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Marc-Adélard Tremblay (1922 - )
                 Anthropologue, retraité, Université Laval

                                (1989)




           L’anthropologie
         à l’Université Laval
 Fondements historiques, pratiques académiques,
           dynamismes d'évolution


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   Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay,
bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de :

   Marc-Adélard Tremblay (1922 - )


   L’anthropologie à l’Université Laval. Fondements
historiques, pratiques académiques, dynamismes
d'évolution.

   Québec: Laboratoire de recherches anthropologiques, département
d'anthropologie, Université Laval, septembre 1989, 206 pp. Collection:
Documents de recherche, no 6.

   M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, professeur émérite re-
traité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 jan-
vier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses
oeuvres.


    Courriel : matrem@microtec.net ou matremgt@globetrotter.net

Polices de caractères utilisée : Comic Sans, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Micro-
soft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 6 octobre 2011 à Chicou-
timi, Ville de Saguenay, Québec.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   4




           Marc-Adélard Tremblay (1989)

        L’anthropologie à l’Université Laval.
   Fondements historiques, pratiques académiques,
              dynamismes d'évolution.




   Québec: Laboratoire de recherches anthropologiques, département
d'anthropologie, Université Laval, septembre 1989, 206 pp. Collection:
Documents de recherche, no 6.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   5




                  Table des matières

Avant-propos

                              INTRODUCTION

1.   Problématique et contextualisation



                            Chapitre 1.
                 L'ANTHROPOLOGIE EN TANT QUE
                 DISCIPLINE ACADÉMIQUE À LAVAL

1.   Les précurseurs à Laval et ailleurs
2.   Les premiers anthropologues-enseignants dans les universités
     québécoises
3.   L'anthropologie à l'Université Laval jusqu'aux années 1970

     3.1.   Les premiers enseignements anthropologiques à Laval
     3.2.   L'établissement de l'Option « anthropologie » en 1961
     3.3.   Le statut de l'anthropologie dans les universités
     3.4.   La coexistence pacifique de la sociologie et de l'anthropolo-
            gie

4.   Les contestations étudiantes de 1968-1970
5.   Les réformes et la création du département en 1971

     5.1. La Commission de la Réforme
     5.2. Le comité Gérard Dion et la création du département
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   6




                        Chapitre 2.
              LA RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE

1.  L'importance du terrain en anthropologie
2.  L'ethnographie de la Côte-Nord du Saint-Laurent (Tremblay,
    Charest, Breton)
3. Les études inuit (Saladin d'Anglure, Dorais, Trudel)
4. Les études sur l'Afrique Noire francophone (Chalifoux, Charest,
    Collard, Doutreloux, Genest et Santerre)
5. Les études sur la Méso-Amérique et la Caraïbe (Beaucage, Breton,
    Arcand, Dagenais, Chalifoux, Labrecque)
6. Les études autochtones (Arcand, Charest, McNulty, Simonis,
    Tremblay, Trudel)
7. Les études sur les communautés rurales (Bariteau, Breton, Pilon-
    Lê)
8. Le structuralisme et la représentation symbolique du Québec
    (Maranda, Saladin d'Anglure, Simonis)
9. Les études symboliques (Arcand, Saladin d'Anglure, Simonis,
    Schwimmer, Maranda)
10. Les études sur les femmes (Dagenais, Labrecque)
11. L'ethnicité urbaine (Dorais, Elbaz, Pilon-Lê, Schwimmer, Trem-
    blay)
12. L'anthropologie de la santé, de la maladie et du vieillissement
    (Genest, Santerre, Tremblay)
13. Conclusions sur la recherche anthropologique à Laval
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   7




                         Chapitre 3.
               ORGANISATION ADMINISTRATIVE,
                 PROGRAMMES DE FORMATION
                 ET CLIENTÈLES ÉTUDIANTES

1.   Le profil démographique du département
2.   La conception du programme

     2.1. Le corps professoral et la répartition des tâches

         2.1.1. Le corps professoral : ses débuts et son évolution

3.   Les clientèles étudiantes

     3.1. L'évolution dans les effectifs étudiants en anthropologie de
          1970-1985
     3.2. L'Association des étudiants/tes en anthropologie
     3.3. Les champs de recherche des étudiants/es



                          Chapitre 4.
                LA DIFFUSION DES CONNAISSANCES
                ET LE RAYONNEMENT SCIENTIFIQUE

1.   La diffusion des connaissances

     1.1. Anthropologie et Sociétés
     1.2. Études Inuit/Studies

2.   Le rayonnement scientifique

     2.1. La diversité du rayonnement
     2.2. L'intervention anthropologique au département
     2.3. La participation aux groupes interfacultaires et interuniver-
          sitaires
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   8




Conclusion. Les singularités de l'anthropologie (au Québec et ailleurs) :
    Les travaux, la critique, la pulsion de mort (par Eric Schwimmer)



Annexe

    1.   Liste des thèses de maîtrise produites au Département
    2.   Liste des thèses de doctorat produites au Département

Références bibliographiques
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   9




   À Jacques Le Querrec, assistant
d'enseignement et de recherche à notre
Département, parti dans la fleur de
l'âge, dont le souvenir reste profondé-
ment gravé dans notre mémoire de même
que dans celle des personnes qui se sont
enrichies à son contact et qui ont béné-
ficié de son amitié.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   10




   [v]




                       L’anthropologie à l’Université Laval.
                    Fondements historiques, pratiques académiques,
                             dynamismes d'évolution.


                          AVANT-PROPOS




Retour à la table des matières

    C'est à l'automne 1986 que le rédacteur d'un ouvrage à paraître
sur la Faculté des Sciences sociales à l'occasion du cinquantième anni-
versaire de sa fondation me demanda de rédiger le chapitre sur l'an-
thropologie. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement que j'avais
dans les années antérieures, en collaboration avec le professeur Ge-
rald L. Gold de York University, publié des études sur l'anthropologie
du Québec. La tâche m'apparaissait suffisamment bien amorcée pour
que je sois en mesure de respecter l'échéance de production du 31
décembre 1987. Grâce à une aide financière du département, Josée
Thivierge fut engagée comme assistante de recherche à l'été 1986. La
tâche à accomplir était de taille, car elle nécessitait des recherches
dans les archives du département, dans celles de la Faculté et de
l’Université, ce qui posait des problèmes d'accessibilité aux données
de base. Elle requérait aussi des contacts personnels avec chacun des
membres du corps professoral pour dénicher des données sur le dé-
partement dont ils étaient parfois les uniques dépositaires, pour obte-
nir des informations sur leurs travaux de recherche et leurs engage-
ments professionnels depuis leur arrivée au département et pour
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)    11




consigner leurs vues sur l'évolution de la discipline à la fin de ce millé-
naire.
    Il s'agissait, en quelque sorte, de relater les événements mar-
quants que j'avais vécus depuis mon arrivée au Département de socio-
logie à l'automne 1956, c'est-à-dire, la co-existence de la sociologie et
de l'anthropologie dans un département conjoint, la conquête de l'au-
tonomie départementale, les recherches anthropologiques amorcées
par l'équipe professorale sur plusieurs continents de la planète, l'évo-
lution des programmes d'étude et des clientèles étudiantes, les revues
publiées au département, l'engagement des membres de l'équipe dans
la communauté et leur rayonnement académique, l'avenir de la discipli-
ne. Ces grands thèmes constitueraient les principaux éléments de la
toile de fond sur laquelle serait esquissé le profil historique de notre
unité d'appartenance. Au fur et à mesure que la collecte des données
et que leur analyse provisoire progressait, je me suis rendu compte
que le travail amorcé débordait largement la tâche assignée et que la
production finale ne pourrait prendre la forme d'un chapitre dans le
cadre de l'ouvrage collectif projeté. Après discussion avec le rédac-
teur, j'en suis venu à la conclusion que je produirais une monographie
sur notre département et que l'un des chapitres de celle-ci pourrait
[vi] représenter ma contribution. Le thème de la recherche et de l'in-
tervention anthropologiques s'imposa alors d'emblée dans mon esprit,
car ce serait celui qui représenterait le mieux la nature de notre dé-
partement, la marque de notre discipline.
   Le chapitre proposé parut à l'automne 1988 dans un collectif publié
aux Presses de l'Université Laval sous la direction d'Albert Faucher 1
et une version préliminaire de la monographie fut terminée à la date
prévue. À l'été 1988, à la suite de tractations avec la responsable du
Laboratoire d'anthropologie, Madame Marie France Labrecque, il fut
décidé que le Laboratoire en assurerait la publication grâce à une sub-
vention de la Faculté des Sciences sociales, Budget spécial de la Re-
cherche. Cela m'apparaissait d'autant plus intéressant puisqu'ainsi une
certaine diffusion de la monographie permettrait une meilleure

1   Cinquante ans de sciences sociales à l'Université Laval : Histoire de la Faculté
    des Sciences sociales (1938-1988). Voir « La recherche et l'intervention anthro-
    pologiques à l'Université Laval », pp. 279-328.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   12




connaissance de notre discipline et des travaux de ceux et celles qui
ont incarné ses ambitions dans la région de Québec. Elle pourrait aussi
permettre, à ceux et celles qui s'inscrivent à notre programme d'étu-
de, de connaître le contexte institutionnel dans lequel ils et elles s'en-
gagent pour quelques années de leur vie. Notre histoire étant relati-
vement courte, il était plus facile d'en reconstituer les principales
étapes et d'identifier les principaux dynamismes qui les ont suscitées.
   Quelques mises en garde s'imposent. La plus importante de toutes
se rapporte à la facture de cette entreprise. Ce n'est pas une analyse
du contexte socio-politique de la production des connaissances anthro-
pologiques. Ce n'est pas, non plus, une histoire qui comporte un carac-
tère définitif, la proximité des événements narrés de même que la
subjectivité de l'analyste, pour ne pas mentionner tous les aspects de
cette histoire qui ont été délibérément mis de côté ou tout simple-
ment oubliés, ne nous y autorisent pas. C'est plutôt la reconstruction
d'une fresque d'ensemble où sont identifiés des acteurs, des situa-
tions et des événements qui la rendent compréhensible. Des historiens
chevronnés de même que des historiens de la science pourront eux
aussi éventuellement reconstituer cette histoire et lui conférer une
toute autre coloration, une ampleur bien différente.
    La version préliminaire de cette monographie ne comportait pas de
conclusion et j'ai longuement hésité sur sa nature. J'ai finalement
choisi pour ce faire le texte provisoire du Rapport du Comité des
orientations rédigé par son président, M. Eric Schwimmer. Présenté au
moment où le département traversait une crise d'importance, ce do-
cument esquisse l'histoire départementale sous un angle critique et
propose une vision d'avenir de l'anthropologie à Laval [vii] fondée sur
une spécificité quelque peu différente de celle de nos origines, mais
qui s'appuie sur les effectifs existants et représente une réponse aux
critiques dont notre discipline est l'objet. Je suis d'autant plus recon-
naissant à Eric Schwimmer d'avoir accepté qu'elle paraisse ici car elle
ajoute de la profondeur aux réflexions contenues dans la monographie
et fait la démonstration, il me semble, en quoi une crise de nature
épistémologique et socio-politique peut être génératrice de prises de
conscience et de renouvellements si essentiels à une discipline en plei-
ne transformation.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   13




    Cette expérience anthropologique que j'ai vécue ici à Laval et que
j'ai cherché à reconstituer le mieux possible dans le temps qui me fut
imparti a représenté pour moi un indéfinissable enrichissement. Revi-
vre symboliquement toute une tranche de sa vie, avec ses intensités et
ses adversités, prendre conscience des apports considérables, tant
sur les plans personnel que professionnel, de ceux et celles qu'on a
côtoyés/ées, mener à terme un projet qui témoigne à la fois de notre
identité professionnelle de groupe et de nos enracinements dans le
milieu plus large, voilà qui représente un extraordinaire élément de
ressourcement. S'engager en anthropologie devient facilement, au fil
des années, un mode de vie, une passion. Puisse la lecture de cette his-
toire inachevée susciter de nombreux projets d'avenir.
    Je tiens à remercier en tout premier lieu madame Josée Thivierge
qui m'a assisté dans ce travail de reconstruction historique et qui m'a
été d'une aide précieuse. J'exprime également mes remerciements à
mes collègues qui m'ont fourni soit des documents ou qui m'ont rédigé
des sommaires me permettant de mieux caractériser les activités dé-
partementales de recherche. J'ai fort apprécié l'aide que m'ont ap-
porté madame Michèle Bouchard et monsieur Jean-Pierre Garneau, en
tant qu'adjoints au Directeur du Département, dans le repérage de
certains documents. J'exprime ma gratitude aux collègues qui ont pris
le temps de lire ces chapitres et qui m'ont offert de nombreuses sug-
gestions visant à améliorer la version préliminaire de cette monogra-
phie. Cette étude est basée sur certains documents officiels du Dé-
partement d'anthropologie (Collectif 1970, 1976, 1978a, 1978b et
1982) ou de l'Université, sur les écrits de mes collègues ainsi que sur
mes expériences en tant que professeur à Laval depuis 1956. J'expri-
me, enfin, mes remerciements à madame Christine Bédard qui a assu-
mé avec compétence professionnelle la transcription du manuscrit.


                          Marc-Adélard Tremblay
   1er juin 1989
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   14




   [1]




                       L’anthropologie à l’Université Laval.
                    Fondements historiques, pratiques académiques,
                             dynamismes d'évolution.



                        INTRODUCTION


               1. Problématique et contextualisation




Retour à la table des matières

    L'anthropologie, en tant que discipline académique, est née vers le
milieu du XIXe siècle en Europe et aux États-Unis. Dans une très large
mesure, sa naissance a coïncidé avec l'apogée de l'ère coloniale. Suite
aux pressions internes en provenance des peuples gouvernés, les gran-
des puissances coloniales se sont vues dans l'obligation de s'intéresser
de plus près aux traditions et coutumes de leurs colonies qui, pour la
très grande majorité, étaient multiethniques et multilingues. Le motif
premier de la puissance conquérante européenne avait été jusque-là
l'exploitation des ressources naturelles disponibles sur les territoires
assujettis pour des fins d'enrichissement matériel, et à ce sujet on
avait mis en place des structures politiques et des modes de contrôle
qui en assuraient l'efficacité. Les revendications internes des peuples
soumis s'adressaient surtout à la participation, tant dans les structu-
res de gouvernement que dans celles se rapportant à la vie économique
et sociale. Cette participation des peuples conquis à l'administration
locale et régionale a nécessité que les puissances impériales [2] for-
ment des administrateurs ayant une excellente connaissance de la lan-
gue et des coutumes des ethnies sous leur tutelle. C'est ce que l'on a
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   15




nommé l'indirect rule. Aux États-Unis, la situation fut quelque peu dif-
férente dans la mesure où, à la même époque, l'ambition coloniale des
Américains se limitait à la conquête de l'Ouest où vivaient de nom-
breux peuples autochtones ayant lutté, sans succès, pour contrer l'en-
vahissement et l'usurpation de leurs territoires.
    En Europe, comme en Amérique d'ailleurs, bien avant que l'anthro-
pologie ne conquière son statut de discipline scientifique et qu'elle
s'insère dans les structures universitaires, il y eut des missionnaires,
des explorateurs, des commerçants ainsi que des philanthropes et des
autodidactes qui s'intéressèrent aux langues indigènes, aux rituels
religieux et cérémonies médicinales et aux visions du monde de ces
populations et qui se préoccupèrent de leur sort. Il existait, donc,
avant la naissance formelle de l'anthropologie scientifique, toute une
documentation écrite sur un très grand nombre de tribus qui a servi
de matériau de base aux premiers anthropologues, ceux que l'on a ap-
pelés les armchair anthropologists.
    Cette discipline fit son apparition peu de temps après la parution
de l'ouvrage sur l'évolution des espèces de Charles Darwin (1859). Il y
effectuait la démonstration de l'évolution des espèces animales sur de
très longues périodes de temps à la suite de processus adaptatifs (à
l'environnement naturel), compétitifs (des espèces entre elles), sélec-
tifs (reproduction des éléments les plus vigoureux) et de lentes muta-
tions génétiques. Cet ouvrage, plus que tout autre, allait inspirer dans
sa foulée, des interrogations sur l'évolution de l'Homme dans sa lente
progression vers la station verticale, dans la spécialisation de ses
membres antérieurs, dans la fabrication d'outils et dans le développe-
ment du cerveau. L'apparition de l'espèce Homo sapiens allait, en ef-
fet, susciter des interrogations très nombreuses se rapportant à
l'évolution de la vie [3] en société et de l'organisation sociale. Ce sont
les réponses apportées à ces questions qui seront à l'origine des pre-
mières théories anthropologiques, c'est-à-dire, des explications géné-
rales à caractère universel (dans l'esprit de ceux qui les énonçaient)
sur le processus d'hominisation et sur ceux de la complexification so-
ciale et de la diversité culturelle. C'est par son intérêt dans l'explica-
tion générale basée, à la manière des sciences naturelles, sur l'obser-
vation rigoureuse et la documentation minutieuse des faits de civilisa-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   16




tion que l'anthropologie aspirait à un statut scientifique. Il fallait, se-
lon cette conception, développer des lois universelles de comporte-
ment tout comme il s'avérait nécessaire de reconstituer, par l'analyse
comparative et des perspectives transculturelles, les grandes étapes
de l'expérience humaine et de l'évolution des sociétés. Voilà certes
une ambition qui s'est concrétisée dans plusieurs directions différen-
tes et qui fut à l'origine de la spécialisation disciplinaire en anthropo-
logie et de la définition de champs particuliers de pratique, à savoir,
l'anthropologie biologique, l'archéologie, l'ethnolinguistique (étude des
langues indigènes) et l'anthropologie sociale ou culturelle.
    Ce bref aperçu sur ce champ disciplinaire vise avant tout à contex-
tualiser la très grande complexité (variété) des conditions historiques
et socio-politiques qui furent à l'arrière-plan de son émergence en
tant que l'une des sciences de l'Homme et qui ont inspiré ses principa-
les orientations, lesquelles donnèrent lieu au développement de sec-
teurs particuliers de spécialisation. Il faut ajouter que les grands cen-
tres de l'anthropologie, en tant que science moderne, sont l'Angleter-
re (anthropologie sociale), la France (ethnologie) et les États-Unis (an-
thropologie culturelle), qui ont tous trois des traditions anthropologi-
ques spécifiques, que l'appellation de la discipline dans ces pays reflè-
te et auxquelles se rattachent les anthropologues des autres pays,
répartis aujourd'hui sur tous les continents. Le cas de l'anthropologie
indigéniste [4] (celle pratiquée par les nationaux nés et vivant dans
des pays économiquement peu développés) est spécial et mériterait à
lui seul un traitement que nous ne pouvons pas lui accorder ici. L'an-
thropologie pratiquée au Canada et au Québec (Tremblay et Preston
1987 ; Gold et Tremblay 1982) n'échappe pas à cette règle générale,
étant à la périphérie des grands centres. Le Canada français, cepen-
dant, plus encore que le Canada anglais où coexistent les traditions
américaines et britanniques, est un espace intellectuel et un lieu de
rencontre entre les traditions européennes et nord-américaines. Les
anthropologues universitaires, à tout le moins, sont influencés par les
travaux d'adhérents à l'une ou l'autre de ces trois traditions et la
dynamique de leurs interinfluences crée au Québec un type particulier
d'anthropologie. Toutefois, je n'irai pas jusqu'à affirmer qu'il existe
une anthropologie québécoise, ou encore une anthropologie canadienne.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   17




    L'anthropologie qui se pratique au Québec, par les Francophones en
particulier, se distinguait nettement, jusqu'à tout récemment en tout
cas, du type d'anthropologie pratiquée au Canada anglais (Balikci
1980). Les traditions intellectuelles qui l'ont développée au Québec
ainsi que les conditions socio-politiques qui ont été associées à sa nais-
sance sont différentes de celles du Canada anglais. Il existe aussi des
différenciations marquées entre les universités francophones elles-
mêmes : je m'y référerai lorsque celles-ci seront nécessaires ou utiles
pour mieux saisir la trajectoire académique à Laval. L'enseignement
des sciences sociales y débuta en 1938 (Collectif 1948 ; Lévesque et
al. 1984) et l'École des sciences sociales, économiques et politiques
obtint le statut de Faculté en 1943. Cependant ce n'est que le 13 oc-
tobre 1970 que le Conseil de l'Université Laval adoptait une résolution
créant le Département d'anthropologie. Mais n'anticipons pas trop!
Avant de reconstituer les premières étapes de développement de l'an-
thropologie [5] à Laval, il m'apparaît important d'esquisser les grandes
lignes du contenu de cette monographie historique.
   Un premier chapitre traite de l'anthropologie en tant que discipline
académique à l'Université Laval. J'y reconstitue les différentes éta-
pes de sa naissance, de sa croissance et de la conquête de son autono-
mie par la création d'un Département d'anthropologie en 1970.
    Le deuxième chapitre porte sur la recherche anthropologique ef-
fectuée par les professeurs/res et les étudiants/tes du département
selon le mode chronologique et celui des aires culturelles pour ce qui
se rapporte aux premières études de terrain et, par après, selon soit
le champ d'étude particulier ou la perspective théorique générale pri-
vilégiée.
   Le troisième chapitre se rapporte à l'organisation administrative
du département, à ses programmes d'enseignement et à ses clientèles
étudiantes.
   Le quatrième chapitre traite de la diffusion des connaissances et
définit la production scientifique et le rayonnement des profes-
seurs/res du département en mettant l'accent sur l'intervention des
anthropologues dans le milieu social plus large et sur la participation
des professeurs/res aux groupes interfacultaires et interuniversitai-
res.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   18




    Une conclusion esquisse quelques-uns des défis qui confrontent
l'anthropologie (Tremblay 1983b) d'ici à la fin de ce millénaire. Celle-
ci fut rédigée par Eric Schwimmer qui présida le comité des orienta-
tions au moment où notre département dut affronter une importante
mise en question interne aux débuts des années 1980.
   [6]
   Suivent, dans l'ordre, une annexe qui dresse la liste des thèses de
maîtrise et de doctorat présentées avant le 1er avril 1989 et les réfé-
rences bibliographiques de la monographie.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   19




    [7]



                       L’anthropologie à l’Université Laval.
                    Fondements historiques, pratiques académiques,
                             dynamismes d'évolution.




                          Chapitre 1
        L'anthropologie en tant que
       discipline académique à Laval


          1. Les précurseurs à Laval et ailleurs                         2




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    Durant l'ère duplessiste (1944-1959), on peut affirmer que l'acti-
vité anthropologique fut directement ou indirectement reliée aux
nombreux changements sociaux qui sont survenus au Québec après la
Seconde Guerre mondiale. Les premiers praticiens se sont affairés [8]
à ce que nous appellerions aujourd'hui « une anthropologie de sauveta-
ge ». En effet, il s'est agi pour eux de constituer des dossiers ethno-
graphiques sur les communautés traditionnelles en voie de disparition.
Travaillant à la fois au Musée National du Canada et aux Archives de
Folklore de l'Université Laval, Marius Barbeau fut incontestablement
le premier observateur systématique de villages canadiens-français et

2   Les sections 1 et 2 s'inspirent largement d'un article publié conjointement avec
    Gerald L. Gold (Tremblay et Gold 1976) tandis que la section 3 reprend certains
    éléments qui apparaissent dans le même article.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   20




de réserves amérindiennes dans les perspectives de l'anthropologie.
Ses premières enquêtes ethnographiques et folkloriques dans la vallée
du Saint-Laurent remontent à 1914. Plusieurs anthropologues améri-
cains de l'époque connaissaient Barbeau par le biais de ses liens avec
Edward Sapir qui fut le premier directeur du Musée National du Cana-
da en 1910, au moment de sa fondation. Les folkloristes, par après,
tour à tour dénommés spécialistes en arts et traditions populaires et
ethnologues, l'identifient comme étant le maître de Luc Lacourcière
(Barbeau 1916, Barbeau et Sapir 1925, Savard 1946, Rioux 1969, La-
courcière 1947). Ce dernier, avec l'assistance de Mgr Félix-Antoine
Savard, créa en 1944 à la Faculté des Lettres de Laval les Archives de
Folklore 3 . Marius Barbeau est certes une des figures les plus mar-
quantes de l'anthropologie du Québec et je regrette que, tout en
ayant un certain nombre d'articles et de films sur lui et sur son oeu-
vre, nous ne disposions pas encore d'une évaluation critique de l'en-
semble de ses travaux. Quant aux retombées des travaux de Lacour-
cière, elles sont visibles à travers la richesse extraordinaire de la do-
cumentation que l'on retrouve dans les anciennes Archives de Folklore,
dans ses écrits sur les contes et les légendes du Canada français et
dans les travaux de nombreuses générations d'étudiants/tes qu'il a
formés/ées (direction de près d'une centaine de thèses) et qui ont
poursuivi son oeuvre, sensiblement a partir des mêmes préoccupations.
    [9]
    Jacques Rousseau, botaniste de formation, mais aux connaissances
encyclopédiques, fut un contemporain de Barbeau, bien que ce dernier
ait été son aîné de plusieurs années. A l'occasion de ses études botani-
ques dans la péninsule du Québec-Labrador, il sut observer minutieu-
sement les coutumes et les traditions amérindiennes, en particulier, la
culture matérielle, l'organisation sociale et le dualisme religieux des
Montagnais-Naskapis. La synthèse de ses travaux ethnobiologiques sur


3   « En 1976, sous la direction de Jean Hamelin, le Fonds documentaire des Archi-
    ves de Folklore, ceux de l'Atlas linguistique de l'Est du Canada et du Trésor de
    la langue française au Québec ont été regroupés pour former le CELAT(centre
    d'Études sur la Langue, les Arts et les Traditions populaires des Francophones
    en Amérique du Nord », in, CELAT, Un centre multidisciplinaire à fréquenter, Fa-
    culté des Lettres, 1986, pamphlet d'information.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   21




cette péninsule (Rousseau 1964) fut présentée dans un ouvrage qu'il
co-édita avec Jean Malaurie (Malaurie et Rousseau 1964). J'ai effec-
tué récemment, en collaboration avec Josée Thivierge, une évaluation
critique de son oeuvre amérindienne (Tremblay et Thivierge 1986)
avec l'intention de rendre ainsi hommage à l'un des fondateurs du
champ scientifique québécois, à un farouche défenseur des droits abo-
rigènes et à un définiteur des besoins des peuples autochtones. À par-
tir de son entrée au Centre d'études nordiques de Laval en 1962 jus-
qu'à sa mort en 1970, Rousseau continua ses travaux amérindiens sans
pouvoir, toutefois, produire un exposé de synthèse sur l'ensemble de
son oeuvre.
    Un autre précurseur de travaux anthropologiques au Québec fut
Marcel Rioux qui, par son mariage, devint le gendre de Barbeau. En dé-
but de carrière, Rioux entreprit, durant son séjour au Musée National
du Canada, des études systématiques en anthropologie sociale sur des
villages francophones du Québec (Rioux 1954, 1957) qui demeurent
encore aujourd'hui des monographies fort intéressantes. Peu de temps
après son arrivée à l'Université de Montréal, Rioux passa du Départe-
ment d'anthropologie au Département de sociologie, estimant que ses
travaux se situaient de plus en plus dans les traditions sociologiques
des études sur la globalité. Cette conversion nous amène comme natu-
rellement, à faire ressortir la contribution de sociologues éminents au
développement de la recherche anthropologique au Québec.
   [10]
   Le Canadien-français Léon Gérin, disciple de Fréderic LePlay, par
ses monographies de village et ses études sur la paysannerie québécoi-
se (Gérin 1898, 1931, 1932) a établi une solide tradition d'observation-
participante et d'entrevue à l'aide d'informateurs-clefs (Tremblay
1957), méthodes de cueillette de données encore largement utilisées
en anthropologie (Genest 1985). L'Américain Everett C. Hughes (Hug-
hes 1938, 1943, 1963), dans ses études à Cantonville sur l'industriali-
sation et les contacts interculturels, suivit essentiellement une dé-
marche similaire. Ces deux chercheurs, le premier de l'École françai-
se, le second, de l'École de Chicago, allaient exercer une forte in-
fluence sur Jean-Charles Falardeau (Falardeau 1953,1964, 1968,
1974a, 1974b) lequel, en tant que directeur-fondateur du Départe-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   22




ment de sociologie (1943-1960), influença plusieurs générations d'étu-
diants dans leurs orientations professionnelles et leurs carrières et
présida à l'introduction de l'anthropologie à la Faculté des Sciences
sociales de l'Université Laval. L'utilisation par Gérin de la technique de
la monographie de famille dans l'étude des villages québécois ainsi que
les études de terrain de Hughes sur la mobilité professionnelle et la
différenciation ethnique à Cantonville et à Montréal constituaient des
entreprises scientifiques qui se complétaient bien. N'oublions pas aus-
si que, durant son séjour au Québec, Hughes dispensa un enseignement
dans les trois principales universités du Québec de l'époque (McGill,
Montréal et Laval), ce qui eut pour résultat, me semble-t-il, de réduire
les écarts dans les orientations premières de ces universités et de
susciter à l'occasion des collaborations.
   C'est en 1939, qu'Horace Miner, un anthropologue culturel, formé à
l'Université de Chicago, publia son analyse fonctionnelle de Saint-
Denis de Kamouraska (Miner 1939), laquelle devint par la suite un mo-
dèle de monographie de village à la fois pour les anthropologues et les
sociologues. Saint-Denis fut publiée dans une version française en
1985 : il aura fallu attendre plus de quarante [11] cinq ans (Miner
1985) avant que ce classique de l'analyse fonctionnaliste et de l'an-
thropologie du Québec devienne disponible aux spécialistes et au
grand public d'expression française (Tremblay 1985). C'est d'ailleurs
cette même étude qui servit de point d'horizon aux travaux récents
de Gerald L. Gold sur l'industrialisation de Saint-Pascal de Kamouraska
(Gold 1973,1975). Elle avait servi auparavant a déclencher une polémi-
que entre Philippe Garigue, formé à l'anthropologie sociale en Angle-
terre, qui rejetait le modèle de l'École de Chicago comme étant capa-
ble d'expliquer l'évolution sociale du Québec et Marcel Rioux ainsi
qu'Hubert Guindon (Garigue 1957, 1961, 1964 ; Rioux 1959 ; Guindon
1960). Les orientations européennes de Rioux ainsi que ses expérien-
ces québécoises de recherche l'amenèrent plus tard a accepter et à
modifier le modèle de la société paysanne afin de l'insérer dans sa
conception culturaliste de l'évolution globale du Canada d'expression
française (Rioux 1964).
   Travaillant à l'aide de données recueillies sur la Basse-Côte-Nord
du Saint-Laurent (Breton 1973b) et dans le comté de Bellechasse
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   23




(Breton 1979), Yvan Breton et son équipe ont poussé plus loin le modè-
le développé par Rioux dans les perspectives du matérialisme histori-
que afin de mieux rendre compte du caractère apparemment idiosyn-
cratique de la production maritime et agricole au Québec. Les travaux
de Lise Pilon-Lê (1977, 1979, 1980, 1984a, 1984b) sur les milieux agri-
coles s'inspirent des mêmes perspectives. Les études ethnographiques
sur la Côte-Nord du Saint-Laurent, à leurs tous débuts, s'appuyèrent
sur celle d'un autre anthropologue des premières heures formé par
Robert Redfield à Chicago. Il s'agit d'Oscar Junek (Junek 1937) dont
la monographie sur les isolats a constitué le schéma de départ (étude
des petites unités sociales fonctionnelles en périphérie dépendantes
pour leur développement de la diffusion des modèles culturels du cen-
tre) pour établir des comparaisons historiques dans cette région. En
bref, cette période fut caractérisée par des études empiriques sur le
territoire et par [12] l'utilisation adaptée de schémas théoriques éla-
borées ailleurs en vue de l'étude de la culture québécoise. Comme je
l'illustrerai plus loin, l'ethnographie de la Côte-Nord fut conçue, pour
devenir un laboratoire qui servirait à la formation de générations d'an-
thropologues à la pratique du terrain dès leur entrée à l'Université.
Elle permettrait aussi de constituer un dossier ethnographique com-
plet sur une région isolée du Québec qui nous permettrait de mieux
comprendre le processus d'industrialisation du Québec et, partant, de
connaître les dynamismes influant sur l'évolution de la mentalité qué-
bécoise vers la nord-américanisation et la modernité. N'oublions pas
aussi, qu'à l'époque des précurseurs, il n'existait aucun programme
d'anthropologie dans les universités du Québec. De fait, l'anthropolo-
gie au Québec était une discipline inconnue qui semblait osciller entre
l'ethnographie-folklore et un type de sociologie globaliste émergeant
des traditions sociologiques durkheimiennes professées à Laval par
Fernand Dumont (Dumont 1965, 1974a, 1974b). Ce type de sociologie a
influencé la perspective centrée sur les problèmes sociaux de l'École
de Chicago, si bien représentée à Québec par Jean-Charles Falardeau
au début de sa carrière professorale (Falardeau 1974a et 1974b).
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   24




          2. Les premiers anthropologues-enseignants
                dans les universités québécoises

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    Au Québec, les premiers enseignements anthropologiques furent
d'abord dispensés à McGill par William Kelly en 1948 et, par après, par
Fred Voget qui étudia les changements religieux à Caughnawaga (Voget
1950). À son départ, Voget fut remplacé par Jacob Fried (Fried 1954),
dont les intérêts en psychiatrie sociale transculturelle allaient carac-
tériser ce département durant toute une décennie. C'est en 1953 que
Philippe Garigue devint professeur au Département de sociologie de
McGill. Son appartenance à ce département allait donner à McGill une
avance remarquée dans l'étude des communautés canadiennes-
françaises (devenues dans la terminologie [13] actuelle, québécoises,
d'expression ou d'ascendance française), et du système de parenté
(Garigue 1956, 1958, 1962, 1967, 1973). Cette avance ne fut toutefois
pas conservée après le départ de ce dernier, en 1960, pour devenir le
doyen de la Faculté des Sciences sociales de l'Université de Montréal
et ainsi succéder à Esdras Minville, dont les études sur le milieu
avaient influencé toute une génération d'étudiants formes dans les
collèges classiques du Québec. C'est durant cette période que McGill
produisit son premier détenteur d'une maîtrise en anthropologie et
forma des chercheurs tels que Peter Pineo (aujourd'hui à McMaster)
et Nelson Graburn (aujourd'hui à l'University of California à Los Ange-
les). McGill offrit plus tôt que les autres universités québécoises des
cours d'anthropologie. Par ailleurs, il me semble qu'il existe une faible
continuité entre ce département du début des années cinquante et le
programme d'anthropologie mis au point, peu après l'arrivée de Ri-
chard Salisbury en 1962 (formé à la fois en Angleterre et aux États-
Unis) et de Norman Chance en 1963 (un diplômé de Cornell).
   Il existe peut-être une plus grande continuité entre les premiers
enseignements qu'offrit Guy Dubreuil à l'Université de Montréal en
1953, au Département de psychologie, et ceux qui sont offerts au-
jourd'hui au Département d'anthropologie. Il est important de noter
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   25




que les intérêts de Dubreuil en anthropologie psychologique à Montréal
se comparaient à ceux de Fried en psychiatrie sociale transculturelle à
McGill et à ceux de Tremblay dans le champ de la culture et de la per-
sonnalité à Laval (appelé aujourd'hui anthropologie psychologique) (Du-
breuil 1962, Hughes Charles C. et al. 1960) dans les années cinquante.
C'est à l'automne 1958 que Laval offrit un premier cours d'anthropo-
logie à la Faculté des Sciences sociales. Le titulaire de ce cours fut
Marc-Adélard Tremblay, un diplômé de Cornell ayant travaillé sous la
direction d'Alexander H. Leighton (psychiatre-anthropologue), pion-
nier des études en psychiatrie sociale aux États-Unis (Leighton 1959)
ainsi que de l'anthropologie [14] appliquée (Leighton 1945). Ce premier
cours d'anthropologie, intitulé « Éléments d'anthropologie » compor-
tait 60 heures, était réparti sur deux trimestres et était obligatoire
pour tous les étudiants/tes du Département de sociologie. Tremblay
était venu à Québec à l'automne de 1956 avec le mandat de développer
des enseignements dans les domaines de la méthodologie et des scien-
ces sociales appliquées (Tremblay 1977). L'ensemble des cours qu'il
offrit sur l'initiation à la recherche empirique dans les sciences socia-
les et sur la méthode scientifique (Tremblay 1968a) représentent des
étapes importantes dans l'émergence de l'anthropologie culturelle en
tant que discipline académique à Laval dans la mesure où, dans le cadre
de ces cours, il initiait les étudiants/tes aux techniques ethnographi-
ques, à celles de l'entrevue libre avec informateur-clef (Tremblay
1957), de l'observation-participante et des techniques biographiques,
(le récit de vie, en particulier), autant de techniques d'observation
particulièrement valorisées en anthropologie. De plus, afin d'illustrer
ces techniques par des instruments concrets, il utilisait, à titre
d'exemples, les travaux d'équipes anthropologiques de recherche ainsi
que les siens propres sur le Québec. À l'hiver 1961, au moment où le
Département de sociologie fut transformé en un Département de so-
ciologie et d'anthropologie, Tremblay dispensa aux premiers étudiants
inscrits à la Section d'anthropologie, un cours d'anthropologie appli-
quée, dont les principales orientations s'inspiraient des enseignements
d'Alexander H. Leighton sur le même sujet à la fin des années quaran-
te et aux débuts des années cinquante à Cornell University.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)    26




              3. L'anthropologie à l'université Laval
                      jusqu’aux années 1970

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    Afin de mieux comprendre ce qui a fondé l'enseignement de l'an-
thropologie culturelle à Laval durant les années cinquante, il faut re-
placer cette discipline dans son contexte institutionnel, soit celui de la
Faculté des Sciences sociales. Rappelons que cette [15] dernière, au
moment de sa fondation en 1938, se dissociait de la vision traditionnel-
le du social et proposait une conception positiviste du réel. Cette posi-
tion innovatrice suscita la critique interne des clercs (il faut se rappe-
ler que Laval était encore à ce moment-là confessionnelle et que la re-
cherche, surtout celle amorcée dans les sciences sociales, devait
s'inspirer de la position officielle de l'Église catholique) et des politi-
ciens affiliés à un régime politique ultra-conservateur (Falardeau
1964, 1974a). Rappelons aussi que la Faculté reçut en 1949 une impor-
tante subvention de la Fondation Carnegie pour entreprendre, dans le
cadre du Centre de recherches sociales (Murbach et Gagnon 1986) une
étude systématique de la société canadienne-française. Le petit Dé-
partement de sociologie d'alors (1956), composé de six professeurs et
localisé au Quartier latin, constitua le foyer d'une recherche interdis-
ciplinaire orientée vers l'application 4 . Quand Tremblay offrit pour la
première fois ses « Éléments d'anthropologie », Laval n'était pas en-

4   En plus de Jean-Charles Falardeau, (Falardeau 1974b), les autres membres du
    département étaient : Guy Rocher (Rocher 1974), aujourd'hui professeur-
    chercheur à la Faculté de Droit de l'Université de Montréal mais anciennement
    sous-ministre au Québec ; Fernand Dumont (Dumont 1974c), toujours professeur
    au Département de sociologie de Laval, mais aussi Président de l'Institut québé-
    cois de la Recherche sur la Culture (IQRC) ; Yves Martin, ancien sous-ministre du
    ministère de l'Éducation, ancien recteur de l'Université de Sherbrooke et ancien
    directeur général de l'Institut de recherche en santé et sécurité du travail du
    Québec (IRSST) ; Gérald A. Fortin (Fortin 1974), ancien directeur et maintenant
    chercheur à l'Institut National de la Recherche scientifique-urbanisation
    (INRS) et l'auteur du présent ouvrage, professeur au Département d'anthropo-
    logie de Laval et depuis mai 1987, Président du Conseil québécois de la Recher-
    che sociale (CQRS).
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   27




core le genre d'institution où s'établissaient des cloisons étanches
entre les disciplines, ce qui facilitait d'autant les collaborations entre
professeurs venant d'horizons disciplinaires différents. À cette épo-
que, d'ailleurs, le programme d'étude en folklore, par exemple, était
perçu comme ayant une étroite liaison aux sciences sociales. Ce fait
facilitera la venue de Nancy Schmitz en anthropologie.
    Voilà le type de climat intellectuel qui prévalait au moment où les
professeurs/res de la Faculté entreprirent d'importantes [16] re-
cherches empiriques sur le Québec. L'étude sur l'instabilité des tra-
vailleurs forestiers (Tremblay 1960) regroupait des professeurs des
départements des relations industrielles, d'économique et de sociolo-
gie. Les études sur l'impact des changements technologiques sur les
communautés agricoles et forestières de la région du Bas Saint-
Laurent dans les années cinquante et qui furent à l'origine de la vaste
entreprise de recherche que fut le BAEQ (Bureau d'Aménagement de
l'Est du Québec) ainsi que celle portant sur le logement à Québec
(Hodgson 1961-1963) furent conduites par des professeurs venant de
ces mêmes départements. L'étude sur les comportements économiques
(besoins, conditions de vie et aspirations) de la famille salariée cana-
dienne-française qui dura sept ans (1957-1964) fut elle aussi une en-
treprise conjointe de la sociologie et de l'anthropologie (Tremblay et
Fortin 1964). Combien d'autres études pourraient être citées qui pos-
sédaient ces deux caractéristiques essentielles que furent l'interdis-
ciplinarité et une orientation en vue de l'action, deux traits distinc-
tifs, souvent oubliés, lorsqu'on se réfère à l'émergence de l'anthropo-
logie en tant que discipline académique à Laval.
    L'établissement d'un programme d'anthropologie en 1961 obligea la
direction du Département de sociologie à engager des anthropologues
sur une base permanente (Albert Doutreloux, un africaniste originaire
de Belgique, en 1963 et Nancy Schmitz, une diplômée en folklore, en
1966), mais aussi à inviter des savants européens pour y dispenser des
enseignements spécialisés. Ceux-ci influencèrent profondément l'évo-
lution du programme, comme je l'illustrerai plus loin. Renaud Santerre,
diplômé de la première promotion d'anthropologues formés a Laval, fut
embauché en 1968 et Pierre Beaucage, de la seconde promotion, arriva
lui aussi en 1968, tandis que Paul Charest, membre du troisième
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   28




contingent, joignit nos rangs en 1969. Geza de Rohan Csermak, un au-
tre membre du corps professoral des premières heures, fit un bref
séjour à Laval (1970-1972) et dut repartir [17] faute d'obtenir sa
permanence. Doutreloux retourna en Belgique pour occuper un poste à
l'Université Libre de Bruxelles en novembre 1969 tandis que Beaucage
accepta un poste au Département d'anthropologie de l'Université de
Montréal en 1971. Durant les années soixante, Laval invita plusieurs
collègues européens pour de brèves périodes : Raoul Hartveg (anthro-
pologie somatique) et Paul Mercier [ethnologie africaine et histoire de
l'anthropologie (Mercier 1966)] furent certes les invités les plus re-
marqués par leurs visites régulières à l'automne de chaque année pour
une période de deux mois et aussi firent partie de ceux qui furent les
plus appréciés par les étudiants/tes. D'autres invités, toutefois,
s'adaptèrent plutôt mal à la vie québécoise : non seulement eurent-ils
moins de succès dans leurs enseignements que les deux premiers, mais
en certaines occasions ils entrèrent en conflit avec les étudiants/tes
et leurs jeunes collègues québécois.


       3.1. Les premiers enseignements
       anthropologiques à Laval


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    Comme je l'ai noté plus tôt, les premiers enseignements en anthro-
pologie à Laval furent offerts à la Faculté des Lettres durant les an-
nées quarante. À la Faculté des Sciences sociales, ces premiers ensei-
gnements furent dispensés au Département de sociologie. Dès l'ouver-
ture de l'année académique 1958-1959, Tremblay fut autorisé à dis-
penser son cours d'anthropologie qu'il donnera sans interruption du-
rant douze ans. Au moment de l'établissement de l'Option d'anthropo-
logie en 1961, le même cours sera donné exclusivement aux étu-
diants/tes s'inscrivant à ce programme d'étude, dès leur première
année d'inscription. Ce cours définissait les objectifs de l'anthropolo-
gie en tant que discipline scientifique ; retraçait dans leurs grandes
lignes, les principaux courants théoriques qui ont marqué son dévelop-
pement ; exposait les principaux outils conceptuels dont elle se ser-
vait ; examinait les principaux paliers de l'analyse anthropologique (de-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   29




venus depuis autant de champs sous-disciplinaires) [18] et, finalement,
passait en revue les principales techniques d'enquête et d'observation
qu'elle utilisait. Si le temps le permettait, les étudiants/tes, qui de-
vaient préparer des travaux longs sur une société sans écriture, pré-
sentaient en classe les résultats de leurs travaux (sur un auteur ou sur
une étude particulière).
    À l'automne 1959 (année académique 1959-1960), Tremblay offrait
un deuxième cours d'inspiration anthropologique. Celui-ci se situait
dans la foulée des travaux de l'École de Chicago sur la croissance des
villes et l'écologie des phénomènes de désorganisation sociale et s'ins-
pirait de ceux de Leighton sur l'épidémiologie sociale des maladies
mentales dans le comté de Stirling en Nouvelle-Écosse. La première
fois que ce cours fut dispensé, il le fut sous le titre de « Désorganisa-
tion et réorganisation sociales » (Collectif 1970:5). Ce cours fut aussi
obligatoire pour tous les étudiants/tes de sociologie 3e année ainsi que
pour ceux/celles de l'École de service social. Les psychiatres de l'épo-
que en résidence à Saint-Michel-Archange (aujourd'hui, Robert Gif-
fard) l'ont également suivi durant une couple d'années. Essentielle-
ment, ce cours traitait des conditions de la production ainsi que des
conséquences de la désorganisation sociale (ou de l'anomie, pour utili-
ser un concept durkheimien) (Tremblay et Gosselin 1960 ; Gosselin et
Tremblay 1960) en tant qu'ensembles de facteurs particulièrement
favorables, tant au niveau individuel qu'au niveau collectif, à l'appari-
tion de maladies mentales ou d'expériences psychologiques suffisam-
ment traumatisantes pour qu'apparaissent des symptômes d'intérêt
psychiatrique. C'est à cette époque que Tremblay amorça ses travaux
sur l'impact des changements technologiques sur la vie communautaire
et la survivance des Acadiens (Tremblay 1962b) et sur leur accultura-
tion linguistique (Tremblay 1961, 1962a). Il entreprit, par après, ceux
se rapportant à l'hôpital psychiatrique en tant que culture de la folie
(Fortier 1966, Côté 1966) et ceux [19] traitant de réhabilitation so-
ciale des ex-patients psychiatriques dans le Québec métropolitain
(Tremblay 1982a et 1987).
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   30




       3.2. L'établissement de l'Option
       « anthropologie » en 1961


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   Si on se rapporte au Mémoire de l'anthropologie (Collectif 1970: 9-
10) rédigé dans le but de justifier la création d'un Département d'an-
thropologie autonome, on y remarque que l'option anthropologique à
Laval en 1961 possédait cinq caractéristiques différentes décrites ci-
après :


   a) c'est une option d'anthropologie culturelle et sociale structurée
      en fonction des liens étroits qu'elle doit entretenir avec la so-
      ciologie : à titre d'exemple, les sociologues et les anthropolo-
      gues suivent plusieurs cours en commun et à peu près le 1/5 des
      crédits en anthropologie sont obtenus par des enseignements
      sociologiques ;
   b) la linguistique dispensée à ce moment-là à la Faculté des Lettres
      est conçue comme une discipline fondamentale dans un pro-
      gramme d'enseignement en anthropologie culturelle : elle y oc-
      cupe effectivement une place privilégiée, soit 8 crédits sur un
      total de 60 crédits (4 semestres de 15 crédits) ;
   c) l'enseignement théorique ainsi que les applications ethnographi-
      ques porteront sur trois aires culturelles : l'Afrique noire fran-
      cophone, l'Amérique latine et l'aire nord-américaine à l'inté-
      rieur de laquelle on accordera une importance particulière au
      Canada d'expression française, aux Amérindiens et aux Inuit ;
   d) dès l'origine, on consacre la nécessité d'une expérience d'au
      moins trois mois sur un terrain particulier dans le but de re-
      cueillir des données empiriques nécessaires à la rédaction d'une
      thèse de maîtrise : toutefois, on n'exclut pas la possibilité de
      présenter une thèse théorique ; et
   [20]
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   31




   e) la carrière anthropologique, à ce moment-là, est vue comme pou-
      vant en être une d'enseignement (à l'Université), de recherche
      (dans un Centre de recherche), ou encore d'action dans un
      contexte gouvernemental.


    Le même Mémoire discute de la aise en place et de l'évolution sub-
séquente du programme d'étude en anthropologie. Les deux extraits
qui suivent en établissent le profil d'ensemble.


         Afin de mettre à exécution un tel programme de soixante
      crédits devant conduire à la maîtrise en anthropologie, en plus
      d'utiliser les ressources sociologiques et celles de la Faculté, on
      puise à mime les ressources de la Faculté des Lettres (Dépar-
      tement de Linguistique, Département de Folklore, Institut de
      Géographie) et occasionnellement à celles du Centre d'études
      nordiques. On invite aussi régulièrement d'Europe des profes-
      seurs qui assument les enseignements de (l'Ethnographie de
      l'Afrique française » (Paul Mercier), (L'Ethnographie de l'Amé-
      rique latine (Maria de Queiros et Henri Favre), et « L'Anthro-
      pologie physique » (Raoul Hartweg). Il n'y avait à ce moment-là
      qu'un seul anthropologue à plein temps (1970: 9)


    Depuis ses tout débuts, la Faculté des Sciences sociales de Laval
comportait une Propédeutique de deux années à la suite de laquelle les
étudiants/tes s'inscrivaient dans un département pour y poursuivre
leurs études durant deux autres années au terme desquelles ils de-
vaient présenter une thèse pour l'obtention d'une maîtrise. Au début
des années soixante, cette Propédeutique fut réduite à une seule an-
née et les études disciplinaires (départementales) s'échelonnèrent
alors sur trois ans. En 1966-1967, l'année de Propédeutique disparaît
complètement et les étudiants s'inscrivent directement dans un dé-
partement à leur arrivée à la Faculté. Ce changement dans les orienta-
tions pédagogiques de la Faculté allait accélérer le développement de
l'anthropologie par la nécessité qu'il imposait d'accroître les ressour-
ces humaines pour être en mesure de mieux répondre aux besoins aca-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   32




démiques de clientèles étudiantes qui [21] s'orientaient davantage en
fonction d'une spécialisation disciplinaire offerte seulement dans un
département. Le Mémoire de 1970 ne manque pas d'y faire allusion :


           En 1966-1967, l'année propédeutique disparaît et les étu-
       diants s'inscrivent directement au Département de sociologie et
       d'anthropologie, font une année commune à la suite de laquelle
       ils choisissent soit l'Option (Sociologie », soit l'Option « An-
       thropologie ». Dès lors l'Option « d'anthropologie » comporte
       90 crédits qui s'échelonnent sur trois années académiques (soit
       la 2e, la 3e, et la 4e). À l'automne 1968, l'ancien programme de
       maîtrise de quatre années est concentré en trois ans et mène à
       l'obtention d'un baccalauréat en sociologie ou en anthropologie,
       On élabore, à la même occasion, un nouveau programme de maî-
       trise. À l'automne 1969, le programme est conçu de telle sorte
       que les étudiants optent pour l'anthropologie ou pour la sociolo-
       gie à la fin du premier semestre de la première année, Il n'exis-
       te plus que quelques cours communs au niveau des études de
       premier cycle. (Collectif 1970:10)


       3.3. Le statut de l'anthropologie
       dans les universités


Retour à la table des matières

    Dans un document analysant le processus d'intensification de l'en-
seignement de l'anthropologie au sein du Département de sociologie de
Laval, la direction souligne avec emphase que le statut académique de
cette discipline n'est défini avec rigidité dans aucune institution uni-
versitaire. C'est donc dire que parfois on la retrouve avec une autre
discipline pour former un Département conjoint et que, dans d'autres
circonstances et dans d'autres lieux, elle est complètement autonome.
Elle peut être logée dans une variété de structures facultaires diffé-
rentes, telles qu'une Faculté des Arts et des Sciences, une Faculté
des Sciences sociales, une Faculté des Lettres et, exceptionnellement,
dans d'autres facultés. Enfin, certaines universités offrent seulement
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   33




un programme de 2e et 3e cycle en anthropologie ; d'autres, seulement
un programme de 1er cycle et d'autres, un programme complet à tous
les cycles de l'enseignement universitaire. En tant que tradition, l'an-
thropologie s'intéressait [22] aux peuples sans écriture et à l'Autre
lointain. Mais avec l'évolution disciplinaire, l'éventail des intérêts an-
thropologiques s'est élargi pour incorporer les civilisations complexes
et pour intégrer tout autant la culture même de l'observateur que cel-
le des autres (Genest 1984 et 1985). De ce point de vue, les études
anthropologiques d'aujourd'hui portent tout autant sur la vie d'usine
que sur les communautés rurales. Ce même document souligne encore
que l'anthropologie, en tant que science fondamentale, se divise en
deux traditions qui sont complètement différentes l'une de l'autre, à
savoir, l'anthropologie physique ou biologique et l'anthropologie sociale
ou culturelle. Ce clivage, prétend-on, correspond et reflète bien l'une
ou l'autre des grandes orientations des anthropologues d'aujourd'hui.
Soulignant qu'il serait difficile d'initier correctement en même temps
les étudiants/tes à ces deux traditions scientifiques, le document pro-
pose d'orienter l'enseignement et la recherche à Laval du côté de
l'anthropologie dite sociale ou culturelle. Le rédacteur, a n'en pas dou-
ter, se réfère surtout dans les propos qui précèdent à la tradition eu-
ropéenne plutôt qu'à la tradition boasienne (américaine), laquelle
conçoit l'anthropologie comme devant plutôt se diviser en quatre
champs sous-disciplinaires : anthropologie physique, ethnolinguistique,
archéologie et anthropologie culturelle. Ce modèle fut adopté par la
plupart des universités américaines qui imposent à leurs clientèles
étudiantes un apprentissage rigoureux dans chacune de ces sous-
disciplines puisqu'elles disposent habituellement des ressources né-
cessaires pour ce faire. Ces ressources, on peut le comprendre à la
lumière du contexte universitaire québécois, n'existaient pas à Laval.
    L'influence européenne apparaît encore plus nettement dans la sui-
te du document où on met en relief les nécessaires rapprochements de
la sociologie et de l'anthropologie en plus de rappeler que cette der-
nière ne possède pas encore la maturité nécessaire pour voler de ses
propres ailes à la lumière surtout des exigences du [23] marché du
travail. Ce document fut écrit, ne l'oublions pas, en 1960 au moment où
l'Université de Montréal songeait à créer un Département d'anthropo-
logie complètement indépendant de toute autre discipline. Ce qui fut
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   34




fait en 1961. Laval se devait, par conséquent, de fournir une réponse à
une telle innovation dans le monde francophone québécois. La réaction
ne tarda pas à se manifester : Laval élargirait les structures de son
Département de sociologie pour inclure l'anthropologie, mais une an-
thropologie à la manière européenne (française), sous l'éclairage socio-
logique. Voici comment cette nouvelle orientation départementale est
justifiée dans le document de la direction.


          Par suite de cette orientation que nous proposons pour notre
      programme d'études anthropologiques, celles-ci se rapproche-
      raient de très près, à Laval, de la formation sociologique. D'ail-
      leurs, si on se reporte à l'histoire de la sociologie, on retrouve
      une tradition importante orientée en ce sens : l'École sociologi-
      que française en est sans doute la plus glorieuse et la plus écla-
      tante incarnation, Plus que jamais, il semble fructueux, pour le
      sociologue, de situer constamment ses travaux par comparaison
      avec les sociétés archaïques, Et la perspective inverse, pour
      l'anthropologue, ne paraît pas moins importante. Des arguments
      tout à fait « pratiques » se joignent à ces considérations plus
      purement scientifiques. Les possibilités d'emploi pour les an-
      thropologues sont encore, dans notre milieu, assez mal définies,
      Il semblerait judicieux de proposer, en conséquence, une forma-
      tion assez polyvalente à nos étudiants. Ce serait faciliter beau-
      coup la tâche des professeurs du Département de sociologie que
      leur permettre d'orienter, selon la conjoncture, les élèves ayant
      terminé le cycle des études vers tel ou tel secteur de travail où
      une formation à tendance « sociologique » ou « anthropologi-
      que » paraîtrait plus opportune [...] Pour toutes ces raisons, il ne
      nous semble pas souhaitable de créer un Département distinct
      d'anthropologie. Nous proposons, plutôt, la transformation ac-
      tuelle de notre Département de sociologie en un Département
      de sociologie et d'anthropologie. (Direction du Département de
      sociologie. 1960: 2-3)
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   35




   [24]


       3.4. La coexistence pacifique
       de la sociologie et de l'anthropologie


Retour à la table des matières

    Entre 1961 et 1969, les Annuaires de l'Université Laval présentent,
dans la foulée du document de la direction du Département de sociolo-
gie de 1960 et du discours dominant qui s'y trouve, la sociologie et
l'anthropologie comme deux disciplines scientifiques ayant de fortes
ressemblances et entretenant entre elles des liens étroits. On y re-
marque aussi que les étudiants du 1er cycle des deux disciplines sui-
vent des cours de base en commun.
    Par contre le Mémoire de l'anthropologie (Collectif 1970) visant à
la création d'un département autonome d'anthropologie, tient un dis-
cours quelque peu différent de celui des Annuaires. Il affirme, en ef-
fet, que depuis l'introduction de l'anthropologie au Département de
sociologie, ces deux disciplines se sont développées plus ou moins pa-
rallèlement, l'anthropologie cherchant surtout à se différencier de la
sociologie et aspirant avant tout à établir sa spécificité. Si, pour
connaître leurs vues à ce sujet, on interrogeait les personnes qui ont
été formées durant cette décennie dans un département conjoint, la
grande majorité d'entre elles nous confirmeraient, je pense, qu'elles
ont été fortement marquées soit par les professeurs de sociologie,
soit par les professeurs d'anthropologie et, plus rarement, par des
professeurs des deux options. A la limite, on pourrait presqu'affirmer
que l'interdépendance des deux disciplines paraissait mieux dans les
principes que dans les faits, surtout dans les années qui ont précédé
l'établissement d'un département autonome d'anthropologie.
    La création de la revue Recherches Sociographiques, en 1960, sera
un événement de très grande importance pour le Département de so-
ciologie et d'anthropologie dans la mesure où tous les professeurs du
Département (j'étais le seul anthropologue en poste à ce moment-là)
publieront au moins un article dans l'un ou l'autre des quatre [25] nu-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   36




méros de la première année (1960) et que 62% des articles de cette
même année proviendront des professeurs du Département. Mais la
revue se définit aussi comme étant un carrefour de rapports interdis-
ciplinaires. Durant sa première année d'existence, par exemple, elle
accueillera des articles en provenance de l'histoire, du folklore, de la
science politique, de l'économique et des relations industrielles. C'est
donc sous l'égide des sociologues que ces rapports interdisciplinaires
s'intensifieront, l'anthropologie étant une des disciplines parmi l'en-
semble des disciplines représentées. Comme la revue se consacre
d'abord et avant tout au milieu « canadien-français », les anthropolo-
gues y occuperont une place de plus en plus effacée au fur et à mesure
que l'anthropologie acquerra de la maturité et que plusieurs des tra-
vaux de terrain en anthropologie s'effectueront ailleurs qu'au Qué-
bec. Tremblay, par exemple, qui occupait la deuxième position en 1969
pour l'ensemble de ses contributions à la revue durant la première dé-
cennie de son existence (Santerre 1969:42), n'apparaît même plus
dans la liste des 37 principaux collaborateurs de la revue pour la pé-
riode allant de 1970 à 1983 (Santerre 1983a: 6). Se sentant obligé de
faire progresser l'anthropologie en tant que discipline académique
pleinement reconnue, Tremblay réduisit sensiblement ses travaux à
caractère appliqué avec les collègues des autres départements vers le
milieu des années soixante, quelques années à peine après les premiè-
res effervescences de la Révolution tranquille. De concert avec Dou-
treloux, il commença à mettre l'accent sur les aspects traditionnels de
l'enquête ethnographique dans le but de susciter les études sur le ter-
rain et de favoriser les expériences transculturelles, quand cela s'avé-
rait possible, et ainsi permettre des comparaisons interculturelles soi-
gneusement documentées.
    Les études entreprises sur les Amérindiens du Canada dans le ca-
dre de la Commission d'étude Hawthorn-Tremblay (1966-1967, 2 vols)
[26] qui débutèrent en 1964 ainsi que les études de Tremblay sur les
Acadiens du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse (1960-1965) de même
que le programme de recherche sur l'Ethnographie de la Côte-Nord du
Saint-Laurent (1965-1975), les travaux de Doutreloux au Zaïre, ceux
de Beaucage au Honduras, ceux de Santerre au Cameroun contribuè-
rent à élargir graduellement le fosse entre l'anthropologie et la socio-
logie, tant sur le plan théorique que méthodologique. Comme je le re-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   37




marquais plus tôt, dès 1969 les étudiants/tes de sociologie et d'an-
thropologie ne suivaient plus que quelques cours en commun. Ainsi le
nombre restreint d'étudiants/tes à l'Option anthropologique, tant au
premier qu'au deuxième cycles, favorisa leur insertion dans les projets
et programmes de recherche existants. La plupart des inscrits/tes
des années soixante firent des séjours de recherche sur le terrain,
soit sur la Basse-Côte-Nord avec Tremblay (Tremblay 1967, Tremblay
et Lepage 1970 ; Charest et Tremblay 1967 ; Breton 1968 ; Beaucage
1968 ; Pleau 1967 ; Dominique 1975 ; Joubert 1974, Blondin 1974,
Tremblay 1976), soit en Afrique noire avec Doutreloux (Doutreloux
1967, Bourque 1969, Charest 1965, Genest 1969 et 1970, Bergeron-
Coulombe 1969, Roberge 1969 et Lepage 1969), ou Santerre (Santerre
1973 et 1974), ou soit encore chez les Inuit avec Saladin d'Anglure
(Saladin d'Anglure 1964 et 1970 ; Trudel 1971, Larochelle 1972, Audet
1974, Pharand 1975 et Vézinet 1975). Tous les étudiants/tes, sans
exception, étaient tenus/ues d'effectuer des séjours sur le terrain
pour les fins de l'apprentissage méthodologique et de la rédaction
d'une thèse à caractère empirique.
    Grâce à une politique d'apprentissage hâtif aux techniques anthro-
pologiques d'observation, les diplômés/ées de l'Option « anthropolo-
gie », détenteurs/trices d'une maîtrise, purent s'inscrire à des pro-
grammes d'études de troisième cycle à l'étranger ou réussirent a se
trouver des postes dans les services gouvernementaux. La recherche
en équipe, encadrée au Laboratoire d'anthropologie, était centrée sur
la notion d'aire culturelle qui sous-tendait [27] le programme d'étude
(Gold 1987). L'établissement d'équipes de recherche fut certes un
autre élément qui a raffermi la distanciation de la sociologie. Cette
philosophie de la recherche, contrairement à celle centrée sur l'élabo-
ration de modèles conceptuels en sociologie, est reflétée dans le Rap-
port annuel de la Faculté des Sciences sociales au tout début de l'éta-
blissement de l'Option « anthropologie ». Voici ce qu'on y lit :


         La recherche étoffe et illustre l'enseignement théorique. Un
      des buts primordiaux est l'analyse de la société canadienne-
      française, passée et présente... Deux autres aires culturelles
      font aussi l'objet d'une étude poussée : l'Afrique française et
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   38




      l'Amérique latine... La responsabilité particulière du Canada
      français envers ces contrées, une certaine communauté cultu-
      relle, la présence de missionnaires canadiens-français dans ces
      pays : ce sont des arguments déterminants. (Rapport Annuel
      1962-1963).


    Si les anthropologues se sont donnés une vocation ethnographique,
les sociologues, de leur côté, sous la direction de Dumont, s'étant dé-
fini une vocation théorique, s'adonnèrent en grand nombre aux analy-
ses idéologiques et historiques (Dumont 1974a et 1974b). Ces deux
orientations parallèles, car les uns et les autres travaillaient sur des
objets distincts, sont apparues au moment où Dumont fut directeur du
Département de sociologie et d'anthropologie (1960-1967) et l'unité
de ces deux disciplines, dont ce dernier était le principal promoteur,
s'est maintenue en tant que pensée officielle du département au moins
jusqu'à l'accession de Fortin au poste de directeur en 1967. Les socio-
logues s'attendaient à ce que les anthropologues, ici comme ailleurs,
étudient les sociétés traditionnelles et le processus de modernisation
des communautés rurales. D'une certaine manière, c'était aussi la dé-
finition que les anthropologues se donnaient d'eux-mêmes. S'inspirant
en cela des traditions anthropologiques dans leurs études sur les peti-
tes unités sociales fonctionnelles (Redfield 1955), les anthropologues
du Québec de cette époque, amorcèrent des études sur les communau-
tés [28] paysannes en voie de décomposition et sur les isolats du Qué-
bec et du Canada. Au principe de l'unité des disciplines correspondait
une stratégie de division des tâches entre sociologues et anthropolo-
gues : les contestations étudiantes de 1968-1970, auxquelles je réfé-
rerai bientôt, mettront en cause à la fois le principe et l'opérationnali-
sation de cette division du travail en vue de la création d'un départe-
ment autonome.
   Les réactions des populations à l'étude, tant sur la Basse-Côte-
Nord que chez les Inuit et les Amérindiens, forcèrent les différentes
équipes de recherche qui y oeuvraient à l'intervention anthropologique.
Imprévue au point de départ, cette orientation vers l'action, suscitée
par les attentes des populations étudiées, ne se confirmera pleinement
qu'après la création du Département d'anthropologie en 1970. Entre-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   39




temps, les terrains ethnographiques des années soixante avaient réus-
si à former des anthropologues québécois et à établir une tradition
empirique de recherche dans cette discipline. Toutefois, il est néces-
saire de remarquer que le nombre des publications qui furent produi-
tes par ces équipes de recherche ne fut pas aussi grand qu'on aurait
pu l'espérer. Leur succès, en tant que formation de chercheurs et
d'action concertée, cependant, est incontestable. Il ne faudra que
quelques années pour qu'un noyau de jeunes chercheurs, ayant une lon-
gue expérience de travaux d'observation à la manière de l'anthropolo-
gie nord-américaine et britannique, terminent leurs études doctorales,
soit aux États-Unis ou en Europe, viennent se joindre au corps profes-
soral et tentent d'élaborer une anthropologie plus théorique en s'ap-
puyant sur des traditions empiriques déjà bien établies (Beaucage
1965 et 1966 ; Charest et Tremblay 1967, Charest 1971 ; Breton
1973a ; Genest 1974 ; Genest et Santerre 1974).
   [29]


                   4. Les contestations étudiantes
                           de 1968-1970

Retour à la table des matières

   En plus d'avoir vécu cette expérience des contestations étudiantes
de 1968-1970 d'une manière un peu spéciale, dû au fait principalement
qu'elles furent perçues par plusieurs comme étant le résultat d'une
querelle entre les « Anciens » et les « Modernes » (ma séniorité me
classant chez les premiers) et que ma position personnelle n'a jamais
parfaitement correspondu à celle de la majorité (surtout en ce qui a
trait à leurs manifestations sur le campus de Laval à la Faculté des
Sciences sociales), je n'appuierai sur trois documents inédits (L'an-
thropologie à Laval, La création du Département d'anthropologie et
Les rapports étudiants-assistants professeurs dans la prise de déci-
sion : le cas du comité pédagogique -Section anthropologie) pour pré-
senter un point de vue d'ensemble sur ces événements qui se produisi-
rent durant la période 1968-1970, au moment où l'anthropologie fai-
sait encore partie du Département de sociologie et d'anthropologie.
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   40




    Je n'ai pas l'intention de passer en revue les diverses contesta-
tions étudiantes qui se sont produites sur le campus lavallois, particu-
lièrement à la Faculté des Sciences sociales, ni d'en reconstituer les
principaux enjeux. Je m'attarderai davantage aux objectifs poursuivis
et aux résultats obtenus : l'analyse des stratégies, à elle seule néces-
siterait des études approfondies. Il m'apparaît pertinent, aussi, de les
contextualiser par rapport aux conditions socio-politiques existantes à
ce moment-là au Québec. On se souviendra que les contestations étu-
diantes de 1968 commencèrent en Californie pour s'étendre, comme
une traînée de poudre, à la plupart des grandes universités américai-
nes dans les semaines qui suivirent les premières manifestations. En
Europe, c'est Nanterre (Université de Paris Xe) qui fut le foyer d'ori-
gine des confrontations et manifestations étudiantes de mai 1968 à
Paris : ces dernières se reproduisirent par après dans d'autres pays
européens. Ces révoltes étudiantes [30] (le concept n'est pas exagéré)
donnèrent lieu à de vives manifestations, à des grèves générales illimi-
tées et à des confrontations étudiantes-policières lesquelles dégéné-
rèrent en batailles rangées entre les forces de l'ordre et les manifes-
tants, des groupes d'agitateurs profitant de ces affrontements pour
déstabiliser les gouvernements en place. Au Québec, ces contestations
et ces manifestations étudiantes n'eurent jamais l'ampleur ni l'inten-
sité de celles qui se produisirent ailleurs, principalement en Europe
occidentale et aux États-Unis. Quels ont été les objectifs poursuivis
et quels ont été les résultats obtenus? Ce sont les deux questions
auxquelles je vais tenter de répondre sommairement.
    On peut affirmer que ces révoltes étudiantes visaient tout un en-
semble d'objectifs définis comme inséparables les uns des autres. Es-
sayons d'en reconstituer les principaux patrons constitutifs : (a) la
réforme des structures universitaires académiques (régime des étu-
des, organisation des cours et des programmes d'étude) et adminis-
tratives (démocratisation des structures) afin qu'elles correspondent
davantage aux aspirations des générations montantes et qu'elles re-
flètent mieux les habitudes de vie des autres secteurs de la vie socia-
le ; (b) une plus grande sensibilisation des gouvernements et des
structures étatiques aux besoins financiers grandissants des universi-
tés afin que celles-ci puissent offrir un éventail plus large et mieux
adapté de programmes d'étude tout en maintenant, et atteignant si
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   41




possible, un haut degré de qualité dans la formation des diplômés/ées ;
(c) une plus grande ouverture de l'université sur le monde extérieur
par l'abandon de son statut traditionnel de « tour d'ivoire » et l'ins-
tauration de programmes de formation préparant plus directement à
une fonction sur le marché du travail ; et (d) une participation étudian-
te active dans les structures du pouvoir (décisionnelles et consultati-
ves) de l'Université Laval afin de devenir les principaux/les agents/tes
de leur formation et qu'ils/qu'elles puissent choisir les programmes et
les cours qui [31] correspondent le mieux à leurs aptitudes, préféren-
ces et ambitions. Les revendications précises des groupes contestatai-
res pouvaient varier quelque peu d'un milieu universitaire à l'autre, car
elles étaient le produit de conditions historiques particulières. Toute-
fois, l'idéologie fondamentale qui les sous-tendait s'inspirait de deux
principes directeurs, a savoir, la modernisation des structures univer-
sitaires et la participation étudiante dans les structures du pouvoir.
    Au Québec, à la suite des recommandations de la Commission royale
d'Enquête sur l'Enseignement (Parent 1963-1966, 5 vols.), on avait
préalablement mais en vigueur une réforme en profondeur de notre
système d'éducation, dont la création d'un ministère de l'Éducation en
1964. Les recommandations de ce Rapport n'avaient pas encore toutes
été mises en oeuvre en 1968, c'est-à-dire, la démocratisation de l'ins-
truction, la gratuité de l'enseignement, une plus grande participation
des Francophones du Québec aux disciplines scientifiques et adminis-
tratives, la réforme complète des cycles de l'enseignement, la partici-
pation des étudiants/tes à l'élaboration des programmes, le renouvel-
lement des méthodes et outils pédagogiques, le respect des capacités
d'apprentissage de l'étudiant/te, une meilleure liaison entre les pro-
grammes d'étude à l'université et les exigences du marche du travail,
l'importance des études des 2e et 3e cycles à l'université, et ainsi du
reste. Ces recommandations donnèrent lieu à des politiques et prati-
ques nouvelles dans le monde de l'éducation. Mais les réformes en pro-
fondeur ne s'implantaient pas assez rapidement. Au fur et à mesure
que les années passaient (c'était la période euphorique des débuts de
la Révolution tranquille) et que les contingents étudiants grossissaient
en nombre dans les universités, on commença a percevoir certaines
frustrations chez les étudiants/tes dont les attentes et les ambitions
devenaient de plus en plus précises par rapport à la qualité de l'ensei-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   42




gnement universitaire, à la compétence des professeurs/res en ensei-
gnement [32] et recherche et, surtout, par rapport à leur participa-
tion active dans le processus pédagogique. Laval eut, comme toutes les
autres universités québécoises, ses contestations étudiantes, lesquel-
les furent sporadiques, localisées et particulières, sous l'angle des re-
vendications spécifiques qui les avaient amorcées. Les Facultés des
Sciences de l'éducation et des Sciences sociales furent sur le campus
de Québec les initiatrices de ces mouvements de revendication, au
moment même où le Québec connaissait une période de croissance
économique et de développement social. Les diplômés/ées des universi-
tés québécoises, à cette époque, contrairement à ce qui se passait en
Europe, se trouvaient assez facilement des emplois sur le marche du
travail. Je me souviens nettement, qu'à certains moments, les adminis-
trateurs d'université et le public en général se demandaient « ce que
voulaient réellement les étudiants d'université » qu'ils considéraient
comme « des enfants gâtés » !
    Les observations générales qui précèdent me permettent de mieux
contextualiser les doléances étudiantes des anthropologues au Dépar-
tement de sociologie et d'anthropologie à la fin des années soixante.
Celles-ci n'ont pas été prises à la légère, car elles étaient pleinement
fondées, le recul du temps nous permettant, dans leur cas, de dégager
avec plus de netteté les enjeux en présence. Une première revendica-
tion se rapporte à la dissolution du Département conjoint (même si
cela allait à l'encontre des recommandations de la Commission de la
réforme de l'Université Laval) afin que les anthropologues puissent
gérer eux-mêmes leurs programmes d'étude et définir les conditions
de développement de l'anthropologie au Québec. La Commission de la
réforme, présidée par l'Abbé Lorenzo Roy, visait à abolir les départe-
ments, non à en créer de nouveaux. Ce principe d'une dissolution fut,
cependant, apprécié à son mérite spécialement en vertu du fait que
l'anthropologie, une discipline autonome dans la plupart des grandes
universités du monde, méritait une plus grande indépendance à l'Uni-
versité Laval. Dans le contexte [33] lavallois, ce statut de dépendance
de l'anthropologie était surprenant non seulement à la lumière des
pratiques ailleurs mais aussi de celles en existence sur le campus lui-
même où certaines disciplines avaient conquis le statut départemental
sans en avoir tous les desiderata. Le nombre d'anthropologues engagés
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   43




dans l'enseignement, l'importance de la recherche anthropologique
mesurée par le montant global des subventions annuelles de recherche
obtenues sur concours ainsi que les effectifs étudiants justifiaient
que l'anthropologie obtienne le statut départemental.
    S'appuyant sur les critères mentionnés plus haut, on rejette car-
rément l'existence de deux sections relativement autonomes à l'inté-
rieur d'un Département conjoint, car cela était perçu comme le statu
quo, ou encore l'établissement d'un programme d'étude qui aurait un
fort degré d'autonomie. On veut la dissolution de l'ancien départe-
ment et la création d'un Département d'anthropologie, entièrement
indépendant de la sociologie. On exige encore que les professeurs/res
embauchés/ées au Département d'anthropologie soient d'une grande
compétence en recherche, mais aient aussi de bonnes qualités pédago-
giques. On insiste, enfin, pour que les étudiants/tes soient parties
prenantes aux principales décisions qui les concernent, d'où l'impor-
tance de la création d'instances décisionnelles constituées, sur une
base paritaire, de professeurs/res et d'étudiants/tes. Ces revendica-
tions n'ont pas toutes été acceptées d'emblée au moment où elles ont
été énoncées, mais elles l'ont été sur une période relativement courte.
Un certain nombre de ces revendications, par exemple, seront reflé-
tées dans les rapports des travaux de la Commission Roy et, en parti-
culier, dans un document se rapportant au 1er cycle (Roy 1970: 3). Voi-
ci quelques-uns des principes énoncés dans ce document qui ont un
rapport direct aux propos qui précèdent :
   [34]


          Pour l'ensemble des programmes, le premier cycle des étu-
      des universitaires a comme objectifs généraux de permettre à
      l'étudiant : 1. d'être le principal agent de sa formation ; 2. de
      progresser suivant son dynamisme personnel ; 3. de s'orienter
      graduellement à partir d'une formation de base vers une spécia-
      lisation admettant des degrés divers ; 4, d'acquérir la méthode,
      les concepts et les principes fondamentaux propres à une disci-
      pline ou à un champ d'étude ; 5. de développer des habitudes de
      travail qui favorisent le jugement critique, l'esprit novateur et
      rendent capable l'éducation continue ; 6. d'assurer une forma-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   44




       tion qui prépare au travail interdisciplinaire, à la mobilité oc-
       cupationnelle et à la perception des problèmes que posent les
       développements de l'état actuel de la société, (p.3)


    Que faut-il retenir des contestations étudiantes de 1968-1970?
Elles ont exercé un poids considérable sur les réformes universitaires
qui s'ensuivirent aux débuts des années soixante-dix et elles ont été,
dans une très large mesure, à l'origine de la création d'un Départe-
ment d'anthropologie. Elles ont aussi influencé grandement les orien-
tations pédagogiques de l'anthropologie au début de cette même dé-
cennie (l'évaluation des professeurs/res et des cours date de cette
période) en plus de favoriser la participation directe des étu-
diants/tes aux décisions départementales.


                         5. Les réformes
             et la création du département en 1971

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   Comme nous l'avons vu, à partir de 1968, de multiples activités de
consultation, la production de travaux de comités d'étude et de
grands rapports, se concrétiseront dans des réformes importantes à
l'Université Laval (Laberge 1978). À partir de 1960, avec l'arrivée au
pouvoir d'un Gouvernement qui avait promis la réforme de l'éducation
dans le sens d'une démocratisation des structures et d'une meilleure
accessibilité des étudiants aux institutions d'enseignement, avec l'ac-
croissement des populations étudiantes et des contestations qui s'en-
suivirent, avec aussi la dissociation de l'Université Laval du Séminaire
de Québec qui avait été à ses origines et l'augmentation substantielle
des subventions gouvernementales [35] de fonctionnement, l'Universi-
té Laval se voit dans l'obligation de modifier en profondeur ses struc-
tures.
   En avril 1967, le Conseil de l'Université met sur pied un Comité du
développement et de planification de la recherche que préside l'Abbé
Lorenzo Roy. Ce Comité remet son rapport en septembre 1968 : il
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   45




contient pas moins de 55 recommandations différentes se rapportant
à presque tous les aspects de l'enseignement et de la recherche. À
l'époque, ces recommandations produisirent bien des bouleversements,
car elles transformaient les rapports de l'administration centrale aux
facultés en ce qui avait trait à la conception des programmes et à la
gestion des études. La tendance générale est à la centralisation et à la
création de secteurs regroupant plusieurs facultés. En effet, le Rap-
port Roy


       [...] proposait de les intégrer dans un vaste ensemble cohérent
       et communicant, et concluait que, finalement, les Facultés pour-
       raient être appelées à disparaître au profit de secteurs plus
       vastes. (Desmartis 1981: D)


       5.1. La Commission de la Réforme


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   Dans le document cité plus haut, André Desmartis présente un bon
aperçu de la nature et des impacts de la Commission de la réforme à
Laval. Je me contenterai de citer intégralement une partie de son ex-
posé car il rapporte l'essentiel de la chronologie des événements ainsi
que des étapes qui ont abouti aux principales réformes structurelles à
Laval :


            En novembre 1968, était formée la Commission de la réforme
       chargée d'appliquer les principales recommandations du Rapport
       Roy. Après avoir élaboré la nouvelle Charte et les Statuts qui
       [...] furent mis en vigueur en 1971, la Commission de la réforme
       faisait adopter après plusieurs versions successives, le règle-
       ment des études du 1er cycle qui fut mis en application en sep-
       tembre 1972, non sans avoir déclenché au passage une importan-
       te contestation étudiante. Finalement, la Commission [36] de la
       réforme disparaissait en 1973, sans avoir réussi à établir les
       liens organiques entre la structure des ressources (les dépar-
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   46




       tements et les facultés) et la structure des programmes (les di-
       rections de programme et les directions d'ensemble) qu'elle
       avait conçues. Il faudra attendre en 1980 pour qu'un comité
       « chargé d'harmoniser les statuts et les règlements » fasse fi-
       nalement accepter une solution de compromis sur ce point. De
       même, la Commission de la réforme échouait dans sa tentative
       de regrouper les facultés en unités plus larges, les secteurs.

           L'effort de rationalisation et de lutte contre l'arbitraire,
       commencé par la Commission de la réforme, devait être poursui-
       vi par divers comités relevant généralement du Conseil de l'Uni-
       versité. Citons, entre autres, l'établissement de normes commu-
       nes d'allocation des ressources humaines aux diverses unités (la
       fameuse Annexe A), sans oublier l'uniformisation des conditions
       salariales entraînées par la signature de la convention collective
       conclue avec le Syndicat des professeurs de l'Université Laval
       en janvier 1977, après quatre mois de grève. En confiant aux
       UPA, c'est-à-dire au niveau départemental, de nombreuses res-
       ponsabilités qui relevaient jusque-là des doyens, cette conven-
       tion entraînait également d'importants changements de struc-
       ture (Desmartis 1981: D)


       5.2. Le comité Gérard Dion
       et la création du département


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    L'Université Laval traverse donc une période de mutations profon-
des au moment où l'anthropologie tente de se dissocier de la sociolo-
gie. En 1970, l'anthropologie réussira à obtenir un statut départemen-
tal malgré les tendances centralisatrices de l'époque, lesquelles sont
associées à un processus de rationalisation des ressources. À la suite
de nombreuses perturbations internes au Département de sociologie
et d'anthropologie, résultant tout autant de conflits entre profes-
seurs que des contestations étudiantes, la Faculté des Sciences socia-
les, par l'action de son doyen, l'économiste Yves Dubé, met sur pied en
1969 un comité présidé par l'abbé Gérard Dion dans le but d'étudier la
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   47




situation du Département de sociologie et d'anthropologie. Plusieurs
documents seront produits dans le but de réclamer la création d'un
Département d'anthropologie distinct de la sociologie, y compris une
pétition signée par les professeurs des [37] deux options du Départe-
ment conjoint. Les positions des anthropologues sont exposées dans un
volumineux mémoire qui sera à la fois présenté au Comité Dion et au
Conseil de la Faculté des Sciences sociales. Dans ce Mémoire, on y fait
état de la spécificité de l'anthropologie en tant que discipline acadé-
mique, de sa croissance constante depuis l'établissement de l'option
anthropologique à l'intérieur du Département conjoint, de la qualité de
ses équipes de recherche qui oeuvrent sur la Côte-Nord du Fleuve
Saint-Laurent, dans le Grand-Nord chez les Inuit, à la Sierra de Pue-
bla au Mexique et au Nord Cameroun. Ces divers projets de recherche
ont obtenu auprès des organismes de financement en 1969-1970 des
subventions de l'ordre de 70 711,00 $ et en 1970-1971, 117 049,00 $.
(Collectif 1970:20) et ils encadrent pour cette dernière année acadé-
mique 28 chercheurs/res totalisant 139 mois/plein temps de recher-
che (Idem: 22). On fait encore référence à ses acquisitions muséogra-
phiques, au développement de ses programmes d'étude et de recher-
che ainsi que des structures à institutionnaliser. On met en relief le
fait que les étudiants/tes, dans leur mémoire du mois de novembre
1968 avaient réclamé la création immédiate d'un département : cette
proposition n'avait pas rallié l'ensemble des professeurs/res, quel-
ques-uns (dont j'étais) préférant que l'Option assoie plus solidement
(sur une couple d'années) ses ressources humaines avant de réclamer
officiellement un tel statut. Mais les initiatives étudiantes de 1969, la
création d'un Comité pédagogique et l'établissement d'un programme
complet d'études ainsi que le malaise grandissant que ressentaient les
anthropologues à l'intérieur du Département conjoint, particulière-
ment à la suite de mésententes se rapportant a la répartition du bud-
get et à l'engagement du personnel départemental en 1969, ont accé-
léré le processus de la dissociation.
   Le Comité Dion fut sensible aux arguments avancés par les anthro-
pologues (à leur très grande satisfaction et soulagement) et son Rap-
port ainsi que celui que la Faculté des Sciences sociales [38] présente-
ra au Conseil de l'Université reprendront essentiellement l'argumen-
tation développée dans le Mémoire de l'anthropologie. À sa séance du
M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989)   48




13 octobre 1970, le Conseil de l'Université Laval approuvait la résolu-
tion suivante :


      1. Que le Département de sociologie et d'anthropologie de la
      Faculté des Sciences sociales soit aboli. 2. Que deux départe-
      ments soient créés, à savoir celui de sociologie et celui d'an-
      thropologie, 3. Que le nouveau Département d'anthropologie
      s'en tienne principalement aux domaines de l'anthropologie so-
      ciale et culturelle et qu'il concentre ses efforts sur les aires
      culturelles les plus rapprochées : Canada français, Amérindiens,
      Esquimaux (Extrait du Livre des délibérations du Conseil de
      l'Université. Résolution U-70-472)


    Cette décision fut accueillie avec enthousiasme par les 85 person-
nes qui composaient le Département à cette date mémorable : 67 étu-
diants/tes (dont 54 au 1er cycle), 10 professeurs/res (dont 4 profes-
seurs invités) et 8 assistants/tes de recherche et d'enseignement
(Dorais : 1). Elle permit également aux anthropologues d'accéder à une
autonomie administrative et de planifier le développement de la disci-
pline selon les seuls critères en usage dans les centres académiques où
elle était florissante. Marc-Adélard Tremblay, qui assumait à ce mo-
ment-là la fonction de vice-doyen à la recherche à la Faculté des
Sciences sociales depuis 1969, fut nommé directeur du département :
il cumula les deux fonctions durant une période d'une année, jusqu'au
moment où il accéda en novembre 1971 à la direction de l'École des
Gradués. Le développement de l'anthropologie, comme je le documen-
terai dans les prochains chapitres, fut exceptionnel à maints égards.
Les thématiques qui serviront à étayer ce progrès se rapportent à la
recherche anthropologique, aux programmes d'enseignement et de
formation, à la production scientifique de ses membres et à leur
rayonnement.
Anthropologie a laval
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Anthropologie a laval

  • 1. Marc-Adélard Tremblay (1922 - ) Anthropologue, retraité, Université Laval (1989) L’anthropologie à l’Université Laval Fondements historiques, pratiques académiques, dynamismes d'évolution Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: jean-marie_tremblay@uqac.ca Site web pédagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/ Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/
  • 2. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 2 Politique d'utilisation de la bibliothèque des Classiques Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for- melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue. Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuvent sans autorisation formelle: - être hébergés (en fichier ou page web, en totalité ou en partie) sur un serveur autre que celui des Classiques. - servir de base de travail à un autre fichier modifié ensuite par tout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support, etc...), Les fichiers (.html, .doc, .pdf, .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le site Les Classiques des sciences sociales sont la propriété des Classi- ques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif com- posé exclusivement de bénévoles. Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et personnel- le et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation à des fins com- merciales des fichiers sur ce site est strictement interdite et toute rediffusion est également strictement interdite. L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisa- teurs. C'est notre mission. Jean-Marie Tremblay, sociologue Fondateur et Président-directeur général, LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.
  • 3. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 3 Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de : Marc-Adélard Tremblay (1922 - ) L’anthropologie à l’Université Laval. Fondements historiques, pratiques académiques, dynamismes d'évolution. Québec: Laboratoire de recherches anthropologiques, département d'anthropologie, Université Laval, septembre 1989, 206 pp. Collection: Documents de recherche, no 6. M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, professeur émérite re- traité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 jan- vier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres. Courriel : matrem@microtec.net ou matremgt@globetrotter.net Polices de caractères utilisée : Comic Sans, 12 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Micro- soft Word 2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’. Édition numérique réalisée le 6 octobre 2011 à Chicou- timi, Ville de Saguenay, Québec.
  • 4. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 4 Marc-Adélard Tremblay (1989) L’anthropologie à l’Université Laval. Fondements historiques, pratiques académiques, dynamismes d'évolution. Québec: Laboratoire de recherches anthropologiques, département d'anthropologie, Université Laval, septembre 1989, 206 pp. Collection: Documents de recherche, no 6.
  • 5. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 5 Table des matières Avant-propos INTRODUCTION 1. Problématique et contextualisation Chapitre 1. L'ANTHROPOLOGIE EN TANT QUE DISCIPLINE ACADÉMIQUE À LAVAL 1. Les précurseurs à Laval et ailleurs 2. Les premiers anthropologues-enseignants dans les universités québécoises 3. L'anthropologie à l'Université Laval jusqu'aux années 1970 3.1. Les premiers enseignements anthropologiques à Laval 3.2. L'établissement de l'Option « anthropologie » en 1961 3.3. Le statut de l'anthropologie dans les universités 3.4. La coexistence pacifique de la sociologie et de l'anthropolo- gie 4. Les contestations étudiantes de 1968-1970 5. Les réformes et la création du département en 1971 5.1. La Commission de la Réforme 5.2. Le comité Gérard Dion et la création du département
  • 6. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 6 Chapitre 2. LA RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE 1. L'importance du terrain en anthropologie 2. L'ethnographie de la Côte-Nord du Saint-Laurent (Tremblay, Charest, Breton) 3. Les études inuit (Saladin d'Anglure, Dorais, Trudel) 4. Les études sur l'Afrique Noire francophone (Chalifoux, Charest, Collard, Doutreloux, Genest et Santerre) 5. Les études sur la Méso-Amérique et la Caraïbe (Beaucage, Breton, Arcand, Dagenais, Chalifoux, Labrecque) 6. Les études autochtones (Arcand, Charest, McNulty, Simonis, Tremblay, Trudel) 7. Les études sur les communautés rurales (Bariteau, Breton, Pilon- Lê) 8. Le structuralisme et la représentation symbolique du Québec (Maranda, Saladin d'Anglure, Simonis) 9. Les études symboliques (Arcand, Saladin d'Anglure, Simonis, Schwimmer, Maranda) 10. Les études sur les femmes (Dagenais, Labrecque) 11. L'ethnicité urbaine (Dorais, Elbaz, Pilon-Lê, Schwimmer, Trem- blay) 12. L'anthropologie de la santé, de la maladie et du vieillissement (Genest, Santerre, Tremblay) 13. Conclusions sur la recherche anthropologique à Laval
  • 7. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 7 Chapitre 3. ORGANISATION ADMINISTRATIVE, PROGRAMMES DE FORMATION ET CLIENTÈLES ÉTUDIANTES 1. Le profil démographique du département 2. La conception du programme 2.1. Le corps professoral et la répartition des tâches 2.1.1. Le corps professoral : ses débuts et son évolution 3. Les clientèles étudiantes 3.1. L'évolution dans les effectifs étudiants en anthropologie de 1970-1985 3.2. L'Association des étudiants/tes en anthropologie 3.3. Les champs de recherche des étudiants/es Chapitre 4. LA DIFFUSION DES CONNAISSANCES ET LE RAYONNEMENT SCIENTIFIQUE 1. La diffusion des connaissances 1.1. Anthropologie et Sociétés 1.2. Études Inuit/Studies 2. Le rayonnement scientifique 2.1. La diversité du rayonnement 2.2. L'intervention anthropologique au département 2.3. La participation aux groupes interfacultaires et interuniver- sitaires
  • 8. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 8 Conclusion. Les singularités de l'anthropologie (au Québec et ailleurs) : Les travaux, la critique, la pulsion de mort (par Eric Schwimmer) Annexe 1. Liste des thèses de maîtrise produites au Département 2. Liste des thèses de doctorat produites au Département Références bibliographiques
  • 9. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 9 À Jacques Le Querrec, assistant d'enseignement et de recherche à notre Département, parti dans la fleur de l'âge, dont le souvenir reste profondé- ment gravé dans notre mémoire de même que dans celle des personnes qui se sont enrichies à son contact et qui ont béné- ficié de son amitié.
  • 10. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 10 [v] L’anthropologie à l’Université Laval. Fondements historiques, pratiques académiques, dynamismes d'évolution. AVANT-PROPOS Retour à la table des matières C'est à l'automne 1986 que le rédacteur d'un ouvrage à paraître sur la Faculté des Sciences sociales à l'occasion du cinquantième anni- versaire de sa fondation me demanda de rédiger le chapitre sur l'an- thropologie. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement que j'avais dans les années antérieures, en collaboration avec le professeur Ge- rald L. Gold de York University, publié des études sur l'anthropologie du Québec. La tâche m'apparaissait suffisamment bien amorcée pour que je sois en mesure de respecter l'échéance de production du 31 décembre 1987. Grâce à une aide financière du département, Josée Thivierge fut engagée comme assistante de recherche à l'été 1986. La tâche à accomplir était de taille, car elle nécessitait des recherches dans les archives du département, dans celles de la Faculté et de l’Université, ce qui posait des problèmes d'accessibilité aux données de base. Elle requérait aussi des contacts personnels avec chacun des membres du corps professoral pour dénicher des données sur le dé- partement dont ils étaient parfois les uniques dépositaires, pour obte- nir des informations sur leurs travaux de recherche et leurs engage- ments professionnels depuis leur arrivée au département et pour
  • 11. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 11 consigner leurs vues sur l'évolution de la discipline à la fin de ce millé- naire. Il s'agissait, en quelque sorte, de relater les événements mar- quants que j'avais vécus depuis mon arrivée au Département de socio- logie à l'automne 1956, c'est-à-dire, la co-existence de la sociologie et de l'anthropologie dans un département conjoint, la conquête de l'au- tonomie départementale, les recherches anthropologiques amorcées par l'équipe professorale sur plusieurs continents de la planète, l'évo- lution des programmes d'étude et des clientèles étudiantes, les revues publiées au département, l'engagement des membres de l'équipe dans la communauté et leur rayonnement académique, l'avenir de la discipli- ne. Ces grands thèmes constitueraient les principaux éléments de la toile de fond sur laquelle serait esquissé le profil historique de notre unité d'appartenance. Au fur et à mesure que la collecte des données et que leur analyse provisoire progressait, je me suis rendu compte que le travail amorcé débordait largement la tâche assignée et que la production finale ne pourrait prendre la forme d'un chapitre dans le cadre de l'ouvrage collectif projeté. Après discussion avec le rédac- teur, j'en suis venu à la conclusion que je produirais une monographie sur notre département et que l'un des chapitres de celle-ci pourrait [vi] représenter ma contribution. Le thème de la recherche et de l'in- tervention anthropologiques s'imposa alors d'emblée dans mon esprit, car ce serait celui qui représenterait le mieux la nature de notre dé- partement, la marque de notre discipline. Le chapitre proposé parut à l'automne 1988 dans un collectif publié aux Presses de l'Université Laval sous la direction d'Albert Faucher 1 et une version préliminaire de la monographie fut terminée à la date prévue. À l'été 1988, à la suite de tractations avec la responsable du Laboratoire d'anthropologie, Madame Marie France Labrecque, il fut décidé que le Laboratoire en assurerait la publication grâce à une sub- vention de la Faculté des Sciences sociales, Budget spécial de la Re- cherche. Cela m'apparaissait d'autant plus intéressant puisqu'ainsi une certaine diffusion de la monographie permettrait une meilleure 1 Cinquante ans de sciences sociales à l'Université Laval : Histoire de la Faculté des Sciences sociales (1938-1988). Voir « La recherche et l'intervention anthro- pologiques à l'Université Laval », pp. 279-328.
  • 12. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 12 connaissance de notre discipline et des travaux de ceux et celles qui ont incarné ses ambitions dans la région de Québec. Elle pourrait aussi permettre, à ceux et celles qui s'inscrivent à notre programme d'étu- de, de connaître le contexte institutionnel dans lequel ils et elles s'en- gagent pour quelques années de leur vie. Notre histoire étant relati- vement courte, il était plus facile d'en reconstituer les principales étapes et d'identifier les principaux dynamismes qui les ont suscitées. Quelques mises en garde s'imposent. La plus importante de toutes se rapporte à la facture de cette entreprise. Ce n'est pas une analyse du contexte socio-politique de la production des connaissances anthro- pologiques. Ce n'est pas, non plus, une histoire qui comporte un carac- tère définitif, la proximité des événements narrés de même que la subjectivité de l'analyste, pour ne pas mentionner tous les aspects de cette histoire qui ont été délibérément mis de côté ou tout simple- ment oubliés, ne nous y autorisent pas. C'est plutôt la reconstruction d'une fresque d'ensemble où sont identifiés des acteurs, des situa- tions et des événements qui la rendent compréhensible. Des historiens chevronnés de même que des historiens de la science pourront eux aussi éventuellement reconstituer cette histoire et lui conférer une toute autre coloration, une ampleur bien différente. La version préliminaire de cette monographie ne comportait pas de conclusion et j'ai longuement hésité sur sa nature. J'ai finalement choisi pour ce faire le texte provisoire du Rapport du Comité des orientations rédigé par son président, M. Eric Schwimmer. Présenté au moment où le département traversait une crise d'importance, ce do- cument esquisse l'histoire départementale sous un angle critique et propose une vision d'avenir de l'anthropologie à Laval [vii] fondée sur une spécificité quelque peu différente de celle de nos origines, mais qui s'appuie sur les effectifs existants et représente une réponse aux critiques dont notre discipline est l'objet. Je suis d'autant plus recon- naissant à Eric Schwimmer d'avoir accepté qu'elle paraisse ici car elle ajoute de la profondeur aux réflexions contenues dans la monographie et fait la démonstration, il me semble, en quoi une crise de nature épistémologique et socio-politique peut être génératrice de prises de conscience et de renouvellements si essentiels à une discipline en plei- ne transformation.
  • 13. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 13 Cette expérience anthropologique que j'ai vécue ici à Laval et que j'ai cherché à reconstituer le mieux possible dans le temps qui me fut imparti a représenté pour moi un indéfinissable enrichissement. Revi- vre symboliquement toute une tranche de sa vie, avec ses intensités et ses adversités, prendre conscience des apports considérables, tant sur les plans personnel que professionnel, de ceux et celles qu'on a côtoyés/ées, mener à terme un projet qui témoigne à la fois de notre identité professionnelle de groupe et de nos enracinements dans le milieu plus large, voilà qui représente un extraordinaire élément de ressourcement. S'engager en anthropologie devient facilement, au fil des années, un mode de vie, une passion. Puisse la lecture de cette his- toire inachevée susciter de nombreux projets d'avenir. Je tiens à remercier en tout premier lieu madame Josée Thivierge qui m'a assisté dans ce travail de reconstruction historique et qui m'a été d'une aide précieuse. J'exprime également mes remerciements à mes collègues qui m'ont fourni soit des documents ou qui m'ont rédigé des sommaires me permettant de mieux caractériser les activités dé- partementales de recherche. J'ai fort apprécié l'aide que m'ont ap- porté madame Michèle Bouchard et monsieur Jean-Pierre Garneau, en tant qu'adjoints au Directeur du Département, dans le repérage de certains documents. J'exprime ma gratitude aux collègues qui ont pris le temps de lire ces chapitres et qui m'ont offert de nombreuses sug- gestions visant à améliorer la version préliminaire de cette monogra- phie. Cette étude est basée sur certains documents officiels du Dé- partement d'anthropologie (Collectif 1970, 1976, 1978a, 1978b et 1982) ou de l'Université, sur les écrits de mes collègues ainsi que sur mes expériences en tant que professeur à Laval depuis 1956. J'expri- me, enfin, mes remerciements à madame Christine Bédard qui a assu- mé avec compétence professionnelle la transcription du manuscrit. Marc-Adélard Tremblay 1er juin 1989
  • 14. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 14 [1] L’anthropologie à l’Université Laval. Fondements historiques, pratiques académiques, dynamismes d'évolution. INTRODUCTION 1. Problématique et contextualisation Retour à la table des matières L'anthropologie, en tant que discipline académique, est née vers le milieu du XIXe siècle en Europe et aux États-Unis. Dans une très large mesure, sa naissance a coïncidé avec l'apogée de l'ère coloniale. Suite aux pressions internes en provenance des peuples gouvernés, les gran- des puissances coloniales se sont vues dans l'obligation de s'intéresser de plus près aux traditions et coutumes de leurs colonies qui, pour la très grande majorité, étaient multiethniques et multilingues. Le motif premier de la puissance conquérante européenne avait été jusque-là l'exploitation des ressources naturelles disponibles sur les territoires assujettis pour des fins d'enrichissement matériel, et à ce sujet on avait mis en place des structures politiques et des modes de contrôle qui en assuraient l'efficacité. Les revendications internes des peuples soumis s'adressaient surtout à la participation, tant dans les structu- res de gouvernement que dans celles se rapportant à la vie économique et sociale. Cette participation des peuples conquis à l'administration locale et régionale a nécessité que les puissances impériales [2] for- ment des administrateurs ayant une excellente connaissance de la lan- gue et des coutumes des ethnies sous leur tutelle. C'est ce que l'on a
  • 15. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 15 nommé l'indirect rule. Aux États-Unis, la situation fut quelque peu dif- férente dans la mesure où, à la même époque, l'ambition coloniale des Américains se limitait à la conquête de l'Ouest où vivaient de nom- breux peuples autochtones ayant lutté, sans succès, pour contrer l'en- vahissement et l'usurpation de leurs territoires. En Europe, comme en Amérique d'ailleurs, bien avant que l'anthro- pologie ne conquière son statut de discipline scientifique et qu'elle s'insère dans les structures universitaires, il y eut des missionnaires, des explorateurs, des commerçants ainsi que des philanthropes et des autodidactes qui s'intéressèrent aux langues indigènes, aux rituels religieux et cérémonies médicinales et aux visions du monde de ces populations et qui se préoccupèrent de leur sort. Il existait, donc, avant la naissance formelle de l'anthropologie scientifique, toute une documentation écrite sur un très grand nombre de tribus qui a servi de matériau de base aux premiers anthropologues, ceux que l'on a ap- pelés les armchair anthropologists. Cette discipline fit son apparition peu de temps après la parution de l'ouvrage sur l'évolution des espèces de Charles Darwin (1859). Il y effectuait la démonstration de l'évolution des espèces animales sur de très longues périodes de temps à la suite de processus adaptatifs (à l'environnement naturel), compétitifs (des espèces entre elles), sélec- tifs (reproduction des éléments les plus vigoureux) et de lentes muta- tions génétiques. Cet ouvrage, plus que tout autre, allait inspirer dans sa foulée, des interrogations sur l'évolution de l'Homme dans sa lente progression vers la station verticale, dans la spécialisation de ses membres antérieurs, dans la fabrication d'outils et dans le développe- ment du cerveau. L'apparition de l'espèce Homo sapiens allait, en ef- fet, susciter des interrogations très nombreuses se rapportant à l'évolution de la vie [3] en société et de l'organisation sociale. Ce sont les réponses apportées à ces questions qui seront à l'origine des pre- mières théories anthropologiques, c'est-à-dire, des explications géné- rales à caractère universel (dans l'esprit de ceux qui les énonçaient) sur le processus d'hominisation et sur ceux de la complexification so- ciale et de la diversité culturelle. C'est par son intérêt dans l'explica- tion générale basée, à la manière des sciences naturelles, sur l'obser- vation rigoureuse et la documentation minutieuse des faits de civilisa-
  • 16. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 16 tion que l'anthropologie aspirait à un statut scientifique. Il fallait, se- lon cette conception, développer des lois universelles de comporte- ment tout comme il s'avérait nécessaire de reconstituer, par l'analyse comparative et des perspectives transculturelles, les grandes étapes de l'expérience humaine et de l'évolution des sociétés. Voilà certes une ambition qui s'est concrétisée dans plusieurs directions différen- tes et qui fut à l'origine de la spécialisation disciplinaire en anthropo- logie et de la définition de champs particuliers de pratique, à savoir, l'anthropologie biologique, l'archéologie, l'ethnolinguistique (étude des langues indigènes) et l'anthropologie sociale ou culturelle. Ce bref aperçu sur ce champ disciplinaire vise avant tout à contex- tualiser la très grande complexité (variété) des conditions historiques et socio-politiques qui furent à l'arrière-plan de son émergence en tant que l'une des sciences de l'Homme et qui ont inspiré ses principa- les orientations, lesquelles donnèrent lieu au développement de sec- teurs particuliers de spécialisation. Il faut ajouter que les grands cen- tres de l'anthropologie, en tant que science moderne, sont l'Angleter- re (anthropologie sociale), la France (ethnologie) et les États-Unis (an- thropologie culturelle), qui ont tous trois des traditions anthropologi- ques spécifiques, que l'appellation de la discipline dans ces pays reflè- te et auxquelles se rattachent les anthropologues des autres pays, répartis aujourd'hui sur tous les continents. Le cas de l'anthropologie indigéniste [4] (celle pratiquée par les nationaux nés et vivant dans des pays économiquement peu développés) est spécial et mériterait à lui seul un traitement que nous ne pouvons pas lui accorder ici. L'an- thropologie pratiquée au Canada et au Québec (Tremblay et Preston 1987 ; Gold et Tremblay 1982) n'échappe pas à cette règle générale, étant à la périphérie des grands centres. Le Canada français, cepen- dant, plus encore que le Canada anglais où coexistent les traditions américaines et britanniques, est un espace intellectuel et un lieu de rencontre entre les traditions européennes et nord-américaines. Les anthropologues universitaires, à tout le moins, sont influencés par les travaux d'adhérents à l'une ou l'autre de ces trois traditions et la dynamique de leurs interinfluences crée au Québec un type particulier d'anthropologie. Toutefois, je n'irai pas jusqu'à affirmer qu'il existe une anthropologie québécoise, ou encore une anthropologie canadienne.
  • 17. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 17 L'anthropologie qui se pratique au Québec, par les Francophones en particulier, se distinguait nettement, jusqu'à tout récemment en tout cas, du type d'anthropologie pratiquée au Canada anglais (Balikci 1980). Les traditions intellectuelles qui l'ont développée au Québec ainsi que les conditions socio-politiques qui ont été associées à sa nais- sance sont différentes de celles du Canada anglais. Il existe aussi des différenciations marquées entre les universités francophones elles- mêmes : je m'y référerai lorsque celles-ci seront nécessaires ou utiles pour mieux saisir la trajectoire académique à Laval. L'enseignement des sciences sociales y débuta en 1938 (Collectif 1948 ; Lévesque et al. 1984) et l'École des sciences sociales, économiques et politiques obtint le statut de Faculté en 1943. Cependant ce n'est que le 13 oc- tobre 1970 que le Conseil de l'Université Laval adoptait une résolution créant le Département d'anthropologie. Mais n'anticipons pas trop! Avant de reconstituer les premières étapes de développement de l'an- thropologie [5] à Laval, il m'apparaît important d'esquisser les grandes lignes du contenu de cette monographie historique. Un premier chapitre traite de l'anthropologie en tant que discipline académique à l'Université Laval. J'y reconstitue les différentes éta- pes de sa naissance, de sa croissance et de la conquête de son autono- mie par la création d'un Département d'anthropologie en 1970. Le deuxième chapitre porte sur la recherche anthropologique ef- fectuée par les professeurs/res et les étudiants/tes du département selon le mode chronologique et celui des aires culturelles pour ce qui se rapporte aux premières études de terrain et, par après, selon soit le champ d'étude particulier ou la perspective théorique générale pri- vilégiée. Le troisième chapitre se rapporte à l'organisation administrative du département, à ses programmes d'enseignement et à ses clientèles étudiantes. Le quatrième chapitre traite de la diffusion des connaissances et définit la production scientifique et le rayonnement des profes- seurs/res du département en mettant l'accent sur l'intervention des anthropologues dans le milieu social plus large et sur la participation des professeurs/res aux groupes interfacultaires et interuniversitai- res.
  • 18. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 18 Une conclusion esquisse quelques-uns des défis qui confrontent l'anthropologie (Tremblay 1983b) d'ici à la fin de ce millénaire. Celle- ci fut rédigée par Eric Schwimmer qui présida le comité des orienta- tions au moment où notre département dut affronter une importante mise en question interne aux débuts des années 1980. [6] Suivent, dans l'ordre, une annexe qui dresse la liste des thèses de maîtrise et de doctorat présentées avant le 1er avril 1989 et les réfé- rences bibliographiques de la monographie.
  • 19. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 19 [7] L’anthropologie à l’Université Laval. Fondements historiques, pratiques académiques, dynamismes d'évolution. Chapitre 1 L'anthropologie en tant que discipline académique à Laval 1. Les précurseurs à Laval et ailleurs 2 Retour à la table des matières Durant l'ère duplessiste (1944-1959), on peut affirmer que l'acti- vité anthropologique fut directement ou indirectement reliée aux nombreux changements sociaux qui sont survenus au Québec après la Seconde Guerre mondiale. Les premiers praticiens se sont affairés [8] à ce que nous appellerions aujourd'hui « une anthropologie de sauveta- ge ». En effet, il s'est agi pour eux de constituer des dossiers ethno- graphiques sur les communautés traditionnelles en voie de disparition. Travaillant à la fois au Musée National du Canada et aux Archives de Folklore de l'Université Laval, Marius Barbeau fut incontestablement le premier observateur systématique de villages canadiens-français et 2 Les sections 1 et 2 s'inspirent largement d'un article publié conjointement avec Gerald L. Gold (Tremblay et Gold 1976) tandis que la section 3 reprend certains éléments qui apparaissent dans le même article.
  • 20. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 20 de réserves amérindiennes dans les perspectives de l'anthropologie. Ses premières enquêtes ethnographiques et folkloriques dans la vallée du Saint-Laurent remontent à 1914. Plusieurs anthropologues améri- cains de l'époque connaissaient Barbeau par le biais de ses liens avec Edward Sapir qui fut le premier directeur du Musée National du Cana- da en 1910, au moment de sa fondation. Les folkloristes, par après, tour à tour dénommés spécialistes en arts et traditions populaires et ethnologues, l'identifient comme étant le maître de Luc Lacourcière (Barbeau 1916, Barbeau et Sapir 1925, Savard 1946, Rioux 1969, La- courcière 1947). Ce dernier, avec l'assistance de Mgr Félix-Antoine Savard, créa en 1944 à la Faculté des Lettres de Laval les Archives de Folklore 3 . Marius Barbeau est certes une des figures les plus mar- quantes de l'anthropologie du Québec et je regrette que, tout en ayant un certain nombre d'articles et de films sur lui et sur son oeu- vre, nous ne disposions pas encore d'une évaluation critique de l'en- semble de ses travaux. Quant aux retombées des travaux de Lacour- cière, elles sont visibles à travers la richesse extraordinaire de la do- cumentation que l'on retrouve dans les anciennes Archives de Folklore, dans ses écrits sur les contes et les légendes du Canada français et dans les travaux de nombreuses générations d'étudiants/tes qu'il a formés/ées (direction de près d'une centaine de thèses) et qui ont poursuivi son oeuvre, sensiblement a partir des mêmes préoccupations. [9] Jacques Rousseau, botaniste de formation, mais aux connaissances encyclopédiques, fut un contemporain de Barbeau, bien que ce dernier ait été son aîné de plusieurs années. A l'occasion de ses études botani- ques dans la péninsule du Québec-Labrador, il sut observer minutieu- sement les coutumes et les traditions amérindiennes, en particulier, la culture matérielle, l'organisation sociale et le dualisme religieux des Montagnais-Naskapis. La synthèse de ses travaux ethnobiologiques sur 3 « En 1976, sous la direction de Jean Hamelin, le Fonds documentaire des Archi- ves de Folklore, ceux de l'Atlas linguistique de l'Est du Canada et du Trésor de la langue française au Québec ont été regroupés pour former le CELAT(centre d'Études sur la Langue, les Arts et les Traditions populaires des Francophones en Amérique du Nord », in, CELAT, Un centre multidisciplinaire à fréquenter, Fa- culté des Lettres, 1986, pamphlet d'information.
  • 21. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 21 cette péninsule (Rousseau 1964) fut présentée dans un ouvrage qu'il co-édita avec Jean Malaurie (Malaurie et Rousseau 1964). J'ai effec- tué récemment, en collaboration avec Josée Thivierge, une évaluation critique de son oeuvre amérindienne (Tremblay et Thivierge 1986) avec l'intention de rendre ainsi hommage à l'un des fondateurs du champ scientifique québécois, à un farouche défenseur des droits abo- rigènes et à un définiteur des besoins des peuples autochtones. À par- tir de son entrée au Centre d'études nordiques de Laval en 1962 jus- qu'à sa mort en 1970, Rousseau continua ses travaux amérindiens sans pouvoir, toutefois, produire un exposé de synthèse sur l'ensemble de son oeuvre. Un autre précurseur de travaux anthropologiques au Québec fut Marcel Rioux qui, par son mariage, devint le gendre de Barbeau. En dé- but de carrière, Rioux entreprit, durant son séjour au Musée National du Canada, des études systématiques en anthropologie sociale sur des villages francophones du Québec (Rioux 1954, 1957) qui demeurent encore aujourd'hui des monographies fort intéressantes. Peu de temps après son arrivée à l'Université de Montréal, Rioux passa du Départe- ment d'anthropologie au Département de sociologie, estimant que ses travaux se situaient de plus en plus dans les traditions sociologiques des études sur la globalité. Cette conversion nous amène comme natu- rellement, à faire ressortir la contribution de sociologues éminents au développement de la recherche anthropologique au Québec. [10] Le Canadien-français Léon Gérin, disciple de Fréderic LePlay, par ses monographies de village et ses études sur la paysannerie québécoi- se (Gérin 1898, 1931, 1932) a établi une solide tradition d'observation- participante et d'entrevue à l'aide d'informateurs-clefs (Tremblay 1957), méthodes de cueillette de données encore largement utilisées en anthropologie (Genest 1985). L'Américain Everett C. Hughes (Hug- hes 1938, 1943, 1963), dans ses études à Cantonville sur l'industriali- sation et les contacts interculturels, suivit essentiellement une dé- marche similaire. Ces deux chercheurs, le premier de l'École françai- se, le second, de l'École de Chicago, allaient exercer une forte in- fluence sur Jean-Charles Falardeau (Falardeau 1953,1964, 1968, 1974a, 1974b) lequel, en tant que directeur-fondateur du Départe-
  • 22. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 22 ment de sociologie (1943-1960), influença plusieurs générations d'étu- diants dans leurs orientations professionnelles et leurs carrières et présida à l'introduction de l'anthropologie à la Faculté des Sciences sociales de l'Université Laval. L'utilisation par Gérin de la technique de la monographie de famille dans l'étude des villages québécois ainsi que les études de terrain de Hughes sur la mobilité professionnelle et la différenciation ethnique à Cantonville et à Montréal constituaient des entreprises scientifiques qui se complétaient bien. N'oublions pas aus- si que, durant son séjour au Québec, Hughes dispensa un enseignement dans les trois principales universités du Québec de l'époque (McGill, Montréal et Laval), ce qui eut pour résultat, me semble-t-il, de réduire les écarts dans les orientations premières de ces universités et de susciter à l'occasion des collaborations. C'est en 1939, qu'Horace Miner, un anthropologue culturel, formé à l'Université de Chicago, publia son analyse fonctionnelle de Saint- Denis de Kamouraska (Miner 1939), laquelle devint par la suite un mo- dèle de monographie de village à la fois pour les anthropologues et les sociologues. Saint-Denis fut publiée dans une version française en 1985 : il aura fallu attendre plus de quarante [11] cinq ans (Miner 1985) avant que ce classique de l'analyse fonctionnaliste et de l'an- thropologie du Québec devienne disponible aux spécialistes et au grand public d'expression française (Tremblay 1985). C'est d'ailleurs cette même étude qui servit de point d'horizon aux travaux récents de Gerald L. Gold sur l'industrialisation de Saint-Pascal de Kamouraska (Gold 1973,1975). Elle avait servi auparavant a déclencher une polémi- que entre Philippe Garigue, formé à l'anthropologie sociale en Angle- terre, qui rejetait le modèle de l'École de Chicago comme étant capa- ble d'expliquer l'évolution sociale du Québec et Marcel Rioux ainsi qu'Hubert Guindon (Garigue 1957, 1961, 1964 ; Rioux 1959 ; Guindon 1960). Les orientations européennes de Rioux ainsi que ses expérien- ces québécoises de recherche l'amenèrent plus tard a accepter et à modifier le modèle de la société paysanne afin de l'insérer dans sa conception culturaliste de l'évolution globale du Canada d'expression française (Rioux 1964). Travaillant à l'aide de données recueillies sur la Basse-Côte-Nord du Saint-Laurent (Breton 1973b) et dans le comté de Bellechasse
  • 23. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 23 (Breton 1979), Yvan Breton et son équipe ont poussé plus loin le modè- le développé par Rioux dans les perspectives du matérialisme histori- que afin de mieux rendre compte du caractère apparemment idiosyn- cratique de la production maritime et agricole au Québec. Les travaux de Lise Pilon-Lê (1977, 1979, 1980, 1984a, 1984b) sur les milieux agri- coles s'inspirent des mêmes perspectives. Les études ethnographiques sur la Côte-Nord du Saint-Laurent, à leurs tous débuts, s'appuyèrent sur celle d'un autre anthropologue des premières heures formé par Robert Redfield à Chicago. Il s'agit d'Oscar Junek (Junek 1937) dont la monographie sur les isolats a constitué le schéma de départ (étude des petites unités sociales fonctionnelles en périphérie dépendantes pour leur développement de la diffusion des modèles culturels du cen- tre) pour établir des comparaisons historiques dans cette région. En bref, cette période fut caractérisée par des études empiriques sur le territoire et par [12] l'utilisation adaptée de schémas théoriques éla- borées ailleurs en vue de l'étude de la culture québécoise. Comme je l'illustrerai plus loin, l'ethnographie de la Côte-Nord fut conçue, pour devenir un laboratoire qui servirait à la formation de générations d'an- thropologues à la pratique du terrain dès leur entrée à l'Université. Elle permettrait aussi de constituer un dossier ethnographique com- plet sur une région isolée du Québec qui nous permettrait de mieux comprendre le processus d'industrialisation du Québec et, partant, de connaître les dynamismes influant sur l'évolution de la mentalité qué- bécoise vers la nord-américanisation et la modernité. N'oublions pas aussi, qu'à l'époque des précurseurs, il n'existait aucun programme d'anthropologie dans les universités du Québec. De fait, l'anthropolo- gie au Québec était une discipline inconnue qui semblait osciller entre l'ethnographie-folklore et un type de sociologie globaliste émergeant des traditions sociologiques durkheimiennes professées à Laval par Fernand Dumont (Dumont 1965, 1974a, 1974b). Ce type de sociologie a influencé la perspective centrée sur les problèmes sociaux de l'École de Chicago, si bien représentée à Québec par Jean-Charles Falardeau au début de sa carrière professorale (Falardeau 1974a et 1974b).
  • 24. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 24 2. Les premiers anthropologues-enseignants dans les universités québécoises Retour à la table des matières Au Québec, les premiers enseignements anthropologiques furent d'abord dispensés à McGill par William Kelly en 1948 et, par après, par Fred Voget qui étudia les changements religieux à Caughnawaga (Voget 1950). À son départ, Voget fut remplacé par Jacob Fried (Fried 1954), dont les intérêts en psychiatrie sociale transculturelle allaient carac- tériser ce département durant toute une décennie. C'est en 1953 que Philippe Garigue devint professeur au Département de sociologie de McGill. Son appartenance à ce département allait donner à McGill une avance remarquée dans l'étude des communautés canadiennes- françaises (devenues dans la terminologie [13] actuelle, québécoises, d'expression ou d'ascendance française), et du système de parenté (Garigue 1956, 1958, 1962, 1967, 1973). Cette avance ne fut toutefois pas conservée après le départ de ce dernier, en 1960, pour devenir le doyen de la Faculté des Sciences sociales de l'Université de Montréal et ainsi succéder à Esdras Minville, dont les études sur le milieu avaient influencé toute une génération d'étudiants formes dans les collèges classiques du Québec. C'est durant cette période que McGill produisit son premier détenteur d'une maîtrise en anthropologie et forma des chercheurs tels que Peter Pineo (aujourd'hui à McMaster) et Nelson Graburn (aujourd'hui à l'University of California à Los Ange- les). McGill offrit plus tôt que les autres universités québécoises des cours d'anthropologie. Par ailleurs, il me semble qu'il existe une faible continuité entre ce département du début des années cinquante et le programme d'anthropologie mis au point, peu après l'arrivée de Ri- chard Salisbury en 1962 (formé à la fois en Angleterre et aux États- Unis) et de Norman Chance en 1963 (un diplômé de Cornell). Il existe peut-être une plus grande continuité entre les premiers enseignements qu'offrit Guy Dubreuil à l'Université de Montréal en 1953, au Département de psychologie, et ceux qui sont offerts au- jourd'hui au Département d'anthropologie. Il est important de noter
  • 25. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 25 que les intérêts de Dubreuil en anthropologie psychologique à Montréal se comparaient à ceux de Fried en psychiatrie sociale transculturelle à McGill et à ceux de Tremblay dans le champ de la culture et de la per- sonnalité à Laval (appelé aujourd'hui anthropologie psychologique) (Du- breuil 1962, Hughes Charles C. et al. 1960) dans les années cinquante. C'est à l'automne 1958 que Laval offrit un premier cours d'anthropo- logie à la Faculté des Sciences sociales. Le titulaire de ce cours fut Marc-Adélard Tremblay, un diplômé de Cornell ayant travaillé sous la direction d'Alexander H. Leighton (psychiatre-anthropologue), pion- nier des études en psychiatrie sociale aux États-Unis (Leighton 1959) ainsi que de l'anthropologie [14] appliquée (Leighton 1945). Ce premier cours d'anthropologie, intitulé « Éléments d'anthropologie » compor- tait 60 heures, était réparti sur deux trimestres et était obligatoire pour tous les étudiants/tes du Département de sociologie. Tremblay était venu à Québec à l'automne de 1956 avec le mandat de développer des enseignements dans les domaines de la méthodologie et des scien- ces sociales appliquées (Tremblay 1977). L'ensemble des cours qu'il offrit sur l'initiation à la recherche empirique dans les sciences socia- les et sur la méthode scientifique (Tremblay 1968a) représentent des étapes importantes dans l'émergence de l'anthropologie culturelle en tant que discipline académique à Laval dans la mesure où, dans le cadre de ces cours, il initiait les étudiants/tes aux techniques ethnographi- ques, à celles de l'entrevue libre avec informateur-clef (Tremblay 1957), de l'observation-participante et des techniques biographiques, (le récit de vie, en particulier), autant de techniques d'observation particulièrement valorisées en anthropologie. De plus, afin d'illustrer ces techniques par des instruments concrets, il utilisait, à titre d'exemples, les travaux d'équipes anthropologiques de recherche ainsi que les siens propres sur le Québec. À l'hiver 1961, au moment où le Département de sociologie fut transformé en un Département de so- ciologie et d'anthropologie, Tremblay dispensa aux premiers étudiants inscrits à la Section d'anthropologie, un cours d'anthropologie appli- quée, dont les principales orientations s'inspiraient des enseignements d'Alexander H. Leighton sur le même sujet à la fin des années quaran- te et aux débuts des années cinquante à Cornell University.
  • 26. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 26 3. L'anthropologie à l'université Laval jusqu’aux années 1970 Retour à la table des matières Afin de mieux comprendre ce qui a fondé l'enseignement de l'an- thropologie culturelle à Laval durant les années cinquante, il faut re- placer cette discipline dans son contexte institutionnel, soit celui de la Faculté des Sciences sociales. Rappelons que cette [15] dernière, au moment de sa fondation en 1938, se dissociait de la vision traditionnel- le du social et proposait une conception positiviste du réel. Cette posi- tion innovatrice suscita la critique interne des clercs (il faut se rappe- ler que Laval était encore à ce moment-là confessionnelle et que la re- cherche, surtout celle amorcée dans les sciences sociales, devait s'inspirer de la position officielle de l'Église catholique) et des politi- ciens affiliés à un régime politique ultra-conservateur (Falardeau 1964, 1974a). Rappelons aussi que la Faculté reçut en 1949 une impor- tante subvention de la Fondation Carnegie pour entreprendre, dans le cadre du Centre de recherches sociales (Murbach et Gagnon 1986) une étude systématique de la société canadienne-française. Le petit Dé- partement de sociologie d'alors (1956), composé de six professeurs et localisé au Quartier latin, constitua le foyer d'une recherche interdis- ciplinaire orientée vers l'application 4 . Quand Tremblay offrit pour la première fois ses « Éléments d'anthropologie », Laval n'était pas en- 4 En plus de Jean-Charles Falardeau, (Falardeau 1974b), les autres membres du département étaient : Guy Rocher (Rocher 1974), aujourd'hui professeur- chercheur à la Faculté de Droit de l'Université de Montréal mais anciennement sous-ministre au Québec ; Fernand Dumont (Dumont 1974c), toujours professeur au Département de sociologie de Laval, mais aussi Président de l'Institut québé- cois de la Recherche sur la Culture (IQRC) ; Yves Martin, ancien sous-ministre du ministère de l'Éducation, ancien recteur de l'Université de Sherbrooke et ancien directeur général de l'Institut de recherche en santé et sécurité du travail du Québec (IRSST) ; Gérald A. Fortin (Fortin 1974), ancien directeur et maintenant chercheur à l'Institut National de la Recherche scientifique-urbanisation (INRS) et l'auteur du présent ouvrage, professeur au Département d'anthropo- logie de Laval et depuis mai 1987, Président du Conseil québécois de la Recher- che sociale (CQRS).
  • 27. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 27 core le genre d'institution où s'établissaient des cloisons étanches entre les disciplines, ce qui facilitait d'autant les collaborations entre professeurs venant d'horizons disciplinaires différents. À cette épo- que, d'ailleurs, le programme d'étude en folklore, par exemple, était perçu comme ayant une étroite liaison aux sciences sociales. Ce fait facilitera la venue de Nancy Schmitz en anthropologie. Voilà le type de climat intellectuel qui prévalait au moment où les professeurs/res de la Faculté entreprirent d'importantes [16] re- cherches empiriques sur le Québec. L'étude sur l'instabilité des tra- vailleurs forestiers (Tremblay 1960) regroupait des professeurs des départements des relations industrielles, d'économique et de sociolo- gie. Les études sur l'impact des changements technologiques sur les communautés agricoles et forestières de la région du Bas Saint- Laurent dans les années cinquante et qui furent à l'origine de la vaste entreprise de recherche que fut le BAEQ (Bureau d'Aménagement de l'Est du Québec) ainsi que celle portant sur le logement à Québec (Hodgson 1961-1963) furent conduites par des professeurs venant de ces mêmes départements. L'étude sur les comportements économiques (besoins, conditions de vie et aspirations) de la famille salariée cana- dienne-française qui dura sept ans (1957-1964) fut elle aussi une en- treprise conjointe de la sociologie et de l'anthropologie (Tremblay et Fortin 1964). Combien d'autres études pourraient être citées qui pos- sédaient ces deux caractéristiques essentielles que furent l'interdis- ciplinarité et une orientation en vue de l'action, deux traits distinc- tifs, souvent oubliés, lorsqu'on se réfère à l'émergence de l'anthropo- logie en tant que discipline académique à Laval. L'établissement d'un programme d'anthropologie en 1961 obligea la direction du Département de sociologie à engager des anthropologues sur une base permanente (Albert Doutreloux, un africaniste originaire de Belgique, en 1963 et Nancy Schmitz, une diplômée en folklore, en 1966), mais aussi à inviter des savants européens pour y dispenser des enseignements spécialisés. Ceux-ci influencèrent profondément l'évo- lution du programme, comme je l'illustrerai plus loin. Renaud Santerre, diplômé de la première promotion d'anthropologues formés a Laval, fut embauché en 1968 et Pierre Beaucage, de la seconde promotion, arriva lui aussi en 1968, tandis que Paul Charest, membre du troisième
  • 28. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 28 contingent, joignit nos rangs en 1969. Geza de Rohan Csermak, un au- tre membre du corps professoral des premières heures, fit un bref séjour à Laval (1970-1972) et dut repartir [17] faute d'obtenir sa permanence. Doutreloux retourna en Belgique pour occuper un poste à l'Université Libre de Bruxelles en novembre 1969 tandis que Beaucage accepta un poste au Département d'anthropologie de l'Université de Montréal en 1971. Durant les années soixante, Laval invita plusieurs collègues européens pour de brèves périodes : Raoul Hartveg (anthro- pologie somatique) et Paul Mercier [ethnologie africaine et histoire de l'anthropologie (Mercier 1966)] furent certes les invités les plus re- marqués par leurs visites régulières à l'automne de chaque année pour une période de deux mois et aussi firent partie de ceux qui furent les plus appréciés par les étudiants/tes. D'autres invités, toutefois, s'adaptèrent plutôt mal à la vie québécoise : non seulement eurent-ils moins de succès dans leurs enseignements que les deux premiers, mais en certaines occasions ils entrèrent en conflit avec les étudiants/tes et leurs jeunes collègues québécois. 3.1. Les premiers enseignements anthropologiques à Laval Retour à la table des matières Comme je l'ai noté plus tôt, les premiers enseignements en anthro- pologie à Laval furent offerts à la Faculté des Lettres durant les an- nées quarante. À la Faculté des Sciences sociales, ces premiers ensei- gnements furent dispensés au Département de sociologie. Dès l'ouver- ture de l'année académique 1958-1959, Tremblay fut autorisé à dis- penser son cours d'anthropologie qu'il donnera sans interruption du- rant douze ans. Au moment de l'établissement de l'Option d'anthropo- logie en 1961, le même cours sera donné exclusivement aux étu- diants/tes s'inscrivant à ce programme d'étude, dès leur première année d'inscription. Ce cours définissait les objectifs de l'anthropolo- gie en tant que discipline scientifique ; retraçait dans leurs grandes lignes, les principaux courants théoriques qui ont marqué son dévelop- pement ; exposait les principaux outils conceptuels dont elle se ser- vait ; examinait les principaux paliers de l'analyse anthropologique (de-
  • 29. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 29 venus depuis autant de champs sous-disciplinaires) [18] et, finalement, passait en revue les principales techniques d'enquête et d'observation qu'elle utilisait. Si le temps le permettait, les étudiants/tes, qui de- vaient préparer des travaux longs sur une société sans écriture, pré- sentaient en classe les résultats de leurs travaux (sur un auteur ou sur une étude particulière). À l'automne 1959 (année académique 1959-1960), Tremblay offrait un deuxième cours d'inspiration anthropologique. Celui-ci se situait dans la foulée des travaux de l'École de Chicago sur la croissance des villes et l'écologie des phénomènes de désorganisation sociale et s'ins- pirait de ceux de Leighton sur l'épidémiologie sociale des maladies mentales dans le comté de Stirling en Nouvelle-Écosse. La première fois que ce cours fut dispensé, il le fut sous le titre de « Désorganisa- tion et réorganisation sociales » (Collectif 1970:5). Ce cours fut aussi obligatoire pour tous les étudiants/tes de sociologie 3e année ainsi que pour ceux/celles de l'École de service social. Les psychiatres de l'épo- que en résidence à Saint-Michel-Archange (aujourd'hui, Robert Gif- fard) l'ont également suivi durant une couple d'années. Essentielle- ment, ce cours traitait des conditions de la production ainsi que des conséquences de la désorganisation sociale (ou de l'anomie, pour utili- ser un concept durkheimien) (Tremblay et Gosselin 1960 ; Gosselin et Tremblay 1960) en tant qu'ensembles de facteurs particulièrement favorables, tant au niveau individuel qu'au niveau collectif, à l'appari- tion de maladies mentales ou d'expériences psychologiques suffisam- ment traumatisantes pour qu'apparaissent des symptômes d'intérêt psychiatrique. C'est à cette époque que Tremblay amorça ses travaux sur l'impact des changements technologiques sur la vie communautaire et la survivance des Acadiens (Tremblay 1962b) et sur leur accultura- tion linguistique (Tremblay 1961, 1962a). Il entreprit, par après, ceux se rapportant à l'hôpital psychiatrique en tant que culture de la folie (Fortier 1966, Côté 1966) et ceux [19] traitant de réhabilitation so- ciale des ex-patients psychiatriques dans le Québec métropolitain (Tremblay 1982a et 1987).
  • 30. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 30 3.2. L'établissement de l'Option « anthropologie » en 1961 Retour à la table des matières Si on se rapporte au Mémoire de l'anthropologie (Collectif 1970: 9- 10) rédigé dans le but de justifier la création d'un Département d'an- thropologie autonome, on y remarque que l'option anthropologique à Laval en 1961 possédait cinq caractéristiques différentes décrites ci- après : a) c'est une option d'anthropologie culturelle et sociale structurée en fonction des liens étroits qu'elle doit entretenir avec la so- ciologie : à titre d'exemple, les sociologues et les anthropolo- gues suivent plusieurs cours en commun et à peu près le 1/5 des crédits en anthropologie sont obtenus par des enseignements sociologiques ; b) la linguistique dispensée à ce moment-là à la Faculté des Lettres est conçue comme une discipline fondamentale dans un pro- gramme d'enseignement en anthropologie culturelle : elle y oc- cupe effectivement une place privilégiée, soit 8 crédits sur un total de 60 crédits (4 semestres de 15 crédits) ; c) l'enseignement théorique ainsi que les applications ethnographi- ques porteront sur trois aires culturelles : l'Afrique noire fran- cophone, l'Amérique latine et l'aire nord-américaine à l'inté- rieur de laquelle on accordera une importance particulière au Canada d'expression française, aux Amérindiens et aux Inuit ; d) dès l'origine, on consacre la nécessité d'une expérience d'au moins trois mois sur un terrain particulier dans le but de re- cueillir des données empiriques nécessaires à la rédaction d'une thèse de maîtrise : toutefois, on n'exclut pas la possibilité de présenter une thèse théorique ; et [20]
  • 31. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 31 e) la carrière anthropologique, à ce moment-là, est vue comme pou- vant en être une d'enseignement (à l'Université), de recherche (dans un Centre de recherche), ou encore d'action dans un contexte gouvernemental. Le même Mémoire discute de la aise en place et de l'évolution sub- séquente du programme d'étude en anthropologie. Les deux extraits qui suivent en établissent le profil d'ensemble. Afin de mettre à exécution un tel programme de soixante crédits devant conduire à la maîtrise en anthropologie, en plus d'utiliser les ressources sociologiques et celles de la Faculté, on puise à mime les ressources de la Faculté des Lettres (Dépar- tement de Linguistique, Département de Folklore, Institut de Géographie) et occasionnellement à celles du Centre d'études nordiques. On invite aussi régulièrement d'Europe des profes- seurs qui assument les enseignements de (l'Ethnographie de l'Afrique française » (Paul Mercier), (L'Ethnographie de l'Amé- rique latine (Maria de Queiros et Henri Favre), et « L'Anthro- pologie physique » (Raoul Hartweg). Il n'y avait à ce moment-là qu'un seul anthropologue à plein temps (1970: 9) Depuis ses tout débuts, la Faculté des Sciences sociales de Laval comportait une Propédeutique de deux années à la suite de laquelle les étudiants/tes s'inscrivaient dans un département pour y poursuivre leurs études durant deux autres années au terme desquelles ils de- vaient présenter une thèse pour l'obtention d'une maîtrise. Au début des années soixante, cette Propédeutique fut réduite à une seule an- née et les études disciplinaires (départementales) s'échelonnèrent alors sur trois ans. En 1966-1967, l'année de Propédeutique disparaît complètement et les étudiants s'inscrivent directement dans un dé- partement à leur arrivée à la Faculté. Ce changement dans les orienta- tions pédagogiques de la Faculté allait accélérer le développement de l'anthropologie par la nécessité qu'il imposait d'accroître les ressour- ces humaines pour être en mesure de mieux répondre aux besoins aca-
  • 32. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 32 démiques de clientèles étudiantes qui [21] s'orientaient davantage en fonction d'une spécialisation disciplinaire offerte seulement dans un département. Le Mémoire de 1970 ne manque pas d'y faire allusion : En 1966-1967, l'année propédeutique disparaît et les étu- diants s'inscrivent directement au Département de sociologie et d'anthropologie, font une année commune à la suite de laquelle ils choisissent soit l'Option (Sociologie », soit l'Option « An- thropologie ». Dès lors l'Option « d'anthropologie » comporte 90 crédits qui s'échelonnent sur trois années académiques (soit la 2e, la 3e, et la 4e). À l'automne 1968, l'ancien programme de maîtrise de quatre années est concentré en trois ans et mène à l'obtention d'un baccalauréat en sociologie ou en anthropologie, On élabore, à la même occasion, un nouveau programme de maî- trise. À l'automne 1969, le programme est conçu de telle sorte que les étudiants optent pour l'anthropologie ou pour la sociolo- gie à la fin du premier semestre de la première année, Il n'exis- te plus que quelques cours communs au niveau des études de premier cycle. (Collectif 1970:10) 3.3. Le statut de l'anthropologie dans les universités Retour à la table des matières Dans un document analysant le processus d'intensification de l'en- seignement de l'anthropologie au sein du Département de sociologie de Laval, la direction souligne avec emphase que le statut académique de cette discipline n'est défini avec rigidité dans aucune institution uni- versitaire. C'est donc dire que parfois on la retrouve avec une autre discipline pour former un Département conjoint et que, dans d'autres circonstances et dans d'autres lieux, elle est complètement autonome. Elle peut être logée dans une variété de structures facultaires diffé- rentes, telles qu'une Faculté des Arts et des Sciences, une Faculté des Sciences sociales, une Faculté des Lettres et, exceptionnellement, dans d'autres facultés. Enfin, certaines universités offrent seulement
  • 33. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 33 un programme de 2e et 3e cycle en anthropologie ; d'autres, seulement un programme de 1er cycle et d'autres, un programme complet à tous les cycles de l'enseignement universitaire. En tant que tradition, l'an- thropologie s'intéressait [22] aux peuples sans écriture et à l'Autre lointain. Mais avec l'évolution disciplinaire, l'éventail des intérêts an- thropologiques s'est élargi pour incorporer les civilisations complexes et pour intégrer tout autant la culture même de l'observateur que cel- le des autres (Genest 1984 et 1985). De ce point de vue, les études anthropologiques d'aujourd'hui portent tout autant sur la vie d'usine que sur les communautés rurales. Ce même document souligne encore que l'anthropologie, en tant que science fondamentale, se divise en deux traditions qui sont complètement différentes l'une de l'autre, à savoir, l'anthropologie physique ou biologique et l'anthropologie sociale ou culturelle. Ce clivage, prétend-on, correspond et reflète bien l'une ou l'autre des grandes orientations des anthropologues d'aujourd'hui. Soulignant qu'il serait difficile d'initier correctement en même temps les étudiants/tes à ces deux traditions scientifiques, le document pro- pose d'orienter l'enseignement et la recherche à Laval du côté de l'anthropologie dite sociale ou culturelle. Le rédacteur, a n'en pas dou- ter, se réfère surtout dans les propos qui précèdent à la tradition eu- ropéenne plutôt qu'à la tradition boasienne (américaine), laquelle conçoit l'anthropologie comme devant plutôt se diviser en quatre champs sous-disciplinaires : anthropologie physique, ethnolinguistique, archéologie et anthropologie culturelle. Ce modèle fut adopté par la plupart des universités américaines qui imposent à leurs clientèles étudiantes un apprentissage rigoureux dans chacune de ces sous- disciplines puisqu'elles disposent habituellement des ressources né- cessaires pour ce faire. Ces ressources, on peut le comprendre à la lumière du contexte universitaire québécois, n'existaient pas à Laval. L'influence européenne apparaît encore plus nettement dans la sui- te du document où on met en relief les nécessaires rapprochements de la sociologie et de l'anthropologie en plus de rappeler que cette der- nière ne possède pas encore la maturité nécessaire pour voler de ses propres ailes à la lumière surtout des exigences du [23] marché du travail. Ce document fut écrit, ne l'oublions pas, en 1960 au moment où l'Université de Montréal songeait à créer un Département d'anthropo- logie complètement indépendant de toute autre discipline. Ce qui fut
  • 34. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 34 fait en 1961. Laval se devait, par conséquent, de fournir une réponse à une telle innovation dans le monde francophone québécois. La réaction ne tarda pas à se manifester : Laval élargirait les structures de son Département de sociologie pour inclure l'anthropologie, mais une an- thropologie à la manière européenne (française), sous l'éclairage socio- logique. Voici comment cette nouvelle orientation départementale est justifiée dans le document de la direction. Par suite de cette orientation que nous proposons pour notre programme d'études anthropologiques, celles-ci se rapproche- raient de très près, à Laval, de la formation sociologique. D'ail- leurs, si on se reporte à l'histoire de la sociologie, on retrouve une tradition importante orientée en ce sens : l'École sociologi- que française en est sans doute la plus glorieuse et la plus écla- tante incarnation, Plus que jamais, il semble fructueux, pour le sociologue, de situer constamment ses travaux par comparaison avec les sociétés archaïques, Et la perspective inverse, pour l'anthropologue, ne paraît pas moins importante. Des arguments tout à fait « pratiques » se joignent à ces considérations plus purement scientifiques. Les possibilités d'emploi pour les an- thropologues sont encore, dans notre milieu, assez mal définies, Il semblerait judicieux de proposer, en conséquence, une forma- tion assez polyvalente à nos étudiants. Ce serait faciliter beau- coup la tâche des professeurs du Département de sociologie que leur permettre d'orienter, selon la conjoncture, les élèves ayant terminé le cycle des études vers tel ou tel secteur de travail où une formation à tendance « sociologique » ou « anthropologi- que » paraîtrait plus opportune [...] Pour toutes ces raisons, il ne nous semble pas souhaitable de créer un Département distinct d'anthropologie. Nous proposons, plutôt, la transformation ac- tuelle de notre Département de sociologie en un Département de sociologie et d'anthropologie. (Direction du Département de sociologie. 1960: 2-3)
  • 35. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 35 [24] 3.4. La coexistence pacifique de la sociologie et de l'anthropologie Retour à la table des matières Entre 1961 et 1969, les Annuaires de l'Université Laval présentent, dans la foulée du document de la direction du Département de sociolo- gie de 1960 et du discours dominant qui s'y trouve, la sociologie et l'anthropologie comme deux disciplines scientifiques ayant de fortes ressemblances et entretenant entre elles des liens étroits. On y re- marque aussi que les étudiants du 1er cycle des deux disciplines sui- vent des cours de base en commun. Par contre le Mémoire de l'anthropologie (Collectif 1970) visant à la création d'un département autonome d'anthropologie, tient un dis- cours quelque peu différent de celui des Annuaires. Il affirme, en ef- fet, que depuis l'introduction de l'anthropologie au Département de sociologie, ces deux disciplines se sont développées plus ou moins pa- rallèlement, l'anthropologie cherchant surtout à se différencier de la sociologie et aspirant avant tout à établir sa spécificité. Si, pour connaître leurs vues à ce sujet, on interrogeait les personnes qui ont été formées durant cette décennie dans un département conjoint, la grande majorité d'entre elles nous confirmeraient, je pense, qu'elles ont été fortement marquées soit par les professeurs de sociologie, soit par les professeurs d'anthropologie et, plus rarement, par des professeurs des deux options. A la limite, on pourrait presqu'affirmer que l'interdépendance des deux disciplines paraissait mieux dans les principes que dans les faits, surtout dans les années qui ont précédé l'établissement d'un département autonome d'anthropologie. La création de la revue Recherches Sociographiques, en 1960, sera un événement de très grande importance pour le Département de so- ciologie et d'anthropologie dans la mesure où tous les professeurs du Département (j'étais le seul anthropologue en poste à ce moment-là) publieront au moins un article dans l'un ou l'autre des quatre [25] nu-
  • 36. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 36 méros de la première année (1960) et que 62% des articles de cette même année proviendront des professeurs du Département. Mais la revue se définit aussi comme étant un carrefour de rapports interdis- ciplinaires. Durant sa première année d'existence, par exemple, elle accueillera des articles en provenance de l'histoire, du folklore, de la science politique, de l'économique et des relations industrielles. C'est donc sous l'égide des sociologues que ces rapports interdisciplinaires s'intensifieront, l'anthropologie étant une des disciplines parmi l'en- semble des disciplines représentées. Comme la revue se consacre d'abord et avant tout au milieu « canadien-français », les anthropolo- gues y occuperont une place de plus en plus effacée au fur et à mesure que l'anthropologie acquerra de la maturité et que plusieurs des tra- vaux de terrain en anthropologie s'effectueront ailleurs qu'au Qué- bec. Tremblay, par exemple, qui occupait la deuxième position en 1969 pour l'ensemble de ses contributions à la revue durant la première dé- cennie de son existence (Santerre 1969:42), n'apparaît même plus dans la liste des 37 principaux collaborateurs de la revue pour la pé- riode allant de 1970 à 1983 (Santerre 1983a: 6). Se sentant obligé de faire progresser l'anthropologie en tant que discipline académique pleinement reconnue, Tremblay réduisit sensiblement ses travaux à caractère appliqué avec les collègues des autres départements vers le milieu des années soixante, quelques années à peine après les premiè- res effervescences de la Révolution tranquille. De concert avec Dou- treloux, il commença à mettre l'accent sur les aspects traditionnels de l'enquête ethnographique dans le but de susciter les études sur le ter- rain et de favoriser les expériences transculturelles, quand cela s'avé- rait possible, et ainsi permettre des comparaisons interculturelles soi- gneusement documentées. Les études entreprises sur les Amérindiens du Canada dans le ca- dre de la Commission d'étude Hawthorn-Tremblay (1966-1967, 2 vols) [26] qui débutèrent en 1964 ainsi que les études de Tremblay sur les Acadiens du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse (1960-1965) de même que le programme de recherche sur l'Ethnographie de la Côte-Nord du Saint-Laurent (1965-1975), les travaux de Doutreloux au Zaïre, ceux de Beaucage au Honduras, ceux de Santerre au Cameroun contribuè- rent à élargir graduellement le fosse entre l'anthropologie et la socio- logie, tant sur le plan théorique que méthodologique. Comme je le re-
  • 37. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 37 marquais plus tôt, dès 1969 les étudiants/tes de sociologie et d'an- thropologie ne suivaient plus que quelques cours en commun. Ainsi le nombre restreint d'étudiants/tes à l'Option anthropologique, tant au premier qu'au deuxième cycles, favorisa leur insertion dans les projets et programmes de recherche existants. La plupart des inscrits/tes des années soixante firent des séjours de recherche sur le terrain, soit sur la Basse-Côte-Nord avec Tremblay (Tremblay 1967, Tremblay et Lepage 1970 ; Charest et Tremblay 1967 ; Breton 1968 ; Beaucage 1968 ; Pleau 1967 ; Dominique 1975 ; Joubert 1974, Blondin 1974, Tremblay 1976), soit en Afrique noire avec Doutreloux (Doutreloux 1967, Bourque 1969, Charest 1965, Genest 1969 et 1970, Bergeron- Coulombe 1969, Roberge 1969 et Lepage 1969), ou Santerre (Santerre 1973 et 1974), ou soit encore chez les Inuit avec Saladin d'Anglure (Saladin d'Anglure 1964 et 1970 ; Trudel 1971, Larochelle 1972, Audet 1974, Pharand 1975 et Vézinet 1975). Tous les étudiants/tes, sans exception, étaient tenus/ues d'effectuer des séjours sur le terrain pour les fins de l'apprentissage méthodologique et de la rédaction d'une thèse à caractère empirique. Grâce à une politique d'apprentissage hâtif aux techniques anthro- pologiques d'observation, les diplômés/ées de l'Option « anthropolo- gie », détenteurs/trices d'une maîtrise, purent s'inscrire à des pro- grammes d'études de troisième cycle à l'étranger ou réussirent a se trouver des postes dans les services gouvernementaux. La recherche en équipe, encadrée au Laboratoire d'anthropologie, était centrée sur la notion d'aire culturelle qui sous-tendait [27] le programme d'étude (Gold 1987). L'établissement d'équipes de recherche fut certes un autre élément qui a raffermi la distanciation de la sociologie. Cette philosophie de la recherche, contrairement à celle centrée sur l'élabo- ration de modèles conceptuels en sociologie, est reflétée dans le Rap- port annuel de la Faculté des Sciences sociales au tout début de l'éta- blissement de l'Option « anthropologie ». Voici ce qu'on y lit : La recherche étoffe et illustre l'enseignement théorique. Un des buts primordiaux est l'analyse de la société canadienne- française, passée et présente... Deux autres aires culturelles font aussi l'objet d'une étude poussée : l'Afrique française et
  • 38. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 38 l'Amérique latine... La responsabilité particulière du Canada français envers ces contrées, une certaine communauté cultu- relle, la présence de missionnaires canadiens-français dans ces pays : ce sont des arguments déterminants. (Rapport Annuel 1962-1963). Si les anthropologues se sont donnés une vocation ethnographique, les sociologues, de leur côté, sous la direction de Dumont, s'étant dé- fini une vocation théorique, s'adonnèrent en grand nombre aux analy- ses idéologiques et historiques (Dumont 1974a et 1974b). Ces deux orientations parallèles, car les uns et les autres travaillaient sur des objets distincts, sont apparues au moment où Dumont fut directeur du Département de sociologie et d'anthropologie (1960-1967) et l'unité de ces deux disciplines, dont ce dernier était le principal promoteur, s'est maintenue en tant que pensée officielle du département au moins jusqu'à l'accession de Fortin au poste de directeur en 1967. Les socio- logues s'attendaient à ce que les anthropologues, ici comme ailleurs, étudient les sociétés traditionnelles et le processus de modernisation des communautés rurales. D'une certaine manière, c'était aussi la dé- finition que les anthropologues se donnaient d'eux-mêmes. S'inspirant en cela des traditions anthropologiques dans leurs études sur les peti- tes unités sociales fonctionnelles (Redfield 1955), les anthropologues du Québec de cette époque, amorcèrent des études sur les communau- tés [28] paysannes en voie de décomposition et sur les isolats du Qué- bec et du Canada. Au principe de l'unité des disciplines correspondait une stratégie de division des tâches entre sociologues et anthropolo- gues : les contestations étudiantes de 1968-1970, auxquelles je réfé- rerai bientôt, mettront en cause à la fois le principe et l'opérationnali- sation de cette division du travail en vue de la création d'un départe- ment autonome. Les réactions des populations à l'étude, tant sur la Basse-Côte- Nord que chez les Inuit et les Amérindiens, forcèrent les différentes équipes de recherche qui y oeuvraient à l'intervention anthropologique. Imprévue au point de départ, cette orientation vers l'action, suscitée par les attentes des populations étudiées, ne se confirmera pleinement qu'après la création du Département d'anthropologie en 1970. Entre-
  • 39. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 39 temps, les terrains ethnographiques des années soixante avaient réus- si à former des anthropologues québécois et à établir une tradition empirique de recherche dans cette discipline. Toutefois, il est néces- saire de remarquer que le nombre des publications qui furent produi- tes par ces équipes de recherche ne fut pas aussi grand qu'on aurait pu l'espérer. Leur succès, en tant que formation de chercheurs et d'action concertée, cependant, est incontestable. Il ne faudra que quelques années pour qu'un noyau de jeunes chercheurs, ayant une lon- gue expérience de travaux d'observation à la manière de l'anthropolo- gie nord-américaine et britannique, terminent leurs études doctorales, soit aux États-Unis ou en Europe, viennent se joindre au corps profes- soral et tentent d'élaborer une anthropologie plus théorique en s'ap- puyant sur des traditions empiriques déjà bien établies (Beaucage 1965 et 1966 ; Charest et Tremblay 1967, Charest 1971 ; Breton 1973a ; Genest 1974 ; Genest et Santerre 1974). [29] 4. Les contestations étudiantes de 1968-1970 Retour à la table des matières En plus d'avoir vécu cette expérience des contestations étudiantes de 1968-1970 d'une manière un peu spéciale, dû au fait principalement qu'elles furent perçues par plusieurs comme étant le résultat d'une querelle entre les « Anciens » et les « Modernes » (ma séniorité me classant chez les premiers) et que ma position personnelle n'a jamais parfaitement correspondu à celle de la majorité (surtout en ce qui a trait à leurs manifestations sur le campus de Laval à la Faculté des Sciences sociales), je n'appuierai sur trois documents inédits (L'an- thropologie à Laval, La création du Département d'anthropologie et Les rapports étudiants-assistants professeurs dans la prise de déci- sion : le cas du comité pédagogique -Section anthropologie) pour pré- senter un point de vue d'ensemble sur ces événements qui se produisi- rent durant la période 1968-1970, au moment où l'anthropologie fai- sait encore partie du Département de sociologie et d'anthropologie.
  • 40. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 40 Je n'ai pas l'intention de passer en revue les diverses contesta- tions étudiantes qui se sont produites sur le campus lavallois, particu- lièrement à la Faculté des Sciences sociales, ni d'en reconstituer les principaux enjeux. Je m'attarderai davantage aux objectifs poursuivis et aux résultats obtenus : l'analyse des stratégies, à elle seule néces- siterait des études approfondies. Il m'apparaît pertinent, aussi, de les contextualiser par rapport aux conditions socio-politiques existantes à ce moment-là au Québec. On se souviendra que les contestations étu- diantes de 1968 commencèrent en Californie pour s'étendre, comme une traînée de poudre, à la plupart des grandes universités américai- nes dans les semaines qui suivirent les premières manifestations. En Europe, c'est Nanterre (Université de Paris Xe) qui fut le foyer d'ori- gine des confrontations et manifestations étudiantes de mai 1968 à Paris : ces dernières se reproduisirent par après dans d'autres pays européens. Ces révoltes étudiantes [30] (le concept n'est pas exagéré) donnèrent lieu à de vives manifestations, à des grèves générales illimi- tées et à des confrontations étudiantes-policières lesquelles dégéné- rèrent en batailles rangées entre les forces de l'ordre et les manifes- tants, des groupes d'agitateurs profitant de ces affrontements pour déstabiliser les gouvernements en place. Au Québec, ces contestations et ces manifestations étudiantes n'eurent jamais l'ampleur ni l'inten- sité de celles qui se produisirent ailleurs, principalement en Europe occidentale et aux États-Unis. Quels ont été les objectifs poursuivis et quels ont été les résultats obtenus? Ce sont les deux questions auxquelles je vais tenter de répondre sommairement. On peut affirmer que ces révoltes étudiantes visaient tout un en- semble d'objectifs définis comme inséparables les uns des autres. Es- sayons d'en reconstituer les principaux patrons constitutifs : (a) la réforme des structures universitaires académiques (régime des étu- des, organisation des cours et des programmes d'étude) et adminis- tratives (démocratisation des structures) afin qu'elles correspondent davantage aux aspirations des générations montantes et qu'elles re- flètent mieux les habitudes de vie des autres secteurs de la vie socia- le ; (b) une plus grande sensibilisation des gouvernements et des structures étatiques aux besoins financiers grandissants des universi- tés afin que celles-ci puissent offrir un éventail plus large et mieux adapté de programmes d'étude tout en maintenant, et atteignant si
  • 41. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 41 possible, un haut degré de qualité dans la formation des diplômés/ées ; (c) une plus grande ouverture de l'université sur le monde extérieur par l'abandon de son statut traditionnel de « tour d'ivoire » et l'ins- tauration de programmes de formation préparant plus directement à une fonction sur le marché du travail ; et (d) une participation étudian- te active dans les structures du pouvoir (décisionnelles et consultati- ves) de l'Université Laval afin de devenir les principaux/les agents/tes de leur formation et qu'ils/qu'elles puissent choisir les programmes et les cours qui [31] correspondent le mieux à leurs aptitudes, préféren- ces et ambitions. Les revendications précises des groupes contestatai- res pouvaient varier quelque peu d'un milieu universitaire à l'autre, car elles étaient le produit de conditions historiques particulières. Toute- fois, l'idéologie fondamentale qui les sous-tendait s'inspirait de deux principes directeurs, a savoir, la modernisation des structures univer- sitaires et la participation étudiante dans les structures du pouvoir. Au Québec, à la suite des recommandations de la Commission royale d'Enquête sur l'Enseignement (Parent 1963-1966, 5 vols.), on avait préalablement mais en vigueur une réforme en profondeur de notre système d'éducation, dont la création d'un ministère de l'Éducation en 1964. Les recommandations de ce Rapport n'avaient pas encore toutes été mises en oeuvre en 1968, c'est-à-dire, la démocratisation de l'ins- truction, la gratuité de l'enseignement, une plus grande participation des Francophones du Québec aux disciplines scientifiques et adminis- tratives, la réforme complète des cycles de l'enseignement, la partici- pation des étudiants/tes à l'élaboration des programmes, le renouvel- lement des méthodes et outils pédagogiques, le respect des capacités d'apprentissage de l'étudiant/te, une meilleure liaison entre les pro- grammes d'étude à l'université et les exigences du marche du travail, l'importance des études des 2e et 3e cycles à l'université, et ainsi du reste. Ces recommandations donnèrent lieu à des politiques et prati- ques nouvelles dans le monde de l'éducation. Mais les réformes en pro- fondeur ne s'implantaient pas assez rapidement. Au fur et à mesure que les années passaient (c'était la période euphorique des débuts de la Révolution tranquille) et que les contingents étudiants grossissaient en nombre dans les universités, on commença a percevoir certaines frustrations chez les étudiants/tes dont les attentes et les ambitions devenaient de plus en plus précises par rapport à la qualité de l'ensei-
  • 42. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 42 gnement universitaire, à la compétence des professeurs/res en ensei- gnement [32] et recherche et, surtout, par rapport à leur participa- tion active dans le processus pédagogique. Laval eut, comme toutes les autres universités québécoises, ses contestations étudiantes, lesquel- les furent sporadiques, localisées et particulières, sous l'angle des re- vendications spécifiques qui les avaient amorcées. Les Facultés des Sciences de l'éducation et des Sciences sociales furent sur le campus de Québec les initiatrices de ces mouvements de revendication, au moment même où le Québec connaissait une période de croissance économique et de développement social. Les diplômés/ées des universi- tés québécoises, à cette époque, contrairement à ce qui se passait en Europe, se trouvaient assez facilement des emplois sur le marche du travail. Je me souviens nettement, qu'à certains moments, les adminis- trateurs d'université et le public en général se demandaient « ce que voulaient réellement les étudiants d'université » qu'ils considéraient comme « des enfants gâtés » ! Les observations générales qui précèdent me permettent de mieux contextualiser les doléances étudiantes des anthropologues au Dépar- tement de sociologie et d'anthropologie à la fin des années soixante. Celles-ci n'ont pas été prises à la légère, car elles étaient pleinement fondées, le recul du temps nous permettant, dans leur cas, de dégager avec plus de netteté les enjeux en présence. Une première revendica- tion se rapporte à la dissolution du Département conjoint (même si cela allait à l'encontre des recommandations de la Commission de la réforme de l'Université Laval) afin que les anthropologues puissent gérer eux-mêmes leurs programmes d'étude et définir les conditions de développement de l'anthropologie au Québec. La Commission de la réforme, présidée par l'Abbé Lorenzo Roy, visait à abolir les départe- ments, non à en créer de nouveaux. Ce principe d'une dissolution fut, cependant, apprécié à son mérite spécialement en vertu du fait que l'anthropologie, une discipline autonome dans la plupart des grandes universités du monde, méritait une plus grande indépendance à l'Uni- versité Laval. Dans le contexte [33] lavallois, ce statut de dépendance de l'anthropologie était surprenant non seulement à la lumière des pratiques ailleurs mais aussi de celles en existence sur le campus lui- même où certaines disciplines avaient conquis le statut départemental sans en avoir tous les desiderata. Le nombre d'anthropologues engagés
  • 43. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 43 dans l'enseignement, l'importance de la recherche anthropologique mesurée par le montant global des subventions annuelles de recherche obtenues sur concours ainsi que les effectifs étudiants justifiaient que l'anthropologie obtienne le statut départemental. S'appuyant sur les critères mentionnés plus haut, on rejette car- rément l'existence de deux sections relativement autonomes à l'inté- rieur d'un Département conjoint, car cela était perçu comme le statu quo, ou encore l'établissement d'un programme d'étude qui aurait un fort degré d'autonomie. On veut la dissolution de l'ancien départe- ment et la création d'un Département d'anthropologie, entièrement indépendant de la sociologie. On exige encore que les professeurs/res embauchés/ées au Département d'anthropologie soient d'une grande compétence en recherche, mais aient aussi de bonnes qualités pédago- giques. On insiste, enfin, pour que les étudiants/tes soient parties prenantes aux principales décisions qui les concernent, d'où l'impor- tance de la création d'instances décisionnelles constituées, sur une base paritaire, de professeurs/res et d'étudiants/tes. Ces revendica- tions n'ont pas toutes été acceptées d'emblée au moment où elles ont été énoncées, mais elles l'ont été sur une période relativement courte. Un certain nombre de ces revendications, par exemple, seront reflé- tées dans les rapports des travaux de la Commission Roy et, en parti- culier, dans un document se rapportant au 1er cycle (Roy 1970: 3). Voi- ci quelques-uns des principes énoncés dans ce document qui ont un rapport direct aux propos qui précèdent : [34] Pour l'ensemble des programmes, le premier cycle des étu- des universitaires a comme objectifs généraux de permettre à l'étudiant : 1. d'être le principal agent de sa formation ; 2. de progresser suivant son dynamisme personnel ; 3. de s'orienter graduellement à partir d'une formation de base vers une spécia- lisation admettant des degrés divers ; 4, d'acquérir la méthode, les concepts et les principes fondamentaux propres à une disci- pline ou à un champ d'étude ; 5. de développer des habitudes de travail qui favorisent le jugement critique, l'esprit novateur et rendent capable l'éducation continue ; 6. d'assurer une forma-
  • 44. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 44 tion qui prépare au travail interdisciplinaire, à la mobilité oc- cupationnelle et à la perception des problèmes que posent les développements de l'état actuel de la société, (p.3) Que faut-il retenir des contestations étudiantes de 1968-1970? Elles ont exercé un poids considérable sur les réformes universitaires qui s'ensuivirent aux débuts des années soixante-dix et elles ont été, dans une très large mesure, à l'origine de la création d'un Départe- ment d'anthropologie. Elles ont aussi influencé grandement les orien- tations pédagogiques de l'anthropologie au début de cette même dé- cennie (l'évaluation des professeurs/res et des cours date de cette période) en plus de favoriser la participation directe des étu- diants/tes aux décisions départementales. 5. Les réformes et la création du département en 1971 Retour à la table des matières Comme nous l'avons vu, à partir de 1968, de multiples activités de consultation, la production de travaux de comités d'étude et de grands rapports, se concrétiseront dans des réformes importantes à l'Université Laval (Laberge 1978). À partir de 1960, avec l'arrivée au pouvoir d'un Gouvernement qui avait promis la réforme de l'éducation dans le sens d'une démocratisation des structures et d'une meilleure accessibilité des étudiants aux institutions d'enseignement, avec l'ac- croissement des populations étudiantes et des contestations qui s'en- suivirent, avec aussi la dissociation de l'Université Laval du Séminaire de Québec qui avait été à ses origines et l'augmentation substantielle des subventions gouvernementales [35] de fonctionnement, l'Universi- té Laval se voit dans l'obligation de modifier en profondeur ses struc- tures. En avril 1967, le Conseil de l'Université met sur pied un Comité du développement et de planification de la recherche que préside l'Abbé Lorenzo Roy. Ce Comité remet son rapport en septembre 1968 : il
  • 45. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 45 contient pas moins de 55 recommandations différentes se rapportant à presque tous les aspects de l'enseignement et de la recherche. À l'époque, ces recommandations produisirent bien des bouleversements, car elles transformaient les rapports de l'administration centrale aux facultés en ce qui avait trait à la conception des programmes et à la gestion des études. La tendance générale est à la centralisation et à la création de secteurs regroupant plusieurs facultés. En effet, le Rap- port Roy [...] proposait de les intégrer dans un vaste ensemble cohérent et communicant, et concluait que, finalement, les Facultés pour- raient être appelées à disparaître au profit de secteurs plus vastes. (Desmartis 1981: D) 5.1. La Commission de la Réforme Retour à la table des matières Dans le document cité plus haut, André Desmartis présente un bon aperçu de la nature et des impacts de la Commission de la réforme à Laval. Je me contenterai de citer intégralement une partie de son ex- posé car il rapporte l'essentiel de la chronologie des événements ainsi que des étapes qui ont abouti aux principales réformes structurelles à Laval : En novembre 1968, était formée la Commission de la réforme chargée d'appliquer les principales recommandations du Rapport Roy. Après avoir élaboré la nouvelle Charte et les Statuts qui [...] furent mis en vigueur en 1971, la Commission de la réforme faisait adopter après plusieurs versions successives, le règle- ment des études du 1er cycle qui fut mis en application en sep- tembre 1972, non sans avoir déclenché au passage une importan- te contestation étudiante. Finalement, la Commission [36] de la réforme disparaissait en 1973, sans avoir réussi à établir les liens organiques entre la structure des ressources (les dépar-
  • 46. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 46 tements et les facultés) et la structure des programmes (les di- rections de programme et les directions d'ensemble) qu'elle avait conçues. Il faudra attendre en 1980 pour qu'un comité « chargé d'harmoniser les statuts et les règlements » fasse fi- nalement accepter une solution de compromis sur ce point. De même, la Commission de la réforme échouait dans sa tentative de regrouper les facultés en unités plus larges, les secteurs. L'effort de rationalisation et de lutte contre l'arbitraire, commencé par la Commission de la réforme, devait être poursui- vi par divers comités relevant généralement du Conseil de l'Uni- versité. Citons, entre autres, l'établissement de normes commu- nes d'allocation des ressources humaines aux diverses unités (la fameuse Annexe A), sans oublier l'uniformisation des conditions salariales entraînées par la signature de la convention collective conclue avec le Syndicat des professeurs de l'Université Laval en janvier 1977, après quatre mois de grève. En confiant aux UPA, c'est-à-dire au niveau départemental, de nombreuses res- ponsabilités qui relevaient jusque-là des doyens, cette conven- tion entraînait également d'importants changements de struc- ture (Desmartis 1981: D) 5.2. Le comité Gérard Dion et la création du département Retour à la table des matières L'Université Laval traverse donc une période de mutations profon- des au moment où l'anthropologie tente de se dissocier de la sociolo- gie. En 1970, l'anthropologie réussira à obtenir un statut départemen- tal malgré les tendances centralisatrices de l'époque, lesquelles sont associées à un processus de rationalisation des ressources. À la suite de nombreuses perturbations internes au Département de sociologie et d'anthropologie, résultant tout autant de conflits entre profes- seurs que des contestations étudiantes, la Faculté des Sciences socia- les, par l'action de son doyen, l'économiste Yves Dubé, met sur pied en 1969 un comité présidé par l'abbé Gérard Dion dans le but d'étudier la
  • 47. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 47 situation du Département de sociologie et d'anthropologie. Plusieurs documents seront produits dans le but de réclamer la création d'un Département d'anthropologie distinct de la sociologie, y compris une pétition signée par les professeurs des [37] deux options du Départe- ment conjoint. Les positions des anthropologues sont exposées dans un volumineux mémoire qui sera à la fois présenté au Comité Dion et au Conseil de la Faculté des Sciences sociales. Dans ce Mémoire, on y fait état de la spécificité de l'anthropologie en tant que discipline acadé- mique, de sa croissance constante depuis l'établissement de l'option anthropologique à l'intérieur du Département conjoint, de la qualité de ses équipes de recherche qui oeuvrent sur la Côte-Nord du Fleuve Saint-Laurent, dans le Grand-Nord chez les Inuit, à la Sierra de Pue- bla au Mexique et au Nord Cameroun. Ces divers projets de recherche ont obtenu auprès des organismes de financement en 1969-1970 des subventions de l'ordre de 70 711,00 $ et en 1970-1971, 117 049,00 $. (Collectif 1970:20) et ils encadrent pour cette dernière année acadé- mique 28 chercheurs/res totalisant 139 mois/plein temps de recher- che (Idem: 22). On fait encore référence à ses acquisitions muséogra- phiques, au développement de ses programmes d'étude et de recher- che ainsi que des structures à institutionnaliser. On met en relief le fait que les étudiants/tes, dans leur mémoire du mois de novembre 1968 avaient réclamé la création immédiate d'un département : cette proposition n'avait pas rallié l'ensemble des professeurs/res, quel- ques-uns (dont j'étais) préférant que l'Option assoie plus solidement (sur une couple d'années) ses ressources humaines avant de réclamer officiellement un tel statut. Mais les initiatives étudiantes de 1969, la création d'un Comité pédagogique et l'établissement d'un programme complet d'études ainsi que le malaise grandissant que ressentaient les anthropologues à l'intérieur du Département conjoint, particulière- ment à la suite de mésententes se rapportant a la répartition du bud- get et à l'engagement du personnel départemental en 1969, ont accé- léré le processus de la dissociation. Le Comité Dion fut sensible aux arguments avancés par les anthro- pologues (à leur très grande satisfaction et soulagement) et son Rap- port ainsi que celui que la Faculté des Sciences sociales [38] présente- ra au Conseil de l'Université reprendront essentiellement l'argumen- tation développée dans le Mémoire de l'anthropologie. À sa séance du
  • 48. M.-A. Tremblay, L’anthropologie à l’Université Laval… (1989) 48 13 octobre 1970, le Conseil de l'Université Laval approuvait la résolu- tion suivante : 1. Que le Département de sociologie et d'anthropologie de la Faculté des Sciences sociales soit aboli. 2. Que deux départe- ments soient créés, à savoir celui de sociologie et celui d'an- thropologie, 3. Que le nouveau Département d'anthropologie s'en tienne principalement aux domaines de l'anthropologie so- ciale et culturelle et qu'il concentre ses efforts sur les aires culturelles les plus rapprochées : Canada français, Amérindiens, Esquimaux (Extrait du Livre des délibérations du Conseil de l'Université. Résolution U-70-472) Cette décision fut accueillie avec enthousiasme par les 85 person- nes qui composaient le Département à cette date mémorable : 67 étu- diants/tes (dont 54 au 1er cycle), 10 professeurs/res (dont 4 profes- seurs invités) et 8 assistants/tes de recherche et d'enseignement (Dorais : 1). Elle permit également aux anthropologues d'accéder à une autonomie administrative et de planifier le développement de la disci- pline selon les seuls critères en usage dans les centres académiques où elle était florissante. Marc-Adélard Tremblay, qui assumait à ce mo- ment-là la fonction de vice-doyen à la recherche à la Faculté des Sciences sociales depuis 1969, fut nommé directeur du département : il cumula les deux fonctions durant une période d'une année, jusqu'au moment où il accéda en novembre 1971 à la direction de l'École des Gradués. Le développement de l'anthropologie, comme je le documen- terai dans les prochains chapitres, fut exceptionnel à maints égards. Les thématiques qui serviront à étayer ce progrès se rapportent à la recherche anthropologique, aux programmes d'enseignement et de formation, à la production scientifique de ses membres et à leur rayonnement.