Serge Doubrovsky __ SD essayiste, Un regard sur « Enseigner -- Pierre-Alexandre Sicart -- Dalhousie French Studies, 91, pages 89-96, 2010 sum -- 10.2307_41705512 -- b093d9962b0ef9aebed0342565044c1d -- Anna’s Archi.pdf
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SD essayiste, Un regard sur « Enseigner la littérature » de Serge Doubrovsky
Author(s): Pierre-Alexandre Sicart
Source: Dalhousie French Studies, Vol. 91, Serge Doubrovsky (Summer 2010), pp. 89-96
Published by: Dalhousie University
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41705512
Accessed: 21-01-2016 22:01 UTC
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2. SD essayiste, Un regard sur « Enseigner la littérature »
de Serge Doubrovsky
Pierre-Alexandre
Sicari
Avec
mes
remerciements
à Pierre
Glaudes
etFrançoise
Gaillard.
ourvous,
pour
moi,
Serge
Doubrovsky
estd'abord
unpersonnage
deroman,
avant
mêmed'êtreun romancier
et l'inventeur
(au sensmoderne
de créateur
ou
étymologique
dedécouvreur
) decequireste
un« mauvais
genre
» littéraire:
l'autofiction.
Si celle-ci
suppose
bienl'identité
nominale
entre
auteur,
narrateur
etprotagoniste1,
ces
trois
entités
sont
finalement
citées
parordre
décroissant
d'importance-
ou plutôt,
de
présence
autexte.
Lepersonnage
sedonne;
lenarrateur
sedevine;
l'auteur,
aumieux,
se
déchiffre.
L'auteur
estla personne,
maisla personne
estplusquel'auteur,
etc'estd'abord
comme
critique
littéraire
queSerge
Doubrovsky
s'estfait
unnom.
Enécrivant
Fils
, il
s'imagine
qu'ilsera
posthumément
connu
pour
sestravaux
théoriques
surla « nouvelle
critique»2
(.
Parcours
critique
II 11)qui,parus
en 1966,
luiavaient
valule respect
de
Sartre.3
En1963,
sonrecueil
denouvelles
américaines
LeJour
S4s'estvucomplètement
éclipsé
parsontraité
Corneille
etla dialectique
duhéros5,
quidéclencha
unepolémique
violente
danslesmilieux
universitaires-
etreste,
à cejour,régulièrement
réimprimé.
Après
cela,il faudra
attendre
sixanspour
La Dispersion
(1969),sonpremier
roman,
quatorze
anspour
l'invention
nominale
del'autofiction
avecFils(1977),
etvingt-six
ans
pour
qu'avec
LeLivre
brisé
(1989)larenommée
del'écrivain
finalement
dépasse
celle
ducritique.
ANewYork
University,
j'ai eulachance
desuivre
plusieurs
cours
donnés
par
Serge
Doubrovsky
(dontun surCorneille)
et c'estdoncau professeur
et à l'érudit
(au
chercheur,
à l'universitaire-
à cequelesanglo-saxons
appellent
scholar)
quej'ai cette
fois
décidé
dem'
intéresser,
à travers
« Enseigner
la littérature
». Étape
importante
d'un
Parcours
critique
(1980),cetarticle
estd'abord
parudansL'Enseignement
de la
littérature
(1971)et,avant
cela,dans
La Quinzaine
littéraire
(16septembre
1969)sous
une
forme
abrégée
etuntitre
unpeudifférent:
« Faut-il
enseigner
lalittérature?
»
Ce titre
interrogatif
invite
la discussion
etreflète
l'origine
orale
dutexte,
d'abord
présenté
aucolloque
deCerisy.
Soncôtépolémique
lesituait
d'emblée
dansla famille
1 Jacques
Lecarme
adéfini
l'autofiction
comme
un
«récit
dont
un
auteur,
narrateur
et
protagoniste
partagent
la
même
identité
nominale
etdont
l'intitulé
générique
indique
qu'il
s'agit
d'un
roman
»(«L'Autofiction:
un
mauvais
genre
»227).
2 Avant-texte
de
Fils,f
1601,
cité
par
Isabelle
Grell.
3 «Je
me
souviens
que
lorsque
j'aipu
lerencontrer
pour
lapremière
fois
- c'était
en
1966
ou1967
- ilm'a
dit
:
'S/
jevous
reçois
c'est
àcause
de
votre
livre
sur
lacritique
.'»(Parcours
critique
II,Serge
Doubrovsky,
édité
et
annoté
par
Isabelle
Grell.
Grenoble,
PUF,
2006:
14)
«Quand
ilm'a
dit,
j'aiaimé
votre
livre
sur
lacritique.
C'était
pas
un
compliment.
Du
tout.
C'était
un
fait.
»(Avant-texte
de
Fils,f
690,
cité
par
Isabelle
Grell
dans
«Du
'Monstre'
au
FILS.
»)
4 Lanouvelle
àlaquelle
lerecueil
emprunte
son
titre
met
en
scène
un
personnage
et
narrateur
qui,
déchiré
entre
son
amante
et
son
épouse,
labohème
et
leconfort,
ne
saurait
manquer
de
rappeler
lepersonnage
et
narrateur
d'Un
Amour
de
soi.
Cependant,
s'il
est
facile
d'associer
le«S»du
titre
àSerge,
c'est
un
lien
qui
n'est
jamais
confirmé.
Del'aveu
même
que
m'en
afait
l'auteur,
lanouvelle
est
bel
est
bien
autobiographique
(au
sens
où
l'on
parle
de
roman
autobiographique),
mais
elle
n'est
pas
autofictionnelle.
On
peut
choisir
d'y
voir,
tout
au
plus,
une
proto-autofiction
5 Selon
Serge
Doubrovsky,
«sivous
regardez
les
dates
du
Jour
S,ilest
de1963,
c'est
bien
avant
leCorneille.
Donc
ilyatoujours
eul'écrivain
qui
était
là»(Parcours
critique
II14).
Cette
déclaration
contredit
ladate
de
copyright
imprimée
dans
leCorneille
ettrahit
ledésir
del'écrivain
d'entériner
saprécédence
intellectuelle
(subjective)
sur
lecritique
par
une
précédence
temporelle
(objective).
Dalhousie
French
Studies
91(2010)
-89-
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3. 90 Pierre-Alexandre
Sicari
des« essais-débats
» (L'Essai35).Il s'agit
dela mise
enquestion
parunprofesseur
de
lettres
modernes
delalittérature
telle
qu'enseignée
desontemps
et,partant,
delavaleur
plus
générale
(intemporelle)
decet
enseignement.
Il nenousappartient
pasdediscuter
icidela validité
intrinsèque
dela démarche
adoptée;
plus
modeste,
notre
objet
n'est
quedemontrer
enquoicette
démarche
fait
quele
texte
« Enseigner
la littérature
» appartient
au genre
de Vessai,
etparcelade nous
rappeler
queSerge
Doubrovsky
était,
avant
d'être
unauteur:
unérudit,
uncritique,
un
professeur.
C'estdanscette
optique
quenousinterrogerons
« Enseigner
la littérature
»
successivement
comme
essaiensoi,
enrelation
à soietenrelation
à l'autre.
L'essaiensoi
Il semble
d'abord
difficile
dedéfinir
parsadémarche
ousastructure
unarticle
comme
essai-genre
essentiellement
protéiforme,
aucontraire
dutraité.
Le fait
quelesarticles
recueillis
dansParcours
critique
se trouvent
présentés
dèsla couverture
comme
des
essaisne résout
rien,
carde même
que le genre
estprotéiforme,
le « terme
» est
polysémique
aupoint
den'être
plus
qu'un
mot.
Pour
servir
degarde-fou
à notre
article,
nous
avons
choisi
l'étude
générique
faite
de
l'essaiparPierre
Glaudes
etJean-François
Louette,
quile posent
comme
«prosenon
fîctionnelle
à visée
argumentative
» (L'Essai7) avant
depréciser
etnuancer
leurs
propos
dedépart.
D'unpoint
devuedynamique,
ilapparaît
bientôt
quela démarche
del'essai
dépend
directement
de sesvisées,
etpartant
de sesprémices,
alignés
dansunmême
questionnement
delavérité
dans
unmonde
oùcelle-ci
setrouve
soumise
à examen.
Débuts
Quelles
prémices
à l'essai?
Souvent,
saconception
trouve
sesorigines
confuses
dans
un
dialogue,
échangeconstant
de questionnements.
Ainside cetteallocution
sur
l'enseignement
delalittérature
faite
aucolloque
deCerisy,
présentée
comme
une
réponse
à laquestion
posée
à leurs
professeurs-
dont
faisait
partie
l'auteur-
par
desétudiants
de
NewYork
University.
Pour
faire
faceà cette
interrogation,
leprofesseur
setrouvait
investi
d'unepleine
conviction,
qui luiaurad'abord
évité-
ainsiqu'à sesconfrères-
de se remettre
en
question.
Si cette
conviction
luireste,
profession
defoiprofessionnelle,
ellesetrouve
désormais
etcedèsledébut
del'article
(35)6mise
à défaut
paruneincertitude
defond.
Ce «balancement
perpétuel
entre
conviction
fondatrice
et hésitation
régulatrice
»
(L'Essai141)estl'une
desmarques
dugenre
essayiste
etsadynamique.
Uneautre
decesmarques-
quitient
dela même
inquiétude
essentielle,
dumême
pyrrhonisme
quipousse
l'essaià sans
cessevouloir
réévaluer
leslimites
dusavoir-
tient
à sonorigine
étymologique:
l'outilex
agium,
c'estle trébuchet,
la petite
balance
d'orfèvrerie,
de précision,
la certitude
quipèseetsoupèse,
compare
lesfaits
comme
autant
d'échantillons
dont
lesqualités
enleur
mesure
exacte
restent
à déterminer
par
une
mise
à l'épreuve.
Accumulation
etcroisements
depreuves,
ilya del'enquête
dans
l'essai,
quipasse
parla confrontation
de la théorie
etdesfaits,
première
rencontre
de l'abstrait
etdu
concret.
C'estcequel'auteur
appelle
son«écoute
ponctuelle,
patiente,
minutieuse,
où
l'universalisable
nese donne
qu'ensuspension
dansle détail
» (Parcours
critique
, en
quatrième
de couverture).
Ici,le « détail
» estceluid'uneexpérience
personnelle:
la
sienne,
deprofesseur,
quilefait
centre
(sinon
sujet)
desonessaisur
l'enseignement
dela
littérature.
Si démarche
rationnelle
il ya,elletient
doncdel'empirisme:
il s'agit
devérifier
l'adéquation
desidéesauxfaits,
à travers
uneexpérience
quise trouvera
elle-même
6 Àl'exception
des
années,
les
nombres
seuls
entre
parenthèses
renvoient
à«Enseigner
lalittérature
».
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4. Enseigner
la littérature 91
confrontée
à celled'autres
esprits
critiques-
dont
lesopinions
sont
évoquées,
invoquées
partransfert
del'uneà l'autre
au cours
decette
analyse
duprofesseur
parlui-même.
Rebondissant
dequestionnement
enquestionnement,
deréflexion
enréflexion,
cette
auto-
analyse
semble
progresser
entemps
réel,
devant
nosyeux:
unemise
enscène
dumoi
mis
endoute
quitrouvera
sonéchodansFils-dansle cours
surPhèdre
etle récit
de
Théramène,
bien
sûr,
mais
aussi
dans
lereste
del'ouvrage,
dans
lequel
ilestpossible
de
voir
unimmense
etpoétique
essai
desoi.
« Pensée
entrain
desefaire
» (.
L'Essai163),
« Enseigner
lalittérature
» présente
un
caractère
d'ébauche
modeste
propre
au genre
essayiste.
Neconnaît
pasdevrai
fin
un
texte
quiadmet
nepouvoir
embrasser
sonsujet
dansunetotalité:
«je nevoyletout
de
rien
» (Essais302),disait
Montaigne.
L'auteur
plutôt
tissedes liens,
organise
les
opinions
autour
desapensée,
dans
unconstant
bourdonnement
demots.
Onretrouve
ici
l'essaiselon
Jean
Starobinski,
cet« essaim
verbal
dont
onlibère
l'essor
»etquisemble
suivre
dèslors
« l'aléatoire
desrencontres
linguistiques
» (« Écrire
sa psychanalyse
»
181)aussi
volontiers
quelecours
delapensée.
Cette
« allure
poétique
» (Essais994)de
l'essaiselonMontaigne
faitplacedans«Enseigner
la littérature
» à une« allure
spéculative
» (« Écrire
sapsychanalyse
» 168-69)
quirépond
à « l'amour
denotre
époque
pour
lavitesse
etl'écriture
vive,
voire
hâtive
» (.
L'Essai117).
Uneallure
par
relances
aléatoires
etretours
non
réglés
autour
d'un
thème
quis'avère
la seule
constante-
leseulfild'Ariane-
d'untexte
qui,redoublant
lesdébuts,
s'épuise
sans
épuiser
sonsujet.
Desbuts
Étape
d'un
parcours
critique
,« Enseigner
lalittérature
» estmoins
uneconstruction
que
l'indice
d'unmouvement:
uneprogression
saccadée
quipasse
elle-même
pardesétapes,
dela réponse
à unequestion
estudiantine
à la conférence,
dela parole
à l'écrit
publié,
développé
etrepris
enrecueil.
Unessai
enfin,
quiseprésente
comme
« une
déclaration
de
principes
» (« Préface
à face
» 15)etnon
comme
untraité:
auxcontestations
d'objectivité
de ce dernier,
à ce désir
d'exhaustivité
souligné
parunedémarche
méthodique
pour
laquelle
il s'agit
dedémontrer
unevérité
préexistante
au texte,
s'oppose
unesprit
de
recherche
subjectif
pour
lequel
compte
« leprocès
plus
queleverdict
» (L'Essai140).
Leprogrès
tient
dans
laprogression:
pyrrhonien,
l'essayiste
necessedepoursuivre
au plusprèsunevérité
dontle vraitropsouvent
se dérobe
derrière
l'insuffisant
vraisemblable
dela doxa.Cette
poursuite
nemanque
pasdemettre
aujourplusd'un
« étrange
paradoxe
» (39);ainsi,
dans
lecasquinous
occupe,
« lavérité-
gênante
pour
le
professeur
delittérature-
estquela littérature
nes'enseigne
pas» (40):autant
quede
prouver
qu'un
vers
est
bon,
ilestimpossible
d'enseigner
à bien
écrire.1
De cette
recherche
constante,
decediscours
paradoxal
découle
l'absence
detoute
« nécessité
d'une
clôture
quisoit
forte
» (L'Essai126).Laréflexion
s'interrompt,
ellene
s'achève
pas,ce quiexplique
lesdifférentes
formes
qu'a connues
cet« Enseigner
la
littérature
» dont
laseule
constante
reste
lafonction:
heuristique,
celled'une
ouverture
à
laconnaissance.
7 IIs'agit-là,
nous
lenoterons
aupassage,
d'un
point
devue
français
plus
qu'anglo-saxon.
Eneffet,
les
universités
américaines
offrent
souvent
descours
dédiés
à l'enseignement
del'écriture
d'expression
personnelle
(creative
writing).
Àma
connaissance,
leseul
cours
delasorte
jamais
donné
en
français
(cours
universitaire
officiel,
menant
àl'obtention
d'un
diplôme)
aété
donné
par...
Serge
Doubrovsky
lui-même,
au
semestre
d'automne
1999,
àNew
York
University,
sous
letitre
deWorkshop
in
Fiction.
S'ilest
impossible
d'enseigner
lalittérature
comme
ilimpossible
d'enseigner
àbien
écrire,
c'est
un
double
défi
que
s'est
alors
donné
Serge
Doubrovsky
en
tant
que
professeur,
comme
en
tant
qu'auteur
ils'était
donné
celui
de
remplir
la
«case
aveugle
»ainsi
décrite
par
Philippe
Lejeune:
«Lehéros
d'un
roman
déclaré
tel,
peut-il
avoir
lemême
nom
que
l'auteur?
Rien
n'empêcherait
lachose
d'exister,
et
c'est
peut-être
une
contradiction
interne
dont
on
pourrait
tirer
des
effets
intéressants.
Mais,
dans
lapratique,
aucun
exemple
ne
seprésente
àl'esprit
d'une
telle
recherche.
»(Le
Pacte
autobiographique
28).
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5. 92 Pierre-
Alexandre
Sicart
L'essaienrelationa soi
Laconnaissance
passe
par
une
ouverture:
aumonde,
mais
tout
d'abord
à soi.« Lerapport
à soi-même
apparaît
essentiel
dans
l'Essai» (L'Essai7):lequant-à-
soi-réserve,
attitude
distante-
nesaurait
prévaloir
dans
ungenre
quiseveut
l'expression
d'une
subjectivité.
Ils'agit
dejuger
delabalance
avant
lapesée,
denepasprendre
derecul
par
rapport
à sonsujet
maisbienau contraire
de s'ensaisir
à brasle corps,
de « franchement
aborder
» (37) le problème,
avec le lecteur,
quitteà «employer
une formule
volontairement
brutale
» (45)de-ci
de-là.
Icimoins
qu'ailleurs
peut-on
prétendre
que« la
parution
dulivre,
c'estladisparition
del'auteur
» (« Critique
etexistence
» 21),quireste
caution
etprincipe
moteur
deson
texte.
Essaidesoi
Pour
apprendre
vraiment,
ilfaut
secomprendre.
DanssesPensées
(XXIX)Pascal
parlait
desEssaisdeMontaigne
comme
dece« sot
projet
qu'ila eudesepeindre
»-et eneffet,
pour
lepère
titulaire
dugenre,
l'essais'avère
d'abord
essaidesoi-même,
découverte
de
soi.
Il enestdemême
pour
Serge
Doubrovsky8,
dont
onaura
garde
d'oublier
cequ'il
doit
à lapsychanalyse,
entant
queprofesseur
(48),critique
(« Préface
à face
» 13),voire
écrivain-
nousavonsdéjàparléde Fils
, récit
centré
suruneanalyse,
comme
d'un
poétique
essaide soi. Essayer,
c'ests'essayer:
le sujets'implique
forcément,
ici
professeur
de lettres
modernes
questionnant
sa vocation
danssesfondements
mêmes.
Cette
subjectivité
jugéenécessaire
s'oppose
à unesprit
desynthèse
qui,propre
autraité,
se ferme
aux complexités,
aux contradictions,
au paradoxal.
Cettedimension
autoréflexive
ouvre
surl'incertitude
comme
credo.Est-ce
bienutile,
de nosjours,
« enseigner
la littérature
»?La dérision
souvent
sensible
dansl'article
(à travers
surtout
lesparadoxes
relevés,
mis
enavant)
révèle
unauteur
conscient
deseslimites-
bien
plus
quesesmises
engarde,
quitiennent
plutôt
delaprotestation
demodestie.
Soienscène
Ilya peudemodestie
à semettre
ainsi
enscène,
sonpetit
«je » partout
présent:
quimet
enavant
la subjectivité
de sesopinions
se met
enavant
soi-même.
« Lireseradonc
toujours
tenter
derepérer
la position
dusujet
del'écriture
dansla dynamique
dutexte
écrit
» {Parcours
critique
,enquatrième
decouverture):
ons'éloigne
unpeudu« langage
donné
surle mode
de l'absence
» (45)qu'estl'écrit
pour
se rapprocher
du« langage
communiqué
par
une
présence
humaine
» (45)qu'est
laparole,
celle
même
duprofesseur.
Or,
cequecelui-ci
« adeplus
précieux
àoffrir,
pendant
l'heure
declasse,
cen'est
passes
idéesou sesconnaissances,
maissa personne
» (45).Il se met
enscène
à travers
un
discours
dramatisé
quireste
d'ordre
argumentativ
tout
comme
l'essayiste
à travers
son
texte-
sicen'est
quedans
l'essai,
le«je » semultiplie
aveclespoints
devue.Envrai
«polycéphale
de l'argumentation»
(L'Essai 124),l'essayiste
se metà la placedes
étudiants,
desphilosophes,
etjusquede l'Homme
danssa douteuse
universalité,
sans
quitter
pour
celasachaire
professorale,
sapropre
chair,
saposition
desujet-saprécieuse
subjectivité.
Noncontent
desemettre
enscène,
ildresse
ledécor
intérieur
d'un
débat,
dispute
les
avis,
discute
desconséquences.
Pesant
lepour
etlecontre,
ilmet
sapensée
à l'épreuve
desfaits;
ilaffronte
sa subjectivité
propre
enla confrontant
à l'objectivité
supposée
du
présent-
présent
desmédias,
d'undocumentaire
brut
auquel
ilmêle
lefictionnel
desa
plume,
dans
lethéâtre
desontexte.
8 «D'ailleurs,
jecrois
que
lacontinuité
du
travail
critique
que
j'aifait
est
que,
finalement,
j'yaiprojeté,
sans
le
savoir,
pleinement
moi-même.
»(Parcours
Critique
II28)
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6. Enseigner
la littérature 93
L'essaienrelationa l'autre
Présence
au présent
d'untexte
quitient
d'unsavoir
ancré
dansle relatif,
la finitude
humaine.
Recherchée
dans
latension
dufactuel
etdufictionnel,
lavérité
nesaurait
plus
être
séparée
dumoi
hicetnunc.
Avecle Sartre
deSaintGenet
, cependant,
il estpossible
de soutenir
que«toute
aventure
humaine,
quelque
singulière
qu'elle
paraisse,
engage
l'humanité
entière
».S'ily
a réaction
del'essayiste
contre
le« sommeil
dogmatique
» (35)d'une
doxa,
cette
réaction
nesaurait
prendre
laforme
d'unrepli
sur
soi.Aucontraire,
ellesedoit
d'être
ouverture
à
l'autre,
voire
ouverture
del'autre,
dont
ontente
d'envahir
la scène,
pour
l'annexer
à la
sienne.
C'estencestermes
quedansunedouble
dynamique,
« l'Essaiprend
la forme
d'un
débat
incessant
entre
soietsoi-même,
entre
soietlesautres
» (.
L'Essai152).
L'autre
scène
Lesautres,
l'essayiste
lesinvite
ensonsoi,lesplacesursa scène
sansgrand
ordre,
les
faisant
simplement
graviter
autour
d'unthème.
Si théâtre
ilya,c'estsansconteste
une
version
sérieuse,
critique,
delacommedia
dell'arte.
C'estainsi
quesont
invoqués
d'abord
lesétudiants,
quiquestionnent,
quiamorcent
ledialogue.
« Enseigner
la littérature
» estuneréponse
quileur
estadressée,
puisà un
ensemble
plus
vaste
delecteurs,
souvent
pris
à partie
aucours
dutexte.
À tout
«je » correspond
nécessairement
un« tu» (ouun« vous
»). La voixdes
étudiants
sefait
entendre
aussisousla forme
d'un« ils» puisqu'ils
setrouvent
misen
scène-dans
leur
fonction
interrogative-
devant
nosyeux.
« Qu'est-ce
qu'un
professeur
delittérature
essaied'enseigner?
» Telestletitre
duquestionnaire
qu'ilsontadressé
à
leur
professeur,
etl'incipit
del'essai
quinous
occupe.
Cetessaisesitue
donc,
dèsledépart,
souslesigne
del'intertextualité.
Auchœur
des
étudiants
succédera
celuiplusdiscret
desprofesseurs,
perdus
dansle silence
de leurs
certitudes.
Puisdéfileront
les critiques,
les philosophes...
Les voixse mêlent
et se
répercutent,
en échosde cellede l'auteur,
qui faitappelà l'histoire,
auxsciences
humaines,
voire
auxmathématiques,
ouencore
auxmédias.
Unmélange,
auxaccents
parfois
désabusés,
ou amusés.
« L'hétérogène,
lesliens
inattendus
etobliques-
autant
detraits,
à coupsûr,
propres
augenre
essayiste
» {L'Essai
115):dansuneconception
organiste
dutexte,
il s'agitde réunir
autour
d'unthème
central,
directeur,
tous
lesmotifs
annexes
quipeuvent
luiêtre
attachés,
toutes
lesvoix,
deshommes
etdeschoses.
L'essayiste
cherche
à articuler
le particulier
etl'universel,
dans
cequis'avère
aufinal
une
interrogation
sur
l'Homme
(48)enpartant
desoi.
Etpartant,
sur
soi,selon
leSartre
deSituations
/,pour
qui« cen'est
pasdans
je ne
saisquelle
retraite
quenous
nous
découvrirons:
c'estsur
laroute,
dans
laville,
aumilieu
delafoule,
chose
parmi
leschoses,
homme
parmi
leshommes
».
L'assistance
Si l'autre
scène,
c'estencore
la sienne,
unprolongement
à l'autre
dela scène
dusoi,il
nousfaut
maintenant
noustourner
versl'assistance.
Nousavonsditquel'essaiétait
d'abord
essaidesoi,quel'interrogation
partait
desoi;nous
avons
vuquecen'était
pas
entièrement
vrai.
Danslecasquinous
occupe,
l'interrogation
trouve
sont
origine
dans
la
question
posée
par
desétudiants
à leurs
professeurs,
dont
faisait
partie
l'essayiste.
C'estl'unedes racines
de l'essai,en un sens,que nousdéterrons:
la racine
épistolaire,
reconnue
par
unMontaigne
quiavançait
qu'iln'aurait
pasécrit
sesEssais
eut-
ileu(encore)
uncorrespondant
unique
pour
recevoir
sespensées-
etlesrépercuter,
carle
genre
épistolaire
estungenre
del'échange.
C'estla lettre
comme
dialogue
à demi
,ledialogue
étant
l'autre
racine
majeure
du
genre
essayiste.
A l'instar
deMontaigne,
Serge
Doubrovsky
souligne
le plaisir
d'une
jouteverbale
etvirile
(Fils349);dansunentretien
accordé
à AlexHughes,
il souligne
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7. 94 Pierre-Alexandre
Sicart
l'importance
quepeuvent
avoir
pour
luileslettres
delecteurs.
S'ilya « travail
enretour
del'écrit
sur
lelecteur
» (« Autobiographie/vérité/psychanalyse
» 79),ilyaussi
travail
en
retour
dulecteur
sur
l'auteur-
par
l'écriture-
etlaboucle
est
bouclée.
Le travail
del'écrit
surle lecteur
estenreflet
deceluidel'auteur
sursontexte,
« essaidesoi» etdonc
ensoireflet
desonauteur.
Carlestyle,
c'estl'homme,
garant
de
la parole
donnée:
l'essainedissocie
paséthique
etesthétique,
style
etséduction,
et
Tzvetan
Todorov
diramême
dangereux
de vouloir
séparer
radicalement
jouissance
esthétique
(«joieesthétique
» selon
Sartre)
etadhésion
àundiscours.
Situé
aucroisement
duprosaïque
etdel'esthétique,
« ce désir
deséduction
» (cf.
entretien
cité)
estundésir
socratique
dediriger
lelecteur
sans
enavoir
l'air,
desuggérer
plutôt
quededire,
deluidonner
l'impression
d'avoir
trouvé
par
lui-même
cequiluia été
offert.
Maisoffert
souscondition:
carsi «Enseigner
la littérature
» trouve
sesorigines
dansuneinterrogation,
cette
interrogation
estretournée
contre
lelecteur.
Si Montaigne
voyait
dans
ledialogue
l'équivalent
littéraire
dela suspension
dejugement,
ledialogue
quel'essaiamorce
aveclelecteur
veut
quecesoit
celui-ci
quiseprononce,
aubout
du
compte.
Le genre
essayiste
tient
dudélibératif
autant
quedudidactique:
il pousse
à la
réflexion.
S'il y a rapport
entrel'auteur
et son lecteur,
« c'est un rapport
sadomasochiste
» (cf. entretien
cité) et sans concession,
une complicité
sans
complaisance.
Démonstration
devirilité
verbale,
devivacité
stylistique,
la séduction
se
teinte
d'agressivité.
L'essaiestuntexte
quel'ontisse
dans
lebut
d'endécoudre.
« Viser
haut,
c'estla seule
façon
deviser
juste
» (49)etd'atteindre
sonbut,
d'une
formule
quimarque.
Ce coupd'essaidans
toute
savigueur
préfère
auxdémonstrations
sansfin,
où les fins
se perdent,
les analogies
saisissantes-
comme
« unKama-sutra
intellectuel
» (43)- ou lesrappels
au réel,
frappants.
Onpourra
noter
dèsla première
page
del'essai
lerapport
établi
entre
lequestionnaire
desétudiants,
direct,
etlestroubles
« souvent
violents
» (35)dans
lesuniversités
à cette
époque.
Nous
retrouvons
ici,sous
un
autre
aspect,
le concret
dansl'abstrait
propre
à l'essai.Celui-ci
rapporte
toujours
une
expérience
singulière;
c'estla probité
subjective
desa démarche.
La dispute
avecsoi-
même
précède
la dispute
avecl'autre-
raisonnement,
réaction-
même
quandcette
dispute
avecsoi-même
sedonne
dèsl'abord
comme
dispute
avecl'autre,
danslecadre
d'une
joute
verbale
imaginaire.
« Dialogique,
[l'essai-débat]
exhibe
lesmarques
de l'interlocution,
confronte
les
savoirs,
contredit
lesdoctrines
etposedesquestions,
dans
uneperspective
heuristique
»
(L'Essai35)quenous
avons
soulignée.
Jusqu'à
la dernière
pagedel'article-«
Onme
dira
[...] » (49)- estimaginé
uncontestataire
qui,soussesdifférents
masques,
estenfait
lelecteur
sur
lascène
dusoi.C'estainsi
qu'ilpeut
yavoir
empathie
déjà,
même
dans
la
controverse:
à travers
lafragmentation
desoi,onestà larecherche
d'undouble
potentiel
plutôt
qued'unadversaire.
Onneveut
pastant
blesser
(comme
aveclasatire,
plus
encore
lepamphlet)
quesecommuniquer,
briser
lesilence
etréveiller
quiconque
s'était
endormi
du« sommeil
dogmatique
» (35).
Surla scène
d'unesaineviolence,
vitale,
Serge
Doubrovsky
essayiste
cherche
à
échapper
à l'engourdissement
d'unedoxa
, de même
certainement
qu'à sa propre
mélancolie,
dont
leromancier
aura
révélé
lesprofondeurs.
***
La vigueur
del'essaitient
dans
saprésence
aumonde,
sonintérêt
pour
lecirconstanciel:
ils'agit
dejuger,
etd'agir
auprésent.
Encelaaussi,
letexte
quinous
occupe
appartient
auparadigme
del'essaiselon
Montaigne.
Quant
à décider
s'il s'agit
d'unessaiselon
certaines
loisformelles
strictes,
définies,
celarelèverait
del'antithèse,
l'essais'opposant
encelaautraité
qu'ilrefuse
deseplier
à uneméthode,
à unerègle.
L'opposer
autraité
aura
donc
étélaseule
manière
pour
nous
dedéfinir
«Enseigner
lalittérature
» par
rapport
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8. Enseigner
la littérature 95
à des règles.
Si l'on peutvouloir
userdu genre
de « l'Essai,à côtédes travaux
universitaires,
à desfins
devulgarisation
» (L'Essai112),
c'est
justement
pour
échapper
aucarcan
desstructures
etretrouver
lecontact
aumonde,
etpartant
unpublic
plus
vaste.
Onpourra
remarquer
que,danslecasquinous
occupe,
lapensée
ouverte
œuvre
sur
un
thème
universitaire,
propre
à l'auteur
et professeur.
L'essaitoujours
balance
entre
recherche
dela vérité
etconcomitante
expression
desa subjectivité;
etsi lesdeuxse
mêlent,
aufinal,
quelarecherche
delavérité
estcelleseulement
desa vérité,
vérité
de
soi,silasubjectivité
travaille
sonpropre
sujet,
onaborde
à unautre
genre.
L'autofiction.
Comment
mieux
définir
Fils que comme
« un 'discours
rompu'
mêlant
fiction,
autobiographie
et analyse»(L'Essai 151)? D'autantplus que,
symétriquement,
SergeDoubrovsky
voitdans«RolandBarthes
parRoland
Barthes
(1975),
dans
lequel
semêlent
critique,
fragments
etautobiographie
» (L'Essai112),une
autofiction.
« Est-ce
à dire
quel'Essaiestcousin
del'autobiographie?
Difficile
à distinguer,
d'unpoint
devuestrictement
narratologique,
desformes
proches
dela fiction
pseudo-autobiographique
et de l'autofiction,
ce genre,
on le sait,pose
canoniquement
l'identité
Auteur
= Narrateur
= Personnage
» (L'Essai144).
Pourtant,
distinctions
il ya: dansle casdel'autobiographie,
le récit
suit
dansle
temps
l'histoire
del'individu;
danslecasdel'autofiction,
teln'est
pluslecas,mais
là
encore
l'individu
passeavant
lesidées-etnonpasseulement
pour
leur
ouvrir
la voie.
Narratif
fictionnel/factuel,
« roman
vrai
» enquête
d'une
vérité
propre,
l'autofiction
estle
propre
de l'essaide soi,peut-être,
maispasle propre
de l'essai.Si le romancier
et
l'essayiste
sont
unmême
SergeDoubrovsky,
celui-ci
tient
cependant
à délimiter
les
territoires,
à définir
desdifférences:
«je n'écris
pasmeslivres,
meslivres
s'écrivent
à
travers
moi-entout
cas,lafiction,
je neparle
pasdelacritique
littéraire
» (cf.
entretien
cité),
quiseveut
plus
contrôlée.
Quoique
biensûrcritique
ne soitpas synonyme
d'essai,même
si l'unepeut
emprunter
laforme
del'autre,
ainsi
quenous
l'avons
vu-etcomme
ledémontre
encore
l'hétéroclite
même
destextes
quicomposent
cetindirect
essaidesoiqu'estlepremier
Parcours
critique
deSerge
Doubrovsky.
Université
dela Culture
Chinoise,
Taïwan
OUVRAGES
CITÉS
Doubrovsky,
Serge.
.Autobiographiques.
Paris:
PUF,1988.
« Autobiographie/vérité/psychanalyse.
» 61-79.
. « Faut-il
enseigner
la littérature?
» La Quinzaine
littéraire
79(16sept.
1969):10-
11.
. «Enseigner
lalittérature
».Paris:
Pion,
1971.
137-147.
.Fils.Paris:
Galilée,
1977.
.Parcours
critique.
Paris:
Éditions
Galilée,
1980.
« Préface
à face.
» 9-15.
« Critique
etexistence.
» (1967)19-33.
« Enseigner
lalittérature.
» (1971)35-49.
« Écrire
sapsychanalyse.
» (1979)165-201.
. «Entretien
avecSerge
Doubrovsky
» (jan.1999)
parAlexHughes,
à l'occasion
de
laparution
deLaissé
pourconte.
Originellement
publié
enligne
parledépartement
d'études
françaises
del'Université
deBirmingham.
Aujourd'hui
indisponible.
.Parcours
critique
II (1959-1991
). Ed.Isabelle
Grell.
Paris:
Ellug,
2006.
« Entretien
avecSerge
Doubrovsky
» (5août
2005)par
Isabelle
Grell.
11-30.
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