"La diversité doit exister dans le système économique classique, pas uniquement dans le milieu adapté."
Témoignage de Didier Roche, co-fondateur de l'UPTIH et co-fondateur des restaurants et du spa Dans le Noir.
Des acteurs économiques à part entière ! Les cahiers du handicap
1. 12 CDH N°12 OCTOBRE 2017 13
POINT DE VUEPOINT DE VUE
J’ai mis six mois à trouver une banque
qui accepte de m’ouvrir un compte
tout en signant un tas de décharges et
la menace de la fermeture de mon
compte dès le moindre faux pas ! En
2007, j’ai découvert que nous étions
plusieurs milliers de travailleurs indé-
pendants handicapés et j’ai pensé que
le moment était venu d’être nom-
breux ! », assure Didier Roche.
Cela ne l’empêchera pas de multiplier
les projets et d’être l’un des cofonda-
teurs des restaurants et du spa “ Dans
le noir ? ”, dans lesquels les clients
sont servis et massés par des aveugles.
Pour lui, la diversité doit exister dans
le système économique classique, pas
uniquement dans le milieu adapté.
Autant de bonnes raisons de créer en
2008 l’Uptih. « Il fallait permettre aux
personnes avec handicap de ne plus
être isolées dans leur démarche entre-
preneuriale, précise Didier Roche.
Ensuite, elle nous permettait de peser
pour que nos particularités soient en-
fin prises en compte. Aujourd’hui,
l’UPTIH est à la fois un réseau busi-
ness et un service de conseil. Du dé-
but d’activité à l’accompagnement du
développement, chaque moment est
une occasion pour les entrepreneurs
handicapés d’échanger, de se former,
de s’informer. » Depuis, l’Uptih a fait
son chemin et sa représentativité au
niveau national est reconnue. « Dé-
sormais, nous sommes sollicités pour
prendre part aux réunions entre le lé-
gislateur, les assureurs, l’Agefiph, et,
de ce fait, l’Uptih devient proactive. »
Qui sont les travailleurs
indépendants
handicapés ?
Professions libérales, artisans, com-
merçants, chefs d’entreprise, artistes,
autoentrepreneurs… ils sont plus de
72 000 TIH en France à exercer dans
de nombreux domaines d’activité.
« Pour certaines formes de handicap,
le salariat ne leur convenait pas car
parfois les personnes ont des maladies
générant des absences répétées ou
inopinées difficilement gérables par
l’entreprise, ajoute Didier Roche. Il
peut aussi s’agir de gens qui ont besoin
de travailler quelques heures par jour
et pas forcément aux heures de bureau.
Ce statut leur a aussi permis de pou-
voir réfléchir à un avenir professionnel
sans plus avoir les contraintes du mi-
lieu professionnel. »
Aujourd’hui, plus de 3 500 deman-
deurs d’emplois handicapés sollicitent
tous les ans l’Agefiph pour mobiliser
les aides à la création d’entreprise.
Plusieurs dispositifs sont financés par
l’Agefiph, et l’Uptih vient renforcer
cet accompagnement à travers ces
missions : coaching, tutorat, forma-
tions, mentorat, mais aussi grâce à la
mise en place en 2014 d’une plate-
forme de mise en relation entre les
travailleurs indépendants handicapés
et les personnes morales soumises à
l’obligation d’emploi. « Sur Tih-busi-
ness, on trouve en ligne des profils
très différents : fleuriste, photographe,
masseur en entreprise, maquilleur,
chocolatier ou chauffeur VTC… De
plus en plus d’entreprises adhèrent à
ce concept, et, en parallèle, la plate-
forme offre aux travailleurs indépen-
dants un accompagnement et une va-
lorisation inédite de leur profil »,
explique Didier Roche.
Changer le paradigme
sur le handicap
On l’aura compris : l’idée est de faire
connaître partout qu’il existe des dis-
positions particulières pour les TIH
tant dans le champ des donneurs
d’ordres possibles (entreprises, asso-
ciations, fonction publique…) que
celui des chefs d’entreprise handica-
pés qui l’ignorent. Aujourd’hui, 55 %
des personnes connaissent le handi-
cap dans le champ de leur vie profes-
sionnelle. Sachant que 94 % des en-
treprises en France occupent moins
de 10 salariés, que se passe-t-il quand
le chef d’entreprise devient handica-
pé ? Au-delà de la punition du handi-
cap, c’est souvent le dépôt de bilan
dans les 6 mois… « Il faut réfléchir et
s’intéresser à cette problématique.
C’est pourquoi j’entends mener une
étude et trouver le financement pour
la mettre en œuvre. C’est un projet
économiquement intéressant qui
coûtera moins cher à la société que
d’avoir 15 personnes au chômage ! »
Et Didier Roche de conclure : « Il
faut changer le paradigme sur le han-
dicap en France pour permettre à la
personne en situation de handicap de
revenir au cœur de son projet de vie
comme la loi de 2005 le prévoit. Il est
un citoyen à part entière et non un
citoyen entièrement à part. »
D
epuis près de deux ans
maintenant, les travailleurs
indépendants handicapés
(TIH) sont pris en compte
pour satisfaire à l’obligation
d’emploi de personnes handicapées
(OETH). Grâce à la loi Macron du
6 août 2015 – complétée par un dé-
cret d’application du 28 janvier 2016,
les entreprises clientes pourront dé-
sormais comptabiliser le business réa-
lisé avec eux dans leurs Unités bénéfi-
ciaires (UB). Pour Didier Roche,
entrepreneur non-voyant, c’est une
grande victoire pour tous les TIH !
« Hier, les entreprises de 20 salariés et
plus, soumises à l’OETH qui fai-
saient appel à des indépendants ou
chefs d’entreprise handicapés, ne
pouvaient pas les comptabiliser dans
leurs UB. Ce qui n’était pas les cas
pour un salarié handicapé ou la sous-
traitance avec le milieu protégé (Esat)
qui, eux, rentraient dans les quotas.
Avec l’aménagement de la loi, une
page s’est donc tournée et les TIH
peuvent faire figurer sur leurs factures
des UB. Enfin, s’est éloignée la fa-
meuse litanie “ Pas d’UB, pas de
contrat ! ” ».
Il lui aura quand même fallu prendre
son bâton de pèlerin pour remporter
cette bataille. « La loi du 11 février
2005 devait assurer l’égalité des droits
et des chances des personnes handi-
capées, mais elle a laissé sur la touche
les TIH et les chefs d’entreprise, ana-
lyse Didier Roche. Pour convaincre,
je suis passé à la vitesse supérieure en
faisant du lobbying, à communiquer
via les médias, à écrire à l’ensemble
des parlementaires, à regrouper un
collectif et à rencontrer des syndicats,
des groupes d’associations… »
« Le moment était venu
d’être nombreux »
Au-delà des UB, être TIH n’est pas
une sinécure : « Nous connaissons
tous les mêmes difficultés auprès des
banques et assureurs. Il m’a suffi de
monter ma première société de ventes
de services pour handicapés visuels à
23 ans pour me heurter à cette réalité.
les travailleurs indépendants handicapés
Des acteurs
économiques
à part entière !
Les entreprises assujetties à l’obligation d’emploi handicap peuvent désormais ré-
pondre à leur politique handicap et passer des contrats de fournitures, de sous-trai-
tance ou de prestations de services avec des travailleurs indépendants handicapés
(TIH).Il aura fallu huit ans de combat à l’Union professionnelle des travailleurs indépen-
dants handicapés (Uptih) et à son président,Didier Roche,pour faire aménager la loi.
Pour Didier Roche
(à gauche), « Il fallait
permettre aux
personnes avec
handicap de ne plus
être isolées dans
leur démarche
entrepreneuriale. »