à l'élaboration du projet de co-construction), moteur (usager libre de gérer et organiser le projet). Nicolas Breudon distingue trois dispositifs participatifs pour les médiathèques 77 : 73 Ray Oldenburg, The Great Good Place : Cafes, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons, and Other Hangouts at the Heart of a Community, New York, Marlowe & Company, 1989 74 Mathilde Servet. Les bibliothèques troisième lieu, Thèse pour le diplôme de conservateur des bibliothèques, ENSSIB, 2009 75 Christelle Di Pietro, « Piloter l’innovation en bibliothèque : pourquoi, comment ? » Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, p. 6-11. 76 Emile Breton, Co-construire les collections avec les usagers, Thèse pour le diplôme de conservateur des bibliothèques, ENSSIB, 2014 77 Nicolas Beudon, « Le design thinking : une méthode pour innover centrée sur les usagers », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 27/103
  • 28. En premier lieu, les dispositifs d'échange qui sont le troc de livres, les jeux de société ou les jeux vidéos. Ces moments servent de temps d'échange autour de livres ou de films. Il est également possible de les organiser dans des salles dédiées au sein de la médiathèque78 . En deuxième lieu, les dispositifs d'écoute : cahiers de remarques et de suggestions, la soumission d'avis sur les documents, les questionnaires de satisfaction, ou encore un livret du contributeur donné à chaque usager pour lui permettre de signaler ses ressources à la communauté79 . Enfin, l'implication totale de l'usager dans une action ou un service de la bibliothèque constitue la forme la plus avancée de participation. Il s'agit d'ateliers animés par des usagers sur la transmission d'un savoir80 . L'usager organisateur n'est pas ici limité par un contrat signé. Le bibliothécaire est présent pour le dégager des contraintes physiques. Il assiste et gère le flux de participants. La médiathèque fournit un cadre : locaux, matériel, communication autour de l'événement. Le Web 2.0 : mise en oeuvre Au-delà de ces dispositifs mis à disposition dans les bibliothèques, les professionnels se sont emparés du Web 2.0, tout d'abord avec la dématérialisation des catalogues : ils les rendent adaptés aux standards du Web (donc en sortant des standards des bibliothèques) pour qu'ils soient accessibles par les moteurs de recherche. Ils permettent aux utilisateurs de les citer et de les réutiliser81 . L'idée de bibliothèques 2.082 inclut l'implication des usagers tant au niveau physique que virtuel. Les bibliothèques deviennent ainsi présentes sur les réseaux partagés quotidiennement par les internautes (Facebook, Twitter). Les usagers sont considérés comme des contributeurs dans des communautés qui les réunissent avec les professionnels. Dans la même logique, le catalogue 2.0 inclut la participation des usagers au traitement documentaire intellectuel, c'est-à-dire au catalogage et à l'indexation des documents. Selon Marc Maisonneuve, Le catalogue 2.0 est un logiciel documentaire permettant de repérer un document dans le fonds physique ou virtuel d'une bibliothèque ; il donne à voir les documents qu'il référence, offre des services personnalisés, intègre les contenus produits par l'usager et propose de nouvelles logiques de 78 Bibliothèque Louise Michel, « Louise et les canards pas si sauvages ... une histoire de participation à la bibliothèque », Youtube.fr [en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Pyn6tZRzTDE]. Consulté le 6 janvier 2019 79 Pauline Bénéteau, « Quand l’usager fait la médiathèque : l’exemple de la Médiathèque entre Dore et Allier », Bibliothèque(s), nᵒ 85/86, 2016, p. 20-24 80 Bibliothèque Louise Michel, op. cit. 81 Emmanuelle Bermès, « le Web sémantique en bibliothèque », Bulletin des Bibliothèques de France, n°2, 2014 [en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2014-02-0189-007]. Consulté le 16 mai 2019 82 Michael Casey, « Working Towards a Definition of Library 2.0 », LibraryCrunch.com, 2005 [en ligne : http://www.librarycrunch.com/2005/10/working_towards_a_definition_o.html]. Consulté le 16 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 28/103
  • 29. découverte (nuages de mots pour le rebond, conseil de lecture des usagers)83 . Les usagers ajoutent des contenus à ce qu'ont déjà fait les professionnels, avec les folksonomies. Celles-ci n'ont pas de structure hiérarchique et surtout utilisent un langage naturel, plus proche de celui des internautes. Cela pourrait faire craindre la présence de bruit, de confusion, cependant sont apparues des bonnes pratiques et des minisyntaxes, sous la supervision des bibliothécaires, comme le précise Claire Lebreton : « experts en langages documentaires, les bibliothécaires peuvent apporter leur expertise à l'agencement des tags, en reprenant par exemple les minisyntaxes déployées plus haut84 . » Les folksonomies permettent d'affiner les recherches et de favoriser la sérendipidité et surtout permettent des mutualisations entre les bibliothèques (sites LibraryThing et Babelio). Le mouvement des "OPAC 2.0" (Online Public Access Catalog), permet les tags par les utilisateurs, par exemple sur Gallica et Europeana85 . Nombre de ces éléments trouvent également des applications dans les musées, qui en tant qu'institutions culturelles accueillant du public ont des problématiques proches. 2.2.2. La participation en musées : réseaux sociaux et folksonomies Selon la loi du 4 janvier 2002, est un musée « toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l'éducation et du plaisir du public. » En 2012, Rémi Mencarelli86 explique qu'auparavant, le rôle des musées consistait en la collection et en la préservation des oeuvres. Depuis les années 1980, avec la concurrence et la contrainte budgétaire, la mission de diffusion des collections vers le grand public a pris le dessus. Les musées connaissent une volonté de valorisation nouvelle, qui intègre les nouvelles technologies, en particulier les techniques du Web 2.0. Mencarelli parle d'une « émergence d'un visiteur désormais acteur de l'offre muséale » et d'une montée en puissance des « pro-am » (professionnels-amateurs), de plus en plus sollicités. Pour communiquer avec ces usagers, les musées utilisent massivement les réseaux sociaux, tels que Youtube, Facebook, Twitter ou des blogs avec une orientation participative (Mattress Factory Art Museum de Pittsburg, où chaque visiteur peut laisser sa propre dédicace vidéo). Le Metropolitan 83 Marc Maisonneuve, « Les enjeux du catalogue 2.0 : la reconquête du public », In AMAR M., dir. MESGUICH V., dir. Le Web 2.0 en bibliothèques. Quels services ? Quels usages ?, Paris, Editions du cercle de la librairie, 2009. Chap. 2, p. 125-136. 84 Claire Lebreton, Bibliothèques, tags et folksonomies. L'indexation des bibliothèques à l'ère sociale, Thèse pour le diplôme de conservateur des bibliothèques, ENSSIB, 2008, p. 74 85 Claire Lebreton, op. cit., p. 65 86 Rémi Mencarelli, « Web 2.0 et musées : les nouveaux visages du visiteur ». Décisions Marketing, nᵒ 65, 2012, p. 77-82 [en ligne : https://doi.org/10.7193/DM.065.77.82]. Consulté le 8 février 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 29/103
  • 30. Museum of Art invite les visiteur à « déposer sur Flickr leurs photographies symbolisant des moments vécus en famille ou entre amis au sein du musée, puis à sélectionner parmi les milliers de clichés reçus ceux qui allaient être primés et insérés officiellement dans la campagne de communication institutionnelle du musée87 . » Les folksonomies sont également utilisées par les musées, qui laissent ainsi la main au public qui avec les tags peut désigner et classifier les oeuvres proposées. Le but est de « proposer, en parallèle à la terminologie des experts, une classification construite par et pour ses usagers », utile tant aux usagers qu'aux personnels. Les folksonomies facilitent ainsi la compréhension du projet culturel et scientifique par le visiteur et participent à l'éducation du public. 86 % des tags fournis dans les musées américains ne correspondent à aucune étiquette référencée par les musées, et 88% de ces tags sont considérés comme utiles à la recherche par le personnel. Au Musée d'histoire naturelle de Paris, la plate-forme « les herbonautes » propose aux usagers de transcrire des fiches manuscrites constituant le plus grand herbier d'Europe, ce qui permet l'accélération des recherches88 . Enfin, le visiteur peut être créateur et fournisseur des contenus muséaux en marge de l'offre artistique centrale, ainsi au musée Malraux du Havre (photographies prises par les usagers, 2009). Cela constitue non seulement un outil de communication, mais aussi une démarche qui permet le développement d'un fort sentiment d'appartenance et donc un intérêt du public vers les activités de ces structures. 2.2.3. Bibliothèques, musées et archives : une problématique commune Bibliothèques et musées ont en commun le fait d'être des institutions culturelles publiques, dont la mission est, par la médiation, la transmission du savoir aux citoyens. Pour permettre cela, ils disposent de fonds et collections qu'ils doivent enrichir et valoriser, et s'appuient sur des personnels qualifiés89 . Ces deux institutions font face à une même problématique : l'évolution du comportement du public face à l'information, avec la démocratisation d'Internet et surtout du Web 2.0 : les citoyens sont à présents habitués à participer, à donner leur avis. Le public n'est plus passif. Face à cela, les bibliothèques et musées ont adapté leurs positionnements et les compétences de leurs personnels. Les solutions évoquées ci-dessus ont donc une grande majorité d'éléments en commun. Le public est vu comme désireux d'apporter aux institutions des compétences qui vont permettre à ces 87 Rémi Mencarelli, op. cit. 88 Muséum National d'histoire naturelle, « Les herbonautes. L'herbier numérique collaboratif citoyen », lesherbonautes.mnhm.fr [en ligne : http://lesherbonautes.mnhn.fr/]. Consulté le 26 mai 2019 89 Ministère de la Culture, « Musées et bibliothèques font-ils cause commune ? », culture.gouv.fr, 2017 [en ligne : http://www.culture.gouv.fr/Actualites/Musees-et-bibliotheques-font-ils-cause-commune]. Consulté le 18 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 30/103
  • 31. structures d'améliorer la valorisation de leurs fonds et collections, par des activités encadrées en leurs murs (ateliers) et par Internet (redocumentarisation, folksonomies). Ce public est très présent sur les réseaux sociaux, ce qui inclut pour les bibliothèques et les musées d'y entretenir des comptes pour se faire connaître auprès des usagers et surtout créer et entretenir de réelles communautés. Les archives publiques ont en commun avec ces deux institutions l'ensemble des éléments évoqués, que ce soit pour les aspects structurels - institutions publiques qui visent à la transmission, par la médiation, d'un savoir - que pour les défis auxquels elles doivent faire face - public dont le comportement évolue. En toute logique, les solutions s'avéreront proches de celles choisies par les bibliothèques et musées, mais il faut prendre en compte les particularités des services d'archives. 2.3. Les services d'archives 2.3.1. Historique de la redocumentarisation dans ces institutions Particularités des archives Selon le Livre II du Code du Patrimoine (art. L211-1), « les archives sont l'ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité90 . » Ces documents sont soit conservés par leurs créateurs ou leurs successeurs pour leurs besoins propres, soit transmis à l'institution d'archives compétente en raison de leur valeur archivistique. Les archives ont quatre fonctions91 : administrative (assurer le fonctionnement de la société), de garantie des droits (authenticité), de recherche (histoire, bases de données) et culturelle (expositions). Le centre d'archives conserve ainsi la mémoire de l'activité de l'homme. Dans sa forme publique, il est présent à trois niveaux : national, départemental, communal ou communautaire. Y sont conservées les archives produites par les institutions publiques, et des archives privées telles que les archives personnelles et familiales, associatives, des cultes, partis politiques, syndicats et entreprises. Les problématiques auxquelles sont confrontées les archives sont particulières : elles conservent des documents écrits ou picturaux qui ont un caractère unique, et qui n'avaient pas vocation à être diffusés. Documents de travail, ils témoignent de l'activité humaine. Pour remplir les fonctions de 90 Art. L211-1 du Code du Patrimoine, legifrance.gouv.fr [en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/ affichCodeArticle.docidTexte=LEGITEXT000006074236&idArticle=LEGIARTI000006845559&dateTexte=&cate gorieLien=cid]. Consulté le 18 mai 2019 91 Charles Kecskeméti et Lajos Körmendy, Les écrits s'envolent. La problématique de la conservation des archives papier et numériques, Lausanne, Favre, 2014, p. 89-90 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 31/103
  • 32. garantie des droits, de recherche et de diffusion culturelle évoquées précedemment, ces documents sont diffusés au public ; ceci inclut naturellement des risques pour la pérennité de leur conservation, en particulier pour les documents demandés par les généalogistes, qui sont très souvent manipulés. Historique de la numérisation C'est pour cela que la problématique de la dématérialisation a pour les archives précédé celle de la participation. Les services protègent ainsi leurs fonds des aléas de l'histoire et permettent leur consultation sans risque d'endommagement. Pour Pauline Moirez, c'est une priorité : Le volume des fonds d’archives fournit aux services d’archives une matière première abondante et adaptée à la diffusion numérique. Cette problématique de la masse explique parfois un certain décalage avec les réalisations de médiation numérique et de présence sur le Web social d’autres domaines culturels : la priorité des archivistes reste la numérisation et la mise en ligne des documents, là où les musées par exemple vont centrer leurs efforts sur la médiation et l’interaction avec les usagers même s’ils ne fournissent que très peu de contenus en ligne92 . La démarche de numérisation succéde au microfilmage des années 1970 et trouve sa première application avec le programme de Séville de 1992, à l'occasion du cinquantième centenaire de la traversée de l'Atlantique par Christophe Colomb. L'Espagne y a construit une base de données qui intègre l'ensemble des informations contenues dans les inventaires des Archives Générales des Indes. 10 % des documents numérisés furent mis en ligne93 . En France, constat fut fait en 1997 d'un double retard dans la numérisation face aux archives étrangères et aux autres secteurs patrimoniaux. En 2004 fut mis en route un chantier de dématérialisation des instruments de recherche94 . En 2010, une grande partie des sources était déjà sur Internet, en particulier celles qui intéressent les généalogistes95 . En 2017, Ana Margarida Dias Da Silva peut ainsi dire que la France est le « pays européen de la démocratisation de l'accès et de la mise à disposition des archives en ligne96 ». Surtout, elle précise que « la France promeut et stimule la participation des citoyens à l'enrichissement et à la description de ses archives97 . » Soit une 92 Pauline Moirez, « Archives participatives », in Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Paris, éditions du Cercle de la librairie, 2012, p.187-197 93 Charles Kecskeméti et Lajos Körmendy, op. cit. 94 Yann Potin, « Institutions et pratiques d’archives face à la "numérisation". Expériences et malentendus », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 58-4bis, 2012, p. 57-69 95 Yann Potin, op. cit. 96 « France emerges as the European country of democratization on the access and provision of on-line archives », Ana Margarida Dias da Silva, « Folksonomies in archives: controlled collaboration for specific documents », Ariadne, vol. 77, 2017 [en ligne : http://www.ariadne.ac.uk/issue/77/margaridadiasdasilva/]. Consulté le 14 mai 2019 97 « France promotes and stimulates the participation of citizens on the enrichment of the descriptions of its archives. », Ana Margarida Dias da Silva, op. cit. AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 32/103
  • 33. évolution vers la participation des internautes. En effet, les financements du plan national de numérisation achevé en 201298 comportaient comme condition l'installation de systèmes d'annotation des archives en ligne. Au début des années 2010 la situation était mûre pour permettre aux généalogistes de participer : leurs principales sources étaient scannées, et du point de vue technique les possibilités d'annotation en ligne avaient fait leur apparition. 2.3.2. La participation en archives publiques : mise en place et état des lieux L'archiviste américaine Kate Theimer citée par Pauline Moirez définit les archives participatives ainsi : Un organisme, un site ou une collection auxquels des personnes qui ne sont pas des professionnels des archives apportent leur connaissance ou ajoutent des contenus, généralement dans un contexte numérique en ligne. Il en résulte une meilleure compréhension des documents d’archives99 . Cette définition est proche des actions effectuées par les bibliothèques et musées. Cependant, Pauline Moirez insiste dans un autre article100 sur le niveau élevé des connaissances apportées : la participation en archives désignerait la mise en œuvre de véritables compétences et connaissances des usagers, une interaction de haut niveau, de caractère scientifique, qui contribue à l’enrichissement de la description des collections numériques. Il convient en premier lieu de s'interroger sur la nature de ces collections. Les archives sont avant tout des documents, des médias qui constituent une trace. Les archives sont la plupart du temps des documents primaires, donc des originaux élaborés par les auteurs. Pour les rendre exploitables, il faut les intégrer à un système d'information documentaire, pour stocker, traiter, analyser l'information qu'ils contiennent. Cette information sera inclue dans des bases de données qui constitueront des documents secondaires, qui font référence aux documents primaires (bibliographies, bulletins bibliographiques, catalogues, revues de sommaires), eux-mêmes bases de documents tertaires où l'on résume, condense et classe les informations originales. L'ensemble des documents présents aux Archives départementales et communales sont inventoriés, présents dans des catalogues qui décrivent leur nature et le type de contenu. Cependant, la demande des généalogistes porte de plus en plus sur une analyse fine de ce contenu : Quelle est l'identité des 98 Ministère de la Culture, « Archives des appels à projets de numérisation 2005-2012 », culture.gouv.fr, 2012 [en ligne : http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Innovation-numerique/Numerisation2/Archives-numerisation/ Appels-a-projets-de-numerisation/Archives-2005-2012]. Consulté le 18 mai 2019 99 Pauline Moirez, op. cit. 100 Pauline Moirez, Jean-Philippe Moreux et Isabelle Josse, « État de l'art en matière de crowdsourcing dans les bibliothèques numériques », ENSSIB Études et enquêtes, 2013 [en ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque- numerique/documents/61092-etat-de-l-art-en-matiere-de-crowdsourcing.pdf]. Consulté le 13 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 33/103
  • 34. personnes présentes dans ces documents ? Quelles informations y trouve-t-on à leur sujet ? Les systèmes participatifs proposés aux généalogistes portent sur ces éléments. Ils leurs proposent en priorité les sources les plus utiles à leurs recherches. État des lieux L'analyse réalisée par nos soins en février 2019 des sites Web des Archives municipales et départementales qui proposent aux internautes de participer à l'analyse du contenu des documents montre que les trois sources les plus présentes sont les registres paroissiaux et d'état-civil (dix-huit occurences), les registres matricules militaires (quatorze occurences) et les recensements de population (dix occurences). Ces sources ont en commun deux éléments : elles sont parmi les plus souvent utilisées par les généalogistes car elles comportent des informations cruciales sur l'histoire des personnes, et surtout elles sont facilement annotables car normées. Les systèmes de re- documentarisation par l'annotation de documents, la création de métadonnées, sont en effet les plus présents. Les autres dispositifs participatifs tels qu'encyclopédies collaboratives, dictionnaires collaboratifs ou mises en ligne de relevés sont plus rares. Un système proche est celui de l'identification de documents, souvent des photographies, présent sur cinq occurences. Analyser ces dispositifs permettra de comprendre leur fonctionnement. 2.3.3. Les différents systèmes La redocumentarisation Le système le plus répandu, désigné sous les noms d'indexation collaborative ou d'annotation collaborative consiste en de la redocumentarisation. Pour cela, il faut passer par des opérations d'indexation. Selon l'Association des Archivistes de France, il s'agit de l'opération destinée à représenter par les éléments d’un langage documentaire ou naturel, des données résultant de l’analyse du contenu d’un document ou du document lui-même101 . L'indexation humaine est lourde en temps et en argent. Le coût moyen d'un document à indexer est de 50 Francs selon les dernières données disponibles (1990)102 . Il faut donc cinq millions de Francs pour 100 000 documents, montant que les budgets des archives publiques ne peuvent supporter. Avant la démocratisation d'Internet, la solution fut de faire appel aux associations. À présent, la présence du Web dans la majeure partie des foyers permet de faire appels aux usagers, en encadrant leur action. 101 Association des Archivistes de France, « Petit glossaire de termes archivistiques », archivistes.org, 2008 [en ligne : https://www.archivistes.org/petit-glossaire-de-termes]. Consulté le 19 mai 2019 102 Jacques Chaumier, Martine Dejean, « L’indexation documentaire, de l’analyse conceptuelle humaine à l’analyse morphosyntaxique », Documentaliste, vol.27, n°6, 1990, p.276 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 34/103
  • 35. Dans son article de 2012, Édouard Bouyé distingue trois types d'indexation possibles : Si l’indexation collaborative n’implique pas de division fixe des tâches (chacun étant libre de poser des signets où il l’entend), l’indexation coopérative implique un partage des tâches (l’archiviste distribuant des lots d’images à indexer selon un protocole et dans un délai fixés au départ). L’indexation est plus ou moins riche, suivant que le masque de saisie est simple ou complexe : quand l’indexation de l’état-civil ne comprend que la possibilité d’indexer une année, un nom et un prénom (à l’exclusion de mention de filiation, de sexe, d’âge, de métier), on parle d’indexation pauvre, ou d’annotation collaborative103 . Par ordre croissant de liberté laissée à l'utilisateur, le système proposé peut donc être l'annotation collaborative (qui concerne seize sites Web en février 2019), l'indexation coopérative (aucune occurence) ou l'indexation collaborative (seize occurences). L'annotation collaborative permet aux Archives de choisir les informations dont elles ont besoin par le report de certains éléments d’un document numérisé sur un formulaire précis. Toutes les informations comprises ne sont donc pas à annoter, le formulaire est adapté selon les fonds ouverts. Dans le cas des Archives départementales de Seine Maritime, cette annotation est centrée sur la personne et vise à alimenter une base nominative. Tous les documents ne sont pas adaptés à l'annotation collaborative : Les registres matricules sont très faciles à annoter, avec une vue et un formulaire par fiche. L'état-civil et les archives notariales présentent plus de difficultés, avec plusieurs éléments sur une même vue, ce qui oblige à un fonctionnement par sélection de zone. Édouard Bouyé fait l'état des lieux en janvier 2012 de « 2 487 000 signets [...] posés, dont 683 000 dans les seuls deux services d’Archives municipales (405 000 pour Nantes et 278 000 pour Rennes), et 1 804 000 pour les dix-neuf services d’archives départementales (l’Aube et le Cantal dépassant chacun le seuil des 400 000 signets posés)104 . » Les données produites servent souvent à alimenter un moteur de recherche. Cependant, ce système n'est efficace qu'avec des documents écrits. Pour les documents picturaux, il est préférable de faire appel aux folksonomies. Les folksonomies : identifications de photographies Les photographies conservées par les services d'archives attirent l'attention des généalogistes ; des membres de leur famille peuvent s'y trouver, ou des lieux où ces derniers ont vécus. Cependant, ces éléments sont rarement identifiés. Les archivistes peuvent s'appuyer sur un public qui peut avoir des connaissances avancées en histoire et géographie locale, ou pour les plus âgés la mémoire des lieux, 103 Édouard Bouyé, « Le Web collaboratif dans les services d’archives publics : un pari sur l’intelligence et la motivation des publics », La Gazette des archives, vol. 227, no 3, 2012, p. 125-136 104 Édouard Bouyé, op. cit. AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 35/103
  • 36. par des appels comme celui présent sur le site des archives des Yvelines105 . Les folksonomies, déjà utilisées en musées et bibliothèques, sont adaptées à cette demande. L'identification de photographies concerne six sites Web (Saint-Denis, Bordeaux, Orléans, Sevran, Var, Yvelines). La collecte d'archives privées Le Web sert également à promouvoir la collecte d'archives privées. Les documents enrichissent les collections de l'institution, et les usagers profitent des identifications et commentaires des autres contributeurs106 . En 2011, Pauline Moirez évoque les initiatives suivantes : Les Archives départementales du Lot-et-Garonne ont ainsi ouvert en 2011 une cartothèque départementale où les internautes peuvent déposer en ligne les fichiers de leurs cartes postales numérisées, mais aussi contribuer à l’indexation des cartes postales conservées par les Archives. De même, Europeana invite les internautes à numériser et télécharger sur le site lettres, cartes postales et photographies personnelles de la Première guerre mondiale, pour enrichir le projet Europeana 1914- 1918107 . Avec le centenaire de la Première Guerre Mondiale, les Archives départementales mirent en avant un programme de collecte d'archives privées, dans le cadre d'un projet à l'échelle européenne. Les usagers furent invités à déposer des documents aux Archives et dans les bibliothèques. En Seine- Maritime, trois journées de collecte ont eu lieu entre 2014 et 2018. Le premier jour une centaine de personnes sont venues en salle de lecture, souvent accompagnés de leurs parents âgés. Beaucoup de documents furent déposés, la Première Guerre Mondiale étant encore très présente dans la mémoire familiale. La grande collecte a permis aux institutions de se faire connaître auprès du grand public grâce à une communication nationale. En Vendée, le succès fut similaire avec trois cent familles participantes. Des fonds constitués parfois d'un milliers de lettres ou de journaux furent déposés. Les encyclopédies et bases de données collaboratives Le Web 2.0 a vu la naissance du wiki, « système de gestion de contenu de site Web qui rend les pages Web réalisables et modifiables par les visiteurs successifs autorisés108 . » L’exemple le plus connu est l'encyclopédie collective Wikipédia (créée en 2001), basée sur le principe qu'une entrée puisse être ajoutée par n'importe quel utilisateur du Web et modifiée par un autre. Un premier projet de partenariat entre Wikimédia et une institution culturelle fut réalisé dès 2008 avec le 105 Archives départementales des Yvelines, « C'est quoi ce chantier ? Un projet collaboratif d'identification de photographies », archives.yvelines.fr [https://archives.yvelines.fr/article.php?laref=3068&titre=c-est-quoi-ce- chantier-]. Consulté le 21 mai 2019 106 Pauline Moirez, op. cit. 107 Pauline Moirez, ibid. 108 La Documentation Française, « L'évolution d'internet, le Web 2.0 », ladocumentationfrançaise.fr, 2011 [en ligne : https://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/internet-monde/Web2.0.shtml]. Consulté le 21 mai 2019 AUVRAY Christophe | Master 1 GID | Mémoire de recherche | 2018 - 2019 36/103