Nous fournissons ici un exemple de savant dont l’œuvre fut louée et utilisée et est conservée dans plusieurs exemplaires dont certains sont enluminés, cependant que les sources biographiques restent muettes à son sujet. Nous avions déjà rencontré des cas semblables. Curieusement, ceci bien que ce savant ait vécu en Orient où les sources biographiques sont nombreuses et s’intéressent à des personnages de loin moins influents que notre savant. Dans cet article, deux objectifs sont visés: le premier est de jeter un très un bref coup d'œil sur une œuvre monumentale de cet astronome, et le second est d'essayer d'apporter quelques renseignements sur sa biographie en se référant principalement à cette œuvre.
al-Ḥasan al-Marrākushī: entre Maghreb et Moyen- Orient (actif vers 680H/1281)
1. 1
al-Ḥasan al-Marrākushī: entre Maghreb et Moyen- Orient
(actif vers 680H/1281)
Par: Driss Lamrabet
Cet article est basé sur un chapitre de mon livre : Introduction à l'histoire des
mathématiques maghrébines publié chez Amazon:
HTTPS://WWW.AMAZON.FR/INTRODUCTION-LHISTOIRE-MATHEMATIQUES-
MAGHREBINES-LAMRABET/DP/B084DGPNNY
Mots-clés: histoire des sciences- astronomie- Maghreb- instruments astronomiques
Nous fournissons ici un exemple de savant dont l’œuvre fut louée et utilisée et est conservée dans
plusieurs exemplaires dont certains sont enluminés, cependant que les sources biographiques
restent muettes à son sujet. Nous avions déjà rencontré des cas semblables1
. Curieusement, ceci
bien que ce savant ait vécu en Orient où les sources biographiques sont nombreuses et
s’intéressent à des personnages de loin moins influents que notre savants2
.
Avec cet astronome, nous avons en plus une illustration du flux migratoire médiéval de savants
depuis l'Occident musulman vers le Moyen Orient. Le cas d'al-Marrākushī n'est pas unique et
des dizaines d'autres astronomes et mathématiciens ont fait de même (des exemples en sont
rapportés dans notre ouvrage susmentionné). Si dans certains cas les raisons de l'expatriation
sont perceptibles (politiques ou religieuses par exemple), elles ne sont parfois pas explicites,
comme le cas d'al-Marrākushī ici vu que les sources biographiques ne le présentent même pas.
Dans cet article, deux objectifs sont visés: le premier est de jeter un très un bref coup d'œil sur
une œuvre monumentale de cet astronome, et le second est d'essayer d'apporter quelques
renseignements sur sa biographie en se référant principalement à cette œuvre.
M530- al-Ḥasan b. ‘Alī b. ‘Umar al-Marrākushī, Sharaf al-Dīn ,Abū ‘Alī بن علي بن الحسن
أب ،المراكشي عمرعلي و (actif vers 680H/1281): Un des plus grands astronomes et géographes
universels auquel le Maghreb donna naissance. Originaire du Maroc, il s'étabit en Orient.
Malgré sa célébrité, ce savant ne bénéficia d'aucune présentation digne de lui dans les sources
biobibliographiques, tant en Occident musulman qu’en Orient. Hormis une brève allusion au
titre de son œuvre majeure (citée ci-après) 3
, rien n'est connu :
1
Par exemple dans la biographie n°M55 de notre livre, ou dans notre article : Ecrits mathématiques en circulation
au Maghreb a l'époque d'Ibn khaldun (732-808h/1332-1406). In Les constructions intellectuelles en Occident
Musulman au temps d’Ibn Khaldun. Coordination: B. El Bouazzati.
2
Pour ne citer que des exemples proches de la période où vécut abū Alī : al-Dhahabī (m.748H): Tārīkh al-Islām
(52 tomes) ou Siyar a’lām al-nubalā’ ( 25 volumes) ou al-Ṣafadī (m.764H) : al-Wāfī bī al-wafayāt (29 volumes).
3
Dont : Hajji Khalifa, 1: 384 ; al-Qalqashandī, 1: 280 (Alāt al-Taqwīm) et 1: 477 (Jāmi‘ al-mabādi') ; Ibn al-
Akfānī.
2. 2
-Ni sur ses origines: était-il né à Marrakech? Y avait-il passé une partie de son existence?
- Ni sur sa formation scientifique: avait-il étudié au Maroc? Dans quelle institution? Qui étaient
ses professeurs? Ses disciples ?
- Ni sur activités en Orient, plus exactement au Caire où il semble avoir composé son œuvre. En
effet, les tables astronomiques sont dressées en fonction de la latitude de cette ville (30°).
Quelques renseignements nous sont fournis dans le Jami‘ et montrent que notre astronome avait
séjourné en Occident musulman avant de s'établir en Orient. al-Marrākushī avait en effet visité
plusieurs dizaines de localités du Maghreb et d'al-Andalus dont il détermina les latitudes (dont:
Ifrane de l’Anti-Atlas, Taroudant -appelée Qa‘idat Souss-, Azemmour, Safi, Marrakech, Fès,
Meknès, Rabat, Salé, Alger, Milyāna مليانة – nom déformé en Ghāna / غانة dans l’édition
françaises et dans certaines copies- , Constantine, Tlemcen, Oran, Bougie, Jerba, Mahdiyya,
Gabès, Sfax, Tunis, Kairouan, Tripoli, Séville, Cadix) comme il le signale juste avant le tableau
fournissant les latitudes4
(hauteurs du pôle) de 135 lieux du globe.
La visite d'al-Andalus eut probablement lieu entre 1236 et 1248, la première date étant celle de
la prise de Cordoue et la seconde celle de Séville par les Chrétiens, vu que ce savant se rendit à
la deuxième ville mais pas à la première. Notons cependant qu’Abū ‘Alī ne se rendit pas à
Grenade (dont il indique la latitude), ville qui resta musulmane jusqu’en 1492.
Le voyage d’al-Marrākushī à travers ces villes a dû nécessiter des mois, voire des années compte
tenu de la superficie concernée.
La date de décès de ce savant est incertaine. Il se réfère dans son premier ouvrage à plusieurs
reprises (pp.88, 175, 189, 190 et 275 chez Sédillot) à l’année 680H/1281. Il serait mort vers
705H/1305 d’après ce que rapporte al-Jundī al-Yamanī (m.732H/1732) dans al-sulūk fi ṭabaqāt
al-‘ulama’ wa al-mulūk (vol. 2, p. 569 )5
.
Voici le titre de son œuvre principale, composée au Caire:
1) Jāmi‘ al-mabādi' wa al-ghāyāt fī ‘ilm al-mīqāt (reprographie de l’Université de Frankfurt,
deux volumes chacun de 376 pages numérotées – mss. du centre Jum‘a al-Mājid, nos
527 et 528
du catalogue- British Museum : Or 5831, ff 1r-283r, dont une copie, très belle, est disponible
sur le site de Qatar Digital Library: https://www.qdl.qa/en/search/site/manuscripts), que Hajji
Khalifa loue ainsi: c'est l'ouvrage le plus grandiose écrit sur ce sujet.
Dans cet ouvrage, al-Marrākushī fournit la description de nombreux types d'astrolabes (plan,
sphérique, cylindrique, conique, linéaire qu’il appelle Bāton d’al-Ṭūsī/Aṣāt al-Ṭūsī…), de
quadrants/quarts de cercle, de cadrans solaires, un sextant (al-sudus al-fakhrī), des instruments
pour observer les éclipses (rapporté d’après al-Bīrūnī, précise l’auteur), la nouvelle lune, etc. Il
s'appuie parfois sur des raisonnements de géométrie pour justifier ce qu'il propose.
D'après les remarques de Delambre, l'ouvrage d'al-Marrākushī se distingue notamment dans le
domaine de la Gnomonique (construction de cadrans solaires).
4
Il informe que les noms des villes qu’il a visitées sont écrites à l’encre rouge dans le tableau du manuscrit. Dans
l'édition française de Sédillot (Première Partie, chapitre XXVI, pages 202-204), ces noms sont en italique. Dans
certaines copies manuscrites, dont celle de Qatar Digital Library, le copiste n'utilise pas d'encre rouge.
5
"ََانك المراكشي ّيلَع ابو مُهْنِم َومكتبة ،اليمني الجندي الدين لبهاء "والملوك العلماء طبقات في "السلوك ."وسبعماية لبضع يّفتو اضالَف فلكيا
،صنعاء ،الرشاد1995ج ،2ص ،569.
3. 3
Cet ouvrage est divisé en quatre parties (funūn):
Première partie (al-fann al-awwal, 67 chapitres ou fusul): Des calculs (calendriers, tables
trigonométriques, paramètres utilisés en tawqit, mouvement solaire,…).
- Deuxième partie: Des constructions des instruments (sept parties/livres ou aqsam).
Livre premier : 43 propositions préliminaires, dont les constructions géométriques fondamentales
(bissectrice, médiatrice, angle isométrique à un angle donné, division d'un segment en parties
isométriques, perpendiculaire, parallèle, etc.), les critères pour reconnaître si un angle est droit,
aigu ou obtus, si une surface est plane, grandeur de la projection d'un gnomon se trouvant sur
l'un de deux plans orthogonaux, arc diurne d'un point de l'écliptique, trouver la hauteur et
l'azimut etc., (le tout au moyen de constructions géométriques);
livre ii: constructions de quelques types de cadrans (dont: le hāfir, l'hélice, le conique, le
cylindrique ) servant à résoudre certains problèmes, dont la détermination de l'heure;
livre iii: de la construction des parallèles décrits par l'extrémité de l'ombre des gnomons;
livre iv (4 chapitres): construction des instruments à sinus (jaybiya) permettant de déterminer le
temps vrai à partir de l'observation de la hauteur du soleil ou d'un étoile; construction des
quadrants de sinus;
livre v: construction des instruments sphériques;
livre vi: constructions des astrolabes planisphériques (5 chapitres) et ainsi que de l'astrolabe
universel (la saphea d'al-Zaqālluh) ;
livre vii: construction des instruments d'observation.
- Troisième partie: (15 chapitres), sur la manière d'opérer avec chacun des instruments dont la
construction a été décrite.
- Quatrième partie: (4 chapitres), est consacrée à des astuces et à des exercices visant à procurer
à l’apprenant la maitrise de ces instruments astronomiques et faisant appel au calcul ou à la
géométrie.
Ce livre contient de nombreux apports originaux du savant. En particulier, al-Marrākushī effectua
des observations et conclut que l'obliquité de l'écliptique oscille entre 23°33' et 23°53'.
Concernant la trigonométrie, al-Marrākushī fournit, entre autres, une table pour chacune des
"fonctions " suivantes: sinus, cotangente (ombre) calculée de 15' en 15' et pour un rayon de 12
unités, tangente (ombre verticale) de 1° à 60° pour un rayon de 60 unités..., Arc sin, Arc cos, Arc
cotan. L'auteur décrit également sur des exemples comment effectuer des interpolations pour des
valeurs non tabulées. Il emploie également les propriétés des coniques pour décrire les arcs de
cercle de l'écliptique.
Parmi les savants cités par al-Marrākushī il y a : Ibn al-Ṣalt (dont il reprend l’épître sur
l’astrolabe), al-Zarqālluh/Arzachel (pp. 127, 152, 159 de l’édition française, et dont il présente
la saphea /l’astrolable universel, au livre vi , Deuxième partie), Euclide (p.37), Hipparque (p.
127, ), Ptolémée (pp.127, 174), Al-Farghānī /Alfragan (p. 58), al-Birūnī (p.58), Jābir b. al-Aflaḥ
/Geber (p.218), Ibn al-Kammād (XIIe s.) dont il utilise le zij al-Amad ‘alā al-abad (p. 135);
4. 4
Sédillot traduisit partiellement l'ouvrage d'al-Marrākushī et son fils L. Sédillot le publia entre
1834 et 1836 sous le titre: Traité des instruments astronomiques des Arabes (630 pages+38
planches pour les figures) qui fut couronné par l'Académie des Sciences de Paris. al-‘Alami (m.
1953, n°506) signale l'existence, à son époque, d'une copie manuscrite complète au Maroc.
Cet ouvrage fut abrégé par Nāṣir al-Dīn Abū Abd Allāh M. b. Alī al-Miṣrī al-Mīqātī (m.739H/),
un muwaqqit cairote comme rapporté dans les Wafayāt (vol. 1 p. 267) d’Ibn Rāfi‘
(m.774H/1344)
2) En mathématiques, les sources citent que ce savant laissa un livre sur les sections coniques
cité par Sédillot et Suter; il est probable qu’al-Marrākushī ait utilisé des théorèmes démontrés
dans ce livre pour justifier mathématiquement la construction de certains cadrans solaires dans
Jāmi‘ al-mabādi’ (chapitres XXVI-XXIX du Livre III); Delambre (pp.525-526) relève en effet
que notre savant se base implicitement sur des propriétés des coniques non démontrées;
Delambre en a lui-même reconstitué des démonstrations;
3) Risāla fī dhāt al-kursiy (cité par al-‘Alami et non mentionné part Suter);
4) al-Qalqashandī et Ibn al-Akfānī mentionnent, à côté du Jāmi‘ al-mabādi' un autre titre: Ālāt
al-taqwīm (fī ‘ilm satḥ al-kura), cité également par Hajji Khalifa.; pourrait être le livre 1);
5) Kitāb Talkhīṣ al-a‘māl fī ru'yat al-hilāl, considéré comme encore perdu; il est mentionné
dans Jāmi‘ al-mabadi' et cité par Sédillot et Suter.
6) Kitāb fī al-'amal bi al-birkār al-tāmm, sur le compas parfait; non cité par les sources, mais
auquel se réfère al-Marrākushī dans Jāmi‘ al-mabādi’ (p. 419 de Sédillot; p.223 du tome I de la
reproduction du manuscrit par F. Sezgin).
Parmi les recherches récentes sur les travaux d’al-Marrākushī, citons :
i) l’étude intéressante des projections dans l'oeuvre d'al-Marrākushī par le chercheur algérien Sidi
Omar Assali a effectué une. Sa thèse est en ligne.
ii) les travaux de F. Charrette sur les instruments astronomiques dans lesquels on trouve quelques
renseignements ;
iii) Randy K. Schwartz a pour sa part étudié l’usage de la trigonométrie sphérique pour la
détermination de la direction de la Qibla chez al-Marrākushī : Al-qibla and the New Spherical
Trigonometry: The Examples of al-Bīrūnī and al-Marrākushī [Al-qibla et la Nouvelle
Trigonométrie Sphérique: Les Exemples d'al-Bīrūnī et al-Marrākushī]. 2010. Available online
on Researchgate website :
https://www.researchgate.net/publication/270903758_Al-
qibla_and_the_New_Spherical_Trigonometry_The_Examples_of_al-Biruni_and_al-
Marrakushi_Al-qibla_et_la_Nouvelle_Trigonometrie_Spherique_Les_Exemples_d'al-
Biruni_et_al-Marrakushi
5. 5
iv) Comes, M.: "L'équatoire méconnu d'Abū ‘l-Ḥaṣan al-Marrākushī."; Veme
Colloque
Maghrébin sur l'Histoire des Mathématiques Arabes: Actes du colloque, Hammamet 1-2-3
Décembre 1994, pp 49-61.
(L’équatoire est un instrument servant à déterminer les positions des planètes)
v) l’étude de diverses tables astronomiques dans al-mabādi' wa al-ghāyāt (comme il est parfois
appelé) par D. King dans In Synchrony with the Heavens ;
[Jāmi‘ al-mabādi', reproduit par F. Sezgin en 2 tomes – Sédillot: Traité des instruments
astronomiques des Arabes- Delambre: Histoire de l’astronomie du Moyen Age, pp. – 185-190 et
515-539 - Sarton: T.II, pp.622-623 - Brockelmann: GI: 473 et SI: 866 - Hajji Khalifa, 1: 384 -
al- I‘lām 3 Gannun: Nubugh, TI, p.161 - Ibn al-Akfānī- Dreyer: p.251 - Tôqān, pp.416-417 - al-
Qalqashandī, 1: 280 (Alāt al-Taqwīm) et 1: 477 (Jāmi‘ al-mabādi') - al-‘Alami: Inhāḍ al-himam-
Suter p.144, n°363-Sànchez-Pérez p.59, n°49 - Comès, M., 1994 – Sidi Omar Assali, Thèse
Magister Alger, 2000; thèse Doctorat, Alger, 2012- F. Charrette (ed.): Kitāb Fī Al-ālāt Al-
falakīyah Rosenfeld & Ihsanoglu, n°592 ].
Description des étapes de la construction de l'astrolabe universelle (dos) par al- Ḥasan al-Marrākushī (actif vers
680H/1280). Manuscrit de la Bibliothèque d'Alexandrie.