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TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE GRENOBLE
N°2206293
___________
FNE AURA et autres
___________
M. Christian Sogno
Juge des référés
___________
Audience du 20 octobre 2022
Ordonnance du 25 octobre 2022
__________
54-035-02
C
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le juge des référés
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 29 septembre et 20 octobre 2022, les
associations France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AuRA), France Nature
Environnement Haute-Savoie (FNE Haute-Savoie), Nouvelle Montagne, Mountain Wilderness
France et Ligue de Protection des Oiseaux Rhône-Alpes, représentées par Me Cohendet,
demandent au juge des référés :
1°) sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 554-12 du code de justice administrative,
de suspendre l’exécution de l’arrêté du 20 septembre 2022 du préfet de la Haute-Savoie portant
autorisation environnementale au profit de la commune de La Clusaz pour l’aménagement de la
retenue collinaire de la Colombière, le prélèvement d’eau de Gonière et le renforcement du réseau
neige de la commune ;
2°) de condamner l’Etat au versement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article
L.761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les réserves de la commission d’enquête n’ayant pas été levées, la condition d’urgence
n’est pas requise ; subsidiairement, cette condition est présente, eu égard à
l’imminences des travaux et à leur impact sur l’environnement ;
- une déclaration d’intention prévue par l’article L. 121-18 du code de l'environnement
aurait dû être publiée, permettant au public de demander la mise en place d’une
concertation ;
- l’étude d’impact est insuffisante en ce qui concerne 1) l’état initial de l’environnement
et les effets du projet, 2) les solutions de substitution présentées et 3) la prise en
compte de l’ensemble des travaux échelonnés dans le temps ;
- il n’existe pas de raison impérative d’intérêt public majeur permettant de déroger à
l’interdiction de destruction des espèces protégées
Par un mémoire enregistré le 12 octobre 2022, le préfet de la Haute-Savoie conclut au
N°2206293 2
rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les réserves de la commission d’enquête ont été prises en compte, de sorte que la
requête est soumise à la condition d’urgence ;
- cette condition n’est pas remplie ;
- aucun des moyens n’est fondé.
Par un mémoire enregistré le 14 octobre 2022, la commune de La Clusaz, représentée par
Me Tissot, conclut au rejet de la requête et à la condamnation solidaire des requérantes à lui verser
une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les réserves de la commission d’enquête ont été prises en compte, de sorte que la
requête est soumise à la condition d’urgence ;
- cette condition n’est pas remplie ;
- aucun des moyens n’est fondé.
Vu :
- la requête en annulation enregistrée sous le n° 2206292 ;
- les autres pièces du dossier ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience publique du 20 octobre 2022 à
14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus Me Cohendet pour les requérantes, MM. Payn
et Assadet pour le préfet de la Haute-Savoie ainsi que Me Eard pour la commune de La Clusaz.
La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.
Considérant ce qui suit :
Sur la demande de suspension d’exécution au titre de l’article L.554-12 du code de justice
administrative :
1. Aux termes de cet article : « Le juge administratif des référés, saisi d'une demande de
suspension d'une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou
de la commission d'enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer,
en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci (…) ».
2. La commission d’enquête a émis un avis favorable au projet sous trois réserves : 1) la
création pour cinq ans d’une commission de suivi du projet et des travaux, 2) l’instauration d’un
débit réservé à la sortie du captage de la Gonière afin que la vie piscicole du ruisseau « Le Nom »
soit préservée, 3) l’élaboration et la signature d’une convention d’utilisation liant les différents
usagers de la retenue. L’arrêté du 20 septembre 2022 impose ces obligations, respectivement dans
ses articles 4-2-2, 10-4 (M1) et 10-4 (M2). En conséquence, l’avis de la commission d’enquête ne
peut être regardé comme défavorable, de sorte que la demande de suspension fondée sur l’article
L. 554-2 du code de justice administrative ne peut être accueillie
Sur la demande de suspension d’exécution au titre de l’article L. 521-1 du code de justice
administrative :
N°2206293 3
3. Cet article permet au juge des référés d’ordonner la suspension de l'exécution d’une
décision administrative ou de certains de ses effets lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état
d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la
décision.
4. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque
l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt
public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des
référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les
effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le
jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être
appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, à la date à
laquelle le juge des référés se prononce.
5. L’autorisation en litige comprend une autorisation de défrichement. Il est constant que
ces travaux sont prévus en octobre-novembre 2022 et sont donc imminents. La circonstance que
le site est actuellement occupé par des opposants au projet ne saurait être invoquée pour dénier
l’urgence dans la mesure où ceux-ci sont susceptibles d’être expulsés par les forces de l’ordre à
brève échéance sur ordre du ministre de l’intérieur. Par ailleurs, l’intérêt public qui découle de la
réalisation d’une retenue collinaire essentiellement destinée à assurer l’enneigement artificiel de
la station est insuffisant à remettre en cause l’urgence qui tient à la préservation du milieu naturel
et des espèces qu’il abrite, avec des conséquences qui ne seraient pas réversibles, au moins à
moyen terme. Dans ces conditions, la condition d’urgence est remplie.
6. En l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’absence de raison impérative d’intérêt
public majeur permettant de déroger à l’interdiction de destruction des espèces protégées posée
par l’article L. 411-1 du code de l'environnement est propre à créer un doute sérieux quant à la
légalité de l’arrêté attaqué.
7. Dans ces conditions, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du
20 septembre 2022.
Sur les frais d'instance :
8. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le
tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement
par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions
présentées à ce titre par la commune de La Clusaz doivent dès lors être rejetées.
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l’Etat à verser aux
associations requérantes une somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par elles et
non compris dans les dépens.
O R D O N N E
Article 1er
: L’exécution de l’arrêté du 20 septembre 2022 est suspendue.
Article 2 : L’Etat versera aux associations requérantes une somme globale de 1 200 euros
au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
N°2206293 4
Article 3 : Les conclusions de la commune de La Clusaz présentées au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à France Nature Environnement
Auvergne-Rhône-Alpes, au ministre de la transition écologique et de la
cohésion des territoires et à la commune de La Clusaz.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Fait à Grenoble, le 25 octobre 2022.
Le juge des référés,
C. Sogno
Le greffier,
P. Muller
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des
territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne
les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente
décision.

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  • 2. N°2206293 2 rejet de la requête. Il fait valoir que : - les réserves de la commission d’enquête ont été prises en compte, de sorte que la requête est soumise à la condition d’urgence ; - cette condition n’est pas remplie ; - aucun des moyens n’est fondé. Par un mémoire enregistré le 14 octobre 2022, la commune de La Clusaz, représentée par Me Tissot, conclut au rejet de la requête et à la condamnation solidaire des requérantes à lui verser une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que : - les réserves de la commission d’enquête ont été prises en compte, de sorte que la requête est soumise à la condition d’urgence ; - cette condition n’est pas remplie ; - aucun des moyens n’est fondé. Vu : - la requête en annulation enregistrée sous le n° 2206292 ; - les autres pièces du dossier ; - le code de l'environnement ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience publique du 20 octobre 2022 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus Me Cohendet pour les requérantes, MM. Payn et Assadet pour le préfet de la Haute-Savoie ainsi que Me Eard pour la commune de La Clusaz. La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience. Considérant ce qui suit : Sur la demande de suspension d’exécution au titre de l’article L.554-12 du code de justice administrative : 1. Aux termes de cet article : « Le juge administratif des référés, saisi d'une demande de suspension d'une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci (…) ». 2. La commission d’enquête a émis un avis favorable au projet sous trois réserves : 1) la création pour cinq ans d’une commission de suivi du projet et des travaux, 2) l’instauration d’un débit réservé à la sortie du captage de la Gonière afin que la vie piscicole du ruisseau « Le Nom » soit préservée, 3) l’élaboration et la signature d’une convention d’utilisation liant les différents usagers de la retenue. L’arrêté du 20 septembre 2022 impose ces obligations, respectivement dans ses articles 4-2-2, 10-4 (M1) et 10-4 (M2). En conséquence, l’avis de la commission d’enquête ne peut être regardé comme défavorable, de sorte que la demande de suspension fondée sur l’article L. 554-2 du code de justice administrative ne peut être accueillie Sur la demande de suspension d’exécution au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
  • 3. N°2206293 3 3. Cet article permet au juge des référés d’ordonner la suspension de l'exécution d’une décision administrative ou de certains de ses effets lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. 4. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce. 5. L’autorisation en litige comprend une autorisation de défrichement. Il est constant que ces travaux sont prévus en octobre-novembre 2022 et sont donc imminents. La circonstance que le site est actuellement occupé par des opposants au projet ne saurait être invoquée pour dénier l’urgence dans la mesure où ceux-ci sont susceptibles d’être expulsés par les forces de l’ordre à brève échéance sur ordre du ministre de l’intérieur. Par ailleurs, l’intérêt public qui découle de la réalisation d’une retenue collinaire essentiellement destinée à assurer l’enneigement artificiel de la station est insuffisant à remettre en cause l’urgence qui tient à la préservation du milieu naturel et des espèces qu’il abrite, avec des conséquences qui ne seraient pas réversibles, au moins à moyen terme. Dans ces conditions, la condition d’urgence est remplie. 6. En l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur permettant de déroger à l’interdiction de destruction des espèces protégées posée par l’article L. 411-1 du code de l'environnement est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué. 7. Dans ces conditions, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 20 septembre 2022. Sur les frais d'instance : 8. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la commune de La Clusaz doivent dès lors être rejetées. 9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l’Etat à verser aux associations requérantes une somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. O R D O N N E Article 1er : L’exécution de l’arrêté du 20 septembre 2022 est suspendue. Article 2 : L’Etat versera aux associations requérantes une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
  • 4. N°2206293 4 Article 3 : Les conclusions de la commune de La Clusaz présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune de La Clusaz. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie. Fait à Grenoble, le 25 octobre 2022. Le juge des référés, C. Sogno Le greffier, P. Muller La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.