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SCIENCES	POLITIQUES	
LA	PROTECTION	DES	
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LE	DROIT	D’AUTEUR	
Rapport	de	recherche	réalisé	sous	la	direction	de	Mr	
Pierre‐Dominique	Cervetti
 
Par CLAIRE SAMBUC 
 
Rapport de recherche réalisé dans le cadre du Master 1 Droit de la culture et 
de la communication. Année scolaire 2011‐2012. 
2
3
LISTE DES ABREVIATIONS
Al Alinéa
Art Article
Ass. plén. Arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation
Bull. civ Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation
c/ contre
Cass. Cassation
Ch. Chambre
Ch. Mixte Arrêt d’une chambre mixte de la Cour de cassation
civ. Arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation
CE Conseil d’Etat
Com. Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation
Comm. Commentaire
comm. com. élec Communication Commerce électronique
CPI Code de la propriété intellectuelle
Crim. Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Gaz. Pal. Gazette du Palais
JCP Juris-classeur périodique (La semaine juridique)
n° Numéro
Obs. Observations
p. page
Rapp. rapport
RDPI Revue du droit de la propriété intellectuelle
réf référence
RIDA Revue internationale du droit d’auteur
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
Sect. Section
TGI jugement d’un tribunal de grande instance
4
SOMMAIRE
CHAPITRE 1- L’ŒUVRE EPHEMERE, UNE NOTION SINGULIERE FACE A
DES CRITERES DE PROTECTION MAL ADAPTES
SECTION 1- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE DE FORME
§1- Une forme matérialisée
A- Une exigence issue du principe d’exclusion des idées
B- La difficile délimitation de la forme éphémère et de l’idée
§2- Une forme perceptible aux sens
A- La perceptibilité face au critère de fixation de l’œuvre
B- La perceptibilité face à la tangibilité de l’œuvre éphémère
SECTION 2- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE D’ORIGINALITE
§1- Une exigence en apparence applicable à l’œuvre éphémère
A- La conception subjective de l’originalité
B- La conception objective de l’originalité
§2- Un critère de difficile application face à la particularité des œuvres
éphémères
A- La difficile distinction entre création et savoir faire
B- L’originalité : un critère mis à mal
CHAPITRE 2- L’ŒUVRE EPHEMERE, UN REGIME DE PROTECTION
DEROGATOIRE AU DROIT COMMUN
SECTION1- UN DROIT EXTRA PATRIMONIAL DE L’AUTEUR EDULCORE
§1- Un droit de retrait mis à l’index
§2- Un droit au respect de l’œuvre altéré
SECTION2- LE DROIT PATRIMONIAL DE L’AUTEUR ATROPHIE
§1- Un droit patrimonial soumis à l’obstacle de la licéité de l’œuvre éphémère
§2- L’action en contrefaçon, une protection illusoire en matière d’œuvre
éphémère ?
5
« Seul l’éphémère dure » Eugène Ionesco
6
INTRODUCTION
Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit, néanmoins les contours de cette définition sont
difficiles à cerner car ils se heurtent à de nombreuses questions, dont celle des critères
permettant de qualifier une « œuvre de l’esprit » en tant que telle.
En matière de propriété littéraire et artistique, le législateur comme le juge ont contourné la
difficulté, de sorte qu’il apparait clairement que « toute création de l’esprit n’est pas une œuvre
et que le droit de la propriété intellectuelle ne s’intéresse pas qu’aux œuvres1
»
Le législateur se contente en effet de parler « d’œuvre de l’esprit » et énonce à l’article L111-1
du CPI : « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création,
d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Les juges, quant à eux, ont consacré la notion jurisprudentielle d’originalité et celle de forme
perceptible par les sens.
La définition de l’œuvre de l’esprit par le droit de la propriété intellectuelle n’est donc pas
exempte de toute ambigüité, de telle sorte que la notion d’œuvre de l’esprit a pu être qualifiée
par certains auteurs de « concept mou »2
. Il semblerait a priori que tout résultat d’un travail
artistique original et créatif puisse faire l’objet de protection.
A fortiori, définir « l’œuvre éphémère » semble encore plus compliqué. Selon le Petit Larousse,
« éphémère » vient du grec et signifie « qui dure un jour » et par extension : « de
courte durée ». L’éphémère c’est donc le transitoire, le passager, le fugitif.
S’il est vrai que le temps altère toutes les œuvres et que tout a vocation à disparaitre, certaines
œuvres s’inscrivent naturellement dans une dynamique de disparition. Ce sont les œuvres
éphémères. Elles n’ont qu’un caractère provisoire.
Néanmoins, le caractère fugitif se retrouve au sein de nombreuses et diverses œuvres.
Christophe Caron définit l’œuvre éphémère de la manière suivante : « l’œuvre éphémère n’a
pas pour vocation de durer. Elle a une vocation plus ou moins provisoire. L’emprise du temps
sur elle peut être terrible : l’œuvre éphémère est concomitante au temps qui passe ou est érodée
par ce dernier. Il en résulte qu’elle n’est normalement pas fixée de façon intangible3
».
1
M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère
éd, 2009, p.25
2
M.-A. Hermitte, Le rôle des concepts mous dans les techniques de déjuridicisation, L’exemple des droits
intellectuels : Arch. Phil. Droit 1985, p. 331 cité par A. et H.-J. Lucas, Traité de propriété littéraire et artistique,
Litec, 3e éd, 2006, p. 57
3
CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème
éd, 2009, p.144
7
Pour Pierre Yves Gautier, l’œuvre éphémère se définit ainsi: « les œuvres d’art sont le domaine
d’élection des œuvres éphémères, c'est-à-dire qui sont destinées à se détruire rapidement, ou
plutôt, leur support matériel : emballages, expositions, décors, coiffures, ... 4
»
La qualité d’œuvre éphémère englobe une palette de créations très diversifiées. En effet,
Ch. Caron nous parle successivement des mises en scène et des chorégraphies, des expositions
et des collections, des coiffures, des spectacles « son et de lumière », des feux d’artifices, des
œuvres orales, des œuvres olfactives ainsi que des œuvres gustatives.
Il convient de distinguer d’une part les œuvres dont le caractère éphémère tient à la
perceptibilité par les sens ; il s’agit ici notamment de la fragrance et des œuvres gustatives.
D’autre part, celles dont le caractère éphémére tient à la conception même de l’œuvre. La
plupart sont issues de l’art contemporain. Ainsi, le land art, courant apparu aux Etats Unis dans
les années soixante, consiste à utiliser la nature et le paysage comme matériaux. Citons ainsi
l’œuvre Spiral Jetty (Cf Annexe n°1), réalisée en 1970 par Smithson5
. Le land art est soumis
aux aléas du temps et de la nature. Il s’agit le plus souvent d’un choix conscient de l’auteur,
fasciné par le pouvoir de la nature. Il peut s’agir également du happenning, ce terme fut inventé
dans les années cinquante par Allan Kaprow. Le happening est une performance artistique
spontanée qui invite le spectateur à participer à l’œuvre. Allan Kaprow disait ainsi lors d’un
entretien en 1991 : « le happenning n’a pas de public, seulement des intervenants ». Ce
mouvement s’inspire de l’action painting de Jackson Pollock. En France par exemple, le peintre
Nato a réalisé de nombreux happenings à la Galerie l’Usine à Paris ou encore dans les stations
de métro parisiennes, notamment le happenning de 2009 à la station Marcadet-Poissonniers,
« Metropolitan Land art », où le peintre et ses modèles se mettent nus sur le quai (Cf Annexe
n°2).
Aux côtés du Land art et du happening se trouve aussi le Body art, où le corps apparait comme
le lieu privilégié de l’expression artistique. La volonté des artistes est de mêler art et vie dans
un même mouvement.
Il s’agit aussi des œuvres de Street art, l’art urbain, qui regroupe les créations réalisées dans des
lieux publics à l’aide de différentes techniques comme le graffiti, les pochoirs ou les mosaïques.
Parmi ces artistes nous pouvons notamment citer le groupe Banlieue Banlieue, Miss tic, ou
Banksy qui est notamment connu pour avoir fondé le projet « Santa's Ghetto » : des peintures
4
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.141 
5
Spirale Jetty a été construit à l'aide de cristaux de sel, de roche et de boue dans le Great Salt Lake en Utah et
représente une grande spirale de 450 mètres de long. Spiral Jetty fut engloutie par la montée des eaux.
8
sont réalisées sur le mur de Bethléem, le mur de séparation se transforme alors en une toile
artistique géante (Cf Annexe n°3). Banksy a également peint de nombreux pochoirs sur les murs
des villes de Bristol et de Londres. Ces œuvres, menacées de destruction par les autorités
publiques, ont fait l’objet de pétition pour les défendre.
L’art urbain se trouve donc soumis aux aléas des intempéries et des autorités publiques
désireuses de voir ces créations disparaitre car elles sont jugées inesthétiques voire
provocatrices.
De plus, certaines expositions temporaires peuvent également apparaitre comme des œuvres
éphémères, de par leur nature. On pense aux installations, conçues pour être détruites après leur
exposition, dont le catalan Joan Brossa est l’initiateur.
L’œuvre éphémère est donc entendue ici comme une création dont, soit la perception (il s’agit
des œuvres gustatives et olfactives) soit la création elle-même (il s’agit des œuvres d’art), est
destinée à disparaitre, et n’a pas pour ambition ou vocation de passer à la postérité, ni d’être
immuable. Notons que le fait que la création soit susceptible d’être fixée sur un support tel
qu’une vidéo ou une photographie n’a pas d’incidence sur la qualification d’œuvre éphémère.
Ce caractère bref et provisoire fait-il obstacle à la protection par le droit d’auteur en tant
qu’œuvre de l’esprit ?
Certes, aucune disposition ne consacre expressément la protection de l’œuvre éphémère,
néanmoins aucun texte ne vient l’exclure. En effet, l’article L112-2 du CPI énumère au sein
d’une liste les œuvres qui peuvent être constitutives d’une œuvre de l’esprit. Cet article emploie
l’adverbe « notamment », caractéristique d’une liste non exhaustive se limitant à donner des
exemples classiques des principales formes d’œuvres de l’esprit. Il semble dès lors indifférent
que cet article n’énumère pas les œuvres éphémères telles que les œuvres perceptibles par
l’odorat ou le gout puisque cette liste n’est qu’indicative et en aucun cas limitative.
De plus, cette liste a été complétée par la jurisprudence qui vient reconnaitre la protection de
certaines œuvres éphémères. En effet la jurisprudence a pu accorder la protection à une
composition florale6
, aux défilés de mode7
ou encore aux spectacles de sons et de lumières8
, ce
qui témoigne d’une possible protection de l’œuvre éphémère.
Les juges ont parfois clairement énoncé que le caractère éphémère n’était pas un obstacle à la
protection : ainsi, dans une affaire traitant d’une œuvre de sculpture en chocolat, les juges ont
6
CA Paris ; 4è ch., 11 févr 2004, Valterre, D.2004. Jur.1301, note Choisy
7
Crim. 5 fevr. 2008, X c/Gaulme, Kenzo et Lacroix
8
Cass. 1re
civ., 3 mars 1992
9
décidé qu’il s’agissait bien d’œuvres éphémères mais que, « cela n’enlève évidemment rien à
la reconnaissance de leurs qualités artistiques, certains artistes, notamment ceux ayant adopté
la théorie du fragilisme, ne concevant leurs créations que dans la sphère de l’éphémère9
»
Pour être protégée l’œuvre de l’esprit doit se référer à deux caractéristiques. D’une part celle
de la création intellectuelle, qui répond à un processus de création, d’autre part le résultat obtenu
qui doit être perceptible par les sens.
La création intellectuelle suppose une démarche créatrice, l’auteur doit donc avoir conscience
du résultat à atteindre. En ce sens, la découverte d’une œuvre préexistante ne constitue pas une
démarche créatrice. Cette démarche créatrice doit également présenter un caractère intellectuel.
La jurisprudence distingue ainsi le savoir faire et l’intellectuel et n’est donc pas protégée la
création qui relève uniquement du savoir faire.
La protection d’une œuvre par le droit d’auteur exige la réunion de certains critères parmi
lesquels certains sont indifférents à la protection, de sorte que l’œuvre éphémère ne semble pas,
a priori, exclue du champ de la protection. En effet, selon l’article L112-1 « les dispositions du
présent code protègent le droit des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient
le genre, la forme d’expression, le mérite, la destination »
Il résulte de cet article que le genre ne doit pas être pris en considération à l’heure de protéger
l’œuvre de l’esprit. Ainsi, le droit d’auteur ne se cantonne pas à protéger un genre déterminé
mais tous les genres confondus doivent pouvoir faire l’objet d’une protection. A ce titre, la
protection ne devrait pas être refusée à des créations s’adressant par exemple à l’odorat ou au
gout.
Le mérite aussi est indifférent à la protection. En ce sens, le juge n’a pas à apprécier la valeur
culturelle ou artistique de la création. Cette règle permet d’éviter l’appréciation subjective du
juge en matière de protection. L’œuvre éphémère, quel que soit son mérite, pourrait donc
bénéficier de la protection par le droit d’auteur.
La destination de l’œuvre est elle aussi indifférente à la protection, c'est-à-dire que le but de la
création est sans importance, la création peut avoir une finalité culturelle ou utilitaire. Il s’agit
de la théorie de l’unité de l’art qui consiste à proscrire toute distinction fondée sur la destination
de l’œuvre et à protéger en conséquence aussi bien les œuvres d’art appliquées que les œuvres
d’art « pur ». Rien ne semble donc s’opposer à ce qu’une œuvre éphémère bénéficie de la
protection accordée par le droit d’auteur.
9
TGI Laval, 16 févr 2009, RLDI 2009, n°47 osb L.Costes ; n°50, note F. Fontaine
10
La forme d’expression indiffère également à la protection. L’œuvre est protégée quel qu’en soit
son mode de matérialisation. En découle alors une indifférence du sens qui permet de percevoir
l’œuvre : il peut indifféremment s’agir de l’ouïe, de la vue ou encore du gout. Notons à ce
propos que la réalisation de formalités n’est pas une condition de la protection. L’article L111-
1 du code de la propriété intellectuelle précise que l’auteur jouit de son droit « du seul fait de
sa création » sans qu’il soit nécessaire d’effectuer certaines formalités.
Néanmoins, pour certains auteurs, le caractère éphémère de l’œuvre a pu apparaitre comme un
obstacle à la protection. En matière de fragrance par exemple, Messieurs Calvo et Morelle
refusent au parfum la qualité d’œuvre de l’esprit eu égard, notamment, à son éphémérité et à sa
variabilité: « Ce qui nous conduit à dénier à un parfum sa qualité d’œuvre de l’esprit, c’est sa
relative éphémérité, son manque de stabilité, son impossibilité de traverser les générations, en
un mot, son manque de permanence (…)L’œuvre de l’esprit se situe, ou a vocation à se situer,
dans une dimension extratemporelle et extraterritoriale, c’est pourquoi un parfum, fût-il le
reflet parfait de la personnalité ou des personnalités de ses auteurs, ne peut recevoir cette
qualification10
»
Ces caractéristiques, indifférentes pour le CPI, ne devraient pourtant pas conduire le juge à
refuser leur protection. Par ailleurs, pour un grand nombre d’auteurs, les œuvres éphémères
devraient bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur.
Selon Pouillet par exemple: « Dès qu'il y a création de l'esprit, l'art se manifeste. La forme sera
plus ou moins châtiée, la manifestation plus ou moins grandiose, l'œuvre sera plus ou moins
éphémère ; l'art n'en persistera pas moins11
. » De même, pour M. Vivant si les œuvres
éphémères posent des problèmes spécifiques en droit d’auteur, ce n’est nullement sur le principe
de leur protection12
.
Le professeur Sirinelli souligne cette idée : « le droit d’auteur accueille depuis longtemps en
son sein des œuvres dénuées de toute pérennité13
». Bien que les créations gastronomiques ne
fussent pas reconnues comme une œuvre de l’esprit14
, le caractère non permanent de l’œuvre
ne doit pas faire obstacle à sa protection.
10
J. CALVO, G. MORELLE, note sous CA Paris, 3 juillet 1975,Gaz. pal. 1976, I, p. 46
11
Pouillet in Traité des dessins et modèles, 1911, p. 52
12
V. M. Vivant, La propriété intellectuelle et les œuvres éphémères, rapport de synthèse au Colloque de Sceaux,
juin 1998. – cité par JC Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit
d'auteur, Recueil Dalloz 2004, p.2641
13
P. SIRINELLI, obs. sous Cass. civ. 1ère, 13 juin 2006, D. 2006, pp. 2993-2994
14
TGI Paris, 30 septembre 1997, RIDA 1998, n° 177, jurispr., pp. 273-284, note V. Piredda
11
Concernant les œuvres olfactives, Christophe Caron explique : « Bien évidemment, les
fragrances sont des œuvres éphémères : non seulement elles sont périssables, mais elles sont
également instables puisque le temps modifie impitoyablement la forme olfactive. Mais ces
particularités ne sont pas incompatibles avec une protection par le droit d’auteur. Il serait donc
erroné de les exclure, de façon dogmatique, du domaine du droit d’auteur15
».
S’agissant des œuvres éphémères, pour P.Y Gautier: « la protection du droit d’auteur ne leur
en est pas moins reconnue, car elles peuvent être copiées16
». La nécessité de laisser les œuvres
éphémères accéder à la protection du droit d’auteur ne fait non plus pas de doute pour Messieurs
Vivant et Bruguière pour lesquels : « Un créateur peut, en effet, délibérément utiliser des
matériaux qui interdisent de penser en terme de durée (du sable, les cheveux d’un
mannequin,…). Cela n’a jamais été considéré par notre système comme un obstacle à la
reconnaissance d’un droit d’auteur même si certaines décisions peuvent faire naitre quelques
hésitations».
Si la fugacité de l’œuvre n’est pas un obstacle à la protection, l’œuvre éphémère réussit-elle
pour autant à s’accorder avec les exigences classiques du droit d’auteur pour offrir à son auteur
un régime de protection satisfaisant ?
L’œuvre éphémère présente des particularités telles que les critères classiques du droit d’auteur
semblent mal adaptés à cette catégorie d’œuvre qui revêt pourtant les qualités d’une œuvre de
l’esprit (chapitre I) de sorte que le régime de protection de l’auteur s’en trouve altéré (chapitre
II).
La qualification d’œuvre éphémère comporte une palette d’œuvres très disparates qui s’étend
du parfum au graffiti de telle sorte qu’il apparait ardu d’appréhender toutes ces œuvres dans un
même mouvement. Ces disparités, au sein même de la catégorie d’œuvre éphémère, nous
empêchent de tirer des conclusions générales de telle sorte qu’il conviendrait d’élaborer une
régulation spécifique à l’œuvre éphémère, à l’instar du droit sui generis applicable aux logiciels.
CHAPITRE 1- LA NOTION D’ŒUVRE EPHEMERE : UNE NOTION SINGULIERE
FACE A DES CRITERES DE PROTECTION MAL ADAPTES
Nous tenterons au cours de notre étude de démontrer que, si rien ne s’oppose a priori à ce que
l’on applique aux œuvres éphémères les critères de l’œuvre de l’esprit pour leur accorder le
15
CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème
éd, 2009, p.147-148
16
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p141
12
bénéfice de la protection par le droit d’auteur, cette application se révèle délicate et suscite
certaines interrogations.
En effet, pour être protégée l’œuvre éphémère -comme l’œuvre classique- doit présenter une
forme (Section 1) originale (Section 2), deux notions mal adaptées aux spécificités de l’œuvre
éphémère.
SECTION 1- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE DE FORME
Si rien ne s’oppose a priori à la protection de l’œuvre éphémère, il convient néanmoins de
savoir si l’œuvre éphémère répond aux critères de « l’œuvre de l’esprit » dégagés par le CPI.
Pour bénéficier de la protection, le droit d’auteur exige que la création se matérialise par une
forme. La notion de forme apparait comme « un concept central de la propriété littéraire et
artistique 17
». Pierre Yves Gautier utilise une métaphore pour parler de cette notion de forme :
« la forme est à l’œuvre ce que le corps est à la personne 18
».
L’article L111-1 du CPI nous rappelle que l’auteur jouit de son droit « du seul fait de sa
création ». Néanmoins, nous déduisons de cette disposition que bien que la forme d’expression
soit indifférente, elle doit cependant exister. L’exigence de forme apparait donc dans le CPI de
manière détournée. Cet article renvoie implicitement à l’exigence de forme car il subordonne
l’existence du droit à la création. Desbois a d’ailleurs déduit de cette disposition une lecture a
contrario selon laquelle le législateur souhaitait protéger les créations concrétisées dans une
forme19
. Cette exigence de forme n’est cependant pas facile à cerner. Il doit avant tout s’agir
d’une réalisation concrète (§1) qui doit être perceptible aux sens (§2).
§1- UNE FORME MATERIALISEE
A- Une exigence issue du principe de l’exclusion des idées
Cette exigence de forme est une réponse au principe de l’exclusion de la protection des idées,
formulée en matière de propriété intellectuelle sous la forme d’un adage: « les idées sont de
libre parcours », cela signifie qu’il existe un « fonds commun des idées » insusceptible
d’appropriation. Ce principe fut consacré sous la plume de Desbois selon lequel : « qu’elle
qu’en soit l’ingéniosité et même si elles sont marquées au coin du génie, la propagation et
l’exploitation des idées exprimées par autrui ne peut être contrariée par les servitudes
17
Ph. Gaudrat, Réflexions sur la forme des œuvres de l’esprit in Mélanges en l’honneur d’André Françon, Dalloz
1995, p.195.
18
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.65
19
H. DESBOIS, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 3ème
éd, 1978p.22
13
inhérentes aux droits d’auteur : elles sont par essence et par destination de libre parcours ».
Les idées ne sont donc pas appropriables. Pouillet affirmait également que : « la pensée elle-
même échappe à toute appropriation ; elle reste dans le domaine inviolable des idées, dont le
privilège est d’être éternellement libre20
».
En ce sens les juges ont pu ainsi décider dans un attendu de principe que : « La propriété
littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale
sous laquelle ils sont exprimés 21
».
Exclure du champ de la protection les idées garantit l’existence d’un « fonds commun des
idées » et permet ainsi que la création soit renouvelable à l’infini. En effet, protéger une idée
reviendrait à empêcher toute création nouvelle, voire tout progrès. Par ce principe, la liberté de
création apparait ainsi préservée. Ne peuvent ainsi pas bénéficier de la protection les méthodes
d’enseignement22
ou les idées publicitaires23
.Un artiste ne peut pas devenir propriétaire d’une
idée artistique, d’un style, il pourra seulement obtenir un droit sur une œuvre particulière,
originale, mettant en œuvre l’idée artistique ou le style artistique. Ainsi par exemple, Christo
s’est vu accorder un droit d’auteur sur l’emballage du Pont-Neuf par un arrêt de la cour d’Appel
de Paris du 13 mars 1986. Cependant le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du
26 mai 1987 a refusé d’accorder un droit d’auteur à l’artiste sur l’emballage de monument en
général : « La loi du 11 mars 1957 ne protège que des objets déterminés, individualisés et
identifiables, et non (…) une idée comme celle d’emballer des objets qui n’ont pas besoin de
tels soins24
»
L’idée n’est donc pas appropriable et seule la mise en forme de l’idée pourra permettre la
protection par le droit d’auteur. Bernard Edelman écrit à ce sujet que « l’idée pure et simple ne
possède aucune valeur créatrice, dans la mesure où elle n’est que la répétition du fonds
commun imaginaire d’une société 25
». Exclure les idées du champ de la protection d’idée répond
à la volonté de préserver la fonction sociale de la création. En effet, une idée artistique est
susceptible de prendre plusieurs formes et peut répondre à une variété d’expressions. Selon A.
Bertrand : « En protégeant l'idée, on engloberait par le fait même ses diverses expressions, ce
20
E. Pouillet, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation,
ILGJ, 1908, p. 45 
21
Cass. civ. 1ère17 juin 2003, Comm. com. électr. 2003, comm. n°22, obs. Ch. CARON ; Com. 29 nov.1960
22
Com, 29 nov. 1960, Bull. civ. III, n°389 ; Gaz. Al. 1961, 2, 152; Ann. Propr. Ind. 1961, 309, note Blaustein ;
RTD com. 1961, 607, obs. Desbois
23
Cass. Civ. I, 17 octobre 2000, « Eminence », Bull. civ.I, n°248, p.156
24
TGI Paris, 26 mai 1987, « Christo », D., 1988, som. Com., 201, obs. C. Colombet
25
B. Edelman, Création et Banalité, Dalloz, n°12, 1983, p.14
14
qui conférerait à l'auteur, non pas un monopole d'exploitation sur son œuvre mais sur un genre,
et interdirait toute application de son idée à de nouvelles formes d'expression, en contradiction
avec la philosophie du droit d'auteur26
». Par ailleurs, nous pouvons dire, avec les mots de
Phillipe Gaudrat que « la création part toujours d’une idée, ce qui veut dire que l’idée est en
deçà de l’acte qui fait naître le droit d’auteur 27
».
Seule la matérialisation, la concrétisation de l’idée pourra donc être protégée. Cependant la
limite est parfois ténue entre l’idée matérialisée et l’idée non matérialisée. La question est de
savoir à partir de quel stade on passe de l’idée à la création. P.Y Gautier illustre cette
interrogation de la manière suivante : « Depuis un siècle, l’on débat du point de savoir à partir
de quel stade de réalisation l’œuvre peut exister et, de ce fait, recevoir protection, un peu
comme la question des droits de l’enfant simplement conçu ou déjà né 28
».
B- La difficile délimitation de la forme éphémère et de l’idée
La difficulté pour délimiter la concrétisation de l’idée et l’idée non matérialisée s’exprime tout
particulièrement dans le contexte de la création éphémère et cette exigence de forme apparait
parfois comme dépassée.
Pour P.Y Gautier, l’exigence de forme est critiquable car n’opère pas de réelle distinction entre
l’idée banale qui de toute évidence ne doit pas se voir protégée et constitue le fonds commun
des idées (exemple : le thème du mari trompé, la téléréalité), et l’idée « marquée au coin du
génie ». Il se demande : « Pourquoi traiter les deux idées de la même façon ? ». On assiste selon
cet auteur à une confusion entre le fond et la forme : « c’est en réalité parce que l’idée est
banale qu’on ne la protège pas- serait-elle mise en forme, elle ne connaitrait pas un meilleur
sort 29
». Pour Gautier, il ne devrait y avoir qu’un seul critère de protection, celui de l’originalité.
Evincer le critère de forme permettrait de protéger de manière plus automatique les créations
éphémères dont la forme est destinée à disparaitre si elle n’est pas fixée sur un support. La
disparition de l’œuvre, c'est-à-dire de la forme sous laquelle l’œuvre a été réalisée, induirait
inéluctablement le retrait de la protection. En effet, le critère de forme ayant disparu, la
protection devrait être ipso facto retirée. L’œuvre éphémère, bien que matérialisée, aurait une
espérance de protection plus faible qu’une œuvre de l’esprit classique. En ce sens, ne pourrait-
26
A. Bertrand, champ de protection du droit d’auteur, chapitre 107, 2010
27
Ph. Gaudrat, « Objet du droit d’auteur, œuvres protégées. Notion d’œuvre », Juris-classeur Propriété littéraire
et artistique, fasc. 1134, n°16
28
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.53
29
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.57
15
on pas dire que ce critère de forme apparait seulement comme une exigence pour prouver la
création ? P.Y Gautier se demande d’ailleurs « si la thèse de la mise en forme matérielle ne
relèverait pas plutôt du droit de la preuve ».
Cependant, sans aller jusqu’à contester la nécessité d’une forme matérialisée, reste à savoir à
partir de quel moment l’idée est suffisamment matérialisée pour se voir assurer la protection.
Bernard Edelman résume ce problème de la manière suivante : « nous ne savons donc pas très
bien en quoi consiste une « forme » en droit d’auteur », il poursuit : « le débat […] sera dévié,
tant que nous resterons prisonniers du dualisme idée/ forme, tant que nous chercherons l’idée,
exprimée dans une forme, ce qui nous poussera à nous demander, à l’infini, à quel moment et
comment et jusqu’où l’idée a-t-elle pris forme au point de devenir une œuvre 30
». Le problème
que peut poser l’œuvre éphémère est que l’œuvre relève plus d’une idée que d’une forme.
Parfois même, dans le cadre de l’art contemporain, seule l’idée semble constituer l’œuvre. Par
exemple, l’exposition d’Yves Klein, intitulée Le Vide (Cf Annexe n°4) représentait une pièce
blanche et entièrement vide. Le vide constituant la substance de l’œuvre, elle ne parait pas se
concrétiser dans une forme. Ainsi, l’exposition de Klein n’apparait pas protégeable au regard
du critère de la forme. Cette solution reviendrait donc à refuser la protection à un nombre
important d’œuvres de l’esprit et entrainerait une certaine discrimination à l’égard de certaines
œuvres éphémères.
Ce critère de forme est parfois de difficile application aux œuvres éphémères mais il semblerait
que ce critère puisse être adapté ou élargi afin que ces œuvres bénéficient d’une protection plus
étendue. L’application du critère de forme a d’ailleurs déjà été bouleversée par l’art conceptuel
dans lequel seule l’idée semble être l’œuvre31
. La cour a pu affirmer le caractère protégeable
d’une œuvre d’art conceptuel avec l’œuvre PARADIS.32
On pourrait ainsi penser à transposer
cette solution dans le cadre des œuvres éphémères conceptuelles.
Il convient néanmoins de rappeler qu’une autre exigence vient s’ajouter à celle de la forme
matérialisée. En effet, la forme doit être perceptible par les sens.
30
Bernard Edelman, note sous CAA Nancy, 2 mai 1996
31
C’est le cas par exemple avec l’urinoir de Duchamp : l’œuvre consiste à utiliser un objet courant et en faire
une œuvre d’art en le détournant de sa fonction initiale
32
Œuvre crée pour une exposition dans un hôpital psychiatrique : l’auteur avait inscrit le mot « paradis » avec un
effet de platine, au dessus de la porte des toilettes d’un ancien dortoir : cette œuvre présentait un contraste entre
le lieu peu idyllique et l’intitulé. Une photographe ayant participé à cette expo avait photographié cette porte et
publié, sans l’autorisation de l’auteur qui l’a accusé de contrefaçon. Sa défense consiste à dire qu’il n’y a pas
d’œuvre mais une idée, celle de détourner le sens d’un lieu. La cour de cassation rejette cet argument en relevant
qu’il y avait une approche conceptuelle prépondérante mais cette approche était formellement exprimée dans une
conception matérielle. Cass. Civ 1ère
13 novembre 2008, JCP G 2008 II, 10204, note G. Loiseau.
16
§2- UNE FORME PERCEPTIBLE AUX SENS
L’œuvre, pour être protégée doit être perceptible aux sens, « ce qui est une autre manière de
poser l'exigence d'une forme, d'une expression, qui fait passer la création de la sphère des
simples idées à celle de la perception33
» selon les mots de JC Galloux. Le principe est donc
que seule la forme sensible peut être appropriée. Pouillet écrivait ainsi : « ce qui appartient à
l’auteur, ce qu’il peut revendiquer, c’est la forme de sa pensée, c’est l’ouvrage qu’il a écrit,
qu’il a peint, qu’il a sculpté, pour la manifester. C’est cette œuvre sensible et corporelle,
parfaitement définie, qui est sa propriété exclusive34
».
La mise en forme perceptible de l’œuvre éphémère semble tout à fait possible: le parfum est
perceptible par les sens par le bais de l’odorat, l’art culinaire par le biais du gout. De même, le
land art ou encore le happpening sont perceptibles par la vue et l’ouïe.
La protection de la fragrance suscite néanmoins une controverse. L’odorat étant bien un sens,
il n’y a pas de raison d’exclure la fragrance du champ de la protection en ce qui concerne le
critère de la perceptibilité par les sens. Cependant, les juges de la cour de cassation s’y refusent
encore, malgré quelques tentatives des juges du fond. En effet, selon le TGI de Paris : « Attendu
que si l'art. L. 112-2 CPI ne cite comme exemple d'œuvres de l'esprit que des œuvres
perceptibles par la vue ou par l'ouïe, la présence de l'adverbe « notamment » ne permet pas
d'exclure a priori les œuvres pouvant éventuellement être perceptibles par les autres sens que
sont le goût, le toucher et également l'odorat 35
». La Cour de cassation exclut cependant la
protection de la fragrance d’un parfum par le droit d’auteur car elle considère qu’elle ne
constitue pas « une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de
l’esprit par le droit d’auteur 36
». Cette solution fut par ailleurs réitérée par une décision
récente37
, manifestant bien la volonté des juges de la cour de cassation d’exclure la fragrance
du champ du droit d’auteur.
Se référant à la fragrance, certains auteurs parlent néanmoins de « forme olfactive ».
Par exemple, M. J.-P. Pamoukdjian écrivait que « la composition de parfum donne
une forme bien déterminée à son produit, forme qualifiée « d'olfactive »38
».
33
J.-C. Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit d'auteur, recueil
Dalloz 2004, p.2641.
34
E. Pouillet, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation,
ILGJ, 1908, p. 36
35
TGI PARIS 26 mai 2004, recueil Dalloz 2004, p2641.
36
Cass. Civ 1re, 13 juin 2006, pourvoi n°02-44718, comm. Com. Electr.2006, comm 119, note Ch Caron
37
Cass. Com., 1er
juill. 2008 : comm.. com. Électr. 2008, comm. 100, note Ch Caron
38
J.-P. Pamoukdjian, le droit du parfum, LGDJ, 1982, p. 212
17
L’exclusion d’une forme d’expression, prônée par les juges de la cour de cassation, semble
méconnaitre les dispositions de l’article L112-1 du CPI qui interdit d’effectuer de telles
discriminations et les résistances des juges du fond pourraient bien inverser la tendance39
.
Le problème de la perceptibilité de l’œuvre éphémère réside néanmoins dans le fait que l’œuvre
n’est pas intangible et n’est pas toujours fixée sur un support. Dans ces circonstances, c’est
aussi bien la perception de l’œuvre que l’œuvre elle-même qui est éphémère.
A- La perceptibilité face au critère de fixation de l’œuvre
Le critère de la fixation de l’œuvre ne fait pas l’objet d’un consensus en matière de droit
d’auteur. Pour certains auteurs, l’exigence de forme matérialisée perceptible aux sens réside
dans le fait que l’œuvre soit fixée sur un support matériel. Ysolde Gendreau nous dit que « la
notion de fixation est toute aussi éliminatoire que celle d’originalité40
».
La convention de Berne consacre une disposition particulière à l’exigence de fixation. En effet,
selon l’article 2, al.2 de l’acte de Paris : « est toutefois réservée aux législations des pays de
l’Union la faculté de prescrire que les œuvres littéraires et artistiques ou bien l’une ou plusieurs
catégories d’entre elles ne sont pas protégées tant qu’elles n’ont pas été fixées sur un support
matériel ». Le droit français n’exige pas de critère de fixation. En effet, le CPI déclare que :
« [ses] dispositions …protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels
qu’en soient… la forme d’expression ». En effet, au regard de l’article L.111-1 du CPI,
l’exigence de formalisation n’induit pas celle de fixation car l’auteur jouit d’un monopole « du
seul fait de sa création ». De même, l’article L.112-2 accorde une protection à des œuvres
exclusivement orales. Le fait de ne pas exiger de fixation permet à un plus grand nombre
d’œuvres d’accéder à la protection.
L’exigence de fixation apparait en droit français comme une exception, en effet, notre droit ne
fait pas de référence à un critère de fixation sauf pour les œuvres chorégraphiques, les numéros
et tours de cirque et les pantomimes « dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement »
selon l’article L.112-2-4 CPI.
Y. Gendreau poursuit sa réflexion : « exiger la fixation d’une œuvre a toujours signifié vouloir
s’assurer de son existence matérielle. Toutefois l’évolution du droit d’auteur a conduit à
reconnaitre des œuvres dont l’essence même est d’échapper à l’emprise physique ».
39
CA Aix-en-Provence - CH. 08 B - 09/04467 - 10 décembre 2010 commentée par Pierre Sirinelli, Recueill
Dalloz 2011, p2164.
40
Y. Gendreau, Le critère de fixation en droit d’auteur, p.151 
18
En effet, il apparait difficile de concevoir qu’une œuvre éphémère soit toujours fixée sur un
support matériel. La fixation sur un support est parfois impossible, c’est le cas du parfum, ou le
support a, dans d’autres cas, vocation à disparaitre, c’est le cas des œuvres d’art éphémères.
Consacrer le principe de fixation reviendrait à exclure du champ de la protection de telles
œuvres alors que la volonté même de l’auteur peut être celle de ne pas fixer son œuvre et aurait
donc pour incidence d’effectuer une discrimination à l’égard des œuvres non fixées. Or, ce
critère de fixation avait à son origine le but d’assurer l’identification de l’œuvre selon Gendreau.
Par ailleurs, cet auteur reconnait que si l’exigence du critère de fixation entrave l’exercice du
droit d’auteur, le critère de fixation excède alors les critères qu’il est amené à remplir.
Pour les professeurs Lucas, « l’exigence de concrétisation n’implique pas (...) celle
de fixation41
».Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 25 janvier 2006 la cour énonce que
« la fixation de l’œuvre ne constitue pas un critère exigé pour accéder à la protection».
Il faut donc distinguer la concrétisation de la fixation, la première étant nécessaire pour accéder
à la protection tandis que la seconde ne le serait pas.
L’exigence de fixation apparait plus comme une règle de preuve que comme une règle de
validité. P.Y Gautier écrit à ce propos que, bien qu’une œuvre éphémère puisse être protégée,
encore faut-il que la forme soit prouvée : «même si cette exigence de fixation n’est pas toujours
exigée, force est de constater qu’elle s’impose à toutes les créations dont la forme est fugace et
éphémère ». A ce titre, nous voyons que, même exclue en tant que critère de protection, la
fixation demeure un obstacle probatoire, ce qui induit une discrimination à l’égard de certaines
œuvres éphémères ne pouvant être fixées sur un support.
Bien que l’œuvre n’ait pas à être fixée pour être protégée, il convient de se demander si la
tangibilité de l’œuvre y fait obstacle.
B- La perceptibilité face à la tangibilité de l’œuvre éphémère
Nous l’avons vu, l’œuvre doit être matérialisée sous une forme perceptible par les sens. Cette
forme doit elle être pour autant intangible ?
« L’intangibilité n’est pas d’avantage une condition de protection des œuvres » selon les mots
de M. Vivant et J.M Bruguières. Selon ces auteurs, « la vérité est que les œuvres ne sont pas
inaltérables, invariables, intransformables. Le droit n’a pas à exiger d’elles ces qualités
41
Lucas A., Lucas H.-J., Traité de la propriété littéraire et artistique, n° 26, p. 34 et n° 59, p. 66
19
fantasmées 42
». La mise en forme, l’expression, ne sont pas synonymes d’intangibilité de
l’œuvre. Cependant, la tangibilité de l’œuvre éphémère peut-elle parfois faire obstacle à sa
protection ? Selon Fabrice Perbost si le jardin est difficilement protégeable en droit d’auteur,
cela tient essentiellement à son caractère éphémère : « Certes, la permanence et l'intangibilité
de l'œuvre ne sont pas de l'essence ni des conditions de la protection de l'œuvre d'art. Toutefois,
c'est probablement dans le caractère évolutif, éphémère, instable et évanescent de son support
qu'il faut voir le plus grand obstacle pratique à la reconnaissance du jardin comme œuvre de
l'esprit43
».
L’intangibilité d’une œuvre n’est cependant pas reconnue comme une condition de protection
ni par les textes, ni par la jurisprudence. Les juges ont d’ailleurs pu constater qu’il n’est pas
possible pour une œuvre de prétendre à l’intangibilité.44
En effet, l’intangibilité d’une œuvre ne
saurait être absolue car toute chose peut subir une altération. L’œuvre éphémère, par nature
tangible, ne devrait pas voir sa protection refusée en raison de ce caractère évolutif.
Une création peut, par ailleurs, être conçue comme une œuvre libre, une « œuvre ouverte45
».
L’« œuvre ouverte » correspond à une œuvre inachevée qui peut être modifiée indéfiniment par
de nouveaux créateurs, elle invite le spectateur à participer de manière active à l’œuvre. Elle
est donc forcément instable et évolutive. Leur protection ne doit pas être refusée pour autant.
Pour se voir accorder la protection, l’œuvre doit en outre être originale.
SECTION 2- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE D’ORIGINALITE
L’originalité est considérée comme la « pierre angulaire » du droit d’auteur46
. Une œuvre n’est
protégeable « qu’à la condition de présenter un caractère original 47
». Cependant cette notion
n’apparait nulle part définie. André R. Bertrand parle de « notion incernable ». La doctrine
qualifie l’originalité de « vice fondamental » du droit d’auteur48
, ou encore de « notion en
crise49
».
42
 M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère
éd, 2009, p.75
43
F. Perbost, le jardin saisi par le droit d’auteur, recueil Dalloz 2002, p.3257
44
A titre d’exemple, en matière architecturale, le juge administratif reconnait que l’'auteur ne pouvait prétendre à
l'intangibilité de son œuvre et qu'il devait admettre des évolutions justifiées par la nécessité d'adapter le bâtiment
à des besoins nouveaux. Conseil d’Etat, 11 septembre 2006 
45
Umberto Eco, 1962 : Umberto Eco cite dans son ouvrage quatre œuvres musicales laissant beaucoup de liberté
à son interprète. En effet, l’interprète est libre quant à la détermination de la durée des notes ou des successions
des sons et permet un acte « d’improvisation créatrice ». La partition n’est pas figée et devient un champ de
possible.
46
A. Lucas et P. Sirinelli, « L’originalité en droit d’auteur », JCP 9 juin 1993. N°23 I.3681
47
Crim. 7 oct. 1998, RIDA, n°180, p.327
48
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.161
49
A.LUCAS, H.J.LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3e éd., Paris, 2006, n°79
20
L’originalité semble découler d’une combinaison nouvelle d’éléments connus. Est qualifiée
d’originale une œuvre singulière, qui se démarque et qui est empreinte de la personnalité de son
auteur. L’originalité peut également s’entendre, de manière plus objective, comme la notion
« d’apport créatif ».
Il convient de savoir si l’œuvre éphémère répond à ce critère d’originalité.
§1- UNE EXIGENCE APPLICABLE A L’ŒUVRE EPHEMERE
Deux conceptions de l’originalité semblent coexister en droit d’auteur : d’une part la conception
subjective et d’autre part la conception objective de l’originalité.
Il semblerait toutefois que l’œuvre éphémère puisse être qualifiée d’originale, tant sur le plan
de la conception subjective qu’objective.
A- La conception subjective de l’originalité
Desbois définit ainsi l’œuvre originale : « Est originale toute création qui n’est pas la simple
reproduction d’une œuvre existante et qui exprime le goût, l’intelligence et le savoir-faire de
son auteur, en d’autres termes, sa personnalité dans la composition et l’expression »50
.
L’originalité apparait donc, avant tout comme « l’empreinte de la personnalité de son
auteur »51
. Cette formulation, soulignant le caractère subjectif de la définition de l’originalité,
est appuyée par la doctrine.
En effet, pour André Lucas et Pierre Sirinelli, l’auteur doit avoir déployé « un minimum de
fantaisie » et échapper aux « contraintes de la technique »52
L’originalité apparait donc comme le lien indéniable qu’il existe entre l’auteur et son œuvre en
quelque sorte, le prolongement de la personnalité de l’auteur. Ainsi Oscar Wilde écrivait dans
Le Portrait de Dorian Gray : « tout portrait qu’on peint avec âme est un portrait, non du modèle,
mais de l’artiste ». De la même manière Flaubert a déclaré propos de son œuvre Madame
Bovary : « Madame Bovary, c’est moi ».
La cour de cassation reste attachée à cette conception subjective dans la plupart des cas. Elle
casse ainsi certaines décisions du juge qui considèrent que l’originalité se confond avec la
nouveauté53
. Les tribunaux utilisent de nombreuses formules proches de l’empreinte
50
H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978, p.23
51
CA Paris 1er avril 1957, D. 1957 p 436 ; CA Paris 16 mai 1994, RIDA 4/1994, p 47
52
A. Lucas et P. Sirinelli, L’originalité en droit d’auteur, JCP, 1993, doctr., 3681, p. 255-256
53
Cass. Civ 1ère
11 février 1997, Bull n°56
21
personnelle : « le reflet de la personnalité du créateur 54
» ou la marque de celle-ci, ou encore
« l’empreinte émotionnelle personnelle 55
».
Œuvre éphémère et originalité n’apparaissent pas inconciliables et rien ne semble s’opposer a
priori à ce qu’une œuvre éphémère soit considérée comme originale.
En matière de fragrance par exemple, de nombreux auteurs ont cherché à démontrer que le
parfum était une création originale. Ainsi pour J.C Galloux56
: « La majorité des auteurs estime
que les « grands parfums » conservent tellement l'empreinte de la personnalité de leur auteur
qu'il est facile pour un professionnel de les identifier ». De même, comme l’écrit Pamoukdijian,
« la composition de parfum donne une forme bien déterminée à son produit, forme qualifiée «
d'olfactive » ayant une personnalité et une originalité propres ».
Le tribunal de Paris a pu admettre que : « la fragrance originale d’un parfum (est) susceptible
d’appropriation au titre des droits d’auteurs57
».
Pour Roudnitska, le parfum est marqué par l’empreinte de son auteur: « le compositeur de
parfum réalise ses compositions grâce à son métier et à son sens artistique qui lui permettent
de communiquer sa conception de la beauté, par le truchement du parfum auquel il aura
imprimé sa personnalité58
».
Le happening au même titre que l’improvisation, devrait pouvoir présenter l’originalité requise
pour accéder à la protection. De même, le land art, le body art, et le street art peuvent présenter
cette originalité, comme toute autre œuvre plastique classique.
Ce concept d’originalité a pourtant souffert de certains abus59
de sorte qu’il est apparu
nécessaire de repenser le concept même d’originalité. De plus, cette conception subjective de
l’originalité a pu poser certains problèmes, notamment en matière d’art contemporain où « Les
artistes contemporains s’acharnent souvent à effacer de l’œuvre toute empreinte personnelle,
comme s’ils voulaient disparaître dans l’anonymat60
» selon Strowel.
54
CA Paris, 1er
avr. 1957
55
TGI Nanterre, 10 mars 1993, RIDA 1993, n°157, 343
56
J.C Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit d'auteur, Recueil
Dalloz, 2004, p.2641
57
Arrêt du Tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 1999, S.A. Thierry Mugler Parfums c/ S.A. G.L.B.
Molinard
58
O. Moreno, R. Bourdon, E. Roudnitska, L’intimité du parfum, Ed. Olivier Perrin, 1974
59
L’originalité a pu ainsi être trouvée au sein de créations telles qu’un panier à salade (Cass. Crim 2 mai 1961)
ou encore d’un décapsuleur (Cass. Crim, 9 oct 1974)
60
A. Strowel, le droit d’auteur remis en cause par l’art conceptuel, in « L’œuvre selon le droit d’auteur »,
1993, p.85
22
On a pu se demander alors si une conception plus objective de l’originalité pourrait venir palier
les carences et les abus dont souffre la conception subjective de l’originalité.
B- La conception objective de l’originalité
Le critère de l’originalité soulève des difficultés d’application à certaines œuvres si bien que le
concept d’originalité a pu se rapprocher de celui de nouveauté61
ou d’activité créatrice qui
prendrait en compte d’avantage l’apport créatif de l’auteur que l’empreinte de sa personnalité.
Ce fut le cas par exemple pour les logiciels. Dans l’arrêt dit « Pachot », la Cour énonce que
l’originalité résulte pour ces œuvres du constat d’une activité créatrice suffisante.62
Cette conception permettrait à certaines œuvres éphémères d’accéder plus facilement au champ
de la protection par le droit d’auteur. Dans un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25
janvier 2006, la cour défend l’originalité du parfum : «Un parfum est susceptible de constituer
une œuvre de l'esprit protégeable au titre du livre I du code de la propriété intellectuelle, dès
lors que, révélant l'apport créatif de son auteur, il est original.» La cour utilise ici la notion
d'apport créatif, plus proche des créations techniques.
Selon certains auteurs, l’originalité ne résulterait pas de l’empreinte personnelle mais plus dans
« l’effort » et le « choix ». En matière de fragrance par exemple, Galloux parle de « choix d'un
« thème principal » de la forme olfactive63
»L’originalité pourrait alors consister dans l’effort
créateur et dans l’originalité du choix. Plusieurs décisions de justice ont en ce sens justifié leurs
décisions en s’appuyant sur l’originalité du choix opéré par l’auteur, de telle sorte que les deux
notions –originalité et choix- semblent se confondre64
».
Pour les professeurs Lucas et Sirinelli : « L’originalité de l’œuvre découle de l’arbitraire du
créateur. (…) Dès lors qu’il y a place à l’arbitraire, la protection légale est acquise.65
».
De plus, l’article L112-2 du CPI accorde la protection du droit d’auteur aux anthologies et
recueils « qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations
intellectuelles ».
61
En ce sens, Com. 23 mars 1965, Gaz. Pal. 1965, 2, 81 : l’œuvre est originale car « l’œuvre se distingue du
domaine public antérieur »
62
Cass. Ass. Plén. 7mars 1986, JCP 1986 II n°20631, note J.M MOUSSERON, B. TEYSSIE, M.VIVANT
63
J.C Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit d'auteur, Recueil
Dalloz, 2004, p.2641
64
CA Paris, 4e ch., 22 juin 1999, Ainsi la cour d’appel de Paris, sur le plan de promenade du cimetière du Père-
Lachaise parle d’ « une empreinte originale particulière qui est la conséquence du choix arbitraire des auteurs
révélatrice de leur personnalité ».
65
A. LUCAS, P. SIRINELLI, « L’originalité en droit d’auteur », JCP 1993, éd. G., I, 3681, n° 10, pp.255-256
23
En ce sens, l’œuvre éphémère, par le choix d’utiliser la nature, ou celui d’utiliser un matériau
qui à vocation à disparaitre, pourrait constituer une œuvre originale. Ainsi par exemple, une
sculpture en chocolat a pu être protégée par le droit d’auteur66
. De même, dans une affaire
concernant des créations culinaires, la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 17 mars 1999 a
reconnu l’originalité de la création d’un cuisinier qui réalisait devant la caméra quelques
recettes67
. Pour L. Costes68
, « l’originalité de la préparation résiderait dans l’activité créatrice
du cuisinier ; cette activité créatrice étant issue de choix dans les combinaisons des saveurs et
des ingrédients, différence faite de la cuisine qui serait issue d’un ‘fonds de l’art culinaire’
d’un patrimoine culinaire ».
Cependant, cette position peut paraitre discutable. En effet, selon l’expression de Françon :
« choisir n’est pas créer ». La mise en œuvre d’un choix n’est pas le résultat d’une démarche
créatrice suffisante. Il conviendrait alors de donner une définition à l’originalité comportant à
la fois un élément objectif et à la fois un élément subjectif. Ch. Caron propose ainsi la définition
suivante : « Est originale toute création, forcément nouvelle, qui exprime la personnalité de
son auteur à travers des choix qui lui sont propres »69
.
En définitive, il semblerait que l’œuvre éphémère puisse être qualifiée d’originale. L’originalité
de certaines œuvres éphémères apparait néanmoins discutée de sorte que ce critère n’apparait
pas totalement ajusté à la notion d’œuvre éphémère.
66
TGI Laval, 16 févr 2009, RLDI 2009, n°47 osb L.Costes ; n°50, note F. Fontaine : les œuvres en chocolat sont
protégeables par le droit d’auteur en dépit de leur caractère éphémère : « il est indéniable que le requérant s’est
livré à la confection de créations originales à partir de documents d’époque».
67
CA Paris, 17 mars 1999, RIDA 1999, n°182, p.203
68
Note sous TGI LAVAL 16 février 2009 : RLDI 2009 n°47
69
CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème
éd, 2009, p.76
24
§2- UN CRITERE DE DIFFICILE APPLICATION FACE A LA PARTICULARITE DE
L’ŒUVRE EPHEMERE
A- La difficile distinction entre création originale et savoir faire
Cette distinction s’avère particulièrement difficile face aux œuvres gustatives et olfactives. Pour
les tribunaux, une recette de cuisine réside plus dans un savoir faire que dans une mise en forme
originale perceptible par les sens: «si les recettes de cuisine peuvent être protégées dans leur
expression littéraire, elles ne constituent pas par elles-mêmes une œuvre de l'esprit ; [...] elles
s'analysent en effet en une succession d'instructions, une méthode ; il s'agit d'un savoir-faire,
lequel n'est pas protégeable70
». Sur le même fondement, la cour de cassation refuse d’accorder
la protection à la fragrance. Dans un arrêt du 22 janvier 2009, la cour retient que la fragrance
d'un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d'un savoir-faire, ne constitue pas la
création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l'esprit par
le droit d'auteur.
Pour autant, le savoir faire n’est il pas nécessaire à la mise en forme d’une idée originale ? Selon
Philippe Gaudrat, le parfum résulte d’un savoir faire mais ce savoir faire est nécessaire à la
production de l’idée originale : « Le logiciel n'est, lui, assurément qu'une forme fonctionnelle
occulte résultant de l'application d'un savoir-faire de programmation à la traduction de
fonctionnalités en instructions exécutables ; il est pourtant protégé par droit d'auteur. Le
savoir-faire d'un nez est, comme celui de tout artiste, mis au service de la production
d'une forme perceptible, expressive et usuellement créative. À quel titre cette forme devrait-elle
être exclue de la protection ? Fort heureusement, les juges du fond ne semblent pas décidés à
s'en laisser conter…71
». En effet, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 10
décembre 2010, statuant sur renvoi après cassation, expose que si la création d'un parfum
nécessite bien un réel savoir-faire, elle ne se limite pas à une opération technique et traduit la
personnalité, la sensibilité et l'imagination de son auteur.
Certains auteurs se réjouissent de la résistance des juges du fond. Pour Michel Vivant, le parfum
constitue un savoir faire mais pas seulement, il argumente ainsi : « comment précisément
comprendre que la présence d'un savoir-faire disqualifie la création candidate au statut
d'œuvre ? Une fragrance procède d'un savoir-faire... Guernica procède d'un savoir-faire.
Bagatelles de Webern procède d'un savoir-faire. Les Villas de Franck Lloyd Wright procèdent
70
TGI Paris, 3e ch., 30 sept. 1997, RIDA 1998, p. 273
71
P. Gaudrat, Propriété littéraire et artistique, répertoire de droit civil, septembre 2007 (dernière mise à jour
janvier 2012), recueil Dalloz.
25
d'un savoir-faire. Chacun complètera la liste comme il l'entend. Il serait intéressant de savoir
quelle œuvre ne procède pas dans un savoir-faire. Un savoir-faire n'est pas la garantie d'une
œuvre mais il n'est pas d'œuvre sans savoir-faire72
».
En effet, toute création nécessite un savoir faire, et les œuvres éphémères telles que la fragrance
ne devraient pas être exclues sur ce fondement.
B- L’originalité : un critère mis à mal
Reconnaitre l’originalité de certaines œuvres a parfois conduit à dénaturer le concept même
d’originalité. Pour Bernard Edelman par exemple, admettre que le parfum puisse entrer dans le
champ de protection du droit d’auteur, reviendrait à « techniciser l’empreinte de la
personnalité73
».
Selon Delphine Galan : « L’ouverture des portes du droit d’auteur est plutôt causée par […] la
dénaturation de la notion d’originalité74
».D. Galan souligne par ailleurs « les dangers de
l’élasticité » de cette notion. Le concept d’originalité, non défini par le code, est un concept
dont les contours sont si flous que pour Bernard Edelman « la propriété littéraire et artistique
est mal en point, elle est devenue un “fourre-tout“. L’introduction des logiciels dans le droit
d’auteur aura eu au moins l’avantage de nous en faire prendre conscience ». Reconnaitre à
tout va l’originalité de toute création remettrait en cause le principe même d’originalité. Pour
D. Galan, « Le droit d’auteur devrait cesser de voler au secours de la volonté de simples
novateurs pour venir récompenser les auteurs 75
».
L’approche de l’originalité apparait parfois bien difficile, pour Agnès Maffre-Baugé76
, si pour
certaines catégories d’œuvres, il existe une présomption d’originalité et « la question de
l’originalité n’est pas réllement posée » car elle ne fait pas de doute, d’autres œuvres comme
celles issues de l’art contemporain ne bénéficient pas d’une telle présomption. Il en va de même
pour les œuvres éphémères qui apparaissent parfois bien éloignées de l’empreinte personnelle
de l’auteur. L’art contemporain, revendiquant souvent la « dépersonnalisation77
» semble mettre
en pratique cette contestation de l’originalité et le droit d’auteur semble bien mal armé face aux
nouvelles interrogations que soulèvent ces œuvres. De sorte que l’on pourrait être amené à
72
M.VIVANT L’heureuse résistance des juges du fond, Recueil Dalloz 2007 p.954
73
EDELMAN, Une fragrance procède d’un savoir faire, Recueil Dalloz 2006, p.2470
74
D. GALAN, la protection de l’œuvre olfactive par la propriété intellectuelle, PUAM ; 2010
75
D. GALAN, la protection de l’œuvre olfactive par la propriété intellectuelle, PUAM ; 2010, p.374
76
Citée par M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère
éd, 2009, p.169
77
Bernard Frize 
26
réfléchir à une élaboration de nouveaux critères, ou bien à une adaptation des critères de l’œuvre
de l’esprit face aux œuvres éphémères.
Le caractère éphémère de l’œuvre n’est donc pas un obstacle à la protection d’une œuvre.
Néanmoins, en dépit de ce principe rappelé à maintes reprises par la loi, les tribunaux et la
doctrine, force est de constater que soit faite une distinction entre deux catégories d’œuvres
éphémères : celles qui s’adressent à la vue et à l’ouïe et qui sont plus facilement protégées par
le droit d’auteur, et celles qui s’adressent à l’odorat et au goût dont la protection semble bien
plus contestée et ceci en dépit du CPI selon lequel les critères de l’œuvre de l’esprit peuvent
s’appliquer sans distinction à une œuvre visuelle ou une œuvre olfactive.
Les critères classiques semblent remis en cause et apparaissent comme dépassées face aux
œuvres éphémères. Ces œuvres répondent néanmoins aux critères de l’œuvre de l’esprit et
devraient bénéficier d’une protection plus systématique de la part du droit d’auteur. Pour cela,
il faudrait pouvoir adapter ces critères aux œuvres éphémères, ou prévoir un statut juridique
particulier au sein du droit d’auteur pour ces œuvres.
En effet, malgré la possibilité d’une protection de l’œuvre éphémère en droit d’auteur, il
convient de savoir si le régime de l’œuvre éphémère offre un niveau de protection suffisant ou
s’il diffère du régime de protection de l’œuvre classique.
27
CHAPITRE 2- L’ŒUVRE EPHEMERE, UN REGIME DE PROTECTION
DEROGATOIRE AU DROIT COMMUN
Les œuvres éphémères sont susceptibles de remplir les critères de forme et d’originalité, bien
que, dans un même mouvement, elles témoignent du dépassement de ces critères. A ce titre,
leurs auteurs bénéficient de certains droits assurant la protection de ces œuvres. Le régime de
l’œuvre éphémère apparait néanmoins comme dérogatoire au droit d’auteur classique, devant
s’adapter aux particularités de l’œuvre éphémère et ceci tant au niveau du droit extrapatrimonial
de l’auteur (Section 1) que du droit patrimonial (Section 2).
SECTION 1- UN DROIT EXTRAPATRIMONIAL DE L’AUTEUR EDULCORE
Classiquement, le droit moral de l’auteur comprend plusieurs prérogatives : le droit de
divulgation, le droit de paternité, le droit au respect de l’œuvre ainsi que le droit de repentir, de
retrait.
Le contenu du droit moral de l’auteur apparait quelque peu modifié face à la particularité de
l’œuvre éphémère : les prérogatives extrapatrimoniales de l’auteur d’une œuvre éphémère
semblent être de moindre portée.
§1- UN DROIT DE RETRAIT MIS A L’INDEX
Le droit de retrait est défini par le CPI à l’article L121-4, il donne la possibilité à l’auteur
d’arrêter l’exploitation de son œuvre dès lors qu’il considère que cette œuvre ne correspond
plus à ses idées : « Nonobstant la cession de son droit d'exploitation, l'auteur, même
postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d'un droit de repentir ou de retrait vis-à-
vis du cessionnaire». La loi lui permet ou bien de la modifier (il s’agit du droit de repentir), ou
bien d'en arrêter l’exploitation (il s’agit du droit de retrait). Ainsi par exemple, un metteur en
scène pourra supprimer un rôle de sa pièce quand bien même les représentations ont déjà
commencé.
Le droit moral de l’auteur, face à la particularité de certaines œuvres, est susceptible de subir
quelques modifications ou adaptations. Tel fut le cas pour le droit moral de l’auteur d’un
logiciel. En effet, il fut limité pour éviter de nuire à l’exploitation des logiciels. L’article L121-
7 CPI dispose ainsi que : « Sauf stipulation contraire plus favorable à l'auteur d'un logiciel,
celui-ci ne peut : […] 2° Exercer son droit de repentir ou de retrait. » La protection des
logiciels déroge donc au droit commun en ce qui concerne le droit moral de l’auteur.
28
Une autre dérogation est à noter en matière de droit de retrait concernant le droit moral de
l’artiste interprète. En effet, selon l’article L212-2 du CPI : « L'artiste-interprète a le droit au
respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation ». Cet article ne fait pas état du droit
de retrait et de repentir du droit de l’artiste interprète. A la différence des règles concernant
l’auteur, le code n’accorde pas de droit de divulgation ni de droit de repentir ou de retrait. L’idée
selon laquelle il s’agissait d’un oubli de la part du législateur fut réfutée par la cour de cassation
dans un arrêt du 27 novembre 2008 : « les dispositions de l'article L. 212-2 du CPI limitent les
prérogatives du droit moral de l'artiste-interprète au seul respect de son nom, de sa qualité et
de son interprétation 78
». Ainsi, l'artiste-interprète, conformément au texte de la loi, ne possède
alors ni droit de divulgation ni droit de retrait ou de repentir.
Face à la particularité des œuvres éphémères, il semblerait que le droit de retrait puisse
également souffrir de certaines altérations ou adaptations. Dans le cas des œuvres éphémères,
cette modification ne serait pas le résultat d’un besoin de protection supplémentaire des œuvres
éphémères contre les possibles atteintes de l’auteur à l’exploitation de l’œuvre comme c’est le
cas pour l’auteur du logiciel ou l’artiste interprète, mais serait le résultat inhérent à la nature
particulière de l’œuvre éphémère.
En effet, il semblerait que le droit de retrait de l’auteur d’une œuvre éphémère soit mis à l’écart,
édulcoré de par la nature de l’œuvre éphémère. Une œuvre éphémère, est destinée à disparaitre
peu après sa divulgation. L’auteur d’une œuvre classique voit son droit de retrait disparaitre au
moment de sa propre mort : en effet, l’exercice de cette prérogative n’est pas envisagé par le
CPI après le décès de l’auteur. La jurisprudence s’accorde pour dire que cette prérogative
disparait à la mort de l’auteur. Or, dans le cas d’une œuvre éphémère, l’œuvre a le plus souvent
tendance à disparaitre avant le décès de son auteur. Au moment de la disparition de l’œuvre,
disparaitrait par la même la possibilité d’exercer son droit de retrait. Cela parait tomber sous le
sens, en effet, le droit moral ne peut être exercé que parce que l’œuvre existe et à l’inverse si
l’œuvre est inexistante ou disparue, le droit de retrait ne peut être exercé. Plus spécifiquement,
c’est la durée de la prérogative du droit de retrait qui apparait ici modifiée face à l’œuvre
éphémère. Les prérogatives du droit de retrait de l’auteur d’une œuvre éphémère se trouvent
donc amoindries.
78
Civ. 1re
, 27 nov. 2008, pourvoi n° 07-12.109, arrêt n° 1188 F-P+B, Petrucciani, Bull. civ. I, n° 274 ; D. 2009.
AJ. 18
29
En outre, le droit de retrait de l’auteur d’une œuvre éphémère n’est pas la seule prérogative
extrapatrimoniale modifiée face à la particularité d’une telle œuvre. En effet, le droit au respect
de l’œuvre semble également altéré à l’épreuve de l’œuvre éphémère.
§2- UN DROIT AU RESPECT DE L’ŒUVRE ALTERE
Le droit au respect de l’œuvre est une pièce maitresse du droit moral qui interdit que l’œuvre
soit altérée dans sa forme ou dans son esprit. Ce droit est conféré à l’auteur par l’article L121-
1 du CPI selon lequel : « L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son
œuvre ». Le droit au respect de l’œuvre induit au droit au respect de l’intégrité, intellectuelle ou
matérielle, de l’œuvre.
Marie Cornu cite les différentes formes que l’atteinte peut prendre : « modification,
déformation, mutilation, adjonction, démantèlement, destruction79
». Or, une œuvre éphémère
n’est elle pas conçue justement pour être modifiée, déformée, mutilée, démantelée et a fortiori
détruite ?
L’œuvre éphémère est caractérisée par ce caractère mouvant, changeant dont l’inéluctable fin
est la destruction. En ce sens, on peut se demander si le droit au respect de l’œuvre éphémère
existe encore. Ne s’agit-il pas là d’une exception faite aux prérogatives accordées normalement
à l’auteur au titre de droit moral ?
Ici encore, tout dépend de la catégorie de l’œuvre éphémère en cause. En effet, un artiste ayant
réalisé une création de land art se verra dépourvu de toute possibilité de revendiquer une
altération de son œuvre, le but final étant l’altération. En revanche, le créateur d’un parfum
pourrait, dans le cas où le parfum serait reconnu comme une œuvre de l’esprit, arguer d’une
atteinte au respect de son œuvre. De même, l’artiste ayant exposé son œuvre sur le mur d’une
ville ne pourra pas faire valoir une atteinte au respect au droit de son œuvre si celle-ci se voit
altérée par les intempéries. Marie Cornu nous rappelle ainsi que : « Ce possible mouvement de
l'œuvre, phénomène plutôt contemporain, chahute tout à la fois les règles de l'art et du droit80
».
Elle poursuit : « Les deux logiques de la protection du patrimoine culturel et de la création
s'accommodent mal du destin temporaire de ces œuvres éphémères. Mais cette réalité ne suffit
pas toujours à refouler le désir de les prolonger ». Selon elle, les restaurateurs et les
conservateurs tentent parfois d’aller à l’encontre de la nature éphémère d’une œuvre afin d’en
assurer son intangibilité.
79
M. Cornu, L’espérance de l’intangibilité dans la vie des œuvres, RTD Civ. 2000 p.697
80
M. Cornu, L’espérance de l’intangibilité dans la vie des œuvres, RTD Civ. 2000 p.697
30
Marie Cornu pose une question très intéressante qui mérite réflexion : « si l'œuvre est conçue
comme œuvre éphémère, son respect ne passe-t-il pas par le respect de sa disparition à
terme? ». On peut en effet se demander si combattre le caractère éphémère d’une œuvre
constitue une atteinte de celle-ci ; l’éphémérité de la création étant une des caractéristiques de
l’œuvre, souvent postulée par l’auteur lui-même. Dans le cas de l’œuvre éphémère, le droit au
respect de l’œuvre pourrait il induire un droit à la disparition de l’œuvre ? Puisque le droit au
respect de l’œuvre suppose tout à la fois le respect intellectuel et matériel de l’œuvre, l’action
de conserver ou restaurer une œuvre éphémère pourrait donc constituer une atteinte à l’esprit
de l’œuvre. Néanmoins, Marie Cornu pense qu’il ne faut pas « si radicalement paralyser le
droit du propriétaire d'entretenir son bien, l'empêcher en tout état de cause de combattre le
caractère éphémère de l'œuvre ». Elle poursuit sa réflexion ainsi : « Ce n'est que s'il y a atteinte
à l'œuvre qu'il y aura contrefaçon, par exemple en cas de substitution de matériaux plus
résistants contre la volonté de l'auteur».
Le droit au respect de l’œuvre conféré à l’auteur apparait donc édulcoré face à l’œuvre
éphémère. Nous pourrions même, certes de manière extrême, être conduits à repenser le contenu
du droit de respect de l’œuvre éphémère en un droit au respect de la disparition de l’œuvre.
L’application de ce droit au respect de l’œuvre peut également s’appliquer différemment face
à une œuvre éphémère. En effet, si l’œuvre a été édifiée en violation des règles d’urbanisme
(cas des graffitis, notamment), l’œuvre pourra être détruite sans que son auteur puisse
protester.81
En effet, le droit moral de l’auteur d’une œuvre se voit limité par le droit de propriété
des tiers. L’œuvre éphémère, et plus particulièrement sous sa forme du street art se situe entre
deux droits : le droit de propriété et le droit d’auteur. La cour doit concilier ces deux impératifs
antagonistes. La question prend toute son ampleur face aux graffitis qui sont, de manière
principale, réalisés sur des supports n’appartenant pas aux graffiteurs tels que la voie publique,
les trains, les murs et ceci sans le consentement de leur propriétaire. C’est donc, outre la
question du droit de la propriété, la question de la licéité qui se pose. La création d’une œuvre
originale sur un support appartenant à autrui en l’absence de son consentement bouleverse le
régime de l’œuvre.
Du fait de l’illicéité du support, le droit moral de l’auteur d’un graffiti apparait nettement
amoindri. Certaines villes procèdent ainsi à des destructions systématiques des graffitis réalisés
sur la voie publique. Le caractère illicite implique donc dans le cadre du street art, le caractère
81
Cass. Crim., 3 juin 1986
31
éphémère de l’œuvre. Bien que le CPI pose en son sein une règle importante à l’article L111-3
selon lequel « La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est indépendante de la
propriété de l'objet matériel », cette règle d’indépendance ne semble pas pouvoir s’appliquer à
la lettre aux œuvres éphémères telles que les graffitis. Selon cet article, le propriétaire du
support n’a donc pas de droit sur l’œuvre qui y est incorporée. Pour autant, en matière de street
art, la tendance est plus souvent à la sauvegarde du droit de propriété plutôt qu’à la sauvegarde
de l’œuvre. Le propriétaire du support a donc des droits élargis face aux droits de l’auteur. Il y
aurait donc en ce sens une neutralisation du droit de respect de l’œuvre de l’auteur d’une œuvre
éphémère dont le support est illicite.
En définitive, le droit moral de l’auteur d’une œuvre éphémère apparait comme un droit moral
affaibli. Ces prérogatives diffèrent de telle manière qu’on pourrait être amenés à repenser un
droit « sui generis » du droit moral de l’auteur d’une œuvre éphémère. D’ailleurs, cette
adaptation du droit moral n’est pas nouvelle. Selon Ch. Caron, « il serait erroné de croire que
le droit moral est un concept monolithique. Au contraire, il s’applique, avec beaucoup de
nuances, qui prennent en considération la diversité des situations. […] Certaines œuvres
bénéficient d’un régime spécifique. […] C’est pourquoi il est possible de constater la
multiplicité des régimes spéciaux qui ne cessent de ronger le droit commun du droit moral. Il
existe plutôt des droits moraux qu’un seul et unique droit moral82
»
La question de la licéité de l’œuvre se pose avec encore plus de ferveur dans le cadre de la
protection du droit patrimonial de l’auteur.
SECTION 2- UN DROIT PATRIMONIAL DE L’AUTEUR ATROPHIE
Outre la question de l’éphémérité, d’autres problèmes viennent faire obstacle à la protection de
l’œuvre éphémère entravant le droit patrimonial de l’auteur. Ces questions sont celles de la
licéité de l’œuvre, de l’adéquation à l’ordre public.
Par droit patrimonial, il faut entendre les prérogatives pécuniaires de l’auteur. Il s’agit du droit
d’exploitation de l’œuvre. Selon l’article L122-1 du CPI, «Le droit d'exploitation appartenant
à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.»
82
CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème
éd, 2009, p.227-228
32
§1- UN DROIT PATRIMONIAL SOUMIS A L’OBSTACLE DE LA LICEITE DE
L’ŒUVRE EPHEMERE
Il est question de savoir si l’illicéité d’une œuvre ou sa contrariété à l’ordre public fait obstacle
à l’attribution de droits patrimoniaux à son auteur : le droit d’auteur peut il étendre sa protection
sur des œuvres illicites, c'est-à-dire contraires à la loi ?
Nous concentrerons ici notre étude sur deux catégories d’œuvres éphémères : le body art et le
street art. Ces œuvres éphémères sont en effet le plus représentatives des problèmes soulevés
par l’illicéité de l’œuvre.
Avec le body art, le corps apparait comme la clé de voute de l’expression artistique. Le corps
lui-même est présenté comme une œuvre d’art. De manière encore plus extrême, l’œuvre d’art
a pu consister en la représentation de cadavres83
. Ces réalisations qui pourraient s’inscrire dans
le cadre de la protection du droit d’auteur sont cependant contraires au code civil, notamment
en son article 16-1-1 qui dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort
; que les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné
lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ». Ainsi, certaines œuvres
considérées comme des œuvres de l’esprit peuvent être jugées contraires au droit au respect du
corps humain.
L’exposition « Our Body, à corps ouvert » a ainsi pu être jugée illicite84
. Cette exposition
mettait en scène 17 cadavres humains d'origine chinoise "plastinés85
", ouverts et disséqués, afin
d'éveiller le grand public au fonctionnement de l'anatomie humaine. Pour la cour d’Appel,
l’exposition caractérise une violation manifeste de l'article 16-1-1. L’exhibition de cadavres
humains à des fins commerciales est contraire à la décence et illégale en France.
On peut en effet admettre que des cadavres présentent un intérêt médical et scientifique mais il
n’en va pas de même lorsque ces corps sont présentés comme des œuvres d’art. L’auteur d’une
telle œuvre ne pourra donc pas se prévaloir des droits patrimoniaux afférant normalement à
l’auteur d’une œuvre légale. La licéité a donc une incidence sur la protection des droits
patrimoniaux de l’auteur.
83
Exposition « Our Body, à corps ouvert » 
84
CA Paris PÔLE 01 CH. 03 30 avril 2009 n° 09/09315
85 Le docteur Gunther von Hagens découvrit la plastination en 1977 et la fit brevetée entre 1977 et 1982. Il
trouva le moyen de substituer à l’eau des cellules des cadavres des résines époxy en trempant les cadavres encore
frais dans un bain d’acétone. Il en résulte un arrêt définitif des processus de putréfaction et une rigidité du corps.
Ainsi, les corps plastinés sont des préparations anatomiques, dont les liquides contenus dans les tissus ont été
remplacés, à des fins de conservation, par une matière plastique. 
33
La question se pose aussi en matière de street art. En effet, le graffiti apparait comme allant de
pair avec l’illicéité, fréquemment apposé sur le bien d’autrui, le graffiti apparait comme un « art
en flagrant délit86
». Le droit s’est mêlé rapidement à cet art, le code pénal sanctionne ainsi :
« le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur
les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros
d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage
léger ». Cet article est complété par l'article 322-2 qui prévoit une sanction élevée
à 7 500 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général, lorsque « le bien détruit,
dégradé ou détérioré est destiné à l'utilité ou à la décoration publiques et appartient à une
personne publique ou chargée d'une mission de service public ».
Ces dispositions empêchent-elles pour autant de reconnaitre un graffiti comme une œuvre
privant ainsi son auteur des prérogatives pécuniaires qui y sont attachées ? Il semblerait que les
juges de la cour d’Appel de Paris aient répondu à la question dans une affaire du 27 septembre
2006. La cour d’appel de Paris a en effet pu reconnaitre aux graffitis la qualité d’œuvre de
l’esprit. La cour qualifie dans cette affaire les graffitis d’œuvres éphémères : « les wagons
reproduits ne le sont que de façon accessoire, c’est-à-dire en tant que support d’œuvres
éphémères, les graffiti, qui, eux, sont reproduits de façon principale ». Les faits de l’espèce
sont les suivants : les wagons de certains trains de la SNCF avaient été taggués, ces graffitis
avaient été publiés dans des magazines spécialisés dans le graffiti. La SNCF assigne ces
magazines car la publication de ces photos lui causait un trouble anormal. Selon la compagnie,
publier de telles images des trains dont elle était propriétaire était susceptible de présenter cette
activité sous un jour favorable et constituerait une forme d’apologie des graffitis sur les trains,
ce qui lui couterait cher en nettoyage. Dans un jugement rendu le 15 octobre 2004, le tribunal
de commerce de Paris débouta la SNCF de ses demandes, laquelle interjeta appel. La cour
rappelle que, selon la conception de la Cour de Cassation, « le propriétaire d’une chose, qui ne
dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci, ne peut s’opposer à l’utilisation de son
cliché par un tiers que si elle lui cause un trouble anormal ». Pour la cour d’appel, aucun trouble
anormal ne permet à la SNCF de s’opposer à la publication de clichés de trains tagués. Elle
constate que « le mouvement graff est né il y a environ quatre décennies sur tous supports dont
des trains et avant même qu’une presse spécialisée soit née », et « qu’il est reconnu à la fois
comme phénomène de société et comme mode d’expression artistique ». Il est donc impossible
86
S. Davet, Le Monde, 1er
juin 2003
34
de déterminer de manière certaine que la reproduction de ces wagons contribuerait à augmenter
le nombre de tags.
La cour d’appel n’ayant pas admis que la SNCF puisse s’opposer à la publication de
photographies de trains tagués, il semblerait que –réciproquement-, une publication sans
autorisation de ces photographies reviendrait à une violation du droit patrimonial de leur auteur.
Il apparait alors que, même illégale et éphémère, l'œuvre de street art reste protégée par le droit
d'auteur dès lors qu’elle remplit les conditions posées par le code de la propriété intellectuelle.
Par ailleurs, selon Ch. Caron, l’illicéité d’une œuvre ne devrait pas faire obstacle à sa protection
car le code est indifférent au genre et au mérite, ce qui induit pour lui une nécessaire indifférence
face à l’illicéité de l’œuvre ; il critique une décision de la cour de Cassation du 28 septembre
1999 selon laquelle la preuve du caractère illicite de l’œuvre interdit sa protection, pour lui :
« cette solution est critiquable car la notion d’illicéité est susceptible de varier avec les époques
et les lois. Il convient donc que le droit d’auteur affiche une totale neutralité à son endroit. Par
conséquent, l’œuvre illicite doit être protégée87
».
S’il convient de refouler la licéité hors du champ du droit d’auteur, le caractère illicite de
l’œuvre ne paralyse-t-il cependant pas la poursuite en contrefaçon ?
§2- L’ACTION EN CONTREFACON, UNE PROTECTION ILLUSOIRE EN
MATIERE D’ŒUVRE EPHEMERE ?
L’auteur détient sur ses œuvres un monopole d’exploitation, et sauf exceptions prévues par
l’article L122‐5 du CPI, il est seul habilité à interdire ou à autoriser l’exploitation de ses
œuvres. Le droit d’auteur protège ainsi l’auteur des atteintes portées à son droit patrimonial :
la contrefaçon. La violation du droit consiste en un acte matériel qui résulte de l’utilisation de
l’œuvre sans le consentement de l’auteur. L’article L122-4 du CPI dispose ainsi que : « Toute
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou
de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation
ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque »
En matière d’œuvre éphémère, il semblerait que l’action en contrefaçon soit difficile à mener.
Ce constat peut résulter de plusieurs faits : l’illicéité de l’œuvre ; les difficultés probatoires
liées au fait que l’œuvre éphémère -par nature- n’est pas fixée sur un support. Enfin, parce que
la limite entre idée et forme apparait parfois tenue.
87
 CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème
éd, 2009, p.82
35
La Cour de Cassation a posé la règle suivante : « en l’absence de preuve de son caractère
illicite, une œuvre pornographique bénéficie de la protection accordée par la loi sur la
propriété littéraire et artistique88
». Les auteurs Vivant et Bruguières se sont demandé s’il ne
s’agissait pas là d’un nouveau fait justificatif au profit des prévenus, l’illicéité de l’œuvre
pouvant alors constituer un moyen de défense du prévenu. Alors, les auteurs des œuvres de
street art ne pourraient pas exercer d’action en contrefaçon, au risque de se heurter à cette
exigence de licéité. Or, ce raisonnement ne parait guère justifié : « il serait bien paradoxal
qu’un acte que notre société réprouve, la contrefaçon, soit justifié par la commission d’une
autre infraction89
».
Autre obstacle à l’action en contrefaçon en matière d’œuvre éphémère : la fixation. Elle n’est
pas une condition pour accéder à la protection par le droit d’auteur90
. Cette fixation apparait
plus comme une règle de preuve que comme une règle de validité : pour P.Y Gautier: «l’on
peut se demander si la thèse de la mise en forme matérielle ne relèverait pas plutôt du droit de
la preuve 91
».
Selon Ch. Caron92
: « même non fixée, l’œuvre (…) est protégée. Seulement, en l’absence de
fixation, il sera bien difficile d’exercer le droit d’auteur ». Caron pose ainsi la question
suivante : « comment prouver l’existence d’une contrefaçon s’il est impossible de connaitre
l’œuvre contrefaite éphémère qui n’a pas été fixée ? L’adage Non jus deficit sed probation93
revêt ici toute son importance ! »
En l’absence de fixation sur un support, il semble ardu de mener une action en contrefaçon,
sans quoi il n’existe pas de preuve de l’existence de l’œuvre. Ch. Caron nous explique ainsi :
« en réalité, si la protection de la fragrance est envisageable, il sera bien difficile d’exercer les
droits d’auteurs. En effet, le caractère éphémère et évolutif de la forme rendra bien souvent
difficile la caractérisation d’une contrefaçon. C’est pourquoi l’octroi de la protection risque
bien de ne pas procurer les effets escomptés. Afin de bénéficier utilement de l’action en
contrefaçon, il faudra recourir à des expertises, à des sondages auprès des
consommateurs,… 94
».
88
Cass. Crim., 28 sept 1999, CEE 2000, comm. n°4 , obs. Caron.
89
M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère
éd, 2009, p.153
90
CA Paris, 4e ch. A, 25 janvier 2006 « la fixation d’une œuvre ne constitue pas un critère exigé pour accéder à
la protection dès lors que la forme est perceptible ».
91
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, cité par N. Walravens
92
CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème
éd, 2009, p.144
93
« Ce n’est pas le droit qui est défaillant, mais la preuve » H. Roland et L. Boyer cités par Ch. Caron.
94
CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème
éd, 2009, p.149
36
Il existe donc une certaine discrimination à l’égard des œuvres éphémères en matière d’action
en contrefaçon car elle a peu de chance d’aboutir sans l’existence d’une preuve, c'est-à-dire
d’une fixation. Le régime de l’action en contrefaçon mériterait d’être adapté pour permettre à
ces œuvres d’atteindre le même niveau de protection que les œuvres fixées sur un support.
En outre, les chances de voir l’action en contrefaçon aboutir est réduite du fait que la limite
entre idée et forme et parfois très fine en matière d’œuvre éphémère. Seule la copie d’un élément
formalisé ouvre droit à réparation tandis que la reprise d’un élément conceptuel reste libre95
. Il
faut donc que l’idée soit matérialisée, extériorisée. Selon Pierre Yves Gautier : « la mise en
forme de l’idée, (…) c’est le fait de parvenir à une précision suffisante quant à l’œuvre future
dans l’exposé que l’on peut en faire à autrui (…) Ainsi, l’idée serait susceptible d’appropriation
dès que ses contours sont suffisamment précisés, et avant même d’être matérialisée96
."
Dans l’œuvre éphémère, « l’idée », matériau principal de l’œuvre, peut être reprise par
quiconque sans qu’une action en contrefaçon puisse être menée comme en témoigne l’affaire
de l’emballage du Pont Neuf par Christo. Il en va donc de même pour les œuvres éphémères
telles que les sculptures de glace ou de sable, quiconque pourra réaliser de telles œuvres, même
tout à fait semblables, sans que soit possible pour l’auteur de revendiquer le monopole sur cette
création. Fort heureusement, pourrait-on dire. En effet, il apparait inconcevable d’instaurer un
monopole sur l’idée sans quoi, selon les mots de Nadia Walravens, « l’existence d’un monopole
sur l’idée empêcherait quiconque de faire un tableau blanc (Carré blanc sur fond blanc,
Malévitch) ou un tableau bleu (Bleu IKB, Klein), de présenter un objet comme œuvre d’art
(Ready-made, Duchamp) » ce qui aboutirait à « un épuisement irréversible de la création 97
».
Ceci étant, bien qu’il apparaisse inconcevable d’accorder un monopole sur une idée, il en résulte
pour l’auteur d’une œuvre éphémère que les chances de voir son action en contrefaçon aboutir
son infimes. Il conviendrait alors d’adapter les critères du droit aux particularités de l’œuvre
éphémère afin d’accorder à leur auteur une protection adéquate.
D’autres actions peuvent être menées par l’auteur d’une œuvre pour faire respecter son droit.
En effet, un acte peut ne pas constituer un délit de contrefaçon mais peut cependant relever de
la concurrence déloyale ou du parasitisme.
95
Affaire de l’emballage du Pont Neuf par Christo, Paris, 13 mars 1986, Gaz. Pal. JP p.239
96
"Propriété Littéraire et Artistique", Pierre-Yves Gautier, ed. PUF, coll. Droit Fondamental, 3ème édition, 1999
97
N.WALRAVENS, « L’art contemporain et les difficultés d’accès à la protection du droit d’auteur », in Droit
d’auteur et culture, dir. J.M. BRUGUIERES, Dalloz, Paris, 2007, p376-377.
37
La concurrence déloyale se définit en effet comme un comportement contraire aux usages du
commerce ou de l’industrie. La notion de parasitisme se définit quant à elle de la manière
suivante : « un ensemble de comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans
le sillage d’un autre afin de tirer un profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de savoir‐
faire98
». Ces deux notions sont fondées sur l’article 1382 du Code Civil99
et se montrent
particulièrement utiles lorsque l’auteur n’arrive pas à démontrer la contrefaçon. L’action fondée
sur l’article 1382 du code civil pourrait donc apparaitre comme une alternative à l’action en
contrefaçon pour l’auteur d’une œuvre éphémère. Encore faudrait il que cet auteur soit notoire
et qu’il démontre que le concurrent s’immisce véritablement dans son sillage.
Notons en outre que pour certaines catégories d’œuvres éphémères, la création peut être
protégée par la propriété industrielle, tel est le cas du parfum par exemple. Néanmoins, il parait
inconcevable d’opter pour la protection par le droit de la propriété industrielle concernant la
marque, le dessin ou le brevet pour certaines catégories d’œuvres éphémères relevant
indiscutablement de l’art.
En définitive, l’auteur d’une œuvre éphémère peut bénéficier, dans la plupart des cas, de la
protection accordée aux œuvres de l’esprit et jouit à ce titre d’un droit moral et d’un droit
patrimonial sur son œuvre. Cependant cette protection apparait nettement amoindrie par rapport
à la protection accordée à l’auteur d’une œuvre de l’esprit classique.
En effet, le droit d’auteur semble mal armé face aux interrogations que soulèvent ces œuvres
éphémères car ce droit fut d’abord conçu en référence à un modèle d’œuvre qui est aujourd’hui
dépassé et qui ne correspond plus à la réalité esthétique actuelle qui se veut justement en
contradiction avec les pratiques classiques de l’art.
98
Cass. com. 26 janvier 1999, RDPI 1999, n°100, p.49.
99
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé à le réparer ».
38
CONCLUSION
Les œuvres éphémères, à l’exclusion de certaines catégories, sont susceptibles d’être
considérées comme des œuvres de l’esprit répondant aux critères dégagés par le CPI. A ce titre,
ces œuvres devraient bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur.
Néanmoins, les tribunaux distinguent deux catégories d’œuvres éphémères : celles qui
s’adressent à la vue et à l’ouïe plus facilement protégées par le droit d’auteur, et celles qui
s’adressent à l’odorat et au goût dont la protection semble bien plus contestée et ceci en dépit
du CPI. Ces œuvres éphémères présentent de telles particularités qu’elles ne s’ajustent pas
parfaitement aux critères de protection qu’elles semblent remettre en cause.
De plus, le régime de protection de l’œuvre éphémère pâtit des particularités de l’œuvre
éphémère car, bien qu’une protection puisse être accordée, les prérogatives de droit moral et
patrimonial de l’auteur se trouvent bien amoindries. L’action en contrefaçon apparait illusoire
et n’ayant que très peu de chances d’aboutir.
Il conviendrait alors d’aménager, d’adapter les critères pour que ces œuvres obtiennent une
protection équivalente à la protection accordée à une œuvre classique. Ainsi par exemple, serait-
il possible d’en élargir les principes pour que ces œuvres éphémères accèdent à leur tour à la
protection.
Concernant le critère de forme, certains auteurs ont pu penser à prendre en compte le critère de
la perception. Ce critère reviendrait à prendre en compte la perception du public de la création.
En effet, pour Roland Barthes, «l’auteur est mort 100
». Barthes souligne l’importance du rôle
du lecteur dans la production d’un sens du texte. Dans les happenings par exemple, le rôle du
spectateur est incontestable, voire fondamental. L’œuvre éphémère requiert ainsi parfois la
participation active du spectateur. Cette vision de la forme de l’œuvre peut se rapprocher de la
vision de Philippe Gaudrat qui relève le lien entre les éléments intangibles de l’œuvre qu’il
appelle « forme interne » (forme mentale) et les éléments concrets, la « forme externe » (forme
matérielle) : « lorsque l’œuvre est protégeable, la protection ne naît qu’à partir qu’à partir du
moment où la forme interne est revêtue d’une forme externe ; mais la condition principale de
protection (l’originalité) ne s’apprécie que dans la forme interne 101
».
100
La mort de l'auteur, Manteia, 1968
101
Ph. Gaudrat, JurisClasseur, Propriété littéraire et Artistique, Objet du droit d’auteur, Œuvres protégées,
Notion d’œuvre, Fasc. 1134, 1995, p. 13
39
Néanmoins, cela reviendrait à remettre en cause les fondements mêmes du droit d’auteur,
centrés principalement sur la personne de l’auteur.
Concernant le critère de l’originalité, peut être faudrait-il prendre en compte la démarche
intellectuelle de création et l’intention de l’artiste. Il serait alors possible de recourir à d’autres
critères tels que le critère du choix arbitraire ou encore le critère de présentation, certaines
œuvres ayant un principe de création aléatoire. En effet, la présentation permet à une création
d’être considérée comme une œuvre d’art.102
Alain Strowel a ainsi pu considérer que « si ces
objets et événements “ sont ” des œuvres d’art, c’est non pas en tant que tels, mais dans la
mesure où ils sont présentés comme tels103
». Kummer a également émis la possibilité de
considérer comme œuvre d’art celle qui serait présentée comme telle.
Une autre solution, outre le fait de déterminer de nouveaux critères de protection, serait celle
d’adapter les critères de forme et d’originalité à la particularité des œuvres éphémères. Nadia
Walravens considère en effet qu’il faudrait étendre le critère de l’originalité pour permettre la
protection des réalisations d’art contemporain en prenant en compte d’éléments tels que « le
choix créatif, l’aléatoire contrôlé, l’intentionnalité de l’artiste et le contexte d’exposition ».
Les problèmes soulevés par ces créations éphémères sont proches de ceux posés par des
créations telles que les logiciels ou les bases de données. Ces dernières ont pu voir les portes
du droit d’auteur s’ouvrir à elles après un certain aménagement des principes du droit d’auteur.
Le droit sui generis des bases de données a pu permettre la protection de simples idées. En effet,
selon P.Y. Gautier, les bases de données sont « toutes sortes d’informations, fussent-elles
dénuées d’originalité, appartiennent-elles au domaine public, relèvent-elles des idées et autres
méthodes, bref tout ce qui est traditionnellement repoussé par le droit d’auteur, qui sont ainsi
susceptibles d’être protégées par la loi 104
».
A l’instar de ces créations il devrait être possible, pour les œuvres éphémères, de créer un droit
suis generis, leur permettant de bénéficier de critères adaptés et d’ainsi intégrer ces œuvres dans
le champ de la propriété littéraire et artistique.
La création d’un droit particulier pour les œuvres éphémères devrait néanmoins être
particulièrement encadrée pour ne pas bousculer trop brutalement le droit d’auteur. En effet,
tous ces principes et notamment le principe d’exclusion des idées ont bel et bien leur raison
d’être.
102
A titre d’exemple, Marcel Duchamp et ses ready-made
103
A. Strowel, L’oeuvre selon le droit d’auteur, p. 81
104
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, p.183.
Memoire  les oeuvres ephemeres
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  • 2. 2
  • 3. 3 LISTE DES ABREVIATIONS Al Alinéa Art Article Ass. plén. Arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation Bull. civ Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation c/ contre Cass. Cassation Ch. Chambre Ch. Mixte Arrêt d’une chambre mixte de la Cour de cassation civ. Arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation CE Conseil d’Etat Com. Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation Comm. Commentaire comm. com. élec Communication Commerce électronique CPI Code de la propriété intellectuelle Crim. Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation Gaz. Pal. Gazette du Palais JCP Juris-classeur périodique (La semaine juridique) n° Numéro Obs. Observations p. page Rapp. rapport RDPI Revue du droit de la propriété intellectuelle réf référence RIDA Revue internationale du droit d’auteur RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial Sect. Section TGI jugement d’un tribunal de grande instance
  • 4. 4 SOMMAIRE CHAPITRE 1- L’ŒUVRE EPHEMERE, UNE NOTION SINGULIERE FACE A DES CRITERES DE PROTECTION MAL ADAPTES SECTION 1- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE DE FORME §1- Une forme matérialisée A- Une exigence issue du principe d’exclusion des idées B- La difficile délimitation de la forme éphémère et de l’idée §2- Une forme perceptible aux sens A- La perceptibilité face au critère de fixation de l’œuvre B- La perceptibilité face à la tangibilité de l’œuvre éphémère SECTION 2- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE D’ORIGINALITE §1- Une exigence en apparence applicable à l’œuvre éphémère A- La conception subjective de l’originalité B- La conception objective de l’originalité §2- Un critère de difficile application face à la particularité des œuvres éphémères A- La difficile distinction entre création et savoir faire B- L’originalité : un critère mis à mal CHAPITRE 2- L’ŒUVRE EPHEMERE, UN REGIME DE PROTECTION DEROGATOIRE AU DROIT COMMUN SECTION1- UN DROIT EXTRA PATRIMONIAL DE L’AUTEUR EDULCORE §1- Un droit de retrait mis à l’index §2- Un droit au respect de l’œuvre altéré SECTION2- LE DROIT PATRIMONIAL DE L’AUTEUR ATROPHIE §1- Un droit patrimonial soumis à l’obstacle de la licéité de l’œuvre éphémère §2- L’action en contrefaçon, une protection illusoire en matière d’œuvre éphémère ?
  • 5. 5 « Seul l’éphémère dure » Eugène Ionesco
  • 6. 6 INTRODUCTION Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit, néanmoins les contours de cette définition sont difficiles à cerner car ils se heurtent à de nombreuses questions, dont celle des critères permettant de qualifier une « œuvre de l’esprit » en tant que telle. En matière de propriété littéraire et artistique, le législateur comme le juge ont contourné la difficulté, de sorte qu’il apparait clairement que « toute création de l’esprit n’est pas une œuvre et que le droit de la propriété intellectuelle ne s’intéresse pas qu’aux œuvres1 » Le législateur se contente en effet de parler « d’œuvre de l’esprit » et énonce à l’article L111-1 du CPI : « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Les juges, quant à eux, ont consacré la notion jurisprudentielle d’originalité et celle de forme perceptible par les sens. La définition de l’œuvre de l’esprit par le droit de la propriété intellectuelle n’est donc pas exempte de toute ambigüité, de telle sorte que la notion d’œuvre de l’esprit a pu être qualifiée par certains auteurs de « concept mou »2 . Il semblerait a priori que tout résultat d’un travail artistique original et créatif puisse faire l’objet de protection. A fortiori, définir « l’œuvre éphémère » semble encore plus compliqué. Selon le Petit Larousse, « éphémère » vient du grec et signifie « qui dure un jour » et par extension : « de courte durée ». L’éphémère c’est donc le transitoire, le passager, le fugitif. S’il est vrai que le temps altère toutes les œuvres et que tout a vocation à disparaitre, certaines œuvres s’inscrivent naturellement dans une dynamique de disparition. Ce sont les œuvres éphémères. Elles n’ont qu’un caractère provisoire. Néanmoins, le caractère fugitif se retrouve au sein de nombreuses et diverses œuvres. Christophe Caron définit l’œuvre éphémère de la manière suivante : « l’œuvre éphémère n’a pas pour vocation de durer. Elle a une vocation plus ou moins provisoire. L’emprise du temps sur elle peut être terrible : l’œuvre éphémère est concomitante au temps qui passe ou est érodée par ce dernier. Il en résulte qu’elle n’est normalement pas fixée de façon intangible3 ». 1 M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère éd, 2009, p.25 2 M.-A. Hermitte, Le rôle des concepts mous dans les techniques de déjuridicisation, L’exemple des droits intellectuels : Arch. Phil. Droit 1985, p. 331 cité par A. et H.-J. Lucas, Traité de propriété littéraire et artistique, Litec, 3e éd, 2006, p. 57 3 CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd, 2009, p.144
  • 7. 7 Pour Pierre Yves Gautier, l’œuvre éphémère se définit ainsi: « les œuvres d’art sont le domaine d’élection des œuvres éphémères, c'est-à-dire qui sont destinées à se détruire rapidement, ou plutôt, leur support matériel : emballages, expositions, décors, coiffures, ... 4 » La qualité d’œuvre éphémère englobe une palette de créations très diversifiées. En effet, Ch. Caron nous parle successivement des mises en scène et des chorégraphies, des expositions et des collections, des coiffures, des spectacles « son et de lumière », des feux d’artifices, des œuvres orales, des œuvres olfactives ainsi que des œuvres gustatives. Il convient de distinguer d’une part les œuvres dont le caractère éphémère tient à la perceptibilité par les sens ; il s’agit ici notamment de la fragrance et des œuvres gustatives. D’autre part, celles dont le caractère éphémére tient à la conception même de l’œuvre. La plupart sont issues de l’art contemporain. Ainsi, le land art, courant apparu aux Etats Unis dans les années soixante, consiste à utiliser la nature et le paysage comme matériaux. Citons ainsi l’œuvre Spiral Jetty (Cf Annexe n°1), réalisée en 1970 par Smithson5 . Le land art est soumis aux aléas du temps et de la nature. Il s’agit le plus souvent d’un choix conscient de l’auteur, fasciné par le pouvoir de la nature. Il peut s’agir également du happenning, ce terme fut inventé dans les années cinquante par Allan Kaprow. Le happening est une performance artistique spontanée qui invite le spectateur à participer à l’œuvre. Allan Kaprow disait ainsi lors d’un entretien en 1991 : « le happenning n’a pas de public, seulement des intervenants ». Ce mouvement s’inspire de l’action painting de Jackson Pollock. En France par exemple, le peintre Nato a réalisé de nombreux happenings à la Galerie l’Usine à Paris ou encore dans les stations de métro parisiennes, notamment le happenning de 2009 à la station Marcadet-Poissonniers, « Metropolitan Land art », où le peintre et ses modèles se mettent nus sur le quai (Cf Annexe n°2). Aux côtés du Land art et du happening se trouve aussi le Body art, où le corps apparait comme le lieu privilégié de l’expression artistique. La volonté des artistes est de mêler art et vie dans un même mouvement. Il s’agit aussi des œuvres de Street art, l’art urbain, qui regroupe les créations réalisées dans des lieux publics à l’aide de différentes techniques comme le graffiti, les pochoirs ou les mosaïques. Parmi ces artistes nous pouvons notamment citer le groupe Banlieue Banlieue, Miss tic, ou Banksy qui est notamment connu pour avoir fondé le projet « Santa's Ghetto » : des peintures 4 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.141  5 Spirale Jetty a été construit à l'aide de cristaux de sel, de roche et de boue dans le Great Salt Lake en Utah et représente une grande spirale de 450 mètres de long. Spiral Jetty fut engloutie par la montée des eaux.
  • 8. 8 sont réalisées sur le mur de Bethléem, le mur de séparation se transforme alors en une toile artistique géante (Cf Annexe n°3). Banksy a également peint de nombreux pochoirs sur les murs des villes de Bristol et de Londres. Ces œuvres, menacées de destruction par les autorités publiques, ont fait l’objet de pétition pour les défendre. L’art urbain se trouve donc soumis aux aléas des intempéries et des autorités publiques désireuses de voir ces créations disparaitre car elles sont jugées inesthétiques voire provocatrices. De plus, certaines expositions temporaires peuvent également apparaitre comme des œuvres éphémères, de par leur nature. On pense aux installations, conçues pour être détruites après leur exposition, dont le catalan Joan Brossa est l’initiateur. L’œuvre éphémère est donc entendue ici comme une création dont, soit la perception (il s’agit des œuvres gustatives et olfactives) soit la création elle-même (il s’agit des œuvres d’art), est destinée à disparaitre, et n’a pas pour ambition ou vocation de passer à la postérité, ni d’être immuable. Notons que le fait que la création soit susceptible d’être fixée sur un support tel qu’une vidéo ou une photographie n’a pas d’incidence sur la qualification d’œuvre éphémère. Ce caractère bref et provisoire fait-il obstacle à la protection par le droit d’auteur en tant qu’œuvre de l’esprit ? Certes, aucune disposition ne consacre expressément la protection de l’œuvre éphémère, néanmoins aucun texte ne vient l’exclure. En effet, l’article L112-2 du CPI énumère au sein d’une liste les œuvres qui peuvent être constitutives d’une œuvre de l’esprit. Cet article emploie l’adverbe « notamment », caractéristique d’une liste non exhaustive se limitant à donner des exemples classiques des principales formes d’œuvres de l’esprit. Il semble dès lors indifférent que cet article n’énumère pas les œuvres éphémères telles que les œuvres perceptibles par l’odorat ou le gout puisque cette liste n’est qu’indicative et en aucun cas limitative. De plus, cette liste a été complétée par la jurisprudence qui vient reconnaitre la protection de certaines œuvres éphémères. En effet la jurisprudence a pu accorder la protection à une composition florale6 , aux défilés de mode7 ou encore aux spectacles de sons et de lumières8 , ce qui témoigne d’une possible protection de l’œuvre éphémère. Les juges ont parfois clairement énoncé que le caractère éphémère n’était pas un obstacle à la protection : ainsi, dans une affaire traitant d’une œuvre de sculpture en chocolat, les juges ont 6 CA Paris ; 4è ch., 11 févr 2004, Valterre, D.2004. Jur.1301, note Choisy 7 Crim. 5 fevr. 2008, X c/Gaulme, Kenzo et Lacroix 8 Cass. 1re civ., 3 mars 1992
  • 9. 9 décidé qu’il s’agissait bien d’œuvres éphémères mais que, « cela n’enlève évidemment rien à la reconnaissance de leurs qualités artistiques, certains artistes, notamment ceux ayant adopté la théorie du fragilisme, ne concevant leurs créations que dans la sphère de l’éphémère9 » Pour être protégée l’œuvre de l’esprit doit se référer à deux caractéristiques. D’une part celle de la création intellectuelle, qui répond à un processus de création, d’autre part le résultat obtenu qui doit être perceptible par les sens. La création intellectuelle suppose une démarche créatrice, l’auteur doit donc avoir conscience du résultat à atteindre. En ce sens, la découverte d’une œuvre préexistante ne constitue pas une démarche créatrice. Cette démarche créatrice doit également présenter un caractère intellectuel. La jurisprudence distingue ainsi le savoir faire et l’intellectuel et n’est donc pas protégée la création qui relève uniquement du savoir faire. La protection d’une œuvre par le droit d’auteur exige la réunion de certains critères parmi lesquels certains sont indifférents à la protection, de sorte que l’œuvre éphémère ne semble pas, a priori, exclue du champ de la protection. En effet, selon l’article L112-1 « les dispositions du présent code protègent le droit des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite, la destination » Il résulte de cet article que le genre ne doit pas être pris en considération à l’heure de protéger l’œuvre de l’esprit. Ainsi, le droit d’auteur ne se cantonne pas à protéger un genre déterminé mais tous les genres confondus doivent pouvoir faire l’objet d’une protection. A ce titre, la protection ne devrait pas être refusée à des créations s’adressant par exemple à l’odorat ou au gout. Le mérite aussi est indifférent à la protection. En ce sens, le juge n’a pas à apprécier la valeur culturelle ou artistique de la création. Cette règle permet d’éviter l’appréciation subjective du juge en matière de protection. L’œuvre éphémère, quel que soit son mérite, pourrait donc bénéficier de la protection par le droit d’auteur. La destination de l’œuvre est elle aussi indifférente à la protection, c'est-à-dire que le but de la création est sans importance, la création peut avoir une finalité culturelle ou utilitaire. Il s’agit de la théorie de l’unité de l’art qui consiste à proscrire toute distinction fondée sur la destination de l’œuvre et à protéger en conséquence aussi bien les œuvres d’art appliquées que les œuvres d’art « pur ». Rien ne semble donc s’opposer à ce qu’une œuvre éphémère bénéficie de la protection accordée par le droit d’auteur. 9 TGI Laval, 16 févr 2009, RLDI 2009, n°47 osb L.Costes ; n°50, note F. Fontaine
  • 10. 10 La forme d’expression indiffère également à la protection. L’œuvre est protégée quel qu’en soit son mode de matérialisation. En découle alors une indifférence du sens qui permet de percevoir l’œuvre : il peut indifféremment s’agir de l’ouïe, de la vue ou encore du gout. Notons à ce propos que la réalisation de formalités n’est pas une condition de la protection. L’article L111- 1 du code de la propriété intellectuelle précise que l’auteur jouit de son droit « du seul fait de sa création » sans qu’il soit nécessaire d’effectuer certaines formalités. Néanmoins, pour certains auteurs, le caractère éphémère de l’œuvre a pu apparaitre comme un obstacle à la protection. En matière de fragrance par exemple, Messieurs Calvo et Morelle refusent au parfum la qualité d’œuvre de l’esprit eu égard, notamment, à son éphémérité et à sa variabilité: « Ce qui nous conduit à dénier à un parfum sa qualité d’œuvre de l’esprit, c’est sa relative éphémérité, son manque de stabilité, son impossibilité de traverser les générations, en un mot, son manque de permanence (…)L’œuvre de l’esprit se situe, ou a vocation à se situer, dans une dimension extratemporelle et extraterritoriale, c’est pourquoi un parfum, fût-il le reflet parfait de la personnalité ou des personnalités de ses auteurs, ne peut recevoir cette qualification10 » Ces caractéristiques, indifférentes pour le CPI, ne devraient pourtant pas conduire le juge à refuser leur protection. Par ailleurs, pour un grand nombre d’auteurs, les œuvres éphémères devraient bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur. Selon Pouillet par exemple: « Dès qu'il y a création de l'esprit, l'art se manifeste. La forme sera plus ou moins châtiée, la manifestation plus ou moins grandiose, l'œuvre sera plus ou moins éphémère ; l'art n'en persistera pas moins11 . » De même, pour M. Vivant si les œuvres éphémères posent des problèmes spécifiques en droit d’auteur, ce n’est nullement sur le principe de leur protection12 . Le professeur Sirinelli souligne cette idée : « le droit d’auteur accueille depuis longtemps en son sein des œuvres dénuées de toute pérennité13 ». Bien que les créations gastronomiques ne fussent pas reconnues comme une œuvre de l’esprit14 , le caractère non permanent de l’œuvre ne doit pas faire obstacle à sa protection. 10 J. CALVO, G. MORELLE, note sous CA Paris, 3 juillet 1975,Gaz. pal. 1976, I, p. 46 11 Pouillet in Traité des dessins et modèles, 1911, p. 52 12 V. M. Vivant, La propriété intellectuelle et les œuvres éphémères, rapport de synthèse au Colloque de Sceaux, juin 1998. – cité par JC Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit d'auteur, Recueil Dalloz 2004, p.2641 13 P. SIRINELLI, obs. sous Cass. civ. 1ère, 13 juin 2006, D. 2006, pp. 2993-2994 14 TGI Paris, 30 septembre 1997, RIDA 1998, n° 177, jurispr., pp. 273-284, note V. Piredda
  • 11. 11 Concernant les œuvres olfactives, Christophe Caron explique : « Bien évidemment, les fragrances sont des œuvres éphémères : non seulement elles sont périssables, mais elles sont également instables puisque le temps modifie impitoyablement la forme olfactive. Mais ces particularités ne sont pas incompatibles avec une protection par le droit d’auteur. Il serait donc erroné de les exclure, de façon dogmatique, du domaine du droit d’auteur15 ». S’agissant des œuvres éphémères, pour P.Y Gautier: « la protection du droit d’auteur ne leur en est pas moins reconnue, car elles peuvent être copiées16 ». La nécessité de laisser les œuvres éphémères accéder à la protection du droit d’auteur ne fait non plus pas de doute pour Messieurs Vivant et Bruguière pour lesquels : « Un créateur peut, en effet, délibérément utiliser des matériaux qui interdisent de penser en terme de durée (du sable, les cheveux d’un mannequin,…). Cela n’a jamais été considéré par notre système comme un obstacle à la reconnaissance d’un droit d’auteur même si certaines décisions peuvent faire naitre quelques hésitations». Si la fugacité de l’œuvre n’est pas un obstacle à la protection, l’œuvre éphémère réussit-elle pour autant à s’accorder avec les exigences classiques du droit d’auteur pour offrir à son auteur un régime de protection satisfaisant ? L’œuvre éphémère présente des particularités telles que les critères classiques du droit d’auteur semblent mal adaptés à cette catégorie d’œuvre qui revêt pourtant les qualités d’une œuvre de l’esprit (chapitre I) de sorte que le régime de protection de l’auteur s’en trouve altéré (chapitre II). La qualification d’œuvre éphémère comporte une palette d’œuvres très disparates qui s’étend du parfum au graffiti de telle sorte qu’il apparait ardu d’appréhender toutes ces œuvres dans un même mouvement. Ces disparités, au sein même de la catégorie d’œuvre éphémère, nous empêchent de tirer des conclusions générales de telle sorte qu’il conviendrait d’élaborer une régulation spécifique à l’œuvre éphémère, à l’instar du droit sui generis applicable aux logiciels. CHAPITRE 1- LA NOTION D’ŒUVRE EPHEMERE : UNE NOTION SINGULIERE FACE A DES CRITERES DE PROTECTION MAL ADAPTES Nous tenterons au cours de notre étude de démontrer que, si rien ne s’oppose a priori à ce que l’on applique aux œuvres éphémères les critères de l’œuvre de l’esprit pour leur accorder le 15 CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd, 2009, p.147-148 16 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p141
  • 12. 12 bénéfice de la protection par le droit d’auteur, cette application se révèle délicate et suscite certaines interrogations. En effet, pour être protégée l’œuvre éphémère -comme l’œuvre classique- doit présenter une forme (Section 1) originale (Section 2), deux notions mal adaptées aux spécificités de l’œuvre éphémère. SECTION 1- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE DE FORME Si rien ne s’oppose a priori à la protection de l’œuvre éphémère, il convient néanmoins de savoir si l’œuvre éphémère répond aux critères de « l’œuvre de l’esprit » dégagés par le CPI. Pour bénéficier de la protection, le droit d’auteur exige que la création se matérialise par une forme. La notion de forme apparait comme « un concept central de la propriété littéraire et artistique 17 ». Pierre Yves Gautier utilise une métaphore pour parler de cette notion de forme : « la forme est à l’œuvre ce que le corps est à la personne 18 ». L’article L111-1 du CPI nous rappelle que l’auteur jouit de son droit « du seul fait de sa création ». Néanmoins, nous déduisons de cette disposition que bien que la forme d’expression soit indifférente, elle doit cependant exister. L’exigence de forme apparait donc dans le CPI de manière détournée. Cet article renvoie implicitement à l’exigence de forme car il subordonne l’existence du droit à la création. Desbois a d’ailleurs déduit de cette disposition une lecture a contrario selon laquelle le législateur souhaitait protéger les créations concrétisées dans une forme19 . Cette exigence de forme n’est cependant pas facile à cerner. Il doit avant tout s’agir d’une réalisation concrète (§1) qui doit être perceptible aux sens (§2). §1- UNE FORME MATERIALISEE A- Une exigence issue du principe de l’exclusion des idées Cette exigence de forme est une réponse au principe de l’exclusion de la protection des idées, formulée en matière de propriété intellectuelle sous la forme d’un adage: « les idées sont de libre parcours », cela signifie qu’il existe un « fonds commun des idées » insusceptible d’appropriation. Ce principe fut consacré sous la plume de Desbois selon lequel : « qu’elle qu’en soit l’ingéniosité et même si elles sont marquées au coin du génie, la propagation et l’exploitation des idées exprimées par autrui ne peut être contrariée par les servitudes 17 Ph. Gaudrat, Réflexions sur la forme des œuvres de l’esprit in Mélanges en l’honneur d’André Françon, Dalloz 1995, p.195. 18 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.65 19 H. DESBOIS, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 3ème éd, 1978p.22
  • 13. 13 inhérentes aux droits d’auteur : elles sont par essence et par destination de libre parcours ». Les idées ne sont donc pas appropriables. Pouillet affirmait également que : « la pensée elle- même échappe à toute appropriation ; elle reste dans le domaine inviolable des idées, dont le privilège est d’être éternellement libre20 ». En ce sens les juges ont pu ainsi décider dans un attendu de principe que : « La propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés 21 ». Exclure du champ de la protection les idées garantit l’existence d’un « fonds commun des idées » et permet ainsi que la création soit renouvelable à l’infini. En effet, protéger une idée reviendrait à empêcher toute création nouvelle, voire tout progrès. Par ce principe, la liberté de création apparait ainsi préservée. Ne peuvent ainsi pas bénéficier de la protection les méthodes d’enseignement22 ou les idées publicitaires23 .Un artiste ne peut pas devenir propriétaire d’une idée artistique, d’un style, il pourra seulement obtenir un droit sur une œuvre particulière, originale, mettant en œuvre l’idée artistique ou le style artistique. Ainsi par exemple, Christo s’est vu accorder un droit d’auteur sur l’emballage du Pont-Neuf par un arrêt de la cour d’Appel de Paris du 13 mars 1986. Cependant le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 26 mai 1987 a refusé d’accorder un droit d’auteur à l’artiste sur l’emballage de monument en général : « La loi du 11 mars 1957 ne protège que des objets déterminés, individualisés et identifiables, et non (…) une idée comme celle d’emballer des objets qui n’ont pas besoin de tels soins24 » L’idée n’est donc pas appropriable et seule la mise en forme de l’idée pourra permettre la protection par le droit d’auteur. Bernard Edelman écrit à ce sujet que « l’idée pure et simple ne possède aucune valeur créatrice, dans la mesure où elle n’est que la répétition du fonds commun imaginaire d’une société 25 ». Exclure les idées du champ de la protection d’idée répond à la volonté de préserver la fonction sociale de la création. En effet, une idée artistique est susceptible de prendre plusieurs formes et peut répondre à une variété d’expressions. Selon A. Bertrand : « En protégeant l'idée, on engloberait par le fait même ses diverses expressions, ce 20 E. Pouillet, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation, ILGJ, 1908, p. 45  21 Cass. civ. 1ère17 juin 2003, Comm. com. électr. 2003, comm. n°22, obs. Ch. CARON ; Com. 29 nov.1960 22 Com, 29 nov. 1960, Bull. civ. III, n°389 ; Gaz. Al. 1961, 2, 152; Ann. Propr. Ind. 1961, 309, note Blaustein ; RTD com. 1961, 607, obs. Desbois 23 Cass. Civ. I, 17 octobre 2000, « Eminence », Bull. civ.I, n°248, p.156 24 TGI Paris, 26 mai 1987, « Christo », D., 1988, som. Com., 201, obs. C. Colombet 25 B. Edelman, Création et Banalité, Dalloz, n°12, 1983, p.14
  • 14. 14 qui conférerait à l'auteur, non pas un monopole d'exploitation sur son œuvre mais sur un genre, et interdirait toute application de son idée à de nouvelles formes d'expression, en contradiction avec la philosophie du droit d'auteur26 ». Par ailleurs, nous pouvons dire, avec les mots de Phillipe Gaudrat que « la création part toujours d’une idée, ce qui veut dire que l’idée est en deçà de l’acte qui fait naître le droit d’auteur 27 ». Seule la matérialisation, la concrétisation de l’idée pourra donc être protégée. Cependant la limite est parfois ténue entre l’idée matérialisée et l’idée non matérialisée. La question est de savoir à partir de quel stade on passe de l’idée à la création. P.Y Gautier illustre cette interrogation de la manière suivante : « Depuis un siècle, l’on débat du point de savoir à partir de quel stade de réalisation l’œuvre peut exister et, de ce fait, recevoir protection, un peu comme la question des droits de l’enfant simplement conçu ou déjà né 28 ». B- La difficile délimitation de la forme éphémère et de l’idée La difficulté pour délimiter la concrétisation de l’idée et l’idée non matérialisée s’exprime tout particulièrement dans le contexte de la création éphémère et cette exigence de forme apparait parfois comme dépassée. Pour P.Y Gautier, l’exigence de forme est critiquable car n’opère pas de réelle distinction entre l’idée banale qui de toute évidence ne doit pas se voir protégée et constitue le fonds commun des idées (exemple : le thème du mari trompé, la téléréalité), et l’idée « marquée au coin du génie ». Il se demande : « Pourquoi traiter les deux idées de la même façon ? ». On assiste selon cet auteur à une confusion entre le fond et la forme : « c’est en réalité parce que l’idée est banale qu’on ne la protège pas- serait-elle mise en forme, elle ne connaitrait pas un meilleur sort 29 ». Pour Gautier, il ne devrait y avoir qu’un seul critère de protection, celui de l’originalité. Evincer le critère de forme permettrait de protéger de manière plus automatique les créations éphémères dont la forme est destinée à disparaitre si elle n’est pas fixée sur un support. La disparition de l’œuvre, c'est-à-dire de la forme sous laquelle l’œuvre a été réalisée, induirait inéluctablement le retrait de la protection. En effet, le critère de forme ayant disparu, la protection devrait être ipso facto retirée. L’œuvre éphémère, bien que matérialisée, aurait une espérance de protection plus faible qu’une œuvre de l’esprit classique. En ce sens, ne pourrait- 26 A. Bertrand, champ de protection du droit d’auteur, chapitre 107, 2010 27 Ph. Gaudrat, « Objet du droit d’auteur, œuvres protégées. Notion d’œuvre », Juris-classeur Propriété littéraire et artistique, fasc. 1134, n°16 28 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.53 29 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.57
  • 15. 15 on pas dire que ce critère de forme apparait seulement comme une exigence pour prouver la création ? P.Y Gautier se demande d’ailleurs « si la thèse de la mise en forme matérielle ne relèverait pas plutôt du droit de la preuve ». Cependant, sans aller jusqu’à contester la nécessité d’une forme matérialisée, reste à savoir à partir de quel moment l’idée est suffisamment matérialisée pour se voir assurer la protection. Bernard Edelman résume ce problème de la manière suivante : « nous ne savons donc pas très bien en quoi consiste une « forme » en droit d’auteur », il poursuit : « le débat […] sera dévié, tant que nous resterons prisonniers du dualisme idée/ forme, tant que nous chercherons l’idée, exprimée dans une forme, ce qui nous poussera à nous demander, à l’infini, à quel moment et comment et jusqu’où l’idée a-t-elle pris forme au point de devenir une œuvre 30 ». Le problème que peut poser l’œuvre éphémère est que l’œuvre relève plus d’une idée que d’une forme. Parfois même, dans le cadre de l’art contemporain, seule l’idée semble constituer l’œuvre. Par exemple, l’exposition d’Yves Klein, intitulée Le Vide (Cf Annexe n°4) représentait une pièce blanche et entièrement vide. Le vide constituant la substance de l’œuvre, elle ne parait pas se concrétiser dans une forme. Ainsi, l’exposition de Klein n’apparait pas protégeable au regard du critère de la forme. Cette solution reviendrait donc à refuser la protection à un nombre important d’œuvres de l’esprit et entrainerait une certaine discrimination à l’égard de certaines œuvres éphémères. Ce critère de forme est parfois de difficile application aux œuvres éphémères mais il semblerait que ce critère puisse être adapté ou élargi afin que ces œuvres bénéficient d’une protection plus étendue. L’application du critère de forme a d’ailleurs déjà été bouleversée par l’art conceptuel dans lequel seule l’idée semble être l’œuvre31 . La cour a pu affirmer le caractère protégeable d’une œuvre d’art conceptuel avec l’œuvre PARADIS.32 On pourrait ainsi penser à transposer cette solution dans le cadre des œuvres éphémères conceptuelles. Il convient néanmoins de rappeler qu’une autre exigence vient s’ajouter à celle de la forme matérialisée. En effet, la forme doit être perceptible par les sens. 30 Bernard Edelman, note sous CAA Nancy, 2 mai 1996 31 C’est le cas par exemple avec l’urinoir de Duchamp : l’œuvre consiste à utiliser un objet courant et en faire une œuvre d’art en le détournant de sa fonction initiale 32 Œuvre crée pour une exposition dans un hôpital psychiatrique : l’auteur avait inscrit le mot « paradis » avec un effet de platine, au dessus de la porte des toilettes d’un ancien dortoir : cette œuvre présentait un contraste entre le lieu peu idyllique et l’intitulé. Une photographe ayant participé à cette expo avait photographié cette porte et publié, sans l’autorisation de l’auteur qui l’a accusé de contrefaçon. Sa défense consiste à dire qu’il n’y a pas d’œuvre mais une idée, celle de détourner le sens d’un lieu. La cour de cassation rejette cet argument en relevant qu’il y avait une approche conceptuelle prépondérante mais cette approche était formellement exprimée dans une conception matérielle. Cass. Civ 1ère 13 novembre 2008, JCP G 2008 II, 10204, note G. Loiseau.
  • 16. 16 §2- UNE FORME PERCEPTIBLE AUX SENS L’œuvre, pour être protégée doit être perceptible aux sens, « ce qui est une autre manière de poser l'exigence d'une forme, d'une expression, qui fait passer la création de la sphère des simples idées à celle de la perception33 » selon les mots de JC Galloux. Le principe est donc que seule la forme sensible peut être appropriée. Pouillet écrivait ainsi : « ce qui appartient à l’auteur, ce qu’il peut revendiquer, c’est la forme de sa pensée, c’est l’ouvrage qu’il a écrit, qu’il a peint, qu’il a sculpté, pour la manifester. C’est cette œuvre sensible et corporelle, parfaitement définie, qui est sa propriété exclusive34 ». La mise en forme perceptible de l’œuvre éphémère semble tout à fait possible: le parfum est perceptible par les sens par le bais de l’odorat, l’art culinaire par le biais du gout. De même, le land art ou encore le happpening sont perceptibles par la vue et l’ouïe. La protection de la fragrance suscite néanmoins une controverse. L’odorat étant bien un sens, il n’y a pas de raison d’exclure la fragrance du champ de la protection en ce qui concerne le critère de la perceptibilité par les sens. Cependant, les juges de la cour de cassation s’y refusent encore, malgré quelques tentatives des juges du fond. En effet, selon le TGI de Paris : « Attendu que si l'art. L. 112-2 CPI ne cite comme exemple d'œuvres de l'esprit que des œuvres perceptibles par la vue ou par l'ouïe, la présence de l'adverbe « notamment » ne permet pas d'exclure a priori les œuvres pouvant éventuellement être perceptibles par les autres sens que sont le goût, le toucher et également l'odorat 35 ». La Cour de cassation exclut cependant la protection de la fragrance d’un parfum par le droit d’auteur car elle considère qu’elle ne constitue pas « une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur 36 ». Cette solution fut par ailleurs réitérée par une décision récente37 , manifestant bien la volonté des juges de la cour de cassation d’exclure la fragrance du champ du droit d’auteur. Se référant à la fragrance, certains auteurs parlent néanmoins de « forme olfactive ». Par exemple, M. J.-P. Pamoukdjian écrivait que « la composition de parfum donne une forme bien déterminée à son produit, forme qualifiée « d'olfactive »38 ». 33 J.-C. Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit d'auteur, recueil Dalloz 2004, p.2641. 34 E. Pouillet, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation, ILGJ, 1908, p. 36 35 TGI PARIS 26 mai 2004, recueil Dalloz 2004, p2641. 36 Cass. Civ 1re, 13 juin 2006, pourvoi n°02-44718, comm. Com. Electr.2006, comm 119, note Ch Caron 37 Cass. Com., 1er juill. 2008 : comm.. com. Électr. 2008, comm. 100, note Ch Caron 38 J.-P. Pamoukdjian, le droit du parfum, LGDJ, 1982, p. 212
  • 17. 17 L’exclusion d’une forme d’expression, prônée par les juges de la cour de cassation, semble méconnaitre les dispositions de l’article L112-1 du CPI qui interdit d’effectuer de telles discriminations et les résistances des juges du fond pourraient bien inverser la tendance39 . Le problème de la perceptibilité de l’œuvre éphémère réside néanmoins dans le fait que l’œuvre n’est pas intangible et n’est pas toujours fixée sur un support. Dans ces circonstances, c’est aussi bien la perception de l’œuvre que l’œuvre elle-même qui est éphémère. A- La perceptibilité face au critère de fixation de l’œuvre Le critère de la fixation de l’œuvre ne fait pas l’objet d’un consensus en matière de droit d’auteur. Pour certains auteurs, l’exigence de forme matérialisée perceptible aux sens réside dans le fait que l’œuvre soit fixée sur un support matériel. Ysolde Gendreau nous dit que « la notion de fixation est toute aussi éliminatoire que celle d’originalité40 ». La convention de Berne consacre une disposition particulière à l’exigence de fixation. En effet, selon l’article 2, al.2 de l’acte de Paris : « est toutefois réservée aux législations des pays de l’Union la faculté de prescrire que les œuvres littéraires et artistiques ou bien l’une ou plusieurs catégories d’entre elles ne sont pas protégées tant qu’elles n’ont pas été fixées sur un support matériel ». Le droit français n’exige pas de critère de fixation. En effet, le CPI déclare que : « [ses] dispositions …protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient… la forme d’expression ». En effet, au regard de l’article L.111-1 du CPI, l’exigence de formalisation n’induit pas celle de fixation car l’auteur jouit d’un monopole « du seul fait de sa création ». De même, l’article L.112-2 accorde une protection à des œuvres exclusivement orales. Le fait de ne pas exiger de fixation permet à un plus grand nombre d’œuvres d’accéder à la protection. L’exigence de fixation apparait en droit français comme une exception, en effet, notre droit ne fait pas de référence à un critère de fixation sauf pour les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque et les pantomimes « dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement » selon l’article L.112-2-4 CPI. Y. Gendreau poursuit sa réflexion : « exiger la fixation d’une œuvre a toujours signifié vouloir s’assurer de son existence matérielle. Toutefois l’évolution du droit d’auteur a conduit à reconnaitre des œuvres dont l’essence même est d’échapper à l’emprise physique ». 39 CA Aix-en-Provence - CH. 08 B - 09/04467 - 10 décembre 2010 commentée par Pierre Sirinelli, Recueill Dalloz 2011, p2164. 40 Y. Gendreau, Le critère de fixation en droit d’auteur, p.151 
  • 18. 18 En effet, il apparait difficile de concevoir qu’une œuvre éphémère soit toujours fixée sur un support matériel. La fixation sur un support est parfois impossible, c’est le cas du parfum, ou le support a, dans d’autres cas, vocation à disparaitre, c’est le cas des œuvres d’art éphémères. Consacrer le principe de fixation reviendrait à exclure du champ de la protection de telles œuvres alors que la volonté même de l’auteur peut être celle de ne pas fixer son œuvre et aurait donc pour incidence d’effectuer une discrimination à l’égard des œuvres non fixées. Or, ce critère de fixation avait à son origine le but d’assurer l’identification de l’œuvre selon Gendreau. Par ailleurs, cet auteur reconnait que si l’exigence du critère de fixation entrave l’exercice du droit d’auteur, le critère de fixation excède alors les critères qu’il est amené à remplir. Pour les professeurs Lucas, « l’exigence de concrétisation n’implique pas (...) celle de fixation41 ».Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 25 janvier 2006 la cour énonce que « la fixation de l’œuvre ne constitue pas un critère exigé pour accéder à la protection». Il faut donc distinguer la concrétisation de la fixation, la première étant nécessaire pour accéder à la protection tandis que la seconde ne le serait pas. L’exigence de fixation apparait plus comme une règle de preuve que comme une règle de validité. P.Y Gautier écrit à ce propos que, bien qu’une œuvre éphémère puisse être protégée, encore faut-il que la forme soit prouvée : «même si cette exigence de fixation n’est pas toujours exigée, force est de constater qu’elle s’impose à toutes les créations dont la forme est fugace et éphémère ». A ce titre, nous voyons que, même exclue en tant que critère de protection, la fixation demeure un obstacle probatoire, ce qui induit une discrimination à l’égard de certaines œuvres éphémères ne pouvant être fixées sur un support. Bien que l’œuvre n’ait pas à être fixée pour être protégée, il convient de se demander si la tangibilité de l’œuvre y fait obstacle. B- La perceptibilité face à la tangibilité de l’œuvre éphémère Nous l’avons vu, l’œuvre doit être matérialisée sous une forme perceptible par les sens. Cette forme doit elle être pour autant intangible ? « L’intangibilité n’est pas d’avantage une condition de protection des œuvres » selon les mots de M. Vivant et J.M Bruguières. Selon ces auteurs, « la vérité est que les œuvres ne sont pas inaltérables, invariables, intransformables. Le droit n’a pas à exiger d’elles ces qualités 41 Lucas A., Lucas H.-J., Traité de la propriété littéraire et artistique, n° 26, p. 34 et n° 59, p. 66
  • 19. 19 fantasmées 42 ». La mise en forme, l’expression, ne sont pas synonymes d’intangibilité de l’œuvre. Cependant, la tangibilité de l’œuvre éphémère peut-elle parfois faire obstacle à sa protection ? Selon Fabrice Perbost si le jardin est difficilement protégeable en droit d’auteur, cela tient essentiellement à son caractère éphémère : « Certes, la permanence et l'intangibilité de l'œuvre ne sont pas de l'essence ni des conditions de la protection de l'œuvre d'art. Toutefois, c'est probablement dans le caractère évolutif, éphémère, instable et évanescent de son support qu'il faut voir le plus grand obstacle pratique à la reconnaissance du jardin comme œuvre de l'esprit43 ». L’intangibilité d’une œuvre n’est cependant pas reconnue comme une condition de protection ni par les textes, ni par la jurisprudence. Les juges ont d’ailleurs pu constater qu’il n’est pas possible pour une œuvre de prétendre à l’intangibilité.44 En effet, l’intangibilité d’une œuvre ne saurait être absolue car toute chose peut subir une altération. L’œuvre éphémère, par nature tangible, ne devrait pas voir sa protection refusée en raison de ce caractère évolutif. Une création peut, par ailleurs, être conçue comme une œuvre libre, une « œuvre ouverte45 ». L’« œuvre ouverte » correspond à une œuvre inachevée qui peut être modifiée indéfiniment par de nouveaux créateurs, elle invite le spectateur à participer de manière active à l’œuvre. Elle est donc forcément instable et évolutive. Leur protection ne doit pas être refusée pour autant. Pour se voir accorder la protection, l’œuvre doit en outre être originale. SECTION 2- L’ŒUVRE EPHEMERE ET LE CRITERE D’ORIGINALITE L’originalité est considérée comme la « pierre angulaire » du droit d’auteur46 . Une œuvre n’est protégeable « qu’à la condition de présenter un caractère original 47 ». Cependant cette notion n’apparait nulle part définie. André R. Bertrand parle de « notion incernable ». La doctrine qualifie l’originalité de « vice fondamental » du droit d’auteur48 , ou encore de « notion en crise49 ». 42  M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère éd, 2009, p.75 43 F. Perbost, le jardin saisi par le droit d’auteur, recueil Dalloz 2002, p.3257 44 A titre d’exemple, en matière architecturale, le juge administratif reconnait que l’'auteur ne pouvait prétendre à l'intangibilité de son œuvre et qu'il devait admettre des évolutions justifiées par la nécessité d'adapter le bâtiment à des besoins nouveaux. Conseil d’Etat, 11 septembre 2006  45 Umberto Eco, 1962 : Umberto Eco cite dans son ouvrage quatre œuvres musicales laissant beaucoup de liberté à son interprète. En effet, l’interprète est libre quant à la détermination de la durée des notes ou des successions des sons et permet un acte « d’improvisation créatrice ». La partition n’est pas figée et devient un champ de possible. 46 A. Lucas et P. Sirinelli, « L’originalité en droit d’auteur », JCP 9 juin 1993. N°23 I.3681 47 Crim. 7 oct. 1998, RIDA, n°180, p.327 48 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, p.161 49 A.LUCAS, H.J.LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3e éd., Paris, 2006, n°79
  • 20. 20 L’originalité semble découler d’une combinaison nouvelle d’éléments connus. Est qualifiée d’originale une œuvre singulière, qui se démarque et qui est empreinte de la personnalité de son auteur. L’originalité peut également s’entendre, de manière plus objective, comme la notion « d’apport créatif ». Il convient de savoir si l’œuvre éphémère répond à ce critère d’originalité. §1- UNE EXIGENCE APPLICABLE A L’ŒUVRE EPHEMERE Deux conceptions de l’originalité semblent coexister en droit d’auteur : d’une part la conception subjective et d’autre part la conception objective de l’originalité. Il semblerait toutefois que l’œuvre éphémère puisse être qualifiée d’originale, tant sur le plan de la conception subjective qu’objective. A- La conception subjective de l’originalité Desbois définit ainsi l’œuvre originale : « Est originale toute création qui n’est pas la simple reproduction d’une œuvre existante et qui exprime le goût, l’intelligence et le savoir-faire de son auteur, en d’autres termes, sa personnalité dans la composition et l’expression »50 . L’originalité apparait donc, avant tout comme « l’empreinte de la personnalité de son auteur »51 . Cette formulation, soulignant le caractère subjectif de la définition de l’originalité, est appuyée par la doctrine. En effet, pour André Lucas et Pierre Sirinelli, l’auteur doit avoir déployé « un minimum de fantaisie » et échapper aux « contraintes de la technique »52 L’originalité apparait donc comme le lien indéniable qu’il existe entre l’auteur et son œuvre en quelque sorte, le prolongement de la personnalité de l’auteur. Ainsi Oscar Wilde écrivait dans Le Portrait de Dorian Gray : « tout portrait qu’on peint avec âme est un portrait, non du modèle, mais de l’artiste ». De la même manière Flaubert a déclaré propos de son œuvre Madame Bovary : « Madame Bovary, c’est moi ». La cour de cassation reste attachée à cette conception subjective dans la plupart des cas. Elle casse ainsi certaines décisions du juge qui considèrent que l’originalité se confond avec la nouveauté53 . Les tribunaux utilisent de nombreuses formules proches de l’empreinte 50 H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978, p.23 51 CA Paris 1er avril 1957, D. 1957 p 436 ; CA Paris 16 mai 1994, RIDA 4/1994, p 47 52 A. Lucas et P. Sirinelli, L’originalité en droit d’auteur, JCP, 1993, doctr., 3681, p. 255-256 53 Cass. Civ 1ère 11 février 1997, Bull n°56
  • 21. 21 personnelle : « le reflet de la personnalité du créateur 54 » ou la marque de celle-ci, ou encore « l’empreinte émotionnelle personnelle 55 ». Œuvre éphémère et originalité n’apparaissent pas inconciliables et rien ne semble s’opposer a priori à ce qu’une œuvre éphémère soit considérée comme originale. En matière de fragrance par exemple, de nombreux auteurs ont cherché à démontrer que le parfum était une création originale. Ainsi pour J.C Galloux56 : « La majorité des auteurs estime que les « grands parfums » conservent tellement l'empreinte de la personnalité de leur auteur qu'il est facile pour un professionnel de les identifier ». De même, comme l’écrit Pamoukdijian, « la composition de parfum donne une forme bien déterminée à son produit, forme qualifiée « d'olfactive » ayant une personnalité et une originalité propres ». Le tribunal de Paris a pu admettre que : « la fragrance originale d’un parfum (est) susceptible d’appropriation au titre des droits d’auteurs57 ». Pour Roudnitska, le parfum est marqué par l’empreinte de son auteur: « le compositeur de parfum réalise ses compositions grâce à son métier et à son sens artistique qui lui permettent de communiquer sa conception de la beauté, par le truchement du parfum auquel il aura imprimé sa personnalité58 ». Le happening au même titre que l’improvisation, devrait pouvoir présenter l’originalité requise pour accéder à la protection. De même, le land art, le body art, et le street art peuvent présenter cette originalité, comme toute autre œuvre plastique classique. Ce concept d’originalité a pourtant souffert de certains abus59 de sorte qu’il est apparu nécessaire de repenser le concept même d’originalité. De plus, cette conception subjective de l’originalité a pu poser certains problèmes, notamment en matière d’art contemporain où « Les artistes contemporains s’acharnent souvent à effacer de l’œuvre toute empreinte personnelle, comme s’ils voulaient disparaître dans l’anonymat60 » selon Strowel. 54 CA Paris, 1er avr. 1957 55 TGI Nanterre, 10 mars 1993, RIDA 1993, n°157, 343 56 J.C Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit d'auteur, Recueil Dalloz, 2004, p.2641 57 Arrêt du Tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 1999, S.A. Thierry Mugler Parfums c/ S.A. G.L.B. Molinard 58 O. Moreno, R. Bourdon, E. Roudnitska, L’intimité du parfum, Ed. Olivier Perrin, 1974 59 L’originalité a pu ainsi être trouvée au sein de créations telles qu’un panier à salade (Cass. Crim 2 mai 1961) ou encore d’un décapsuleur (Cass. Crim, 9 oct 1974) 60 A. Strowel, le droit d’auteur remis en cause par l’art conceptuel, in « L’œuvre selon le droit d’auteur », 1993, p.85
  • 22. 22 On a pu se demander alors si une conception plus objective de l’originalité pourrait venir palier les carences et les abus dont souffre la conception subjective de l’originalité. B- La conception objective de l’originalité Le critère de l’originalité soulève des difficultés d’application à certaines œuvres si bien que le concept d’originalité a pu se rapprocher de celui de nouveauté61 ou d’activité créatrice qui prendrait en compte d’avantage l’apport créatif de l’auteur que l’empreinte de sa personnalité. Ce fut le cas par exemple pour les logiciels. Dans l’arrêt dit « Pachot », la Cour énonce que l’originalité résulte pour ces œuvres du constat d’une activité créatrice suffisante.62 Cette conception permettrait à certaines œuvres éphémères d’accéder plus facilement au champ de la protection par le droit d’auteur. Dans un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 janvier 2006, la cour défend l’originalité du parfum : «Un parfum est susceptible de constituer une œuvre de l'esprit protégeable au titre du livre I du code de la propriété intellectuelle, dès lors que, révélant l'apport créatif de son auteur, il est original.» La cour utilise ici la notion d'apport créatif, plus proche des créations techniques. Selon certains auteurs, l’originalité ne résulterait pas de l’empreinte personnelle mais plus dans « l’effort » et le « choix ». En matière de fragrance par exemple, Galloux parle de « choix d'un « thème principal » de la forme olfactive63 »L’originalité pourrait alors consister dans l’effort créateur et dans l’originalité du choix. Plusieurs décisions de justice ont en ce sens justifié leurs décisions en s’appuyant sur l’originalité du choix opéré par l’auteur, de telle sorte que les deux notions –originalité et choix- semblent se confondre64 ». Pour les professeurs Lucas et Sirinelli : « L’originalité de l’œuvre découle de l’arbitraire du créateur. (…) Dès lors qu’il y a place à l’arbitraire, la protection légale est acquise.65 ». De plus, l’article L112-2 du CPI accorde la protection du droit d’auteur aux anthologies et recueils « qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles ». 61 En ce sens, Com. 23 mars 1965, Gaz. Pal. 1965, 2, 81 : l’œuvre est originale car « l’œuvre se distingue du domaine public antérieur » 62 Cass. Ass. Plén. 7mars 1986, JCP 1986 II n°20631, note J.M MOUSSERON, B. TEYSSIE, M.VIVANT 63 J.C Galloux, Profumo di diritto - Le principe de la protection des fragrances par le droit d'auteur, Recueil Dalloz, 2004, p.2641 64 CA Paris, 4e ch., 22 juin 1999, Ainsi la cour d’appel de Paris, sur le plan de promenade du cimetière du Père- Lachaise parle d’ « une empreinte originale particulière qui est la conséquence du choix arbitraire des auteurs révélatrice de leur personnalité ». 65 A. LUCAS, P. SIRINELLI, « L’originalité en droit d’auteur », JCP 1993, éd. G., I, 3681, n° 10, pp.255-256
  • 23. 23 En ce sens, l’œuvre éphémère, par le choix d’utiliser la nature, ou celui d’utiliser un matériau qui à vocation à disparaitre, pourrait constituer une œuvre originale. Ainsi par exemple, une sculpture en chocolat a pu être protégée par le droit d’auteur66 . De même, dans une affaire concernant des créations culinaires, la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 17 mars 1999 a reconnu l’originalité de la création d’un cuisinier qui réalisait devant la caméra quelques recettes67 . Pour L. Costes68 , « l’originalité de la préparation résiderait dans l’activité créatrice du cuisinier ; cette activité créatrice étant issue de choix dans les combinaisons des saveurs et des ingrédients, différence faite de la cuisine qui serait issue d’un ‘fonds de l’art culinaire’ d’un patrimoine culinaire ». Cependant, cette position peut paraitre discutable. En effet, selon l’expression de Françon : « choisir n’est pas créer ». La mise en œuvre d’un choix n’est pas le résultat d’une démarche créatrice suffisante. Il conviendrait alors de donner une définition à l’originalité comportant à la fois un élément objectif et à la fois un élément subjectif. Ch. Caron propose ainsi la définition suivante : « Est originale toute création, forcément nouvelle, qui exprime la personnalité de son auteur à travers des choix qui lui sont propres »69 . En définitive, il semblerait que l’œuvre éphémère puisse être qualifiée d’originale. L’originalité de certaines œuvres éphémères apparait néanmoins discutée de sorte que ce critère n’apparait pas totalement ajusté à la notion d’œuvre éphémère. 66 TGI Laval, 16 févr 2009, RLDI 2009, n°47 osb L.Costes ; n°50, note F. Fontaine : les œuvres en chocolat sont protégeables par le droit d’auteur en dépit de leur caractère éphémère : « il est indéniable que le requérant s’est livré à la confection de créations originales à partir de documents d’époque». 67 CA Paris, 17 mars 1999, RIDA 1999, n°182, p.203 68 Note sous TGI LAVAL 16 février 2009 : RLDI 2009 n°47 69 CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd, 2009, p.76
  • 24. 24 §2- UN CRITERE DE DIFFICILE APPLICATION FACE A LA PARTICULARITE DE L’ŒUVRE EPHEMERE A- La difficile distinction entre création originale et savoir faire Cette distinction s’avère particulièrement difficile face aux œuvres gustatives et olfactives. Pour les tribunaux, une recette de cuisine réside plus dans un savoir faire que dans une mise en forme originale perceptible par les sens: «si les recettes de cuisine peuvent être protégées dans leur expression littéraire, elles ne constituent pas par elles-mêmes une œuvre de l'esprit ; [...] elles s'analysent en effet en une succession d'instructions, une méthode ; il s'agit d'un savoir-faire, lequel n'est pas protégeable70 ». Sur le même fondement, la cour de cassation refuse d’accorder la protection à la fragrance. Dans un arrêt du 22 janvier 2009, la cour retient que la fragrance d'un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d'un savoir-faire, ne constitue pas la création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l'esprit par le droit d'auteur. Pour autant, le savoir faire n’est il pas nécessaire à la mise en forme d’une idée originale ? Selon Philippe Gaudrat, le parfum résulte d’un savoir faire mais ce savoir faire est nécessaire à la production de l’idée originale : « Le logiciel n'est, lui, assurément qu'une forme fonctionnelle occulte résultant de l'application d'un savoir-faire de programmation à la traduction de fonctionnalités en instructions exécutables ; il est pourtant protégé par droit d'auteur. Le savoir-faire d'un nez est, comme celui de tout artiste, mis au service de la production d'une forme perceptible, expressive et usuellement créative. À quel titre cette forme devrait-elle être exclue de la protection ? Fort heureusement, les juges du fond ne semblent pas décidés à s'en laisser conter…71 ». En effet, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 10 décembre 2010, statuant sur renvoi après cassation, expose que si la création d'un parfum nécessite bien un réel savoir-faire, elle ne se limite pas à une opération technique et traduit la personnalité, la sensibilité et l'imagination de son auteur. Certains auteurs se réjouissent de la résistance des juges du fond. Pour Michel Vivant, le parfum constitue un savoir faire mais pas seulement, il argumente ainsi : « comment précisément comprendre que la présence d'un savoir-faire disqualifie la création candidate au statut d'œuvre ? Une fragrance procède d'un savoir-faire... Guernica procède d'un savoir-faire. Bagatelles de Webern procède d'un savoir-faire. Les Villas de Franck Lloyd Wright procèdent 70 TGI Paris, 3e ch., 30 sept. 1997, RIDA 1998, p. 273 71 P. Gaudrat, Propriété littéraire et artistique, répertoire de droit civil, septembre 2007 (dernière mise à jour janvier 2012), recueil Dalloz.
  • 25. 25 d'un savoir-faire. Chacun complètera la liste comme il l'entend. Il serait intéressant de savoir quelle œuvre ne procède pas dans un savoir-faire. Un savoir-faire n'est pas la garantie d'une œuvre mais il n'est pas d'œuvre sans savoir-faire72 ». En effet, toute création nécessite un savoir faire, et les œuvres éphémères telles que la fragrance ne devraient pas être exclues sur ce fondement. B- L’originalité : un critère mis à mal Reconnaitre l’originalité de certaines œuvres a parfois conduit à dénaturer le concept même d’originalité. Pour Bernard Edelman par exemple, admettre que le parfum puisse entrer dans le champ de protection du droit d’auteur, reviendrait à « techniciser l’empreinte de la personnalité73 ». Selon Delphine Galan : « L’ouverture des portes du droit d’auteur est plutôt causée par […] la dénaturation de la notion d’originalité74 ».D. Galan souligne par ailleurs « les dangers de l’élasticité » de cette notion. Le concept d’originalité, non défini par le code, est un concept dont les contours sont si flous que pour Bernard Edelman « la propriété littéraire et artistique est mal en point, elle est devenue un “fourre-tout“. L’introduction des logiciels dans le droit d’auteur aura eu au moins l’avantage de nous en faire prendre conscience ». Reconnaitre à tout va l’originalité de toute création remettrait en cause le principe même d’originalité. Pour D. Galan, « Le droit d’auteur devrait cesser de voler au secours de la volonté de simples novateurs pour venir récompenser les auteurs 75 ». L’approche de l’originalité apparait parfois bien difficile, pour Agnès Maffre-Baugé76 , si pour certaines catégories d’œuvres, il existe une présomption d’originalité et « la question de l’originalité n’est pas réllement posée » car elle ne fait pas de doute, d’autres œuvres comme celles issues de l’art contemporain ne bénéficient pas d’une telle présomption. Il en va de même pour les œuvres éphémères qui apparaissent parfois bien éloignées de l’empreinte personnelle de l’auteur. L’art contemporain, revendiquant souvent la « dépersonnalisation77 » semble mettre en pratique cette contestation de l’originalité et le droit d’auteur semble bien mal armé face aux nouvelles interrogations que soulèvent ces œuvres. De sorte que l’on pourrait être amené à 72 M.VIVANT L’heureuse résistance des juges du fond, Recueil Dalloz 2007 p.954 73 EDELMAN, Une fragrance procède d’un savoir faire, Recueil Dalloz 2006, p.2470 74 D. GALAN, la protection de l’œuvre olfactive par la propriété intellectuelle, PUAM ; 2010 75 D. GALAN, la protection de l’œuvre olfactive par la propriété intellectuelle, PUAM ; 2010, p.374 76 Citée par M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère éd, 2009, p.169 77 Bernard Frize 
  • 26. 26 réfléchir à une élaboration de nouveaux critères, ou bien à une adaptation des critères de l’œuvre de l’esprit face aux œuvres éphémères. Le caractère éphémère de l’œuvre n’est donc pas un obstacle à la protection d’une œuvre. Néanmoins, en dépit de ce principe rappelé à maintes reprises par la loi, les tribunaux et la doctrine, force est de constater que soit faite une distinction entre deux catégories d’œuvres éphémères : celles qui s’adressent à la vue et à l’ouïe et qui sont plus facilement protégées par le droit d’auteur, et celles qui s’adressent à l’odorat et au goût dont la protection semble bien plus contestée et ceci en dépit du CPI selon lequel les critères de l’œuvre de l’esprit peuvent s’appliquer sans distinction à une œuvre visuelle ou une œuvre olfactive. Les critères classiques semblent remis en cause et apparaissent comme dépassées face aux œuvres éphémères. Ces œuvres répondent néanmoins aux critères de l’œuvre de l’esprit et devraient bénéficier d’une protection plus systématique de la part du droit d’auteur. Pour cela, il faudrait pouvoir adapter ces critères aux œuvres éphémères, ou prévoir un statut juridique particulier au sein du droit d’auteur pour ces œuvres. En effet, malgré la possibilité d’une protection de l’œuvre éphémère en droit d’auteur, il convient de savoir si le régime de l’œuvre éphémère offre un niveau de protection suffisant ou s’il diffère du régime de protection de l’œuvre classique.
  • 27. 27 CHAPITRE 2- L’ŒUVRE EPHEMERE, UN REGIME DE PROTECTION DEROGATOIRE AU DROIT COMMUN Les œuvres éphémères sont susceptibles de remplir les critères de forme et d’originalité, bien que, dans un même mouvement, elles témoignent du dépassement de ces critères. A ce titre, leurs auteurs bénéficient de certains droits assurant la protection de ces œuvres. Le régime de l’œuvre éphémère apparait néanmoins comme dérogatoire au droit d’auteur classique, devant s’adapter aux particularités de l’œuvre éphémère et ceci tant au niveau du droit extrapatrimonial de l’auteur (Section 1) que du droit patrimonial (Section 2). SECTION 1- UN DROIT EXTRAPATRIMONIAL DE L’AUTEUR EDULCORE Classiquement, le droit moral de l’auteur comprend plusieurs prérogatives : le droit de divulgation, le droit de paternité, le droit au respect de l’œuvre ainsi que le droit de repentir, de retrait. Le contenu du droit moral de l’auteur apparait quelque peu modifié face à la particularité de l’œuvre éphémère : les prérogatives extrapatrimoniales de l’auteur d’une œuvre éphémère semblent être de moindre portée. §1- UN DROIT DE RETRAIT MIS A L’INDEX Le droit de retrait est défini par le CPI à l’article L121-4, il donne la possibilité à l’auteur d’arrêter l’exploitation de son œuvre dès lors qu’il considère que cette œuvre ne correspond plus à ses idées : « Nonobstant la cession de son droit d'exploitation, l'auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d'un droit de repentir ou de retrait vis-à- vis du cessionnaire». La loi lui permet ou bien de la modifier (il s’agit du droit de repentir), ou bien d'en arrêter l’exploitation (il s’agit du droit de retrait). Ainsi par exemple, un metteur en scène pourra supprimer un rôle de sa pièce quand bien même les représentations ont déjà commencé. Le droit moral de l’auteur, face à la particularité de certaines œuvres, est susceptible de subir quelques modifications ou adaptations. Tel fut le cas pour le droit moral de l’auteur d’un logiciel. En effet, il fut limité pour éviter de nuire à l’exploitation des logiciels. L’article L121- 7 CPI dispose ainsi que : « Sauf stipulation contraire plus favorable à l'auteur d'un logiciel, celui-ci ne peut : […] 2° Exercer son droit de repentir ou de retrait. » La protection des logiciels déroge donc au droit commun en ce qui concerne le droit moral de l’auteur.
  • 28. 28 Une autre dérogation est à noter en matière de droit de retrait concernant le droit moral de l’artiste interprète. En effet, selon l’article L212-2 du CPI : « L'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation ». Cet article ne fait pas état du droit de retrait et de repentir du droit de l’artiste interprète. A la différence des règles concernant l’auteur, le code n’accorde pas de droit de divulgation ni de droit de repentir ou de retrait. L’idée selon laquelle il s’agissait d’un oubli de la part du législateur fut réfutée par la cour de cassation dans un arrêt du 27 novembre 2008 : « les dispositions de l'article L. 212-2 du CPI limitent les prérogatives du droit moral de l'artiste-interprète au seul respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation 78 ». Ainsi, l'artiste-interprète, conformément au texte de la loi, ne possède alors ni droit de divulgation ni droit de retrait ou de repentir. Face à la particularité des œuvres éphémères, il semblerait que le droit de retrait puisse également souffrir de certaines altérations ou adaptations. Dans le cas des œuvres éphémères, cette modification ne serait pas le résultat d’un besoin de protection supplémentaire des œuvres éphémères contre les possibles atteintes de l’auteur à l’exploitation de l’œuvre comme c’est le cas pour l’auteur du logiciel ou l’artiste interprète, mais serait le résultat inhérent à la nature particulière de l’œuvre éphémère. En effet, il semblerait que le droit de retrait de l’auteur d’une œuvre éphémère soit mis à l’écart, édulcoré de par la nature de l’œuvre éphémère. Une œuvre éphémère, est destinée à disparaitre peu après sa divulgation. L’auteur d’une œuvre classique voit son droit de retrait disparaitre au moment de sa propre mort : en effet, l’exercice de cette prérogative n’est pas envisagé par le CPI après le décès de l’auteur. La jurisprudence s’accorde pour dire que cette prérogative disparait à la mort de l’auteur. Or, dans le cas d’une œuvre éphémère, l’œuvre a le plus souvent tendance à disparaitre avant le décès de son auteur. Au moment de la disparition de l’œuvre, disparaitrait par la même la possibilité d’exercer son droit de retrait. Cela parait tomber sous le sens, en effet, le droit moral ne peut être exercé que parce que l’œuvre existe et à l’inverse si l’œuvre est inexistante ou disparue, le droit de retrait ne peut être exercé. Plus spécifiquement, c’est la durée de la prérogative du droit de retrait qui apparait ici modifiée face à l’œuvre éphémère. Les prérogatives du droit de retrait de l’auteur d’une œuvre éphémère se trouvent donc amoindries. 78 Civ. 1re , 27 nov. 2008, pourvoi n° 07-12.109, arrêt n° 1188 F-P+B, Petrucciani, Bull. civ. I, n° 274 ; D. 2009. AJ. 18
  • 29. 29 En outre, le droit de retrait de l’auteur d’une œuvre éphémère n’est pas la seule prérogative extrapatrimoniale modifiée face à la particularité d’une telle œuvre. En effet, le droit au respect de l’œuvre semble également altéré à l’épreuve de l’œuvre éphémère. §2- UN DROIT AU RESPECT DE L’ŒUVRE ALTERE Le droit au respect de l’œuvre est une pièce maitresse du droit moral qui interdit que l’œuvre soit altérée dans sa forme ou dans son esprit. Ce droit est conféré à l’auteur par l’article L121- 1 du CPI selon lequel : « L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre ». Le droit au respect de l’œuvre induit au droit au respect de l’intégrité, intellectuelle ou matérielle, de l’œuvre. Marie Cornu cite les différentes formes que l’atteinte peut prendre : « modification, déformation, mutilation, adjonction, démantèlement, destruction79 ». Or, une œuvre éphémère n’est elle pas conçue justement pour être modifiée, déformée, mutilée, démantelée et a fortiori détruite ? L’œuvre éphémère est caractérisée par ce caractère mouvant, changeant dont l’inéluctable fin est la destruction. En ce sens, on peut se demander si le droit au respect de l’œuvre éphémère existe encore. Ne s’agit-il pas là d’une exception faite aux prérogatives accordées normalement à l’auteur au titre de droit moral ? Ici encore, tout dépend de la catégorie de l’œuvre éphémère en cause. En effet, un artiste ayant réalisé une création de land art se verra dépourvu de toute possibilité de revendiquer une altération de son œuvre, le but final étant l’altération. En revanche, le créateur d’un parfum pourrait, dans le cas où le parfum serait reconnu comme une œuvre de l’esprit, arguer d’une atteinte au respect de son œuvre. De même, l’artiste ayant exposé son œuvre sur le mur d’une ville ne pourra pas faire valoir une atteinte au respect au droit de son œuvre si celle-ci se voit altérée par les intempéries. Marie Cornu nous rappelle ainsi que : « Ce possible mouvement de l'œuvre, phénomène plutôt contemporain, chahute tout à la fois les règles de l'art et du droit80 ». Elle poursuit : « Les deux logiques de la protection du patrimoine culturel et de la création s'accommodent mal du destin temporaire de ces œuvres éphémères. Mais cette réalité ne suffit pas toujours à refouler le désir de les prolonger ». Selon elle, les restaurateurs et les conservateurs tentent parfois d’aller à l’encontre de la nature éphémère d’une œuvre afin d’en assurer son intangibilité. 79 M. Cornu, L’espérance de l’intangibilité dans la vie des œuvres, RTD Civ. 2000 p.697 80 M. Cornu, L’espérance de l’intangibilité dans la vie des œuvres, RTD Civ. 2000 p.697
  • 30. 30 Marie Cornu pose une question très intéressante qui mérite réflexion : « si l'œuvre est conçue comme œuvre éphémère, son respect ne passe-t-il pas par le respect de sa disparition à terme? ». On peut en effet se demander si combattre le caractère éphémère d’une œuvre constitue une atteinte de celle-ci ; l’éphémérité de la création étant une des caractéristiques de l’œuvre, souvent postulée par l’auteur lui-même. Dans le cas de l’œuvre éphémère, le droit au respect de l’œuvre pourrait il induire un droit à la disparition de l’œuvre ? Puisque le droit au respect de l’œuvre suppose tout à la fois le respect intellectuel et matériel de l’œuvre, l’action de conserver ou restaurer une œuvre éphémère pourrait donc constituer une atteinte à l’esprit de l’œuvre. Néanmoins, Marie Cornu pense qu’il ne faut pas « si radicalement paralyser le droit du propriétaire d'entretenir son bien, l'empêcher en tout état de cause de combattre le caractère éphémère de l'œuvre ». Elle poursuit sa réflexion ainsi : « Ce n'est que s'il y a atteinte à l'œuvre qu'il y aura contrefaçon, par exemple en cas de substitution de matériaux plus résistants contre la volonté de l'auteur». Le droit au respect de l’œuvre conféré à l’auteur apparait donc édulcoré face à l’œuvre éphémère. Nous pourrions même, certes de manière extrême, être conduits à repenser le contenu du droit de respect de l’œuvre éphémère en un droit au respect de la disparition de l’œuvre. L’application de ce droit au respect de l’œuvre peut également s’appliquer différemment face à une œuvre éphémère. En effet, si l’œuvre a été édifiée en violation des règles d’urbanisme (cas des graffitis, notamment), l’œuvre pourra être détruite sans que son auteur puisse protester.81 En effet, le droit moral de l’auteur d’une œuvre se voit limité par le droit de propriété des tiers. L’œuvre éphémère, et plus particulièrement sous sa forme du street art se situe entre deux droits : le droit de propriété et le droit d’auteur. La cour doit concilier ces deux impératifs antagonistes. La question prend toute son ampleur face aux graffitis qui sont, de manière principale, réalisés sur des supports n’appartenant pas aux graffiteurs tels que la voie publique, les trains, les murs et ceci sans le consentement de leur propriétaire. C’est donc, outre la question du droit de la propriété, la question de la licéité qui se pose. La création d’une œuvre originale sur un support appartenant à autrui en l’absence de son consentement bouleverse le régime de l’œuvre. Du fait de l’illicéité du support, le droit moral de l’auteur d’un graffiti apparait nettement amoindri. Certaines villes procèdent ainsi à des destructions systématiques des graffitis réalisés sur la voie publique. Le caractère illicite implique donc dans le cadre du street art, le caractère 81 Cass. Crim., 3 juin 1986
  • 31. 31 éphémère de l’œuvre. Bien que le CPI pose en son sein une règle importante à l’article L111-3 selon lequel « La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l'objet matériel », cette règle d’indépendance ne semble pas pouvoir s’appliquer à la lettre aux œuvres éphémères telles que les graffitis. Selon cet article, le propriétaire du support n’a donc pas de droit sur l’œuvre qui y est incorporée. Pour autant, en matière de street art, la tendance est plus souvent à la sauvegarde du droit de propriété plutôt qu’à la sauvegarde de l’œuvre. Le propriétaire du support a donc des droits élargis face aux droits de l’auteur. Il y aurait donc en ce sens une neutralisation du droit de respect de l’œuvre de l’auteur d’une œuvre éphémère dont le support est illicite. En définitive, le droit moral de l’auteur d’une œuvre éphémère apparait comme un droit moral affaibli. Ces prérogatives diffèrent de telle manière qu’on pourrait être amenés à repenser un droit « sui generis » du droit moral de l’auteur d’une œuvre éphémère. D’ailleurs, cette adaptation du droit moral n’est pas nouvelle. Selon Ch. Caron, « il serait erroné de croire que le droit moral est un concept monolithique. Au contraire, il s’applique, avec beaucoup de nuances, qui prennent en considération la diversité des situations. […] Certaines œuvres bénéficient d’un régime spécifique. […] C’est pourquoi il est possible de constater la multiplicité des régimes spéciaux qui ne cessent de ronger le droit commun du droit moral. Il existe plutôt des droits moraux qu’un seul et unique droit moral82 » La question de la licéité de l’œuvre se pose avec encore plus de ferveur dans le cadre de la protection du droit patrimonial de l’auteur. SECTION 2- UN DROIT PATRIMONIAL DE L’AUTEUR ATROPHIE Outre la question de l’éphémérité, d’autres problèmes viennent faire obstacle à la protection de l’œuvre éphémère entravant le droit patrimonial de l’auteur. Ces questions sont celles de la licéité de l’œuvre, de l’adéquation à l’ordre public. Par droit patrimonial, il faut entendre les prérogatives pécuniaires de l’auteur. Il s’agit du droit d’exploitation de l’œuvre. Selon l’article L122-1 du CPI, «Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.» 82 CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd, 2009, p.227-228
  • 32. 32 §1- UN DROIT PATRIMONIAL SOUMIS A L’OBSTACLE DE LA LICEITE DE L’ŒUVRE EPHEMERE Il est question de savoir si l’illicéité d’une œuvre ou sa contrariété à l’ordre public fait obstacle à l’attribution de droits patrimoniaux à son auteur : le droit d’auteur peut il étendre sa protection sur des œuvres illicites, c'est-à-dire contraires à la loi ? Nous concentrerons ici notre étude sur deux catégories d’œuvres éphémères : le body art et le street art. Ces œuvres éphémères sont en effet le plus représentatives des problèmes soulevés par l’illicéité de l’œuvre. Avec le body art, le corps apparait comme la clé de voute de l’expression artistique. Le corps lui-même est présenté comme une œuvre d’art. De manière encore plus extrême, l’œuvre d’art a pu consister en la représentation de cadavres83 . Ces réalisations qui pourraient s’inscrire dans le cadre de la protection du droit d’auteur sont cependant contraires au code civil, notamment en son article 16-1-1 qui dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ; que les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ». Ainsi, certaines œuvres considérées comme des œuvres de l’esprit peuvent être jugées contraires au droit au respect du corps humain. L’exposition « Our Body, à corps ouvert » a ainsi pu être jugée illicite84 . Cette exposition mettait en scène 17 cadavres humains d'origine chinoise "plastinés85 ", ouverts et disséqués, afin d'éveiller le grand public au fonctionnement de l'anatomie humaine. Pour la cour d’Appel, l’exposition caractérise une violation manifeste de l'article 16-1-1. L’exhibition de cadavres humains à des fins commerciales est contraire à la décence et illégale en France. On peut en effet admettre que des cadavres présentent un intérêt médical et scientifique mais il n’en va pas de même lorsque ces corps sont présentés comme des œuvres d’art. L’auteur d’une telle œuvre ne pourra donc pas se prévaloir des droits patrimoniaux afférant normalement à l’auteur d’une œuvre légale. La licéité a donc une incidence sur la protection des droits patrimoniaux de l’auteur. 83 Exposition « Our Body, à corps ouvert »  84 CA Paris PÔLE 01 CH. 03 30 avril 2009 n° 09/09315 85 Le docteur Gunther von Hagens découvrit la plastination en 1977 et la fit brevetée entre 1977 et 1982. Il trouva le moyen de substituer à l’eau des cellules des cadavres des résines époxy en trempant les cadavres encore frais dans un bain d’acétone. Il en résulte un arrêt définitif des processus de putréfaction et une rigidité du corps. Ainsi, les corps plastinés sont des préparations anatomiques, dont les liquides contenus dans les tissus ont été remplacés, à des fins de conservation, par une matière plastique. 
  • 33. 33 La question se pose aussi en matière de street art. En effet, le graffiti apparait comme allant de pair avec l’illicéité, fréquemment apposé sur le bien d’autrui, le graffiti apparait comme un « art en flagrant délit86 ». Le droit s’est mêlé rapidement à cet art, le code pénal sanctionne ainsi : « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger ». Cet article est complété par l'article 322-2 qui prévoit une sanction élevée à 7 500 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général, lorsque « le bien détruit, dégradé ou détérioré est destiné à l'utilité ou à la décoration publiques et appartient à une personne publique ou chargée d'une mission de service public ». Ces dispositions empêchent-elles pour autant de reconnaitre un graffiti comme une œuvre privant ainsi son auteur des prérogatives pécuniaires qui y sont attachées ? Il semblerait que les juges de la cour d’Appel de Paris aient répondu à la question dans une affaire du 27 septembre 2006. La cour d’appel de Paris a en effet pu reconnaitre aux graffitis la qualité d’œuvre de l’esprit. La cour qualifie dans cette affaire les graffitis d’œuvres éphémères : « les wagons reproduits ne le sont que de façon accessoire, c’est-à-dire en tant que support d’œuvres éphémères, les graffiti, qui, eux, sont reproduits de façon principale ». Les faits de l’espèce sont les suivants : les wagons de certains trains de la SNCF avaient été taggués, ces graffitis avaient été publiés dans des magazines spécialisés dans le graffiti. La SNCF assigne ces magazines car la publication de ces photos lui causait un trouble anormal. Selon la compagnie, publier de telles images des trains dont elle était propriétaire était susceptible de présenter cette activité sous un jour favorable et constituerait une forme d’apologie des graffitis sur les trains, ce qui lui couterait cher en nettoyage. Dans un jugement rendu le 15 octobre 2004, le tribunal de commerce de Paris débouta la SNCF de ses demandes, laquelle interjeta appel. La cour rappelle que, selon la conception de la Cour de Cassation, « le propriétaire d’une chose, qui ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci, ne peut s’opposer à l’utilisation de son cliché par un tiers que si elle lui cause un trouble anormal ». Pour la cour d’appel, aucun trouble anormal ne permet à la SNCF de s’opposer à la publication de clichés de trains tagués. Elle constate que « le mouvement graff est né il y a environ quatre décennies sur tous supports dont des trains et avant même qu’une presse spécialisée soit née », et « qu’il est reconnu à la fois comme phénomène de société et comme mode d’expression artistique ». Il est donc impossible 86 S. Davet, Le Monde, 1er juin 2003
  • 34. 34 de déterminer de manière certaine que la reproduction de ces wagons contribuerait à augmenter le nombre de tags. La cour d’appel n’ayant pas admis que la SNCF puisse s’opposer à la publication de photographies de trains tagués, il semblerait que –réciproquement-, une publication sans autorisation de ces photographies reviendrait à une violation du droit patrimonial de leur auteur. Il apparait alors que, même illégale et éphémère, l'œuvre de street art reste protégée par le droit d'auteur dès lors qu’elle remplit les conditions posées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, selon Ch. Caron, l’illicéité d’une œuvre ne devrait pas faire obstacle à sa protection car le code est indifférent au genre et au mérite, ce qui induit pour lui une nécessaire indifférence face à l’illicéité de l’œuvre ; il critique une décision de la cour de Cassation du 28 septembre 1999 selon laquelle la preuve du caractère illicite de l’œuvre interdit sa protection, pour lui : « cette solution est critiquable car la notion d’illicéité est susceptible de varier avec les époques et les lois. Il convient donc que le droit d’auteur affiche une totale neutralité à son endroit. Par conséquent, l’œuvre illicite doit être protégée87 ». S’il convient de refouler la licéité hors du champ du droit d’auteur, le caractère illicite de l’œuvre ne paralyse-t-il cependant pas la poursuite en contrefaçon ? §2- L’ACTION EN CONTREFACON, UNE PROTECTION ILLUSOIRE EN MATIERE D’ŒUVRE EPHEMERE ? L’auteur détient sur ses œuvres un monopole d’exploitation, et sauf exceptions prévues par l’article L122‐5 du CPI, il est seul habilité à interdire ou à autoriser l’exploitation de ses œuvres. Le droit d’auteur protège ainsi l’auteur des atteintes portées à son droit patrimonial : la contrefaçon. La violation du droit consiste en un acte matériel qui résulte de l’utilisation de l’œuvre sans le consentement de l’auteur. L’article L122-4 du CPI dispose ainsi que : « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque » En matière d’œuvre éphémère, il semblerait que l’action en contrefaçon soit difficile à mener. Ce constat peut résulter de plusieurs faits : l’illicéité de l’œuvre ; les difficultés probatoires liées au fait que l’œuvre éphémère -par nature- n’est pas fixée sur un support. Enfin, parce que la limite entre idée et forme apparait parfois tenue. 87  CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd, 2009, p.82
  • 35. 35 La Cour de Cassation a posé la règle suivante : « en l’absence de preuve de son caractère illicite, une œuvre pornographique bénéficie de la protection accordée par la loi sur la propriété littéraire et artistique88 ». Les auteurs Vivant et Bruguières se sont demandé s’il ne s’agissait pas là d’un nouveau fait justificatif au profit des prévenus, l’illicéité de l’œuvre pouvant alors constituer un moyen de défense du prévenu. Alors, les auteurs des œuvres de street art ne pourraient pas exercer d’action en contrefaçon, au risque de se heurter à cette exigence de licéité. Or, ce raisonnement ne parait guère justifié : « il serait bien paradoxal qu’un acte que notre société réprouve, la contrefaçon, soit justifié par la commission d’une autre infraction89 ». Autre obstacle à l’action en contrefaçon en matière d’œuvre éphémère : la fixation. Elle n’est pas une condition pour accéder à la protection par le droit d’auteur90 . Cette fixation apparait plus comme une règle de preuve que comme une règle de validité : pour P.Y Gautier: «l’on peut se demander si la thèse de la mise en forme matérielle ne relèverait pas plutôt du droit de la preuve 91 ». Selon Ch. Caron92 : « même non fixée, l’œuvre (…) est protégée. Seulement, en l’absence de fixation, il sera bien difficile d’exercer le droit d’auteur ». Caron pose ainsi la question suivante : « comment prouver l’existence d’une contrefaçon s’il est impossible de connaitre l’œuvre contrefaite éphémère qui n’a pas été fixée ? L’adage Non jus deficit sed probation93 revêt ici toute son importance ! » En l’absence de fixation sur un support, il semble ardu de mener une action en contrefaçon, sans quoi il n’existe pas de preuve de l’existence de l’œuvre. Ch. Caron nous explique ainsi : « en réalité, si la protection de la fragrance est envisageable, il sera bien difficile d’exercer les droits d’auteurs. En effet, le caractère éphémère et évolutif de la forme rendra bien souvent difficile la caractérisation d’une contrefaçon. C’est pourquoi l’octroi de la protection risque bien de ne pas procurer les effets escomptés. Afin de bénéficier utilement de l’action en contrefaçon, il faudra recourir à des expertises, à des sondages auprès des consommateurs,… 94 ». 88 Cass. Crim., 28 sept 1999, CEE 2000, comm. n°4 , obs. Caron. 89 M. VIVANT, J.M BRUGUIERE, Droit d’auteur, Précis Dalloz, 1ère éd, 2009, p.153 90 CA Paris, 4e ch. A, 25 janvier 2006 « la fixation d’une œuvre ne constitue pas un critère exigé pour accéder à la protection dès lors que la forme est perceptible ». 91 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, cité par N. Walravens 92 CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd, 2009, p.144 93 « Ce n’est pas le droit qui est défaillant, mais la preuve » H. Roland et L. Boyer cités par Ch. Caron. 94 CH. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd, 2009, p.149
  • 36. 36 Il existe donc une certaine discrimination à l’égard des œuvres éphémères en matière d’action en contrefaçon car elle a peu de chance d’aboutir sans l’existence d’une preuve, c'est-à-dire d’une fixation. Le régime de l’action en contrefaçon mériterait d’être adapté pour permettre à ces œuvres d’atteindre le même niveau de protection que les œuvres fixées sur un support. En outre, les chances de voir l’action en contrefaçon aboutir est réduite du fait que la limite entre idée et forme et parfois très fine en matière d’œuvre éphémère. Seule la copie d’un élément formalisé ouvre droit à réparation tandis que la reprise d’un élément conceptuel reste libre95 . Il faut donc que l’idée soit matérialisée, extériorisée. Selon Pierre Yves Gautier : « la mise en forme de l’idée, (…) c’est le fait de parvenir à une précision suffisante quant à l’œuvre future dans l’exposé que l’on peut en faire à autrui (…) Ainsi, l’idée serait susceptible d’appropriation dès que ses contours sont suffisamment précisés, et avant même d’être matérialisée96 ." Dans l’œuvre éphémère, « l’idée », matériau principal de l’œuvre, peut être reprise par quiconque sans qu’une action en contrefaçon puisse être menée comme en témoigne l’affaire de l’emballage du Pont Neuf par Christo. Il en va donc de même pour les œuvres éphémères telles que les sculptures de glace ou de sable, quiconque pourra réaliser de telles œuvres, même tout à fait semblables, sans que soit possible pour l’auteur de revendiquer le monopole sur cette création. Fort heureusement, pourrait-on dire. En effet, il apparait inconcevable d’instaurer un monopole sur l’idée sans quoi, selon les mots de Nadia Walravens, « l’existence d’un monopole sur l’idée empêcherait quiconque de faire un tableau blanc (Carré blanc sur fond blanc, Malévitch) ou un tableau bleu (Bleu IKB, Klein), de présenter un objet comme œuvre d’art (Ready-made, Duchamp) » ce qui aboutirait à « un épuisement irréversible de la création 97 ». Ceci étant, bien qu’il apparaisse inconcevable d’accorder un monopole sur une idée, il en résulte pour l’auteur d’une œuvre éphémère que les chances de voir son action en contrefaçon aboutir son infimes. Il conviendrait alors d’adapter les critères du droit aux particularités de l’œuvre éphémère afin d’accorder à leur auteur une protection adéquate. D’autres actions peuvent être menées par l’auteur d’une œuvre pour faire respecter son droit. En effet, un acte peut ne pas constituer un délit de contrefaçon mais peut cependant relever de la concurrence déloyale ou du parasitisme. 95 Affaire de l’emballage du Pont Neuf par Christo, Paris, 13 mars 1986, Gaz. Pal. JP p.239 96 "Propriété Littéraire et Artistique", Pierre-Yves Gautier, ed. PUF, coll. Droit Fondamental, 3ème édition, 1999 97 N.WALRAVENS, « L’art contemporain et les difficultés d’accès à la protection du droit d’auteur », in Droit d’auteur et culture, dir. J.M. BRUGUIERES, Dalloz, Paris, 2007, p376-377.
  • 37. 37 La concurrence déloyale se définit en effet comme un comportement contraire aux usages du commerce ou de l’industrie. La notion de parasitisme se définit quant à elle de la manière suivante : « un ensemble de comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer un profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de savoir‐ faire98 ». Ces deux notions sont fondées sur l’article 1382 du Code Civil99 et se montrent particulièrement utiles lorsque l’auteur n’arrive pas à démontrer la contrefaçon. L’action fondée sur l’article 1382 du code civil pourrait donc apparaitre comme une alternative à l’action en contrefaçon pour l’auteur d’une œuvre éphémère. Encore faudrait il que cet auteur soit notoire et qu’il démontre que le concurrent s’immisce véritablement dans son sillage. Notons en outre que pour certaines catégories d’œuvres éphémères, la création peut être protégée par la propriété industrielle, tel est le cas du parfum par exemple. Néanmoins, il parait inconcevable d’opter pour la protection par le droit de la propriété industrielle concernant la marque, le dessin ou le brevet pour certaines catégories d’œuvres éphémères relevant indiscutablement de l’art. En définitive, l’auteur d’une œuvre éphémère peut bénéficier, dans la plupart des cas, de la protection accordée aux œuvres de l’esprit et jouit à ce titre d’un droit moral et d’un droit patrimonial sur son œuvre. Cependant cette protection apparait nettement amoindrie par rapport à la protection accordée à l’auteur d’une œuvre de l’esprit classique. En effet, le droit d’auteur semble mal armé face aux interrogations que soulèvent ces œuvres éphémères car ce droit fut d’abord conçu en référence à un modèle d’œuvre qui est aujourd’hui dépassé et qui ne correspond plus à la réalité esthétique actuelle qui se veut justement en contradiction avec les pratiques classiques de l’art. 98 Cass. com. 26 janvier 1999, RDPI 1999, n°100, p.49. 99 « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
  • 38. 38 CONCLUSION Les œuvres éphémères, à l’exclusion de certaines catégories, sont susceptibles d’être considérées comme des œuvres de l’esprit répondant aux critères dégagés par le CPI. A ce titre, ces œuvres devraient bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur. Néanmoins, les tribunaux distinguent deux catégories d’œuvres éphémères : celles qui s’adressent à la vue et à l’ouïe plus facilement protégées par le droit d’auteur, et celles qui s’adressent à l’odorat et au goût dont la protection semble bien plus contestée et ceci en dépit du CPI. Ces œuvres éphémères présentent de telles particularités qu’elles ne s’ajustent pas parfaitement aux critères de protection qu’elles semblent remettre en cause. De plus, le régime de protection de l’œuvre éphémère pâtit des particularités de l’œuvre éphémère car, bien qu’une protection puisse être accordée, les prérogatives de droit moral et patrimonial de l’auteur se trouvent bien amoindries. L’action en contrefaçon apparait illusoire et n’ayant que très peu de chances d’aboutir. Il conviendrait alors d’aménager, d’adapter les critères pour que ces œuvres obtiennent une protection équivalente à la protection accordée à une œuvre classique. Ainsi par exemple, serait- il possible d’en élargir les principes pour que ces œuvres éphémères accèdent à leur tour à la protection. Concernant le critère de forme, certains auteurs ont pu penser à prendre en compte le critère de la perception. Ce critère reviendrait à prendre en compte la perception du public de la création. En effet, pour Roland Barthes, «l’auteur est mort 100 ». Barthes souligne l’importance du rôle du lecteur dans la production d’un sens du texte. Dans les happenings par exemple, le rôle du spectateur est incontestable, voire fondamental. L’œuvre éphémère requiert ainsi parfois la participation active du spectateur. Cette vision de la forme de l’œuvre peut se rapprocher de la vision de Philippe Gaudrat qui relève le lien entre les éléments intangibles de l’œuvre qu’il appelle « forme interne » (forme mentale) et les éléments concrets, la « forme externe » (forme matérielle) : « lorsque l’œuvre est protégeable, la protection ne naît qu’à partir qu’à partir du moment où la forme interne est revêtue d’une forme externe ; mais la condition principale de protection (l’originalité) ne s’apprécie que dans la forme interne 101 ». 100 La mort de l'auteur, Manteia, 1968 101 Ph. Gaudrat, JurisClasseur, Propriété littéraire et Artistique, Objet du droit d’auteur, Œuvres protégées, Notion d’œuvre, Fasc. 1134, 1995, p. 13
  • 39. 39 Néanmoins, cela reviendrait à remettre en cause les fondements mêmes du droit d’auteur, centrés principalement sur la personne de l’auteur. Concernant le critère de l’originalité, peut être faudrait-il prendre en compte la démarche intellectuelle de création et l’intention de l’artiste. Il serait alors possible de recourir à d’autres critères tels que le critère du choix arbitraire ou encore le critère de présentation, certaines œuvres ayant un principe de création aléatoire. En effet, la présentation permet à une création d’être considérée comme une œuvre d’art.102 Alain Strowel a ainsi pu considérer que « si ces objets et événements “ sont ” des œuvres d’art, c’est non pas en tant que tels, mais dans la mesure où ils sont présentés comme tels103 ». Kummer a également émis la possibilité de considérer comme œuvre d’art celle qui serait présentée comme telle. Une autre solution, outre le fait de déterminer de nouveaux critères de protection, serait celle d’adapter les critères de forme et d’originalité à la particularité des œuvres éphémères. Nadia Walravens considère en effet qu’il faudrait étendre le critère de l’originalité pour permettre la protection des réalisations d’art contemporain en prenant en compte d’éléments tels que « le choix créatif, l’aléatoire contrôlé, l’intentionnalité de l’artiste et le contexte d’exposition ». Les problèmes soulevés par ces créations éphémères sont proches de ceux posés par des créations telles que les logiciels ou les bases de données. Ces dernières ont pu voir les portes du droit d’auteur s’ouvrir à elles après un certain aménagement des principes du droit d’auteur. Le droit sui generis des bases de données a pu permettre la protection de simples idées. En effet, selon P.Y. Gautier, les bases de données sont « toutes sortes d’informations, fussent-elles dénuées d’originalité, appartiennent-elles au domaine public, relèvent-elles des idées et autres méthodes, bref tout ce qui est traditionnellement repoussé par le droit d’auteur, qui sont ainsi susceptibles d’être protégées par la loi 104 ». A l’instar de ces créations il devrait être possible, pour les œuvres éphémères, de créer un droit suis generis, leur permettant de bénéficier de critères adaptés et d’ainsi intégrer ces œuvres dans le champ de la propriété littéraire et artistique. La création d’un droit particulier pour les œuvres éphémères devrait néanmoins être particulièrement encadrée pour ne pas bousculer trop brutalement le droit d’auteur. En effet, tous ces principes et notamment le principe d’exclusion des idées ont bel et bien leur raison d’être. 102 A titre d’exemple, Marcel Duchamp et ses ready-made 103 A. Strowel, L’oeuvre selon le droit d’auteur, p. 81 104 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, p.183.