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Ce que l’Italie
nous apprend sur
l’industrie du futur
Les Synthèses de La Fabrique
Numéro 21 - Septembre 2018
Introduction
L’Italian Way de la production intelligente
En 2015-2016, des chercheurs du think tank Torino Nord Ovest, basé à Turin,
ont effectué un grand voyage dans certaines des plus grandes usines d’Italie
pour observer comment le paradigme de l’industrie 4.0 s’implante dans le
pays. Cette recherche nous a intéressés à plus d’un titre. D’abord, parce
qu’elle s’inscrit dans notre volonté de faire connaître la réalité industrielle
d’autres pays, comme nous l’avons déjà fait pour l’Allemagne, la Suède,
les États-Unis et le Royaume-Uni. Ensuite parce que l’industrie du futur
constitue l’un des fils rouges de nos travaux. L’approche proposée par les
auteurs est principalement centrée sur l’impact qu’a ou aura la modernisation
technologique des usines sur l’organisation et la nature du travail. Ils
prolongent ainsi, à la faveur d’un regard sociologique perspicace, les travaux
consacrés en France à ce sujet.
Anne-Sophie Alsif et Marie-Laure Cahier
Sommaire
3
5
Les limites du modèle
industriel italien
Industrie 4.0, cadre
conceptuel pour
la modernisation de
l’industrie
A la recherche d’un Italian
Way de la production
intelligente
7
Continuité et discontinuité
des modèles d’organisation
L’opérateur 4.0, plus instruit
et moins compétent ?
8
10
©Stock.adobe/Rawf8
- 2 -
Entre 2008 et 2014, l’économie italienne a subi une véritable récession,
avec un taux de « croissance » de -1 % en 2008 et de -5,5 % en 2009.
Le pays n’en est sorti qu’en 2014, avec une croissance à 0,1 %
seulement1
. Avec un secteur manufacturier reposant essentiellement
sur le dynamisme de PME exportatrices, de petite taille, à gouvernance
familiale et recourant principalement à l’endettement, l’Italie a souffert
plus que d’autres du repli de la demande extérieure suite à la crise
financière de 2008. Ce phénomène a été aggravé en 2011 par la crise
de la dette souveraine, qui a provoqué un credit crunch, entraînant
la faillite de nombreuses PME déjà fragilisées. Leur nombre (hors
micro-entreprises) est passé de 150 000 en 2007 à 136 000 en 2014
pour repartir à la hausse à partir de 2015. Depuis quatre ans, le secteur
privé semble renouer avec une trajectoire positive, mais de nombreuses
incertitudes politiques et économiques pèsent toujours sur l’avenir de
la péninsule, notamment le poids de la dette publique (131 % du PIB
en 2017) et la faiblesse de la croissance potentielle.
Dans ce contexte, l’industrie 4.0 offre un cadre conceptuel pour
dépasser les fragilités structurelles du tissu productif et relancer
les investissements. Reposant sur des stimulations fiscales et des crédits
d’impôt, le Piano Nazionale Impresa 4.0 lancé en septembre 2016 vise
principalement à assurer la modernisation de l’appareil de production
et à favoriser l’innovation. Longtemps, l’innovation technologique
n’a pas été la priorité du Made in Italy, dont le modèle reposait et repose
encore sur un mix de créativité, style, qualité et orientation à l’export,
ainsi que sur une main d’œuvre expérimentée, flexible et peu chère.
Dans les usines de la péninsule, la révolution numérique n’en est
donc qu’à ses prémices. Même dans les grands groupes, on observe
davantage un toyotisme augmenté par les technologies numériques
qu’un véritable bouleversement. Cependant, l’industrie 4.0 offre à
l’Italie des perspectives inattendues. Contrairement à l’Allemagne,
son problème n’est pas tant de « personnaliser » la production de
masse que « d’industrialiser » l’artisanat. Personnalisation, flexibilité
et orientation client caractérisent déjà le mix productif italien ; dès lors,
l’introduction des nouvelles technologies représente l’opportunité
de conjoindre croissance des volumes, productivité et qualités propres
à cette industrie artisanale.
Résumé
1 - World Economic Outlook Database, IMF, April 2018.
- 3 -
L’Italie compte globalement plus d’entreprises que la France
(4,4 millions contre 3,8 millions), avec une taille moyenne inférieure
à celle de leurs homologues européennes pour toutes les catégories
d’entreprises. En Italie, les PME (1 à 249 employés) représentent
99,9 % du total des entreprises et 80 % de l’emploi privé. Ces unités
sont à 95 % des micro-entreprises (moins de 10 salariés), l’effectif
moyen se situant à 4 salariés contre 6 dans l’Union européenne.
Les micro-entreprises occupent donc une place plus importante
qu’ailleurs dans le système de production. Elles emploient 47 % des
actifs et produisent 30 % de la valeur ajoutée2
mais accusent un niveau
de productivité plus faible que les grandes entreprises (33 000 euros de
valeur ajoutée par personne contre 96 000, dans le secteur industriel).
Les limites du modèle industriel italien
Figure 1.
Répartition des entreprises
italiennes par taille
Source : Istat.
Reste 0,1%
de grandes entreprises
(+ de 250 salariés)
2 - Istat, 2015.
99,9% PME
dont 95% micro-
entreprises
Deuxième pays manufacturier européen loin derrière l’Allemagne
(selon le poids de l’industrie dans le PIB), l’Italie présente
des similitudes avec la France. Selon Eurostat, en 2016, la part de
l’industrie manufacturière dans le PIB était de 14,6 % en Italie et
de 10,2 % en France. Entre 1995 et 2015, cette part a baissé de
5,1 points dans les deux pays. De même, le poids de l’industrie
dans l’emploi total a baissé respectivement de 5,2 et 5,6 points
en France et en Italie sur la même période (passant de 16,1 % à 10,9 %
en France et de 22,5 % à 16,9 % en Italie). Quoique partant de niveaux
différents, nos deux pays suivent donc un même rythme de
désindustrialisation.
- 4 -
Les PME italiennes ont durement subi les effets de la crise de 2008.
Entre 2007 et 2014, leur nombre (hors micro-entreprises) est passé
de 150 000 à 136 000 pour remonter à 145 000 en 20163
.
L’industrie italienne est dominée par les PME manufacturières de
petite taille, majoritairement à gouvernance familiale. Elles ont fait
la réputation du Made in Italy dans des secteurs comme la mode,
le textile, le cuir, l’ameublement ou l’agro-alimentaire. Mais l’industrie
en Italie ne se résume pas à cette image. Ces entreprises sont également
présentes dans les industries mécaniques (auto, moto, machines-outils
et robotique de production, électroménager), de la défense,
de la chimie, de la construction navale ou ferroviaire, secteurs tirés
par des entreprises têtes de filière, comme Fiat Chrysler (FCA),
Solvay, Fincantieri ou Alstom Ferroviaria.
Longtemps, la compétitivité du Made in Italy a reposé sur quelques
caractéristiques – spécialisation de niche, créativité et design,
qualité de l’exécution, orientation à l’exportation – tout en s’appuyant
sur une main d’œuvre expérimentée, flexible et à coûts contenus.
On peut ainsi parler d’une forme d’« artisanalité » de l’industrie
italienne. Ni la recherche et développement, ni l’innovation
technologique, ni la formation de la main d’œuvre n’ont été
prioritaires pour la majorité des PME italiennes. La crise de 2008
a révélé les limites de ce modèle.
3 - Rapport Cerved PMI 2017.
©Shutterstock/Cividin
Les PME italiennes
ont durement subi
les effets de la crise
de 2008.
Ni la recherche et
développement,
ni l’innovation
technologique,
ni la formation de
la main d’œuvre
n’ont été prioritaires
pour la majorité
des PME italiennes.
- 5 -
Comme en France, certaines entreprises ont cependant su traverser
la crise, quitte à « rebondir et se réinventer »4
, en réalisant des investis-
sements ciblés sur la modernisation des équipements de production,
le capital immatériel et la montée en gamme. Le Cerved a étudié
un échantillon de 316 000 entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus
de 500 000 euros, entre 2007 et 20155
. Les entreprises ayant le plus
investi, dès avant la crise de 2008, appelées les entreprises « aigles »
(le aquile), soit 3,8 % de l’échantillon, enregistrent des résultats supérieurs
en matière de croissance, de productivité et de rentabilité. Elles sont
également plus récentes, emploient plus de femmes et de salariés de
moins de 45 ans, et disposent globalement d’une main d’œuvre plus
qualifiée. L’étude montre que les salariés des entreprises les plus
innovantes bénéficient de conditions de travail plus précaires mais sont
davantage mobiles et moins sujets au chômage de longue durée.
Comme l’indiquait l’ancien ministre de l’Économie, Carlo Calenda,
au quotidien milanais Il Corriere della Sera le 30 octobre 2017,
l’économie italienne est composée de « 20 % d’entreprises
compétitives, 20 % d’entreprises en crise, et un univers au milieu
qui n’a pas encore sauté le pas ».
Industrie 4.0, cadre conceptuel pour la modernisation
de l’industrie
4 - Voir Marie-Laure Cahier et Vincent Charlet, Rebondir et se réinventer, la résilience des
ETI industrielles, Les Notes de La Fabrique, 2017.
5 - Rapport Cerved PMI 2017.
©Shutterstock/Riccardo Arata
L’économie italienne
est composée de
« 20 % d’entreprises
compétitives,
20 % d’entreprises
en crise, et un univers
au milieu qui n’a
pas encore sauté
le pas ».
titre2
- 6 -
C’est dans ce contexte que se sont progressivement diffusés les principes
de l’Industrie 4.0.
Les chercheurs de Torino Nord Ovest, un think tank italien basé à
Turin, ont effectué en 2014-2016 un voyage au sein de grandes usines
italiennes pour évaluer si et comment le paradigme 4.0 prend corps
dans le pays, en analysant en particulier son impact sur l’organisation
du travail6
. Comme l’expliquent les auteurs de cette étude,
c’est souvent par les filiales d’entreprises allemandes et par les cabinets
conseil qui interviennent à leurs côtés, que les concepts de l’usine
intelligente pénètrent dans les établissements : « Porsche Consulting
a contribué à restructurer les processus de 200 entreprises italiennes,
parmi lesquelles des firmes dont l’actionnariat est allemand comme
Lamborghini (groupe VW), mais également des entreprises italiennes
comme Illy (agro-alimentaire), Mondadori (presse/édition), Trussardi
(mode), etc. ». Bien sûr, le diagnostic d’une modernisation nécessaire
de l’industrie italienne pour répondre aux attentes des marchés
mondiaux préexistait à la diffusion du paradigme 4.0. Celui-ci devient
ainsi essentiellement un mot d’ordre fédérateur et un cadre conceptuel
destiné à fixer un cap, à favoriser la mobilisation des investissements
et à bâtir une politique publique adaptée.
Le Piano Nazionale Impresa 4.0 (anciennement Industria 4.0),
dit aussi plan Calenda, a été présenté en septembre 2016.
Il consiste principalement en des stimulations fiscales à destination
des entreprises, telles que des mesures de sur-amortissement,
un crédit d’impôt recherche et un crédit d’impôt formation, et
n’est pas particulièrement orienté vers un soutien à la recherche
publique, contrairement aux plans nationaux d’autres pays,
dont la France, qui privilégient une approche mixte. À la fin 2017,
un rapport KPMG7
dressant un bilan de la première année de mise en
œuvre du plan indiquait que 67 % des moyennes et grandes entreprises
interrogées avaient activé au moins un instrument du plan, sans établir
pour autant une corrélation entre ce plan et les signaux positifs donnés
par les entreprises italiennes. En effet, 44 % des entreprises interrogées
déclaraient qu’elles auraient procédé à un investissement en l’absence
d’incitation publique.
Le rapport PME 2017 du Cerved, indique une amélioration des bilans
des PME pour la quatrième année consécutive, un net redémarrage
de l’investissement qui s’était effondré entre 2007 et 2013, et
un renforcement des capitaux propres qui pourrait permettre à l’avenir
une augmentation de l’endettement.
6 - Annalisa Magone et Tatiana Mazali (dir.), Voyage dans l’industrie du futur italienne,
Les Notes de La Fabrique, La Fabrique de l’industrie, Presses des Mines, octobre 2018.
7 - KPMG, Comitato Leonardo, Industria 4.0 per un’impresa globale: la dimensione del
fenomeno, le implicazioni per il Paese, le policy, 13 novembre 2017.
- 6 -
À la fin 2017,
un rapport KPMG
dressant un bilan
de la première
année de mise
en œuvre du plan
indiquait que 67 %
des moyennes et
grandes entreprises
interrogées avaient
activé au moins
un instrument
du plan.
- 7 -
Conçue pour la grande industrie allemande, l’industrie 4.0 est-elle
soluble dans le Made in Italy ? se demandent les auteurs. « En effet,
pour de larges pans du tissu industriel italien, le problème n’est pas
tant d’apporter de la flexibilité à des productions à haute intensité
capitalistique, que de produire davantage de volume et d’acquérir
une culture industrielle, sans sacrifier pour autant le caractère artisanal
des productions, ni la capacité à occuper des niches aux volumes
limités mais à haute valeur ajoutée. Soit un problème exactement
inverse de celui que se propose de résoudre l’industrie 4.0.8
 »
On ne saurait mieux poser les termes du débat : quand l’Industrie 4.0
allemande met l’accent sur la flexibilité d’usines pouvant tendre vers
la « personnalisation de masse », la production italienne part
d’une situation où flexibilité et personnalisation caractérisent déjà
son mix initial. Selon le mot des auteurs, son problème n’est pas
tant « d’artisanaliser l’industrie » que d’« industrialiser l’artisanat ».
Dès lors, l’introduction des nouvelles technologies représenterait
l’opportunité de conjoindre productivité et qualités propres à
cette industrie artisanale. « La production intelligente pourrait
avantager les productions italiennes, dans la mesure où celles-ci sont
depuis toujours orientées vers la personnalisation. Nous aurions ainsi
une sorte de retour au caractère artisanal de la production, qui ne serait
plus une niche de résistance par défaut, mais bien une déclinaison
de l’innovation et du développement industriel 4.0 ; les nouveaux
“artisans” deviendraient ainsi les principaux bénéficiaires de
la numérisation industrielle9
 », indiquent les auteurs. On constate
d’ailleurs que ce trait « néo-artisanal » est explicitement revendiqué
comme un marqueur d’italianité par des dirigeants industriels italiens,
leaders mondiaux de leur marché. On peut citer en exemple
des applications déjà opérationnelles dans la haute couture ou
la chaussure sur-mesure, avec des scanners 3D permettant d’adapter
les produits à la morphologie de chaque client, mais tous les secteurs
du Made in Italy sont potentiellement concernés : de la couleur
personnalisée des carrelages à la conception sur-mesure des canapés
et des lits, des revêtements muraux en marbre ou en bois à
la personnalisation des lunettes et autres accessoires de mode.
La spécialisation de niche, caractéristique du positionnement
stratégique de nombreuses PME italiennes, présenterait ainsi
une compatibilité intéressante et inattendue avec les technologies
de l’industrie 4.0.
À la recherche d’un Italian Way de la production intelligente
8 - Annalisa Magone et Tatiana Mazali (dir.), op. cit.
9 - Ibid.
Quand l’Industrie 4.0
allemande met
l’accent sur
la flexibilité d’usines
pouvant tendre vers
la « personnalisation
de masse »,
la production
italienne part
d’une situation
où flexibilité et
personnalisation
caractérisent déjà
son mix initial.
titre2
- 8 -
Afin d’observer les transformations induites par la numérisation
de la production, les auteurs ont visité pendant un an des usines
italiennes de grands groupes (de Comau à Fincantieri, d’Alstom
à Pirelli), principalement situées sur l’arc industriel de l’Italie
septentrionale, du Piémont à l’Émilie-Romagne. Ces grands groupes
ne prétendent pas être représentatifs de toute l’industrie italienne, mais
leur taille et notoriété en font des exemples intéressants du niveau de
diffusion des technologies numériques dans les usines de la péninsule.
Cette approche a le mérite de ne pas s’en tenir à quelques généralités
livresques mais de permettre au lecteur d’entrer très concrètement
dans la « cuisine » des usines. Si de nombreux signes témoignent
effectivement d’un tournant dans les technologies et les méthodes
de production, les auteurs constatent cependant la coexistence
de situations très hétérogènes selon les secteurs d’activités,
Continuité et discontinuité des modèles d’organisation
©Shutterstock/nikolpetr
- 8 -
La diffusion
des technologies
intelligentes
ne permet pas
d’identifier
un modèle
d’organisation qui
serait stabilisé
et généralisable.
- 9 -
10 - L’Usine nouvelle, L’Usine aéro, « Thales marie le lean à l’industrie du futur », 18 février 2018.
les types de production (en série, à la commande ou pièces uniques)
et même au sein des départements d’un même établissement.
Les technologies intelligentes sont loin d’être entrées partout ;
leur présence demeure limitée et discontinue. Surtout, même
lorsqu’elles sont déployées, elles ne permettent pas d’identifier
un modèle d’organisation qui serait stabilisé et généralisable.
C’est pourquoi les auteurs préfèrent parler d’un virage intelligent
de la production, plutôt que d’industrie du futur. La révolution
« disruptive » annoncée n’en est qu’à ses prémices.
Au registre des discontinuités, ils identifient que les frontières spatiales
et organisationnelles des usines deviennent de plus en plus poreuses et
difficiles à délimiter. La production est de plus en plus imbriquée avec
l’amont (conception) et l’aval (logistique et commercialisation),
que ce soit au sein de l’établissement industriel, de la filière ou de
la chaîne de valeur mondialisée, à l’instar des biens physiques qui
tendent à incorporer une plus grande part de valeur immatérielle.
Aux dires des dirigeants interrogés, les usines du futur sont imaginées
comme des espaces à forte intensité capitalistique, traversés par
des flux de données provenant du marché, de taille réduite et
harmonieusement insérés dans les territoires. Mais ce ne seront plus
de grands pourvoyeurs d’emploi, et leur intérêt résidera surtout
dans le fait de catalyser des savoirs et des processus, dans le cadre
d’une chaîne raccourcie et intégrée entre science, recherche appliquée,
conception, production, distribution et consommation. De même,
la traditionnelle division entre ouvriers, employés, techniciens, cadres
et management ne suffira plus à rendre compte de l’organisation réelle
du travail.
Pourtant, à bien des égards, insistent les auteurs, les usines
« intelligentes » d’aujourd’hui s’inscrivent dans la continuité du
modèle toyotiste : lean, autonomie et responsabilisation des opérateurs,
importance des équipes et des team leaders, conception orientée client,
juste-à-temps, réduction des stocks et des délais. Cette parenté entre
le lean manufacturing et les mutations induites par les technologies
numériques est également évoquée en France : « Les sites les plus
matures en termes de lean prennent plus rapidement le virage de
l’industrie 4.0. La culture lean a créé des comportements propices à
l’acceptation du changement et à l’apprentissage », estime
Philippe Chamoret, vice-président industrie chez Thales10
.
L’usine 4.0 apparaît donc comme un développement sophistiqué
du post-fordisme ou de l’automatisation flexible. Les auteurs parlent
de post-fordisme « augmenté » par les technologies numériques.
Tout se passe comme si les technologies numériques permettaient de
réaliser enfin les promesses du toyotisme, « en levant les obstacles
techniques qui en empêchaient le complet avènement ».
Tout se passe
comme si
les technologies
numériques
permettaient de
réaliser enfin
les promesses
du toyotisme,
« en levant
les obstacles
techniques qui
en empêchaient
le complet
avènement ».
titre2
- 10 -
Qu’est-ce que ces transformations changent pour les travailleurs
de l’usine ? Sur ce point, les auteurs soulignent les écarts entre
la rhétorique de l’industrie 4.0 et la réalité observée. Pierre Veltz,
qui préface la version française de l’ouvrage, parle pour sa part
« des effets ambivalents » produits par la technologie sur le travail.
Premièrement, l’usine intelligente ne révèle pas un simple
aplatissement des lignes hiérarchiques. La réalité est plus complexe :
les hiérarchies traditionnelles top-down sont remplacées par
des formes de hiérarchie basées sur la détention et le contrôle du savoir
numérique. C’est dans les usines les plus « intelligentes » qu’on voit
se renforcer une couche de collaborateurs qui donnent de l’intelligence
aux machines et sont en charge de « traduire » les processus dans
des dispositifs numériques accessibles aux opérateurs.
De même, il serait prématuré d’affirmer que l’usine du futur requerra
une élévation globale des compétences. Il s’agit plutôt de compétences
différentes, ou priorisées différemment. L’ouvrier-expert ou -artisan,
aux compétences issues de l’expérience accumulée ou d’un savoir-faire
technique pointu mais étroit, cède de plus en plus la place à l’opérateur
polyvalent, multitâches, à l’aise avec les terminaux numériques,
qui supervise une fraction plus grande du processus de production,
sans forcément disposer de connaissances techniques spécialisées.
« Ce n’est plus un expert, mais il sait un peu de tout », ou encore
« l’opérateur n’a aucun besoin de comprendre ce qui se passe,
mais s’il le sait, c’est mieux ! » rapportent des dirigeants de sites
industriels interrogés par les auteurs.
Cet opérateur est-il « augmenté » ou « diminué », plus ou moins
compétent ? Piloter un robot de soudage nécessite-t-il plus de
compétences que de souder soi-même ? Paradoxalement, l’industrie
du futur semble à la recherche d’une main d’œuvre plus instruite
mais moins compétente ou différemment compétente, ce qui n’est pas
sans impact sur l’orientation que devront prendre les politiques de
formation. « Dans les organisations les plus avancées, on trouve,
d’une part, une main d’œuvre plus éduquée et, de l’autre, une relative
sous-utilisation des compétences issues de l’expérience ou
une demande pour des compétences simplifiées. » L’industrie 4.0
laisse en effet entrevoir une volonté de standardisation des processus,
encapsulés et fixés dans des dispositifs numériques qui pilotent et
cadrent l’exécution. Chez Alstom Ferroviaria, par exemple,
on trouve à la fois une modélisation en 3D du train permettant
d’assister des opérateurs moins expérimentés que par le passé dans
L’opérateur 4.0, plus instruit et moins compétent ?
- 10 -
Pierre Veltz
parle « des effets
ambivalents »
produits par
la technologie
sur le travail.
L’ouvrier-expert
cède la place
à l’opérateur
polyvalent,
multitâches, à l’aise
avec les terminaux
numériques, qui
supervise une
fraction plus grande
du processus de
production.
- 11 -
toutes les étapes de montage, et l’École des projets spéciaux qui forme
des opérateurs spécialisés sur des parties du processus capitales pour
la qualité du train.
Il reste donc à confirmer que la polyvalence requise par l’élargissement
des tâches correspondra bien à un enrichissement de celles-ci et
non à un appauvrissement des postes. Être équipé d’une tablette,
d’un casque avec écouteurs ou même d’un masque de réalité virtuelle
n’est pas le signe que le travail est devenu en soi plus riche et
intéressant. L’industrie 4.0 pourrait représenter une porte d’entrée aussi
bien vers des emplois plus gratifiants que vers une « aliénation 4.0 »
ou « un nouveau fordisme numérique », tel qu’on peut le voir à l’œuvre
dans la logistique, l’un des secteurs les plus avancés dans l’intégration
des technologies numériques.
©Shutterstock/ROBERTO ZILLI
Il reste à confirmer
que la polyvalence
requise par
l’élargissement
des tâches
correspondra bien
à un enrichissement
des tâches.
titre2
- 12 -
Pour en savoir plus
·· Annalisa Magone et Tatiana Mazali (dir.), Voyage dans l’industrie du futur italienne,Les Notes de La Fabrique, La
Fabrique de l’industrie, Presses des Mines, octobre 2018.
·· Thibaut Bidet-Mayer et Louisa Toubal, Travail industriel à l’heure du numérique. Se former aux compétences de
demain, Les Notes de La Fabrique, La Fabrique de l’industrie, Presses des Mines 2016.
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Ce que l'Italie nous apprend sur l'industrie du futur

  • 1. Ce que l’Italie nous apprend sur l’industrie du futur Les Synthèses de La Fabrique Numéro 21 - Septembre 2018 Introduction L’Italian Way de la production intelligente En 2015-2016, des chercheurs du think tank Torino Nord Ovest, basé à Turin, ont effectué un grand voyage dans certaines des plus grandes usines d’Italie pour observer comment le paradigme de l’industrie 4.0 s’implante dans le pays. Cette recherche nous a intéressés à plus d’un titre. D’abord, parce qu’elle s’inscrit dans notre volonté de faire connaître la réalité industrielle d’autres pays, comme nous l’avons déjà fait pour l’Allemagne, la Suède, les États-Unis et le Royaume-Uni. Ensuite parce que l’industrie du futur constitue l’un des fils rouges de nos travaux. L’approche proposée par les auteurs est principalement centrée sur l’impact qu’a ou aura la modernisation technologique des usines sur l’organisation et la nature du travail. Ils prolongent ainsi, à la faveur d’un regard sociologique perspicace, les travaux consacrés en France à ce sujet. Anne-Sophie Alsif et Marie-Laure Cahier Sommaire 3 5 Les limites du modèle industriel italien Industrie 4.0, cadre conceptuel pour la modernisation de l’industrie A la recherche d’un Italian Way de la production intelligente 7 Continuité et discontinuité des modèles d’organisation L’opérateur 4.0, plus instruit et moins compétent ? 8 10 ©Stock.adobe/Rawf8
  • 2. - 2 - Entre 2008 et 2014, l’économie italienne a subi une véritable récession, avec un taux de « croissance » de -1 % en 2008 et de -5,5 % en 2009. Le pays n’en est sorti qu’en 2014, avec une croissance à 0,1 % seulement1 . Avec un secteur manufacturier reposant essentiellement sur le dynamisme de PME exportatrices, de petite taille, à gouvernance familiale et recourant principalement à l’endettement, l’Italie a souffert plus que d’autres du repli de la demande extérieure suite à la crise financière de 2008. Ce phénomène a été aggravé en 2011 par la crise de la dette souveraine, qui a provoqué un credit crunch, entraînant la faillite de nombreuses PME déjà fragilisées. Leur nombre (hors micro-entreprises) est passé de 150 000 en 2007 à 136 000 en 2014 pour repartir à la hausse à partir de 2015. Depuis quatre ans, le secteur privé semble renouer avec une trajectoire positive, mais de nombreuses incertitudes politiques et économiques pèsent toujours sur l’avenir de la péninsule, notamment le poids de la dette publique (131 % du PIB en 2017) et la faiblesse de la croissance potentielle. Dans ce contexte, l’industrie 4.0 offre un cadre conceptuel pour dépasser les fragilités structurelles du tissu productif et relancer les investissements. Reposant sur des stimulations fiscales et des crédits d’impôt, le Piano Nazionale Impresa 4.0 lancé en septembre 2016 vise principalement à assurer la modernisation de l’appareil de production et à favoriser l’innovation. Longtemps, l’innovation technologique n’a pas été la priorité du Made in Italy, dont le modèle reposait et repose encore sur un mix de créativité, style, qualité et orientation à l’export, ainsi que sur une main d’œuvre expérimentée, flexible et peu chère. Dans les usines de la péninsule, la révolution numérique n’en est donc qu’à ses prémices. Même dans les grands groupes, on observe davantage un toyotisme augmenté par les technologies numériques qu’un véritable bouleversement. Cependant, l’industrie 4.0 offre à l’Italie des perspectives inattendues. Contrairement à l’Allemagne, son problème n’est pas tant de « personnaliser » la production de masse que « d’industrialiser » l’artisanat. Personnalisation, flexibilité et orientation client caractérisent déjà le mix productif italien ; dès lors, l’introduction des nouvelles technologies représente l’opportunité de conjoindre croissance des volumes, productivité et qualités propres à cette industrie artisanale. Résumé 1 - World Economic Outlook Database, IMF, April 2018.
  • 3. - 3 - L’Italie compte globalement plus d’entreprises que la France (4,4 millions contre 3,8 millions), avec une taille moyenne inférieure à celle de leurs homologues européennes pour toutes les catégories d’entreprises. En Italie, les PME (1 à 249 employés) représentent 99,9 % du total des entreprises et 80 % de l’emploi privé. Ces unités sont à 95 % des micro-entreprises (moins de 10 salariés), l’effectif moyen se situant à 4 salariés contre 6 dans l’Union européenne. Les micro-entreprises occupent donc une place plus importante qu’ailleurs dans le système de production. Elles emploient 47 % des actifs et produisent 30 % de la valeur ajoutée2 mais accusent un niveau de productivité plus faible que les grandes entreprises (33 000 euros de valeur ajoutée par personne contre 96 000, dans le secteur industriel). Les limites du modèle industriel italien Figure 1. Répartition des entreprises italiennes par taille Source : Istat. Reste 0,1% de grandes entreprises (+ de 250 salariés) 2 - Istat, 2015. 99,9% PME dont 95% micro- entreprises Deuxième pays manufacturier européen loin derrière l’Allemagne (selon le poids de l’industrie dans le PIB), l’Italie présente des similitudes avec la France. Selon Eurostat, en 2016, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB était de 14,6 % en Italie et de 10,2 % en France. Entre 1995 et 2015, cette part a baissé de 5,1 points dans les deux pays. De même, le poids de l’industrie dans l’emploi total a baissé respectivement de 5,2 et 5,6 points en France et en Italie sur la même période (passant de 16,1 % à 10,9 % en France et de 22,5 % à 16,9 % en Italie). Quoique partant de niveaux différents, nos deux pays suivent donc un même rythme de désindustrialisation.
  • 4. - 4 - Les PME italiennes ont durement subi les effets de la crise de 2008. Entre 2007 et 2014, leur nombre (hors micro-entreprises) est passé de 150 000 à 136 000 pour remonter à 145 000 en 20163 . L’industrie italienne est dominée par les PME manufacturières de petite taille, majoritairement à gouvernance familiale. Elles ont fait la réputation du Made in Italy dans des secteurs comme la mode, le textile, le cuir, l’ameublement ou l’agro-alimentaire. Mais l’industrie en Italie ne se résume pas à cette image. Ces entreprises sont également présentes dans les industries mécaniques (auto, moto, machines-outils et robotique de production, électroménager), de la défense, de la chimie, de la construction navale ou ferroviaire, secteurs tirés par des entreprises têtes de filière, comme Fiat Chrysler (FCA), Solvay, Fincantieri ou Alstom Ferroviaria. Longtemps, la compétitivité du Made in Italy a reposé sur quelques caractéristiques – spécialisation de niche, créativité et design, qualité de l’exécution, orientation à l’exportation – tout en s’appuyant sur une main d’œuvre expérimentée, flexible et à coûts contenus. On peut ainsi parler d’une forme d’« artisanalité » de l’industrie italienne. Ni la recherche et développement, ni l’innovation technologique, ni la formation de la main d’œuvre n’ont été prioritaires pour la majorité des PME italiennes. La crise de 2008 a révélé les limites de ce modèle. 3 - Rapport Cerved PMI 2017. ©Shutterstock/Cividin Les PME italiennes ont durement subi les effets de la crise de 2008. Ni la recherche et développement, ni l’innovation technologique, ni la formation de la main d’œuvre n’ont été prioritaires pour la majorité des PME italiennes.
  • 5. - 5 - Comme en France, certaines entreprises ont cependant su traverser la crise, quitte à « rebondir et se réinventer »4 , en réalisant des investis- sements ciblés sur la modernisation des équipements de production, le capital immatériel et la montée en gamme. Le Cerved a étudié un échantillon de 316 000 entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de 500 000 euros, entre 2007 et 20155 . Les entreprises ayant le plus investi, dès avant la crise de 2008, appelées les entreprises « aigles » (le aquile), soit 3,8 % de l’échantillon, enregistrent des résultats supérieurs en matière de croissance, de productivité et de rentabilité. Elles sont également plus récentes, emploient plus de femmes et de salariés de moins de 45 ans, et disposent globalement d’une main d’œuvre plus qualifiée. L’étude montre que les salariés des entreprises les plus innovantes bénéficient de conditions de travail plus précaires mais sont davantage mobiles et moins sujets au chômage de longue durée. Comme l’indiquait l’ancien ministre de l’Économie, Carlo Calenda, au quotidien milanais Il Corriere della Sera le 30 octobre 2017, l’économie italienne est composée de « 20 % d’entreprises compétitives, 20 % d’entreprises en crise, et un univers au milieu qui n’a pas encore sauté le pas ». Industrie 4.0, cadre conceptuel pour la modernisation de l’industrie 4 - Voir Marie-Laure Cahier et Vincent Charlet, Rebondir et se réinventer, la résilience des ETI industrielles, Les Notes de La Fabrique, 2017. 5 - Rapport Cerved PMI 2017. ©Shutterstock/Riccardo Arata L’économie italienne est composée de « 20 % d’entreprises compétitives, 20 % d’entreprises en crise, et un univers au milieu qui n’a pas encore sauté le pas ».
  • 6. titre2 - 6 - C’est dans ce contexte que se sont progressivement diffusés les principes de l’Industrie 4.0. Les chercheurs de Torino Nord Ovest, un think tank italien basé à Turin, ont effectué en 2014-2016 un voyage au sein de grandes usines italiennes pour évaluer si et comment le paradigme 4.0 prend corps dans le pays, en analysant en particulier son impact sur l’organisation du travail6 . Comme l’expliquent les auteurs de cette étude, c’est souvent par les filiales d’entreprises allemandes et par les cabinets conseil qui interviennent à leurs côtés, que les concepts de l’usine intelligente pénètrent dans les établissements : « Porsche Consulting a contribué à restructurer les processus de 200 entreprises italiennes, parmi lesquelles des firmes dont l’actionnariat est allemand comme Lamborghini (groupe VW), mais également des entreprises italiennes comme Illy (agro-alimentaire), Mondadori (presse/édition), Trussardi (mode), etc. ». Bien sûr, le diagnostic d’une modernisation nécessaire de l’industrie italienne pour répondre aux attentes des marchés mondiaux préexistait à la diffusion du paradigme 4.0. Celui-ci devient ainsi essentiellement un mot d’ordre fédérateur et un cadre conceptuel destiné à fixer un cap, à favoriser la mobilisation des investissements et à bâtir une politique publique adaptée. Le Piano Nazionale Impresa 4.0 (anciennement Industria 4.0), dit aussi plan Calenda, a été présenté en septembre 2016. Il consiste principalement en des stimulations fiscales à destination des entreprises, telles que des mesures de sur-amortissement, un crédit d’impôt recherche et un crédit d’impôt formation, et n’est pas particulièrement orienté vers un soutien à la recherche publique, contrairement aux plans nationaux d’autres pays, dont la France, qui privilégient une approche mixte. À la fin 2017, un rapport KPMG7 dressant un bilan de la première année de mise en œuvre du plan indiquait que 67 % des moyennes et grandes entreprises interrogées avaient activé au moins un instrument du plan, sans établir pour autant une corrélation entre ce plan et les signaux positifs donnés par les entreprises italiennes. En effet, 44 % des entreprises interrogées déclaraient qu’elles auraient procédé à un investissement en l’absence d’incitation publique. Le rapport PME 2017 du Cerved, indique une amélioration des bilans des PME pour la quatrième année consécutive, un net redémarrage de l’investissement qui s’était effondré entre 2007 et 2013, et un renforcement des capitaux propres qui pourrait permettre à l’avenir une augmentation de l’endettement. 6 - Annalisa Magone et Tatiana Mazali (dir.), Voyage dans l’industrie du futur italienne, Les Notes de La Fabrique, La Fabrique de l’industrie, Presses des Mines, octobre 2018. 7 - KPMG, Comitato Leonardo, Industria 4.0 per un’impresa globale: la dimensione del fenomeno, le implicazioni per il Paese, le policy, 13 novembre 2017. - 6 - À la fin 2017, un rapport KPMG dressant un bilan de la première année de mise en œuvre du plan indiquait que 67 % des moyennes et grandes entreprises interrogées avaient activé au moins un instrument du plan.
  • 7. - 7 - Conçue pour la grande industrie allemande, l’industrie 4.0 est-elle soluble dans le Made in Italy ? se demandent les auteurs. « En effet, pour de larges pans du tissu industriel italien, le problème n’est pas tant d’apporter de la flexibilité à des productions à haute intensité capitalistique, que de produire davantage de volume et d’acquérir une culture industrielle, sans sacrifier pour autant le caractère artisanal des productions, ni la capacité à occuper des niches aux volumes limités mais à haute valeur ajoutée. Soit un problème exactement inverse de celui que se propose de résoudre l’industrie 4.0.8  » On ne saurait mieux poser les termes du débat : quand l’Industrie 4.0 allemande met l’accent sur la flexibilité d’usines pouvant tendre vers la « personnalisation de masse », la production italienne part d’une situation où flexibilité et personnalisation caractérisent déjà son mix initial. Selon le mot des auteurs, son problème n’est pas tant « d’artisanaliser l’industrie » que d’« industrialiser l’artisanat ». Dès lors, l’introduction des nouvelles technologies représenterait l’opportunité de conjoindre productivité et qualités propres à cette industrie artisanale. « La production intelligente pourrait avantager les productions italiennes, dans la mesure où celles-ci sont depuis toujours orientées vers la personnalisation. Nous aurions ainsi une sorte de retour au caractère artisanal de la production, qui ne serait plus une niche de résistance par défaut, mais bien une déclinaison de l’innovation et du développement industriel 4.0 ; les nouveaux “artisans” deviendraient ainsi les principaux bénéficiaires de la numérisation industrielle9  », indiquent les auteurs. On constate d’ailleurs que ce trait « néo-artisanal » est explicitement revendiqué comme un marqueur d’italianité par des dirigeants industriels italiens, leaders mondiaux de leur marché. On peut citer en exemple des applications déjà opérationnelles dans la haute couture ou la chaussure sur-mesure, avec des scanners 3D permettant d’adapter les produits à la morphologie de chaque client, mais tous les secteurs du Made in Italy sont potentiellement concernés : de la couleur personnalisée des carrelages à la conception sur-mesure des canapés et des lits, des revêtements muraux en marbre ou en bois à la personnalisation des lunettes et autres accessoires de mode. La spécialisation de niche, caractéristique du positionnement stratégique de nombreuses PME italiennes, présenterait ainsi une compatibilité intéressante et inattendue avec les technologies de l’industrie 4.0. À la recherche d’un Italian Way de la production intelligente 8 - Annalisa Magone et Tatiana Mazali (dir.), op. cit. 9 - Ibid. Quand l’Industrie 4.0 allemande met l’accent sur la flexibilité d’usines pouvant tendre vers la « personnalisation de masse », la production italienne part d’une situation où flexibilité et personnalisation caractérisent déjà son mix initial.
  • 8. titre2 - 8 - Afin d’observer les transformations induites par la numérisation de la production, les auteurs ont visité pendant un an des usines italiennes de grands groupes (de Comau à Fincantieri, d’Alstom à Pirelli), principalement situées sur l’arc industriel de l’Italie septentrionale, du Piémont à l’Émilie-Romagne. Ces grands groupes ne prétendent pas être représentatifs de toute l’industrie italienne, mais leur taille et notoriété en font des exemples intéressants du niveau de diffusion des technologies numériques dans les usines de la péninsule. Cette approche a le mérite de ne pas s’en tenir à quelques généralités livresques mais de permettre au lecteur d’entrer très concrètement dans la « cuisine » des usines. Si de nombreux signes témoignent effectivement d’un tournant dans les technologies et les méthodes de production, les auteurs constatent cependant la coexistence de situations très hétérogènes selon les secteurs d’activités, Continuité et discontinuité des modèles d’organisation ©Shutterstock/nikolpetr - 8 - La diffusion des technologies intelligentes ne permet pas d’identifier un modèle d’organisation qui serait stabilisé et généralisable.
  • 9. - 9 - 10 - L’Usine nouvelle, L’Usine aéro, « Thales marie le lean à l’industrie du futur », 18 février 2018. les types de production (en série, à la commande ou pièces uniques) et même au sein des départements d’un même établissement. Les technologies intelligentes sont loin d’être entrées partout ; leur présence demeure limitée et discontinue. Surtout, même lorsqu’elles sont déployées, elles ne permettent pas d’identifier un modèle d’organisation qui serait stabilisé et généralisable. C’est pourquoi les auteurs préfèrent parler d’un virage intelligent de la production, plutôt que d’industrie du futur. La révolution « disruptive » annoncée n’en est qu’à ses prémices. Au registre des discontinuités, ils identifient que les frontières spatiales et organisationnelles des usines deviennent de plus en plus poreuses et difficiles à délimiter. La production est de plus en plus imbriquée avec l’amont (conception) et l’aval (logistique et commercialisation), que ce soit au sein de l’établissement industriel, de la filière ou de la chaîne de valeur mondialisée, à l’instar des biens physiques qui tendent à incorporer une plus grande part de valeur immatérielle. Aux dires des dirigeants interrogés, les usines du futur sont imaginées comme des espaces à forte intensité capitalistique, traversés par des flux de données provenant du marché, de taille réduite et harmonieusement insérés dans les territoires. Mais ce ne seront plus de grands pourvoyeurs d’emploi, et leur intérêt résidera surtout dans le fait de catalyser des savoirs et des processus, dans le cadre d’une chaîne raccourcie et intégrée entre science, recherche appliquée, conception, production, distribution et consommation. De même, la traditionnelle division entre ouvriers, employés, techniciens, cadres et management ne suffira plus à rendre compte de l’organisation réelle du travail. Pourtant, à bien des égards, insistent les auteurs, les usines « intelligentes » d’aujourd’hui s’inscrivent dans la continuité du modèle toyotiste : lean, autonomie et responsabilisation des opérateurs, importance des équipes et des team leaders, conception orientée client, juste-à-temps, réduction des stocks et des délais. Cette parenté entre le lean manufacturing et les mutations induites par les technologies numériques est également évoquée en France : « Les sites les plus matures en termes de lean prennent plus rapidement le virage de l’industrie 4.0. La culture lean a créé des comportements propices à l’acceptation du changement et à l’apprentissage », estime Philippe Chamoret, vice-président industrie chez Thales10 . L’usine 4.0 apparaît donc comme un développement sophistiqué du post-fordisme ou de l’automatisation flexible. Les auteurs parlent de post-fordisme « augmenté » par les technologies numériques. Tout se passe comme si les technologies numériques permettaient de réaliser enfin les promesses du toyotisme, « en levant les obstacles techniques qui en empêchaient le complet avènement ». Tout se passe comme si les technologies numériques permettaient de réaliser enfin les promesses du toyotisme, « en levant les obstacles techniques qui en empêchaient le complet avènement ».
  • 10. titre2 - 10 - Qu’est-ce que ces transformations changent pour les travailleurs de l’usine ? Sur ce point, les auteurs soulignent les écarts entre la rhétorique de l’industrie 4.0 et la réalité observée. Pierre Veltz, qui préface la version française de l’ouvrage, parle pour sa part « des effets ambivalents » produits par la technologie sur le travail. Premièrement, l’usine intelligente ne révèle pas un simple aplatissement des lignes hiérarchiques. La réalité est plus complexe : les hiérarchies traditionnelles top-down sont remplacées par des formes de hiérarchie basées sur la détention et le contrôle du savoir numérique. C’est dans les usines les plus « intelligentes » qu’on voit se renforcer une couche de collaborateurs qui donnent de l’intelligence aux machines et sont en charge de « traduire » les processus dans des dispositifs numériques accessibles aux opérateurs. De même, il serait prématuré d’affirmer que l’usine du futur requerra une élévation globale des compétences. Il s’agit plutôt de compétences différentes, ou priorisées différemment. L’ouvrier-expert ou -artisan, aux compétences issues de l’expérience accumulée ou d’un savoir-faire technique pointu mais étroit, cède de plus en plus la place à l’opérateur polyvalent, multitâches, à l’aise avec les terminaux numériques, qui supervise une fraction plus grande du processus de production, sans forcément disposer de connaissances techniques spécialisées. « Ce n’est plus un expert, mais il sait un peu de tout », ou encore « l’opérateur n’a aucun besoin de comprendre ce qui se passe, mais s’il le sait, c’est mieux ! » rapportent des dirigeants de sites industriels interrogés par les auteurs. Cet opérateur est-il « augmenté » ou « diminué », plus ou moins compétent ? Piloter un robot de soudage nécessite-t-il plus de compétences que de souder soi-même ? Paradoxalement, l’industrie du futur semble à la recherche d’une main d’œuvre plus instruite mais moins compétente ou différemment compétente, ce qui n’est pas sans impact sur l’orientation que devront prendre les politiques de formation. « Dans les organisations les plus avancées, on trouve, d’une part, une main d’œuvre plus éduquée et, de l’autre, une relative sous-utilisation des compétences issues de l’expérience ou une demande pour des compétences simplifiées. » L’industrie 4.0 laisse en effet entrevoir une volonté de standardisation des processus, encapsulés et fixés dans des dispositifs numériques qui pilotent et cadrent l’exécution. Chez Alstom Ferroviaria, par exemple, on trouve à la fois une modélisation en 3D du train permettant d’assister des opérateurs moins expérimentés que par le passé dans L’opérateur 4.0, plus instruit et moins compétent ? - 10 - Pierre Veltz parle « des effets ambivalents » produits par la technologie sur le travail. L’ouvrier-expert cède la place à l’opérateur polyvalent, multitâches, à l’aise avec les terminaux numériques, qui supervise une fraction plus grande du processus de production.
  • 11. - 11 - toutes les étapes de montage, et l’École des projets spéciaux qui forme des opérateurs spécialisés sur des parties du processus capitales pour la qualité du train. Il reste donc à confirmer que la polyvalence requise par l’élargissement des tâches correspondra bien à un enrichissement de celles-ci et non à un appauvrissement des postes. Être équipé d’une tablette, d’un casque avec écouteurs ou même d’un masque de réalité virtuelle n’est pas le signe que le travail est devenu en soi plus riche et intéressant. L’industrie 4.0 pourrait représenter une porte d’entrée aussi bien vers des emplois plus gratifiants que vers une « aliénation 4.0 » ou « un nouveau fordisme numérique », tel qu’on peut le voir à l’œuvre dans la logistique, l’un des secteurs les plus avancés dans l’intégration des technologies numériques. ©Shutterstock/ROBERTO ZILLI Il reste à confirmer que la polyvalence requise par l’élargissement des tâches correspondra bien à un enrichissement des tâches.
  • 12. titre2 - 12 - Pour en savoir plus ·· Annalisa Magone et Tatiana Mazali (dir.), Voyage dans l’industrie du futur italienne,Les Notes de La Fabrique, La Fabrique de l’industrie, Presses des Mines, octobre 2018. ·· Thibaut Bidet-Mayer et Louisa Toubal, Travail industriel à l’heure du numérique. Se former aux compétences de demain, Les Notes de La Fabrique, La Fabrique de l’industrie, Presses des Mines 2016. LaFabriqueDeLIndustrie @LFI_LaFabrique La Fabrique de l’industrie 81 boulevard Saint-Michel – 75005 Paris www.la-fabrique.fr