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Similaire à dossier bois-2-Terre sauvage/Arbres et Forêts-septembre 2013
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dossier bois-2-Terre sauvage/Arbres et Forêts-septembre 2013
- 1. © Jean-Jacques Raynal
la compagnie Maguy
Marin travaille dans
la structure en bois
du Centre chorégraphique
national de Rillieux-la-Pape.
L’âge du bois
Longtemps relégué à la flambée d’hiver et au chalet d’alpage, le bois est
devenu non seulement tendance, mais aussi furieusement technique.
Porté par les enjeux écologiques, ce matériau naturel investit désormais
tous les domaines, de la construction à la chimie verte, en passant
par l’aménagement urbain et les énergies renouvelables.
O
«
n croit découvrir le bois, on l’avait
simplement oublié », résume Pascal Triboulot, directeur de l’Enstib,
l’école nationale supérieure des
technologies et industries du bois,
à Épinal. Les massifs forestiers ont beau couvrir
un tiers du territoire national et la forêt française être la troisième d’Europe, notre pays s’est
longtemps détourné de cette matière première
qui croît naturellement : pas assez high-tech,
passéiste, tout juste bonne pour le folklore et
les paysages pittoresques de montagne. Gilbert
Storti, vice-président de Fibra, la filière bois en
Rhône-Alpes, s’en amuse : « La France était tellement à la traîne en matière d’utilisation du bois,
en particulier dans la construction, que cela en
devenait ridicule. Mais les mentalités évoluent très
rapidement : le végétal est en train de prendre le
pas sur le minéral. » De retour du Canada, pays
du bois s’il en est, où il a enseigné deux années
à l’Université du Québec, Pascal Triboulot a pu
relativiser l’idée fortement ancrée d’une France
encore distanciée en matière de bois : « La dynamique française autour du bois et de ses dérivés est
très positive, peut-être même plus qu’ailleurs en
Europe, que se soit dans l’architecture, la recherche,
l’innovation, la formation. Nous sommes partis
plus tard, mais nous sommes en train de rattraper ce différentiel. Les jeunes générations se passionnent pour le bois. » L’an dernier, l’école d’Épinal a reçu 2 500 candidatures pour 100 places,
un record. Revanche du matériau ringard, le
bois est aujourd’hui porteur d’une croissance
(de surcroît verte) que nombre de secteurs économiques rêveraient de connaître. « Le bâtiment
stagne en France, voire recule, quand la construction en bois continue d’augmenter, ce qui d’ailleurs
commence à “chatouiller” les intérêts des fabricants
d’acier et de béton », observe Philippe Thiriet,
responsable de la Recherche et développement
du CRITT-bois (Centre régional d’innovation
et de transferts technologiques des industries
du bois), voisin de l’Enstib, dans les Vosges. Les
cimentiers et l’industrie du béton ont ainsi attaqué un décret imposant une quantité minimale
de bois dans les constructions nouvelles devant
le Conseil constitutionnel, qui leur a donné raison en mai 2013.
Un matériau de premier choix
Les maçons ont-ils vraiment du souci à se
faire ? Rares sont les matériaux de construction
qui, comme le bois, présentent autant de qualités. Le bois est capable de servir à la fois de structure et d’isolant, les chantiers sont ultrarapides,
propres, peu bruyants, la ressource est renouvelable, surabondante et certifiée quasiment à
100 % en France ; enfin, le bois stocke le carbone tout au long de sa vie. « En matière d’énergie
grise, le bois est systématiquement gagnant vis-àvis des autres matériaux. Or, l’énergie mobilisée
dans la construction d’un bâtiment peut représenter jusqu’à mille fois celle qui sera nécessaire
pour son chauffage… La catastrophe énergétique
n’est plus dans le fonctionnement, mais dans la
construction. Il faut substituer le béton partout où
c’est possible », remarque Christian Charignon,
architecte à Lyon et fondateur de l’association
Ville et aménagement durable. Sans compter
une dimension difficilement quantifiable, qui
relève de l’affectif ou de l’inconscient collectif :
le bois est beau, il est chaud, il est vivant. « Les
gens se sentent en harmonie avec le bois qui change
de couleur et vieillit avec eux », remarque
Arbres et forêts
31 septembre 2013
- 2. © E. Carcano
©
L’âge
du bois
.
D.R
« L’utilisation du bois va dans le sens de l’histoire »
Françoise-Hélène Jourda
Du jamais vu dans la capitale : la halle Pajol,
dans le 18e arrondissement, a été rénovée avec quatre
niveaux en bois. Aux commandes de l’opération, l’architecte
Françoise-Hélène Jourda : « Je travaille avec le maximum de bois
possible. Il est peu consommateur d’énergie grise, s’assemble
et se démonte facilement. Les gens de la filière bois
ont une culture remarquable. Et puis, le bois sent bon ! »
Françoise-Hélène Jourda est diplômée de l’école d’architecture
de Lyon en 1979. Huit ans plus tard, elle en construit le nouveau
bâtiment, avec du bois déjà : « Cela avait fait jaser, rit-elle.
Dans les années 1980, on n’était pas moderne quand
on construisait en bois. » L’architecte signe ensuite une autre
réalisation qui a fortement marqué les esprits : les halles
du 8e arrondissement de Lyon, bâties sur des troncs entiers.
Les projets s’enchaînent, dont un à Herne-Sodingen,
en Allemagne, dans la Ruhr : un centre de formation en forme
de serre créant le microclimat de Nice et réalisé avec du bois
coupé dans la forêt voisine. « Les grands créateurs investissent
malheureusement peu le bois. Pour beaucoup, le geste
Les scieries fournissent
du bois à ceux qui souhaitent
se lancer seuls dans la
construction de leur maison.
7
propositions à retenir
du rapport Caullet
Elle fait partie
des grands
noms de
l’architecture
contemporaine :
FrançoiseHélène Jourda
porte depuis
plus de
trente ans la
cause d’une
construction
responsable,
écologique, donc
souvent en bois.
architectural, c’est
la forme, le bel objet.
Seulement ensuite
se pose la question de sa réalisation.
Or, quand on veut bâtir en bois, il faut
prendre en compte l’aspect constructif
dès l’esquisse. Ce n’est pas dans la culture
des architectes », explique Françoise-Hélène
Jourda, qui, dès 1999, a pris la chaire
d’architecture durable à l’université
de Vienne, et qui cite souvent l’Autriche en
exemple. Ce pays pionnier de l’architecture
bois, illustrée par le Vorarlberg,
est désormais capable de réaliser des
immeubles de neuf étages en bois. « La construction bois investit
tous les champs : le petit industriel, les surfaces commerciales.
Ce ne sera pas pour tout de suite mais, à moyen terme,
la construction bois va émerger réellement dans notre pays.
L’utilisation du bois va dans le sens de l’histoire. »
la création d’un fond stratégique
d’investissement « bois »
l’industrialisation de la transformation
le développement des filières courtes
une meilleure utilisation des feuillus,
dont le hêtre et le robinier, le « teck »
européen
la mise en place de l’équivalent
des SCOT d’agglomération
(schémas de cohérence territoriale)
pour les massifs forestiers
la signature de contrats pluriannuels
amont/aval
le soutien de la recherche et des
nouvelles applications du matériau bois :
chimie, structure…et 60 000 emplois.
1
« On ne s’est pas rendu compte de la puissance du bois »
L’avenir est au bois !
Soudure du bois, nouvelles colles non polluantes à base de cellulose, mousses de tanins à
la fois aussi isolantes que le polystyrène et ininflammables, sans compter les applications que
les chercheurs tiennent à garder pour l’heure
secrètes… Philippe Thiriet, comme nombre de
ses collègues, s’enthousiasme. Enfin, dans les
débats très actuels sur la transition énergétique,
le bois est souvent oublié, alors qu’il représente
près de la moitié des énergies renouvelables, soit
le double de l’hydraulique (25 %) et permet de
tirer partie de nombre de sous-produits de la
sylviculture (branches, bois d’éclaircie), de la
Arbres et forêts
2012
32 septembre 2013
Entretien avec Jean-Yves Caullet, député de l’Yonne, nouveau président de l’ONF
1
© D.R.
© www.boheme.fr
Françoise-Hélène Jourda, pionnière en
France de l’architecture durable. Peu à peu, les
filières de construction bois s’organisent autour
de coopératives, de regroupements d’artisans,
de PME. Même les géants du BTP se mettent à
l’heure du bois, comme Vinci et la filiale Arbonis, ou Bouygues. « C’est un des signes que le bois
a de l’avenir, même s’il y a encore des progrès à
faire en France en terme de qualité, de régularité et
d’industrialisation des produits. Le bois va changer
le visage de notre environnement, de nos villes et
c’est heureux », remarque Philippe Monchaux,
responsable du pôle Première transformation et
approvisionnement de l’institut technologique
FCBA, à Paris. Il en est convaincu : « Aujourd’hui,
c’est la construction qui tire le secteur du bois,
demain, ce sera la chimie verte de l’après-pétrole. »
transformation (sciures, bois déchiqueté), ou
encore des déchets (vieux meubles, palettes).
Environ 60 % du bois utilisé est ainsi recyclé en
fin de vie. Et d’ici 2020, il est prévu de doubler la
contribution du bois dans la production de chaleur et de la multiplier par six dans la production
d’électricité. Les perspectives sont considérables,
même si, sur le fond, il n’y a pas grand-chose
de nouveau à l’échelle de l’humanité, observe
Pascal Triboulot. « Quand l’être humain a commencé à être intelligent, il a vite compris qu’avec
le bois il avait un compagnon exceptionnel, qui
lui offrait l’abri, le couvert, l’équipement et le feu.
Nous sommes toujours à l’âge du bois. Un arbre
est capable de défier les lois de la physique. Le bois
va nous conduire à des inventions fabuleuses. » l
Jean-Yves
Caullet a
rendu cet été
un rapport au
Premier ministre
sur les nouveaux
défis du bois
et de la forêt
en France, dans
la perspective
du projet de
loi d’Avenir
notamment
sur l’agriculture,
l’agroalimentaire
et la forêt
qui devrait
être débattu
début 2014. Cri
d’alarme mais
aussi message
d’espoir, il y a
pour lui urgence
à agir.
Vous soulignez ce paradoxe : le bois est
le deuxième poste déficitaire du commerce
extérieur de la France, alors que notre pays
exporte en masse ses bois bruts qui reviennent
sous forme de meubles, de parquets.
D’où vient ce paradoxe ?
Au moment où la France s’est industrialisée,
dans les années 50-70, notre pays a investi dans
le nucléaire, l’automobile, le plastique… Le bois était
une survivance. On ne s’est pas rendu compte
de la puissance de ce matériau. Lorsque la demande
de produits en bois augmente dans notre pays,
ce sont les importations qui y répondent.
Je remarque aussi que la construction européenne
s’est faite sur l’acier et le charbon, c’est-à-dire
un matériau de structure d’une part, et une énergie
d’autre part. Et le bois, qui cumule ces deux fonctions,
a été oublié ! Quelques dizaines d’années plus tard,
le bois et la forêt ne font toujours pas l’objet
d’une politique européenne, alors qu’ils sont impactés
en creux, en Europe comme en France d’ailleurs,
par les politiques environnementales, industrielles,
agricoles, énergétiques…
2
Quels sont pour vous les enjeux contemporains
de la forêt et du bois ?
Ils sont au cœur de questions aussi cruciales que
le climat, l’énergie, l’occupation des sols, l’emploi…
Le bois et la forêt offrent de très bons exemples de
l’économie circulaire que chacun appelle de ses vœux :
un arbre peut être utilisé trois fois, comme bois
d’œuvre ; puis déchiqueté, pour la production de papier
et de panneaux ; et au final comme source d’énergie.
Un arbre conduit et coupé à maturité permet aussi
de fixer le maximum de carbone. Bref, pour protéger
la nature, il faut couper des arbres !
3
Que faire ?
L’immobilisme serait la pire des solutions. Le bois
va prendre une place de plus en plus importante dans
nos vies. Il est indispensable de structurer une volonté
politique de long terme pour la forêt, permettant à la
société de s’approprier ces enjeux. La forêt est encore
trop souvent une affaire d’experts, de conflits entre
le bûcheron et le défenseur de la nature. Or la forêt
est multifonctionnelle, elle relève de l’intérêt général,
d’un bien commun. Cette volonté politique doit
s’accompagner d’un investissement massif dans les
filières de transformation du bois en France afin de tirer
parti de tous les bénéfices et les performances
du matériau. En Finlande, en Autriche, en Allemagne,
les fabricants de maisons en bois sont des industriels,
en France, nous n’en sommes qu’au tout début
de cette industrialisation. Le potentiel du bois comme
matière innovante est aussi encore trop peu connu.
Je pense à la cellulose, à la construction de pylônes
haute tension en bois... D’autres initiatives sont
intéressantes, comme la création de circuits courts
dans les Alpes ou le Jura, qui valorisent les essences
et les savoir-faire locaux. Le bois entre à nouveau dans
la modernité. Il peut mener à une nouvelle révolution
industrielle en France.
Arbres et forêts
33 septembre 2013