L’eau au Brésil : un enjeu de développement et une source d’opportunités
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DOSSIER
E
brésil, tout n'est pas joué !
auteur
L’eau au Brésil : un enjeu de développement et une source d’opportunités
Guillaume Sarrazin
L
’eau au Brésil :
un enjeu de développement
et une source
d’opportunités
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Le Brésil est, pour la plupart des Brésiliens, un
pays « Abençoado por Deus » (béni par Dieu),
en référence aux multiples richesses naturelles
de leur pays. Le drapeau brésilien lui-même
évoque ce sentiment de par ses couleurs vives
(vert, jaune et bleu) reflétant la variété naturelle
du Brésil.
En s’intéressant à l’eau, dont le
Brésil est le plus vaste réservoir
au monde, on se rend compte
que diverses approches sont possibles. Il s’agit tout d’abord de
l’élément de la vie et de la biodiversité, mais aussi d’un réel levier
de développement économique et
social, via ses différents modes
d’exploitation, ce qui nous mène
à ses limites, parfois évidentes
au cœur de grandes villes sans
réseaux de distribution ni de traitement de l’eau…
Un pays d’énergie
propre et
renouvelable
Le Brésil possède l'un des réseaux hydrographiques les plus
étendus de la planète avec la plus
grande réserve d’eau douce et le
plus important potentiel hydroélectrique. « seul bassin de
Le
l'Amazone, principal fleuve mondial par son débit, représente
environ 20 % du volume total des
eaux douces déversées dans les
océans. »
On trouve au Brésil douze grands
bassins hydrographiques dont
plusieurs portent le nom de leur
fleuve principal comme Ama:
zone, Parana, Tocantins, São
Francisco, Parnaiba et Uruguay.
Les autres bassins sont des groupements de plusieurs autres
fleuves.
La plupart des rivières brésiliennes courent sur des plateaux,
et leurs nombreuses cascades
permettent une exploitation hydroélectrique. Depuis 1883 (date
de la première usine hydroélectrique à Ribeirão do inferno), le
Brésil a construit d’importantes
centrales hydroélectriques, dont
la plus connue est celle d’Itaipu, basée à Foz do Iguaçu, à la
frontière avec le Paraguay. Au
niveau mondial, Itaipu, d’une
capacité estimée à 14 00
0 MW,
est le second barrage hydroélectrique ayant la plus importante
puissance électrique, le premier
étant le barrage des Trois Gorges
en Chine avec une capacité de
22 500 MW.
L'énergie hydroélectrique représente plus de 80 % de l'électricité
produite au Brésil et le pays se
positionne sur la scène internationale comme étant un pays
d’énergie propre, défendant les
questions liées au développement durable.
Cette
dépendance
énergétique du pays à l’eau a aussi ses
limites. Un important apagão
(black-out), d’énergie électrique
a plongé dans le noir près de
30 % du territoire brésilien la nuit
du 10 novembre 2009, suite à un
dysfonctionnement de lignes de
transmissions dans les États de
São Paulo et du Parana. Face à
cette menace, de nombreuses industries ont investi dans des systèmes de groupes électrogènes
et certaines ont même fait le
choix stratégique de s’implanter
près de bassins hydrographiques
et d’investir dans l’autoproduction d’énergie en développant
leurs propres centrales hydroélectriques. C’est le cas de la
société Votorantim qui nécessite
d’importantes ressources énergétiques pour la fabrication de
son ciment.
Un retard en termes
d’accès à l’eau et
d’assainissement
de base
Un article récemment publié (le
28 octobre 2013) dans la presse
brésilienne (Carta Capital), présente un constat dramatique de
l’état du service d’assainissement
janvier fevrier mars 2014 analyse financière n° 50
Guillaume Sarrazin
est consultant
en formation
interculturelle,
Expert du Brésil.
Diplômé en Intelligence
économique et conférencier
auprès de la FIA / FIPE
(International MBA, écoles
brésiliennes en Management).
Guillaume Sarrazin est
co-auteur d'un ouvrage
en management interculturel brésilien
(parution début 2014).
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brésil, tout n'est pas joué !
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L’eau au Brésil : un enjeu de développement et une source d’opportunités
Guillaume Sarrazin
dans certaines villes brésiliennes.
L’article n’hésite pas à utiliser des
mots forts et à parler de « honte
nationale », quand il retrace les
résultats d’une étude menée en
2011 par l’IBGE (Institut brésilien de Géographie et des Statistiques) ; la pire situation touchant
toujours le nord du pays, où
seuls 21,6 % des ménages bénéficient d’un service d'assainissement de base. Selon l’Institut,
21
millions de Brésiliens ayant
moins de 14 ans vivent dans un
environnement sans collecte des
déchets, ni réseaux de traitement
des eaux usées.
Or, de plus en plus de Brésiliens
donnent de l’importance aux
problématiques liées au développement durable et à la protection
de l’environnement. Ils étaient
près de 19 millions à avoir voté
aux dernières élections présidentielles en 2007 pour Marina Silva,
candidate du parti écologique.
Mais, les ressources et investissements sont encore insuffisants,
et ce malgré la politique nationale des déchets (Politica Nacional de Residuos Solidos, PNRS)
et la loi 11.445 de 2007, qui se
veut être un « engagement pour
toute la société brésilienne ,
»
pour la mise en place d’un service universel d’assainissement
de base. La loi a permis d’importants investissements, au travers
des “programmes d’accélérateur
de croissance”, PACs, qui ont vu
débloquer plus de 40
milliards
de reals (environ 12,8
milliards
d’euros) dans ce domaine rien
qu’entre
2007 et
2010. Si le service d’assainissement de base
au Brésil s’est amélioré, la réa-
lité montre qu’il existe encore
plus de 15
milliards de litres
d’eaux usées non traitées dont
une partie stagne dans les ruelles
de bidonvilles et dont l'autre se
déverse dans les rivières et cours
d’eau. Cette situation continue
de nuire à la santé de millions de
Brésiliens, les enfants en étant
les premières victimes.
Le Brésil pourrait aussi connaître
ces prochaines années un réel
problème quant à la distribution
de l’eau dans les zones urbaines,
notamment dans les plus importantes comme les villes de São
Paulo, Rio de Janeiro, Salvador
et Belo Horizonte… alors que le
pays bénéficie du plus important
potentiel hydraulique de la planète, l’état et les capacités des
infrastructures de production,
d’adduction et de traitement
actuels causeraient en 2015 un
manque d’accès à l’eau dans plus
de la moitié des villes du pays.
Un document élaboré par l’ANA
(Agência Nacional de Aguas) stipule qu’il est nécessaire d’investir près de 22
milliards de reals
pour résoudre ce problème.
Des opportunités
pour les sociétés
brésiliennes et
étrangères
Le réel intérêt des investisseurs
et entrepreneurs à investir dans
le traitement de l’eau et des
égouts est un phénomène récent
dans le pays. La loi de 2007 a rassuré les investisseurs en établissant un cadre réglementaire dans
ce domaine.
Ces problèmes liés au traitement
de l’eau sont plus que jamais
Itaipu, le second barrage hydroélectrique
derrière celui des Trois Gorges en Chine.
d’actualité : ce 24 octobre 2013, la
Présidente Dilma Rousseff a annoncé, depuis le palais du Planalto, que 310 projets de revêtement
de sol (routes, terrains, aménagement de quartiers et villes,
projets d’infrastructures…) et
d’assainissement recevront prochainement du gouvernement
fédéral près de 13
milliards de
reais (environ 4,17 miliards d’euros).
L’un des groupes qui a surfé sur
ces opportunités de croissance
est Equipav, avec un chiffre d’affaires supérieur à 1
milliard de
reals. Il a créé en 2010 l’AEGEA,
qui administre des concessions
publiques en approvisionnement, collecte et traitement des
eaux usées, et détient désormais
12 % du marché privé brésilien.
D’autres sociétés implantées
au Brésil investissent dans le
domaine du traitement des
eaux usées, comme Foz do Brasil (Groupe Odebrecht), CAB
Ambiental (Groupe Galvão),
Estre, Foxx Haztec… Parmi les
janvier fevrier mars 2014 analyse financière n° 50
sociétés françaises présentes au
Brésil, Veolia Environnement
vient de remporter au premier
semestre, un contrat pour la
construction de trois unités de
traitement d'eau auprès de la
société Celulose Riograndense,
une filiale du groupe papetier
chilien CMPC et Suez Environ;
nement qui à travers sa filiale
Degrémont, spécialisée dans la
gestion du cycle de l’eau pour les
industriels et les municipalités,
a signé le contrat d’ingénierie et
de fourniture de quatre unités
de traitement d’eau pour Keppel
FELS Brasil et ses filiales Lindel
Private Limited et Estaleiro BrasFELS.
Ainsi le destin de l’eau brésilienne est encore aujourd’hui et
pour longtemps un enjeu capital
en termes de santé publique et
d’économie locale et internationale. Les entreprises françaises,
qui possèdent de nombreux
savoirs et savoir-faire dans ce
domaine, ont des opportunités à
saisir. M
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