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Agences de conseil en vote, état des lieux et encadrement des
pratiques
Guilhaume Agbodjan
Master of Laws (LL.M.) in International Corporate Finance – University of Reading,
Reading (UK)
et
Stéphane Heip
Master 2 Business, Tax and Financial Market Law – Université Paris-Saclay, Sceaux
encadrés par
Catherine Maison-Blanche
Senior Consultant - Allen & Overy.
Les agences de conseil en vote (proxy advisors) sont principalement chargées d'analyser les
projets de résolutions d'assemblées générales de sociétés cotées afin d'émettre des
recommandations de vote pour leurs clients essentiellement des investisseurs institutionnels. Leur
activité a fait l'objet de nombreuses inquiétudes ces dernières années en raison de leur influence
sur la gouvernance d'entreprise dont ils ne sont pas actionnaires. En l'absence de législation
réglementant leur industrie, la doctrine s'est notamment interrogée sur leurs méthodes de travail
et sur la survenance d'éventuels conflits d'intérêts liés à leurs activités. Afin de faire preuve de
transparence, les proxy advisors ont rédigé en 2014 un code de bonne conduite dont les effets
méritent d'être évalués.
The role of proxy advisors is to analyse general meeting's resolutions of listed companies in order
to issue voting recommendations to their clients (institutional shareholders). During the last few
years, several scholars have been worrying about the influence these advisors could have on
companies' corporate governance considering that they are not shareholders of those firms.
Moreover, because proxy advisors' activity was not regulated in Europe, corporate governance
specialists questioned their methodology and the eventuality of conflicts of interest that might
arise. Therefore, proxy advisors, drafted a code of conduct in 2014 in order to improve the
transparency of their activity. We will try to assess its effects.
Les proxy advisors se sont érigés en acteurs incontournables de la gouvernance des sociétés cotées,
à tel point que les agences les plus importantes jouissent aujourd'hui d'une influence considérable
dans l'adoption ou le rejet d'une résolution d'assemblée générale.
L'éclatement progressif du capital des sociétés françaises lié à la présence croissante
d'investisseurs étrangers pas toujours au fait des subtilités de notre droit interne et de ses plus
récents développements, à la recherche de pédagogie et d’assistance, a ainsi contribué à leur
pouvoir. Les émetteurs sont alors amenés à engager un dialogue avec ces agences et, en pratique,
à appliquer leurs critères de gouvernance, au risque de subir le rejet ou l'adoption à une faible
majorité (ce qui est souvent vu comme un vote de défiance) des résolutions proposées à leurs
actionnaires1
.
Les inquiétudes soulevées par leur activité ont conduit l'European Securities and Markets
Authority (ESMA) à proposer la rédaction d’un code de bonne conduite répondant notamment aux
préoccupations concernant la gestion des conflits d'intérêts, la qualité de leurs conseils et la
méthodologie d’élaboration de leurs recommandations2
. Après une première année d'application
du code, l'ESMA est revenue sur les changements qu'il a engendrés et a salué l'effort global de
l'industrie3
. Est-ce toutefois suffisant pour instituer une relation saine entre agences et émetteurs
au moment des assemblées générales ?
Nous nous appuierons sur les différents rapports, études et statistiques disponibles afin
d'analyser le développement et l'influence des agences de conseil en vote en France (I) ayant
conduit à l'encadrement progressif de leur activité et tâcherons d'évaluer les solutions
apportées (II).
1
Faut-il encadrer l'activité des agences de conseil en vote ?, Alexandre Omaggio, JCP - Édition Entreprise et Affaires,
n°46, 2065.
2
Feedback statement on the consultation regarding the role of the proxy advisory industry, ESMA, 2013.
3
Follow-up on the development of the Best Practice Principles for Providers of Shareholder Voting Research and
Analysis, ESMA, 2015.
I. Le développement des proxy advisors en France
Les récents principes de bonne gouvernance inspirés des pratiques britanniques ont fait
naître de nouvelles exigences à l'encontre d'investisseurs institutionnels, en particulier les
gérants de fonds (fonds de pension notamment) pour compte de tiers, détenteurs de multiples
participations dans nos sociétés cotées. Il s'agit là, selon nous, de l'une des principales causes
de l'émergence de ces conseils en vote (A). Intervenant dans le cadre des assemblées générales
de ces groupes cotés, ils se sont ainsi imposés comme acteurs influents et incontournables de
ces grands-messes annuelles (B).
A. Un contexte favorable à l'émergence de conseils en bonne gouvernance
1) Un nombre croissant d'investisseurs institutionnels
La clientèle des proxy advisors est constituée d’investisseurs institutionnels. Leur présence
croissante en France et le recul des actionnaires individuels directs, lesquels préfèrent confier leurs
investissements sur les marchés à des professionnels et recourir à l’intermédiation, expliquent
donc inévitablement le développement de ces agences. Une étude récente sur le paysage de
l'actionnariat français indiquait ainsi que la part des épargnants individuels dans le capital des
sociétés cotées n'avait cessé de diminuer depuis 2009, passant de 13% à 6,6% en mars 20154
. En
conséquence, le taux de détention directe de ces actionnaires ne représente plus, en moyenne, que
8% du capital social des sociétés du CAC 405
(et plus de 30% dans deux groupes français
uniquement). Ces chiffres illustrent l’éclatement du capital des sociétés françaises et la fin d'une
période où des familles et sociétés non financières caractérisaient les tours de table actionnariaux.
Par ailleurs, les statistiques démontrent une plus grande présence des étrangers dans le capital des
sociétés françaises : les actionnaires non-résidents détenaient 45,3% des actions du CAC 40 en
2014 après avoir concentré jusqu'à 47,6% en 2013. Un auteur analysant la typologie des
actionnaires français attribuait ce phénomène d'institutionnalisation de la propriété du capital à son
internationalisation6
. Cette nouvelle structure de l'actionnariat français a conduit à s'interroger sur
la gouvernance des sociétés cotées. Par ailleurs, l'intégration de « nouveaux propriétaires » mus
par des objectifs de profits rapides et moins concernés par les problématiques de corporate
4
Etude TNS Sofres – Étude Sofia – Épargnants et investisseurs.
5
Étude sur les dispositifs de communication des sociétés cotées à destination de leurs actionnaires individuels,
Autorités des Marchés Financiers (AMF), 2015.
6
Les agences de conseil en vote : réflexion sur l'encadrement des pratiques, Catherine Maison-Blanche, Bulletin Joly
Bourse 2013 n° 9, p.447.
governance7
s'est accompagnée de critiques quant à leur implication au sein des sociétés cotées.
2) Participation à la vie sociale
En effet, l'augmentation du nombre d'investisseurs institutionnels dans le capital des sociétés
cotées a contribué à faire émerger des réflexions sur leur influence en assemblées générales et à
imposer qu'ils usent activement de leurs prérogatives d’actionnaire8
. En ce sens, le droit de vote
aux assemblées générales constitue un moyen efficace pour un investisseur de contrôler la gestion
des sociétés dont il détient des actions (par exemple par le biais du renouvellement ou non des
mandats sociaux exécutifs, d’une exigence de clarté sur l’affectation possible des autorisations
financières requises ou sur la politique de partage du profit lors de l’approbation des comptes) et
s'inscrit dans une stratégie d'actionnariat long-terme et responsable que les pouvoirs publics
promeuvent 9
. Inspiré des règles en vigueur au Royaume-Uni, le niveau d'engagement des
investisseurs se mesure alors notamment par leurs participations aux assemblées générales10
. Le
Stewardship Code anglais (code de bonne conduite à destination des investisseurs institutionnels
établis Outre-Manche) recommande ainsi que tous les investisseurs institutionnels délivrent des
informations sur leur politique de vote et sur l'exercice effectif de leurs droits11
. Cette tendance est
matérialisée en France par des obligations de transparence semblables mais qui ne pèsent que sur
un type particulier d'investisseurs institutionnels, les sociétés de gestions d’organismes de
placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou de fonds d’investissement alternatifs
(FIA)12
. Il est exigé que ces dernières, en leur qualité de mandataire discrétionnaire, rendent
compte à leur mandant de la manière dont elles exercent leur pouvoir d’influence politique. Il est
toutefois envisagé d'étendre ces règles à tous, également via l'élaboration d'un code de bonne
conduite des investisseurs, qui, sur le modèle britannique, se baserait sur le principe d’adhésion et
de « comply or explain13
».
L'intégration de telles normes fut également étudiée au niveau européen par la révision de la
7
Rapport d'information de l'Assemblée Nationale sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises
(2013).
8
Position-recommandation n°2005-19, L’exercice des droits de vote par les sociétés de gestion, Autorité des Marchés
Financiers (AMF).
9
Notamment Emmanuel Macron : « Retrouver l'esprit industriel du capitalisme », Le Monde, 24 avril 2015.
10
Corporate Governance Factbook, OCDE, 2015.
11
Principle n°6 UK Stewardship Code, Financial Reporting Council, 2012.
12
Article L533-22 du Code Monétaire et Financier.
13
Basée sur une idée « d'autorégulation », les investisseurs auraient alors à indiquer leur adhérence aux principes du
code ou à défaut, à expliquer pourquoi ils souhaitent y déroger. La création d'un tel code a notamment été soulevée
par M. Caprasse, responsable de l’activité gouvernance pour l’Europe du cabinet ISS et relevée dans le rapport déjà
évoqué note 7.
Directive 2007/36/CE dite « droits des actionnaires ». L'objectif était de responsabiliser ces grands
actionnaires et de les contraindre à s'engager dans la vie sociale des sociétés dans lesquelles ils
investissent afin de « contribuer à leur viabilité à long-terme »14
. En effet les niveaux de détention
des investisseurs institutionnels leur « confèrent un rôle de premier plan dans le capital des
entreprises, et laissent entrevoir, entre autres, l’influence [qu'ils] peuvent exercer sur les émetteurs
en terme de gouvernance 15
». Les engagements de transparence susmentionnés engendrent
toutefois d'importantes contraintes administratives pour des investisseurs détenant de nombreuses
participations dans différents pays.
3) La sophistication des résolutions d'assemblée générale
L’élaboration des projets de résolutions d'assemblées générales s’avère être un exercice difficile,
les subtilités de rédaction portant quelquefois de forts enjeux. L’assemblée générale française est
en effet amenée à se prononcer sur de nombreux sujets (approbation des comptes,
nomination/renouvellement d’administrateurs, rémunération des dirigeants avec l’introduction
récente du say on pay, approbation des conventions réglementées, modifications éventuelles des
statuts…). Les délégations financières ‒ permettant au conseil d'administration ou au directoire
d'user librement de prérogatives attribuées à l'assemblée générale ‒ font notamment l'objet d'une
attention toute particulière. Les éléments contenus dans ce type de résolution sur les plafonds de
montants, les imputations de ces montants d’une résolution à l’autre, les prix, les facultés
d’augmenter indirectement le capital par l’utilisation de valeurs mobilières complexes (émission
avec ou sans droit préférentiel de souscription), le niveau de dilution possible des actuels
actionnaires si l’entrée au capital peut être réservée à des bénéficiaires identifiés, sont regardés
avec minutie. Mais la technicité de ces délégations est réelle. Même si le rapport du Conseil
d’administration s’attache à faire de la pédagogie et à rendre les textes de résolutions plus lisibles
et reliés aux objectifs qui les sous-tendent, la tâche de l'actionnaire, même le plus engagé, au
moment où il s'apprête à faire usage de son droit de vote, n’est pas aisée. Cet exercice sera, par
ailleurs, répété dans l'ensemble des sociétés de son portefeuille d'investissement dont les
assemblées générales sont souvent organisées sur une même période annuelle. Rappelons
également que l'analyse des résolutions implique la maîtrise de l’univers normatif local en
constante évolution. Leur étude nécessite alors une expertise juridique particulière.
Voter à l'ensemble des assemblées générales nécessite donc la mobilisation de ressources de la part
14
Contexte de la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 2007/36/CE en vue de
promouvoir l'engagement à long-terme des actionnaires.
15
Exercice des droits de vote par les sociétés de gestion en 2014, Association Française de la gestion financière, 2015.
des investisseurs institutionnels et des gérants de fonds. Considérée comme « chronophage », cette
activité exige l'intervention d'un personnel dédié et qualifié. Afin de soulager leurs équipes tout en
s’engageant auprès des sociétés dont ils sont actionnaires, les investisseurs sont donc tentés de
s'appuyer sur les services d'agences en conseil de vote qui émettront un rapport sur ces résolutions,
suivi d'une recommandation de vote. Une nouvelle tendance positive semble toutefois émerger
chez les institutionnels français, comme nous le confirmait Loïc Dessaint, directeur général associé
du cabinet de conseil en gouvernance Proxinvest16
. Ceux-ci se dotent désormais de structures
internes dédiées à la définition d’une politique de vote : « qu’ils nous commandent un conseil
personnalisé ou pas, nos clients disposent de leur propre équipe, analystes ISR, analystes
financiers, responsables gouvernance…», l’agence n’est alors qu’un conseiller dans le processus
d'élaboration du vote. Néanmoins, même si tous ne s’y réfèrent pas exclusivement dans le cadre
de l’exercice de leurs droits de vote, certains commentateurs affirment que ces sociétés exercent
une influence démesurée comparable à celle « de propriétaires d’actions ayant personnellement
pris le risque économique de l’investissement et animés par l’affectio societatis17
».
Les sociétés de gestion semblent ainsi vouloir être plus directement à la manœuvre et faire l’effort
d’être les décideurs de premières lignes. Certains regrettent une passivité passée et expriment la
volonté de ne plus s’en remettre exclusivement à des opinions externes18
.
B. L'influence grandissante des agences en conseil de vote
La diversité des participations détenues dans différents pays et la difficulté à appréhender des
environnements légaux et réglementaires variés ont conduit un grand nombre d'investisseurs à se
tourner vers les proxy advisors. Dès lors, l'adoption des résolutions d'assemblée dépendent en
partie des recommandations de ces derniers.
1) Un nombre important de clients
Analysons tout d'abord le nombre d'actionnaires qui leur font confiance. Institutional Shareholders
Services (ISS), agence américaine la plus importante compte 1400 clients (50 en France)19
dont le
portefeuille d’actifs était estimé à 25 000 milliards de dollars (2007). Son premier concurrent
américain Glass Lewis & Company, 300 clients détenant 15 000 milliards de dollars d'actifs20
. Au
16
Nous remercions M. Dessaint pour ses réponses à nos questions.
17
Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA) – Position n°08-24.
18
La gouvernance des groupes cotés sous haute surveillance des societés de gestion, Les Échos, 2 février 2016.
19
Nous remercions Monsieur Caprasse pour ses réponses à nos questions.
20
Issues Relating to Firms That Advise Institutional Investors on Proxy Voting, US Government Accountability Office
Royaume-Uni, un sondage mené auprès d'investisseurs se référant au Stewardship Code a révélé
que 80% d'entre eux faisaient appel aux proxy advisors21
. Enfin, Proxinvest, agence française, a
indiqué conseiller une quarantaine de clients, et parmi eux, les plus actives sociétés de gestion
françaises22
. Sachant que 624 sociétés de gestion sont agrées par l'Autorité des Marchés Financiers
(AMF) 23
et qu’elles votent en moyenne (selon un sondage) pour 72% des actions qu'elles
possèdent24
.
2) Les hypothèses à prendre en compte pour mesurer l'influence des proxy advisors
On aperçoit dès lors toute l'étendue de l'influence que peuvent avoir ces agences sur le vote des
résolutions de nombreuses sociétés. La mesure exacte de cette influence n'est toutefois pas si
évidente. Aux États-Unis, terre d’élection des proxy advisors, les avis divergent selon les études.
Certaines estiment qu’une recommandation d'ISS pourrait modifier jusqu'à 30% du vote d'une
résolution25
. Ce chiffre est toutefois à nuancer car de nombreux paramètres sont à prendre en
compte pour analyser le choix de l'actionnaire. Trois professeurs américains relèvent ainsi
différentes hypothèses alternatives26
: (i) le proxy advisors n’est qu'un informateur qui fera gagner
du temps à l'investisseur. Ce dernier sera alors éclairé par les informations apportées par son
conseil et pourrait aboutir à la même décision de vote s'il avait les ressources nécessaires pour
effectuer l'analyse des résolutions par lui-même, (ii) le proxy advisors est choisi par l'investisseur
en raison d'une politique de vote à laquelle il adhère, (iii) il est probable que l'actionnaire utilise la
recommandation de l'agence comme base mais effectue une analyse interne aboutissant à la même
conclusion, ou enfin, (iv) l'investisseur choisit de suivre intégralement les recommandations sans
autre forme de recherche. Seule cette dernière hypothèse suggérerait alors que les proxy advisors
exercent une influence excessive, car peu tempérée par ses propres convictions et la relation qu’il
peut entretenir avec la société.
Concernant l'application de ces hypothèses en France, les informations apportées par M. Dessaint
laissent à penser que les investisseurs français répondent à l'hypothèse (iii)27
. Tandis que les
investisseurs américains et européens, actionnaires en France, se rangeront plutôt dans les
(GAO), 2007.
21
Adherence to the FRC's Stewardship Code, The Investment Association's survey, 2015.
22
Propos recueillis auprès de M. Dessaint.
23
Liste des sociétés de gestion agréées et en activité au 28 juillet 2015, AMF.
24
Exercice des droits de vote par les sociétés de gestion en 2014, Association Française de la gestion financière, 2015.
Il s'agit d'un sondage représentatif mené sur 58 sociétés de gestion françaises. La moitié des sondés a indiqué avoir
participé à plus de 100 assemblées générales sur l'année 2014.
25
J. Cai, Electing Directors, 64J. Fin. 2389, 2404 (2009).
26
The power of proxy advisors : myth or reality ?, S. Choi, J. Fisch et M. Kahan.
27
Selon son directeur général le pourcentage de clients de Proxinvest appliquant toutes les recommandations « devrait
être proche de 0%. »
hypothèses (ii) ou (iv), au vu du nombre important d'actifs qu'ils détiennent. Ces affirmations
générales dépendent toutefois de la taille de l'investisseur, de son pourcentage de détention dans
la société pour laquelle il demande conseil et de la sensibilité des résolutions qui y sont proposées :
un investisseur de taille28
, détenant une participation élevée dans une société à l'assemblée de
laquelle est proposée la nomination d'un nouvel administrateur aura tendance à analyser lui-même
les propositions quand bien même il solliciterait un conseil extérieur.
3) Quelques exemples récents
Les assemblées générales de l'année 2015 ont été marquées par l'entrée en vigueur des dispositions
de la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite « Loi Florange » sur
lesquelles les agences de vote avaient pris de fermes positions (notamment sur deux aspects phares
de la loi). L’article L225-123 du Code de commerce, modifié par ledit texte a rendu applicable de
plein droit, le principe des droits de vote double pour toute action nominative détenue depuis plus
de 2 ans. Les sociétés souhaitant l'écarter étaient alors invitées à effectuer une modification de
leurs statuts en assemblée générale. L'ensemble des proxy advisors a formulé des critiques quant
à l'intégration de ce droit estimant que l'idée « une action, une voix » protégeait les investisseurs
institutionnels et était plus conforme au principe de démocratie actionnariale29
. Ces agences
recommandaient donc aux actionnaires dont il n'était pas proposé de faire barrage aux droits de
vote double de voter contre d'autres propositions en guise de protestation (réélections
d'administrateurs ou membres du conseil de surveillance ou encore approbation des comptes).
La deuxième source de conflits instituée par la loi Florange fut la suppression du principe de
neutralité des organes de direction en période d'offre publique sur la société30
induisant la
possibilité d’utiliser les délégations d’augmentation de capital durant cette période, principe contre
lequel se sont prononcées les agences en militant pour une suspension systématique.
Les exemples suivants illustrent les points de tension.
Certains investisseurs, relayant la position de l’activiste PhiTrust Active Investors, ont décidé de
se fédérer afin de demander l’inscription à l’ordre du jour d’une résolution aux assemblées
28
Voir note 20.
29
En effet, même si certains investisseurs institutionnels étaient propriétaires d'actions depuis plus de deux ans, ceux-
ci les détiennent sous la forme dite « au porteur » pour des raisons de commodité administrative, excluant alors le
régime légal institué par la loi Florange.
30
Désormais, le conseil d'administration ou le directoire de la société cible pourra prendre toutes les mesures qui font
partie de ses prérogatives pour faire échouer l'offre. Afin de réduire ces prérogatives les résolutions de l'assemblée
générale doivent en interdire l'utilisation en période d'offre. Article L233-32 et L233-33 du Code de commerce.
générales d'Orange (l’État étant présent au capital) et Vivendi31
visant à modifier les statuts pour
faire appliquer le principe du droit de vote simple.
Soutenues par les proxy advisors32
ces résolutions ont reçu respectivement 43,3% et 50,15%
d'approbation (les actionnaires auteurs des résolutions ne représentaient pour ces deux sociétés
qu’1% et 1,96% du capital). Des résultats insuffisants pour modifier les statuts33
mais qui
démontrent la force d’action d'un investisseur activiste soutenu par des agences de conseil en vote.
Ces deux parties avaient notamment entamé un dialogue en amont dès le mois de janvier afin
d'alerter sur ces conflits potentiels au moment des assemblées générales. Cet appel a, semble-t-il,
été ignoré par les dirigeants.
Certaines délégations financières proposées à l'assemblée générale de ces sociétés ‒ permettant au
conseil d'administration d'augmenter le capital y compris en période d’offre ‒ ont quant à elles été
rejetées (Orange, Vivendi, Air France-KLM).
S’agissant des assemblées 2016, les sujets sur lesquels les agences de vote se montreront les plus
intransigeantes seront à en croire leur politique de vote affichée, la rémunération des dirigeants, la
structuration des conseils, le cumul des mandats et les opérations financières.
En 2015, Proxinvest s'est ainsi prononcé en moyenne contre 34,8% des résolutions des sociétés du
CAC 40, alors que seules 20 résolutions ont été rejetées sur la même période34
. Dès lors, l'agence
française se défend d'exercer une influence excessive et se définit comme « messager et conseiller
d’investisseurs qui ont défini leur propre politique de vote et assument pleinement la défense de
leur droit35
». Ce constat pourrait être différent chez les sociétés américaines en raison du nombre
et de la typologie de leurs clients36
.
Ainsi, au vu de leur influence et en l'absence de législation, de nombreux auteurs (français et
européens notamment) et autorités financières se sont interrogés sur la nécessité d'un encadrement
de l'activité des agences de conseil en vote. Une régulation semble en effet primordiale pour
assurer une meilleure transparence des méthodes et discipliner le dialogue entre les différents
acteurs intervenants dans la préparation et le vote des assemblées générales.
31
L'article L225-105 du Code de commerce permet à un ou plusieurs actionnaires représentant un certain pourcentage
de détention (calculé selon les modalités de l'article R225-71) de présenter un projet de résolution.
32
Pourquoi il faut soutenir la résolution Phitrust “une action = une voix” à l’AG Vivendi?, site internet Proxinvest.
33
Une résolution proposant une telle modification requiert une majorité des deux tiers. Article L225-96 du Code de
commerce.
34
Bilan des assemblées générales du CAC 40, Capitalcom.
35
Orange, une assemblée très contestée avec un score remarquable pour Phitrust et cinq rejets, Site internet
Proxinvest.
36
Voir infra note 20.
II. L’encadrement progressif des agences de conseil en vote
La question de l’encadrement des pratiques des agences de conseil en vote n’est pas nouvelle.
L’évolution récente a néanmoins mis en lumière une volonté commune d’aboutir à un
meilleur encadrement de l’activité de ces proxy advisors (A). Il reste donc à se demander si
cette prise de conscience a su répondre aux attentes des différents acteurs et si des progrès
doivent encore être réalisés en la matière (B).
A. La prise de conscience commune d’une nécessité d'encadrement
L’influence croissante des agences de conseil les érigeant en véritable groupe de pression, a nourri
des inquiétudes. Les pratiques des agences étaient, dans le même temps insuffisamment
transparentes si bien que l’établissement d’un cadre juridique s’avérait indispensable.
1) Une remise en question des pratiques des agences de conseil en vote
L’une des premières observations des émetteurs et des praticiens fut le manque de transparence
des agences de conseil en vote. Les critiques les plus fortes se focalisaient plus particulièrement
sur la mise à disposition des politiques de vote et les méthodologies d’élaboration de ces dernières.
La mise à disposition des politiques de vote est pourtant primordiale pour les émetteurs comme
pour les investisseurs car elle permet une meilleure compréhension des choix des agences et donc
une meilleure lisibilité des recommandations émises par celles-ci37
.
Au-delà de la question de la transparence, c’est l’organisation interne des agences de conseil en
vote qui suscite également des interrogations. Transparence sur les moyens tout d’abord mais aussi
démonstration de la qualité des équipes : capacité à affiner la recommandation en fonction de
l’écosystème de l’entreprise, à dépasser des pétitions de principe pouvant de ce fait apparaitre
artificielles ‒ voire partisanes ‒, organisation interne adéquate, respect du droit de réponse des
sociétés et relais auprès des clients conseillés du débat contradictoire, tels sont les thèmes à
explorer38
.
37
Recommandation n°2011-06, Agences de conseil en vote, AMF.
38
Pour une étude approfondie voir le document relevé à la note 6.
La gestion des conflits d’intérêts au sein de ces agences est évidemment essentielle. Si certaines
d’entre elles refusent l’idée de fournir des prestations aux émetteurs tout en conseillant leurs
actionnaires, d’autres agences sont moins catégoriques sur ce point. La double activité n’est pas
problématique en soi mais n’est admissible que si les conflits potentiels sont correctement
identifiés, affichés et gérés avec la mise en place des véritables « murailles de Chine ». Dans un
autre domaine mais dont le principe est le même, l’AMF impose39
aux prestataires de service
d’investissement d’opérer une distinction matérielle entre les activités d’analyse financière et de
banque d’affaires40
. Une telle obligation n’existe pourtant pas pour les agences de conseil en vote.
La création d’une cloison étanche nous paraît pourtant absolument nécessaire compte tenu des
risques évidents de conflits d’intérêts.
De plus, de telles séparations ne peuvent que constituer une garantie supplémentaire pour les
clients.
La prévention des conflits d’intérêts ne doit pas pour autant se limiter à la simple séparation des
activités mais doit également se matérialiser par des obligations de révélation et de retrait. Telle a
ainsi été l’orientation prise par les Etats-Unis, qui, à la différence de la France, ont mis en place
des règles contraignantes obligeant les proxy advisors enregistrés en tant qu’investment advisers à
identifier et révéler tout conflit d’intérêts potentiel41
. En 2011 l’AMF adoptait quant à elle une
recommandation similaire et proposait que l’agence de conseil mentionne expressément dans tout
rapport d’analyse ses éventuels liens d’intérêt avec la société dont elle analyse les projets. Il ne
s’agissait cependant que d’une « simple » recommandation et non d’une législation au sens strict.
La réflexion a également porté sur le manque de dialogue entre les proxy advisors et les sociétés
cotées. Il n’est pas rare que les consignes de vote soient transmises trop tardivement aux clients,
empêchant ainsi un véritable processus d’échange entre les sociétés cotées et les agences42
. L’AMF
recommandait que la société puisse disposer d’un délai minimum de 24 heures pour faire part de
ses remarques ou commentaires éventuels, dès lors que la société avait communiqué à l’agence
dans un délai de 35 jours avant la tenue de l’assemblée générale ses projets de résolution43
. Le
dialogue entre les agences de conseil en vote et les émetteurs doit être encouragé et renforcé, un
travail commun permettrait d’avoir de véritables réflexions sur la gouvernance des émetteurs et
éviter l’écueil de la « pensée unique ».
39
Article 313-20 du Règlement général de l’AMF.
40
Voir note 1.
41
Idem.
42
Voir note 6.
43
Il s’agit du délai maximal auquel l’avis de réunion doit être publié au BALO. Article R225-73 du Code de
commerce.
2) Un premier pas vers un encadrement des pratiques
Face à ces préoccupations, l’intervention des autorités de régulation européennes ou au moins
nationales semblait inéluctable. L’AMF a alors posé la première pierre par une recommandation
du 18 mars 2011 dont nous avons déjà évoqué le contenu. L’Autorité se dit favorable « à l’exercice
effectif du droit de vote des actionnaires en assemblée générale » et donc au recours à ces agences
de conseil, mais relève tout de même les inquiétudes des émetteurs qui viennent d’être exposées44
.
L’élaboration et la communication de la politique de vote, la diffusion des recommandations,
l’amélioration du dialogue entre émetteurs et agences de conseil de vote et la problématique des
conflits d’intérêts sont au cœur de la réflexion du gendarme des marchés français. Si ce premier
pas était globalement salué par l’ensemble des émetteurs, il ne créait aucun cadre juridique et
n’envisageait aucune règle contraignante pour encadrer l’activité des agences, comme cela pouvait
être le cas pour les investment advisers américains. Les souhaits des sociétés cotées et de la
doctrine n’étaient donc que partiellement exaucés.
C’est finalement l’ESMA qui tenta pour la première fois de poser un véritable cadre. Elle proposa
ainsi de rédiger un code européen de conduite, créé par les participants eux-mêmes, et qui
regrouperait un ensemble de règles de bonne conduite applicables aux signataires dans le cadre de
leur activité45
. Acôté de ces règles, la création d’un comité représentatif périodique « censé inclure
une représentation relativement variée du marché des agences de conseil » était également prévue,
tout comme l’obligation faite aux proxy advisors de rédiger un compliance statement, une
déclaration de conformité. On reconnaît évidemment la reproduction d’une méthodologie
désormais bien rodée s’agissant de la corporate governance : code de pratiques, démarche
d’adhésion dont les acteurs rendent compte au travers d’un rapport, et autorégulation au travers
d’un comité dont la composition reflète les acteurs auxquels le code a vocation à s’appliquer, en
charge du contrôle et de proposer des voies d’amélioration.
L’encadrement des proxy advisors passera donc par la soft-law et l’autodiscipline.
Les six principales agences de conseil en vote dont ISS, Glass Lewis & Co et Proxinvest ont donc
rédigé en 2014, les Best Practice Principles (BPP). Ce « code de bonne conduite » présente trois
44
Cf sous-partie précédente.
45
Voir Feedback statement on the consultaton regarding the role of the proxy advisors industry, ESMA/2013/84 et
ESMA et agences de conseil en vote : un rapprochement délicat à la recherche d’une transparence volontaire,
Sergakis, Konstantinos, Bulletin Joly Bourse, No. 4, 2013, p. 198-204.
principes généraux que nous allons brièvement évoquer.
Le premier s’intéresse à la qualité du service et tente de répondre aux exigences relatives à
l’élaboration des politiques et recommandations de vote. Le code dispose notamment que les
signataires doivent expliquer comment leurs politiques de vote ont été développées et mises à
jour46
.
Le second principe concerne la question très attendue de la prévention des conflits d’intérêts. Le
code de bonne conduite impose aux signataires de rendre accessible leur politique liée à ces conflits
d’intérêts et notamment la manière dont les conflits potentiels seront révélés aux clients. Une liste
non-limitative de cas susceptibles de mettre en question l’indépendance et l’impartialité des
équipes vient compléter cette règle. Le code adopte d’ailleurs une approche particulière puisqu’il
distingue les conflits potentiels des conflits « réels » et les conflits « gérables » des conflits « non-
gérables ».
Enfin, le troisième principe répond aux préoccupations concernant la transparence et impose entre
autre la communication au public et aux investisseurs des politiques de votes47
.
On l’aura compris, la question aujourd’hui n’est donc plus de savoir si les agences de conseil en
vote doivent être encadrées ou non, mais de savoir si elles le sont suffisamment.
B. Un bilan provisoire en demi-teinte.
Les BPP n’ont été adoptées que récemment, il est donc difficile d’en tirer un bilan définitif et
d’évaluer précisément les conséquences de ces règles sur la pratique quotidienne des agences. Il
est revanche possible de s’intéresser à la conformité de ces dernières aux recommandations émises
par l’ESMAen 2013. Nous tenterons donc de dresser un bilan provisoire de ce nouvel encadrement
au regard du « follow-up » de 2015 l’ESMA48
, des critiques émises antérieurement et, puisque
cette fenêtre d’expression nous est accordée, de nos avis personnels.
1) Des progrès notables
Les critiques ayant été nombreuses, il convient de souligner les efforts effectués par les agences
de conseil en vote et de nuancer quelque peu l’image que la doctrine et les émetteurs ont eu trop
tendance à noircir, manquant souvent de mettre en avant le rôle positif que ces regards extérieurs
46
« They should explain whether and how the incorporate feedback into the development of voting policies. They
should disclose the timing of their policy updates and policies. »
47
L’ensemble des BPP est disponible sur le site internet http://www.bppgrp.info.com.
48
Report on the development of the best practice principles for providers of shareholder voting research and analysis–
ESMA /2015/1887.
peuvent jouer dans la vie des sociétés cotées et de leur effet stimulant, obligeant à se défendre et à
mieux s’expliquer, et donc à être plus transparent.
Suivons le cheminement de l’ESMA et commençons par les impératifs de transparence des
politiques de vote et des recommandations. Les préoccupations des émetteurs et des investisseurs
ont été entendues par les agences de conseil en vote qui se sont attachées à rendre publique leur
politique de vote annuelle. Ces politiques sont très facilement accessibles sur les différents sites
internet et prennent position sur de nombreux sujets. Certaines agences mettent également à
disposition des journalistes et des actionnaires présents à l’assemblée générale les
recommandations qu’elles ont émises pour le vote des résolutions de cette dernière.49
.
Nous regretterons tout de même le caractère général de ces politiques de vote annuelles qui,
demeurent par construction trop globalisatrices et constituent plus une sorte de vitrine,
démonstrative des principes de bonne gouvernance d’entreprise, ce qui en effet ne peut que susciter
l’accord du plus grand nombre. De plus, et globalement du moins, les politiques de vote accessibles
ne brillent pas par leur force d’analyse et leur nuance. Les recommandations sont rarement étayées
par une démarche scientifique, pleinement objective, ou des études d’impact et des benchmarks.
On atteint ici d’ailleurs une des limites d’une analyse globale et l’on peut espérer que les conseils
individuels délivrés aux clients de ces agences (auxquels nous n’avons pas accès) remédient à cette
généralité apparente.
Il nous semble de ce point de vue que la balle est d’abord dans le camp des clients. C’est à eux
qu’il appartient en premier lieu d’exiger de leurs prescripteurs des prestations de qualité.
A l’actif des règles de bonne conduite, et de l’aveu de M. Dessaint, la rédaction du « code » a
permis à l’ensemble des agences de conseil en vote de formaliser leur politique de dialogue. Ces
nouvelles politiques « poussent les émetteurs à venir discuter en amont de la préparation de leur
assemblée générale avec les agences et le dialogue s’en trouve donc amélioré ». Une telle évolution
ne peut être que saluée.
La pratique des compliance statements50
nourrit aussi le volet de l’optimisme. A l’instar des
rapports sur le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, les compliance statements ont pour
but de rendre compte individuellement de la politique et de la pratique des agences de conseil au
49
Voir notamment : http://www.issgovernance.com/policy-gateway/2016-policy-information/,
http://www.proxinvest.fr/?page_id=881, http://www.glasslewis.com/guidelines/.
50
« ESMA considers that Compliance Statements sow an important effort from signatories to clarify and formalize
practices with the aim to reinsure their clients and other markets participants. »
regard des règles auxquelles elles ont adhéré. En l’absence de consécration légale, l’efficacité des
règles de bonne conduite repose aujourd’hui entièrement sur le principe comply or explain. Seul
bémol à relever: les différences importantes existantes entre les Compliance Statements : tous
n’affichent pas le même niveau de détail.
2) Des améliorations toujours attendues : le bilan de l’ESMA
Deux problèmes majeurs viennent entacher le bilan prometteur des agences. Concernant les
conflits d’intérêts d’abord. Le Régulateur européen est dans l’ensemble satisfait du travail
accompli même si il relève certaines ambiguïtés concernant la distinction conflit « gérable » et
« non-gérable » qu’elle suggère de clarifier. La question de la double-activité pourtant au cœur des
débats ne parait toujours pas complètement traitée. Lors de la rédaction du code, quelques agences
signataires, souhaitaient bannir les prestations de conseils aux émetteurs analysés tandis que
d’autres ne voyaient aucun problème à la double activité dès lors que des politiques de révélation
et de retrait étaient mises en place. C’est cette dernière solution qui fut finalement retenue. La
grande muraille attendra.
En outre, l’organisation du comité représentatif périodique est aussi pointée du doigt. Si Monsieur
le professeur Zetzsche a été nommé à la tête du comité à la suite de la publication des BPP, aucune
règle n’a été adoptée pour en assurer l’organisation interne. L’ESMA recommande d’ailleurs que
le Best Practice Principles Group soit organisé de « manière transparente » pour assurer une
meilleure visibilité. Au même titre que les déclarations de conformité, le comité joue un rôle
central dans la bonne application des règles des BPP, son organisation et ses pouvoirs doivent de
ce fait être clairement établis. Conscientes de l’importance de la gouvernance de leur groupe, les
agences ont commencé à travailler sur un projet de règlement intérieur « en vue de la mise à jour
des principes à partir de l’été 2016 ».
Nous serons donc attentifs au prochain bilan de l’ESMA qui ne manquera pas d’évaluer
l’application de ces règles par les agences et notamment celles relatives à la gestion des conflits
d’intérêts et à la transparence des méthodologies qui semblent encore lacunaires. Sans doute
conviendrait-il également de renforcer le principe du comply or explain sur lequel repose
l’application des BPP51
. L’insuffisance de certaines déclarations de conformité prouve qu’un
renforcement du principe serait utile. Concernant la gouvernance des émetteurs, l’AMF a mis en
51
Codes de gouvernement d'entreprise : recommandation de la Commission européenne sur le principe « appliquer
ou expliquer » – Benoît Lecourt – Rev. sociétés 2014. p683.
place le principe du name and shame qui lui permet de citer les sociétés dont les explications ne
sont pas satisfaisantes. En évitant toute stigmatisation, l’ESMA pourrait à l’identique se livrer à
un même contrôle.
L’encadrement des pratiques des agences de conseil en vote est d’actualité. Si les résultats sont
dans l’ensemble encourageants, des progrès sont possibles et passent par une responsabilisation
de l’ensemble des parties prenantes. Les efforts ne sont jamais à sens unique.

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  • 1. Agences de conseil en vote, état des lieux et encadrement des pratiques Guilhaume Agbodjan Master of Laws (LL.M.) in International Corporate Finance – University of Reading, Reading (UK) et Stéphane Heip Master 2 Business, Tax and Financial Market Law – Université Paris-Saclay, Sceaux encadrés par Catherine Maison-Blanche Senior Consultant - Allen & Overy. Les agences de conseil en vote (proxy advisors) sont principalement chargées d'analyser les projets de résolutions d'assemblées générales de sociétés cotées afin d'émettre des recommandations de vote pour leurs clients essentiellement des investisseurs institutionnels. Leur activité a fait l'objet de nombreuses inquiétudes ces dernières années en raison de leur influence sur la gouvernance d'entreprise dont ils ne sont pas actionnaires. En l'absence de législation réglementant leur industrie, la doctrine s'est notamment interrogée sur leurs méthodes de travail et sur la survenance d'éventuels conflits d'intérêts liés à leurs activités. Afin de faire preuve de transparence, les proxy advisors ont rédigé en 2014 un code de bonne conduite dont les effets méritent d'être évalués. The role of proxy advisors is to analyse general meeting's resolutions of listed companies in order to issue voting recommendations to their clients (institutional shareholders). During the last few years, several scholars have been worrying about the influence these advisors could have on companies' corporate governance considering that they are not shareholders of those firms. Moreover, because proxy advisors' activity was not regulated in Europe, corporate governance
  • 2. specialists questioned their methodology and the eventuality of conflicts of interest that might arise. Therefore, proxy advisors, drafted a code of conduct in 2014 in order to improve the transparency of their activity. We will try to assess its effects. Les proxy advisors se sont érigés en acteurs incontournables de la gouvernance des sociétés cotées, à tel point que les agences les plus importantes jouissent aujourd'hui d'une influence considérable dans l'adoption ou le rejet d'une résolution d'assemblée générale. L'éclatement progressif du capital des sociétés françaises lié à la présence croissante d'investisseurs étrangers pas toujours au fait des subtilités de notre droit interne et de ses plus récents développements, à la recherche de pédagogie et d’assistance, a ainsi contribué à leur pouvoir. Les émetteurs sont alors amenés à engager un dialogue avec ces agences et, en pratique, à appliquer leurs critères de gouvernance, au risque de subir le rejet ou l'adoption à une faible majorité (ce qui est souvent vu comme un vote de défiance) des résolutions proposées à leurs actionnaires1 . Les inquiétudes soulevées par leur activité ont conduit l'European Securities and Markets Authority (ESMA) à proposer la rédaction d’un code de bonne conduite répondant notamment aux préoccupations concernant la gestion des conflits d'intérêts, la qualité de leurs conseils et la méthodologie d’élaboration de leurs recommandations2 . Après une première année d'application du code, l'ESMA est revenue sur les changements qu'il a engendrés et a salué l'effort global de l'industrie3 . Est-ce toutefois suffisant pour instituer une relation saine entre agences et émetteurs au moment des assemblées générales ? Nous nous appuierons sur les différents rapports, études et statistiques disponibles afin d'analyser le développement et l'influence des agences de conseil en vote en France (I) ayant conduit à l'encadrement progressif de leur activité et tâcherons d'évaluer les solutions apportées (II). 1 Faut-il encadrer l'activité des agences de conseil en vote ?, Alexandre Omaggio, JCP - Édition Entreprise et Affaires, n°46, 2065. 2 Feedback statement on the consultation regarding the role of the proxy advisory industry, ESMA, 2013. 3 Follow-up on the development of the Best Practice Principles for Providers of Shareholder Voting Research and Analysis, ESMA, 2015.
  • 3. I. Le développement des proxy advisors en France Les récents principes de bonne gouvernance inspirés des pratiques britanniques ont fait naître de nouvelles exigences à l'encontre d'investisseurs institutionnels, en particulier les gérants de fonds (fonds de pension notamment) pour compte de tiers, détenteurs de multiples participations dans nos sociétés cotées. Il s'agit là, selon nous, de l'une des principales causes de l'émergence de ces conseils en vote (A). Intervenant dans le cadre des assemblées générales de ces groupes cotés, ils se sont ainsi imposés comme acteurs influents et incontournables de ces grands-messes annuelles (B). A. Un contexte favorable à l'émergence de conseils en bonne gouvernance 1) Un nombre croissant d'investisseurs institutionnels La clientèle des proxy advisors est constituée d’investisseurs institutionnels. Leur présence croissante en France et le recul des actionnaires individuels directs, lesquels préfèrent confier leurs investissements sur les marchés à des professionnels et recourir à l’intermédiation, expliquent donc inévitablement le développement de ces agences. Une étude récente sur le paysage de l'actionnariat français indiquait ainsi que la part des épargnants individuels dans le capital des sociétés cotées n'avait cessé de diminuer depuis 2009, passant de 13% à 6,6% en mars 20154 . En conséquence, le taux de détention directe de ces actionnaires ne représente plus, en moyenne, que 8% du capital social des sociétés du CAC 405 (et plus de 30% dans deux groupes français uniquement). Ces chiffres illustrent l’éclatement du capital des sociétés françaises et la fin d'une période où des familles et sociétés non financières caractérisaient les tours de table actionnariaux. Par ailleurs, les statistiques démontrent une plus grande présence des étrangers dans le capital des sociétés françaises : les actionnaires non-résidents détenaient 45,3% des actions du CAC 40 en 2014 après avoir concentré jusqu'à 47,6% en 2013. Un auteur analysant la typologie des actionnaires français attribuait ce phénomène d'institutionnalisation de la propriété du capital à son internationalisation6 . Cette nouvelle structure de l'actionnariat français a conduit à s'interroger sur la gouvernance des sociétés cotées. Par ailleurs, l'intégration de « nouveaux propriétaires » mus par des objectifs de profits rapides et moins concernés par les problématiques de corporate 4 Etude TNS Sofres – Étude Sofia – Épargnants et investisseurs. 5 Étude sur les dispositifs de communication des sociétés cotées à destination de leurs actionnaires individuels, Autorités des Marchés Financiers (AMF), 2015. 6 Les agences de conseil en vote : réflexion sur l'encadrement des pratiques, Catherine Maison-Blanche, Bulletin Joly Bourse 2013 n° 9, p.447.
  • 4. governance7 s'est accompagnée de critiques quant à leur implication au sein des sociétés cotées. 2) Participation à la vie sociale En effet, l'augmentation du nombre d'investisseurs institutionnels dans le capital des sociétés cotées a contribué à faire émerger des réflexions sur leur influence en assemblées générales et à imposer qu'ils usent activement de leurs prérogatives d’actionnaire8 . En ce sens, le droit de vote aux assemblées générales constitue un moyen efficace pour un investisseur de contrôler la gestion des sociétés dont il détient des actions (par exemple par le biais du renouvellement ou non des mandats sociaux exécutifs, d’une exigence de clarté sur l’affectation possible des autorisations financières requises ou sur la politique de partage du profit lors de l’approbation des comptes) et s'inscrit dans une stratégie d'actionnariat long-terme et responsable que les pouvoirs publics promeuvent 9 . Inspiré des règles en vigueur au Royaume-Uni, le niveau d'engagement des investisseurs se mesure alors notamment par leurs participations aux assemblées générales10 . Le Stewardship Code anglais (code de bonne conduite à destination des investisseurs institutionnels établis Outre-Manche) recommande ainsi que tous les investisseurs institutionnels délivrent des informations sur leur politique de vote et sur l'exercice effectif de leurs droits11 . Cette tendance est matérialisée en France par des obligations de transparence semblables mais qui ne pèsent que sur un type particulier d'investisseurs institutionnels, les sociétés de gestions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou de fonds d’investissement alternatifs (FIA)12 . Il est exigé que ces dernières, en leur qualité de mandataire discrétionnaire, rendent compte à leur mandant de la manière dont elles exercent leur pouvoir d’influence politique. Il est toutefois envisagé d'étendre ces règles à tous, également via l'élaboration d'un code de bonne conduite des investisseurs, qui, sur le modèle britannique, se baserait sur le principe d’adhésion et de « comply or explain13 ». L'intégration de telles normes fut également étudiée au niveau européen par la révision de la 7 Rapport d'information de l'Assemblée Nationale sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises (2013). 8 Position-recommandation n°2005-19, L’exercice des droits de vote par les sociétés de gestion, Autorité des Marchés Financiers (AMF). 9 Notamment Emmanuel Macron : « Retrouver l'esprit industriel du capitalisme », Le Monde, 24 avril 2015. 10 Corporate Governance Factbook, OCDE, 2015. 11 Principle n°6 UK Stewardship Code, Financial Reporting Council, 2012. 12 Article L533-22 du Code Monétaire et Financier. 13 Basée sur une idée « d'autorégulation », les investisseurs auraient alors à indiquer leur adhérence aux principes du code ou à défaut, à expliquer pourquoi ils souhaitent y déroger. La création d'un tel code a notamment été soulevée par M. Caprasse, responsable de l’activité gouvernance pour l’Europe du cabinet ISS et relevée dans le rapport déjà évoqué note 7.
  • 5. Directive 2007/36/CE dite « droits des actionnaires ». L'objectif était de responsabiliser ces grands actionnaires et de les contraindre à s'engager dans la vie sociale des sociétés dans lesquelles ils investissent afin de « contribuer à leur viabilité à long-terme »14 . En effet les niveaux de détention des investisseurs institutionnels leur « confèrent un rôle de premier plan dans le capital des entreprises, et laissent entrevoir, entre autres, l’influence [qu'ils] peuvent exercer sur les émetteurs en terme de gouvernance 15 ». Les engagements de transparence susmentionnés engendrent toutefois d'importantes contraintes administratives pour des investisseurs détenant de nombreuses participations dans différents pays. 3) La sophistication des résolutions d'assemblée générale L’élaboration des projets de résolutions d'assemblées générales s’avère être un exercice difficile, les subtilités de rédaction portant quelquefois de forts enjeux. L’assemblée générale française est en effet amenée à se prononcer sur de nombreux sujets (approbation des comptes, nomination/renouvellement d’administrateurs, rémunération des dirigeants avec l’introduction récente du say on pay, approbation des conventions réglementées, modifications éventuelles des statuts…). Les délégations financières ‒ permettant au conseil d'administration ou au directoire d'user librement de prérogatives attribuées à l'assemblée générale ‒ font notamment l'objet d'une attention toute particulière. Les éléments contenus dans ce type de résolution sur les plafonds de montants, les imputations de ces montants d’une résolution à l’autre, les prix, les facultés d’augmenter indirectement le capital par l’utilisation de valeurs mobilières complexes (émission avec ou sans droit préférentiel de souscription), le niveau de dilution possible des actuels actionnaires si l’entrée au capital peut être réservée à des bénéficiaires identifiés, sont regardés avec minutie. Mais la technicité de ces délégations est réelle. Même si le rapport du Conseil d’administration s’attache à faire de la pédagogie et à rendre les textes de résolutions plus lisibles et reliés aux objectifs qui les sous-tendent, la tâche de l'actionnaire, même le plus engagé, au moment où il s'apprête à faire usage de son droit de vote, n’est pas aisée. Cet exercice sera, par ailleurs, répété dans l'ensemble des sociétés de son portefeuille d'investissement dont les assemblées générales sont souvent organisées sur une même période annuelle. Rappelons également que l'analyse des résolutions implique la maîtrise de l’univers normatif local en constante évolution. Leur étude nécessite alors une expertise juridique particulière. Voter à l'ensemble des assemblées générales nécessite donc la mobilisation de ressources de la part 14 Contexte de la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l'engagement à long-terme des actionnaires. 15 Exercice des droits de vote par les sociétés de gestion en 2014, Association Française de la gestion financière, 2015.
  • 6. des investisseurs institutionnels et des gérants de fonds. Considérée comme « chronophage », cette activité exige l'intervention d'un personnel dédié et qualifié. Afin de soulager leurs équipes tout en s’engageant auprès des sociétés dont ils sont actionnaires, les investisseurs sont donc tentés de s'appuyer sur les services d'agences en conseil de vote qui émettront un rapport sur ces résolutions, suivi d'une recommandation de vote. Une nouvelle tendance positive semble toutefois émerger chez les institutionnels français, comme nous le confirmait Loïc Dessaint, directeur général associé du cabinet de conseil en gouvernance Proxinvest16 . Ceux-ci se dotent désormais de structures internes dédiées à la définition d’une politique de vote : « qu’ils nous commandent un conseil personnalisé ou pas, nos clients disposent de leur propre équipe, analystes ISR, analystes financiers, responsables gouvernance…», l’agence n’est alors qu’un conseiller dans le processus d'élaboration du vote. Néanmoins, même si tous ne s’y réfèrent pas exclusivement dans le cadre de l’exercice de leurs droits de vote, certains commentateurs affirment que ces sociétés exercent une influence démesurée comparable à celle « de propriétaires d’actions ayant personnellement pris le risque économique de l’investissement et animés par l’affectio societatis17 ». Les sociétés de gestion semblent ainsi vouloir être plus directement à la manœuvre et faire l’effort d’être les décideurs de premières lignes. Certains regrettent une passivité passée et expriment la volonté de ne plus s’en remettre exclusivement à des opinions externes18 . B. L'influence grandissante des agences en conseil de vote La diversité des participations détenues dans différents pays et la difficulté à appréhender des environnements légaux et réglementaires variés ont conduit un grand nombre d'investisseurs à se tourner vers les proxy advisors. Dès lors, l'adoption des résolutions d'assemblée dépendent en partie des recommandations de ces derniers. 1) Un nombre important de clients Analysons tout d'abord le nombre d'actionnaires qui leur font confiance. Institutional Shareholders Services (ISS), agence américaine la plus importante compte 1400 clients (50 en France)19 dont le portefeuille d’actifs était estimé à 25 000 milliards de dollars (2007). Son premier concurrent américain Glass Lewis & Company, 300 clients détenant 15 000 milliards de dollars d'actifs20 . Au 16 Nous remercions M. Dessaint pour ses réponses à nos questions. 17 Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA) – Position n°08-24. 18 La gouvernance des groupes cotés sous haute surveillance des societés de gestion, Les Échos, 2 février 2016. 19 Nous remercions Monsieur Caprasse pour ses réponses à nos questions. 20 Issues Relating to Firms That Advise Institutional Investors on Proxy Voting, US Government Accountability Office
  • 7. Royaume-Uni, un sondage mené auprès d'investisseurs se référant au Stewardship Code a révélé que 80% d'entre eux faisaient appel aux proxy advisors21 . Enfin, Proxinvest, agence française, a indiqué conseiller une quarantaine de clients, et parmi eux, les plus actives sociétés de gestion françaises22 . Sachant que 624 sociétés de gestion sont agrées par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) 23 et qu’elles votent en moyenne (selon un sondage) pour 72% des actions qu'elles possèdent24 . 2) Les hypothèses à prendre en compte pour mesurer l'influence des proxy advisors On aperçoit dès lors toute l'étendue de l'influence que peuvent avoir ces agences sur le vote des résolutions de nombreuses sociétés. La mesure exacte de cette influence n'est toutefois pas si évidente. Aux États-Unis, terre d’élection des proxy advisors, les avis divergent selon les études. Certaines estiment qu’une recommandation d'ISS pourrait modifier jusqu'à 30% du vote d'une résolution25 . Ce chiffre est toutefois à nuancer car de nombreux paramètres sont à prendre en compte pour analyser le choix de l'actionnaire. Trois professeurs américains relèvent ainsi différentes hypothèses alternatives26 : (i) le proxy advisors n’est qu'un informateur qui fera gagner du temps à l'investisseur. Ce dernier sera alors éclairé par les informations apportées par son conseil et pourrait aboutir à la même décision de vote s'il avait les ressources nécessaires pour effectuer l'analyse des résolutions par lui-même, (ii) le proxy advisors est choisi par l'investisseur en raison d'une politique de vote à laquelle il adhère, (iii) il est probable que l'actionnaire utilise la recommandation de l'agence comme base mais effectue une analyse interne aboutissant à la même conclusion, ou enfin, (iv) l'investisseur choisit de suivre intégralement les recommandations sans autre forme de recherche. Seule cette dernière hypothèse suggérerait alors que les proxy advisors exercent une influence excessive, car peu tempérée par ses propres convictions et la relation qu’il peut entretenir avec la société. Concernant l'application de ces hypothèses en France, les informations apportées par M. Dessaint laissent à penser que les investisseurs français répondent à l'hypothèse (iii)27 . Tandis que les investisseurs américains et européens, actionnaires en France, se rangeront plutôt dans les (GAO), 2007. 21 Adherence to the FRC's Stewardship Code, The Investment Association's survey, 2015. 22 Propos recueillis auprès de M. Dessaint. 23 Liste des sociétés de gestion agréées et en activité au 28 juillet 2015, AMF. 24 Exercice des droits de vote par les sociétés de gestion en 2014, Association Française de la gestion financière, 2015. Il s'agit d'un sondage représentatif mené sur 58 sociétés de gestion françaises. La moitié des sondés a indiqué avoir participé à plus de 100 assemblées générales sur l'année 2014. 25 J. Cai, Electing Directors, 64J. Fin. 2389, 2404 (2009). 26 The power of proxy advisors : myth or reality ?, S. Choi, J. Fisch et M. Kahan. 27 Selon son directeur général le pourcentage de clients de Proxinvest appliquant toutes les recommandations « devrait être proche de 0%. »
  • 8. hypothèses (ii) ou (iv), au vu du nombre important d'actifs qu'ils détiennent. Ces affirmations générales dépendent toutefois de la taille de l'investisseur, de son pourcentage de détention dans la société pour laquelle il demande conseil et de la sensibilité des résolutions qui y sont proposées : un investisseur de taille28 , détenant une participation élevée dans une société à l'assemblée de laquelle est proposée la nomination d'un nouvel administrateur aura tendance à analyser lui-même les propositions quand bien même il solliciterait un conseil extérieur. 3) Quelques exemples récents Les assemblées générales de l'année 2015 ont été marquées par l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite « Loi Florange » sur lesquelles les agences de vote avaient pris de fermes positions (notamment sur deux aspects phares de la loi). L’article L225-123 du Code de commerce, modifié par ledit texte a rendu applicable de plein droit, le principe des droits de vote double pour toute action nominative détenue depuis plus de 2 ans. Les sociétés souhaitant l'écarter étaient alors invitées à effectuer une modification de leurs statuts en assemblée générale. L'ensemble des proxy advisors a formulé des critiques quant à l'intégration de ce droit estimant que l'idée « une action, une voix » protégeait les investisseurs institutionnels et était plus conforme au principe de démocratie actionnariale29 . Ces agences recommandaient donc aux actionnaires dont il n'était pas proposé de faire barrage aux droits de vote double de voter contre d'autres propositions en guise de protestation (réélections d'administrateurs ou membres du conseil de surveillance ou encore approbation des comptes). La deuxième source de conflits instituée par la loi Florange fut la suppression du principe de neutralité des organes de direction en période d'offre publique sur la société30 induisant la possibilité d’utiliser les délégations d’augmentation de capital durant cette période, principe contre lequel se sont prononcées les agences en militant pour une suspension systématique. Les exemples suivants illustrent les points de tension. Certains investisseurs, relayant la position de l’activiste PhiTrust Active Investors, ont décidé de se fédérer afin de demander l’inscription à l’ordre du jour d’une résolution aux assemblées 28 Voir note 20. 29 En effet, même si certains investisseurs institutionnels étaient propriétaires d'actions depuis plus de deux ans, ceux- ci les détiennent sous la forme dite « au porteur » pour des raisons de commodité administrative, excluant alors le régime légal institué par la loi Florange. 30 Désormais, le conseil d'administration ou le directoire de la société cible pourra prendre toutes les mesures qui font partie de ses prérogatives pour faire échouer l'offre. Afin de réduire ces prérogatives les résolutions de l'assemblée générale doivent en interdire l'utilisation en période d'offre. Article L233-32 et L233-33 du Code de commerce.
  • 9. générales d'Orange (l’État étant présent au capital) et Vivendi31 visant à modifier les statuts pour faire appliquer le principe du droit de vote simple. Soutenues par les proxy advisors32 ces résolutions ont reçu respectivement 43,3% et 50,15% d'approbation (les actionnaires auteurs des résolutions ne représentaient pour ces deux sociétés qu’1% et 1,96% du capital). Des résultats insuffisants pour modifier les statuts33 mais qui démontrent la force d’action d'un investisseur activiste soutenu par des agences de conseil en vote. Ces deux parties avaient notamment entamé un dialogue en amont dès le mois de janvier afin d'alerter sur ces conflits potentiels au moment des assemblées générales. Cet appel a, semble-t-il, été ignoré par les dirigeants. Certaines délégations financières proposées à l'assemblée générale de ces sociétés ‒ permettant au conseil d'administration d'augmenter le capital y compris en période d’offre ‒ ont quant à elles été rejetées (Orange, Vivendi, Air France-KLM). S’agissant des assemblées 2016, les sujets sur lesquels les agences de vote se montreront les plus intransigeantes seront à en croire leur politique de vote affichée, la rémunération des dirigeants, la structuration des conseils, le cumul des mandats et les opérations financières. En 2015, Proxinvest s'est ainsi prononcé en moyenne contre 34,8% des résolutions des sociétés du CAC 40, alors que seules 20 résolutions ont été rejetées sur la même période34 . Dès lors, l'agence française se défend d'exercer une influence excessive et se définit comme « messager et conseiller d’investisseurs qui ont défini leur propre politique de vote et assument pleinement la défense de leur droit35 ». Ce constat pourrait être différent chez les sociétés américaines en raison du nombre et de la typologie de leurs clients36 . Ainsi, au vu de leur influence et en l'absence de législation, de nombreux auteurs (français et européens notamment) et autorités financières se sont interrogés sur la nécessité d'un encadrement de l'activité des agences de conseil en vote. Une régulation semble en effet primordiale pour assurer une meilleure transparence des méthodes et discipliner le dialogue entre les différents acteurs intervenants dans la préparation et le vote des assemblées générales. 31 L'article L225-105 du Code de commerce permet à un ou plusieurs actionnaires représentant un certain pourcentage de détention (calculé selon les modalités de l'article R225-71) de présenter un projet de résolution. 32 Pourquoi il faut soutenir la résolution Phitrust “une action = une voix” à l’AG Vivendi?, site internet Proxinvest. 33 Une résolution proposant une telle modification requiert une majorité des deux tiers. Article L225-96 du Code de commerce. 34 Bilan des assemblées générales du CAC 40, Capitalcom. 35 Orange, une assemblée très contestée avec un score remarquable pour Phitrust et cinq rejets, Site internet Proxinvest. 36 Voir infra note 20.
  • 10. II. L’encadrement progressif des agences de conseil en vote La question de l’encadrement des pratiques des agences de conseil en vote n’est pas nouvelle. L’évolution récente a néanmoins mis en lumière une volonté commune d’aboutir à un meilleur encadrement de l’activité de ces proxy advisors (A). Il reste donc à se demander si cette prise de conscience a su répondre aux attentes des différents acteurs et si des progrès doivent encore être réalisés en la matière (B). A. La prise de conscience commune d’une nécessité d'encadrement L’influence croissante des agences de conseil les érigeant en véritable groupe de pression, a nourri des inquiétudes. Les pratiques des agences étaient, dans le même temps insuffisamment transparentes si bien que l’établissement d’un cadre juridique s’avérait indispensable. 1) Une remise en question des pratiques des agences de conseil en vote L’une des premières observations des émetteurs et des praticiens fut le manque de transparence des agences de conseil en vote. Les critiques les plus fortes se focalisaient plus particulièrement sur la mise à disposition des politiques de vote et les méthodologies d’élaboration de ces dernières. La mise à disposition des politiques de vote est pourtant primordiale pour les émetteurs comme pour les investisseurs car elle permet une meilleure compréhension des choix des agences et donc une meilleure lisibilité des recommandations émises par celles-ci37 . Au-delà de la question de la transparence, c’est l’organisation interne des agences de conseil en vote qui suscite également des interrogations. Transparence sur les moyens tout d’abord mais aussi démonstration de la qualité des équipes : capacité à affiner la recommandation en fonction de l’écosystème de l’entreprise, à dépasser des pétitions de principe pouvant de ce fait apparaitre artificielles ‒ voire partisanes ‒, organisation interne adéquate, respect du droit de réponse des sociétés et relais auprès des clients conseillés du débat contradictoire, tels sont les thèmes à explorer38 . 37 Recommandation n°2011-06, Agences de conseil en vote, AMF. 38 Pour une étude approfondie voir le document relevé à la note 6.
  • 11. La gestion des conflits d’intérêts au sein de ces agences est évidemment essentielle. Si certaines d’entre elles refusent l’idée de fournir des prestations aux émetteurs tout en conseillant leurs actionnaires, d’autres agences sont moins catégoriques sur ce point. La double activité n’est pas problématique en soi mais n’est admissible que si les conflits potentiels sont correctement identifiés, affichés et gérés avec la mise en place des véritables « murailles de Chine ». Dans un autre domaine mais dont le principe est le même, l’AMF impose39 aux prestataires de service d’investissement d’opérer une distinction matérielle entre les activités d’analyse financière et de banque d’affaires40 . Une telle obligation n’existe pourtant pas pour les agences de conseil en vote. La création d’une cloison étanche nous paraît pourtant absolument nécessaire compte tenu des risques évidents de conflits d’intérêts. De plus, de telles séparations ne peuvent que constituer une garantie supplémentaire pour les clients. La prévention des conflits d’intérêts ne doit pas pour autant se limiter à la simple séparation des activités mais doit également se matérialiser par des obligations de révélation et de retrait. Telle a ainsi été l’orientation prise par les Etats-Unis, qui, à la différence de la France, ont mis en place des règles contraignantes obligeant les proxy advisors enregistrés en tant qu’investment advisers à identifier et révéler tout conflit d’intérêts potentiel41 . En 2011 l’AMF adoptait quant à elle une recommandation similaire et proposait que l’agence de conseil mentionne expressément dans tout rapport d’analyse ses éventuels liens d’intérêt avec la société dont elle analyse les projets. Il ne s’agissait cependant que d’une « simple » recommandation et non d’une législation au sens strict. La réflexion a également porté sur le manque de dialogue entre les proxy advisors et les sociétés cotées. Il n’est pas rare que les consignes de vote soient transmises trop tardivement aux clients, empêchant ainsi un véritable processus d’échange entre les sociétés cotées et les agences42 . L’AMF recommandait que la société puisse disposer d’un délai minimum de 24 heures pour faire part de ses remarques ou commentaires éventuels, dès lors que la société avait communiqué à l’agence dans un délai de 35 jours avant la tenue de l’assemblée générale ses projets de résolution43 . Le dialogue entre les agences de conseil en vote et les émetteurs doit être encouragé et renforcé, un travail commun permettrait d’avoir de véritables réflexions sur la gouvernance des émetteurs et éviter l’écueil de la « pensée unique ». 39 Article 313-20 du Règlement général de l’AMF. 40 Voir note 1. 41 Idem. 42 Voir note 6. 43 Il s’agit du délai maximal auquel l’avis de réunion doit être publié au BALO. Article R225-73 du Code de commerce.
  • 12. 2) Un premier pas vers un encadrement des pratiques Face à ces préoccupations, l’intervention des autorités de régulation européennes ou au moins nationales semblait inéluctable. L’AMF a alors posé la première pierre par une recommandation du 18 mars 2011 dont nous avons déjà évoqué le contenu. L’Autorité se dit favorable « à l’exercice effectif du droit de vote des actionnaires en assemblée générale » et donc au recours à ces agences de conseil, mais relève tout de même les inquiétudes des émetteurs qui viennent d’être exposées44 . L’élaboration et la communication de la politique de vote, la diffusion des recommandations, l’amélioration du dialogue entre émetteurs et agences de conseil de vote et la problématique des conflits d’intérêts sont au cœur de la réflexion du gendarme des marchés français. Si ce premier pas était globalement salué par l’ensemble des émetteurs, il ne créait aucun cadre juridique et n’envisageait aucune règle contraignante pour encadrer l’activité des agences, comme cela pouvait être le cas pour les investment advisers américains. Les souhaits des sociétés cotées et de la doctrine n’étaient donc que partiellement exaucés. C’est finalement l’ESMA qui tenta pour la première fois de poser un véritable cadre. Elle proposa ainsi de rédiger un code européen de conduite, créé par les participants eux-mêmes, et qui regrouperait un ensemble de règles de bonne conduite applicables aux signataires dans le cadre de leur activité45 . Acôté de ces règles, la création d’un comité représentatif périodique « censé inclure une représentation relativement variée du marché des agences de conseil » était également prévue, tout comme l’obligation faite aux proxy advisors de rédiger un compliance statement, une déclaration de conformité. On reconnaît évidemment la reproduction d’une méthodologie désormais bien rodée s’agissant de la corporate governance : code de pratiques, démarche d’adhésion dont les acteurs rendent compte au travers d’un rapport, et autorégulation au travers d’un comité dont la composition reflète les acteurs auxquels le code a vocation à s’appliquer, en charge du contrôle et de proposer des voies d’amélioration. L’encadrement des proxy advisors passera donc par la soft-law et l’autodiscipline. Les six principales agences de conseil en vote dont ISS, Glass Lewis & Co et Proxinvest ont donc rédigé en 2014, les Best Practice Principles (BPP). Ce « code de bonne conduite » présente trois 44 Cf sous-partie précédente. 45 Voir Feedback statement on the consultaton regarding the role of the proxy advisors industry, ESMA/2013/84 et ESMA et agences de conseil en vote : un rapprochement délicat à la recherche d’une transparence volontaire, Sergakis, Konstantinos, Bulletin Joly Bourse, No. 4, 2013, p. 198-204.
  • 13. principes généraux que nous allons brièvement évoquer. Le premier s’intéresse à la qualité du service et tente de répondre aux exigences relatives à l’élaboration des politiques et recommandations de vote. Le code dispose notamment que les signataires doivent expliquer comment leurs politiques de vote ont été développées et mises à jour46 . Le second principe concerne la question très attendue de la prévention des conflits d’intérêts. Le code de bonne conduite impose aux signataires de rendre accessible leur politique liée à ces conflits d’intérêts et notamment la manière dont les conflits potentiels seront révélés aux clients. Une liste non-limitative de cas susceptibles de mettre en question l’indépendance et l’impartialité des équipes vient compléter cette règle. Le code adopte d’ailleurs une approche particulière puisqu’il distingue les conflits potentiels des conflits « réels » et les conflits « gérables » des conflits « non- gérables ». Enfin, le troisième principe répond aux préoccupations concernant la transparence et impose entre autre la communication au public et aux investisseurs des politiques de votes47 . On l’aura compris, la question aujourd’hui n’est donc plus de savoir si les agences de conseil en vote doivent être encadrées ou non, mais de savoir si elles le sont suffisamment. B. Un bilan provisoire en demi-teinte. Les BPP n’ont été adoptées que récemment, il est donc difficile d’en tirer un bilan définitif et d’évaluer précisément les conséquences de ces règles sur la pratique quotidienne des agences. Il est revanche possible de s’intéresser à la conformité de ces dernières aux recommandations émises par l’ESMAen 2013. Nous tenterons donc de dresser un bilan provisoire de ce nouvel encadrement au regard du « follow-up » de 2015 l’ESMA48 , des critiques émises antérieurement et, puisque cette fenêtre d’expression nous est accordée, de nos avis personnels. 1) Des progrès notables Les critiques ayant été nombreuses, il convient de souligner les efforts effectués par les agences de conseil en vote et de nuancer quelque peu l’image que la doctrine et les émetteurs ont eu trop tendance à noircir, manquant souvent de mettre en avant le rôle positif que ces regards extérieurs 46 « They should explain whether and how the incorporate feedback into the development of voting policies. They should disclose the timing of their policy updates and policies. » 47 L’ensemble des BPP est disponible sur le site internet http://www.bppgrp.info.com. 48 Report on the development of the best practice principles for providers of shareholder voting research and analysis– ESMA /2015/1887.
  • 14. peuvent jouer dans la vie des sociétés cotées et de leur effet stimulant, obligeant à se défendre et à mieux s’expliquer, et donc à être plus transparent. Suivons le cheminement de l’ESMA et commençons par les impératifs de transparence des politiques de vote et des recommandations. Les préoccupations des émetteurs et des investisseurs ont été entendues par les agences de conseil en vote qui se sont attachées à rendre publique leur politique de vote annuelle. Ces politiques sont très facilement accessibles sur les différents sites internet et prennent position sur de nombreux sujets. Certaines agences mettent également à disposition des journalistes et des actionnaires présents à l’assemblée générale les recommandations qu’elles ont émises pour le vote des résolutions de cette dernière.49 . Nous regretterons tout de même le caractère général de ces politiques de vote annuelles qui, demeurent par construction trop globalisatrices et constituent plus une sorte de vitrine, démonstrative des principes de bonne gouvernance d’entreprise, ce qui en effet ne peut que susciter l’accord du plus grand nombre. De plus, et globalement du moins, les politiques de vote accessibles ne brillent pas par leur force d’analyse et leur nuance. Les recommandations sont rarement étayées par une démarche scientifique, pleinement objective, ou des études d’impact et des benchmarks. On atteint ici d’ailleurs une des limites d’une analyse globale et l’on peut espérer que les conseils individuels délivrés aux clients de ces agences (auxquels nous n’avons pas accès) remédient à cette généralité apparente. Il nous semble de ce point de vue que la balle est d’abord dans le camp des clients. C’est à eux qu’il appartient en premier lieu d’exiger de leurs prescripteurs des prestations de qualité. A l’actif des règles de bonne conduite, et de l’aveu de M. Dessaint, la rédaction du « code » a permis à l’ensemble des agences de conseil en vote de formaliser leur politique de dialogue. Ces nouvelles politiques « poussent les émetteurs à venir discuter en amont de la préparation de leur assemblée générale avec les agences et le dialogue s’en trouve donc amélioré ». Une telle évolution ne peut être que saluée. La pratique des compliance statements50 nourrit aussi le volet de l’optimisme. A l’instar des rapports sur le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, les compliance statements ont pour but de rendre compte individuellement de la politique et de la pratique des agences de conseil au 49 Voir notamment : http://www.issgovernance.com/policy-gateway/2016-policy-information/, http://www.proxinvest.fr/?page_id=881, http://www.glasslewis.com/guidelines/. 50 « ESMA considers that Compliance Statements sow an important effort from signatories to clarify and formalize practices with the aim to reinsure their clients and other markets participants. »
  • 15. regard des règles auxquelles elles ont adhéré. En l’absence de consécration légale, l’efficacité des règles de bonne conduite repose aujourd’hui entièrement sur le principe comply or explain. Seul bémol à relever: les différences importantes existantes entre les Compliance Statements : tous n’affichent pas le même niveau de détail. 2) Des améliorations toujours attendues : le bilan de l’ESMA Deux problèmes majeurs viennent entacher le bilan prometteur des agences. Concernant les conflits d’intérêts d’abord. Le Régulateur européen est dans l’ensemble satisfait du travail accompli même si il relève certaines ambiguïtés concernant la distinction conflit « gérable » et « non-gérable » qu’elle suggère de clarifier. La question de la double-activité pourtant au cœur des débats ne parait toujours pas complètement traitée. Lors de la rédaction du code, quelques agences signataires, souhaitaient bannir les prestations de conseils aux émetteurs analysés tandis que d’autres ne voyaient aucun problème à la double activité dès lors que des politiques de révélation et de retrait étaient mises en place. C’est cette dernière solution qui fut finalement retenue. La grande muraille attendra. En outre, l’organisation du comité représentatif périodique est aussi pointée du doigt. Si Monsieur le professeur Zetzsche a été nommé à la tête du comité à la suite de la publication des BPP, aucune règle n’a été adoptée pour en assurer l’organisation interne. L’ESMA recommande d’ailleurs que le Best Practice Principles Group soit organisé de « manière transparente » pour assurer une meilleure visibilité. Au même titre que les déclarations de conformité, le comité joue un rôle central dans la bonne application des règles des BPP, son organisation et ses pouvoirs doivent de ce fait être clairement établis. Conscientes de l’importance de la gouvernance de leur groupe, les agences ont commencé à travailler sur un projet de règlement intérieur « en vue de la mise à jour des principes à partir de l’été 2016 ». Nous serons donc attentifs au prochain bilan de l’ESMA qui ne manquera pas d’évaluer l’application de ces règles par les agences et notamment celles relatives à la gestion des conflits d’intérêts et à la transparence des méthodologies qui semblent encore lacunaires. Sans doute conviendrait-il également de renforcer le principe du comply or explain sur lequel repose l’application des BPP51 . L’insuffisance de certaines déclarations de conformité prouve qu’un renforcement du principe serait utile. Concernant la gouvernance des émetteurs, l’AMF a mis en 51 Codes de gouvernement d'entreprise : recommandation de la Commission européenne sur le principe « appliquer ou expliquer » – Benoît Lecourt – Rev. sociétés 2014. p683.
  • 16. place le principe du name and shame qui lui permet de citer les sociétés dont les explications ne sont pas satisfaisantes. En évitant toute stigmatisation, l’ESMA pourrait à l’identique se livrer à un même contrôle. L’encadrement des pratiques des agences de conseil en vote est d’actualité. Si les résultats sont dans l’ensemble encourageants, des progrès sont possibles et passent par une responsabilisation de l’ensemble des parties prenantes. Les efforts ne sont jamais à sens unique.