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La prospective radiophonique à
l’approche de la guerre entre
exaltations technicistes et pacifistes1
Sebastien Poulain
1 Merci à Isabelle Abraham, Christophe Bennet, Jean-Jacques Ledos,Raphaëlle Ruppen Coutaz pour leurs lectures
et conseils.
« La prospective radiophonique à l’approche de la guerre entre exaltations technicistes et
pacifistes », in Sebastien Poulain (sous la direction de), « La radio du futur : du
téléchromophotophonotétroscope aux postradiomorphoses », Cahiers d’histoire de la
radiodiffusion, n°132, avril-juin 2017,
https://radiodufutur.wordpress.com/2017/10/24/sebastien-poulain-la-prospective-
radiophonique-a-lapproche-de-la-guerre-entre-exaltations-technicistes-et-pacifistes/ et
http://cohira.fr/cahier-n-132-avril-juin-2017/
A l’approche de la Seconde Guerre Mondiale, Dr. Arno Georges Huth (né en 1905), qui
est chercheur au Centre de recherche de Genève, publie chez Gallimard une somme de 508
pages consacrée à l’histoire, actualité et l’avenir de la radio : La Radiodiffusion, puissance
mondiale2. Cet ouvrage, préfacé par le sénateur Guglielmo Marconi3 lui-même, dresse un vaste
panorama de la radio ainsi que des débuts de la télévision. Voici son sommaire :
1. Naissance et développement de la radiodiffusion : Radiotélégraphie et radiotéléphonie -
Débuts de la radiodiffusion - Principes de l’organisation - Evolution technique - Evolution du
programme - Coopération internationale des organismes de radiodiffusion - Formation et
accroissement de l’auditoire
2. Situation présente de la radio : Les bases administratives et financières – L’émission - Les
programmes - Le public et la radio - La presse radiophonique - Industrie et commerce
radiophoniques – L’avènement de la télévision –
3. L’Organisation de la radiodiffusion à travers le monde –
4. Importance de la radiodiffusion : La radio, miroir du monde - La radio : "service public" - La
radio, facteur économique et social - La radio, université populaire - Services religieux –
5. L’Avenir de la radio : Problèmes et réalisations - La radiodiffusion mondiale – L’avenir
entrevue par les chefs de la radio
C’est la 5ème partie de cet ouvrage qui nous intéresse le plus ici puisqu’elle est consacrée
à l’« Avenir de la radio ». A la fin de cette partie, Arno Georges Huth cite - sous l’intitulé
« L’avenir entrevu par les chefs de la radio » - des courriers de personnalités qui ont accepté de
contribuer à son ouvrage en traitant de l’avenir de la radio :
- Dr. Maurice Rambert (1866-1941, Suisse),fondateuret président (26 juin 1935-25 juillet 1937)
de l’Union Internationale de Radiodiffusion (UIR ou IBU : International Broadcasting Union ; fondée les
2 HUTH Arno,La Radiodiffusion,puissance mondiale,Gallimard, collection "Les Documents Bleus - Notre temps
n°14", Paris, 13 septembre 1937 (50 francs). L’ouvrage contient les contributions des « personnalités les plus
autorisées » (appelées aussi« chefs de la radio » ; voir plus loin dans le texte) et 9 planches hors-texte totalisant
16 illustrations en noir et blanc et 30 cartes dans le texte en noir et blanc.
3 En 1914, Guglielmo Marconi est coopté au Sénat de Rome. Après avoir servi dans la marine pendant la Première
guerre, le roi Victor-Emmanuel III fait de lui un marquis. Par la suite, sa compagnie perd le marché américain
(1919) puis anglais (1922). Il quitte toute fonction au sein de la société qu’il a fondée. Il s’installe définitivement
en Italie. En 1930, Mussolinile nomme à la tête de l’Académie royale d’Italie et devient membre du Grand Conseil
fasciste. Victime de plusieurs attaques cardiaques,il meurt à Rome le 20 juillet 1937 (c’est-à-dire 2 mois avant la
publication de l’ouvrage). C’est la date du deuxième centenaire de la naissance du professeur d’anatomie italien
Luigi Galvani (1737-1798) précurseur dans la découverte de l’action électrique à distance. Il a observé, en 1780,
qu’une grenouille, morte et écorchée pourune dissection,présente des contractions musculaires à proximité d’une
bouteille dite de Leyde, une sorte d’accumulateur de l’électricité statique inventé,quelques décennies plus tôt,par
un hollandais, Pieter Van Musschenbroek. Lire : CAZENOBE Jean, « Marconi a-t-il inventé la radio ? », La
Recherche, n°276, mai 1995 ; FALCIASECCA Gabriele, VALOTTI Barbara, Guglielmo Marconi, Giorgio
Mondadori, Milan, 2003 ; MAIOLI Giorgio, I giorni della radio. A cent’anni dall’invenzione di Guglielmo
Marconi, Re Enzo, Bologne, 1994 ; MASINI Giancarlo, Marconi, UTET, Turin, 1975 ; LEDOS Jean-Jacques,
« 1996 : centenaire de la radio ? », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°49, juin-août 1996
3-4 avril 1925 à Genève sous l’appellation d’Union Internationale de Radiophonie (UIR))4. Docteur en
1890, il fonde en 1922 le Radio-Club de Genève. Le 10 janvier 1923, il obtient la première concession de
radiodiffusion publique. Fondateurde la Société des émissions de Radio-Genève (1925), directeur général
de la Société Suisse de Radiodiffusion (1931-1936)5. Il a aussi été administrateur de sociétés hôtelières.
- Emile Brémond (1890-1976), secrétaire général des émissions de la Radiodiffusion Française
(nommé en juin 1934), et écrivain qui a aussi dirigé Le Progrès de Lyon6.
- Raymond Braillard7 (1888-1945 ; Français), président de la commission technique de l’UIR,
directeur du Centre de Contrôle de à Uccle (1925-1940), après avoir été responsable de l’émetteur de la
tour Eiffel (1910-1911), ingénieur en chef des services radio au Congo Belge (1912-1924), directeur de
la société indépendante de T.S.F. puis la Société Belge Radioélectrique (1919-1929). Il devient directeur
de la Radiodiffusion nationale (RN) pendant l’occupation. Il est connu pourdeux faits majeurs : en 1913,
il réalise les premières liaisons de radiotélégraphie entre la Belgique et le Congo belge ; en mars 1914, il
est l’« artisan » en Europe de la première émission de radiophonie à Bruxelles (Laeken).
- Marcel van Soust de Borckenfeldt, fondateur et directeur général (1930–1937) de l’Institut
National Belge de Radiodiffusion (1930-1959), administrateur pour chaque groupe linguistique, ancien
directeur de Radio Belgique (En 1924, cette radio remplace Radio Bruxelles créée en 1923.).
4 Malgré son nom, l’UIR est d’abord une organisation européenne. Issue de rencontres (Cité de Calvin les 22 et 23
avril 1924 ; Londres les 18 et 19 mars 1925 ; Genève, les 3 et 4 avril 1925), elle est le fruit de la collaboration de
10 sociétés de radiodiffusion européennes : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France (Petit Parisien et
Radio Paris), Grande-Bretagne, Pays-Bas, Pologne et Suisse. Les stations d’Etat ne sont pas conviées. L’UIR se
fixe quatre objectifs : 1) relier entre elles les sociétés de radiodiffusion européennes tout en envisageant un
élargissement ultérieur à des organismes extérieurs au continent ; 2) défendre leurs intérêts ; 3) étudier les
problématiques qui découlent de l’essor rapide de la téléphonie sans fil ; 4) développer des projets relatifs à la
radiophonie favorables aux services de radiodiffusion membres. « Elle cherche avant tout à rapprocher les nations
autour de projets radiophoniques communs, en participant à la résolution des problèmes politiques et juridiques
qui les freinent. » (RUPPEN COUTAZ Raphaëlle, « Ici la suisse – Do Ischt Schwyz – Switzerland Calling ! » la
Société Suisse de Radiodiffusion (SSR) au service du rayonnement culturel helvétique (1932-1949),thèse sous la
direction de François Vallotton, Université de Lausanne,Lausanne,2015, p114) Au-delà de la pacification, il s’agit
de continuer le travail des Lumières : « the broadcasting elites who established the IBU [(UIR)], believed in the
European civilizing mission based on European Enlightenment values. » (LOMMERS Suzanne, Europe – on Air.
Interwar Projects for Radio Broadcasting, Université technique d’Eindhoven, Eindhoven, 2012, p71). Dès sa
fondation, elle tente d’établir un premier projet de répartition des fréquences radio en Europe : le Plan de Genève
daté du 14 novembre 1926. Auparavant, en 1912, une réglementation similaire avait été faite à l’échelle
internationale pour les radiocommunications maritimes. Mais le Plan de Genève, ne sera cependant guère suivi
d’effets, notamment à cause de l’absence de puissantes stations d’Etat et de cadre contraignant. Par la suite, l’UIR
crée à Bruxelles (et avec pour directeur Raymond Braillard) le comité technique qui vise à contrôler les
interférences électriques, les infrastructures transfrontalières, les questions de propagation des ondes du respect
des allocations de longueurs d’onde (fréquences). Mais l’UIR n’a pas compétence dans la répartition des
fréquences.C’est la mission de l’UTI - Union Télégraphique Internationale fondée en 1865 - qui devient en 1932
UIT - Union Internationale des Télécommunications - dans une sous-section, le CCIR - Comité Consultatif des
Radiocommunications. L’UTI réunit une première conférence internationale à Washington en 1927 qui aboutit à
la signature de la Convention radiotélégraphique internationale ainsi que règlement général et règlement
additionnel y annexés publiée à Berne en 1928. Globalement, l’UIR n’arrivera pas à résoudre les problèmes
d’interférences seule : « The first issue the IBU [(UIR)] addressed after its formation was the urgent problem of
electromagnetic interference beyond borders.This was a sensitive topic among the governments of various nation -
states.Very soon the experts would find they could not resolve this on their own. They needed the collaboration
of other international organizations. » (LOMMERS, 2012, p71)
5 Lire : UIR, Maurice Rambert, 1866-1941, UIR, Genève, 1941 ; RUPPEN COUTAZ Raphaëlle, La voix de la
Suisse à l’étranger : Radio et relations culturelles (1932-1949), Editions Alphil Presses universitaires suisses,
2016 qui est issu de RUPPEN COUTAZ, 2015.
6 « Émile Brémond, premier « patron » des programmes de la radiodiffusion nationale », in Caroline Ulmann-
Mauriat et Guy Robert (sous la direction), « L’année radiophonique 1933 », Cahiers d’Histoire de la
Radiodiffusion, n°76, avril-juin 2003, p91
7 Lire : « Robert Goldschmidt et Raymond Braillard, pionniers en Europe », in Pierre Braillard et Jean-Jacques
Ledos (sous la direction), « Grands hommes, grandes dates de la radio, tableau synchronique »,Cahiers d’Histoire
de la Radiodiffusion,n°103, janvier-mars 2010, p119 ; « Raymond Braillard », in Bruno Brasseur, Pierre Braillard
et Jean-Jacques Ledos (sous la direction), « Anniversaires », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°118,
octobre-décembre 2013, p43
- Amiral Sir Charles Carpendale, directeur général délégué de la British Broadcasting
Corporation (BBC), fondateur et ancien président de l’UIR8 (pendant 10 ans, jusqu’au 26 juin 1935).
- Sir Adrian Boult (1889-1983), chef d’orchestre, directeur musical de la BBC et directeur de
l’Orchestre symphonique de la BBC depuis 1930, et sera chef principal de l’Orchestre philharmonique de
Londres, puis directeur de l’Orchestre symphonique de la ville de Birmingham.
- S. E. Giancarlo Vallauri (1882-1957), président de l’Ente Italiano per le Audizioni
Radiofoniche (EIAR), vice-président de l’Académie Royale d’Italie. Il a fondé et dirigé l’Istituto
elettrotecnico e radiotelegrafico della Marina (aujourd’hui Istituto per le Telecomunicazioni e
l’Elettronica della Marina Militare "Giancarlo Vallauri") qui a construit la première grande station de
radio à Coltano (commune de Pise).
- Oskar Czeija (1887-1958), fondateur et directeur général de la Ravag (Radio Verkehrs AG,
première société autrichienne de radiodiffusion ; 1924-1958) jusqu’à 1938, directeur du comité de
rapprochement de l’UIR9.
- Chambellan Christian Diederich Lerche (1868-1957), président (1925-1939) du Radiorådet
(Conseil de la radio danois ; 1926-1987).
- Willem Vogt (1888-1973), directeur de l’Association « Algemene Vereeniging Radio
Omroep » (AVRO ; Association générale de diffusion de la radio hollandaise) mise en place
officiellement en 1927 mais a ses racines dans les années 1920.
- Dr. Ladislav Sourek (1880–1959), fondateuret directeur général de la société « Radiojournal »
(première organisation tchécoslovaque de diffusion radiophonique), directeur général de la société
Radioslavia (société de fabrication des récepteurs radiophoniques), président de la commission juridique
de l’UIR.
- Lenox Riley Lohr (1891-1968), président de la National Broadcasting Company (NBC, New
York), après avoir été directeur général de l’Exposition universelle de 1933 de Chicago.
- Dr. Max Jordan (1895-1977), directeur européen de NBC, après avoir été journaliste
correspondant pour International News Service (INS). Il est l’auteur de plusieurs scoops : l’annonce de
l’accord de Munich de 1938 et l’annonce de la capitulation du Japon le 14 août 1945.
- William S. Paley (1901-1990), fondateur et président de la Columbia Broadcasting System
(CBS, New York ; réseau radiophonique créé à Chicago en 1927). Il dirige le réseau entre 1928 et 1946,
puis son conseil d’administration de 1946 à 198310.
- Anning Smith Prall (1870-1937), président de la Federal Communications Commission (FCC ;
création en 193411) des USA de 1935 à 1937, après avoir été représentant démocrate de New York de
1923 à 1935.
- David Sarnoff (1891-1971), président de la Radio Corporation of America (RCA ; fondée en
1919 ; David Sarnoff y arrive peu après sa fondation en 1919 et y reste jusqu’à sa retraite en 1970.) et du
conseil d’administration de NBC qu’il a fondé12.
- Dr. Levering Tyson (1889-1966), directeur (1930-1937) du National Advisory Council on
Radio in Education (NACRE, fondation en 1929, New York), et auteur de Education by means of the
radio, 1935.
Ces 17 acteurs de radio sont des dirigeants de médias (plusieurs fondateurs) sauf
exception, très diplômés (5 docteurs si on ajoute Huth), tous des hommes, souvent nés autour
8 Le premier conseil de direction composé de neuf membres : Carpendale (Grande-Bretagne), Heinrich Giesecke
(Allemagne), Robert Tabouis (France), Antoine Dubois (Hollande), Auguste Hubert (Belgique), Svoboda
(Tchécoslovaquie), Skottun (Norvège), Garcia (Espagne), Rambert (Suisse).
9 SCHLOGL Reinhard, Oskar Czeja: Radio- und Fernsehpionier,Unternehmer, Abenteurer,Böhlau Wien 2005 ;
SCHMOLKE Michael, Wegbereiter der Publizistik in Österreich,Österreichischer Kunst-und Kulturverlag Wien
1992
10 HALBERSTAM David, « Portrait d’un manager : William S. Paley, Président de CBS », in Jean-Jacques Ledos
(sous la direction de), « 1906-2006 : cent ans de radiophonie », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°87,
janvier-mars 2006, p108
11 La FFC est précédée par la Federal Radio Commission (FRC) créée en 1927 via le « Radio Act » de 1927. Cette
autorité indépendante était chargée de réguler l’usage des ondes.Auparavant,c’était le secrétaire au commerce et
au travail américain qui en avait la responsabilité depuis le « Radio Act » de 1912.
12 « Les entrepreneurs, Sarnoff en tête », in Pierre Braillard et Jean-Jacques Ledos (sous la direction), « Grands
hommes, grandes dates de la radio, tableau synchronique », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°103,
janvier-mars 2010, p137
de 1890, tous occidentaux, majoritairement européens (plutôt l’Europe de l’Ouest et du nord)
et issus des élites13.
Quant à l’avenir de la radio, Arno Georges Huth se montre plutôt enthousiaste :
Le passé de la Radio est glorieux, sa situation présente,magnifique. Les services qu’elle a rendus
et qu’elle rend chaque jour sont du domaine de l’extraordinaire. Son pouvoir est énorme, son influence
est presque illimitée. Or tout cela s’efface devant l’évolution future…14
Il utilise le champ lexical encore utilisé aujourd’hui par les thuriféraires contemporains
des nouvelles technologies d’information et de communication (informatique, internet,
télécoms) en général et des « postradiomorphoses »15 en particulier :
« magnifique », (p393), « extraordinaire » (p393), « illimitée » (p393), « révolutionnera » (p401),
« miracle » (p401), « rêve » (p401), « miraculeux » (p400-401), « progrès » (p413), « prodige » (p413),
« incalculables » (p413)…
Tout en se défendant d’être un prophète :
Prophétiser n’est point de notre ressort.Mais les faits parlent d’eux-mêmes : par les travaux en
cours, les projets échafaudés,les promesses des laboratoires, on peut envisager sinon l’avenir lointain de
la Radio, tout au moins l’avenir des prochaines années.16
Comme Huth, plusieurs auteurs des lettres retranscrites dans l’ouvrage prennent des
précautions pour ne pas ressembler à des prophètes. Mais c’est une prudence en partie
rhétorique car dans un second temps, ils font bien part de toutes les « avancées » en cours ou à
venir et les espoirs qui en découlent. S. E. Giancarlo Vallauri, président de l’EIAR, refuse de
se prononcer, mais par optimisme et pour ne pas commettre un « péché d’irrévérence » vis-à-
vis de « l’intervention supérieure » d’un « chef invisible ». Pour diviniser ainsi l’innovation
technologique à la manière de la « main invisible » d’Adam Smith, il s’appuie sur son « vécu
pendant tant d’années dans la grande forge d’où sont issues les merveilleuses réalisations de la
radiotechnique » dont il a déduit un processus complexe d’innovation (erreurs, défaites…)
« fécondé par un pollen mystérieux, diffusé dans l’éternel printemps spirituel » qui fait que les
« conquêtes » « seront certainement plus rapides et plus riches, plus grandioses et plus
admirables que notre imagination pourrait aujourd’hui le concevoir »17.
13 Suzanne Lommers a montré le rôle des élites dans la création des radios et des organisations internationales
comme l’UIR (Chapitre 2 « Elites on the Barricades for Broadcasting »). Ce rôle n’a pas été le même en Europe
et aux Etats-Unis ce qui a eu des conséquences sur les paysages radiophoniques mis en place : « In the United
States and in Europe the course of broadcasting settled down in the 1930s. In spite of personal overseas networks
between American and European broadcasters, different dominating systems emerged. This mainly appeared to
be due to the role of European governments and elites. Governments in Europe exerted more control over granting
concessions. In several instances they issued only one concession, limiting the number of stations that could be
created within their country. Furthermore, the European elites involved in the establishment of many broadcasting
organizations actually had a greater influence than in the United States. Their drive to create a sense of national
belonging via educational and cultural programs was strong. This caused the development of the medium to take
a different course in the United States and Europe in spite of occasional contacts. » (2012, p52).
14 HUTH, 1937, p393
15 POULAIN Sebastien, « Les postradiomorphoses :enjeuxet limites de l’appropriation des nouvelles technologies
radiophoniques en période de transition médiatique »,RadioMorphoses,n°2, 2017, http://www.radiomorphoses.fr/
16 HUTH, 1937, p393
17 HUTH, 1937, p404 ; Ce propos est en réalité un extrait de l’Annuario pour l’année XIII de l’Ente Italiano per le
Audizioni Radiofoniche (Turin, avril 1935, 480 p.). L’Annuario est publié en 1929, 1931, 1935, 1938 et 1942.
L’année XIII fait référence à l’arrivée de Benito Mussolini au pouvoir en 1922. L’Annuario de 1935 célèbre les
10 ans de la radio en Italie. L’Ente Italiano per le Audizioni Radiofoniche (EIAR ; 1927-1944) est le radiodiffuseur
de service public de l’Italie fasciste et la seule entité autorisée à la diffusion par le gouvernement. Entre 1929 et
Dr. Max Jordan, directeur européen de NBC, pense « que le véritable progrès est encore
à venir, que la radiodiffusion est encore dans l’enfance, en attendant le jour où la perfection
sera acquise »18. « Parfois, on a l’impression que jusqu’ici la surface seulement a été grattée. »19
ajoute-t-il. Lenox Riley Lohr, président de NBC, prévoit autant de progrès dans la prochaine
décade que depuis l’origine de la radio20. Dr. Levering Tyson, directeur du National Advisory
Council on Radio in Education et auteur de Education by means of the radio, anticipe des effets
sociaux similaires à ceux des lettres mobiles de Johannes Gutenberg et William Caxton, mais
tout dépendra de la capacité et de la vitesse d’assimilation des « nouveaux raffinements de l’art
radiophonique » et de la « coopération entre les pionniers du développement technique et les
leaders du progrès social »21.
Le futur est donc déjà dans le présent pour Huth et ses collègues alors que la guerre est
de plus en plus possible et même probable et qu’elle pourrait rebattre toutes les cartes22. La
possibilité de la guerre est à peine évoquée par le chercheur suisse et les différents auteurs qu’il
a sollicités. Mais les technologies radiophoniques, les nouveaux programmes radiophoniques
et la mondialisation radiophonique sont vus par les co-auteurs - ils le martèlent - comme des
solutions pour créer de « l’entente entre les peuples », sous-entendu pour éviter une guerre
qu’ils ne peuvent pas ne pas voir venir compte-tenu de leur positionnement dans la société.
Lenox Riley Lohr considère que les « hommes de Radio » doivent « travaill[er] dans ce sens »
pour « contribuer au bien de l’humanité »23. La technologie comme outil utopique de la paix (la
« techno-utopie »24), c’est une solution qui avait déjà été proposée au XIXème siècle à partir de
la télégraphie25 et que proposera à nouveau après la guerre le fondateur de la cybernétique
Norbert Wiener qui imaginera un gouvernement des machines pensantes grâce à l’apparition et
au développement de l’informatique.
Arno Georges Huth s’intéresse d’abord aux questions techniques (Il observe une radio
en train de développer sa puissance et de se miniaturiser.), puis il se focalise sur les programmes
(Il promeut alors une « paléo-radio ».), et enfin il laisse se dessiner et se faire espérer une
mondialisation radiophonique (avec un objectif pacifiste). Et c’est ce chemin que nous allons
reprendre ici en prenant les propos tenus par Huth et les « chefs de la radio » qu’il a interrogé
comme des témoignages d’une époque passée qui se projette dans l’avenir.
La technique : la radio entre nouvelles ondes, puissance et miniaturisation
1939, l’EIAR réalise pour la première fois des tests de télédiffusion en Italie. Pour la plupart de son existence, elle
a été dirigée par S. E. Giancarlo Vallauri, même s’il a été remplacé en tant que président par Ezio Maria Gris au
cours de de la période la République sociale italienne (1943–1945).
18 HUTH, 1937, p410
19 HUTH, 1937, p410
20 HUTH, 1937, p408
21 HUTH, 1937, p412
22 Rappelons le rôle joué par l’armée dans le développement ou l’utilisation des technologies d’information et de
communication – télégraphe, TSF, informatique, internet… (BELLAIS Renaud, « Les enjeux de la maîtrise de
l’information dans la défense », Réseaux, vol. 16, n°91, 1998, p121-133) - et des stratégies discursives (la
propagande) (GRANDIN Thomas, « La radio pendant les deux premiers mois de guerre », Politique étrangère,
vol. 4, n°5, 1939, p513-524 ; LEPRI Charlotte, « De l’usage des médias à des fins de propagande pendant la guerre
froide », Revue internationale et stratégique, n°78, 2010/2 ; MAURIN Jean-Louis, Combattre et informer.
L’armée française et les médias pendant la première guerre mondiale, Ste Flaive des Loups, Editions Codex,
2009 ; WILKIN Bernard, « Propagande militaire aérienne et législation durant la Première Guerre mondiale »,
Revue historique des armées, 274, p87-94…).
23 HUTH, 1937, p409
24 MUSSO Pierre, « La "révolution numérique" : techniques et mythologies », La Pensée, n°355, 2008
25 Sur l’espoir que les avancées technologiques peuvent susciteren matière de paix avant l’apparition de la radio,
lire : GROSSI Verdiana, « Technologie et diplomatie suisse au xixe siècle : le cas des télégraphes », Relations
internationales,n°39, 1984, p287-307. Sur le potentiel de la radio, lire : SCHUBIGER Claude, Le Rôle social de
la radiodiffusion, Imprimerie populaire, Lausanne, 1940.
La combinaison de la puissance et de la miniaturisation est un objectif traditionnel des
techniciens et elle est possible dans le domaine radiophonique. Arno Georges Huth se félicite
tout d’abord de l’apparition et du développement des ondes courtes26 et attend le déploiement
des ultra-courtes27. Il nous apprend que le sénateur Marconi y travaille28 et a réalisé l’été 1932
une émission depuis San Margherita reçue depuis le yacht « Elettra » à 150 km. Sans le nommer,
Huth fait part de l’imagination du président de RCA qui espère que chacun aura un jour sa
propre longueur d’onde, comme on a tous (ou presque) une adresse mail électronique ou un
compte Facebook aujourd’hui. Ainsi, « chacun pourrait avoir sa propre station émettrice et
réceptrice29, et communiquer par TSF avec n’importe qui »30 selon Dr. Max Jordan, directeur
européen de NBC, qui utilise le terme « portatif » :
Des ingénieurs envisagent dans leurs laboratoires la possibilité d’appareils récepteurs, assez
petits et assez plats pour être pendus comme des tableaux aux murs de nos appartements. D’autres
prétendant qu’on aura un jour des récepteurs de poche, qu’on pourra porter sur soi comme une montre ou
un étui à cigarettes, et dont l’énergie serait alimentée par sans-fil.31
Or, si le transistor apparaitra en 195432 pour la réception portative « sans-fil », Huth
nous annonce que l’ingénieur en chef de la NBC vient de construire un émetteur à ondes ultra-
courtes d’un poids de 400 grammes de 0,2 watts qui peut être reçu à plus de 6 km33.
A propos de puissance, Huth pense que le perfectionnement technique sera facilité par
la mise en place de 100 émetteurs déjà en construction ou en projet à l’époque : certains pays
installent leurs premiers émetteurs (Andorre, Malte, Afghanistan, Irak, Iran, Syrie), tandis que
d’autres augmentent la puissance des leurs (de 50 à 500 kw pour Rome I, New York WJZ,
Pittsburgh KDKA). La Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie développent continuellement
26 Les ondes courtes (appelée aussidécamétriques ou haute fréquence) permettent des liaisons intercontinentales
avec des puissances de quelques milliwatts si la propagation ionosphérique le permet car l’onde de sol au -dessus
de 2 ou 3 MHz ne porte guère au-delà de quelques dizaines de kilomètres. Entre 1 et 30 MHz, la réflexion des
ondes sur les couches de l’ionosphère permet de s’affranchir du problème de l'horizon optique et d'obtenir en un
seul bond une portée de plusieurs milliers de kilomètres, avec plusieurs bonds parfois jusqu'aux antipodes.Mais
ces résultats sont très variables et dépendent des modes de propagation du cycle solaire, de l'heure de la journée
ou de la saison. Elles auront de nombreux usages : organisations diverses, militaire, radiodiffusion, maritime,
aéronautique, radioamateur, météo, « radio de catastrophe »… Lire : ROBERT Guy, « Deux contributions à
l'histoire heurtée des ondes courtes françaises », n°9, janvier 1985, p1 ; GAILLARD Armand, « Conditions
d'utilisation des ondes courtes en Radiodiffusion », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°10, avril 1985, p36 ;
GAILLARD Armand, « Utilisation des ondes courtes à la Radiodiffusion française », Cahiers d’Histoire de la
Radiodiffusion, n°18, décembre 1987, p42 ; BRUNNQUELL Frédéric, « Les ondes courtes françaises en 1936-
1939 », in Christian Brochand (sous la direction de), « L’année radiophonique 1922 », Cahiers d’Histoire de la
Radiodiffusion, n°33, juin-août 1992, p26
27 HUTH, 1937, p393. Pour Raymond Braillard, les ondes courtes serviront pour les échanges intercontinentaux
tandis que le déploiement des ultra-courtes permettra une diffusion pour les grandes villes (HUTH, 1937, p411).
Les ondes ultra-courtes (appelée aussi ondes métriques ou très haute fréquence) correspondent à des fréquences
comprises entre 30 et 300 MHz. Elles auront de nombreux usages :radio FM (démonstration de la radio FM devant
la FCC le 5 janvier 1940 ; W47NV (Nashville) première station de radio FM à émettre dès le 1er mars 1945),
aéronautique, maritime, radioamateur, gendarmerie, pompiers, SAMU, réseaux privés, taxis, militaire, météo…
28 HUTH, 1937, p394
29 En ce qui concerne la réception, David Sarnoff évoquait déjà en 1916 la mise à disposition dans les foyers (10
millions de familles) d’une « Radio Music Box » comme « household utility » pour $75 (LEDOS Jean-Jacques,
« 1996 : centenaire de la radio ? », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°49, Juin-Août 1996 qui cite BILBY
Kenneth,The General David Sarnoff and the Rise of the Communication Industry,Harper & Row Pub., New York,
1986).
30 HUTH, 1937, p410
31 HUTH, 1937, p410
32 FESNEAU Elvina, Le poste à transistors à la conquête de la France, la radio nomade (1954-1970), INA
Éditions, Paris, 2011
33 HUTH, 1937, p394
leurs stations à ondes courtes et ajoutent des antennes. La France, qui dispose aussi de stations
« géantes » (Poste national de 150 kw grâce à deux émetteurs jumelés ; Grenoble et Limoges
avec 100 kw), prépare la mise en action d’un nouveau 100 kw pour le Poste colonial (1931-
193834), le passage d’un 25 kw à 100 kw pour Bordeaux Lafayette, tandis que Moscou souhaite
mettre en place un 2 500 kw à Chadink35.
En France, en 1939, le réseau public - prévu (avec modifications) par le « Plan Ferrié »36
- disposera à Allouis de deux émetteurs de grande puissance de 450 kW (soit, couplés, de 900
kW) et de 26 émetteurs en ondes moyennes auxquels il faut ajouter 4 centres d’émissions en
ondes courtes. Le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale37 signé le 11
mai 1942 (10 ans après le « Plan Ferrié ») par André Demaison38 (1883-1956), directeur de la
Radiodiffusion Nationale à Vichy de 1942 à 1944 et ami de Pierre Laval, prévoira :
un réseau d’émetteurs à ondes moyennes,réseau d'émetteurs à ondes courtes,réseau d’émetteurs
de télévision, circuits de radiodiffusion (câbles), circuits de télévision (câbles, ondes ultracourtes),
maisons de la radio, maisons de télévision, sonorisation des villes, équipement de 20 000 écoles (radio et
34 Le 23 mars 1938, l’émetteur de 25 kW des Essarts-le-Roi est inauguré. Le Poste colonial est alors renommé
Paris-Ondes courtes, puis une semaine plus tard Paris-Mondial (1938-1940).
35 HUTH, 1937, p395
36 Le « Plan Ferrié » ou « Carte Ferrié » - dont les conclusions sont déposées le 31 juin 1931 - est le nom donné au
plan proposé par le général Gustave Ferrié qui dirige une commission à partir du printemps 1930 sur la question
sur demande d’André Mallarmé, ministre des PTT. Le plan prévoit l’installation d’un poste à ondes longues
remplaçant hors Paris l’émission de la Tour Eiffel (rappelons que c’est Ferrié qui a installé la première antenne en
haut de la Tour Eiffel) d’une puissance de 100 kW (le poste sera Allouis), d’un poste de la région parisienne
remplaçant l’émission actuelle de l’École Supérieure des P.T.T. (L’émetteur, situé au 103 rue de Grenelle, part à
Villebon-sur-Yvette (91) où sera construit en 1934 et mis en service en août 1935 un émetteur d’ondes moyennes
de 120 kW utilisé à 100 kW sur 695 kHz.), d’une station en ondes courtes pourles programmes à destination des
Colonies (ce sera tout d’abord le poste colonial, puis Issoudun)et 11 régions radiophoniques en ondes moyennes.
La « Carte Ferrié » en donne les emplacements prévus, leur puissance et longueur d’onde. Le plan définit aussi
l’infrastructure en câbles téléphoniques qui permettra de relier les studios auxcentres émetteurs.
37 Le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale est mis en place dans le cadre de la création
en 1941 de la Délégation Générale à l’Équipement National (DGEN), dirigée par François Lehideux (1904-1998 ;
ancien directeur aux usines Renault ; il bénéficie d’un non-lieu de la Haute Cour de justice en février 1949 pour
insuffisance de charges et faits de résistance ; après la guerre, il a de nombreuses activités de direction
d’entreprises : Ford France, Forges et ateliers de Commentry-Oissel, Pétro-Fouga, THEG, Poliet & Chausson,
ABG, Tunzini, Autopistas españolas). Le programme est évalué à 8 350 millions de francs. Ce document de 23
pages peut être trouvé aux Archives nationales (« Archives Raoul Dautry » AN 307AP 124). La partie concernant
le futur de la radio-télévision a été fournie par Jean-Jacques Ledos pour le présent article. Lui-même l’avait reçu
il y a trente ans de son rédacteur : Claude Mercier (1914-1994). Cet ingénieur fonctionnaire de l’Administration
des PTT est affecté à la radio depuis 1938 (première affectation). Rentré d’Allemagne, grand blessé de guerre en
1941 (il perd un bras), il entre au service de l’Administration générale de la Radiodiffusion nationale, en mars
1942 où il est affecté au Service de vérification des matériels et de documentations techniques.Il est chargé de la
mise en œuvre de l’étude. C’est un proche collaborateur de Raymond Braillard (ce dernier décède en 1945) qui
participe à l’ouvrage de Huth. En 1956, il est ingénieur général responsable des services de l’exploitation. Lors du
départ en 1963 du général Marien Leschi (1903-1971), directeur des services techniques, il assure l’intérim. Il
prend sa place en 1964 en tant que responsable des services de l’équipement et de l’exploitation et devient directeur
général chargé de l’action technique en 1972 jusqu’à sa retraite en 1974 qui est aussila fin de l’ORTF. Selon Jean-
Jacques Ledos, qui l’a rencontré à plusieurs reprises pour des raisons professionnelles (Il était « chef-opérateur de
prises de vues à la télévision de service public ».) et dans l’objectif d’entretenir « la mémoire de la radiotélévision »,
Mercier a été « mis à la retraite en 1974, à 60 ans, très meurtri de n’avoir pas pu achever le travail dont il avait
tracé les grandes lignes, en 1942, sur ordre de Raymond Braillard, lui-même mandaté par l’Administrateur de la
RN à Vichy, André Demaison lui-même soumis à la volonté du Pouvoir, en la personne du secrétaire d’État à la
Production industrielle, aux communications et au travail, Jean Bichelonne (1904-1944). » Jean-Jacques Ledos
publie son premier ouvrage historique en 1986 : Le gâchis audiovisuel.Histoire mouvementée d’un service public
(Préface de Francis Mayor, 226 p., Éditions Ouvrières) remis au Président François Mitterrand.
38 Condamné par la justice en 1945 pour sa participation au régime de Vichy (Il était aussi membre du Conseil
national.), il est finalement amnistié et réhabilité dans l’Ordre de la Légion d’honneur où il avait obtenu le rang
d’officier avant 1940.
télévision), salles de projection de télévision, équipement des cinémas en télévision, centre de recherche
et de formation du personnel.
En ce qui concerne les ondes moyennes, le plan prévoira :
4 émetteurs de 120 kW, 8 émetteurs de 25 kW, 30 émetteurs de 1 kW groupés en chaîne
synchronisée, 50 émetteurs de 2 kW « à modulation de fréquence sur ondes ultra-courtes ».
En ce qui concerne les ondes courtes, le plan prévoira :
Le plan d’équipement recommande la poursuite de la construction (en cours) au Centre
d’Issoudun de 12 émetteurs de 100-150 kW39, et aux Centres de Réaltor (Marseille) et Muret (Toulouse)
de 4 émetteurs de 25 kW.
Dans son enthousiasme, Huth ne fait guère référence ici40 aux problèmes techniques. Or,
ils sont nombreux selon l’historien en musique et musicologie André Timponi Pinto Coelho :
la « radio d’avant-guerre disposait de moyens techniques assez inefficaces. La difficulté
d’assurertoutes les transitions en direct, le déplacement de plusieurs acteurs en fonction de la position du
micro, l’introduction de la musique au cours du déroulement d’une action, tout cela entraînait des
imperfections dans l’émission et rendait souvent la compréhension difficile à l’auditeur. »41
Huth reconnaît des « troubles graves »42 dans la réception, mais le « degré de
perfection »43 peut être atteint selon lui. Et cette perfection doit être atteinte, selon Anning Smith
Prall, président de la FCC, car une « connaissance étendue et un plus ample développement
technique » donneront à la radio son « statut fixe et définitif : comme service au public de tous
les peuples du monde »44.
Dr. Max Jordan estime que la « perfection sera acquise » le jour « où ni la statique, ni
les perturbations magnétiques, ni les craquements ne troubleront plus les modulations des
symphonies de Beethoven ou des chants d’amour des indiens. »45 Le plus technicien des auteurs
- Raymond Braillard (président de la commission technique de l’UIR) - s’intéresse à
l’amélioration des moyens de transmission existants :
Quant aux réseaux actuels sur ondes moyennes (200 à 2.000 mètres), on peut prévoir que de
nouveaux progrès seront obtenus sur la base de la synchronisation des émetteurs transmettant le même
programme, de l’emploi d’antennes anti-fading46 et d’antennes dirigées à l’émission, d’un
perfectionnement plus grand des échanges entre pays, grâce à des câbles téléphoniques sans cesse
améliorés etc.47
39 Il faudra attendre les années 1950 pourque les centres A, B, C (1964), D, E (1972) d’Issoudun (Saint-Aoustrille
à quelques kilomètres d’Allouis) soient construits et mis en action.
40 Huth en parle ailleurs à propos des interférences internationales : « La réception devient un martyre, l’auditeur
souffrant des interférences constantes entre les stations des différents pays, est la pitoyable victime de ces
émissions prodigues en sifflements, grincements, craquements, gémissements, dont il conserve, aujourd’hui
encore, un souvenir horrifié ! » (p46).
41 TIMPONI PINTO COELHO André, « L’art muet, l’art aveugle ~ Le binôme radio-cinéma dans le contexte de
l’entre-deux-guerres », Syntone.fr, 12 février 2012, http://syntone.fr/lart-muet-lart-aveugle-le-binome-radio-
cinema-dans-le-contexte-de-lentre-deux-guerres/ ; lire aussi sa thèse : TIMPONI PINTO COELHO André,
L’Écoute radiophonique dansla France de l’entre-deux-guerres, sous la direction de Estebán Buch et de Martin
Kaltenecker, EHESS, Paris, 2010 (http://www.theses.fr/s63032 n’indique pas une soutenance au 14 août 2017).
42 HUTH, 1937, p394
43 HUTH, 1937, p394
44 HUTH, 1937, p407
45 HUTH, 1937, p410
46 « Anti-fading » pour anti-altération
47 HUTH, 1937, p411
En plus des questions d’ondes et de puissance d’émission, Huth s’intéresse aux
nouveaux et vastes studios de radio - les « Maisons de la Radio »48 - qui font leur apparition
dans les grandes villes du monde : Londres, Vienne, Bruxelles, Osaka, Varsovie, Tokyo… C’est
à l’étude pour Paris49. Mais comme pour les émetteurs et les récepteurs, les ingénieurs pensent
déjà en termes de mobilité (objectif de toute technologie contemporaine : téléphone, ordinateur,
tablette…) à propos des studios. Huth fait référence à un studio complet installé sur un navire
d’une compagnie australienne50.
Mais la radio - en tant que technologie de diffusion sonore via les ondes hertziennes -
n’a pas le monopole du cœur de Arno Georges Huth et ses collègues. En effet, la « Fac-similé-
télégraphie » a fait son apparition depuis juin 1936 grâce au laboratoire de la RCA avec déjà
du « haut débit » : 12 000 mots par minute entre deux villes grâce à un procédé de « photo-
télégraphie » passant par les ondes ultra-courtes51. Pour David Sarnoff52 (président de RCA et
du CA de NBC), « Le temps pourrait venir, où le « fac-similé-service » par radio sera employé
pour accroitre l’activité de nos grandes agences de presse et où il portera instantanément, par
l’éther, un journal aux lieux les plus reculés. »53. Et en effet, on peut dire rétrospectivement que
48 HUTH, 1937, p396
49 Huth semble faire référence à une « Maison de la radio » similaire à celle que nous connaissons aujourd’huiau
116 avenue du président Kennedy 75016 Paris où siège Radio France. Le Programme décennal de travaux de la
Radiodiffusion Nationale de 1942 prévoit d’en édifier à « Paris, Lyon, Marseille, Lille » et, ultérieurement à
« Bordeaux, Nancy, Nice, etc. » Des Maisons de télévision doivent également être construites à Paris, à Nice et à
Lyon. D’autres « plus petites [à] Marseille, Lille, Bordeaux. » Mais la « Maison de la radio » n’est inaugurée qu’en
1963. Auparavant, les studios de radios d’Etat ne se distinguaient pas d’autres immeubles : La Radiodiffusion-
télévision française se situait au 36 avenue de Friedland Paris 8e (1949-1963). La société Radiodiffusion française
(RDF) était au 91 avenue des Champs-Élysées Paris 8e (1945-1949). Pendant la guerre, Radio Paris était situé au
116-118 avenue des Champs-Élysées 75 Paris 8e (1940-1944), c’est-à-dire dans les studios plus « modernes » de
la radio privée Poste Parisien (1924-1940) ; auparavant Radio Paris était au 11 rue François Ier Paris 8e (1933-
1940) et, avant sa nationalisation, au 79 boulevard Haussmann Paris 8e (1924-1933). La Radiodiffusion française
nationale, plus souvent appelée Radiodiffusion nationale (RN), a eu son siège à Paris (1939-1940), puis à Vichy
(1940-1943), puis à Paris (1943-1945). Le siège Radio Tour Eiffel a d’abord été dans le pilier Nord de la Tour
Eiffel, puis au Grand Palais (à partir de 1927). Radio Paris PTT (1923-1940) - la troisième radio d’Etat - était
installée à l’École Supérieure des Postes Télégraphes et Téléphones (ex-École professionnelle supérieure des
Postes et Télégraphes-EPSPT créée en 1888 qui a une section technique et une section administrative ; ex-École
Supérieure de Télégraphie (EST) créée en 1878) qui était située au 103 rue de Grenelle au sein du ministère des
PTT (où il y avait le Service d’études et de recherches techniques). L’École déménage rue Barrault dans le 13ème
en 1934 (dans l’ancienne manufacture de gants) et est séparée en 1942 en deux entités : l’École nationale des
télécommunications, qui deviendra l’École nationale supérieure des télécommunications (ENST ; aujourd’hui
Télécom ParisTech), et l’École nationale supérieure des PTT qui forme les cadres administratifs et qui ferme en
2002. Le siège et les studios du Poste Colonial sont installés dans la Cité des informations de l’exposition coloniale
internationale puis à l’Institut colonial au 98 bis boulevard Haussmann à Paris fin décembre 1931.
50 HUTH, 1937, p396
51 HUTH, 1937, p399. Déjà en 1907, Arthur Korn associé à Édouard Belin (1876-1963), transmet de Berlin une
photographie au périodique hebdomadaire L’Illustration, à Paris, puis une autre à Londres au quotidien anglais
Daily Mirror. En 1909, à Munich,Max Dieckmann (1882-1960) expérimente un système de transmission composé
d’un disque de Nipkow pour l’analyse et d’un tube cathodique de Braun à la réception. La même année, en juin,
Ernst Walter Ruhmer (1878-1913) donne une démonstration de transmission au moyen d’une « mosaïque »
d’éléments de sélénium reçue à distance surune autre mosaïque. John Logie Baird (1888-1946) dira plus tard qu’il
a eu l’idée de ses recherches en prenant connaissance d’un ouvrage de Ruhmer consacré aux possibilités du
sélénium. (LEDOS Jean-Jacques,Dictionnaire historique de télévision.De ABC à Zworykin,L’Harmattan, Paris,
2013) Ce qui prendra le nom de « radiofacsimilé » est la transmission de facsimilé par radio. Les transmissions
sont effectuées en bande haute fréquence via la modulation FM : le « blanc » correspond à une fréquence HF (par
exemple 8039,5 kHz) et le « noir » à une autre (par exemple 8040,5 kHz) avec l’échelle intermédiaire
proportionnelle des gris.Plutôt qu’un outil pourla presse, c’est aujourd’huil’un des moyens permettant aux navires
de disposer de prévisions météorologiques sur le vent, l’état de la mer et les glaces.
52 HUTH, 1937, p408
53 HUTH, 1937, p409
le fac-similé - qui a déjà une longue et « tortueuse »54 histoire - est promis à un bel avenir, mais
principalement dans les entreprises sous la forme du fax et sur une durée relativement courte
(des années 1980 aux années 1990) compte-tenu de son remplacement par internet.
De son côté, la télévision semble déjà tangible :
- Moscou a pu suivre un tournoi d’échecs.
- 150 000 personnes ont « vu » dans 25 salles aménagées les JeuxOlympiques de Berlin55.
- La BBC a présenté « deux charmantes jeunes filles, deux beautés, d’une élégance choisie »56 qui
seront ses « speakers » (« speakerines » au féminin57).
- La couleur est déjà au programme58.
David Sarnoff considère que la radio, « tel un pionnier, continue de scruter les horizons
lointains » mais c’est la télévision qui a « le plus fortement saisi l’imagination du public »59.
Néanmoins, il n’y a pas de concurrence60 entre différents médias pour Huth car leur fusion
industrielle et technique est déjà un objectif :
- En ce qui concerne l’industrie, il s’agira de trusts multimédias :
Aux Etats-Unis, un mouvement se dessine,tendant vers l’unification de toute industrie et art du
micro. On parle d’un trust gigantesque, embrassant à la fois Cinéma, Disque, Radio et Télévision61.
- En ce qui concerne la technique, la technologie multifonction est envisagée :
Déjà, on songe en Amérique à l’appareil incrusté dans les murs, lesquels seraient
transformés en écran, ainsi qu’au poste miraculeux servant à la fois de téléphone,et de récepteurpour
la radiodiffusion, la phototélégraphie et la télévision.62
Cette fusion technologique et son perfectionnement - dont on reparle depuis l’apparition
et le développement de l’informatique et d’internet - sont encouragés par Emile Brémond,
secrétaire général des émissions de la Radiodiffusion Française, qui souhaite aussi
l’amélioration des capacités d’enregistrement. Pour lui, la radio est un instrument permettant
de « transmettre la vie »63. Or, cette capacité à « reconstituer la vie » sera améliorée par une
54 PUCCI Emilio, « La transmission par fac-similé : invention et premières applications », Réseaux, vol. 12, n°63,
1994, p127. Face aux appareils mécaniques télégraphiques de Morse ou Hugues, les appareils électriques
autographiques par « fac-similé » (à l’image du pantélégraphe de l’Italien Giovanni Caselli dans les années 1850
qui suit les premières expériences de l’Ecossais Alexander Bain et de l’Anglais Frederik Collier Bakewell dans les
années 1840) sont à la fois moins rapides et pratiques, et plus compliqués et chers.S’ils permettent de transmettre
des images, des dessins,des idéogrammes,des écritures manuscrites,des signatures,des chiffres,ils ne connaissent
un succès commercial sous la forme du fax qu’au bout de 150 ans. Lire : BRETHES Jean-Claude, Histoire de la
télécopie, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 1995
55 HUTH, 1937, p400
56 HUTH, 1937, p400
57 La première speakerine de la télévision française fut Suzy Wincker en 1935.
58 CBS lancera son programme de recherche sur la TV en 1939 et obtiendra sa licence de la FCC en 1941. RCA
produira ses premiers postes de réception après la guerre. La couleur sera brevetée en 1938 et fait l’objet d’une
première démonstration en 1944. Mais elle est commercialisée à partir de 1963 aux Etats -Unis.
59 HUTH, 1937, p407
60 Dans le rapport La radiodiffusion dans le monde de George Arthur Codding Jr. (ancien membre du secrétariat
de l’UIT et professeur à l’Université de Pennsylvanie) publié en 1959 (UNESCO, Paris,
http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001331/133160Fo.pdf), la télévision est bien vue comme une « rivale »
(p143).
61 HUTH, 1937, p401
62 HUTH, 1937, p400-401
63 HUTH, 1937, p402
collaboration avec la télévision - qui permettra de « ressusciter »64 la vie grâce à
l’enregistrement - et passera par une meilleure performance de la technique car le spirituel et
l’art sont encore trop « subordonnées aux moyens techniques »65 et matériels. Il espère qu’à
travers le perfectionnement de l’enregistrement qui devrait permettre un jour de monter un
programme radiophonique comme on monte une page d’un journal pour qu’on s’étonne un jour
« que pendant tant d’années tant d’émissions aient été abandonnées au charme trop souvent
trompeur des improvisations »66. Pour l’enregistrement mobile, il faudra être patient car le
Nagra de Kudelski sera développé à partir de 1951.
Comme le rappelle Emile Brémond, la technologie doit être un moyen et non une fin. Il
ne suffit pas d’améliorer les technologies radiophoniques de production, distribution et
réception pour développer la radiophonie. Pour Oskar Czeija, fondateur et DG de la Ravag, il
s’agit d’améliorer la qualité de la technique existante (transmissions, échanges, réception,
enregistrement, installations, sureté…) pour améliorer la qualité des programmes artistiques et
reportages, mais aussi la « propagande en faveur des affaires de l’Etat »67. Ainsi, Huth
s’intéresse tout autant aux futurs contenus diffusés. C’est moins le cas des « chefs de la radio »
qui se focalisent sur des aspects stratégiques et techniques (y compris le journaliste Dr. Max
Jordan et le chef d’orchestre Sir Adrian Boult)68.
Les programmes : pour une « paléo-radio »
Willem Vogt, directeur de l’AVRO, pense que la radio est dans une phase de transition
où elle n’est plus capable d’éblouir comme au premier jour ce qui doit l’obliger à se renouveler
pour des auditeurs « si difficiles à satisfaire »69. Pour répondre à cette problématique, Arno
Georges Huth réfléchit à la manière d’améliorer la programmation qu’il veut voir augmenter,
mais pas au prix de la qualité. Il pense qu’il ne faut pas diffuser « tout ce qui s’offre mais
seulement ce qui en vaut la peine »70 et arrêter de diffuser « une salade de milliers de petits
morceaux » au lieu d’un « bloc conçu et ordonné »71. Cela passe par le développement d’un art
64 HUTH, 1937, p403
65 HUTH, 1937, p402
66 HUTH, 1937, p402
67 HUTH, 1937, p405
68 Globalement, l’ouvrage est davantage focalisé sur les questions techniques que sur les questions
programmatiques.
69 HUTH, 1937, p406
70 HUTH, 1937, p396
71 HUTH, 1937, p396
radiophonique72, d’une « musique et d’une littérature radiogéniques »73. Huth ne précise pas ce
qu’il entend par là, mais rappelons qu’il publiera Modern Music74 huit ans après La
Radiodiffusion, puissance mondiale grâce à une collaboration avec :
- le compositeur Georges Auric (1899-1983),
- le musicologue Manfred Bukofzer (1910-1955),
- le critique, musicologue et compositeur Wilfrid Howard Mellers (1914–2008),
- le compositeur Theodore Ward Chanler (1902-1961),
- le compositeur Howard Hanson (1896–1981).
Pour le présent ouvrage, il a interrogé le Sir Adrian Boult, directeur musical de la BBC,
qui reconnaît, suite à un débat avec des musiciens, que la radio est « elle-même un art des sons »
- un « nouvel art » -, que les « règles établies par nous musiciens, dans l’interprétation de notre
art, pouvaient s’appliquer, avec une précision parfaite, à la diffusion de toute autre matière » et
que la « musique, nécessairement, joue un très grand rôle dans les programmes »75.
Pour Huth, il faut dès lors recruter de nouvelles équipes d’auteurs pour concevoir des
œuvres vivantes et originales. Mais ces œuvres doivent être diffusées sous un volume aussi
réduit que possible car « le micro ne supporte pas les longueurs. Il a horreur du superflu et de
l’inutile. »76 Le recrutement et l’amélioration des programmes appellent le développement :
- d’« Ecoles de la Radio »77,
- de la recherche à l’université78,
72 Rappelons que Pierre Schaeffer met en place son studio d’essais radiophoniques en 1942 (SCHAEFFER Pierre,
10 ans d’essais radiophoniques, du Studio au Club d’essai, 1942-1952, Arles, Phonurgia Nova, 1994 ;
SCHAEFFER Pierre, « Pollution mentale », Cahiers de l’Institut de Science Economique Appliquée. Vol. 6., n°4,
avril 1972, p813-845 ; TOURNET-LAMMER Jocelyne, « Sur les traces de Pierre Schaeffer - Archives 1942-
1995 », n°93, p154-156 ; TOURNET-LAMMER Jocelyne, « Pierre Schaeffer et le Service de la recherche de
l’ORTF (1960-1974) », Hermès, n°48, 2007/2, p77-86 ; TOURNET-LAMMER Jocelyne (sous la direction de),
« Pierre Schaeffer : la traversée d’un siècle », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°107, janvier-mars 2011).
Paul Deharme, auteur de Pour un art radiophonique (Le rouge et le noir, Paris, 1930), souhaite que la radio soit
davantage qu’une simple technique de transmission : « Nous voulons que les programmes soient "radiophoniques",
au lieu d’être […] des resquilles de concerts publics » (Entretien accordé à Karl Hamerlinck et publié par Comœdia
au début de 1933 [Cité dans ROBERT Guy, « Paul Deharme (1898-1934) », Cahiers d’Histoire de la
Radiodiffusion, n°80, p182]). Mais « [s]i Deharme prétend que radiophonie rime avec création, beaucoup sont
franchement opposés à cette équation » selon Christophe Bennet (La musique à la radio dans les années trente ;
la création d'un genre radiophonique, L’Harmattan, Paris, 2010, p109). Lire : ROBERT Guy, « Deux ouvrages
sur la radio et l’art radiophonique en 1930 », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert (sous la direction de),
« L’année radiophonique 1930 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°64, avril-juin 2000 ; HERON Pierre-
Marie, « Aux origines de l’art radiophonique : Paul Deharme et la voix du subconscient »,in Éclats de voix, Actes
du colloque de Besançon réunis par Pascal Lécroart et Frédérique-Toudoire-Surlapierre, Éditions L'improviste,
2005 ; FARABET René, « L’Atelier ? une aventure », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert, « L’année
radiophonique 1937 », Cahiersd’Histoire de la Radiodiffusion,n°92, avril-juin 2007, p202-209 ; COHEN Andrea,
Les compositeurs et l’art radiophonique, Editions INA – L’Harmattan, Paris, 2015 ; PARDO Céline, La poésie
hors du livre (1945-‐ 1965),Le poème à l’ère de la radio et du disque, Presses de l’université Paris‐ Sorbonne,
dans la collection « Lettres Françaises », en partenariat avec l’INA, Paris, 2015
73 HUTH, 1937, p396
74 Modern Music, V22, n°3, mars-avril, 1945 (74 pages) édité par Minna Lederman et Frani Muser
75 HUTH, 1937, p411-412 ; Lire au sujet du passage du clavier au micro le dossierétabli et rédigé par Christophe
Bennet et coordonné par Jocelyne Tournet-Lammer « Musiciens de l’entre-deux-guerres : du clavier au micro »,
Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°124, avril-juin 2015
76 HUTH, 1937, p396
77 HUTH, 1937, p396
78 Arno Georges Huth fait référence à deux thèses de doctorat soutenues au Pays-Bas, aux experts de la TSF qui
enseignent dans des universités américaines, à l’Ecole Politique à Berlin qui a créé une chaire de propagande
radiophonique en la confiant au directeur général de la Société de radiodiffusion du Reich (Reichs -Rundfunk-
Gesellschaft ou RRG et future Großdeutscher Rundfunk).
- d’une bibliothèque publique internationale de radiodiffusion sous la responsabilité de la Société des
Nations.
L’« œuvre éducative de la Radio doit être généralisée, et perfectionnée de plus en plus
par la présentation des émissions comme par la teneur »79 via des commandes (qui existent déjà
aux Etats-Unis) et des échanges de programmes au niveau national et international (l’écoute
internationale à grande distance étant « soumise à trop d’aléas techniques »80). Ainsi, il sera
possible de faire des écoutes collectives81 et de former des « groupes de discussion »82.
Avec les précautions qu’il faut prendre en utilisant un néologisme, on peut avancer
l’hypothèse qu’Arno Georges Huth se situe davantage du côté de la « paléo-radio » que de celui
de la « néo-radio ». C’est Umberto Eco qui a opposé la notion « néo-télévision » à celle de
« paléo-télévision » dans L’Espresso en 198383. La « paléo-télévision », que l’on situe entre les
années 1950 et 197084, se veut être une fenêtre sur le monde appuyée sur des idéaux humanistes,
culturels et pédagogiques et une relation hiérarchisée avec le téléspectateur. C’est une télévision
sérieuse, rationnelle, structurante, institutionnelle, volontariste, dirigiste, étatique qui est à son
sommet en France avec l’ORTF. A l’opposé, la « néo-télévision » est une télévision de la
proximité, de la convivialité, du divertissement, de la discussion, de l’interactivité, de
l’émotion, de la décontraction, de la continuité, de la vie quotidienne. Plutôt « commerciale »,
elle apparait en France dans les années 1980-1990 (avec la privatisation de TF1, l’apparition de
Canal +, La Cinq, M6) et a une relation égalitaire avec le téléspectateur.
Mais dans l’histoire de la radio française, la « néo-radio » a devancé en quelque sorte la
« paléo-radio » - ou du moins coexisté avec elle - puisqu’il y a eu une période de privatisation
des ondes dans les années 1920-193085. La recherche sur la musique à la radio dans les années
79 HUTH, 1937, p396-397
80 HUTH, 1937, p396
81 HUTH, 1937, p397. Il est intéressant de noter le retour de l’écoute collective dans les années 2010 où le
numérique et internet permettent pourtant une écoute radiophonique individuelle et personnalisée. Depuis 2016,
Laure Bedin y consacre une thèse intitulée « La radio en commun. Analyse des dispositifs d’écoutes collectives
de la radio et communication sonore médiatisée » sous la direction de Jean-Jacques Cheval. Lire l’article de Laure
Bedin « L’écoute collective comme écoute d’avenir » dans ce même numéro 132 des Cahiers d’Histoire de la
Radiodiffusion.
82 HUTH, 1937, p397
83 CASETTI Francesco et ODIN Roger, « De la paléo- à la néo-télévision », Communications,vol. 51, n°1, 1990,
p9-26 ; TUDORET Patrick, « La Paléo-Télévision : une nouvelle fenêtre sur le monde », in « L’ambivalence du
mythe de l’ORTF », Quaderni, n°65, hiver 2007-2008, p93-101
84 « La télévision qui s’ancre sous la Quatrième République instaure un modèle de télévision fondé sur la
transmission du patrimoine et qui soutient l’idée d’une télévision comme instrument culturel au service de l’unité
et de l’égalité entre les hommes. La télévision sous de Gaulle est investie d’une mission d’éducation morale et de
guide au service du rassemblement des Français. Elle est aussipensée comme une représentation de la France. »
(LEVY Marie-Françoise, « Télévision, publics, citoyenneté », in Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (sous
la direction de), La télévision des Trente Glorieuses, CNRS, Paris, 2007).
85 C’est une spécificité française d’avoir un double réseau privé et public à l’entre-deux-guerres. René Duval
montre que les associations de sans-filistes quiont été partie prenante,voire le moteur, des activités radiophoniques
pendant les années 1920 se sont lentement fait déposséderde leurs prérogatives par les politiques centralisatrices
des gouvernements successifs (lire : DUVAL René, Histoire institutionnelle de la radio en France, thèse de
doctorat en Sciences de l’information, Université de Paris II Panthéon-Assas,1979, publiée la même année sous
le titre Histoire de la radio en France, Alain Moreau, Paris). Puis, vient la période de contrôle et de censure avant
et pendant la guerre jusqu’à l’installation du monopole à la Libération. Les radios périphériques prolongeront
l’existence du paradigme « néo-radiophonique » avant l’arrivée des « radios libres » qui lui donneront une nouvelle
impulsion : interactivité, divertissement, musiques « populaires »... qui ne semblent pourtant n’avoir jamais été le
monopole des radios privées commerciales notamment du fait de la course à l’audience et du fait que le service
public doit plaire à tous les publics.
193086 de l’historien Christophe Bennet part des travaux de Pascal Ory87, Régine Robin88 et
Patrice Flichy89 dont ressort bien deux logiques :
Au projet d’un partage culturel [paléo-radiophonique], d’un côté, s’oppose la séduction rapide
de tous [néo-radiophonique], de l’autre : la première logique, plus politique, véhiculant l’idée d’une
acculturation90 de la population à des « musiques cultivées »91 ; la seconde orientation,plus pragmatique,
conduisant à une utilisation du média comme séduction,comme moyen de satisfaction immédiate par des
produits moins légitimés.92
Huth ne semble pas satisfait des programmes de cette « néo-radio » et espère la mise en
place d’une « paléo-radio ». Marcel van Soust de Borkenfeldt, Ladislav Sourek et Maurice
Rambert partagent cette vision « paléo-radiophonique » :
- Marcel van Soust de Borkenfeldt, fondateur et DG de l’Institut National Belge de
Radiodiffusion, souhaite voir évoluer la radio vers plus de qualité : « distraire, mais aussi enseigner,
amuser, mais aussienrichir ». Il faut qu’elle « serve efficacement la pensée et la beauté », donc il ne s’agit
pas de diffuser « seulement des informations, mais de grandes et belles œuvres du passé et du présent ».
En ce qui concerne le public visé, il s’agit de « mettre à disposition de tous les hommes le patrimoine de
connaissance et de beauté » - ni seulement les « foules », ni seulement les « privilégiés » -mais de « lui
assurer l’audience des milieux intellectuels et le contrôle attentif des élites »93.
- Ladislav Sourek, fondateur et DG de la société « Radiojournal », pense que la radio est une
« sorte de correcteur de la culture et de la vie sociale »94.
- Maurice Rambert, président de l’UIR, pense que la radio ne pourra « que contribuer pour une
très large part au développement de l’instruction, de l’intelligence, du bien-être. »95
Si la télévision se développe (Cela ne semble pas faire de doute dans l’esprit des « chefs
de la radio ».), il s’agira, pour David Sarnoff, qui confiait à la radio dès 1922 la mission
86 BENNET Christophe, Musique et radio dans la France des années trente. La création d’un genre
radiophonique, thèse de doctorat en Histoire de la musique et Musicologie, sous la direction de Michèle Alten,
Paris-Sorbonne, Paris, 2007
87 ORY Pascal, La Belle Illusion : culture et politique sous le signe du Front populaire, 1935-1938, Plon, Paris,
1999
88 ROBIN Régine (sous la direction de), Masses et culture de masse dans les années 30, Les éditions ouvrières,
Paris, 1991
89 FLICHY Patrice, Une histoire de la communication moderne.Espace public et vie privée, La Découverte,Paris,
1991
90 Christophe Bennet reprend la définition de Pascal Ory : « l’inscription au sein d’une culture de formes perçues
par cette dernière comme lui étant étrangère » (L’Histoire culturelle, PUF, Paris, 2004, p112).
91 Expression de Régine Robin.
92 BENNET, 2010, p10
93 HUTH, 1937, p405
94 HUTH, 1937, p406
95 HUTH, 1937, p402
triptyque « divertir, informer et éduquer »96 à la NBC97, de mettre en place une « paléo-
télévision » avec des caractéristiques propres à ce média :
La télévision n’accomplirait guère de fonction utile, si elle se contentait de doubler les services
rendus parle studio sonore.Sa véritable tâche serait de créer des formes d’éducation et de divertissement,
résultant essentiellement de l’image visuelle pour laquelle le son n’est qu’un supplément. La télévision
devrait donc, en dernier lieu, apporter à chaque foyer sa contribution artistique aussi bien que pratique,
contribution qui lui demeurerait parallèle sans toutefois prétendre à remplacer les services habituels de la
radiodiffusion.98
D’autres auteurs « chefs de la radio » - surtout américains - semblent plus proches d’une
conception « néo-radiophonique ». Ainsi de Lenox Riley Lohr, président de NBC, qui pense le
« succès futur dépendra de notre habilité à donner au public le programme qu’il désire. »99 S’il
pense que la radio constitue « le plus magnifique moyen d’aider à rendre les hommes plus sages
et plus heureux, quelle que soit leur position dans la vie »100, William S. Paley, fondateur et
président de CBS, explique son raisonnement « néo-radiophonique » - où il incite à mettre en
96 John Charles Walsham Reith (1889-1971), fondateuret directeur de la BBC de 1922 à 1938, inverse l’ordre des
mots et utilise la formule « Informer, éduquer et divertir » selon le témoignage de Marista Leishman, sa fille
(LEISHMAN Marista, My Father, Reith of the BBC, Saint Andrew Press, Norwich, 2008). C’est la philosophie du
Programme du Conseil national de la Résistance qui est reprise et appliquée par Jean d’Arcy (1913-1983), figure
historique de la télévision française des années 1950 en tant que directeurdes programmes de la télévision française
(1952-1959) : « Je crois que ce serait une erreur d’avoir des programmes de distraction pure, des programmes
d’information sèche,et des programmes d’instruction trop pédagogiques.Je crois au contraire que le programme
bon est celui qui se joue entre ces trois catégories, c’est le programme à la fois de distraction et d’information,
d’instruction et de distraction. » (Jean d’Arcy, « Distraire, informer, instruire, un seul et même programme »,
conseils et comités des programmes de la RTF, réunion du 4 juin 1959). Les variations françaises ont privilégié
« cultiver » plutôt que « éduquer» (ou les deux) car « "Education" est apparue rapidement trop formel, peut-être
peu attirant vu la nature populaire (universelle ?) du média télévisuel. » (BOURDON Jérôme, « Le service public
de la radiotélévision : l’histoire d'une idéalisation », Les Enjeux de l’information et de la communication,n°14/2,
2013/2) : l’ORTF « […] assure le service public de la radiodiffusion et de la télévision […] En vue de satisfaire
les besoins d'information, de culture, d'éducation et de distraction du public » selon l’article 1 de la loi du 27 juin
1964 créant l'ORTF ; elle doit « répondre aux besoins et aux aspirations de la population, en ce qui concerne
l’information, la culture, l’éducation, le divertissement et l’ensemble des valeurs de civilisation » selon l’article 1
de la loi n°72-553 du 3 juillet 1972 portant statut de la Radiodiffusion-Télévision française (J.O. 4 juillet 1972,
p6851) ; « le service public de la radiodiffusion sonore et de la télévision […] a pourmission d’intérêt général […]
en répondant aux besoins contemporains en matière d’éducation, de culture […]en répondant aux besoins des
Français de l’étranger en matière d’information, de distraction et de culture […] » selon l’article 5 de la loi du 29
juillet 1982 ; voire « cultiver, informer, distraire » (Jean Cazeneuve dans CAZENEUVE Jean, DANGEARD Alain,
NOAILLES Hélie De, STUDER William (sous la direction de), ORTF 73, Presses de la Cité, coll. « Presses
Pocket », Paris, 1973, p31). Les cahiers des charges des sociétés nationales de programmes créées en 1974
regroupaient un grand nombre de missions hétéroclites seulement raccordées entre elles par la trilogie aux contours
imprécis « cultiver, éduquer, distraire ». Lire le chapitre XII « Éduquer, informer, distraire » dans La radio de
Patrice Cavelier et Olivier Morel-Maroger (n°3748, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2008), les
articles « Les perspectives de renouveau du service public de la radiodiffusion dans le contexte de la libéralisation »
de Candice Albarède et « Le service public de la radiotélévision : l’histoire d’une idéalisation » de Jérôme Bourdon
dans Les Enjeux de l’information et de la communication (n°14/2, 2013/2), la partie 1 « « Informer, cultiver,
distraire », 3 missions mais des pratiques diverses » de La télévision et les arts. Soixante années de production
sous la direction de Roxane Hamery (Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2014).
97 LEDOS Jean-Jacques, « 1996 : centenaire de la radio ? », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°49, Juin-
Août 1996 qui cite BILBY Kenneth, The General David Sarnoff and the Rise of the Communication Industry,
Harper & Row Pub., New York, 1986, p69
98 HUTH, 1937, p408
99 HUTH, 1937, p409. Difficile de ne pas penser ici à la future concurrence en termes d’audience : POULAIN
Sebastien, « La 55 000 ou l’avènement de la radiométrie moderne », in Thierry Lefebvre (sous la direction de),
Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°129, juillet-septembre 2016
100 HUTH, 1937, p409
place une relation symbiotique entre le producteur, le récepteur et le message - qui peut aussi
être justifié commercialement :
Souvent dans l’histoire des sciences et des inventions, on permet au développement physique
d’une invention d’usurper la place que celle-ci devrait tenir dans la vie humaine. Trop souvent,il arrive
que la machine, concentrée surson propre perfectionnement, cesse d’aller de pair avec les besoins sociaux
qu’elle devait servir. La structure de la radiodiffusion dans l’avenir ne serait de la plus haute valeur, que
si elle était traitée comme organe vitale au service du peuple.101
5 ans après la sortie de La Radiodiffusion, puissance mondiale, le Programme décennal
de travaux de la Radiodiffusion Nationale donnera une conception « paléo-radiophonique » de
la radio en lui donnant trois fonctions (valables aussi pour la télévision) dans son préambule :
- un puissant instrument de gouvernement,
- un moyen efficace d’information, d’enseignement et d’éducation,
- à l’origine d’une très grande industrie, facteur de prospérité et de progrès.
En plus des objectifs technologiques (les émetteurs et la télévision), ce programme
insiste sur le fait qu’il s’agit de « créer des moyens d’action de propagande et d’éducation
accessibles au grand public ». Ce n’est pas étonnant compte-tenu du contexte où le régime de
Pétain mobilise tous ses moyens pour se légitimer.
Mais rappelons-nous qu’il y a des décalages entre les intentions, les attentes, les idéaux
de certains – les politiques, les dirigeants, les artistes, les critiques, les auditeurs – et ce qui est
effectivement programmé. De même que l’opposition binaire entre « néo-télévision » et
« paléo-télévision » doit être nuancée d’un point de vue diachronique et synchronique102,
l’opposition entre « néo-radio » et « paléo-radio » est manichéenne. Christophe Bennet observe
que « la tension conflictuelle entre deux conceptions contradictoires du média radiophonique
résulte […] des situations musicales complexes, mêlant bricolage, compromis et
inventivité. »103 Au-delà des propos tenus dans d’innombrable controverses sur ce qui doit être
l’objectif de la radio et en particulier la radio publique, les recherches sur la musique à la radio
dans les années 1930 montrent que
[c]e sont surtout des similitudes, un air de famille, qui constituent la substance même de la
radiophonie musicale de la décennie. Partagés entre leurs convictions et la conservation d’une audience,
les postes émetteurs tâtonnent,cherchent,trouvent,inventent et se parodient réciproquement.Généralistes
de fait, ils sont confrontés aux antagonismes de leurs auditeurs, cette masse invisible et pourtant
« bruyante ».104
Qu’ils soient « paléo-radiophoniques » ou « néo-radiophoniques », ces objectifs visent
à s’appliquer sur l’ensemble de la planète, la radio étant pensée comme un instrument politique
pour organiser, pacifier, fabriquer la société par le symbolique sonore amplifié techniquement.
La mondialisation comme nouvel espace de la radio
101 HUTH, 1937, p409. Pour l’opposition entre privé/public qui recoupe en partie l’opposition néo/paléo, lire :
BENNET Christophe « La musique radiodiffusée en 1937 : le clivage entre stations publiques et privées se
précise », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1937 »,
Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°92, avril-juin 2007
102 Notons que cela ne veut pas dire que le modèle de la « paléo-télévision » - cet idéal-type - n’existe plus
aujourd’hui, ni que celui de la « néo-télévision » était inexistant avant les années 1980-2010. Les deux paradigmes
ont toujours coexisté, y compris au sein de la télévision publique, mais le paradigme « paléo-télévisuel » dominait
la télévision publique quand celle-ci avait le monopole de production, de programmation et de diffusion.
103 BENNET, 2010, p10
104 BENNET, 2010, p320
Pour Huth, la radio du futur est mondiale, à l’image du travail de l’Union Internationale
de Radiodiffusion (UIR)105, qui vient de convoquer au printemps 1936 une Réunion
Intercontinentale, qui aide à :
- l’échange de programmes (le programme de l’« Empire-Service » avec des contributions de 36
localités de l’Empire britannique à Noël 1934, « La Jeunesse chante au-delà des frontières » où sont
confrontés les programmes de tous les pays en octobre 1935…),
- la diffusion de « concerts mondiaux106 » (automne 1936 pour les compagnies américaines107,
printemps 1937 pour l’Argentine, bientôt les Indes néerlandaises et le Congo belge…),
- la création d’un bulletin d’information intercontinental108.
Avec le monde comme « une seule et immense salle de concerts »109 « dans votre
chambre »110, Huth annonce le « village global » dont parlera Marshall McLuhan 30 ans plus
105 L’UIR fait partie de la « nébuleuse d’organisations internationales qui caractérise la période 1920-1940 »
(RUPPEN COUTAZ, 2015, p22). Par exemple, l’Organisation de coopération intellectuelle (OCI), ancêtre de
l’UNESCO, est reconnue formellement en septembre 1931 (tardivement selon Jean-Jacques Renoliet : L’Unesco
oubliée : la Société des nations et la coopération intellectuelle, 1919-1946, Publications de la Sorbonne, Paris,
1999, p17) comme un organe technique de la Société des Nations.
106 L’UIR organise des Nuits nationales (1926-1931 ; un programme musical et littéraire proposé par une nation à
tour de rôle et diffusé à la même heure), Concerts européens (1931-1939 ; productions musicales nationales
diffusées pendant 60 minutes le dimanche soir), Concerts internationaux (1932-1939 ; dons des meilleurs
programmes musicaux nationaux), Concerts mondiaux (1936-1939 ; 30 minutes proposés pardes extra-européens)
qui ont chacun une zone de diffusion déterminée (LOMMERS, 2012, p241-242). L’expression de « Concert
européen » a une origine diplomatique comme le rappellent Léonard Laborie et Suzanne Lommers (« Les concerts
européens à la radio dans l’entre-deux-guerres. Mise en ondes d’une métaphore diplomatique ? », Le Temps des
Médias. Dossier Espaces européenset transferts culturels,n° 11, hiver 2008/2009, p110-125). Elle s’est imposée
au début du XIXe siècle pourdénommer un nouveau mode de régulation et d’organisation de l’Europe. D’un point
de vue radiophonique, ils sont pensés dès le milieu des années 1920 via constitue une « Commission de
rapprochement intellectuel, artistique et social » de l’UIR, lancés à partir de 1929 à titre très expérimental et au
milieu d’autres expériences : « transmissions de discours tenus à la SDN, en particulier à l’occasion de l’entrée de
l’Allemagne dans l’institution (1926), relais de discours et de musique en Scandinavie – le premier en juin 1926
sous l’auspice de la Ligue des femmes pour la Paix et la Liberté -, échanges réguliers de concerts symphoniques
par fils aériens… » (p115) Ils sont réellement inaugurés en séries régulières à partir de 1931 ce qui fait 60 concerts
produits par 28 radiodiffuseurs européens jusqu’à 1939 (p117). Ils sont rendus possibles par la collaboration de
l’UIR et du Comité consultatif international des communications téléphoniques à longue distance en Europe
(CCIF). Le concert inaugural du 1er septembre 1929 a une organisation très spécifique par rapport à ceux qui vont
suivre dans les années 1930 où il y aura simple diffusion de concerts à travers plusieurs radios : « Les
instrumentistes restent invisibles, mais leur musique est entendue en direct à la fois dans les halls des hôtels,grâce
à des haut-parleurs, et dans les foyers, à Genève, en Suisse et au-delà, grâce aux stations de radiodiffusion qui
participent à l’opération. Ce qui fait l’originalité du concert est surtout qu’il est distribué : les instrumentistes sont
répartis à travers le continent européen, un dispositif technique complexe permettant de les coordonner et
d’assembler leurs mélodies. » (p112) Il y a « trois « lieux d’origine » des émissions – Zurich, Paris-Colombes,
Genève –, les stations de Vienne, Londres, Paris, Berlin, Milan, Hambourg, Francfort-sur-le-Main, Leipzig,
Cologne et Stuttgart ayant pour leur part « exécuté » le relais. » (p114). Ces programmes devaient nourrir un
sentiment de communion chez les auditeurs via une expérience symbolique collective : « Tous traduisaient […] la
même volonté de mettre la technique la plus moderne au service de la reconstruction de l’Europe sur des bases
pacifistes, voire unitaires, en combinant téléphonie et radiodiffusion et en subsumant les frontières. » (p119)
107 Dr. Max Jordan fait référence au programme transmis par KDKA (Pittsburgh) vers le poste de Manchester de
la BBC le 31 mars 1922. En 1936, les réseauxaméricains ont organisé « environ 1.000 transmissions de l’étranger,
provenant de tous les coins du monde » (HUTH, 1937, p410). La NBC a pris 486 programmes à elle seule depuis
l’Europe (HUTH, 1937, p410). Jordan se souvient aussique Marconi a annoncé « il y a quelque temps, qu’il était
convaincu que la télévision transatlantique serait réalisable un jour » (HUTH, 1937, p410).
108 Ajoutons que l’UIR et l’Union internationale des télécommunications (UIT) ont organisé de nombreux voyages
d’études.Selon Raphaëlle Ruppen Coutaz, « la plupart des directeurs de studio [suisses]iront visiter au moins un
service de radiodiffusion à l’étranger afin d’examiner les nouveauxformats d’émissions. » (2015, p427)
109 HUTH, 1937, p399
110 HUTH, 1937, p401
tard111. Comme le promettront plus tard les promoteurs d’internet, des réseaux sociaux
numériques, de téléphone mobile, « l’isolement des régions éloignées […] appartiendrait
désormais aux temps passés ! »112 car la radio « ignore les murs, barrages, frontière. L’Univers
est son royaume… »113 Ainsi, Huth - qualifié de « militant pacifiste dans l’esprit de la Société
des Nations » par Jean-Jacques Ledos - conclut par l’espoir qu’il porte quant aux effets
pacifistes de la radio sur le monde :
Puisse-t-elle n’oublier jamais que cette puissance même lui impose de lourds devoirs, lui confère
de terribles responsabilités.
Instrument pacifique, elle peut devenir redoutable. Et de tous les bienfaits que nous devons au
génie des chercheurs, il ne resterait plus qu’une arme empoisonnée, menaçant des plus graves
dangers l’humanité entière.
Puissance mondiale, la Radio doit servir le monde.
Servir le monde, c’est servir la Paix !114
Compte-tenu de la puissance qu’il attache à ce média, Huth a tendance à faire de
l’anthropomorphisme : la radio prend en quelque sorte son autonomie par rapport aux hommes
qui sont pourtant les utilisateurs du média et donc les seuls responsables.
Pour plusieurs « chefs de la radio », la radio semble pouvoir devenir un outil (une
« arme ») pacifiste115 : « Créant l’harmonie et la compréhension entre les êtres humains, elle
peut être l’arme la plus efficace contre les guerres. » selon Lenox Riley Lohr. Pour Oskar Czeija,
la pacification passera par davantage d’échanges :
L’extension de l’échange international va enrichir considérablement le programme
radiophonique et accroître la compréhension et estime mutuelle des peuples pour leurs efforts artistiques
111 MCLUHAN Marshall, The Medium is the Massage, Bantam Books, New York, 1967
112 HUTH, 1937, p401
113 HUTH, 1937, p413
114 HUTH, 1937, p413
115 Les stations de radio ayant tendance à brouiller les unes des autres,l’objectif de pacification est déjà celui qui
a mené à la création de l’UIR. Mais suite à ses échecs, le Plan de Prague du 4 avril 1929 répartit les longueurs
d’onde (ou fréquences) dans l’espace européen en application de la Conférence internationale de Washington de
1927 réunie par la commission spécialisée de l’Union Télégraphique Internationale (UTI) : le Comité Consultatif
International des Radiocommunications-CCIR créé en 1927. L’Union Internationale de Radiophonie (UIR)
devient l’Union Internationale de Radiodiffusion (UIR) suite à la conférence de Prague et gardera seulement un
rôle de conseiller technique.L’UTI devient l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) en 1932 lors de
la conférence de Madrid où sont réparties les ondes hertziennes entre ces différents moyens de communication.
Elle s’ouvre à tous les organismes exploitant un service de radiodiffusion, y compris les administrations d’Etat qui
étaient exclues jusque-là. Le 15 mai 1933, une conférence radioélectrique (150 délégations de 37 pays européens)
réunie par l’UIR à Lucerne modifie les répartitions établies par le Plan de Prague. Au niveau de la Société des
nations,celle-ci prie l’Institut International de Coopération Intellectuelle (IICI ; 1926-1946) de faire en sorte que
la recherche qu’il mène alors surle volet éducatif de la radiodiffusion s’étende également à « toutes les questions
internationales que soulève l’emploi de la radiodiffusion au point de vue des bons rapports entre nations » dans
une résolution du 24 septembre 1931. En février 1933, un comité d’experts se réunit à l’IICI et fait un certain
nombre de suggestions pourrendre pacifique l’usage de la radio ce qui donne lieu à la publication de la brochure
intitulée La radiodiffusion et la paix : études et projets d’accords internationaux (Paris, 1933, 198 p.). A la suite
de ce travail, en septembre 1933, l’Assemblée de la SDN adopte la proposition que lui soumet la Commission
Internationale de Coopération Intellectuelle (CICI ; 1922-1946) de dresserun projet de convention internationale
sur la radiodiffusion et la paix destiné à être soumis aux gouvernements. Le 23 septembre 1936, une Convention
internationale est signée par la plupart des pays membres de la SDN, mais seuls 10 États y adhérent au moment de
son entrée en vigueur, le 2 avril 1938... Lire : RENOLIET Jean-Jacques,L’Unesco oubliée : la Société des nations
et la coopération intellectuelle, 1919-1946, Publications de la Sorbonne, Paris, 1999 ; WATINE Marie F. et LE
GOURRIEREC Alain, « L’Union internationale des Télécommunications face aux nouveautés techniques »,
Annuaire français de droit international, vol. 24, n°1, 1978
et leur civilisation. A la Radio revient la tâche immense d’unir les hommes, tâche qu’on entourera – il
faut l’espérer – des soins les plus attentifs.116
Anning Smith Prall, président de la FCC, espère aussi que la radio va amener « une
meilleure compréhension entre les peuples »117. De même pour la télévision qui « sera une
contribution magnifique à l’art radiophonique » et qui devrait aussi aider à créer une « entente
mutuelle entre les peuples du monde »118. Maurice Rambert, président suisse de l’UIR, est celui
qui porte le plus d’espoir : il « espère » que la radio contribuera « au rapprochement des
peuples119 et à l’instauration de la paix intégrale et définitive. »120
Mais cette mondialisation se heurte à quelques obstacles techniques, administratifs,
juridiques, politiques qui empêchent le développement de la radio et de la paix. Charles
Carpendale, DG délégué de la BBC, observe que ce futur « va-de-soi » radiophonique est freiné
par le fait que la radio est « quelque chose en soi » et non une « boite aux lettres » : sa production
et sa réception sont liées à des contextes et spécificités nationales121. L’insistance des auteurs
sur l’espoir de la pacification du monde par la radio montre leurs doutes et peurs. La Seconde
Guerre Mondiale et sa « guerre des ondes » frappent déjà à la porte et les radios s’y préparent122.
En 1937, où est publié La Radiodiffusion, puissance mondiale, Hitler a déjà remilitarisé la
Rhénanie, ouvert des camps pour les tziganes et il persécute les juifs. L’Italie a envahi l’Ethiopie
à partir d’octobre 1935 et est sorti de la SDN, tandis que la guerre d’Espagne a débuté en juillet
1936.
D’un point de vue politico-technique, Anning Smith Prall, président de la FCC,
considère que le manque de fréquences est un frein au développement international. « Il est
donc entièrement possible que, pour cette raison, l’échange international de programmes soit
basé plutôt sur le système de circuits téléphoniques que sur celui d’une diffusion directe »123.
George Arthur Codding Jr. soulignera à nouveau ce frein dans son rapport La radiodiffusion
dans le monde pour l’ONU de 1959124 :
116 HUTH, 1937, p405
117 HUTH, 1937, p407
118 HUTH, 1937, p407
119 Les expressions « rapprochement des peuples », « meilleure compréhension entre les peuples » ou « l’entente
entre les peuples » sont particulièrement usitées à cette époque. L’UIR publie un numéro spécial consacré aux
activités de la radiodiffusion en matière de rapprochement des peuples : Union internationale de radiodiffusion,
« La Radiodiffusion : instrument de rapprochement international », Radiodiffusion: revue semestrielle des
problèmes radiophoniques = a halfyearly review of broadcasting problems = Halbjahreszeitschrift für
Rundfunkprobleme, n° 4, UIR, Genève, juillet 1937
120 HUTH, 1937, p402
121 HUTH, 1937, p403
122 ULMANN-MAURIAT Caroline, « 1938, la radio vers un dispositifde guerre »,in Guy Robert (sous la direction
de), « L’année radiophonique 1938 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°96, avril-juin 2008, p7 ;
ULMANN-MAURIAT Caroline, « 1939, La radio bascule dans la « drôle de guerre » », in Caroline Ulmann-
Mauriat et Guy Robert, « L’année radiophonique 1939 », n°100, avril-juin 2009 ; LAUZANNE Bernard (sous la
direction de), « La radiodiffusion en France en 1940 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°27, décembre
1990, p1; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « La radiodiffusion en France en 1941 »,Cahiers d’Histoire
de la Radiodiffusion,n°30, septembre 1991 ; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « L’année radiophonique
1942 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°34, septembre-novembre 1992 ; LAUZANNE Bernard (sous
la direction de), « L’année radiophonique 1943 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°38, septembre-
novembre 1993 ; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « L’année radiophonique 1944 »,Cahiers d’Histoire
de la Radiodiffusion,n°42, septembre-novembre 1994 ; ECK Hélène (sous la direction de), La guerre des ondes.
Histoire des radios de langue française pendant la Deuxième Guerre mondiale (France, Belgique, Suisse et
Canada), Armand Colin, Paris, 1985 ; FAVRE Muriel, La propagande radiophonique nazie, Ina, Paris, 2014 ;
PARROT Jacques, La guerre des ondes, de Goebbels à Kadhafi, Plon, Paris, 1987
123 HUTH, 1937, p407
124 Jean-Jacques Ledos dispose d’un texte similaire mais bien moins développé qui date de 1953 et qui pourrait
être du même auteur. Dans Publikum und Information. Entwurf einer ereignisbezogenen Soziologie des
l’échec des efforts déployés pourarriver à un accord surl’attribution des fréquences aux services
de radiodiffusion des divers pays a imposé des restrictions à l’emploi des ondes hertziennes dans les
communications internationales…125
Cela a abouti « à la situation chaotique régnant dans la bande des ondes courtes »126.
Avec le brouillage volontaire, les choix politiques d’horaire d’émission des programmes
destinés à l’étranger, c’est l’une des raisons de l’échec de la radiodiffusion internationale,
comme le constate cet ancien membre du secrétariat de l’UIT et professeur assistant de science
politique à l’université de Pennsylvanie :
Chaque jour, pendant des centaines d’heures,des programmes sont émis à destination de toutes
les parties du monde ; théoriquement, un auditeur disposant d‘un bon poste récepteur sur ondes courtes
pourrait capter des émissions étrangères à presque chaque heure du jour ou de la nuit. I1 pourrait même,
dans certaines régions, choisir entre plusieurs douzaines de programmes différents. Et pourtant, malgré
l’énorme dépense en argent et en énergie humaine qu’entraînent ces émissions, l’auditoire international
est en fait restreint. Sur le plan national, l’entrepreneur moyen de radiodiffusion considérerait qu’il a
échoué dans sa tâche s’il n’avait qu’un auditoire aussilimité ; en matière de radiodiffusion internationale,
en revanche, de nombreuses entreprises se contentent de quelques milliers, voire quelques centaines
d’auditeurs.127
Au final, on observe dans La Radiodiffusion, puissance mondiale la dimension
prescriptrice au-delà de la simple description de l’état du monde de la radio : le souhaitable en
plus du réalisé, de l’observable et du pensable en 1937. En effet, si le monde de la radio suit les
conseils de son ouvrage128, Huth pense qu’il y a de quoi être optimiste en termes de ventes
d’appareils, d’audience, d’accroissement de la publicité129, de profits… Il pense que la vente
d’appareils pourrait passer de 4-5 millions à 6-8 millions par an130. Il y en a déjà 57 millions
Nachrichtenwesens publié par Roger Clausse en 1962 (Vs Verlag für Sozialwissenschaften), le document de
Codding est daté de 1951 (voir page 157). La version anglaise publiée en 1959 est intitulée Broadcasting Without
Barriers (167 pages contre 190 pour la version française).
125 CODDING Jr., 1959, « avant-propos »
126 CODDING Jr., 1959, p165
127 CODDING Jr., 1959, p165
128 Marcel van Soust de Borkenfeldt semble percevoir le poids de la communication à travers la communication
intermédias. Selon lui, le succès de la radio passera par davantage de publicité concernant ses programmes : le
traitement de l’activité radiophonique par les journaux et les revues, et plutôt par de la « critique constructive »
(HUTH, 1937, p405) que négative. La radio est considérée comme de la concurrence par la presse papier du point
de la vue de la publicité. On l’observe à l’émergence du média radio, on le revoit aussiau moment de l’apparition
des radios libres et de la libéralisation de la bande FM. Ce qui fait que la presse écrite a pu tenter de freiner le
développent des radios ou se les approprier ou en créer. En 1935, les stations commerciales de Paris sont presque
toutes liées à des organes de la presse écrite, eux-mêmes tenus par de puissants groupes financiers : « Le Poste
Parisien était au Petit Parisien, Radio-Cité, ex Radio-LL, à L’Intransigeant, enfin, en gestation,le futur Radio-37,
au jeune Paris-soir. » (ORY Pascal, La Belle Illusion : culture et politique sous le signe du Front populaire,1935-
1938, Plon, Paris, 1999, p30.).
129 CHEVAL Jean-Jacques,« Invention et réinvention de la publicité à la radio, de l’entre-deux-guerres aux années
1980 », Le Temps des médias, n° 2, 2004/1, MEADEL Cécile, « La radiopublicité : histoire d’une ressource »,
Réseaux, vol. 10, n°52, 1992, p9-24 ; POUEY Fernand, « Information, disque, publicité en 1938, défenses de
territoires », in Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1938 », Cahiers d’Histoire de la
Radiodiffusion, n°96, avril-juin 2008, p91 ; BLEUSTEIN-BLANCHET Marcel, « De la création d’un réseau de
publicité TSF à celle de Radio-Cité », in Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1966 »,
Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°51, décembre 1996 - février 1997, p153 ; BLEUSTEIN-BLANCHET
Marcel, « Les prodiges d’une annonce radio (1929-1933) », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert, « L’année
radiophonique 1933 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°76, avril-juin 2003
130 HUTH, 1937, p396
dans le monde, et ce nombre pourrait doubler ou tripler en 10 ans selon Raymond Braillard131.
Christian Diederich Lerche, président du Radiorådet, se vante déjà de la réussite danoise en
termes de « radio-couverts » : 28 000 « écouteurs » en 1925 et 66% des ménages en 1937132.
Ce pays est particulièrement performant radiophoniquement selon Raymond Braillard puisqu’il
y a 160 appareils pour 1000 habitants au Danemark, soit le même pourcentage qu’aux Etats-
Unis133. Statistiques qu’il convient de nuancer puisque ce n’est pas le même territoire ni la
même population.
En tout cas, la radio est d’ores et déjà une nouvelle branche de l’industrie pour Ladislav
Sourek134. Les fondamentaux de la radio - les « caractéristiques qui en font une si grande
puissance »135 - sont déjà là selon Lenox Riley Lohr (président de NBC) : « l’appel à
l’imagination, la projection de la personnalité du speaker, la propulsion de la parole »136. Des
qualités susceptibles de permettre à ce média d’apparaitre naturellement dans notre
environnement quotidien et de disparaitre « dans l’inconscient, pour ainsi dire, comme les
réflexes du corps humain »137 selon Charles Carpendale, DG délégué de la BBC. Après une
prospérité issue de la géosphère (mines, eaux, terres fertiles), David Sarnoff138, comme
beaucoup de ses collègues, parie sur « l’air », « l’éther » (la « noosphère » qu’a théorisé Pierre
131 HUTH, 1937, p411. En France, le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale de 1942
prévoit plus que le doublement du parc de récepteurs radio : 11 500 000 en 1951 au lieu de 5 250 000 en 1942.
Les industriels fabriquent 30 349 844 récepteurs radio entre 1952 et 1968 soit 1 785 285 en moyenne par an
(BROCHAND Christian, Histoire générale de la radio et de la télévision en France,3volumes, La Documentation
française, 1994 ; FESNEAU Elvina, « Eléments pour une histoire du public des postes à transistoren France », Le
Temps des Médias, n°3, 2004, p118-125).
132 HUTH, 1937, p406
133 HUTH, 1937, p411. Selon le rapport La radiodiffusion dans le monde de George Arthur Codding Jr. de 1959
(p20), il y a déjà 6,5 millions de postes de réception aux Etats-Unis en 1927 pour 722 stations (4 en 1921, 29 en
mai 1922, 382 en décembre 1922). En revanche - et c’est ce qui intéresse davantage Codding Jr et l’UNESCO -,
il y a « moins de 5 récepteurs pour 100 habitants (ou moins de 1 récepteur pour 5 familles) » « dans plus de cent
pays,pourla plupart d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud » (p162). C’est en moyenne 0,1 récepteurs pour100
habitants en Ethiopie et Erythrée, 0,3 en Inde (p30). A travers la voix de Codding Jr, l’UNESCO incite à installer
des services en quantité pourcouvrir tous les territoires, à former du personnel,à résoudre les problèmes de langue,
de contenu des émissions, de présentation technique de celles-ci, ou encore de postes de réception... pour que ces
pays rattrapent leurs retards par rapport aux pays occidentaux. En ce quiconcerne ces postes,ceux-ci sont surtaxés
à l’importation à cette époque,ce qui empêche le renouvellement de ceux-ci et nuit à leur qualité. Pour l’UNESCO
et Codding Jr, « l’objectif doit être d‘atteindre le point où chaque famille disposera d’un bon récepteur », ce qui
oblige à « fournir quelque 350 millions de postes supplémentaires » (p163) contre « un peu plus de 315 millions
[…] postes récepteurs actuellement en service dans le monde » (p30). Si « les programmes généraux de
développement économique et social établis pour la plupart des pays sous -développés prévoient des installations
de transmission » (p162), on peut dire a posteriori que ce rattrapage prendra du temps. Mais la radio deviendra
bien le média numéro 1 en Afrique grâce à son faible coût de production et de diffusion, sa vitalité, sa faculté
d’adaptation,sa rapidité et à l’analphabétisme (TUDESQ André-Jean, L’Afrique parle,l’Afrique écoute - La radio
en Afrique subsaharienne, Editions Karthala, Paris, 2002). En ce qui concerne le développement de nouvelles
stations,il faudra attendre les années 1990 (soit à peine 10 ans après la France) pourque les bandes FM de l’Afrique
de l’Ouest francophone commencent à se libéraliser tandis que beaucoup de journalistes radio continuent de
craindre pour leur vie (DAMOME Etienne, « La dérégulation radiophonique en Afrique de l’Ouest francophone :
Africanisation du modèle français ou simulacre ? », in Thierry Lefebvre et Sebastien Poulain (sous la direction
de), Radioslibres, 30 ansde FM°: la parole libérée ?, INA/L’Harmattan, collection « Les médias en actes »,Paris,
2016 ; KABORE Lacina, « L’avenir de la radio communautaire burkinabè confrontée aux pesanteurs du contexte
et au numérique » dans ce numéro 132).
134 HUTH, 1937, p406
135 HUTH, 1937, p409
136 HUTH, 1937, p409. A ce sujet, lire : GLEVAREC Hervé, « Ma radio » Attachement et Engagement, Éditions
INA, Paris, 2017 ; POULAIN Sebastien, « Pourquoi a-t-on autant confiance en la radio ? », INAGlobal.fr, 28
février 2017, http://www.inaglobal.fr/radio/article/pourquoi-fait-autant-confiance-la-radio-9572
137 HUTH, 1937, p403
138 HUTH, 1937, p408
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La prospective radiophonique a l approche de la guerre entre exaltations technicistes et pacifistes

  • 1. La prospective radiophonique à l’approche de la guerre entre exaltations technicistes et pacifistes1 Sebastien Poulain 1 Merci à Isabelle Abraham, Christophe Bennet, Jean-Jacques Ledos,Raphaëlle Ruppen Coutaz pour leurs lectures et conseils.
  • 2. « La prospective radiophonique à l’approche de la guerre entre exaltations technicistes et pacifistes », in Sebastien Poulain (sous la direction de), « La radio du futur : du téléchromophotophonotétroscope aux postradiomorphoses », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°132, avril-juin 2017, https://radiodufutur.wordpress.com/2017/10/24/sebastien-poulain-la-prospective- radiophonique-a-lapproche-de-la-guerre-entre-exaltations-technicistes-et-pacifistes/ et http://cohira.fr/cahier-n-132-avril-juin-2017/ A l’approche de la Seconde Guerre Mondiale, Dr. Arno Georges Huth (né en 1905), qui est chercheur au Centre de recherche de Genève, publie chez Gallimard une somme de 508 pages consacrée à l’histoire, actualité et l’avenir de la radio : La Radiodiffusion, puissance mondiale2. Cet ouvrage, préfacé par le sénateur Guglielmo Marconi3 lui-même, dresse un vaste panorama de la radio ainsi que des débuts de la télévision. Voici son sommaire : 1. Naissance et développement de la radiodiffusion : Radiotélégraphie et radiotéléphonie - Débuts de la radiodiffusion - Principes de l’organisation - Evolution technique - Evolution du programme - Coopération internationale des organismes de radiodiffusion - Formation et accroissement de l’auditoire 2. Situation présente de la radio : Les bases administratives et financières – L’émission - Les programmes - Le public et la radio - La presse radiophonique - Industrie et commerce radiophoniques – L’avènement de la télévision – 3. L’Organisation de la radiodiffusion à travers le monde – 4. Importance de la radiodiffusion : La radio, miroir du monde - La radio : "service public" - La radio, facteur économique et social - La radio, université populaire - Services religieux – 5. L’Avenir de la radio : Problèmes et réalisations - La radiodiffusion mondiale – L’avenir entrevue par les chefs de la radio C’est la 5ème partie de cet ouvrage qui nous intéresse le plus ici puisqu’elle est consacrée à l’« Avenir de la radio ». A la fin de cette partie, Arno Georges Huth cite - sous l’intitulé « L’avenir entrevu par les chefs de la radio » - des courriers de personnalités qui ont accepté de contribuer à son ouvrage en traitant de l’avenir de la radio : - Dr. Maurice Rambert (1866-1941, Suisse),fondateuret président (26 juin 1935-25 juillet 1937) de l’Union Internationale de Radiodiffusion (UIR ou IBU : International Broadcasting Union ; fondée les 2 HUTH Arno,La Radiodiffusion,puissance mondiale,Gallimard, collection "Les Documents Bleus - Notre temps n°14", Paris, 13 septembre 1937 (50 francs). L’ouvrage contient les contributions des « personnalités les plus autorisées » (appelées aussi« chefs de la radio » ; voir plus loin dans le texte) et 9 planches hors-texte totalisant 16 illustrations en noir et blanc et 30 cartes dans le texte en noir et blanc. 3 En 1914, Guglielmo Marconi est coopté au Sénat de Rome. Après avoir servi dans la marine pendant la Première guerre, le roi Victor-Emmanuel III fait de lui un marquis. Par la suite, sa compagnie perd le marché américain (1919) puis anglais (1922). Il quitte toute fonction au sein de la société qu’il a fondée. Il s’installe définitivement en Italie. En 1930, Mussolinile nomme à la tête de l’Académie royale d’Italie et devient membre du Grand Conseil fasciste. Victime de plusieurs attaques cardiaques,il meurt à Rome le 20 juillet 1937 (c’est-à-dire 2 mois avant la publication de l’ouvrage). C’est la date du deuxième centenaire de la naissance du professeur d’anatomie italien Luigi Galvani (1737-1798) précurseur dans la découverte de l’action électrique à distance. Il a observé, en 1780, qu’une grenouille, morte et écorchée pourune dissection,présente des contractions musculaires à proximité d’une bouteille dite de Leyde, une sorte d’accumulateur de l’électricité statique inventé,quelques décennies plus tôt,par un hollandais, Pieter Van Musschenbroek. Lire : CAZENOBE Jean, « Marconi a-t-il inventé la radio ? », La Recherche, n°276, mai 1995 ; FALCIASECCA Gabriele, VALOTTI Barbara, Guglielmo Marconi, Giorgio Mondadori, Milan, 2003 ; MAIOLI Giorgio, I giorni della radio. A cent’anni dall’invenzione di Guglielmo Marconi, Re Enzo, Bologne, 1994 ; MASINI Giancarlo, Marconi, UTET, Turin, 1975 ; LEDOS Jean-Jacques, « 1996 : centenaire de la radio ? », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°49, juin-août 1996
  • 3. 3-4 avril 1925 à Genève sous l’appellation d’Union Internationale de Radiophonie (UIR))4. Docteur en 1890, il fonde en 1922 le Radio-Club de Genève. Le 10 janvier 1923, il obtient la première concession de radiodiffusion publique. Fondateurde la Société des émissions de Radio-Genève (1925), directeur général de la Société Suisse de Radiodiffusion (1931-1936)5. Il a aussi été administrateur de sociétés hôtelières. - Emile Brémond (1890-1976), secrétaire général des émissions de la Radiodiffusion Française (nommé en juin 1934), et écrivain qui a aussi dirigé Le Progrès de Lyon6. - Raymond Braillard7 (1888-1945 ; Français), président de la commission technique de l’UIR, directeur du Centre de Contrôle de à Uccle (1925-1940), après avoir été responsable de l’émetteur de la tour Eiffel (1910-1911), ingénieur en chef des services radio au Congo Belge (1912-1924), directeur de la société indépendante de T.S.F. puis la Société Belge Radioélectrique (1919-1929). Il devient directeur de la Radiodiffusion nationale (RN) pendant l’occupation. Il est connu pourdeux faits majeurs : en 1913, il réalise les premières liaisons de radiotélégraphie entre la Belgique et le Congo belge ; en mars 1914, il est l’« artisan » en Europe de la première émission de radiophonie à Bruxelles (Laeken). - Marcel van Soust de Borckenfeldt, fondateur et directeur général (1930–1937) de l’Institut National Belge de Radiodiffusion (1930-1959), administrateur pour chaque groupe linguistique, ancien directeur de Radio Belgique (En 1924, cette radio remplace Radio Bruxelles créée en 1923.). 4 Malgré son nom, l’UIR est d’abord une organisation européenne. Issue de rencontres (Cité de Calvin les 22 et 23 avril 1924 ; Londres les 18 et 19 mars 1925 ; Genève, les 3 et 4 avril 1925), elle est le fruit de la collaboration de 10 sociétés de radiodiffusion européennes : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France (Petit Parisien et Radio Paris), Grande-Bretagne, Pays-Bas, Pologne et Suisse. Les stations d’Etat ne sont pas conviées. L’UIR se fixe quatre objectifs : 1) relier entre elles les sociétés de radiodiffusion européennes tout en envisageant un élargissement ultérieur à des organismes extérieurs au continent ; 2) défendre leurs intérêts ; 3) étudier les problématiques qui découlent de l’essor rapide de la téléphonie sans fil ; 4) développer des projets relatifs à la radiophonie favorables aux services de radiodiffusion membres. « Elle cherche avant tout à rapprocher les nations autour de projets radiophoniques communs, en participant à la résolution des problèmes politiques et juridiques qui les freinent. » (RUPPEN COUTAZ Raphaëlle, « Ici la suisse – Do Ischt Schwyz – Switzerland Calling ! » la Société Suisse de Radiodiffusion (SSR) au service du rayonnement culturel helvétique (1932-1949),thèse sous la direction de François Vallotton, Université de Lausanne,Lausanne,2015, p114) Au-delà de la pacification, il s’agit de continuer le travail des Lumières : « the broadcasting elites who established the IBU [(UIR)], believed in the European civilizing mission based on European Enlightenment values. » (LOMMERS Suzanne, Europe – on Air. Interwar Projects for Radio Broadcasting, Université technique d’Eindhoven, Eindhoven, 2012, p71). Dès sa fondation, elle tente d’établir un premier projet de répartition des fréquences radio en Europe : le Plan de Genève daté du 14 novembre 1926. Auparavant, en 1912, une réglementation similaire avait été faite à l’échelle internationale pour les radiocommunications maritimes. Mais le Plan de Genève, ne sera cependant guère suivi d’effets, notamment à cause de l’absence de puissantes stations d’Etat et de cadre contraignant. Par la suite, l’UIR crée à Bruxelles (et avec pour directeur Raymond Braillard) le comité technique qui vise à contrôler les interférences électriques, les infrastructures transfrontalières, les questions de propagation des ondes du respect des allocations de longueurs d’onde (fréquences). Mais l’UIR n’a pas compétence dans la répartition des fréquences.C’est la mission de l’UTI - Union Télégraphique Internationale fondée en 1865 - qui devient en 1932 UIT - Union Internationale des Télécommunications - dans une sous-section, le CCIR - Comité Consultatif des Radiocommunications. L’UTI réunit une première conférence internationale à Washington en 1927 qui aboutit à la signature de la Convention radiotélégraphique internationale ainsi que règlement général et règlement additionnel y annexés publiée à Berne en 1928. Globalement, l’UIR n’arrivera pas à résoudre les problèmes d’interférences seule : « The first issue the IBU [(UIR)] addressed after its formation was the urgent problem of electromagnetic interference beyond borders.This was a sensitive topic among the governments of various nation - states.Very soon the experts would find they could not resolve this on their own. They needed the collaboration of other international organizations. » (LOMMERS, 2012, p71) 5 Lire : UIR, Maurice Rambert, 1866-1941, UIR, Genève, 1941 ; RUPPEN COUTAZ Raphaëlle, La voix de la Suisse à l’étranger : Radio et relations culturelles (1932-1949), Editions Alphil Presses universitaires suisses, 2016 qui est issu de RUPPEN COUTAZ, 2015. 6 « Émile Brémond, premier « patron » des programmes de la radiodiffusion nationale », in Caroline Ulmann- Mauriat et Guy Robert (sous la direction), « L’année radiophonique 1933 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°76, avril-juin 2003, p91 7 Lire : « Robert Goldschmidt et Raymond Braillard, pionniers en Europe », in Pierre Braillard et Jean-Jacques Ledos (sous la direction), « Grands hommes, grandes dates de la radio, tableau synchronique »,Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°103, janvier-mars 2010, p119 ; « Raymond Braillard », in Bruno Brasseur, Pierre Braillard et Jean-Jacques Ledos (sous la direction), « Anniversaires », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°118, octobre-décembre 2013, p43
  • 4. - Amiral Sir Charles Carpendale, directeur général délégué de la British Broadcasting Corporation (BBC), fondateur et ancien président de l’UIR8 (pendant 10 ans, jusqu’au 26 juin 1935). - Sir Adrian Boult (1889-1983), chef d’orchestre, directeur musical de la BBC et directeur de l’Orchestre symphonique de la BBC depuis 1930, et sera chef principal de l’Orchestre philharmonique de Londres, puis directeur de l’Orchestre symphonique de la ville de Birmingham. - S. E. Giancarlo Vallauri (1882-1957), président de l’Ente Italiano per le Audizioni Radiofoniche (EIAR), vice-président de l’Académie Royale d’Italie. Il a fondé et dirigé l’Istituto elettrotecnico e radiotelegrafico della Marina (aujourd’hui Istituto per le Telecomunicazioni e l’Elettronica della Marina Militare "Giancarlo Vallauri") qui a construit la première grande station de radio à Coltano (commune de Pise). - Oskar Czeija (1887-1958), fondateur et directeur général de la Ravag (Radio Verkehrs AG, première société autrichienne de radiodiffusion ; 1924-1958) jusqu’à 1938, directeur du comité de rapprochement de l’UIR9. - Chambellan Christian Diederich Lerche (1868-1957), président (1925-1939) du Radiorådet (Conseil de la radio danois ; 1926-1987). - Willem Vogt (1888-1973), directeur de l’Association « Algemene Vereeniging Radio Omroep » (AVRO ; Association générale de diffusion de la radio hollandaise) mise en place officiellement en 1927 mais a ses racines dans les années 1920. - Dr. Ladislav Sourek (1880–1959), fondateuret directeur général de la société « Radiojournal » (première organisation tchécoslovaque de diffusion radiophonique), directeur général de la société Radioslavia (société de fabrication des récepteurs radiophoniques), président de la commission juridique de l’UIR. - Lenox Riley Lohr (1891-1968), président de la National Broadcasting Company (NBC, New York), après avoir été directeur général de l’Exposition universelle de 1933 de Chicago. - Dr. Max Jordan (1895-1977), directeur européen de NBC, après avoir été journaliste correspondant pour International News Service (INS). Il est l’auteur de plusieurs scoops : l’annonce de l’accord de Munich de 1938 et l’annonce de la capitulation du Japon le 14 août 1945. - William S. Paley (1901-1990), fondateur et président de la Columbia Broadcasting System (CBS, New York ; réseau radiophonique créé à Chicago en 1927). Il dirige le réseau entre 1928 et 1946, puis son conseil d’administration de 1946 à 198310. - Anning Smith Prall (1870-1937), président de la Federal Communications Commission (FCC ; création en 193411) des USA de 1935 à 1937, après avoir été représentant démocrate de New York de 1923 à 1935. - David Sarnoff (1891-1971), président de la Radio Corporation of America (RCA ; fondée en 1919 ; David Sarnoff y arrive peu après sa fondation en 1919 et y reste jusqu’à sa retraite en 1970.) et du conseil d’administration de NBC qu’il a fondé12. - Dr. Levering Tyson (1889-1966), directeur (1930-1937) du National Advisory Council on Radio in Education (NACRE, fondation en 1929, New York), et auteur de Education by means of the radio, 1935. Ces 17 acteurs de radio sont des dirigeants de médias (plusieurs fondateurs) sauf exception, très diplômés (5 docteurs si on ajoute Huth), tous des hommes, souvent nés autour 8 Le premier conseil de direction composé de neuf membres : Carpendale (Grande-Bretagne), Heinrich Giesecke (Allemagne), Robert Tabouis (France), Antoine Dubois (Hollande), Auguste Hubert (Belgique), Svoboda (Tchécoslovaquie), Skottun (Norvège), Garcia (Espagne), Rambert (Suisse). 9 SCHLOGL Reinhard, Oskar Czeja: Radio- und Fernsehpionier,Unternehmer, Abenteurer,Böhlau Wien 2005 ; SCHMOLKE Michael, Wegbereiter der Publizistik in Österreich,Österreichischer Kunst-und Kulturverlag Wien 1992 10 HALBERSTAM David, « Portrait d’un manager : William S. Paley, Président de CBS », in Jean-Jacques Ledos (sous la direction de), « 1906-2006 : cent ans de radiophonie », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°87, janvier-mars 2006, p108 11 La FFC est précédée par la Federal Radio Commission (FRC) créée en 1927 via le « Radio Act » de 1927. Cette autorité indépendante était chargée de réguler l’usage des ondes.Auparavant,c’était le secrétaire au commerce et au travail américain qui en avait la responsabilité depuis le « Radio Act » de 1912. 12 « Les entrepreneurs, Sarnoff en tête », in Pierre Braillard et Jean-Jacques Ledos (sous la direction), « Grands hommes, grandes dates de la radio, tableau synchronique », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°103, janvier-mars 2010, p137
  • 5. de 1890, tous occidentaux, majoritairement européens (plutôt l’Europe de l’Ouest et du nord) et issus des élites13. Quant à l’avenir de la radio, Arno Georges Huth se montre plutôt enthousiaste : Le passé de la Radio est glorieux, sa situation présente,magnifique. Les services qu’elle a rendus et qu’elle rend chaque jour sont du domaine de l’extraordinaire. Son pouvoir est énorme, son influence est presque illimitée. Or tout cela s’efface devant l’évolution future…14 Il utilise le champ lexical encore utilisé aujourd’hui par les thuriféraires contemporains des nouvelles technologies d’information et de communication (informatique, internet, télécoms) en général et des « postradiomorphoses »15 en particulier : « magnifique », (p393), « extraordinaire » (p393), « illimitée » (p393), « révolutionnera » (p401), « miracle » (p401), « rêve » (p401), « miraculeux » (p400-401), « progrès » (p413), « prodige » (p413), « incalculables » (p413)… Tout en se défendant d’être un prophète : Prophétiser n’est point de notre ressort.Mais les faits parlent d’eux-mêmes : par les travaux en cours, les projets échafaudés,les promesses des laboratoires, on peut envisager sinon l’avenir lointain de la Radio, tout au moins l’avenir des prochaines années.16 Comme Huth, plusieurs auteurs des lettres retranscrites dans l’ouvrage prennent des précautions pour ne pas ressembler à des prophètes. Mais c’est une prudence en partie rhétorique car dans un second temps, ils font bien part de toutes les « avancées » en cours ou à venir et les espoirs qui en découlent. S. E. Giancarlo Vallauri, président de l’EIAR, refuse de se prononcer, mais par optimisme et pour ne pas commettre un « péché d’irrévérence » vis-à- vis de « l’intervention supérieure » d’un « chef invisible ». Pour diviniser ainsi l’innovation technologique à la manière de la « main invisible » d’Adam Smith, il s’appuie sur son « vécu pendant tant d’années dans la grande forge d’où sont issues les merveilleuses réalisations de la radiotechnique » dont il a déduit un processus complexe d’innovation (erreurs, défaites…) « fécondé par un pollen mystérieux, diffusé dans l’éternel printemps spirituel » qui fait que les « conquêtes » « seront certainement plus rapides et plus riches, plus grandioses et plus admirables que notre imagination pourrait aujourd’hui le concevoir »17. 13 Suzanne Lommers a montré le rôle des élites dans la création des radios et des organisations internationales comme l’UIR (Chapitre 2 « Elites on the Barricades for Broadcasting »). Ce rôle n’a pas été le même en Europe et aux Etats-Unis ce qui a eu des conséquences sur les paysages radiophoniques mis en place : « In the United States and in Europe the course of broadcasting settled down in the 1930s. In spite of personal overseas networks between American and European broadcasters, different dominating systems emerged. This mainly appeared to be due to the role of European governments and elites. Governments in Europe exerted more control over granting concessions. In several instances they issued only one concession, limiting the number of stations that could be created within their country. Furthermore, the European elites involved in the establishment of many broadcasting organizations actually had a greater influence than in the United States. Their drive to create a sense of national belonging via educational and cultural programs was strong. This caused the development of the medium to take a different course in the United States and Europe in spite of occasional contacts. » (2012, p52). 14 HUTH, 1937, p393 15 POULAIN Sebastien, « Les postradiomorphoses :enjeuxet limites de l’appropriation des nouvelles technologies radiophoniques en période de transition médiatique »,RadioMorphoses,n°2, 2017, http://www.radiomorphoses.fr/ 16 HUTH, 1937, p393 17 HUTH, 1937, p404 ; Ce propos est en réalité un extrait de l’Annuario pour l’année XIII de l’Ente Italiano per le Audizioni Radiofoniche (Turin, avril 1935, 480 p.). L’Annuario est publié en 1929, 1931, 1935, 1938 et 1942. L’année XIII fait référence à l’arrivée de Benito Mussolini au pouvoir en 1922. L’Annuario de 1935 célèbre les 10 ans de la radio en Italie. L’Ente Italiano per le Audizioni Radiofoniche (EIAR ; 1927-1944) est le radiodiffuseur de service public de l’Italie fasciste et la seule entité autorisée à la diffusion par le gouvernement. Entre 1929 et
  • 6. Dr. Max Jordan, directeur européen de NBC, pense « que le véritable progrès est encore à venir, que la radiodiffusion est encore dans l’enfance, en attendant le jour où la perfection sera acquise »18. « Parfois, on a l’impression que jusqu’ici la surface seulement a été grattée. »19 ajoute-t-il. Lenox Riley Lohr, président de NBC, prévoit autant de progrès dans la prochaine décade que depuis l’origine de la radio20. Dr. Levering Tyson, directeur du National Advisory Council on Radio in Education et auteur de Education by means of the radio, anticipe des effets sociaux similaires à ceux des lettres mobiles de Johannes Gutenberg et William Caxton, mais tout dépendra de la capacité et de la vitesse d’assimilation des « nouveaux raffinements de l’art radiophonique » et de la « coopération entre les pionniers du développement technique et les leaders du progrès social »21. Le futur est donc déjà dans le présent pour Huth et ses collègues alors que la guerre est de plus en plus possible et même probable et qu’elle pourrait rebattre toutes les cartes22. La possibilité de la guerre est à peine évoquée par le chercheur suisse et les différents auteurs qu’il a sollicités. Mais les technologies radiophoniques, les nouveaux programmes radiophoniques et la mondialisation radiophonique sont vus par les co-auteurs - ils le martèlent - comme des solutions pour créer de « l’entente entre les peuples », sous-entendu pour éviter une guerre qu’ils ne peuvent pas ne pas voir venir compte-tenu de leur positionnement dans la société. Lenox Riley Lohr considère que les « hommes de Radio » doivent « travaill[er] dans ce sens » pour « contribuer au bien de l’humanité »23. La technologie comme outil utopique de la paix (la « techno-utopie »24), c’est une solution qui avait déjà été proposée au XIXème siècle à partir de la télégraphie25 et que proposera à nouveau après la guerre le fondateur de la cybernétique Norbert Wiener qui imaginera un gouvernement des machines pensantes grâce à l’apparition et au développement de l’informatique. Arno Georges Huth s’intéresse d’abord aux questions techniques (Il observe une radio en train de développer sa puissance et de se miniaturiser.), puis il se focalise sur les programmes (Il promeut alors une « paléo-radio ».), et enfin il laisse se dessiner et se faire espérer une mondialisation radiophonique (avec un objectif pacifiste). Et c’est ce chemin que nous allons reprendre ici en prenant les propos tenus par Huth et les « chefs de la radio » qu’il a interrogé comme des témoignages d’une époque passée qui se projette dans l’avenir. La technique : la radio entre nouvelles ondes, puissance et miniaturisation 1939, l’EIAR réalise pour la première fois des tests de télédiffusion en Italie. Pour la plupart de son existence, elle a été dirigée par S. E. Giancarlo Vallauri, même s’il a été remplacé en tant que président par Ezio Maria Gris au cours de de la période la République sociale italienne (1943–1945). 18 HUTH, 1937, p410 19 HUTH, 1937, p410 20 HUTH, 1937, p408 21 HUTH, 1937, p412 22 Rappelons le rôle joué par l’armée dans le développement ou l’utilisation des technologies d’information et de communication – télégraphe, TSF, informatique, internet… (BELLAIS Renaud, « Les enjeux de la maîtrise de l’information dans la défense », Réseaux, vol. 16, n°91, 1998, p121-133) - et des stratégies discursives (la propagande) (GRANDIN Thomas, « La radio pendant les deux premiers mois de guerre », Politique étrangère, vol. 4, n°5, 1939, p513-524 ; LEPRI Charlotte, « De l’usage des médias à des fins de propagande pendant la guerre froide », Revue internationale et stratégique, n°78, 2010/2 ; MAURIN Jean-Louis, Combattre et informer. L’armée française et les médias pendant la première guerre mondiale, Ste Flaive des Loups, Editions Codex, 2009 ; WILKIN Bernard, « Propagande militaire aérienne et législation durant la Première Guerre mondiale », Revue historique des armées, 274, p87-94…). 23 HUTH, 1937, p409 24 MUSSO Pierre, « La "révolution numérique" : techniques et mythologies », La Pensée, n°355, 2008 25 Sur l’espoir que les avancées technologiques peuvent susciteren matière de paix avant l’apparition de la radio, lire : GROSSI Verdiana, « Technologie et diplomatie suisse au xixe siècle : le cas des télégraphes », Relations internationales,n°39, 1984, p287-307. Sur le potentiel de la radio, lire : SCHUBIGER Claude, Le Rôle social de la radiodiffusion, Imprimerie populaire, Lausanne, 1940.
  • 7. La combinaison de la puissance et de la miniaturisation est un objectif traditionnel des techniciens et elle est possible dans le domaine radiophonique. Arno Georges Huth se félicite tout d’abord de l’apparition et du développement des ondes courtes26 et attend le déploiement des ultra-courtes27. Il nous apprend que le sénateur Marconi y travaille28 et a réalisé l’été 1932 une émission depuis San Margherita reçue depuis le yacht « Elettra » à 150 km. Sans le nommer, Huth fait part de l’imagination du président de RCA qui espère que chacun aura un jour sa propre longueur d’onde, comme on a tous (ou presque) une adresse mail électronique ou un compte Facebook aujourd’hui. Ainsi, « chacun pourrait avoir sa propre station émettrice et réceptrice29, et communiquer par TSF avec n’importe qui »30 selon Dr. Max Jordan, directeur européen de NBC, qui utilise le terme « portatif » : Des ingénieurs envisagent dans leurs laboratoires la possibilité d’appareils récepteurs, assez petits et assez plats pour être pendus comme des tableaux aux murs de nos appartements. D’autres prétendant qu’on aura un jour des récepteurs de poche, qu’on pourra porter sur soi comme une montre ou un étui à cigarettes, et dont l’énergie serait alimentée par sans-fil.31 Or, si le transistor apparaitra en 195432 pour la réception portative « sans-fil », Huth nous annonce que l’ingénieur en chef de la NBC vient de construire un émetteur à ondes ultra- courtes d’un poids de 400 grammes de 0,2 watts qui peut être reçu à plus de 6 km33. A propos de puissance, Huth pense que le perfectionnement technique sera facilité par la mise en place de 100 émetteurs déjà en construction ou en projet à l’époque : certains pays installent leurs premiers émetteurs (Andorre, Malte, Afghanistan, Irak, Iran, Syrie), tandis que d’autres augmentent la puissance des leurs (de 50 à 500 kw pour Rome I, New York WJZ, Pittsburgh KDKA). La Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie développent continuellement 26 Les ondes courtes (appelée aussidécamétriques ou haute fréquence) permettent des liaisons intercontinentales avec des puissances de quelques milliwatts si la propagation ionosphérique le permet car l’onde de sol au -dessus de 2 ou 3 MHz ne porte guère au-delà de quelques dizaines de kilomètres. Entre 1 et 30 MHz, la réflexion des ondes sur les couches de l’ionosphère permet de s’affranchir du problème de l'horizon optique et d'obtenir en un seul bond une portée de plusieurs milliers de kilomètres, avec plusieurs bonds parfois jusqu'aux antipodes.Mais ces résultats sont très variables et dépendent des modes de propagation du cycle solaire, de l'heure de la journée ou de la saison. Elles auront de nombreux usages : organisations diverses, militaire, radiodiffusion, maritime, aéronautique, radioamateur, météo, « radio de catastrophe »… Lire : ROBERT Guy, « Deux contributions à l'histoire heurtée des ondes courtes françaises », n°9, janvier 1985, p1 ; GAILLARD Armand, « Conditions d'utilisation des ondes courtes en Radiodiffusion », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°10, avril 1985, p36 ; GAILLARD Armand, « Utilisation des ondes courtes à la Radiodiffusion française », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°18, décembre 1987, p42 ; BRUNNQUELL Frédéric, « Les ondes courtes françaises en 1936- 1939 », in Christian Brochand (sous la direction de), « L’année radiophonique 1922 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°33, juin-août 1992, p26 27 HUTH, 1937, p393. Pour Raymond Braillard, les ondes courtes serviront pour les échanges intercontinentaux tandis que le déploiement des ultra-courtes permettra une diffusion pour les grandes villes (HUTH, 1937, p411). Les ondes ultra-courtes (appelée aussi ondes métriques ou très haute fréquence) correspondent à des fréquences comprises entre 30 et 300 MHz. Elles auront de nombreux usages :radio FM (démonstration de la radio FM devant la FCC le 5 janvier 1940 ; W47NV (Nashville) première station de radio FM à émettre dès le 1er mars 1945), aéronautique, maritime, radioamateur, gendarmerie, pompiers, SAMU, réseaux privés, taxis, militaire, météo… 28 HUTH, 1937, p394 29 En ce qui concerne la réception, David Sarnoff évoquait déjà en 1916 la mise à disposition dans les foyers (10 millions de familles) d’une « Radio Music Box » comme « household utility » pour $75 (LEDOS Jean-Jacques, « 1996 : centenaire de la radio ? », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°49, Juin-Août 1996 qui cite BILBY Kenneth,The General David Sarnoff and the Rise of the Communication Industry,Harper & Row Pub., New York, 1986). 30 HUTH, 1937, p410 31 HUTH, 1937, p410 32 FESNEAU Elvina, Le poste à transistors à la conquête de la France, la radio nomade (1954-1970), INA Éditions, Paris, 2011 33 HUTH, 1937, p394
  • 8. leurs stations à ondes courtes et ajoutent des antennes. La France, qui dispose aussi de stations « géantes » (Poste national de 150 kw grâce à deux émetteurs jumelés ; Grenoble et Limoges avec 100 kw), prépare la mise en action d’un nouveau 100 kw pour le Poste colonial (1931- 193834), le passage d’un 25 kw à 100 kw pour Bordeaux Lafayette, tandis que Moscou souhaite mettre en place un 2 500 kw à Chadink35. En France, en 1939, le réseau public - prévu (avec modifications) par le « Plan Ferrié »36 - disposera à Allouis de deux émetteurs de grande puissance de 450 kW (soit, couplés, de 900 kW) et de 26 émetteurs en ondes moyennes auxquels il faut ajouter 4 centres d’émissions en ondes courtes. Le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale37 signé le 11 mai 1942 (10 ans après le « Plan Ferrié ») par André Demaison38 (1883-1956), directeur de la Radiodiffusion Nationale à Vichy de 1942 à 1944 et ami de Pierre Laval, prévoira : un réseau d’émetteurs à ondes moyennes,réseau d'émetteurs à ondes courtes,réseau d’émetteurs de télévision, circuits de radiodiffusion (câbles), circuits de télévision (câbles, ondes ultracourtes), maisons de la radio, maisons de télévision, sonorisation des villes, équipement de 20 000 écoles (radio et 34 Le 23 mars 1938, l’émetteur de 25 kW des Essarts-le-Roi est inauguré. Le Poste colonial est alors renommé Paris-Ondes courtes, puis une semaine plus tard Paris-Mondial (1938-1940). 35 HUTH, 1937, p395 36 Le « Plan Ferrié » ou « Carte Ferrié » - dont les conclusions sont déposées le 31 juin 1931 - est le nom donné au plan proposé par le général Gustave Ferrié qui dirige une commission à partir du printemps 1930 sur la question sur demande d’André Mallarmé, ministre des PTT. Le plan prévoit l’installation d’un poste à ondes longues remplaçant hors Paris l’émission de la Tour Eiffel (rappelons que c’est Ferrié qui a installé la première antenne en haut de la Tour Eiffel) d’une puissance de 100 kW (le poste sera Allouis), d’un poste de la région parisienne remplaçant l’émission actuelle de l’École Supérieure des P.T.T. (L’émetteur, situé au 103 rue de Grenelle, part à Villebon-sur-Yvette (91) où sera construit en 1934 et mis en service en août 1935 un émetteur d’ondes moyennes de 120 kW utilisé à 100 kW sur 695 kHz.), d’une station en ondes courtes pourles programmes à destination des Colonies (ce sera tout d’abord le poste colonial, puis Issoudun)et 11 régions radiophoniques en ondes moyennes. La « Carte Ferrié » en donne les emplacements prévus, leur puissance et longueur d’onde. Le plan définit aussi l’infrastructure en câbles téléphoniques qui permettra de relier les studios auxcentres émetteurs. 37 Le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale est mis en place dans le cadre de la création en 1941 de la Délégation Générale à l’Équipement National (DGEN), dirigée par François Lehideux (1904-1998 ; ancien directeur aux usines Renault ; il bénéficie d’un non-lieu de la Haute Cour de justice en février 1949 pour insuffisance de charges et faits de résistance ; après la guerre, il a de nombreuses activités de direction d’entreprises : Ford France, Forges et ateliers de Commentry-Oissel, Pétro-Fouga, THEG, Poliet & Chausson, ABG, Tunzini, Autopistas españolas). Le programme est évalué à 8 350 millions de francs. Ce document de 23 pages peut être trouvé aux Archives nationales (« Archives Raoul Dautry » AN 307AP 124). La partie concernant le futur de la radio-télévision a été fournie par Jean-Jacques Ledos pour le présent article. Lui-même l’avait reçu il y a trente ans de son rédacteur : Claude Mercier (1914-1994). Cet ingénieur fonctionnaire de l’Administration des PTT est affecté à la radio depuis 1938 (première affectation). Rentré d’Allemagne, grand blessé de guerre en 1941 (il perd un bras), il entre au service de l’Administration générale de la Radiodiffusion nationale, en mars 1942 où il est affecté au Service de vérification des matériels et de documentations techniques.Il est chargé de la mise en œuvre de l’étude. C’est un proche collaborateur de Raymond Braillard (ce dernier décède en 1945) qui participe à l’ouvrage de Huth. En 1956, il est ingénieur général responsable des services de l’exploitation. Lors du départ en 1963 du général Marien Leschi (1903-1971), directeur des services techniques, il assure l’intérim. Il prend sa place en 1964 en tant que responsable des services de l’équipement et de l’exploitation et devient directeur général chargé de l’action technique en 1972 jusqu’à sa retraite en 1974 qui est aussila fin de l’ORTF. Selon Jean- Jacques Ledos, qui l’a rencontré à plusieurs reprises pour des raisons professionnelles (Il était « chef-opérateur de prises de vues à la télévision de service public ».) et dans l’objectif d’entretenir « la mémoire de la radiotélévision », Mercier a été « mis à la retraite en 1974, à 60 ans, très meurtri de n’avoir pas pu achever le travail dont il avait tracé les grandes lignes, en 1942, sur ordre de Raymond Braillard, lui-même mandaté par l’Administrateur de la RN à Vichy, André Demaison lui-même soumis à la volonté du Pouvoir, en la personne du secrétaire d’État à la Production industrielle, aux communications et au travail, Jean Bichelonne (1904-1944). » Jean-Jacques Ledos publie son premier ouvrage historique en 1986 : Le gâchis audiovisuel.Histoire mouvementée d’un service public (Préface de Francis Mayor, 226 p., Éditions Ouvrières) remis au Président François Mitterrand. 38 Condamné par la justice en 1945 pour sa participation au régime de Vichy (Il était aussi membre du Conseil national.), il est finalement amnistié et réhabilité dans l’Ordre de la Légion d’honneur où il avait obtenu le rang d’officier avant 1940.
  • 9. télévision), salles de projection de télévision, équipement des cinémas en télévision, centre de recherche et de formation du personnel. En ce qui concerne les ondes moyennes, le plan prévoira : 4 émetteurs de 120 kW, 8 émetteurs de 25 kW, 30 émetteurs de 1 kW groupés en chaîne synchronisée, 50 émetteurs de 2 kW « à modulation de fréquence sur ondes ultra-courtes ». En ce qui concerne les ondes courtes, le plan prévoira : Le plan d’équipement recommande la poursuite de la construction (en cours) au Centre d’Issoudun de 12 émetteurs de 100-150 kW39, et aux Centres de Réaltor (Marseille) et Muret (Toulouse) de 4 émetteurs de 25 kW. Dans son enthousiasme, Huth ne fait guère référence ici40 aux problèmes techniques. Or, ils sont nombreux selon l’historien en musique et musicologie André Timponi Pinto Coelho : la « radio d’avant-guerre disposait de moyens techniques assez inefficaces. La difficulté d’assurertoutes les transitions en direct, le déplacement de plusieurs acteurs en fonction de la position du micro, l’introduction de la musique au cours du déroulement d’une action, tout cela entraînait des imperfections dans l’émission et rendait souvent la compréhension difficile à l’auditeur. »41 Huth reconnaît des « troubles graves »42 dans la réception, mais le « degré de perfection »43 peut être atteint selon lui. Et cette perfection doit être atteinte, selon Anning Smith Prall, président de la FCC, car une « connaissance étendue et un plus ample développement technique » donneront à la radio son « statut fixe et définitif : comme service au public de tous les peuples du monde »44. Dr. Max Jordan estime que la « perfection sera acquise » le jour « où ni la statique, ni les perturbations magnétiques, ni les craquements ne troubleront plus les modulations des symphonies de Beethoven ou des chants d’amour des indiens. »45 Le plus technicien des auteurs - Raymond Braillard (président de la commission technique de l’UIR) - s’intéresse à l’amélioration des moyens de transmission existants : Quant aux réseaux actuels sur ondes moyennes (200 à 2.000 mètres), on peut prévoir que de nouveaux progrès seront obtenus sur la base de la synchronisation des émetteurs transmettant le même programme, de l’emploi d’antennes anti-fading46 et d’antennes dirigées à l’émission, d’un perfectionnement plus grand des échanges entre pays, grâce à des câbles téléphoniques sans cesse améliorés etc.47 39 Il faudra attendre les années 1950 pourque les centres A, B, C (1964), D, E (1972) d’Issoudun (Saint-Aoustrille à quelques kilomètres d’Allouis) soient construits et mis en action. 40 Huth en parle ailleurs à propos des interférences internationales : « La réception devient un martyre, l’auditeur souffrant des interférences constantes entre les stations des différents pays, est la pitoyable victime de ces émissions prodigues en sifflements, grincements, craquements, gémissements, dont il conserve, aujourd’hui encore, un souvenir horrifié ! » (p46). 41 TIMPONI PINTO COELHO André, « L’art muet, l’art aveugle ~ Le binôme radio-cinéma dans le contexte de l’entre-deux-guerres », Syntone.fr, 12 février 2012, http://syntone.fr/lart-muet-lart-aveugle-le-binome-radio- cinema-dans-le-contexte-de-lentre-deux-guerres/ ; lire aussi sa thèse : TIMPONI PINTO COELHO André, L’Écoute radiophonique dansla France de l’entre-deux-guerres, sous la direction de Estebán Buch et de Martin Kaltenecker, EHESS, Paris, 2010 (http://www.theses.fr/s63032 n’indique pas une soutenance au 14 août 2017). 42 HUTH, 1937, p394 43 HUTH, 1937, p394 44 HUTH, 1937, p407 45 HUTH, 1937, p410 46 « Anti-fading » pour anti-altération 47 HUTH, 1937, p411
  • 10. En plus des questions d’ondes et de puissance d’émission, Huth s’intéresse aux nouveaux et vastes studios de radio - les « Maisons de la Radio »48 - qui font leur apparition dans les grandes villes du monde : Londres, Vienne, Bruxelles, Osaka, Varsovie, Tokyo… C’est à l’étude pour Paris49. Mais comme pour les émetteurs et les récepteurs, les ingénieurs pensent déjà en termes de mobilité (objectif de toute technologie contemporaine : téléphone, ordinateur, tablette…) à propos des studios. Huth fait référence à un studio complet installé sur un navire d’une compagnie australienne50. Mais la radio - en tant que technologie de diffusion sonore via les ondes hertziennes - n’a pas le monopole du cœur de Arno Georges Huth et ses collègues. En effet, la « Fac-similé- télégraphie » a fait son apparition depuis juin 1936 grâce au laboratoire de la RCA avec déjà du « haut débit » : 12 000 mots par minute entre deux villes grâce à un procédé de « photo- télégraphie » passant par les ondes ultra-courtes51. Pour David Sarnoff52 (président de RCA et du CA de NBC), « Le temps pourrait venir, où le « fac-similé-service » par radio sera employé pour accroitre l’activité de nos grandes agences de presse et où il portera instantanément, par l’éther, un journal aux lieux les plus reculés. »53. Et en effet, on peut dire rétrospectivement que 48 HUTH, 1937, p396 49 Huth semble faire référence à une « Maison de la radio » similaire à celle que nous connaissons aujourd’huiau 116 avenue du président Kennedy 75016 Paris où siège Radio France. Le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale de 1942 prévoit d’en édifier à « Paris, Lyon, Marseille, Lille » et, ultérieurement à « Bordeaux, Nancy, Nice, etc. » Des Maisons de télévision doivent également être construites à Paris, à Nice et à Lyon. D’autres « plus petites [à] Marseille, Lille, Bordeaux. » Mais la « Maison de la radio » n’est inaugurée qu’en 1963. Auparavant, les studios de radios d’Etat ne se distinguaient pas d’autres immeubles : La Radiodiffusion- télévision française se situait au 36 avenue de Friedland Paris 8e (1949-1963). La société Radiodiffusion française (RDF) était au 91 avenue des Champs-Élysées Paris 8e (1945-1949). Pendant la guerre, Radio Paris était situé au 116-118 avenue des Champs-Élysées 75 Paris 8e (1940-1944), c’est-à-dire dans les studios plus « modernes » de la radio privée Poste Parisien (1924-1940) ; auparavant Radio Paris était au 11 rue François Ier Paris 8e (1933- 1940) et, avant sa nationalisation, au 79 boulevard Haussmann Paris 8e (1924-1933). La Radiodiffusion française nationale, plus souvent appelée Radiodiffusion nationale (RN), a eu son siège à Paris (1939-1940), puis à Vichy (1940-1943), puis à Paris (1943-1945). Le siège Radio Tour Eiffel a d’abord été dans le pilier Nord de la Tour Eiffel, puis au Grand Palais (à partir de 1927). Radio Paris PTT (1923-1940) - la troisième radio d’Etat - était installée à l’École Supérieure des Postes Télégraphes et Téléphones (ex-École professionnelle supérieure des Postes et Télégraphes-EPSPT créée en 1888 qui a une section technique et une section administrative ; ex-École Supérieure de Télégraphie (EST) créée en 1878) qui était située au 103 rue de Grenelle au sein du ministère des PTT (où il y avait le Service d’études et de recherches techniques). L’École déménage rue Barrault dans le 13ème en 1934 (dans l’ancienne manufacture de gants) et est séparée en 1942 en deux entités : l’École nationale des télécommunications, qui deviendra l’École nationale supérieure des télécommunications (ENST ; aujourd’hui Télécom ParisTech), et l’École nationale supérieure des PTT qui forme les cadres administratifs et qui ferme en 2002. Le siège et les studios du Poste Colonial sont installés dans la Cité des informations de l’exposition coloniale internationale puis à l’Institut colonial au 98 bis boulevard Haussmann à Paris fin décembre 1931. 50 HUTH, 1937, p396 51 HUTH, 1937, p399. Déjà en 1907, Arthur Korn associé à Édouard Belin (1876-1963), transmet de Berlin une photographie au périodique hebdomadaire L’Illustration, à Paris, puis une autre à Londres au quotidien anglais Daily Mirror. En 1909, à Munich,Max Dieckmann (1882-1960) expérimente un système de transmission composé d’un disque de Nipkow pour l’analyse et d’un tube cathodique de Braun à la réception. La même année, en juin, Ernst Walter Ruhmer (1878-1913) donne une démonstration de transmission au moyen d’une « mosaïque » d’éléments de sélénium reçue à distance surune autre mosaïque. John Logie Baird (1888-1946) dira plus tard qu’il a eu l’idée de ses recherches en prenant connaissance d’un ouvrage de Ruhmer consacré aux possibilités du sélénium. (LEDOS Jean-Jacques,Dictionnaire historique de télévision.De ABC à Zworykin,L’Harmattan, Paris, 2013) Ce qui prendra le nom de « radiofacsimilé » est la transmission de facsimilé par radio. Les transmissions sont effectuées en bande haute fréquence via la modulation FM : le « blanc » correspond à une fréquence HF (par exemple 8039,5 kHz) et le « noir » à une autre (par exemple 8040,5 kHz) avec l’échelle intermédiaire proportionnelle des gris.Plutôt qu’un outil pourla presse, c’est aujourd’huil’un des moyens permettant aux navires de disposer de prévisions météorologiques sur le vent, l’état de la mer et les glaces. 52 HUTH, 1937, p408 53 HUTH, 1937, p409
  • 11. le fac-similé - qui a déjà une longue et « tortueuse »54 histoire - est promis à un bel avenir, mais principalement dans les entreprises sous la forme du fax et sur une durée relativement courte (des années 1980 aux années 1990) compte-tenu de son remplacement par internet. De son côté, la télévision semble déjà tangible : - Moscou a pu suivre un tournoi d’échecs. - 150 000 personnes ont « vu » dans 25 salles aménagées les JeuxOlympiques de Berlin55. - La BBC a présenté « deux charmantes jeunes filles, deux beautés, d’une élégance choisie »56 qui seront ses « speakers » (« speakerines » au féminin57). - La couleur est déjà au programme58. David Sarnoff considère que la radio, « tel un pionnier, continue de scruter les horizons lointains » mais c’est la télévision qui a « le plus fortement saisi l’imagination du public »59. Néanmoins, il n’y a pas de concurrence60 entre différents médias pour Huth car leur fusion industrielle et technique est déjà un objectif : - En ce qui concerne l’industrie, il s’agira de trusts multimédias : Aux Etats-Unis, un mouvement se dessine,tendant vers l’unification de toute industrie et art du micro. On parle d’un trust gigantesque, embrassant à la fois Cinéma, Disque, Radio et Télévision61. - En ce qui concerne la technique, la technologie multifonction est envisagée : Déjà, on songe en Amérique à l’appareil incrusté dans les murs, lesquels seraient transformés en écran, ainsi qu’au poste miraculeux servant à la fois de téléphone,et de récepteurpour la radiodiffusion, la phototélégraphie et la télévision.62 Cette fusion technologique et son perfectionnement - dont on reparle depuis l’apparition et le développement de l’informatique et d’internet - sont encouragés par Emile Brémond, secrétaire général des émissions de la Radiodiffusion Française, qui souhaite aussi l’amélioration des capacités d’enregistrement. Pour lui, la radio est un instrument permettant de « transmettre la vie »63. Or, cette capacité à « reconstituer la vie » sera améliorée par une 54 PUCCI Emilio, « La transmission par fac-similé : invention et premières applications », Réseaux, vol. 12, n°63, 1994, p127. Face aux appareils mécaniques télégraphiques de Morse ou Hugues, les appareils électriques autographiques par « fac-similé » (à l’image du pantélégraphe de l’Italien Giovanni Caselli dans les années 1850 qui suit les premières expériences de l’Ecossais Alexander Bain et de l’Anglais Frederik Collier Bakewell dans les années 1840) sont à la fois moins rapides et pratiques, et plus compliqués et chers.S’ils permettent de transmettre des images, des dessins,des idéogrammes,des écritures manuscrites,des signatures,des chiffres,ils ne connaissent un succès commercial sous la forme du fax qu’au bout de 150 ans. Lire : BRETHES Jean-Claude, Histoire de la télécopie, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 1995 55 HUTH, 1937, p400 56 HUTH, 1937, p400 57 La première speakerine de la télévision française fut Suzy Wincker en 1935. 58 CBS lancera son programme de recherche sur la TV en 1939 et obtiendra sa licence de la FCC en 1941. RCA produira ses premiers postes de réception après la guerre. La couleur sera brevetée en 1938 et fait l’objet d’une première démonstration en 1944. Mais elle est commercialisée à partir de 1963 aux Etats -Unis. 59 HUTH, 1937, p407 60 Dans le rapport La radiodiffusion dans le monde de George Arthur Codding Jr. (ancien membre du secrétariat de l’UIT et professeur à l’Université de Pennsylvanie) publié en 1959 (UNESCO, Paris, http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001331/133160Fo.pdf), la télévision est bien vue comme une « rivale » (p143). 61 HUTH, 1937, p401 62 HUTH, 1937, p400-401 63 HUTH, 1937, p402
  • 12. collaboration avec la télévision - qui permettra de « ressusciter »64 la vie grâce à l’enregistrement - et passera par une meilleure performance de la technique car le spirituel et l’art sont encore trop « subordonnées aux moyens techniques »65 et matériels. Il espère qu’à travers le perfectionnement de l’enregistrement qui devrait permettre un jour de monter un programme radiophonique comme on monte une page d’un journal pour qu’on s’étonne un jour « que pendant tant d’années tant d’émissions aient été abandonnées au charme trop souvent trompeur des improvisations »66. Pour l’enregistrement mobile, il faudra être patient car le Nagra de Kudelski sera développé à partir de 1951. Comme le rappelle Emile Brémond, la technologie doit être un moyen et non une fin. Il ne suffit pas d’améliorer les technologies radiophoniques de production, distribution et réception pour développer la radiophonie. Pour Oskar Czeija, fondateur et DG de la Ravag, il s’agit d’améliorer la qualité de la technique existante (transmissions, échanges, réception, enregistrement, installations, sureté…) pour améliorer la qualité des programmes artistiques et reportages, mais aussi la « propagande en faveur des affaires de l’Etat »67. Ainsi, Huth s’intéresse tout autant aux futurs contenus diffusés. C’est moins le cas des « chefs de la radio » qui se focalisent sur des aspects stratégiques et techniques (y compris le journaliste Dr. Max Jordan et le chef d’orchestre Sir Adrian Boult)68. Les programmes : pour une « paléo-radio » Willem Vogt, directeur de l’AVRO, pense que la radio est dans une phase de transition où elle n’est plus capable d’éblouir comme au premier jour ce qui doit l’obliger à se renouveler pour des auditeurs « si difficiles à satisfaire »69. Pour répondre à cette problématique, Arno Georges Huth réfléchit à la manière d’améliorer la programmation qu’il veut voir augmenter, mais pas au prix de la qualité. Il pense qu’il ne faut pas diffuser « tout ce qui s’offre mais seulement ce qui en vaut la peine »70 et arrêter de diffuser « une salade de milliers de petits morceaux » au lieu d’un « bloc conçu et ordonné »71. Cela passe par le développement d’un art 64 HUTH, 1937, p403 65 HUTH, 1937, p402 66 HUTH, 1937, p402 67 HUTH, 1937, p405 68 Globalement, l’ouvrage est davantage focalisé sur les questions techniques que sur les questions programmatiques. 69 HUTH, 1937, p406 70 HUTH, 1937, p396 71 HUTH, 1937, p396
  • 13. radiophonique72, d’une « musique et d’une littérature radiogéniques »73. Huth ne précise pas ce qu’il entend par là, mais rappelons qu’il publiera Modern Music74 huit ans après La Radiodiffusion, puissance mondiale grâce à une collaboration avec : - le compositeur Georges Auric (1899-1983), - le musicologue Manfred Bukofzer (1910-1955), - le critique, musicologue et compositeur Wilfrid Howard Mellers (1914–2008), - le compositeur Theodore Ward Chanler (1902-1961), - le compositeur Howard Hanson (1896–1981). Pour le présent ouvrage, il a interrogé le Sir Adrian Boult, directeur musical de la BBC, qui reconnaît, suite à un débat avec des musiciens, que la radio est « elle-même un art des sons » - un « nouvel art » -, que les « règles établies par nous musiciens, dans l’interprétation de notre art, pouvaient s’appliquer, avec une précision parfaite, à la diffusion de toute autre matière » et que la « musique, nécessairement, joue un très grand rôle dans les programmes »75. Pour Huth, il faut dès lors recruter de nouvelles équipes d’auteurs pour concevoir des œuvres vivantes et originales. Mais ces œuvres doivent être diffusées sous un volume aussi réduit que possible car « le micro ne supporte pas les longueurs. Il a horreur du superflu et de l’inutile. »76 Le recrutement et l’amélioration des programmes appellent le développement : - d’« Ecoles de la Radio »77, - de la recherche à l’université78, 72 Rappelons que Pierre Schaeffer met en place son studio d’essais radiophoniques en 1942 (SCHAEFFER Pierre, 10 ans d’essais radiophoniques, du Studio au Club d’essai, 1942-1952, Arles, Phonurgia Nova, 1994 ; SCHAEFFER Pierre, « Pollution mentale », Cahiers de l’Institut de Science Economique Appliquée. Vol. 6., n°4, avril 1972, p813-845 ; TOURNET-LAMMER Jocelyne, « Sur les traces de Pierre Schaeffer - Archives 1942- 1995 », n°93, p154-156 ; TOURNET-LAMMER Jocelyne, « Pierre Schaeffer et le Service de la recherche de l’ORTF (1960-1974) », Hermès, n°48, 2007/2, p77-86 ; TOURNET-LAMMER Jocelyne (sous la direction de), « Pierre Schaeffer : la traversée d’un siècle », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°107, janvier-mars 2011). Paul Deharme, auteur de Pour un art radiophonique (Le rouge et le noir, Paris, 1930), souhaite que la radio soit davantage qu’une simple technique de transmission : « Nous voulons que les programmes soient "radiophoniques", au lieu d’être […] des resquilles de concerts publics » (Entretien accordé à Karl Hamerlinck et publié par Comœdia au début de 1933 [Cité dans ROBERT Guy, « Paul Deharme (1898-1934) », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°80, p182]). Mais « [s]i Deharme prétend que radiophonie rime avec création, beaucoup sont franchement opposés à cette équation » selon Christophe Bennet (La musique à la radio dans les années trente ; la création d'un genre radiophonique, L’Harmattan, Paris, 2010, p109). Lire : ROBERT Guy, « Deux ouvrages sur la radio et l’art radiophonique en 1930 », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1930 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°64, avril-juin 2000 ; HERON Pierre- Marie, « Aux origines de l’art radiophonique : Paul Deharme et la voix du subconscient »,in Éclats de voix, Actes du colloque de Besançon réunis par Pascal Lécroart et Frédérique-Toudoire-Surlapierre, Éditions L'improviste, 2005 ; FARABET René, « L’Atelier ? une aventure », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert, « L’année radiophonique 1937 », Cahiersd’Histoire de la Radiodiffusion,n°92, avril-juin 2007, p202-209 ; COHEN Andrea, Les compositeurs et l’art radiophonique, Editions INA – L’Harmattan, Paris, 2015 ; PARDO Céline, La poésie hors du livre (1945-‐ 1965),Le poème à l’ère de la radio et du disque, Presses de l’université Paris‐ Sorbonne, dans la collection « Lettres Françaises », en partenariat avec l’INA, Paris, 2015 73 HUTH, 1937, p396 74 Modern Music, V22, n°3, mars-avril, 1945 (74 pages) édité par Minna Lederman et Frani Muser 75 HUTH, 1937, p411-412 ; Lire au sujet du passage du clavier au micro le dossierétabli et rédigé par Christophe Bennet et coordonné par Jocelyne Tournet-Lammer « Musiciens de l’entre-deux-guerres : du clavier au micro », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°124, avril-juin 2015 76 HUTH, 1937, p396 77 HUTH, 1937, p396 78 Arno Georges Huth fait référence à deux thèses de doctorat soutenues au Pays-Bas, aux experts de la TSF qui enseignent dans des universités américaines, à l’Ecole Politique à Berlin qui a créé une chaire de propagande radiophonique en la confiant au directeur général de la Société de radiodiffusion du Reich (Reichs -Rundfunk- Gesellschaft ou RRG et future Großdeutscher Rundfunk).
  • 14. - d’une bibliothèque publique internationale de radiodiffusion sous la responsabilité de la Société des Nations. L’« œuvre éducative de la Radio doit être généralisée, et perfectionnée de plus en plus par la présentation des émissions comme par la teneur »79 via des commandes (qui existent déjà aux Etats-Unis) et des échanges de programmes au niveau national et international (l’écoute internationale à grande distance étant « soumise à trop d’aléas techniques »80). Ainsi, il sera possible de faire des écoutes collectives81 et de former des « groupes de discussion »82. Avec les précautions qu’il faut prendre en utilisant un néologisme, on peut avancer l’hypothèse qu’Arno Georges Huth se situe davantage du côté de la « paléo-radio » que de celui de la « néo-radio ». C’est Umberto Eco qui a opposé la notion « néo-télévision » à celle de « paléo-télévision » dans L’Espresso en 198383. La « paléo-télévision », que l’on situe entre les années 1950 et 197084, se veut être une fenêtre sur le monde appuyée sur des idéaux humanistes, culturels et pédagogiques et une relation hiérarchisée avec le téléspectateur. C’est une télévision sérieuse, rationnelle, structurante, institutionnelle, volontariste, dirigiste, étatique qui est à son sommet en France avec l’ORTF. A l’opposé, la « néo-télévision » est une télévision de la proximité, de la convivialité, du divertissement, de la discussion, de l’interactivité, de l’émotion, de la décontraction, de la continuité, de la vie quotidienne. Plutôt « commerciale », elle apparait en France dans les années 1980-1990 (avec la privatisation de TF1, l’apparition de Canal +, La Cinq, M6) et a une relation égalitaire avec le téléspectateur. Mais dans l’histoire de la radio française, la « néo-radio » a devancé en quelque sorte la « paléo-radio » - ou du moins coexisté avec elle - puisqu’il y a eu une période de privatisation des ondes dans les années 1920-193085. La recherche sur la musique à la radio dans les années 79 HUTH, 1937, p396-397 80 HUTH, 1937, p396 81 HUTH, 1937, p397. Il est intéressant de noter le retour de l’écoute collective dans les années 2010 où le numérique et internet permettent pourtant une écoute radiophonique individuelle et personnalisée. Depuis 2016, Laure Bedin y consacre une thèse intitulée « La radio en commun. Analyse des dispositifs d’écoutes collectives de la radio et communication sonore médiatisée » sous la direction de Jean-Jacques Cheval. Lire l’article de Laure Bedin « L’écoute collective comme écoute d’avenir » dans ce même numéro 132 des Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion. 82 HUTH, 1937, p397 83 CASETTI Francesco et ODIN Roger, « De la paléo- à la néo-télévision », Communications,vol. 51, n°1, 1990, p9-26 ; TUDORET Patrick, « La Paléo-Télévision : une nouvelle fenêtre sur le monde », in « L’ambivalence du mythe de l’ORTF », Quaderni, n°65, hiver 2007-2008, p93-101 84 « La télévision qui s’ancre sous la Quatrième République instaure un modèle de télévision fondé sur la transmission du patrimoine et qui soutient l’idée d’une télévision comme instrument culturel au service de l’unité et de l’égalité entre les hommes. La télévision sous de Gaulle est investie d’une mission d’éducation morale et de guide au service du rassemblement des Français. Elle est aussipensée comme une représentation de la France. » (LEVY Marie-Françoise, « Télévision, publics, citoyenneté », in Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (sous la direction de), La télévision des Trente Glorieuses, CNRS, Paris, 2007). 85 C’est une spécificité française d’avoir un double réseau privé et public à l’entre-deux-guerres. René Duval montre que les associations de sans-filistes quiont été partie prenante,voire le moteur, des activités radiophoniques pendant les années 1920 se sont lentement fait déposséderde leurs prérogatives par les politiques centralisatrices des gouvernements successifs (lire : DUVAL René, Histoire institutionnelle de la radio en France, thèse de doctorat en Sciences de l’information, Université de Paris II Panthéon-Assas,1979, publiée la même année sous le titre Histoire de la radio en France, Alain Moreau, Paris). Puis, vient la période de contrôle et de censure avant et pendant la guerre jusqu’à l’installation du monopole à la Libération. Les radios périphériques prolongeront l’existence du paradigme « néo-radiophonique » avant l’arrivée des « radios libres » qui lui donneront une nouvelle impulsion : interactivité, divertissement, musiques « populaires »... qui ne semblent pourtant n’avoir jamais été le monopole des radios privées commerciales notamment du fait de la course à l’audience et du fait que le service public doit plaire à tous les publics.
  • 15. 193086 de l’historien Christophe Bennet part des travaux de Pascal Ory87, Régine Robin88 et Patrice Flichy89 dont ressort bien deux logiques : Au projet d’un partage culturel [paléo-radiophonique], d’un côté, s’oppose la séduction rapide de tous [néo-radiophonique], de l’autre : la première logique, plus politique, véhiculant l’idée d’une acculturation90 de la population à des « musiques cultivées »91 ; la seconde orientation,plus pragmatique, conduisant à une utilisation du média comme séduction,comme moyen de satisfaction immédiate par des produits moins légitimés.92 Huth ne semble pas satisfait des programmes de cette « néo-radio » et espère la mise en place d’une « paléo-radio ». Marcel van Soust de Borkenfeldt, Ladislav Sourek et Maurice Rambert partagent cette vision « paléo-radiophonique » : - Marcel van Soust de Borkenfeldt, fondateur et DG de l’Institut National Belge de Radiodiffusion, souhaite voir évoluer la radio vers plus de qualité : « distraire, mais aussi enseigner, amuser, mais aussienrichir ». Il faut qu’elle « serve efficacement la pensée et la beauté », donc il ne s’agit pas de diffuser « seulement des informations, mais de grandes et belles œuvres du passé et du présent ». En ce qui concerne le public visé, il s’agit de « mettre à disposition de tous les hommes le patrimoine de connaissance et de beauté » - ni seulement les « foules », ni seulement les « privilégiés » -mais de « lui assurer l’audience des milieux intellectuels et le contrôle attentif des élites »93. - Ladislav Sourek, fondateur et DG de la société « Radiojournal », pense que la radio est une « sorte de correcteur de la culture et de la vie sociale »94. - Maurice Rambert, président de l’UIR, pense que la radio ne pourra « que contribuer pour une très large part au développement de l’instruction, de l’intelligence, du bien-être. »95 Si la télévision se développe (Cela ne semble pas faire de doute dans l’esprit des « chefs de la radio ».), il s’agira, pour David Sarnoff, qui confiait à la radio dès 1922 la mission 86 BENNET Christophe, Musique et radio dans la France des années trente. La création d’un genre radiophonique, thèse de doctorat en Histoire de la musique et Musicologie, sous la direction de Michèle Alten, Paris-Sorbonne, Paris, 2007 87 ORY Pascal, La Belle Illusion : culture et politique sous le signe du Front populaire, 1935-1938, Plon, Paris, 1999 88 ROBIN Régine (sous la direction de), Masses et culture de masse dans les années 30, Les éditions ouvrières, Paris, 1991 89 FLICHY Patrice, Une histoire de la communication moderne.Espace public et vie privée, La Découverte,Paris, 1991 90 Christophe Bennet reprend la définition de Pascal Ory : « l’inscription au sein d’une culture de formes perçues par cette dernière comme lui étant étrangère » (L’Histoire culturelle, PUF, Paris, 2004, p112). 91 Expression de Régine Robin. 92 BENNET, 2010, p10 93 HUTH, 1937, p405 94 HUTH, 1937, p406 95 HUTH, 1937, p402
  • 16. triptyque « divertir, informer et éduquer »96 à la NBC97, de mettre en place une « paléo- télévision » avec des caractéristiques propres à ce média : La télévision n’accomplirait guère de fonction utile, si elle se contentait de doubler les services rendus parle studio sonore.Sa véritable tâche serait de créer des formes d’éducation et de divertissement, résultant essentiellement de l’image visuelle pour laquelle le son n’est qu’un supplément. La télévision devrait donc, en dernier lieu, apporter à chaque foyer sa contribution artistique aussi bien que pratique, contribution qui lui demeurerait parallèle sans toutefois prétendre à remplacer les services habituels de la radiodiffusion.98 D’autres auteurs « chefs de la radio » - surtout américains - semblent plus proches d’une conception « néo-radiophonique ». Ainsi de Lenox Riley Lohr, président de NBC, qui pense le « succès futur dépendra de notre habilité à donner au public le programme qu’il désire. »99 S’il pense que la radio constitue « le plus magnifique moyen d’aider à rendre les hommes plus sages et plus heureux, quelle que soit leur position dans la vie »100, William S. Paley, fondateur et président de CBS, explique son raisonnement « néo-radiophonique » - où il incite à mettre en 96 John Charles Walsham Reith (1889-1971), fondateuret directeur de la BBC de 1922 à 1938, inverse l’ordre des mots et utilise la formule « Informer, éduquer et divertir » selon le témoignage de Marista Leishman, sa fille (LEISHMAN Marista, My Father, Reith of the BBC, Saint Andrew Press, Norwich, 2008). C’est la philosophie du Programme du Conseil national de la Résistance qui est reprise et appliquée par Jean d’Arcy (1913-1983), figure historique de la télévision française des années 1950 en tant que directeurdes programmes de la télévision française (1952-1959) : « Je crois que ce serait une erreur d’avoir des programmes de distraction pure, des programmes d’information sèche,et des programmes d’instruction trop pédagogiques.Je crois au contraire que le programme bon est celui qui se joue entre ces trois catégories, c’est le programme à la fois de distraction et d’information, d’instruction et de distraction. » (Jean d’Arcy, « Distraire, informer, instruire, un seul et même programme », conseils et comités des programmes de la RTF, réunion du 4 juin 1959). Les variations françaises ont privilégié « cultiver » plutôt que « éduquer» (ou les deux) car « "Education" est apparue rapidement trop formel, peut-être peu attirant vu la nature populaire (universelle ?) du média télévisuel. » (BOURDON Jérôme, « Le service public de la radiotélévision : l’histoire d'une idéalisation », Les Enjeux de l’information et de la communication,n°14/2, 2013/2) : l’ORTF « […] assure le service public de la radiodiffusion et de la télévision […] En vue de satisfaire les besoins d'information, de culture, d'éducation et de distraction du public » selon l’article 1 de la loi du 27 juin 1964 créant l'ORTF ; elle doit « répondre aux besoins et aux aspirations de la population, en ce qui concerne l’information, la culture, l’éducation, le divertissement et l’ensemble des valeurs de civilisation » selon l’article 1 de la loi n°72-553 du 3 juillet 1972 portant statut de la Radiodiffusion-Télévision française (J.O. 4 juillet 1972, p6851) ; « le service public de la radiodiffusion sonore et de la télévision […] a pourmission d’intérêt général […] en répondant aux besoins contemporains en matière d’éducation, de culture […]en répondant aux besoins des Français de l’étranger en matière d’information, de distraction et de culture […] » selon l’article 5 de la loi du 29 juillet 1982 ; voire « cultiver, informer, distraire » (Jean Cazeneuve dans CAZENEUVE Jean, DANGEARD Alain, NOAILLES Hélie De, STUDER William (sous la direction de), ORTF 73, Presses de la Cité, coll. « Presses Pocket », Paris, 1973, p31). Les cahiers des charges des sociétés nationales de programmes créées en 1974 regroupaient un grand nombre de missions hétéroclites seulement raccordées entre elles par la trilogie aux contours imprécis « cultiver, éduquer, distraire ». Lire le chapitre XII « Éduquer, informer, distraire » dans La radio de Patrice Cavelier et Olivier Morel-Maroger (n°3748, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2008), les articles « Les perspectives de renouveau du service public de la radiodiffusion dans le contexte de la libéralisation » de Candice Albarède et « Le service public de la radiotélévision : l’histoire d’une idéalisation » de Jérôme Bourdon dans Les Enjeux de l’information et de la communication (n°14/2, 2013/2), la partie 1 « « Informer, cultiver, distraire », 3 missions mais des pratiques diverses » de La télévision et les arts. Soixante années de production sous la direction de Roxane Hamery (Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2014). 97 LEDOS Jean-Jacques, « 1996 : centenaire de la radio ? », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°49, Juin- Août 1996 qui cite BILBY Kenneth, The General David Sarnoff and the Rise of the Communication Industry, Harper & Row Pub., New York, 1986, p69 98 HUTH, 1937, p408 99 HUTH, 1937, p409. Difficile de ne pas penser ici à la future concurrence en termes d’audience : POULAIN Sebastien, « La 55 000 ou l’avènement de la radiométrie moderne », in Thierry Lefebvre (sous la direction de), Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°129, juillet-septembre 2016 100 HUTH, 1937, p409
  • 17. place une relation symbiotique entre le producteur, le récepteur et le message - qui peut aussi être justifié commercialement : Souvent dans l’histoire des sciences et des inventions, on permet au développement physique d’une invention d’usurper la place que celle-ci devrait tenir dans la vie humaine. Trop souvent,il arrive que la machine, concentrée surson propre perfectionnement, cesse d’aller de pair avec les besoins sociaux qu’elle devait servir. La structure de la radiodiffusion dans l’avenir ne serait de la plus haute valeur, que si elle était traitée comme organe vitale au service du peuple.101 5 ans après la sortie de La Radiodiffusion, puissance mondiale, le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale donnera une conception « paléo-radiophonique » de la radio en lui donnant trois fonctions (valables aussi pour la télévision) dans son préambule : - un puissant instrument de gouvernement, - un moyen efficace d’information, d’enseignement et d’éducation, - à l’origine d’une très grande industrie, facteur de prospérité et de progrès. En plus des objectifs technologiques (les émetteurs et la télévision), ce programme insiste sur le fait qu’il s’agit de « créer des moyens d’action de propagande et d’éducation accessibles au grand public ». Ce n’est pas étonnant compte-tenu du contexte où le régime de Pétain mobilise tous ses moyens pour se légitimer. Mais rappelons-nous qu’il y a des décalages entre les intentions, les attentes, les idéaux de certains – les politiques, les dirigeants, les artistes, les critiques, les auditeurs – et ce qui est effectivement programmé. De même que l’opposition binaire entre « néo-télévision » et « paléo-télévision » doit être nuancée d’un point de vue diachronique et synchronique102, l’opposition entre « néo-radio » et « paléo-radio » est manichéenne. Christophe Bennet observe que « la tension conflictuelle entre deux conceptions contradictoires du média radiophonique résulte […] des situations musicales complexes, mêlant bricolage, compromis et inventivité. »103 Au-delà des propos tenus dans d’innombrable controverses sur ce qui doit être l’objectif de la radio et en particulier la radio publique, les recherches sur la musique à la radio dans les années 1930 montrent que [c]e sont surtout des similitudes, un air de famille, qui constituent la substance même de la radiophonie musicale de la décennie. Partagés entre leurs convictions et la conservation d’une audience, les postes émetteurs tâtonnent,cherchent,trouvent,inventent et se parodient réciproquement.Généralistes de fait, ils sont confrontés aux antagonismes de leurs auditeurs, cette masse invisible et pourtant « bruyante ».104 Qu’ils soient « paléo-radiophoniques » ou « néo-radiophoniques », ces objectifs visent à s’appliquer sur l’ensemble de la planète, la radio étant pensée comme un instrument politique pour organiser, pacifier, fabriquer la société par le symbolique sonore amplifié techniquement. La mondialisation comme nouvel espace de la radio 101 HUTH, 1937, p409. Pour l’opposition entre privé/public qui recoupe en partie l’opposition néo/paléo, lire : BENNET Christophe « La musique radiodiffusée en 1937 : le clivage entre stations publiques et privées se précise », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1937 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°92, avril-juin 2007 102 Notons que cela ne veut pas dire que le modèle de la « paléo-télévision » - cet idéal-type - n’existe plus aujourd’hui, ni que celui de la « néo-télévision » était inexistant avant les années 1980-2010. Les deux paradigmes ont toujours coexisté, y compris au sein de la télévision publique, mais le paradigme « paléo-télévisuel » dominait la télévision publique quand celle-ci avait le monopole de production, de programmation et de diffusion. 103 BENNET, 2010, p10 104 BENNET, 2010, p320
  • 18. Pour Huth, la radio du futur est mondiale, à l’image du travail de l’Union Internationale de Radiodiffusion (UIR)105, qui vient de convoquer au printemps 1936 une Réunion Intercontinentale, qui aide à : - l’échange de programmes (le programme de l’« Empire-Service » avec des contributions de 36 localités de l’Empire britannique à Noël 1934, « La Jeunesse chante au-delà des frontières » où sont confrontés les programmes de tous les pays en octobre 1935…), - la diffusion de « concerts mondiaux106 » (automne 1936 pour les compagnies américaines107, printemps 1937 pour l’Argentine, bientôt les Indes néerlandaises et le Congo belge…), - la création d’un bulletin d’information intercontinental108. Avec le monde comme « une seule et immense salle de concerts »109 « dans votre chambre »110, Huth annonce le « village global » dont parlera Marshall McLuhan 30 ans plus 105 L’UIR fait partie de la « nébuleuse d’organisations internationales qui caractérise la période 1920-1940 » (RUPPEN COUTAZ, 2015, p22). Par exemple, l’Organisation de coopération intellectuelle (OCI), ancêtre de l’UNESCO, est reconnue formellement en septembre 1931 (tardivement selon Jean-Jacques Renoliet : L’Unesco oubliée : la Société des nations et la coopération intellectuelle, 1919-1946, Publications de la Sorbonne, Paris, 1999, p17) comme un organe technique de la Société des Nations. 106 L’UIR organise des Nuits nationales (1926-1931 ; un programme musical et littéraire proposé par une nation à tour de rôle et diffusé à la même heure), Concerts européens (1931-1939 ; productions musicales nationales diffusées pendant 60 minutes le dimanche soir), Concerts internationaux (1932-1939 ; dons des meilleurs programmes musicaux nationaux), Concerts mondiaux (1936-1939 ; 30 minutes proposés pardes extra-européens) qui ont chacun une zone de diffusion déterminée (LOMMERS, 2012, p241-242). L’expression de « Concert européen » a une origine diplomatique comme le rappellent Léonard Laborie et Suzanne Lommers (« Les concerts européens à la radio dans l’entre-deux-guerres. Mise en ondes d’une métaphore diplomatique ? », Le Temps des Médias. Dossier Espaces européenset transferts culturels,n° 11, hiver 2008/2009, p110-125). Elle s’est imposée au début du XIXe siècle pourdénommer un nouveau mode de régulation et d’organisation de l’Europe. D’un point de vue radiophonique, ils sont pensés dès le milieu des années 1920 via constitue une « Commission de rapprochement intellectuel, artistique et social » de l’UIR, lancés à partir de 1929 à titre très expérimental et au milieu d’autres expériences : « transmissions de discours tenus à la SDN, en particulier à l’occasion de l’entrée de l’Allemagne dans l’institution (1926), relais de discours et de musique en Scandinavie – le premier en juin 1926 sous l’auspice de la Ligue des femmes pour la Paix et la Liberté -, échanges réguliers de concerts symphoniques par fils aériens… » (p115) Ils sont réellement inaugurés en séries régulières à partir de 1931 ce qui fait 60 concerts produits par 28 radiodiffuseurs européens jusqu’à 1939 (p117). Ils sont rendus possibles par la collaboration de l’UIR et du Comité consultatif international des communications téléphoniques à longue distance en Europe (CCIF). Le concert inaugural du 1er septembre 1929 a une organisation très spécifique par rapport à ceux qui vont suivre dans les années 1930 où il y aura simple diffusion de concerts à travers plusieurs radios : « Les instrumentistes restent invisibles, mais leur musique est entendue en direct à la fois dans les halls des hôtels,grâce à des haut-parleurs, et dans les foyers, à Genève, en Suisse et au-delà, grâce aux stations de radiodiffusion qui participent à l’opération. Ce qui fait l’originalité du concert est surtout qu’il est distribué : les instrumentistes sont répartis à travers le continent européen, un dispositif technique complexe permettant de les coordonner et d’assembler leurs mélodies. » (p112) Il y a « trois « lieux d’origine » des émissions – Zurich, Paris-Colombes, Genève –, les stations de Vienne, Londres, Paris, Berlin, Milan, Hambourg, Francfort-sur-le-Main, Leipzig, Cologne et Stuttgart ayant pour leur part « exécuté » le relais. » (p114). Ces programmes devaient nourrir un sentiment de communion chez les auditeurs via une expérience symbolique collective : « Tous traduisaient […] la même volonté de mettre la technique la plus moderne au service de la reconstruction de l’Europe sur des bases pacifistes, voire unitaires, en combinant téléphonie et radiodiffusion et en subsumant les frontières. » (p119) 107 Dr. Max Jordan fait référence au programme transmis par KDKA (Pittsburgh) vers le poste de Manchester de la BBC le 31 mars 1922. En 1936, les réseauxaméricains ont organisé « environ 1.000 transmissions de l’étranger, provenant de tous les coins du monde » (HUTH, 1937, p410). La NBC a pris 486 programmes à elle seule depuis l’Europe (HUTH, 1937, p410). Jordan se souvient aussique Marconi a annoncé « il y a quelque temps, qu’il était convaincu que la télévision transatlantique serait réalisable un jour » (HUTH, 1937, p410). 108 Ajoutons que l’UIR et l’Union internationale des télécommunications (UIT) ont organisé de nombreux voyages d’études.Selon Raphaëlle Ruppen Coutaz, « la plupart des directeurs de studio [suisses]iront visiter au moins un service de radiodiffusion à l’étranger afin d’examiner les nouveauxformats d’émissions. » (2015, p427) 109 HUTH, 1937, p399 110 HUTH, 1937, p401
  • 19. tard111. Comme le promettront plus tard les promoteurs d’internet, des réseaux sociaux numériques, de téléphone mobile, « l’isolement des régions éloignées […] appartiendrait désormais aux temps passés ! »112 car la radio « ignore les murs, barrages, frontière. L’Univers est son royaume… »113 Ainsi, Huth - qualifié de « militant pacifiste dans l’esprit de la Société des Nations » par Jean-Jacques Ledos - conclut par l’espoir qu’il porte quant aux effets pacifistes de la radio sur le monde : Puisse-t-elle n’oublier jamais que cette puissance même lui impose de lourds devoirs, lui confère de terribles responsabilités. Instrument pacifique, elle peut devenir redoutable. Et de tous les bienfaits que nous devons au génie des chercheurs, il ne resterait plus qu’une arme empoisonnée, menaçant des plus graves dangers l’humanité entière. Puissance mondiale, la Radio doit servir le monde. Servir le monde, c’est servir la Paix !114 Compte-tenu de la puissance qu’il attache à ce média, Huth a tendance à faire de l’anthropomorphisme : la radio prend en quelque sorte son autonomie par rapport aux hommes qui sont pourtant les utilisateurs du média et donc les seuls responsables. Pour plusieurs « chefs de la radio », la radio semble pouvoir devenir un outil (une « arme ») pacifiste115 : « Créant l’harmonie et la compréhension entre les êtres humains, elle peut être l’arme la plus efficace contre les guerres. » selon Lenox Riley Lohr. Pour Oskar Czeija, la pacification passera par davantage d’échanges : L’extension de l’échange international va enrichir considérablement le programme radiophonique et accroître la compréhension et estime mutuelle des peuples pour leurs efforts artistiques 111 MCLUHAN Marshall, The Medium is the Massage, Bantam Books, New York, 1967 112 HUTH, 1937, p401 113 HUTH, 1937, p413 114 HUTH, 1937, p413 115 Les stations de radio ayant tendance à brouiller les unes des autres,l’objectif de pacification est déjà celui qui a mené à la création de l’UIR. Mais suite à ses échecs, le Plan de Prague du 4 avril 1929 répartit les longueurs d’onde (ou fréquences) dans l’espace européen en application de la Conférence internationale de Washington de 1927 réunie par la commission spécialisée de l’Union Télégraphique Internationale (UTI) : le Comité Consultatif International des Radiocommunications-CCIR créé en 1927. L’Union Internationale de Radiophonie (UIR) devient l’Union Internationale de Radiodiffusion (UIR) suite à la conférence de Prague et gardera seulement un rôle de conseiller technique.L’UTI devient l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) en 1932 lors de la conférence de Madrid où sont réparties les ondes hertziennes entre ces différents moyens de communication. Elle s’ouvre à tous les organismes exploitant un service de radiodiffusion, y compris les administrations d’Etat qui étaient exclues jusque-là. Le 15 mai 1933, une conférence radioélectrique (150 délégations de 37 pays européens) réunie par l’UIR à Lucerne modifie les répartitions établies par le Plan de Prague. Au niveau de la Société des nations,celle-ci prie l’Institut International de Coopération Intellectuelle (IICI ; 1926-1946) de faire en sorte que la recherche qu’il mène alors surle volet éducatif de la radiodiffusion s’étende également à « toutes les questions internationales que soulève l’emploi de la radiodiffusion au point de vue des bons rapports entre nations » dans une résolution du 24 septembre 1931. En février 1933, un comité d’experts se réunit à l’IICI et fait un certain nombre de suggestions pourrendre pacifique l’usage de la radio ce qui donne lieu à la publication de la brochure intitulée La radiodiffusion et la paix : études et projets d’accords internationaux (Paris, 1933, 198 p.). A la suite de ce travail, en septembre 1933, l’Assemblée de la SDN adopte la proposition que lui soumet la Commission Internationale de Coopération Intellectuelle (CICI ; 1922-1946) de dresserun projet de convention internationale sur la radiodiffusion et la paix destiné à être soumis aux gouvernements. Le 23 septembre 1936, une Convention internationale est signée par la plupart des pays membres de la SDN, mais seuls 10 États y adhérent au moment de son entrée en vigueur, le 2 avril 1938... Lire : RENOLIET Jean-Jacques,L’Unesco oubliée : la Société des nations et la coopération intellectuelle, 1919-1946, Publications de la Sorbonne, Paris, 1999 ; WATINE Marie F. et LE GOURRIEREC Alain, « L’Union internationale des Télécommunications face aux nouveautés techniques », Annuaire français de droit international, vol. 24, n°1, 1978
  • 20. et leur civilisation. A la Radio revient la tâche immense d’unir les hommes, tâche qu’on entourera – il faut l’espérer – des soins les plus attentifs.116 Anning Smith Prall, président de la FCC, espère aussi que la radio va amener « une meilleure compréhension entre les peuples »117. De même pour la télévision qui « sera une contribution magnifique à l’art radiophonique » et qui devrait aussi aider à créer une « entente mutuelle entre les peuples du monde »118. Maurice Rambert, président suisse de l’UIR, est celui qui porte le plus d’espoir : il « espère » que la radio contribuera « au rapprochement des peuples119 et à l’instauration de la paix intégrale et définitive. »120 Mais cette mondialisation se heurte à quelques obstacles techniques, administratifs, juridiques, politiques qui empêchent le développement de la radio et de la paix. Charles Carpendale, DG délégué de la BBC, observe que ce futur « va-de-soi » radiophonique est freiné par le fait que la radio est « quelque chose en soi » et non une « boite aux lettres » : sa production et sa réception sont liées à des contextes et spécificités nationales121. L’insistance des auteurs sur l’espoir de la pacification du monde par la radio montre leurs doutes et peurs. La Seconde Guerre Mondiale et sa « guerre des ondes » frappent déjà à la porte et les radios s’y préparent122. En 1937, où est publié La Radiodiffusion, puissance mondiale, Hitler a déjà remilitarisé la Rhénanie, ouvert des camps pour les tziganes et il persécute les juifs. L’Italie a envahi l’Ethiopie à partir d’octobre 1935 et est sorti de la SDN, tandis que la guerre d’Espagne a débuté en juillet 1936. D’un point de vue politico-technique, Anning Smith Prall, président de la FCC, considère que le manque de fréquences est un frein au développement international. « Il est donc entièrement possible que, pour cette raison, l’échange international de programmes soit basé plutôt sur le système de circuits téléphoniques que sur celui d’une diffusion directe »123. George Arthur Codding Jr. soulignera à nouveau ce frein dans son rapport La radiodiffusion dans le monde pour l’ONU de 1959124 : 116 HUTH, 1937, p405 117 HUTH, 1937, p407 118 HUTH, 1937, p407 119 Les expressions « rapprochement des peuples », « meilleure compréhension entre les peuples » ou « l’entente entre les peuples » sont particulièrement usitées à cette époque. L’UIR publie un numéro spécial consacré aux activités de la radiodiffusion en matière de rapprochement des peuples : Union internationale de radiodiffusion, « La Radiodiffusion : instrument de rapprochement international », Radiodiffusion: revue semestrielle des problèmes radiophoniques = a halfyearly review of broadcasting problems = Halbjahreszeitschrift für Rundfunkprobleme, n° 4, UIR, Genève, juillet 1937 120 HUTH, 1937, p402 121 HUTH, 1937, p403 122 ULMANN-MAURIAT Caroline, « 1938, la radio vers un dispositifde guerre »,in Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1938 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°96, avril-juin 2008, p7 ; ULMANN-MAURIAT Caroline, « 1939, La radio bascule dans la « drôle de guerre » », in Caroline Ulmann- Mauriat et Guy Robert, « L’année radiophonique 1939 », n°100, avril-juin 2009 ; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « La radiodiffusion en France en 1940 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°27, décembre 1990, p1; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « La radiodiffusion en France en 1941 »,Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°30, septembre 1991 ; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « L’année radiophonique 1942 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°34, septembre-novembre 1992 ; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « L’année radiophonique 1943 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°38, septembre- novembre 1993 ; LAUZANNE Bernard (sous la direction de), « L’année radiophonique 1944 »,Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°42, septembre-novembre 1994 ; ECK Hélène (sous la direction de), La guerre des ondes. Histoire des radios de langue française pendant la Deuxième Guerre mondiale (France, Belgique, Suisse et Canada), Armand Colin, Paris, 1985 ; FAVRE Muriel, La propagande radiophonique nazie, Ina, Paris, 2014 ; PARROT Jacques, La guerre des ondes, de Goebbels à Kadhafi, Plon, Paris, 1987 123 HUTH, 1937, p407 124 Jean-Jacques Ledos dispose d’un texte similaire mais bien moins développé qui date de 1953 et qui pourrait être du même auteur. Dans Publikum und Information. Entwurf einer ereignisbezogenen Soziologie des
  • 21. l’échec des efforts déployés pourarriver à un accord surl’attribution des fréquences aux services de radiodiffusion des divers pays a imposé des restrictions à l’emploi des ondes hertziennes dans les communications internationales…125 Cela a abouti « à la situation chaotique régnant dans la bande des ondes courtes »126. Avec le brouillage volontaire, les choix politiques d’horaire d’émission des programmes destinés à l’étranger, c’est l’une des raisons de l’échec de la radiodiffusion internationale, comme le constate cet ancien membre du secrétariat de l’UIT et professeur assistant de science politique à l’université de Pennsylvanie : Chaque jour, pendant des centaines d’heures,des programmes sont émis à destination de toutes les parties du monde ; théoriquement, un auditeur disposant d‘un bon poste récepteur sur ondes courtes pourrait capter des émissions étrangères à presque chaque heure du jour ou de la nuit. I1 pourrait même, dans certaines régions, choisir entre plusieurs douzaines de programmes différents. Et pourtant, malgré l’énorme dépense en argent et en énergie humaine qu’entraînent ces émissions, l’auditoire international est en fait restreint. Sur le plan national, l’entrepreneur moyen de radiodiffusion considérerait qu’il a échoué dans sa tâche s’il n’avait qu’un auditoire aussilimité ; en matière de radiodiffusion internationale, en revanche, de nombreuses entreprises se contentent de quelques milliers, voire quelques centaines d’auditeurs.127 Au final, on observe dans La Radiodiffusion, puissance mondiale la dimension prescriptrice au-delà de la simple description de l’état du monde de la radio : le souhaitable en plus du réalisé, de l’observable et du pensable en 1937. En effet, si le monde de la radio suit les conseils de son ouvrage128, Huth pense qu’il y a de quoi être optimiste en termes de ventes d’appareils, d’audience, d’accroissement de la publicité129, de profits… Il pense que la vente d’appareils pourrait passer de 4-5 millions à 6-8 millions par an130. Il y en a déjà 57 millions Nachrichtenwesens publié par Roger Clausse en 1962 (Vs Verlag für Sozialwissenschaften), le document de Codding est daté de 1951 (voir page 157). La version anglaise publiée en 1959 est intitulée Broadcasting Without Barriers (167 pages contre 190 pour la version française). 125 CODDING Jr., 1959, « avant-propos » 126 CODDING Jr., 1959, p165 127 CODDING Jr., 1959, p165 128 Marcel van Soust de Borkenfeldt semble percevoir le poids de la communication à travers la communication intermédias. Selon lui, le succès de la radio passera par davantage de publicité concernant ses programmes : le traitement de l’activité radiophonique par les journaux et les revues, et plutôt par de la « critique constructive » (HUTH, 1937, p405) que négative. La radio est considérée comme de la concurrence par la presse papier du point de la vue de la publicité. On l’observe à l’émergence du média radio, on le revoit aussiau moment de l’apparition des radios libres et de la libéralisation de la bande FM. Ce qui fait que la presse écrite a pu tenter de freiner le développent des radios ou se les approprier ou en créer. En 1935, les stations commerciales de Paris sont presque toutes liées à des organes de la presse écrite, eux-mêmes tenus par de puissants groupes financiers : « Le Poste Parisien était au Petit Parisien, Radio-Cité, ex Radio-LL, à L’Intransigeant, enfin, en gestation,le futur Radio-37, au jeune Paris-soir. » (ORY Pascal, La Belle Illusion : culture et politique sous le signe du Front populaire,1935- 1938, Plon, Paris, 1999, p30.). 129 CHEVAL Jean-Jacques,« Invention et réinvention de la publicité à la radio, de l’entre-deux-guerres aux années 1980 », Le Temps des médias, n° 2, 2004/1, MEADEL Cécile, « La radiopublicité : histoire d’une ressource », Réseaux, vol. 10, n°52, 1992, p9-24 ; POUEY Fernand, « Information, disque, publicité en 1938, défenses de territoires », in Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1938 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°96, avril-juin 2008, p91 ; BLEUSTEIN-BLANCHET Marcel, « De la création d’un réseau de publicité TSF à celle de Radio-Cité », in Guy Robert (sous la direction de), « L’année radiophonique 1966 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion,n°51, décembre 1996 - février 1997, p153 ; BLEUSTEIN-BLANCHET Marcel, « Les prodiges d’une annonce radio (1929-1933) », in Caroline Ulmann-Mauriat et Guy Robert, « L’année radiophonique 1933 », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°76, avril-juin 2003 130 HUTH, 1937, p396
  • 22. dans le monde, et ce nombre pourrait doubler ou tripler en 10 ans selon Raymond Braillard131. Christian Diederich Lerche, président du Radiorådet, se vante déjà de la réussite danoise en termes de « radio-couverts » : 28 000 « écouteurs » en 1925 et 66% des ménages en 1937132. Ce pays est particulièrement performant radiophoniquement selon Raymond Braillard puisqu’il y a 160 appareils pour 1000 habitants au Danemark, soit le même pourcentage qu’aux Etats- Unis133. Statistiques qu’il convient de nuancer puisque ce n’est pas le même territoire ni la même population. En tout cas, la radio est d’ores et déjà une nouvelle branche de l’industrie pour Ladislav Sourek134. Les fondamentaux de la radio - les « caractéristiques qui en font une si grande puissance »135 - sont déjà là selon Lenox Riley Lohr (président de NBC) : « l’appel à l’imagination, la projection de la personnalité du speaker, la propulsion de la parole »136. Des qualités susceptibles de permettre à ce média d’apparaitre naturellement dans notre environnement quotidien et de disparaitre « dans l’inconscient, pour ainsi dire, comme les réflexes du corps humain »137 selon Charles Carpendale, DG délégué de la BBC. Après une prospérité issue de la géosphère (mines, eaux, terres fertiles), David Sarnoff138, comme beaucoup de ses collègues, parie sur « l’air », « l’éther » (la « noosphère » qu’a théorisé Pierre 131 HUTH, 1937, p411. En France, le Programme décennal de travaux de la Radiodiffusion Nationale de 1942 prévoit plus que le doublement du parc de récepteurs radio : 11 500 000 en 1951 au lieu de 5 250 000 en 1942. Les industriels fabriquent 30 349 844 récepteurs radio entre 1952 et 1968 soit 1 785 285 en moyenne par an (BROCHAND Christian, Histoire générale de la radio et de la télévision en France,3volumes, La Documentation française, 1994 ; FESNEAU Elvina, « Eléments pour une histoire du public des postes à transistoren France », Le Temps des Médias, n°3, 2004, p118-125). 132 HUTH, 1937, p406 133 HUTH, 1937, p411. Selon le rapport La radiodiffusion dans le monde de George Arthur Codding Jr. de 1959 (p20), il y a déjà 6,5 millions de postes de réception aux Etats-Unis en 1927 pour 722 stations (4 en 1921, 29 en mai 1922, 382 en décembre 1922). En revanche - et c’est ce qui intéresse davantage Codding Jr et l’UNESCO -, il y a « moins de 5 récepteurs pour 100 habitants (ou moins de 1 récepteur pour 5 familles) » « dans plus de cent pays,pourla plupart d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud » (p162). C’est en moyenne 0,1 récepteurs pour100 habitants en Ethiopie et Erythrée, 0,3 en Inde (p30). A travers la voix de Codding Jr, l’UNESCO incite à installer des services en quantité pourcouvrir tous les territoires, à former du personnel,à résoudre les problèmes de langue, de contenu des émissions, de présentation technique de celles-ci, ou encore de postes de réception... pour que ces pays rattrapent leurs retards par rapport aux pays occidentaux. En ce quiconcerne ces postes,ceux-ci sont surtaxés à l’importation à cette époque,ce qui empêche le renouvellement de ceux-ci et nuit à leur qualité. Pour l’UNESCO et Codding Jr, « l’objectif doit être d‘atteindre le point où chaque famille disposera d’un bon récepteur », ce qui oblige à « fournir quelque 350 millions de postes supplémentaires » (p163) contre « un peu plus de 315 millions […] postes récepteurs actuellement en service dans le monde » (p30). Si « les programmes généraux de développement économique et social établis pour la plupart des pays sous -développés prévoient des installations de transmission » (p162), on peut dire a posteriori que ce rattrapage prendra du temps. Mais la radio deviendra bien le média numéro 1 en Afrique grâce à son faible coût de production et de diffusion, sa vitalité, sa faculté d’adaptation,sa rapidité et à l’analphabétisme (TUDESQ André-Jean, L’Afrique parle,l’Afrique écoute - La radio en Afrique subsaharienne, Editions Karthala, Paris, 2002). En ce qui concerne le développement de nouvelles stations,il faudra attendre les années 1990 (soit à peine 10 ans après la France) pourque les bandes FM de l’Afrique de l’Ouest francophone commencent à se libéraliser tandis que beaucoup de journalistes radio continuent de craindre pour leur vie (DAMOME Etienne, « La dérégulation radiophonique en Afrique de l’Ouest francophone : Africanisation du modèle français ou simulacre ? », in Thierry Lefebvre et Sebastien Poulain (sous la direction de), Radioslibres, 30 ansde FM°: la parole libérée ?, INA/L’Harmattan, collection « Les médias en actes »,Paris, 2016 ; KABORE Lacina, « L’avenir de la radio communautaire burkinabè confrontée aux pesanteurs du contexte et au numérique » dans ce numéro 132). 134 HUTH, 1937, p406 135 HUTH, 1937, p409 136 HUTH, 1937, p409. A ce sujet, lire : GLEVAREC Hervé, « Ma radio » Attachement et Engagement, Éditions INA, Paris, 2017 ; POULAIN Sebastien, « Pourquoi a-t-on autant confiance en la radio ? », INAGlobal.fr, 28 février 2017, http://www.inaglobal.fr/radio/article/pourquoi-fait-autant-confiance-la-radio-9572 137 HUTH, 1937, p403 138 HUTH, 1937, p408